La lettre juridique n°412 du 14 octobre 2010

La lettre juridique - Édition n°412

Éditorial

Cave canem : point de "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage" pour les juges savants

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Considérant que la Vie est une, tous les êtres vivants ayant une origine commune et s'étant différenciés au cours de l'évolution des espèces,

Considérant que tout être vivant possède des droits naturels et que tout animal doté d'un système nerveux possède des droits particuliers,

Considérant que le mépris, voire la simple méconnaissance de ces droits naturels provoquent de graves atteintes à la Nature et conduisent l'homme à commettre des crimes envers les animaux"...

Bon, je vous l'accorde la Déclaration universelle des droits de l'animal, signée en 1978 à la Maison de l'Unesco, n'est pas encore inscrite au bloc de constitutionnalité français, loin d'être invoquée dans le cadre d'une question prioritaire -même mise à toutes les sauces depuis six mois-, et n'a pas de valeur juridique. Et pourtant, le respect envers les animaux ou l'anthropomorphisme, selon que vous soyez pythagoricien ou aristotélicien, gagne, de manière rampante, ses galons au sein des vieilles pierres du quai de l'Horloge. Le 30 septembre 2010, la Cour de cassation, dans un arrêt promis à la publication tout de même, notamment sur son site internet, exclut l'agressivité d'un animal domestique de la théorie des vices cachés. D'une part, en la matière, c'est le Code rural et son article L. 213-4 qui déterminent les vices rédhibitoires permettant l'indemnisation du propriétaire et non l'article 1641 du Code civil. Et, d'autre part, l'agressivité ne figurant pas à la liste de ces vices rédhibitoires, le propriétaire d'un doberman ne peut se plaindre de la dangerosité comportementale de son chien pour en obtenir indemnisation ou remboursement ; la théorie de la non-discrimination appliquée aux bêtes, en somme... Quoique, entre animaux de compagnie et animaux de production, l'homme réussit le tour de force de créer une distinction selon que l'animal recevant sa protection lui témoigne sa présence, sa beauté, son enthousiasme ou ses talents ou, plus prosaïquement, lui fournisse lait, laine et laitons -on retrouve, là, l'étrange hiérarchie de valeur des hommes qui encense la distraction et minore la production-.

Il faut dire que l'animal domestique n'est décidément pas une chose comme une autre. On a beau le qualifier de bien meuble, voire d'immeuble par destination, dans le cadre d'un fond de commerce ou agricole, depuis des siècles les hommes débattent, et se déchirent même, sur la question sensible du statut de l'animal ; et, au-delà, sur celle de ses droits entraînant -et c'est là que naît le conflit- des devoirs pour l'homme. La jurisprudence a clairement ouvert la voie, dès 1962, en reconnaissant l'existence d'un préjudice moral, au-delà du seul préjudice matériel, en cas de perte d'un animal de compagnie. Si l'on indemnise, d'abord, le trouble de jouissance et du droit de propriété sur l'animal, on tend à réparer les conséquences d'une rupture du lien affectif.

Il faut dire, aussi, que cela fait bien 150 000 ans que le chien est sorti de sa meute de loups pour vivre le destin des hommes, ce serait un juste retour des choses, pourrait-on penser, qu'on ne le congédie pas pour un comportement récessif : la domestication, depuis le néolithique, entraîne, certes, des mutations génétiques et morphologiques des animaux concernés, ainsi qu'une modification des comportements -au point que certains, comme Konrad Lorenz, voit dans la domestication animale, un appauvrissement des comportements sociaux spécialisés, au profit de l'hypertrophie des besoins de base comme la reproduction et l'alimentation- ; mais comme l'on décèle "du matériel génétique néandertalien" chez l'homme moderne, il ne faudrait pas reprocher au chien son agressivité naturelle et récessive : la domestication n'est pas un phénomène zootechnique ou socio-zoologique exact... En d'autres termes, une loi prenant la mesure de l'agressivité de certaines espèces et ordonnant certaines restrictions pour protéger les hommes est de bon sens ; mais, si "chien hargneux a toujours l'oreille déchirée" (cf. La Fontaine, Le Chien à qui l'on a coupé les oreilles), le droit ne peut condamner un animal pour un trait de caractère, ni le renvoyer dans son chenil de conception pour défaut de conformité aux règles et usages de bienséance humains. L'anthropomorphisme est, certes, de mise en la matière ; mais bien que de foire, de cirque ou pour épater la galerie, l'animal n'en est pas moins dénué de raison...

Sans croire à la transmigration des âmes, comme Pythagore, et sans aller jusqu'à Théophraste et croire que les animaux peuvent raisonner, sentir et ressentir de la même manière que les êtres humains, les Hauts juges ne se veulent plus cartésiens en l'espèce, mais invoque, une fois n'est pas coutume, les mânes de Rousseau à la lumière du Discours sur l'inégalité, que l'homme a commencé comme un animal, bien que non "dépourvu d'intelligence et de liberté". Cependant, les animaux étant des êtres doués de sensibilité, "ils devraient participer au droit naturel, et [...] l'homme est sujet à de certains devoirs envers eux". "Le jour viendra où le reste de la création animale acquerra ces droits qui n'auraient jamais dû leur être refusés si ce n'est de la main de la tyrannie" renchérit Bentham... Avec des arguments d'autorité pareils, nul doute que les magistrats n'aient pas voulu s'en tenir au concept d'"automates complexe" de Descartes et aient souhaité faire avancer le débat sur la reconnaissance d'un statut de l'animal au-delà des seules maltraitances à leur égard... rêvons un peu... Ou, plus vraisemblablement, la Cour de cassation juge en droit et fait une application stricte de la loi : l'article L. 213-4 du Code rural et son décret d'application ne prévoient pas l'agressivité au titre des vices rédhibitoire, un point c'est tout.

Parce que sujet de droit et non plus objet, l'animal de compagnie se verrait contraint, bientôt, à des devoirs ? En attendant, leurs maîtres ont la responsabilité de leur garde et, pour 52 % des foyers français, ce n'est pas un vain mot que de courir à pas d'heure les nuits d'hiver derrière leur animal en laisse... Une responsabilité que le réalisme fiscal voudrait d'ailleurs consacrer en taxant, peut-être, la possession d'un chien pour sensibiliser les maîtres aux impératifs de salubrité publique et à la dangerosité putative de certaines espèces (cf. une proposition de loi tendant à permettre aux communes d'instituer une taxe facultative sur les chiens et visant à améliorer le contrôle sanitaire sur les animaux domestiques, du 1er mars 2000 ou, encore, une réponse ministérielle n° 02468 du 14 mai 2009). Entendons nous bien, une taxe sur les chiens avait déjà été instaurée en 1855, mais elle fut supprimée à la fin des années 1970. Elle était perçue par les communes, en même temps que la taxe d'habitation, et sa motivation première était de décourager la possession de chiens -nous rappelle Emilie Lévêque dans l'Expansion, du 28 septembre 2010-. Et, une taxe de 75 euros (comme proposé en 2000) par chien rapporterait 660 millions euros, sur la base des 8,8 millions de chiens recensés dans les foyers français -de quoi réduire un peu plus le déficit public-. Le problème, outre l'impopularité d'une telle mesure et les risques d'abandons dans un pays qui en détient déjà le triste record, c'est que cette taxe ne rappellerait trop le fondement du lien unissant hommes et animaux domestiques : la propriété. La fiscalité renverrait, dès lors, le chien à sa condition d'objet. Or, dans une ère qui se veut plus sensible, jouant sur l'affectif pour encourager la naissance d'un véritable statut et respect de l'animal, rappeler que ce lien affectif naît du droit de propriété enlève, tout de même, beaucoup de charme à la chose... que dis-je : à la cause. Et, André Varlet de la Société centrale canine, de nous mettre en garde : "la branche alimentation pour chiens est l'une des rares à contribuer à l'excédent commercial de la France", avec plus d'un milliard d'euros générés à l'export en 2009 : alors, "touche pas à mon dog" pourrait bien être un slogan du XXIème siècle !

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Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Myriam Picot, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon

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par Anne-Lise Lonné, Journaliste juridique

Le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Myriam Picot, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Lyon ? Quelles sont les spécificités du barreau que vous dirigez ?

Myriam Picot : Le barreau de Lyon représente le premier barreau de Province et comporte à l'heure actuelle 2 350 avocats, à parité hommes-femmes (51 % de femmes). Il se situe sur la moyenne nationale en termes de revenus, la dernière étude ayant mis en évidence que les écarts s'étaient creusés entre les bas et les hauts revenus. Le barreau compte des avocats exerçant dans toutes les spécialités existantes et toutes les tailles de cabinet y sont représentées.

Notre barreau cultive une tradition de l'action collective. Ainsi de nombreux avocats participent aux commissions de l'ordre (il en existe une trentaine).

Notre barreau est ouvert sur l'international. Il existe des jumelages depuis longtemps, mais nous menons depuis peu une vraie réflexion sur le contenu de ces jumelages, et sur la manière de les cultiver afin qu'ils constituent un véritable levier de développement et de rayonnement.

Lyon est une grande ville, située dans une région attractive sur le plan économique, et active d'un point de vue de la citoyenneté (par exemple, la ville de Lyon est signataire de la Charte européenne des droits de l'Homme dans la ville). Notre réflexion est de s'inscrire dans cette démarche, aux côtés de la ville et de la région, et de profiter ainsi de l'ensemble du réseau dont elles bénéficient. Il s'agit également de pouvoir proposer, chaque année, à plusieurs de nos jeunes confrères, d'effectuer un stage dans un cabinet d'avocats étranger. Grâce aux accords de jumelage, des barreaux comme ceux de Philadelphie, Montréal, Manchester, Turin ou Barcelone accueillent régulièrement de jeunes avocats lyonnais qui trouvent ainsi une occasion unique de découvrir des systèmes juridiques et judiciaires différents. A leur retour, ils peuvent rapporter leur savoir-faire.

A titre d'exemple de ce lien barreau-région, une délégation est partie représenter le barreau à Shanghai du 15 au 20 septembre 2010 où nous avons pu profiter du pavillon Rhône-Alpes (1) de l'Exposition universelle 2010, qui nous a été prêté pour une journée. Nous avons ainsi pu recevoir nos homologues chinois (nous sommes jumelés depuis deux ans avec le barreau de Shanghai) et les inviter à une séance de travail commune. L'après-midi a ensuite été consacrée aux entreprises rhônalpines implantées ou souhaitant s'implanter à Shanghai. Nous avons organisé pour elles des consultations et une table-ronde auxquelles a participé l'ensemble des cabinets lyonnais ayant une activité en Chine.

Nous faisons en sorte d'avoir tous les ans une occasion de rencontrer nos homologues étrangers. La rentrée du barreau se tient ainsi les années impaires, tandis que nous organisons une journée internationale les années paires.

Lexbase : Le barreau de Lyon a signé une convention avec Pôle Emploi. En quoi cela consiste-t-il ?

Myriam Picot : A l'occasion du salon des entrepreneurs 2009, nous avions réalisé différentes plaquettes informatives et le succès rencontré a mis en évidence que beaucoup de personnes souhaitaient s'orienter vers le statut d'auto-entrepreneur. Il est ainsi apparu que ces entrepreneurs avaient besoin de conseils ab initio afin qu'ils puissent choisir la bonne forme juridique, en vue de donner à leurs projets une sécurité et une pérennité. L'avocat apporte une valeur ajoutée incontestable par rapport aux services en ligne que ces entrepreneurs, à faibles moyens économiques, pouvaient être tentés d'utiliser.

C'est dans cet esprit que nous avons décidé de proposer nos services à Pôle Emploi, l'idée étant d'offrir aux intéressés un encadrement juridique pour le lancement de leur entreprise, tout en misant sur le fait que celle-ci, une fois lancée, retournera consulter le même avocat pour assurer son suivi.

D'un point de vue pratique, la convention signée avec Pôle Emploi consiste à assurer dans leurs locaux, périodiquement, une permanence d'avocats. Un entretien est d'abord réalisé avec une personne de Pôle Emploi, qui dirige ensuite les demandeurs sur cette permanence d'avocats.

Lexbase : Dans le même esprit, votre présence au salon des entrepreneurs en juin dernier a été particulièrement remarquée. Quel était l'objectif de cette participation ?

Myriam Picot : En effet, il nous semblait important d'être présent au salon des entrepreneurs, et de manière bien visible, car l'on sait que les petites et même moyennes entreprises ont souvent recours à leur expert-comptable, y compris pour des prestations juridiques. Nous ne sommes pas encore assez reconnus auprès des TPE et PME, alors qu'elles sont confrontées à de vrais problèmes, non seulement en termes de statuts, de décisions économiques, mais aussi sur le terrain du droit social. Et ces entreprises craignent souvent le coût d'une consultation avec un avocat, alors qu'elle pourrait leur permettre d'éviter un litige ayant de lourdes conséquences financières.

Lexbase : Vous avez mené l'action, très médiatisée, "opération garde à vue" au mois de mars, laquelle a, en partie, porté ses fruits avec la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010. Quel est votre sentiment quant au projet de réforme de la garde à vue dans son état actuel ?

Myriam Picot : Je me réjouis du principe posé de la présence de l'avocat aux côtés du gardé à vue pendant ses auditions, mais me désespère de voir tant d'exceptions ruinant le principe ! Ce projet manifeste trop de méfiance envers l'avocat.

La décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, déclarant non conformes à la Constitution des dispositions de droit commun relatives à la garde de vue (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P), a permis d'imposer un délai pour la mise en conformité, et ainsi d'accélérer la réforme. Mais le projet actuel reste très insuffisant et il doit évoluer.

Dans ce projet, deux éléments doivent être approuvés. En premier lieu, il s'agit de la notification du droit au silence, qui avait disparu depuis 2003. En second lieu, il s'agit de la prise en compte de la dignité dans laquelle doit se dérouler la garde à vue. La majeure partie des gardes à vue en France se passe dans des conditions matériellement indignes, ce qui est inadmissible en France au XXIème siècle.

En dehors de ces éléments, les conditions d'intervention en garde à vue sont encore largement insuffisantes. Je regrette, tout d'abord, le maintien des régimes d'exception : la gravité de l'infraction ne doit pas être un obstacle aux droits de la défense, bien au contraire ! Je regrette ensuite que l'avocat ne dispose toujours pas d'un accès véritable au dossier, l'avocat ne pouvant consulter que les auditions de son client, c'est-à-dire lire ce que son client aurait pu lui dire. Par ailleurs, l'avocat n'intervient que sur demande du gardé à vue, et cette intervention reste limitée à un rôle de spectateur, que le Procureur peut même lui refuser ou différer sur simple demande de l'OPJ. Comment celui qui est chargé de l'accusation pourrait-il être celui qui décide de l'exercice de la défense ?

Il est nécessaire que l'avocat intervienne dès le début de la garde à vue, sachant que c'est la qualification de l'infraction poursuivie qui va définir le régime juridique applicable par la suite.

Ce projet est également inquiétant en ce qu'il crée une "audition libre" qui n'a de libre que le nom puisqu'une personne interpellée peut être conduite menottée au commissariat pour cette audition. Celui qui est ainsi entendu n'a aucun droit et son audition libre peut déboucher sur une mesure de garde à vue !

Il reste encore beaucoup d'améliorations à apporter, et je pense que nous devrions nous inspirer des droits existants dans les autres pays de l'Europe, comme le prônait Gisèle Halimi en ce qui concerne les droits des femmes, dans son ouvrage La clause de l'européenne la plus favorisée. Nous sommes en Europe, et ce qui fonctionne bien chez nos voisins peut être intégré dans notre législation. Autre source d'inquiétude : les moyens nécessaires à l'exercice des droits de la défense en garde à vue. En effet, le budget global de l'aide juridictionnelle n'est pas augmenté.

Lexbase : Etes-vous favorable à l'exercice de l'avocat en entreprise ?

Myriam Picot : Le barreau de Lyon s'est prononcé contre et je partage cette opinion. L'arrêt rendu par la CJUE le 14 septembre 2010 (CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 N° Lexbase : A1978E97) vient conforter notre point de vue : le lien de dépendance de l'avocat salarié à l'égard de son entreprise est incompatible avec la confidentialité des échanges. Pour être avocat et bénéficier du secret professionnel, il faut être indépendant. C'est là son identité.

A l'heure où il y a urgence à réformer la gouvernance de notre profession, nous avons besoin de cette identité commune.

Il existe certainement d'autres modalités de mise en oeuvre du rapprochement entre les avocats et les entreprises. En tout état de cause, une telle réforme ne saurait être envisagée sans une étude d'impact économique qui n'a pas à ce jour été réalisée.

Lexbase : Concernant la vie du barreau, quels objectifs vous reste-t-il à réaliser jusqu'à la fin de votre mandat ?

Myriam Picot : Mon premier objectif est de réussir le déploiement du RPVA. Depuis plus de deux ans, l'ensemble des avocats du barreau est équipé de l'adresse électronique xxx@avocat-conseil.fr permettant de recevoir le RPVA. Pour le RPVA lui-même, nous avons différé la campagne d'adhésion pour deux raisons. D'une part, les juridictions lyonnaises n'offraient pas la contrepartie RPVJ. Ensuite, la polémique née à Marseille nous a incités à être prudents, même si politiquement nous adhérions au principe que la solution retenue par le CNB soit appliquée par tous.

Notre conseil de l'Ordre a adopté un plan de développement le 6 janvier 2010. Pour donner un signal fort à l'ensemble du barreau, j'ai créé une commission RPVA qui est très active. Ce plan de développement comprenait deux phases. Les sept premiers mois de l'année ont été dédiés à la tenue de réunions d'information destinées à faire connaître l'outil aux avocats, leur expliquer en quoi il leur était indispensable et centraliser les commandes à l'Ordre. Le reste de l'année est consacré à un plan de formation, tant pratique que théorique (procédure d'appel).

Les demandes d'abonnement ont tardé à démarrer, mais elles arrivent maintenant en flux constant depuis le mois de juin, cette progression étant également liée à l'offre électronique du tribunal de grande instance et de la cour d'appel, ce qui permet de motiver sérieusement les avocats. Dès le 1er novembre 2010, toutes les chambres civiles du tribunal de grande instance de Lyon permettront l'utilisation du RPVA. Le tribunal de commerce et le tribunal d'instance se sont portés candidats à la procédure électronique. La procédure sans représentation obligatoire est à l'essai devant la cour d'appel.

Un autre objectif à réaliser sera celui d'adapter l'organisation de la défense aux nouvelles contraintes de la réforme de la garde à vue.

Les permanences d'avocats volontaires, rémunérées à l'acte, telles qu'elles existent actuellement ne permettront pas de répondre aux exigences d'une défense spécialisée.

J'ai commencé à ouvrir ce chantier qui fait l'objet actuellement d'une étude de coût et de fonctionnement.

Lexbase : Quelle est votre politique de communication ? Quels sont les supports utilisés par le barreau de Lyon ?

Myriam Picot : S'agissant de la communication externe, notre objectif est de montrer que les avocats sont des acteurs incontournables de la Cité. C'est pourquoi nous nous associons à de nombreuses manifestations locales (Biennale d'art contemporain, Quai du polar, etc.). Nous sommes également à l'initiative de nombreux événements tournés vers le grand public : les Rendez-vous Droit et Société, les Rencontres Droit, Justice et Cinéma, etc..

La communication passe aussi par la mise en place de nombreux partenariats avec les acteurs majeurs de la vie économique et sociale. Nous avons déjà évoqué Pôle Emploi, mais nous avons également été le premier barreau français à signer une convention avec le ministère de la Culture afin de promouvoir le mécénat. Régulièrement, nous enrichissons ce réseau à travers de nouveaux partenariats. Non seulement cela crée des rapports privilégiés avec nos interlocuteurs, mais cela donne aussi de la visibilité à notre profession.

En outre, ma présence ou celle de mes représentants dans tous les événements de la vie locale, participe à l'oeuvre de communication de notre Barreau.

Enfin, nous utilisons largement les outils de communication traditionnels :

- internet, grâce au site web du barreau de Lyon (www.barreaulyon.com), qui propose au grand public des informations pratiques sur les avocats du barreau de Lyon, sur les services proposés par l'Ordre des avocats et sur les actualités juridiques et judiciaires de Lyon.

- le journal du barreau de Lyon : créé en 2009, à raison de cinq numéros par an, il a vocation à faire connaître la profession d'avocat auprès du grand public.

Quant à la communication interne, elle représente un sacré challenge dans un barreau qui compte plus de 2 300 avocats ! Le premier outil de communication est notre site internet, dont la partie réservée aux avocats est particulièrement fournie. Il offre à chacun les informations et les moyens nécessaires à l'exercice de la profession. Il fournit également de nombreux services pratiques et propose même une documentation juridique en ligne très complète.

Le deuxième outil s'appelle le "Télébâton". Il s'agit d'une lettre d'information électronique, une newsletter, que nous adressons chaque jeudi à l'ensemble des avocats. Il permet d'entretenir un lien continu entre l'Ordre et les avocats en leur communiquant toutes les informations importantes. Les avocats ont ainsi un aperçu complet de l'actualité de leur barreau et peuvent retrouver l'intégralité des articles et des éléments complémentaires sur le portail.

Enfin, j'adresse occasionnellement, toujours de manière électronique, une "Lettre du Bâtonnier". Plus officielle, celle-ci est réservée aux événements importants de la vie du Barreau.

Lexbase : Quels sont les prochains grands rendez-vous du Barreau ?

Myriam Picot : L'un vient de se tenir : l'université interprofessionnelle qui a eu lieu le 27 septembre 2010 et qui constitue l'une des grandes spécificités lyonnaises en regroupant experts-comptables, notaires et avocats. La rencontre s'est déroulée au siège de la Région, ce qui revêt une valeur symbolique. Il est important de signaler que ces trois professions gèrent ensemble un site de transmission d'entreprises (site MEO : www.meo-ordres.net), lequel vient d'ailleurs d'être rénové, et qui publie des annonces en ligne de ventes d'entreprises, certifiées par l'une des professions. Ce site de transmission d'entreprises représente un bel exemple de collaboration interprofessionnelle dans un domaine qui apparaissait privilégié pour un investissement commun.

Le prochain rendez-vous important se tiendra dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier (19-25 novembre). Ces entretiens réunissent chaque année la France et le Québec autour de sujets de société, de sciences ou de technologies. Le barreau de Lyon est partenaire de cette manifestation depuis longtemps et organise chaque année des entretiens juridiques. Celui de cette année porte sur les modes alternatifs de règlement des conflits (les MARC) et l'accès au droit. Ce colloque se tiendra le 19 novembre 2010.

Deux à trois fois par an, nous organisons également des Rendez-vous Droit et Société. Il s'agit de colloques majeurs destinés à traiter des sujets de société en profondeur. L'objectif est de montrer que les avocats sont au coeur des enjeux de société et capables de mobiliser une diversité d'acteurs de la vie civile ou économique et mieux faire comprendre pourquoi le droit est un outil indispensable pour maîtriser l'avenir. Après le développement durable et les crises du secteur associatif abordés en 2010, le prochain colloque Droit et Société, qui se tiendra en avril 2011, traitera des produits de santé.

En ce qui concerne la vie de la profession, le prochain événement aura lieu les 16 et 17 décembre prochains avec les élections, du dauphin, de huit membres du conseil de l'ordre et des représentants du jeune barreau (RJB). La prestation de serment aura lieu cette année non pas mi-décembre comme habituellement mais seulement le 5 janvier 2011 en raison des contingences imposées par les travaux de rénovation de la cour d'appel de Lyon.

Enfin, comme chaque année nous organisons avant l'été les Journées sportives du barreau. Ce rendez-vous convivial réunit plus de 200 avocats et élèves-avocats autour d'une formation et de nombreuses activités sportives (pétanque, football, rugby, tennis, etc.). Ce moment de détente permet de renforcer la cohésion du barreau et de proposer un cadre agréable de rencontre pour les avocats de la région ainsi que pour les autres professionnels du droit.


(1) L'Exposition universelle 2010 se déroule à Shanghai autour du thème "Une ville meilleure pour une vie meilleure" ("Better City, Better Life"), du 1er mai au 31 octobre 2010. Le Pavillon Rhône-Alpes y a pris place au sein de "l'Espace Meilleures pratiques urbaines".

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Consommation

[Jurisprudence] Offres liées, droit de la concurrence et de la consommation eux aussi intimement liés

Réf. : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-15.304, FS-P+B (N° Lexbase : A6783E4Y)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

Le 22 Octobre 2014

Il est très tentant pour un professionnel de proposer au consommateur une offre liée : la pratique est bien évidemment attractive. Dans les faits elle offre également de meilleures garanties pour conserver sa clientèle. Plus que l'offre, c'est souvent le consommateur qui se trouve lié par cette pratique. L'offre liée est celle qui consiste à "subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit" (C. consom., art. L. 122-1 N° Lexbase : L4856IEL). Elle peut, en certaines hypothèses, porter atteinte aux intérêts des consommateurs, qui éprouvent parfois certaines difficultés à apprécier parfaitement la nature de cette offre qui rend plus confuse la comparaison des produits sur le marché. Aux intérêts des concurrents, également, lorsque l'objet lié représente un avantage concurrentiel indéniable dont ils ne disposent pas. On se souvient que l'exclusivité d'Orange sur l'iphone avait incité ses concurrents à saisir la justice (1). Orange bénéficie décidément de nombreux avantages car c'est l'offre de télévision sur ADSL qui fait l'objet de l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 juillet 2010, ici commenté.
France Telecom avait obtenu l'exclusivité des droits de retransmission de la plupart des matchs de Ligue 1 de football pour les saisons 2008 à 2012. Elle en avait limité la diffusion sur la seule chaîne Orange Sport, par internet ou par satellite. Jusque-là rien de critiquable, si ce n'est qu'elle réservait l'accès à ces chaînes à la souscription préalable de l'une de ses offres haut-débit. Les concurrents y voyaient un avantage concurrentiel qui ne pouvait être laissé à cette seule société et l'avaient donc assigné devant la juridiction commerciale sur le fondement de l'article L. 122-1 du Code de la consommation. La décision de la Cour de cassation sur cette offre "Triple Play" était des plus attendues et il faut remarquer que, sur bien des points, la Cour a voulu répondre aux enjeux : l'arrêt, fait suffisamment rare pour être remarqué, fait plus de dix pages. Il est particulièrement circonstancié, ce que justifient pleinement l'ampleur de l'enjeu et la difficulté de mise en oeuvre de la réglementation applicable. La Cour se veut donc pédagogue. Bien évidemment elle semble reprendre, tout comme la cour d'appel (2), complètement l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales (I). Puis, elle appuie, dans un second temps, sa solution par le rappel du droit commun en matière de pratiques commerciales déloyales (II).

Elle semble, donc, dans cette affaire écarter la prohibition per se que connaît le droit français des ventes subordonnées, et insiste sur le fait qu'en toute hypothèse la pratique en cause dans ce cas n'était pas non plus répréhensible au titre des dispositions générales applicables aux pratiques commerciales déloyales. Elle propose alors une interprétation du texte, très proche de celle du droit de la concurrence, insérant pleinement le droit de la consommation (plus précisément le droit des méthodes de vente) dans une discipline bien plus large et dont l'homogénéité commence à apparaître : le droit du marché (3).

I - Le respect des dispositions de la Directive et de son interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne

Chacun garde en mémoire l'arrêt rendu par la CJCE le 23 avril 2009 à la suite d'une question préjudicielle posée par une juridiction belge quant à la conformité d'une loi nationale au droit communautaire. En l'occurrence, la question était de savoir si la prohibition per se, que connaît également la France, des offres subordonnées, était ou non conforme aux dispositions de la Directive 2005/29 CE du 11 mai 2005, sur les pratiques commerciales déloyales (N° Lexbase : L5072G9Q). La Cour y avait répondu de manière négative : cette Directive "s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques au cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur" (4). En substance, la Directive prévoit une harmonisation complète pour l'ensemble du marché intérieur et la Cour d'en conclure que les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la Directive, même aux fins d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.

Plusieurs arrêts avaient suivi cette décision. Certains avaient validé la pratique de vente subordonnée qui était présentée au juge : dans un arrêt du 7 mai 2009, rendu très peu de temps, il est vrai, après cette décision de la CJCE, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de voir dans l'offre de vente couplant ordinateur et logiciel une vente subordonnée et ne l'avait pas sanctionnée, considérant que le matériel et ses logiciels étaient un seul et même produit (parce qu'un ordinateur n'est pas utilisable sans logiciel) (5). D'autres avaient suivi la position de la Cour de justice, ainsi pour la cour d'appel de Paris, en revanche, la prohibition de principe des ventes subordonnées (qualifiées parfois rapidement de ventes "liées") n'était tout simplement pas conforme au droit communautaire et à la Directive précitée (6).

Dans l'affaire ici commentée, la cour d'appel de Paris avait suivi le même raisonnement et infirmé la solution rendue par Conseil de la concurrence en ce qu'il avait reconnu dans la pratique en cause une vente subordonnée prohibée per se par l'article L. 122-1 du Code de la consommation. Il faut dire que la disposition législative déclarée non conforme par la CJCE figure toujours dans les dispositions du Code. Le législateur n'est toujours pas intervenu, malgré la succession de modifications législatives qui se sont succédées depuis lors, et c'est au juge qu'il appartient d'interpréter le droit français à la lumière de la Directive communautaire.

L'article L. 122-1 du Code de la consommation n'est pas le seul article dont la non-conformité aux dispositions de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales devrait être constatée. La prohibition, elle aussi toujours per se en droit français, de la vente avec prime mérite que l'on s'y attarde en quelques lignes. De même, elle n'est pas visée au titre des pratiques expressément visées par la Directive et devrait, dès lors, dans un raisonnement par analogie, entraîner la suppression de cette prohibition telle qu'inscrite à l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8008IMK). Plus surprenant encore, le législateur a modifié ces dispositions par la loi du 12 juillet 2010 (loi n° 2010-788, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN), mais pour les maintenir !

Pour en revenir à notre arrêt et au contrôle plus conséquent des juridictions françaises de la conformité de la loi aux dispositions communautaires, la cour d'appel, après avoir constaté la non-conformité de cette disposition du Code de la consommation au droit communautaire dérivé, avait vérifié si, dans le cas d'espèce, la pratique était ou non déloyale. C'est ce raisonnement en deux étapes qu'approuve la Cour de cassation, reprenant sur ce point la position de la Cour de justice. Si une vente subordonnée ne peut être sanctionnée au seul motif qu'elle subordonne l'achat d'un produit ou prestation de services à l'achat d'un autre produit ou prestation, cette dernière peut être sanctionnée si la méthode employée peut être qualifiée de déloyale. Pour la Cour de cassation en effet, la cour d'appel "en a exactement déduit qu'elle devait l'appliquer dans le respect des critères énoncés par la Directive pour la qualification du caractère déloyal d'une pratique".

Tout le contentieux est alors reporté : il ne s'agit plus de savoir si une vente subordonnée est par définition interdite (la réponse est désormais sans contestation possible négative) mais de savoir quels sont les éléments qui, pour chaque cas d'espèce, pourraient rendre cette vente subordonnée "déloyale".

II - Les critères de déloyauté de la vente subordonnée

La Cour de cassation est dans cet arrêt particulièrement innovante et semble ajouter un critère à ceux retenus par la Directive elle-même. Ce critère mérite l'attention des commentateurs dans la mesure où il tente un rapprochement judicieux entre droit de la concurrence et droit de la consommation. Les deux matières sont d'ailleurs loin d'être cloisonnées et chacun sait que les premières lois républicaines de protection des consommateurs sont peut-être, certains diront "surtout", protectrices des concurrents honnêtes (comme la fameuse loi de 1905 sur les fraudes et falsifications qui visait essentiellement à protéger les paysans contre les mouilleurs de lait et ceux qui sucraient le vin).

On rappellera qu'aux termes de la Directive de 2005 ici applicable, est déloyale une pratique qui :
"a) [...] est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et
b) 
[...] altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs" (Directive 2005/29, art. 5). En particulier, cet article vise expressément les pratiques trompeuses ou agressives.

Sur ce point, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, considérant que "l'arrêt relève qu'il n'est pas démontré que l'offre de la société France Telecom serait trompeuse ou contraire à la diligence professionnelle et retient que cette offre laisse au consommateur toute liberté quant au choix de son opérateur ADSL en raison de la considération du marché et en particulier de la structure de l'offre, laquelle conduit le consommateur à choisir son opérateur en considération des services associés et donc de la capacité des offreurs de se différencier de leurs concurrents".

La Cour de cassation aurait pu se contenter de répondre aux seuls moyens qui mettaient en cause la loyauté de l'opération, et rejeter comme inopérants tous les autres. Elle prend soin, néanmoins, de poursuivre son raisonnement de validation de l'offre Orange par des critères qui ne figurent par dans la Directive de 2005 "il est constant que, dans le cadre de la concurrence qu'ils se livrent, tous les fournisseurs d'accès à internet s'efforcent d'enrichir le contenu de leurs offres pour les rendre plus attractives par la mise en place des services innovants ou l'acquisition des droits exclusifs sur des contenus audiovisuels cinématographiques ou sportifs événementiels [...] l'exclusivité d'accès à la chaîne Orange Sports, dont bénéficie l'offre ADSL de la société Orange, n'était pas de nature à compromettre sensiblement l'aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause". Cette référence à un seuil de sensibilité surprend ici (7).

Il s'agit là d'un critère bien connu du droit de la concurrence et plus particulièrement de la méthode d'évaluation des risques présentés par la pratique en cause. Si le marché est sensiblement affecté, il pourra y avoir sanction. Dans le cas contraire, il n'y en aura pas (c'est la théorie des bagatelles ou de minimis, rappelée parfois par la maxime "De minimis non curat praetor", le droit se désintéresse des situations mineures).

Deux interprétations peuvent alors être proposées pour expliquer la position de la Cour. La première est économique et implique, ce qui n'est pas prévu par les textes, que la pratique commerciale déloyale ne sera sanctionnée que dans la mesure où elle aura des effets importants sur le marché en cause. Cela se comprendrait en opportunité, beaucoup moins en droit si les textes n'envisagent pas cette subtilité. La seconde interprétation, plus cynique, voudrait que les juges refusent de sanctionner une pratique certes critiquable mais que tous ont tenté de mettre en oeuvre avec plus ou moins de succès. Le droit de la consommation, en présence de concurrents qui se livrent à une concurrence féroce, ne doit pas avoir pour effet d'évincer le concurrent qui, par les mêmes méthodes, est le seul à avoir pu obtenir satisfaction. C'est en ce sens que la formule suivante de la Cour de cassation prendrait tout son sens : "il est constant que, dans la concurrence qu'ils se livrent, tous les fournisseurs d'accès à internet s'efforcent d'enrichir le contenu de leurs offres pour les rendre plus attractives par la mise en place de services innovants ou l'acquisition de droits exclusifs sur des contenus audiovisuels, cinématographiques ou sportifs événementiels". En quelque sorte il s'agit pour la Cour de cassation de rapprocher droit de la concurrence et droit de la consommation afin d'empêcher que ce que les concurrents ne peuvent obtenir par le droit de la concurrence (sanction de la pratique considérée comme un abus de position dominante) ne soit obtenu grâce aux dispositions du droit de la consommation (pratiques commerciales déloyales). L'arrêt prend alors tout son sens dans la politique contemporaine de régulation des marchés.


(1) Sur ce contentieux, cf. Cons. conc., décision n° 08-MC-01, relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones (N° Lexbase : X4635AEE) ; CA Paris, 1ère ch., sect. H, 4 février 2009, n° 2008/23828 (N° Lexbase : A8427EC4), sur lequel lire, Commercialisation de l'iPhone : Orange se voit contraint de partager la "poule aux oeufs d'or" - Questions à Marie de Prandières, juriste au sein de l'UFC-Que Choisir, et à Jérôme Franck, Avocat spécialisé en droit économique, Lexbase Hebdo n° 342 du 19 mars 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9732BIB) ; et, en dernier lieu, Cass. com., 16 février 2010, n° 09-11.968, FS-D (N° Lexbase : A9275ERX), sur lequel lire nos obs., La question de l'exclusivité obtenue par Orange pour la vente de l'iPhone reste en suspens, Lexbase Hebdo n° 386 du 11 mars 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N4835BNE).
(2) CA Paris, 14 mai 2009, n° 09/03660 (N° Lexbase : A2244EHL).
(3) Sur ce point, cf. D. Mainguy, J.-L. Respaud et M. Depincé, Droit de la concurrence, Litec, 2010.
(4) CJCE, 23 avril 2009, aff. jointes C-261/07 et C-299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV (N° Lexbase : A5552EGQ), et nos obs. L'interdiction des offres conjointes aux consommateurs censurée par la CJCE, Lexbase Hebdo n° 354 du 11 juin 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N6475BKZ).
(5) CA Montpellier, 3ème ch., 7 mai 2009, n° 08/01398 (N° Lexbase : A3443EQL).
(6) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 novembre 2009, n° 08/12771 (N° Lexbase : A1583EQP) et nos obs., Le distributeur de matériel informatique n'est pas tenu d'informer l'acheteur des logiciels préinstallés du prix des logiciels achetés seuls, Lexbase Hebdo n° 379 du 21 janvier 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N9685BMN).
(7) Sur ce point, v. M. Chagny, Les pratiques commerciales déloyales vis-à-vis des consommateurs devant la Cour de cassation !, Communication commerce électronique, octobre 2010, comm. n° 98.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Octobre 2010

Lecture: 13 min

N2735BQD

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 04 Janvier 2011


Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique revient sur les conséquences d'une option irrégulière pour le régime de l'article 151 octies du CGI (N° Lexbase : L2463HNK) applicable lors de l'apport d'une entreprise individuelle à une société (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2010, n° 317425, publié au recueil Lebon). Puis, le Conseil d'Etat apporte des précisions relatives à l'évaluation des cessions de titres obligataires convertibles en actions (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 304673, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Enfin, la fiscalité applicable aux dépenses de mise aux normes de sécurité continue d'alimenter le rôle des juridictions administratives (CAA Paris, 7ème ch., 18 juin 2010, n° 08PA04849, mentionné dans les tables du recueil Lebon).


  • Apport en société d'une entreprise individuelle et opposabilité d'une option exercée irrégulièrement : session de rattrapage au profit de l'administration fiscale (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2010, n° 317425, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9292E7B)

Cette décision publiée au recueil Lebon offre des circonstances particulièrement originales et constitue une importante décision qui concerne l'hypothèse d'une option irrégulière pour la mise en société d'une entreprise individuelle.

Rappelons que ce régime (CGI art. 151 octies ; art. 38 de la loi n° 2005-1720, 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU ; loi n° 2009-1673, 30 décembre 2009, de finances pour 2010 N° Lexbase : L1816IGD (1)) permet principalement de se prévaloir :

- d'un sursis pour les stocks ;

- d'un étalement de l'imposition, au nom de la société bénéficiaire de l'apport, pour les plus-values sur immobilisations amortissables (cf. régime des fusions : CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD) ;

- d'un report d'imposition pour les plus-values sur immobilisations non amortissables constatées lors de la mise en société de l'entreprise individuelle ;

- d'une exonération de droits d'enregistrement si l'apporteur s'engage, notamment, à conserver les titres rémunérant l'apport pendant trois ans (CGI, art. 809 I bis, N° Lexbase : L3484IAB).

Martingale du contentieux fiscal entre l'administration et les contribuables, parfois même entre les rédacteurs d'actes et leurs clients (Cass. civ. 1, 18 décembre 2001, n° 98-20.246, N° Lexbase : A7099AX9 ; M. Cozian, Manuel du parfait gaffeur : comment rater fiscalement la mise en société de son entreprise ?, JCP éd. E, 2005, p. 1458), les faits de l'espèce rapportent qu'en 1998, un contribuable a fait l'apport de son entreprise individuelle de vente et de réparation de motocyclettes et accessoires à une société en responsabilité limitée dont il a reçu 932 parts sociales en rémunération. La plus-value d'un montant de 92 819 euros n'a pas été imposée au titre des revenus de 1998 du fait de l'option pour le régime de l'article 151 octies du CGI. Puis, en 2000, le contribuable a cédé les titres en question à un tiers, ce qui a mis fin au report d'imposition.

Souhaitant faire échec aux prétentions du service, le contribuable a alors exposé une thèse originale en soutenant que la déclaration souscrite au titre de l'année 1998 ne comportait pas l'ensemble des éléments exigés par les dispositions de l'article 151 octies et 41 0 A bis de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L6931HLB) (2) imposant la production d'un état de suivi des plus-values dont l'imposition est reportée (3) à peine de déchéance immédiate du régime optionnel quant aux plus-values reportées. Par conséquent, l'administration aurait dû lui refuser le bénéfice des dispositions de l'article 151 octies du CGI et imposer la plus-value déclarée au titre de l'année 1998 lors du dépôt des déclarations en 1999. Le contribuable entendait ainsi opposer la prescription puisque la notification de redressements lui avait été adressée en janvier 2003.

Cette thèse, qui n'aura pas les faveurs des juges du fond (CAA Lyon, 5ème ch., 24 avril 2008, n° 05LY01902 N° Lexbase : A3135D9Y), sera écartée par le Conseil d'Etat par un considérant de principe selon lequel : "l'administration fiscale est en droit d'opposer au contribuable les conséquences du régime fiscal pour lequel il a opté, sans que ce contribuable puisse utilement se prévaloir, ultérieurement, de ce qu'il ne remplissait pas les conditions auxquelles le bénéfice de ce régime est subordonné, ce qui aurait permis à l'administration de le remettre en cause dès les premiers effets de l'option". Ainsi, le service n'était pas tenu de remettre en cause le bénéfice du report d'imposition, dès le dépôt de la déclaration d'impôt sur le revenu, et l'administration fiscale pouvait opposer un des événements entraînant l'expiration du report d'imposition ; au cas particulier la cession, le 20 mars 2000, des titres reçus en contrepartie de l'apport.

Pourtant, les textes applicables aux faits de l'espèce permettaient d'abonder dans le sens des écritures du contribuable : les dispositions de l'article 151 octies étaient dénuées d'équivoque puisqu'il était mentionné que "le défaut de production de l'état mentionné [...] entraîne l'imposition immédiate des plus-values reportées". On aurait pu en déduire qu'il s'agissait d'une formalité substantielle (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2009, n° 304749, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0951EEX).

Selon la sensibilité des fiscalistes, plusieurs conclusions s'infèrent de cette décision.

Certains concluront en louant le pragmatisme du juge de l'impôt administratif qui souligne la primauté de la volonté déclarée du contribuable à bénéficier d'une fiscalité dérogatoire sur la souscription de formalités devenues, de facto, secondaires alors même que l'état de suivi des plus-values en report d'imposition, qui n'a pas été joint par le contribuable, était une condition de fond exigée par la loi fiscale.

D'autres estimeront, en revanche, qu'il est ainsi permis ainsi à une administration, qui n'a pas exercé un contrôle du dossier du contribuable en temps utiles, de lever malgré tout l'impôt en rattachant, en l'espèce, le fait générateur de l'imposition à la cession ultérieure des titres reçus en rémunération de l'apport. Cette session de rattrapage revient à suppléer les carences des services chargés du contrôle fiscal et, d'une certaine manière, à tourner les règles de la prescription car l'impôt qui aurait dû être recouvré à la suite de l'exercice irrégulier de l'option, mais avant l'expiration du délai de reprise, sera in fine mis à la charge du contribuable lors de la cession des titres ou de tout autre événement mentionné par l'article 151 octies du CGI quelle qu'en soit la date effective.

  • Obligations convertibles en actions cédées à un tiers : contrôle du juge de l'impôt quant à leur évaluation (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 304673, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6006E3T)

Cette décision confirme des principes sur le plan procédural (A) et illustre le contrôle effectif du juge de l'impôt sur l'évaluation de titres de sociétés lors de leur cession (B).

A - Sur le plan procédural

La société Financière du Val prétendait pouvoir opposer les dispositions de l'article L. 52 du LPF (N° Lexbase : L3957AL7) aux termes desquelles : "Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois". Cette garantie ne concerne que "Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes" n'excède pas 763 000 euros (4) s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, ou de 230 000 euros s'il s'agit d'autres entreprises proposant des prestations de services ou exerçant une activité non commerciale (5). En revanche, en cas de graves irrégularités privant la comptabilité de valeur probante, la durée de vérification sur place ne pourra excéder six mois (LDFR pour 2007, n° 2007-1824, art. 14 N° Lexbase : L5490H3Q) (6).

La conséquence tirée par l'administration fiscale dans sa doctrine (D. adm. 13 L-1314, 1er juillet 2002, § 12), en cas de violation de cette garantie légale, est la nullité absolue et inconditionnelle de la procédure même en cas d'accord tacite ou express du contribuable quant à la durée de la vérification sur place (7).

Mais que recouvre la notion de chiffre d'affaires à laquelle la loi fiscale se réfère ? En 1997, une réponse ministérielle indiquait que cette garantie ne concernait pas les entreprises dont l'objet était civil et dont l'activité se bornait à la gestion non commerciale de leur patrimoine immobilier (8).

Le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, trois arrêts, n° 281068 N° Lexbase : A1471D3U, n° 281123 N° Lexbase : A1472D3W et n° 281124 N° Lexbase : A1473D3X) a confirmé les analyses des juridictions d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 11 mars 2005, trois arrêts, n° 01PA01660 N° Lexbase : A4445DIH, n° 01PA01650 N° Lexbase : A4442DID et n° 01PA01649 N° Lexbase : A4441DIC) (9) en ce sens.

Au cas particulier, c'est sans surprise, compte tenu de la jurisprudence précitée, que le Haut Conseil rejette le moyen de la société dont l'activité financièr (10) ne relevait pas de la garantie instituée par les dispositions de l'article L. 52 du LPF (11). En revanche, à notre connaissance, c'est la première fois que le Conseil d'Etat était saisi de la question relative à la compatibilité de l'article L. 52 du LPF avec les stipulations des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel, application rejetée au cas d'espèce.

Il était également soutenu que l'absence d'appel interjeté par le ministre d'un précédent jugement rendu par un tribunal administratif sur des faits similaires devait être considéré comme une prise de position formelle, au sens des dispositions de l'article L. 80 B du LPF (N° Lexbase : L9343IER), au regard du prix de cession de 3 000 francs (environ 450 euros) arrêté par la société requérante en faveur d'un cessionnaire. Bien qu'il censure les juges d'appel pour n'avoir pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant (12), le Conseil d'Etat écarte in fine cet argument, ce qui est conforme à sa jurisprudence "Société du casino municipal d'Aix-Thermal" (13).

B - Sur le fond

La question résolue par la décision "Société Financière du Val" a trait à l'évaluation de la valeur vénale d'obligations convertibles en actions. Cette société holding a cédé en 1991, à une société appartenant au même groupe familial, 2 460 actions. Puis, elle a procédé au même jour au rachat, sur le marché hors cote de la bourse de Nantes, des titres précédemment vendus. Cette opération a fait apparaître une moins-value et, à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 mars 1991, 1992 et 1993, l'administration a considéré que les opérations d'achat et de revente constituait un acte anormal de gestion compte tenu du niveau anormalement bas du prix fixé à 3 400 francs (518 euros) par action alors que le service, qui avait retenu dans un premier temps un prix unitaire de 11 619 francs (1 771 euros), l'a finalement réduit à 7 512 francs (1 145 euros). Bénéficiant d'une décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés prononcée par les premiers juges, la société Financière du Val s'est, toutefois, pourvue en cassation après annulation du jugement par la Cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 5 février 2007, n° 04NT00207 N° Lexbase : A3645DWW). Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat dit pour droit que : "la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue". Or, l'instruction du dossier a permis de mettre en évidence que si l'administration avait fait droit à la demande de la contribuable tendant à évaluer la valeur des actions cédées sur la base de la valeur liquidative ressortant du dernier bilan clos précédant la cession du 15 février 1991, le vérificateur avait toutefois refusé de tenir compte de la probabilité de conversion, estimée par la contribuable à 70 %, de 10 000 obligations convertibles en actions, émises en 1987 pour une durée de quinze ans, inscrites au passif du bilan. La Haute juridiction administrative admet que, si l'acquéreur des titres litigieux peut voir sa participation diluée du fait de l'exercice de la conversion des obligations en actions nouvelles, le prix unitaire à retenir doit tenir compte des circonstances concrètes de la transaction faisant l'objet de l'évaluation contestée. Or pour valider les redressements notifiés à la société Financière du Val et écarter tout risque de décote, le Conseil d'Etat va retenir un fait déterminant : les mêmes personnes avaient la maîtrise "de l'ensemble des éléments susceptibles d'affecter la valeur des titre cédés" et les "obligations convertibles étaient détenues par les acteurs de la cession". De sorte que la probabilité de conversion des obligations en actions et de dilution du capital étaient en réalité nulle. Si, par principe, le juge de l'impôt -qu'il soit judiciaire ou administratif- apprécie la valeur vénale des titres de sociétés non cotées sur un marché réglementé "en tenant compte de tous les éléments permettant d'obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande" (concl. L. Olléon, sous les décisions : CE 3° et 8° s-s-r., 3 juillet 2009, deux arrêts, n° 301299 N° Lexbase : A5618EIW, n° 306363 N° Lexbase : A5623EI4, BDCF, 2009, n° 129), le juge de l'impôt procède à un examen minutieux de la transaction : c'est ainsi que dans l'affaire n° 301299, le Conseil d'Etat a refusé l'application d'un abattement de 33 % pour non-liquidité appliqué par l'administration fiscale, ni même une décote de minorité de 20 %, dès lors que, dans le cadre du plan d'actionnariat proposé aux dirigeants de la société, il avait été pris un engagement permanent à l'égard du contribuable de lui racheter les actions en litige à une valeur de marché fixée à dire d'expert ; de sorte que cet engagement de rachat garantissait une liquidité permanente.

  • Traitement fiscal des dépenses correspondant à des travaux de mise aux normes de sécurité (CAA Paris, 7ème ch., 18 juin 2010, n° 08PA04849, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3249E44)

Quel sort fiscal réserver aux dépenses correspondant à des travaux de mise aux normes de sécurité ?

Depuis 2005, le droit comptable prévoit l'immobilisation des "dépenses d'acquisition, de production d'immobilisations et d'améliorations engagées pour des raisons de sécurité ou liées à l'environnement" (PCG, art. 321-10 (14), règlement n° 2004-06 du Comité de réglementation comptable du 23 novembre 2004, art. 5-2 N° Lexbase : X7716ACR). Dans ses commentaires (BOI 4 A-13-05 N° Lexbase : X5228ADY (15)), l'administration fiscale fait remarquer que le droit comptable rejoint son analyse formulée en 1997 (16), mais l'on notera, cependant, une évolution dès lors que l'immobilisation des dépenses de mise en conformité -obligatoire sous l'empire de la doctrine de 1997- dépend, désormais, de trois conditions cumulées dont celle relative à "leur non-réalisation [entraînant] l'arrêt immédiat ou différé de l'activité ou de l'installation de l'entreprise" (17). A contrario, la réalisation des travaux n'entraînant pas l'arrêt immédiat ou différé de l'activité ou de l'installation de l'entreprise devrait être considérée comme une charge déductible du résultat (18).

Les faits de l'espèce sont antérieurs à 2005 et la question de la déductibilité du résultat imposable des travaux de mise en conformité aux normes de sécurité est régulièrement soumise au contrôle du juge de l'impôt, juge de la légalité objective, avec les inévitables difficultés liées à la qualification juridique des faits soumis à la censure du juge du fond (v. par exemple : CAA Douai, 3ème ch., 5 mars 2009, n° 07DA00315 N° Lexbase : A5661EEE ; CAA Douai, 3ème ch., 25 juin 2008, n° 07DA00479 N° Lexbase : A8387D9I ; CAA Marseille, 3ème ch., 13 mars 2008, n° 04MA01863 N° Lexbase : A1149D9G ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 23 décembre 2004, n° 01BX00045 N° Lexbase : A2219GBS).

A la suite d'une vérification de comptabilité menée à l'encontre d'une filiale intégrée de la société K., cette dernière a relevé appel d'une décision rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1994, 1995 et 1996. En effet, la société filiale avait inscrit au bilan des exercices en litige des provisions ayant trait au coût des travaux de mise en conformité aux normes de sécurité et de protection des salariés de son parc de machines-outils. Ces travaux étaient légalement imposés à la société (décret n° 93-40 du 11 janvier 1993 N° Lexbase : L8433AI8 ; Directive 89/655 du 30 novembre 1989 N° Lexbase : L9936AUK).

La cour administrative d'appel de Paris, après avoir visé l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), rappelle un classique de la littérature fiscale puisque ne sont pas qualifiées de charges déductibles les dépenses qui entraînent normalement une augmentation de la valeur pour laquelle un élément immobilisé figure à son bilan (CE Contentieux, 2 mars 1990, n° 67828 N° Lexbase : A4972AQ9) ou encore les dépenses qui ont pour effet de prolonger d'une manière notable la durée probable d'utilisation d'un élément de l'actif immobilisé (CE Contentieux, 9 juillet 1980, n° 17194 N° Lexbase : A7395AIQ) qui ne peuvent faire l'objet que d'un amortissement. On peut également ajouter les dépenses qui ont pour résultat l'entrée d'un nouvel élément dans l'actif immobilisé d'une entreprise (CE 8° et 9° s-s-r., 5 octobre 1977, n° 99687 N° Lexbase : A3804B7Z). Le Conseil d'Etat a déjà statué dans le même sens pour des faits comparables à ceux jugés par la juridiction parisienne (CE 9° s-s., 7 mai 2009, n° 312058 N° Lexbase : A7727EGB).

Le juge d'appel dit également pour droit : "qu'une entreprise peut valablement inscrire en charges d'un exercice déterminé ou porter en provision et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes qui ne seront supportées que postérieurement à la condition notamment, si les frais généraux ou la provision tendent à permettre de réaliser certains travaux d'entretien ou de réparation, que ces travaux n'aient d'autre objet que de maintenir un élément de l'actif en état tel que son utilisation puisse être poursuivie jusqu'à la fin de la période correspondant à sa durée de vie objective appréciée lors de son acquisition".

Dans cet arrêt, la cour administrative d'appel censure l'administration pour erreur de droit dès lors que le service a estimé que la société ne pouvait valablement provisionner les travaux de mise aux normes de sécurité et de protection des salariés "au seul motif que, par nature, [ces] travaux [...], compte tenu de leur caractère obligatoire, autorisant le fonctionnement des machines dans des conditions réglementaires, prolongent nécessairement leur durée probable d'utilisation". De même, l'administration ne sera pas suivie par le juge de l'impôt lorsqu'elle affirme "en termes très généraux", sans l'établir, qu'eu égard notamment à leur ampleur, les travaux en cause auraient eu pour effet de prolonger de manière notable la durée normale d'utilisation des équipements ou qu'ils auraient eu pour conséquence un accroissement de leur valeur vénale.

Le contrôle in concreto du juge de l'impôt interdit par conséquent à l'administration toute défense "impressionniste".


(1) CGI, art. 151-0 octies : "Les reports d'imposition mentionnés aux articles 151 octies à 151 nonies sont maintenus en cas de report ou de sursis d'imposition des plus-values constatées à l'occasion d'événements censés y mettre fin, jusqu'à ce que ces dernières deviennent imposables, qu'elles soient imposées ou exonérées, ou que surviennent d'autres événements y mettant fin à l'occasion desquels les plus-values constatées ne bénéficient pas d'un report ou d'un sursis d'imposition". Ainsi, selon la rédaction Francis Lefebvre (Mémento Fiscal, 2010, § 19755) : "le report d'imposition de l'article 151 octies du CGI sera maintenu si les titres reçus en rémunération de l'apport en société font l'objet d'un nouvel apport en société placé sous le régime du report d'imposition de l'article 151 nonies IV bis du CGI (N° Lexbase : L1201IE9)".
(2) "I L'état dont la production est prévue au quatrième alinéa du II de l'article 151 octies du code général des impôts mentionne les éléments suivants : a) Le nom de l'apporteur, son adresse au moment de la production de l'état et l'adresse du siège de la direction de l'entreprise à laquelle étaient affectés les éléments d'actif apportés ou du lieu de son principal établissement ; b) Au moment de la production de l'état, la forme, la dénomination sociale, le numéro SIRET, l'adresse du principal établissement ou du siège de la direction de la société bénéficiaire de l'apport et, si elle est différente, l'adresse de son siège social ; c) La date de l'apport ; d) Le nombre de titres reçus en rémunération de l'apport et leur valeur à cette date correspondant à la valeur des apports ; e) Pour chaque élément non amortissable apporté, l'état mentionne les renseignements visés aux a, b et e du 1° du I de l'article 38 quindecies ainsi que le montant de la plus ou moins-value réalisée lors de l'apport et son régime fiscal à cette date ; f) En cas de cession de tout ou partie des éléments non amortissables apportés, la nature du ou des biens cédés et la date de la cession par la société bénéficiaire de l'apport ; g) En cas de cession à titre onéreux, de rachat ou d'annulation de tout ou partie des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport, la nature et la date de l'opération ainsi que le nombre de titres concernés ; h) En cas de transmission à titre gratuit, les nom et adresse du ou des bénéficiaires ; i) En cas de transformation de la société bénéficiaire de l'apport, la date de l'opération, la forme nouvelle adoptée par la société. II Les dispositions du I s'appliquent au bénéficiaire de la transmission mentionné au premier alinéa du a du I de l'article 151 octies du code général des impôts qui prend l'engagement visé à ce même a".
(3) "L'apporteur doit joindre à la déclaration prévue à l'article 170 au titre de l'année en cours à la date de l'apport et des années suivantes un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires au suivi des plus-values dont l'imposition est reportée conformément au premier alinéa du a du I. Un décret précise le contenu de cet état".
(4) Limites prévues à l'article 302 septies A du CGI (N° Lexbase : L2540HNE) instituant le régime simplifié d'imposition.
(5) S'agissant des contribuables se livrant à une activité agricole, le montant annuel des recettes brutes ne doit pas excéder la limite prévue au b du II de l'article 69 du CGI (N° Lexbase : L3060HNN), soit 350 000 euros.
(6) Cette garantie n'est, par ailleurs, pas opposable par le contribuable si l'administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale. Enfin, lorsqu'il s'agit de répondre aux observations du contribuable ou d'instruire les réclamations formulées par ce dernier, le délai de trois mois n'est évidemment pas invocable par le contribuable.
(7) La jurisprudence abonde dans le même sens tant en ce qui concerne le juge administratif (CE Contentieux, 6 avril 2001, n° 205365 N° Lexbase : A4649AYT) que judiciaire (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-18.309, FS-P+B+R, N° Lexbase : A6432DM8).
(8) Rép. min. Lux, JOAN 21 avril 1997, p. 2081, n° 46380 : "L'article L. 52 du Livre des procédures fiscales limite à trois mois la durée d'intervention sur place des vérifications de comptabilité des entreprises industrielles et commerciales ou des contribuables se livrant à une activité non commerciale ou agricole lorsqu'ils relèvent d'un régime d'imposition forfaitaire ou simplifié. Le législateur a entendu alléger les contraintes inhérentes au contrôle fiscal susceptibles de peser sur la gestion des petites et moyennes entreprises qui exercent une activité économique effective. Les entreprises dont l'objet social est civil et dont l'activité se borne à la gestion non commerciale de leur patrimoine immobilier sont exclues du dispositif".
(9) Est exclue du champ d'application de l'article L. 52 du LPF l'entreprise qui exerce une activité civile de location immobilière de locaux nus même sous la forme d'une société à responsabilité limitée et quand bien même elle relèverait de l'IS. La circonstance que tout ou partie de parts d'une société civile immobilière serait détenue par une personne morale relevant de l'impôt sur les sociétés -dont on rappelle que la quote-part de bénéfices lui revenant est alors soumise au régime de l'article 238 bis K du CGI (N° Lexbase : L4886HLK)- est indifférente. Il en est de même lorsque les revenus de la SCI semi-transparente sont imposés dans les mains des associés au titre des revenus fonciers (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 230168 N° Lexbase : A1937C9M).
(10) La nature de l'activité l'emporte sur la forme juridique de la société mais cette solution ne peut être étendue à l'ensemble de la réglementation fiscale en vigueur : d'autres dispositions du CGI font, en revanche, prévaloir la forme de la société sur son activité (v. en matière de crédit d'impôt recherche l'interprétation des dispositions de l'article 244 quater B du CGI (N° Lexbase : L0137IKB) dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce par le Conseil d'Etat : CE 3° et 80 s-s-r., 7 juillet 2006, n° 270899 N° Lexbase : A3542DQA : "Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société C. exerce à titre principal une activité de formation professionnelle et de conseil en organisation industrielle ; que le tribunal administratif de Paris a confirmé son exclusion du bénéfice des articles susvisés du code général des impôts au motif que son activité ne présente pas un caractère industriel et commercial ; que, toutefois, comme il a été dit ci-dessus, il ne résulte ni des dispositions précitées du code général des impôts, ni de leurs travaux préparatoires, qu'elles excluent de leur bénéfice une société commerciale soumise à l'impôt sur les sociétés, comme c'est le cas en l'espèce, du seul fait que l'activité de ses salariés n'a pas un caractère industriel et commercial ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce motif pour rejeter la requête").
(11) V. : CAA Douai, 2ème ch., 28 juin 2005, n° 02DA00809 (N° Lexbase : A2371DKZ) ; TA Lille, 4ème ch., 6 juin 2002, n° 99-3752, RJF, 2002, n° 1276. La notion de chiffre d'affaires devait être entendue au sens des dispositions de la loi du 30 avril 1983 et du décret du 29 novembre 1983 (décret n° 83-1020, 29 novembre 1983 N° Lexbase : L1189AIU). Selon ces textes, le chiffre d'affaires ne comprend que les ventes de marchandises et de production de biens et services à l'exclusion des produits financiers.
(12) "Un moyen inopérant est un moyen qui serait intrinsèquement recevable mais qui même s'il était fondé, serait sans aucune influence possible sur la solution du litige dans lequel il a été soulevé" : R. Odent, Contentieux administratif, tome 1, Dalloz, 2007, p. 954.
(13) CE 2 juin 1976 n° 89361 : "Considérant que ne peuvent être regardées comme des interprétations, formellement admises par l'administration, d'un texte fiscal, ni, en tout état de cause, une instruction administrative portant réglementation des jeux dans les casinos publiée en 1951 dés lors que la taxe sur les prestations de services n'a été instituée que par l'article 1er de la loi du 10 avril 1954, ni le fait, pour l'administration, de ne pas avoir relevé appel d'un jugement de première instance qui avait donné satisfaction au contribuable" ; Dr. fisc., 1976, comm. 1554.
(14) "1- Le coût d'acquisition d'une immobilisation corporelle est constitué de : son prix d'achat, y compris les droits de douane et taxes non récupérables, après déduction des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement ; de tous les coûts directement attribuables engagés pour mettre l'actif en place et en état de fonctionner selon l'utilisation prévue par la direction. [...] 2- Les immobilisations corporelles acquises pour des raisons de sécurité ou liées à l'environnement, bien que n'augmentant pas directement les avantages économiques futurs se rattachant à un actif existant donné, sont comptabilisées à l'actif si elles sont nécessaires pour que l'entité puisse obtenir les avantages économiques futurs de ses autres actifs -ou le potentiel des services attendus pour les entités qui appliquent le règlement n° 99-01 ou relèvent du secteur public. Ces actifs ainsi comptabilisés appliquent les règles de dépréciation prévues à l'art. 322-5".
(15) "40. Le 2 de l'article 321-10 du PCG prévoit que, bien que n'augmentant pas directement les avantages économiques futurs se rattachant à un actif existant donné, les dépenses d'acquisition, de production d'immobilisations et d'améliorations engagées pour des raisons de sécurité ou liées à l'environnement doivent être inscrites à l'actif du bilan. En effet, ces dépenses revêtent un caractère nécessaire pour que l'entreprise puisse obtenir les avantages économiques futurs attachés aux immobilisations liées. Les dépenses de mise en conformité concernées doivent répondre de manière cumulative aux trois conditions suivantes, dégagées dans l'avis du Comité d'urgence du CNC n° 2005-D du 1er juin 2005 : - être engagées pour des raisons de sécurité des personnes ou environnementales ; - être imposées par des obligations d'ordre légal ou réglementaire ; - et leur non-réalisation doit entraîner l'arrêt immédiat ou différé de l'activité ou de l'installation de l'entreprise".
(16) "Sur le plan fiscal, il est de règle que les dépenses qui ont pour résultat l'entrée d'un nouvel élément dans l'actif (cf. section 1) ou qui entraînent normalement une augmentation de la valeur pour laquelle un élément figure au bilan (section 2) ou bien qui ont pour effet de prolonger d'une manière notable sa durée probable d'utilisation (section 3) ne constituent pas des charges immédiatement déductibles mais ouvrent droit à amortissement (cf. 4 D). Tel est le cas des dépenses de mise aux normes qui doivent être amorties sur la durée probable d'utilisation des équipements de sécurité" : Doc. adm. 4 C 214 § 2, 30 octobre 1997.
(17) Instruction précitée, § 40.
(18) "A condition, bien sûr, que conformément à la jurisprudence rendue antérieurement aux nouvelles règles comptables, [les dépenses] n'aient pour effet ni d'augmenter la valeur vénale du bien, ni d'en prolonger la durée d'utilisation", EFL, BIC, IX, § 14530.

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Marchés publics

[Questions à...] Caractéristiques et objectifs des nouveaux modèles de formulaires "déclarations du candidats" en matière de marchés publics : questions à... Maître Nicolas Nahmias, associé d'AdDen avocats, cabinet d'avocats spécialisé en droit public

Lecture: 4 min

N2796BQM

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Janvier 2011

La Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy a publié au mois de septembre sur son site internet de nouveaux modèles de formulaires "déclarations du candidats" (formulaires DC) à la suite de la consultation lancée depuis mai 2010 et au terme de laquelle 140 propositions relatives à la révision des formulaires existants ont été recueillies. La DAJ est donc maintenant à même de proposer de nouveaux modèles actualisés, simples et opérationnels. Quatre nouveaux formulaires DC viennent donc d'être mis en ligne sur le site de la DAJ, qui devraient faciliter le choix des candidats par le pouvoir adjudicateur et renforcer les fondements juridiques de la passation. Pour faire le point sur ces nouveautés, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Maître Nicolas Nahmias, associé d'AdDen avocats, cabinet d'avocats spécialisé en droit public. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler l'utilité des formulaires DC ?

Nicolas Nahmias : Ces formulaires sont fournis aux opérateurs économiques et aux acheteurs publics par la DAJ de Bercy qui les met à leur disposition sur son site internet (1). Ils sont très utiles à la fois aux acheteurs publics et aux candidats. Ils permettent à l'acheteur de recueillir des informations sur les candidats de façon standardisée. Le traitement des informations est donc facilité : l'acheteur sait où il peut trouver telle ou telle information et la comparaison des documents fournis par les candidats est aisée.

Ils facilitent, également, la réponse des candidats qui connaissent les formulaires et qui peuvent aisément produire les informations nécessaires, tant en ce qui concerne la candidature que l'offre.

L'utilisation de ces formulaires n'est pas imposée aux acheteurs publics. En revanche, le Conseil d'Etat a jugé que ces formulaires étant "aisément accessibles, sans frais particuliers, sur le site internet du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie", il était loisible aux personnes publiques d'imposer aux candidats d'y recourir, "dès lors que les caractéristiques du marché le justifient" (2). Ils peuvent, également, renvoyer aux formulaires DC dans l'avis d'appel public à la concurrence pour faire connaître aux entreprises les renseignements exigés à l'appui de leur candidature, dès lors qu'il est, ainsi, indiqué avec suffisamment de précision qu'est exigé des entreprises, à l'appui de leur candidature, l'ensemble des renseignements énumérés dans ce formulaire (3).

En pratique, et même si la plupart des candidats ont systématiquement recours aux formulaires DC, il ne nous semble pas souhaitable d'imposer le recours aux formulaires, ou alors en le faisant apparaître très clairement.

Lexbase : Quels sont les objectifs de la procédure de révision des formulaires DC ?

Nicolas Nahmias : Depuis mai 2010, Bercy menait une concertation dans le but de réviser ces formulaires DC : le ministère de l'Economie a donc consulté les acteurs de la commande publique et 45 propositions issues de cette concertation ont été retenues.

Cette procédure de révision avait pour objectif d'intégrer les évolutions réglementaires de la commande publique, de rationaliser les modèles proposés (nouvelle numérotation, par exemple) et de les simplifier. Cette révision s'inscrit dans une démarche de diffusion des bonnes pratiques souhaitée par ce ministère, afin de sécuriser les procédures. Enfin, cette révision était rendue nécessaire par le développement de la dématérialisation des procédures de marchés publics.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter de façon détaillée la fonction et les caractéristiques des quatre nouveaux formulaires ?

Nicolas Nahmias : Le DC1 , tout d'abord, remplace l'ancien DC4 : c'est la lettre de candidature ou habilitation du mandataire par ses cotraitants. Ce DC est la pièce maîtresse du dossier de candidature car il permet l'identification complète du soumissionnaire ou, en cas de candidature groupée, l'identification du mandataire et des membres du groupement. Il contient toutes les attestations sur l'honneur nécessaires et c'est, d'ailleurs, le seul document de la candidature qui doit être signé. Sa signature engage le candidat sur les renseignements fournis dans le DC2 et ses annexes.

Le DC2 est la déclaration du candidat individuel ou du membre du groupement. Il remplace l'ancien DC5. Il complète le DC1 et permet à chaque candidat ou à chacun des membres du groupement (qui doit en renseigner individuellement un exemplaire) de détailler son identification, de présenter les personnes physiques habilitées à l'engager et de présenter des renseignements sur sa situation financière. En annexe du DC2, le candidat doit joindre des documents listés permettant au pouvoir adjudicateur de vérifier ses capacités professionnelles, techniques et financières (attestations, références, données comptables, curriculum vitae...). C'est, également, dans le DC2 que le candidat désigne les opérateurs économiques sur lesquels il s'appuie pour présenter sa candidature. La preuve que ces opérateurs mettent leurs moyens à la disposition du candidat pendant toute la durée du marché, ainsi que les pièces administratives qui les concernent doivent être jointes en annexe.

Le DC3 "acte d'engagement" (N° Lexbase : X5830ADB) est réclamé aux candidats dans les documents à joindre à leur offre. Il a été grandement simplifié et est désormais divisé en deux parties : la première est renseignée par le candidat et doit être signée par ce dernier, la seconde est remplie par l'acheteur public et comprend la décision d'acceptation de l'offre et la signature du présentant du pouvoir adjudicateur. Les anciennes rubriques F (notification) et G (nantissement ou cession de créances) font aujourd'hui partie des formulaires "notification de marchés" (NOTI).

Le nouveau DC4 "déclaration de sous-traitance" (N° Lexbase : X7874AGQ) peut être utilisé pour déclarer un sous-traitant au moment de la passation du marché ou pendant la phase de son exécution. Ce formulaire a été refondu pour permettre une meilleure identification du sous-traitant, exposer le détail de la nature et du montant des prestations sous-traitées, et contenir les attestations sur l'honneur du sous-traitant semblables à celles demandées dans le DC1 (4).

Les formulaires DC6 "déclaration relative à la lutte contre le travail dissimulé" et DC7 "état annuel des certificats reçus" sont déplacés et intégrés à la catégorie des formulaires NOTI. Les formulaires DC11 "demande de précisions ou de compléments sur la teneur des offres des candidats" et DC12 "mise au point" rejoignent la liste des formulaires "ouverture des plis" (OUV). Le ministère de l'Economie prévoit, également, de les réviser prochainement.

Lexbase : La coexistence momentanée des deux types de formulaires, anciens et nouveaux, présente-t-elle des risques importants à vos yeux ?

Nicolas Nahmias : L'usage des formulaires n'étant pas imposé aux personnes publiques, il n'y a pas de règle formelle fixant l'utilisation de ces DC révisés. La logique veut, néanmoins, que les personnes publiques qui lancent de nouvelles mises en concurrence invitent les candidats à recourir aux nouveaux formulaires plutôt qu'aux anciens. Les soumissionnaires doivent, quant à eux, se montrer vigilants en fournissant le formulaire demandé. A moins qu'une personne publique impose le recours aux anciens formulaires alors que les nouveaux sont déjà parus et qu'elle rejette, en conséquence, une candidature s'appuyant sur les nouveaux formulaires, les risques de différend nous paraissent limités.


(1) Présentation des nouveaux formulaires sur le site de la DAJ.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 21 novembre 2007, n° 300992, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7270DZB), et confirmant CE 2° et 7° s-s-r., n° 286644, 10 mai 2006 (N° Lexbase : A3398DPK).
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 21 novembre 2007, n° 300992, précité.
(4) Ces quatre nouveaux formulaires identifiables par leur couleur bleue sont en ligne à l'adresse internet précitée.

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Procédure prud'homale

[Jurisprudence] L'action en réparation d'un accident du travail ne peut être exercée devant la juridiction prud'homale

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 09-41.451, FP-P+B (N° Lexbase : A7627GAQ)

Lecture: 12 min

N2822BQL

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 04 Janvier 2011

Le compromis de 1898 (1) résiste, et la Cour de cassation s'attache à en assurer la pérennité. En effet, par son arrêt rendu le 30 septembre 2010 (2), la Cour a rappelé la portée juridictionnelle du "compromis de 1898" : aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. Aussi, la Cour de cassation décide que la juridiction prud'homale était incompétente pour connaître l'action en réparation du préjudice résultant d'un accident du travail. Les termes du compromis de 1898, certes connus, doivent être rappelés. Il repose sur plusieurs piliers : la présomption d'imputabilité (au terme de laquelle, en application de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5211ADD, tout accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause, est un accident de travail) ; la réparation forfaitaire (le bénéfice de la présomption d'imputabilité donne au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, le droit à une réparation forfaitaire, automatique (3)) ; enfin, l'immunité civile de l'employeur (l'employeur bénéficie d'une immunité sur le plan de sa responsabilité civile en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle d'un de ses salariés, parce que, sauf faute inexcusable, la victime ne peut intenter un recours de droit commun contre le chef d'entreprise au seul motif que celle-ci a subi un accident du travail ou une maladie professionnelle, en application de l'article L. 451-1 N° Lexbase : L4467ADS). La décision intervient dans un contexte délicat, alors que la législation professionnelle fait débat (4) et que, par décision QPC, le Conseil Constitutionnel a admis le 18 juin 2010 (Cons. Const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC N° Lexbase : A9572EZK), par une réserve d'interprétation, qu'il appartient au tribunal des affaires de Sécurité sociale d'assurer la réparation intégrale des préjudices subis par la victime d'une faute inexcusable, au nom du droit des victimes d'actes fautifs de demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale. Or, la doctrine (5) s'est justement interrogée sur le sens de la réserve d'interprétation, qui a pour conséquence d'admettre dans le champ de la réparation d'un accident du travail le principe d'une réparation intégrale, dès lors que l'accident résulte d'une faute inexcusable, ce que les textes écartaient, précisément au nom du compromis de 1898. L'arrêt rapporté conforte l'assise du compromis de 1898, en écartant la compétence d'une juridiction autre que la juridiction de droit commun pour connaître des accidents du travail, le TASS (II). Sur le fond, le principe reste inchangé, s'agissant des règles propres au droit de la réparation des accidents du travail, qui restent exclusives (I).
Résumé

Aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée, conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit.

Sous couvert d'une action en responsabilité à l'encontre de l'employeur pour mauvaise exécution du contrat de travail, la salariée demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l'accident du travail dont elle avait été victime, ce dont il découlait qu'une telle action ne pouvait être portée que devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale et que la juridiction prud'homale était incompétente pour en connaître.

I - Contentieux des accidents du travail : règles de fond

L'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun. Cette interdiction recouvre les actions fondées sur les articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ), 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) et 1384, alinéa 1er, (N° Lexbase : L1490ABS) du Code civil.

A - Régime de la responsabilité du fait des choses

Dans la mesure où la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles trouve à s'appliquer, la Cour de cassation en déduit que l'action de la victime contre son employeur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses n'est pas recevable.

En effet, la reconnaissance de la qualité d'employeur prime sur toutes les autres, notamment sur celle de gardien : le régime de la réparation des accidents du travail s'applique de plein droit et à titre exclusif. De nombreux accidents du travail trouvent leur origine dans l'intervention d'une chose et pourraient, ainsi, conduire à l'application de la responsabilité du fait des choses, issue de l'article 1384, alinéa 1er, au détriment de l'interdiction posée par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale.

B - Régime de la responsabilité civile de droit commun (C. civ., art. 1382)

1 - Un régime inapplicable par principe

La Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé et renforcé le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ou maladies professionnelles ne peut être exercée, conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit, en application des dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale.

Ainsi, par un arrêt rendu en 2007, la Cour de cassation a relevé que, sous couvert d'une action en responsabilité délictuelle à l'encontre de son employeur, auquel il reprochait des fautes l'ayant privé d'une chance de faire valoir ses droits à la suite de l'accident dont il avait été victime, le salarié demandait, en réalité, la réparation du préjudice résultant de cet accident, lequel avait été pris en charge et indemnisé au titre de la législation professionnelle (6).

Par son arrêt rendu le 22 février 2007, la Cour de cassation a renouvelé la solution (7). En l'espèce, la salariée d'une association a été victime d'un accident du travail causé par l'un des pensionnaires de celle-ci. Elle a sollicité devant un tribunal d'instance l'indemnisation de son préjudice moral. Pour accueillir cette demande, les juges du fond ont retenu que l'accident a été causé par un tiers et que l'association n'était pas assignée en qualité d'employeur, mais en qualité de civilement responsable du pensionnaire qu'elle avait sous sa surveillance. La censure de la Cour de cassation a été prononcée très logiquement, conformément au principe d'incompatibilité entre une réparation prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail et une demande en réparation fondée sur le droit commun de la responsabilité civile.

En l'espèce (arrêt rapporté), la Cour de cassation procède exactement de même que par l'arrêt rendu le 24 janvier 2007 (prec.). Pour déclarer la juridiction compétente et condamner l'employeur (la CPAM) à verser à Mme X une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de la diminution du montant de sa retraite, l'arrêt rendu le 6 février 2009 par la cour d'appel de Lyon retenait que la salariée n'agissait nullement en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur et en indemnisation complémentaire des conséquences d'un accident du travail, qu'elle ne demandait pas la réparation des préjudices définis à l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ). Mais la salariée faisait valoir que l'employeur (la CPAM) n'avait pas respecté ses obligations en n'assurant pas sa sécurité pour prévenir les nombreuses agressions dont elle prétendait avoir été victime. Cette défaillance l'avait conduite à prendre une retraite anticipée. Ainsi, elle agissait en responsabilité de l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité. Cette obligation étant issue du contrat de travail, le litige trouvait son fondement dans la mauvaise exécution du contrat.

L'arrêt est cassé par la Cour de cassation au visa des articles L. 451-1 et L. 142-1 (N° Lexbase : L6375IC4) du Code de la Sécurité sociale et L. 1411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1878H9G). Pour la Cour de cassation (arrêt rapporté), sous couvert d'une action en responsabilité à l'encontre de l'employeur pour mauvaise exécution du contrat de travail, la salariée demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l'accident du travail dont elle avait été victime, ce dont il découlait qu'une telle action ne pouvait être portée que devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et que la juridiction prud'homale était incompétente pour en connaître.

2 - Un régime applicable par exception

L'action en réparation peut être fondée sur le droit commun lorsque l'accident est la conséquence :

- d'une faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés (CSS, art. L. 452-5 N° Lexbase : L6647IGB) ;

- de la faute d'un tiers (CSS, art. L. 454-1 N° Lexbase : L9367HEN) (8) ;

- d'un accident de trajet causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime (CSS, art. L. 455-1 N° Lexbase : L5305ADT) ;

- ou d'un accident de la circulation causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime sur une voie ouverte à la circulation publique (CSS., art. L. 455-1-1 N° Lexbase : L5306ADU) (9) ;

- enfin, lorsque le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie n'est pas reconnu, le salarié retrouve la possibilité d'engager la responsabilité civile contractuelle de son employeur sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) (10).

La situation de l'assuré social, ne pouvant se prévaloir du droit commun de la réparation, présente d'ailleurs, pour la Cour de cassation (11), un caractère sérieux et justifie une demande de question prioritaire de constitutionnalité, dans la mesure où (hors l'hypothèse d'une faute intentionnelle de l'employeur et les exceptions prévues par la loi), la victime d'un accident du travail dû à une faute pénale de ce dernier, qualifiée de faute inexcusable par une juridiction de Sécurité sociale, connaît un sort différent de celui de la victime d'un accident de droit commun, dès lors qu'elle ne peut obtenir d'aucune juridiction l'indemnisation de certains chefs de son préjudice en raison de la limitation apportée par les articles L. 451-1 (selon lequel aucune action en réparation des accidents et maladies du travail ne peut être exercée conformément au droit commun), L. 452-1 (relatif au droit à une indemnisation complémentaire N° Lexbase : L5300ADN), L. 452-2 (majoration des indemnités N° Lexbase : L6257IGT), L. 452-3 (limitant la réparation au préjudice causé par les souffrances physiques et morales, aux préjudices esthétiques et d'agrément, au préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle N° Lexbase : L5302ADQ), L. 452-4 (compétence de la juridiction de la sécurité sociale N° Lexbase : L6346IG7) et L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale (faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés).

La Conseil constitutionnel s'est prononcé quelques semaines plus tard le 18 juin 2010 (12), en déclarant conforme le régime de la réparation des accidents du travail, sous réserve que les victimes de fautes inexcusables soient intégralement indemnisées de leurs préjudices par le TASS. En effet, selon le Conseil constitutionnel, pour concilier le droit des victimes d'actes fautifs d'obtenir la réparation de leur préjudice avec la mise en oeuvre des exigences résultant du onzième alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L1356A94), il était loisible au législateur d'instaurer par les articles L. 431-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3062ICE) un régime spécifique de réparation se substituant partiellement à la responsabilité de l'employeur (cons. 14). Aussi, "l'exclusion de certains préjudices et l'impossibilité, pour la victime ou ses ayants droit, d'agir contre l'employeur, n'instituent pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d'intérêt général poursuivis, le plafonnement de cette indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l'incapacité n'institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle" (cons. 17) et sont compensées par les avantages du régime pour les salariés, "qui garantissent l'automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles" (cons. 16).

Mais, comme il a été justement souligné (13), la décision du Conseil constitutionnel, si elle écarte le grief d'atteinte au principe d'égalité soulevé à propos du régime de la réparation des accidents du travail, doit être analysée avec attention en raison de sa réserve d'interprétation : selon le Conseil constitutionnel, il appartient au tribunal des affaires de Sécurité sociale d'assurer la réparation intégrale des préjudices subis par la victime d'une faute inexcusable, au nom du droit des victimes d'actes fautifs de demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale (cons. 18).

Or, ce principe de réparation intégrale n'est pas prévu par les textes, en matière de faute inexcusable, car le législateur a simplement prévu, dans cette hypothèse, le droit pour la victime d'obtenir un complément d'indemnisation (CSS, art. L. 452-1, droit à une indemnisation complémentaire) qui reste limité quant aux possibilités d'indemnisation (CSS, art. L. 452-3 : réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales, des préjudices esthétiques et d'agrément, du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle).

C - Régime d'indemnisation des victimes d'infractions

La Cour de cassation a admis que les victimes d'accidents du travail peuvent bénéficier de la réparation de leur préjudice par les Civi, au motif que l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) ne leur interdit pas de présenter une demande d'indemnisation du préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction (Cass. civ. 2, 18 juin 1997, n° 95-11.223 N° Lexbase : A0301AC7). Puis elle est revenue sur cette jurisprudence, en 2003 (Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-00.815 N° Lexbase : A8229BSL). En 2006, la Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence (14).

En effet, les dispositions légales d'ordre public sur la réparation des accidents du travail excluent les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions. Dans un arrêt en date du 7 février 2008, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a interdit à la victime d'un accident du travail, résultant de coups et blessures volontaires, causés par un collègue de travail, d'invoquer le bénéfice du régime d'indemnisation des victimes d'infractions (15).

II - Contentieux des accidents du travail : règles de procédure

A - Le principe : la compétence des juridictions spéciales (TASS)

La procédure devant ce tribunal est régie par les articles R. 142-17 à R. 142-27 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5945IAG). Le tribunal des affaires de sécurité sociale statue sur les différends auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale qui ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux (CSS, art. L. 142-1).

De même, l'employeur est en droit de contester dans ses rapports avec la Sécurité sociale, le caractère professionnel de l'accident devant la juridiction du contentieux général. Celle-ci est seule compétente pour se prononcer sur le recours de l'employeur tendant à ce que l'accident ne soit pas porté à son compte (Cass. soc., 11 juin 1992, n° 90-13.032 N° Lexbase : A1877AB7).

Dans l'hypothèse d'une faute inexcusable, les textes prévoient que la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de la Sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par elle, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (CSS, art. L. 452-3).

B - Ses applications : incompétence des autres juridictions

1 - Incompétence du juge prud'homal

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation relève que, sous couvert d'une action en responsabilité à l'encontre de l'employeur pour mauvaise exécution du contrat de travail, la salariée demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l'accident du travail dont elle avait été victime. Une telle action ne peut être portée que devant le TASS et la juridiction prud'homale est incompétente pour en connaître.

2 - Compétence d'exception du juge prud'homal

En matière de harcèlement moral, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère depuis 2005 (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251 N° Lexbase : A1877AB7), de manière dérogatoire, que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de l'entier dommage consécutif à un harcèlement. Il résulte de la combinaison des articles L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT), L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH) et L. 122-52 (N° Lexbase : L0584AZN) du Code du travail alors en vigueur, que le juge prud'homal connaît de l'entier dommage consécutif à un harcèlement. En l'espèce, les juges du fond ont considéré qu'il appartient au salarié de saisir un tribunal des affaires de Sécurité sociale pour voir statuer sur l'existence et le quantum d'un préjudice corporel invoqué du fait d'un harcèlement moral. La Cour de cassation a prononcé la censure.

A fortiori, la Cour de cassation a reconnu, en 2006 (Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-41.489 N° Lexbase : A3457DST), que le conseil de prud'hommes est compétent pour octroyer des dommages et intérêts pour la période antérieure à la reconnaissance de son affection. Un salarié, victime d'une maladie professionnelle, peut réclamer à son employeur devant le conseil de prud'hommes, et sur le fondement des dispositions du Code du travail, la réparation du harcèlement moral dont il avait fait l'objet sur la période antérieure à la prise en charge de son affection par la sécurité sociale.

Mais, la Cour de cassation a décidé en 2007 (Cass. civ. 2, 10 mai 2007, n° 06-10.230 N° Lexbase : A1135DWX) que si un suicide consécutif à un harcèlement moral peut être qualifié d'accident du travail, seules les dispositions d'ordre public du droit de la Sécurité sociale sont susceptibles de fonder une action en réparation des ayants droit de la victime, cette recherche s'imposant au juge du fond.

3 - Actions en réparation exercées devant les juridictions répressives

La Chambre criminelle a mis en place une jurisprudence conforme à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Une cour d'appel, saisie par un salarié d'une action en réparation du préjudice causé par un accident du travail, ne peut statuer sur le principe de la responsabilité civile de l'employeur (Cass. crim., 13 septembre 2005, n° 04-85.736, F-P+F N° Lexbase : A5280DKR). En effet, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'employeur ou ses préposés.

En l'espèce, les juges, après avoir constaté que la réparation des préjudices de la partie civile relevait du régime des accidents du travail et de la connaissance exclusive de la juridiction de Sécurité sociale, ont déclaré l'appelant entièrement responsable des préjudices subis par la victime. Selon la Cour de cassation, en statuant ainsi, sur le principe même de la responsabilité civile de l'employeur, les juges ont méconnu les dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale. Encourt, dès lors, la censure, l'arrêt qui, après avoir dit que les faits qui étaient établis et jugé à bon droit la constitution de partie civile recevable, déclare, néanmoins, l'employeur responsable des préjudices subis par la victime d'un accident du travail.

La Chambre criminelle en tire la conclusion qu'une caisse de Sécurité sociale, qui a servi les prestations prévues par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, n'ayant pas de recours subrogatoire, ne peut intervenir à l'instance pour en demander le remboursement, y compris dans le cas où la victime accomplissait un travail clandestin (Cass. crim., 11 février 2003, n° 02-81.729, F-P+F+I N° Lexbase : A2945A79).


(1) V. les obs. de Ch. Radé, Les victimes d'accidents du travail injustement privées du régime d'indemnisation des victimes d'infraction en présence d'une faute intentionnelle, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1900BE4) ; Ch. Radé, Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, n° 282, 1997, préface J. Hauser, sp. n° 63 et s..
(2) Mme X, engagée à compter du 22 mars 1966 par la CPAM de Saint-Etienne, avait été victime, le 14 novembre 2005, d'insultes au travail de la part d'un assuré social et placée en arrêt pour accident du travail jusqu'au 25 avril 2006. Elle avait alors demandé à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2006, alors qu'elle était âgée de 58 ans. Soutenant que l'employeur n'avait pas pris toutes les mesures pour la protéger des agressions dont elle avait été victime au travail, elle avait saisi la juridiction prud'homale pour demander, outre des rappels de salaire, le paiement d'une somme en réparation de son préjudice résultant de son départ anticipé à la retraite.
(3) Il n'y aura donc pas lieu d'intenter un recours en responsabilité de droit commun contre l'employeur : Cass. civ. 2, 16 novembre 2004, n° 02-21.013, FS-P+B (N° Lexbase : A9420DDA).
(4) V. not. M. Yahiel, Vers la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, Rapport au Ministre de l'Emploi, du Travail et de la Solidarité nationale, 2002 ; M. Laroque, La rénovation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, Rapport au Ministre de l'Emploi, du Travail et de la Solidarité nationale, 2004.
(5) V. les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel et les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, Lexbase Hebdo n° 401 du 2 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4393BPE).
(6) Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-44.233, F-D (N° Lexbase : A6905DTW).
(7) Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-11.811 (N° Lexbase : A2841DUR) et nos obs., Le régime des accidents du travail - maladies professionnelles exclut l'action en réparation de droit commun, Lexbase Hebdo n° 251 du 8 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2991BAZ).
(8) Cass. civ. 2, 11 juin 2009, 5 arrêts, FS-P+B+R+I, n° 08-17.581 (N° Lexbase : A0518EIZ), n° 07-21.768 (N° Lexbase : A0512EIS), n° 07-21.816 (N° Lexbase : A0513EIT), n° 08-11.853 (N° Lexbase : A0515EIW), n° 08-16.089 (N° Lexbase : A0516EIX) et nos obs., Rente accident du travail : la Cour de cassation élargit l'objet de l'indemnisation, Lexbase Hebdo n° 356 du 25 juin 2009 - édition sociale N° Lexbase : N6780BKC).
(9) J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la Sécurité sociale, Précis Dalloz, 16ème éd., 2008, n° 827 s..
(10) Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-40.272 (N° Lexbase : A3113ABW), Bull. civ. V, n° 339.
(11) Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-87.288, (N° Lexbase : A1976EXH) et nos obs., Le régime de la réparation de la faute inexcusable renvoyé par la Cour de cassation devant le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo, 10 juin 2010 n° 398 - édition sociale (N° Lexbase : N3082BPT).
(12) V. les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel et les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, Lexbase Hebdo n° 401 du 2 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4393BPE) ; Les Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier, n° 29 ; G. Vachet, Qu'en est-il de la conformité de la loi du 9 avril 1898 à la Constitution?, JCP éd. S 2010, n° 37, p. 42-44 ; F.-J. Pansier, Le régime d'indemnisation des accidents du travail conforme à la Constitution, Cahiers sociaux du Barreau de Paris, n° 223, septembre 2010, p, 259 ; R.-F. Rastoul, Bikini ou la bombe du Conseil constitutionnel, Gaz. Pal., 2010, n° 244-245, p. 14-16 ; J.-C. Ketels, Le Conseil constitutionnel améliore l'indemnisation des AT/MP, Les Cahiers Lamy du CE, n° 97 du 1er octobre 2010 ; Le vieil édifice de la loi de 1898 est considérablement ébranlé, Entretien avec M. Ledoux, Avocat au Barreau de Paris, SSL, n° 1454 du 12 juillet 2010.
(13) V obs. Ch. Radé, prec.
(14) Cass. civ. 2, 3 mai 2006, n° 04-19.080, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2497DP8) ; v. nos obs., Indemnisation des victimes d'infractions et réparation des accidents du travail, Lexbase Hebdo n° 216 du 25 mai 2006 - édition sociale ([LXB=N8733AKN)] ; dans le même sens, Cass. civ. 2, 29 mars 2006, n° 04-30.444, F-D (N° Lexbase : A8604DNY) ; Cass. civ. 2, 8 février 2006, n° 04-30.445, F-D (N° Lexbase : A8494DMK).
(15) Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 07-10.838, FS-P+B (N° Lexbase : A7323D4Y) et les obs. de Ch. Radé, Les victimes d'accidents du travail injustement privées du régime d'indemnisation des victimes d'infraction en présence d'une faute intentionnelle, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition sociale, préc..

Décision

Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 09-41.451, FP-P+B (N° Lexbase : A7627GAQ)

Textes concernés : CSS, art. L. 451-1( N° Lexbase : L4467ADS) et L. 142-1 (N° Lexbase : L6375IC4) et C. trav., art. L. 1411-1 (N° Lexbase : L1878H9G).

Mots-clés : Accident du travail, contentieux, compétence du TASS (oui), compétence du conseil de prud'homme (non).

Liens base : (N° Lexbase : E3729ETB) et (N° Lexbase : E3668AD9)

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Données publiques

[Doctrine] La réutilisation des données publiques : quelles implications juridiques ?

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Janvier 2011

C'est le 30 septembre 2010, à la Maison du barreau à Paris, que l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), laquelle se penche depuis les années soixante-dix sur les révolutions technologiques et numériques, célébrait ses 40 ans d'informatique juridique et de droit des technologies sur le thème "Générations numériques". Tout au long de la journée, l'Hôtel de Harlay a donc accueilli de nombreux débats autour du bouleversement apporté par l'éclosion de l'économie numérique sur la pratique juridique actuelle ou à venir : lutte contre la cybercriminalité et la contrefaçon sur internet, protection du droit d'auteur au XXIème siècle, procédure de numérisation des oeuvres, encadrement de l'utilisation des données personnelles dans le monde du travail et de la réutilisation des données publiques par les entreprises privées. Concernant, cette dernière thématique, un atelier "nouvelles technologies et droit public", animé par Danièle Véret, avocat au barreau de Paris, tient depuis de nombreux mois une réflexion autour des implications juridiques de la réutilisation des données publiques, de l'accès du citoyen aux données de l'administration, du respect des droits de propriété intellectuelle des auteurs privés et de la valorisation du droit de reproduction. C'est donc logiquement que ces échanges mensuels ont connu leur aboutissement lors du débat qui s'est tenu pendant cette journée de célébration, dont Lexbase Hebdo - édition publique vous invite à lire le compte-rendu La donnée publique est devenue l'objet d'un commerce et d'une industrie et elle est donc potentiellement très rentable. Qu'il s'agisse de statistiques de l'Insee, de cartes publiées par l'Institut géographique national, d'informations météorologiques, de copies du bac, d'information sur les entreprises ou sur le trafic, les informations détenues par le secteur public constituent un marché considérable et un atout commercial fondamental propre à relancer l'activité économique. Les données de l'administration constituent un bien collectif stratégique, tant pour les établissements publics, dont une partie des recettes provient de la vente de ces données, que pour les sociétés privées qui créent de la valeur ajoutée avec ces informations. Le droit d'accès aux données publiques, lesquelles représentent en Europe un marché estimé à 27 milliards d'euros, est un élément de création de richesse, qui doit intégrer cette dimension dans son fonctionnement au jour le jour, la gratuité amenant clairement un risque de tarissement de la source. La définition de l'information publique, qui peut apparaître comme une difficulté plus théorique que contentieuse, devient donc prépondérante. La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3), dite loi "CADA", en son article 1er, parle de documents administratifs, qu'elle décrit comme "[...] les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions".

Lors d'un exposé introductif consacré au rappel du cadre juridique de cette question, Rebecca Théry, juriste à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, rappelle que c'est la Directive (CE) 2003/98 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003, concernant la réutilisation des informations du secteur public (N° Lexbase : L2988DYC), dont l'objet est de garantir une harmonisation minimale des règles gouvernant la réutilisation des informations du secteur public dans l'Union européenne par les entreprises publiques ou privées, qui en a posé le cadre communautaire. Ce texte a été transposé en droit français par l'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005, relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques (N° Lexbase : L8433G8T). Elle en profite pour clarifier la rédaction de certains articles de la loi du 17 juillet 1978, codifier des pratiques existantes en ce domaine et déplacer certains articles pour tenir compte du transfert dans le nouveau chapitre III des dispositions relatives à la Commission d'accès aux documents administratifs (ci-après CADA). C'est avec cette ordonnance que les données publiques ont été prises en compte en tant qu'informations publiques réutilisables par le secteur privé.

Toutefois, la loi du 17 juillet 1978 a prévu un certain nombre d'exclusions en son article 10. Ainsi, "ne sont pas considérées comme des informations publiques [...] les informations contenues dans des documents dont la communication ne constitue pas un droit [...] sauf si ces informations font l'objet d'une diffusion publique [...] ou produits ou reçus par les administrations [...] dans l'exercice d'une mission de service public à caractère industriel ou commercial [...] ou sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle". Par ailleurs, l'article 16 de la loi "CADA" fixe le principe de délivrance d'une licence lorsque la réutilisation d'informations publiques est soumise au paiement d'une redevance. Ainsi, il ne peut être apporté de restrictions à cette réutilisation "que pour des motifs d'intérêt général et de façon proportionnée", ou qui auraient "pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence".

Par ailleurs, le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L6481HER), pris pour l'application de la loi du 17 juillet 1978, présente en un seul texte l'ensemble des dispositions réglementaires relatives la liberté d'accès aux documents administratifs. En outre, a été instituée, en 2007, l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (APIE), chargée de recenser l'ensemble des actifs immatériels des administrations et des établissements publics de l'Etat et d'apporter une assistance aux gestionnaires chargés de cet inventaire (arrêté du 23 avril 2007, portant création d'un service à compétence nationale dénommé "Agence du patrimoine immatériel de l'Etat" N° Lexbase : L4779HXB). Cette création est intervenue dans le droit fil des recommandations du rapport Levy-Jouyet de 2006 consacré à l'économie de l'immatériel, lequel avait pour ambition, notamment, de faire de l'économie de l'immatériel "la croissance de demain". L'APIE a donc 3 objectifs principaux : optimiser l'impact de la gestion du patrimoine immatériel sur l'économie ; valoriser ces actifs pour moderniser les services publics et contribuer au désendettement ; et prémunir l'Etat contre d'éventuels risques de détournement.

Flavien Errera, chef de projet à l'APIE, précise, tout d'abord, que cette agence intervient dans les domaines croisés du droit public, du droit privé, de l'économie et de la comptabilité. Il rappelle ensuite que le droit créé par l'ordonnance de 2005, alors que la France l'a transposé de manière plutôt volontariste, est, à l'époque, passé complètement inaperçu. Cette situation apparaît paradoxale, les données publiques ayant une très grande valeur car les produits de la nouvelle économie sont hétérogènes (internet, téléphonie mobile). En outre, ce marché n'existait pas il y encore deux décennies, la gratuité prévalant même à l'époque : par exemple, les annales du bac, composés d'exercices et de corrections, majoritairement d'anciens sujets du baccalauréat, ne sont rien d'autre que des informations publiques récupérées et commercialisées par des éditeurs privés. En effet, depuis 30 ans et le rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société de 1978, les entreprises demandent à l'administration de pouvoir utiliser les informations publiques comme bon leur semble, alors que la loi "CADA" de 1978 impose, à l'inverse, des contraintes aux pouvoirs publics. En fait, nous assistons, toujours selon l'intervenant, à un véritable changement de monde où les consommateurs veulent avoir un accès immédiat et gratuit à toutes les informations dématérialisées.

Patrice Platel, responsable du portail d'accès aux informations publiques au secrétariat général du Gouvernement, rappelle que le répertoire des informations publiques répond à une demande de l'APIE. En effet, malgré l'exigence légale, de très nombreuses administrations ne disposent pas encore de leur répertoire des informations publiques, outil de recensement et d'information sur les conditions de réutilisation. Toutefois, l'administration conçoit des informations publiques depuis longtemps car elle en a elle-même besoin. Ainsi, la Conservation des hypothèques a été créée au XVIIIème siècle dans le but de publier et conserver les droits existants sur les immeubles (servitude, hypothèque, usufruit...). Plus récemment, le site internet Legifrance a été l'outil qui, en 2002, a posé un service public de la diffusion du droit par internet, au grand dam de certains éditeurs juridiques privé. Par ailleurs, le problème lié au coût de la réutilisation des données publiques est encore largement laissé aujourd'hui à l'abandon, de même que la fixation concrète de ce coût : comment évaluer, en effet, les investissements qui ont été nécessaires à la formation des équipes, à la création des moteurs de recherche, et à l'innovation ? La borne inférieure serait celle du simple coût de mise à disposition de ces données, énoncé à l'article 15 de la loi "CADA", aux termes duquel "l'administration peut aussi tenir compte des coûts de collecte et de production des informations et inclure dans l'assiette de la redevance une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriété intellectuelle". Cet élément permet, ainsi, à Patrice Platel de rappeler que la révolution numérique est avant tout économique. Le Conseil d'Etat a entamé une réflexion, prévoyant que ce prix pourrait être fixé en fonction de l'avantage économique qu'en reçoit le réutilisateur (CE 2° et 7° s-s-r., 26 janvier 2007, n° 276928 N° Lexbase : A7051DTC ; CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 309499 N° Lexbase : A8618ELR).

Le troisième intervenant, Samuel Frédéric Servière, consultant à Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IRFAP), think tank créé en 1985 afin d'évaluer, du point de vue du secteur privé, l'efficacité des politiques publiques, notamment en matière d'emploi et de développement économique, souligne que via la révision générale des politiques publiques (RGPP), le Gouvernement veut aboutir à des économies d'échelle, ce qui a pour effet de laisser, parfois, les administrations désemparées. Toutefois, celles-ci ont les moyens de valoriser elles-mêmes leurs données, comme le fait la SNCF en mettant ses horaires de train à disposition des usagers grâce au téléchargement d'une application sur un téléphone portable. En effet, malgré l'efficience du système de redevances précité, certains éléments plaident en faveur de l'adoption de la vision anglo-saxonne de l'utilisation des données, l'opendata, dans lequel les personnes publiques livrent gratuitement leurs bases de données pour permettre aux utilisateurs de se les approprier. Ainsi, le site data.gov.uk, officiellement lancé en janvier 2010, est un portail donnant accès à un ensemble de données collectées et entretenues par le gouvernement et les agences publiques britanniques. Actuellement, data.gov.uk héberge environ 3 200 bases de données et une cinquantaine d'applications dérivées. Ce modèle de gratuité pourrait inspirer la France, et la constitution d'un effet de levier pour l'économie et la société grâce aux développements des applications et à l'absence de la lourdeur du coût de gestion, pourrait, conjugués, s'avérer plus rentables à court, voire à long terme, que les licences.

A ce sujet, Flavien Errera rappelle que le statut de l'information publique tient beaucoup au statut de son émetteur : en changeant le statut de l'utilisateur, on modifie aussi le statut de l'information. Il dénonce l'absurdité d'un système dans lequel l'Etat doit maintenant acheter des données qu'il avait auparavant gratuitement à sa disposition. Ainsi, les données détenues par France Telecom concernant ses abonnés et le détail de l'ensemble des communications téléphoniques passées sur le territoire, qui peuvent s'avérer très précieuses à la fois pour les autres opérateurs mais aussi pour les pouvoirs publics, auparavant gratuites, sont devenues payantes depuis que cette entreprise est devenue une société anonyme. En Grande-Bretagne, où de nombreuses agences publiques ont déjà été privatisées, les informations ont perdu leur caractère public. Dans le cas d'une agence publique qui avait cartographié l'ensemble des sous-sols, ces informations devenues privées, leur coût était tel que l'Etat ne pouvait y avoir accès. Plus que jamais, celui qui détient l'information devient important. A l'heure où les supports numériques (iPad, iPhone) proviennent outre-atlantique, l'on doit constater que les systèmes d'agrégation s'accompagnent d'un système d'indexation (visites de site), et que beaucoup d'internautes consultent la même source. Flavien Errera indique qu'en cas de recherche d'une simple photo de paysage sur Google, l'internaute a neuf chances sur dix d'obtenir une photo d'un village du Middle West que d'un paysage français, moins bien placé en terme de visibilité.

Se pose, en outre, comme l'indique Patrice Platel, la question de la propriété intellectuelle des agents publics sur leur production : sont-ils ou ne sont-ils pas dépositaires des données qu'ils contribuent à créer par leurs fonctions ? Et de rappeler le principe fondateur selon lequel toutes les données créées dans le cadre d'une activité de service public sont des données publiques. La Haute juridiction administrative a, toutefois, posé une exception importante à ce principe cette année, en consacrant comme seul et unique propriétaire de son invention un créateur-stagiaire du CNRS et en déclarant illégal le règlement intérieur de cette institution qui prévoit que les brevets correspondants aux inventions réalisées par les stagiaires et par les étudiants au sein du laboratoire d'imagerie paramétrique sont sa propriété (CE 4° et 5° s-s-r., 22 février 2010, n° 320319 N° Lexbase : A4383ES7 et lire N° Lexbase : N6026BNI).

Il indique, par ailleurs, qu'à l'heure ou l'administration ne sait pas comment trouver des recettes, il est plus que légitime que celle-ci cherche à optimiser ses atouts immatériels, grâce à des instruments tels que la RGPP et la loi organique relative aux lois de finances (loi n° 2001-692 N° Lexbase : L1295AXA). En ce sens, deux décrets du 10 février 2009 ont acté le principe d'un retour aux ministères des ressources dégagées par la valorisation des informations publiques (décret n° 2009-151, relatif à la rémunération de certains services rendus par l'Etat consistant en une valorisation de son patrimoine immatériel N° Lexbase : L9052ICA et décret n° 2009-157, portant attribution de produits aux budgets des ministères concernés en application du décret n° 2009-151 N° Lexbase : L9058ICH). Par exemple, l'Insee, adoptant une culture quelque peu différente des autres administrations, a entrepris depuis longtemps un travail de valorisation de ses statistiques. Ainsi, la redevance constituant la contrepartie de la communication de données publiques élaborées par l'INSEE à des tiers peut intégrer l'intérêt provenant, pour les bénéficiaires, de ces données. En d'autres termes, le calcul de la redevance pouvait légalement inclure, compte tenu de la nature du produit vendu par l'INSEE, des droits relevant de la propriété intellectuelle. Ceci équivaut à admettre de manière implicite que la rémunération de droits de propriété intellectuelle peut porter la redevance à un niveau excédant le seul coût du service rendu, en tenant compte de l'utilité du service pour le bénéficiaire (CE Ass., 10 juillet 1996, n° 168702 N° Lexbase : A0511APM et lire N° Lexbase : N3767BMH).). Toutefois, le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d'égalité entre les usagers du service public et des règles de concurrence afin que les "nouveaux entrants" ne soient pas exclus de ce marché (les startup, par exemple).

Il est prévu qu'à terme, les administrations et les établissements publics reçoivent 80 % des nouvelles ressources générées par l'exploitation de leurs actifs immatériels. Le ministère de la Culture a déjà mis à disposition sur son site internet près de 80 bases de données couvrant de vastes domaines : adresses des bibliothèques publiques, Archives nationales, catalogue collectif des bibliothèques des musées nationaux, Institut national du patrimoine, etc.. La question du financement va devenir de plus en plus prégnante puisque dans le cadre du grand emprunt, 4,5 milliards d'euros sont destinés au secteur du numérique, la seule numérisation du patrimoine devant bénéficier de 750 millions d'euros. Ces sommes devraient aiguiser l'appétit des opérateurs privés. Par exemple, des entreprises spécialisées dans le domaine de la généalogie ont déjà commencé à démarcher les collectivités territoriales afin d'obtenir l'accès aux fichiers numériques des cahiers de recensement ou aux registres d'état civil, obligeant, ainsi, plusieurs départements à publier des contrats de licence pour la réutilisation des données publiques.

La question des ressources apparaît donc plus que jamais prépondérante, car comme on le constate à l'heure où la loi "Hadopi 2" (loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009, relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet N° Lexbase : L8862IEX) commence à entrer en application, le modèle de la gratuité s'impose actuellement. La valeur ajoutée est captée par le dernier maillon de la chaîne, l'utilisateur final à savoir l'internaute devant son écran, qui utilise aussi les réseaux sociaux (Facebook, Twitter), sur lesquels règnent, également, la transparence et l'échange. Une intrication se noue aussi entre information publique et information du public (géolocalisation). La France, plus que d'autres pays occidentaux, connaît des difficultés d'accès et de consolidation à beaucoup de données (les informations financières, par exemple). Le passage à l'économie numérique, fondée sur la connaissance, favorisée par l'existence de biens et services nouveaux, change le statut de l'information publique. Le droit doit, en l'espèce, s'adapter au nouveau contexte social qu'il a vocation à saisir. Les données de l'administration constituent un bien collectif stratégique, tant pour les établissements publics, dont une partie des recettes provient de la vente de ces données, que pour les sociétés privées qui créent de la valeur ajoutée avec ces informations. Il reste donc de nombreuses étapes à franchir pour que soient établies des règles adéquates et indiscutables de circulation entre, d'une part, les rapports, études, prévisions, instructions, cartes ou encore photos détenus par le secteur public, et, d'autre part, les acteurs privés qui commercialisent ces données.

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