La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010

La lettre juridique - Édition n°408

Éditorial

Trafic de médailles : le revers de l'influence

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Maladie chronique du quinquennat oblige, la "commissionnite" refait surface après les déboires estivaux d'un ministre à l'orée de la retraite. Le Conseil des ministres du 8 septembre 2010 sonne, d'ailleurs, le glas de la présomption d'innocence dont pouvait se draper ce ministre, pourtant en courre, il y a peu, en proposant de mettre en place une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. Toute coïncidence avec des affaires médiatiques rocambolesques actuelle ne serait que purement fortuite, pourrait-on lire à la fin du générique de présentation de cette nouvelle commission. Et, pourtant les acteurs ne sont pas moins sérieux que les ambitions affichées : M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, qui en assurera la présidence ; M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes ; M. Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d'appel de Paris ; excusez du peu...

Ce qui interpelle, de prime abord, outre l'habitude mandarine bien française de créer des commissions pour la moindre réflexion du politique, c'est qu'il nous avait semblé que le chemin déontologique des ministres et autres hauts fonctionnaires ou dirigeants d'entreprises publiques était bien balisé. Il existe deux infractions majeures : l'abus de confiance et le trafic d'influence dont les définitions légales et la jurisprudence permettent d'appréhender tout le sens et toute la rigueur nécessaire au maintien des principes démocratiques.

Si la commission ad hoc nouvellement sortie des fonds baptismaux élyséens a pour mission de recenser tous les cas imaginables où la fonction ministérielle ou haute administrative peut faire acte de bienfaisance à l'égard de tiers, pas si tiers que cela : c'est évidemment impossible ; pas moins que de déterminer à l'avance au cas par cas si tel ou tel "arrangement" peut être considéré comme bénéfique pour la République et non pour son préposé -sauf à établir un catalogue jurisprudentiel des cas de mise en cause de la déontologie de ces "puissants"-. C'est d'ailleurs pour cette raison que les incriminations précédemment rappelées sont larges et font l'objet d'une appréciation casuelle d'orfèvre par nos magistrats.

Reste un domaine dans lequel on ne peut pas engorger les prétoires : le "trafic" de médailles. Allez dire que la remise de la Légion d'honneur relève du trafic d'influence est un pléonasme doux-amer... Mais c'est encore là, le seul domaine qui, s'il met en exergue les accointances particulières entre les politiques, le monde des affaires et le showbiz, ne relève pas, sauf à en tirer quelque ressource pécuniaire, d'une incrimination. Et compte tenu du mode de sélection des heureux épinglés, qui ne souffre pas vraiment la transparence, la majorité des ministres et autres hauts fonctionnaires pourrait dès lors se retrouver sur le banc des accusés.

Mais à la fin, que reproche-t-on à nos responsables de la cité ? De ne pas se désocialiser une fois le maroquin obtenu ? Les hommes politiques et leurs avatars, les hauts fonctionnaires, gravitent dans les sphères du pouvoir économique et culturel : première nouvelle ? Comment ? Certains d'entre eux appartiennent même à la société civile -qui à l'économie, aux affaires étrangères...- voire au monde du sport ou du spectacle -qui au sport, à la culture-. Et l'on voudrait que ces altruistes d'un temps, dont l'avenir professionnel n'est pas garanti et dont les rémunérations sont dégressivement proportionnelles à leurs responsabilités, jettent les amarres et coupent les ponts avec leurs anciens amis, candidats à un marché public, éditorialiste à la plume respectée, animateur vedette d'une émission d'influence, chanteur populaire leader d'opinion ou simple particulier en délicatesse avec le fisc ?

Allez, quelques médailles pour raviver l'atmosphère d'Ancien régime qui embaume si bien notre République ? Nous venons de perdre la garde à vue, on peut bien nous laisser l'arbitraire des décorations ? Une animatrice télé décorée au même titre qu'un grognard d'Austerlitz ! Un gestionnaire de fortune -et quelle fortune !- gratifié par la République au même titre qu'un soldat tombé en Afghanistan... Quelle importance ?

Bon, certes un Président de la République, Jules Grévy pour ne pas le citer, avait été contraint à la démission en 1887 parce que son gendre, Daniel Wilson, avait mis sur pied un véritable trafic de légions au profit particulièrement juteux et sans honneur dans cette France bourgeoise en mal de titres nobiliaires. Mais le snobisme c'est l'identité française, voyons ! Et tout le monde le savait en 1802 : décorer la société civile et non plus les seuls militaires c'était ouvrir la boîte de Pandore. L'épinglé le plus célèbre du moment avait déjà la particule, pourquoi lui refuser la broche ? Quoi ? Comment ? Parce que la femme du ministre travaillait pour lui ? Que de persuasion doit on faire preuve pour obtenir la rosace...

Oui, décidément, c'est bien d'une commission dont les politiques ont besoin pour satisfaire à un minimum de déontologie... ou peut être du bon sens tout simplement... pour éviter que ce ne soit les ministres qui se fassent épingler pour avoir par trop épinglé.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Pierre-François Giudicelli, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Pierre-François Giudicelli, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau d'Avignon ?

Pierre-François Giudicelli : Le barreau d'Avignon regroupe environ 260 avocats, avec une bonne répartition homogène hommes/femmes. Concernant plus spécifiquement les structures d'exercices, elles sont plutôt individuelles, ce que je trouve être un gros problème puisque selon moi l'avocat exerçant seul est voué à disparaître. Le barreau d'Avignon est un barreau de province classique qui fait beaucoup de conseil juridique, et c'est ce qui nous sauve. Si les conseils juridiques n'avaient pas rejoint la profession juridique, il n'y aurait peut être plus eu d'Ordre, les Carpa n'ayant plus de fonds. Concernant les domaines traités, le barreau d'Avignon est un barreau extrêmement complet et diversifié. Nombreux sont les cabinets très pointus en droit des affaires, en droit fiscal, ou en droit immobilier.

Lexbase : Bâtonnier depuis janvier 2010, quelles sont vos motivations et les ambitions que vous nourrissez pour vos avocats et pour la vie même du barreau ?

Pierre-François Giudicelli : J'ai voulu rendre à mon Ordre ce que mon Ordre m'a donné. C'est un métier que j'aime et je ne me voyais pas en faire un autre. Si je peux rendre service à mes confrères et aux gens un peu plus pendant deux ans cela me va !

Et je veux, et je le dis depuis le début, que l'avocat soit au centre et au coeur de la cité. On est la profession du droit le plus accessible au public.

Or, pour le public, l'avocat n'est là qu'en cas de problème. Il faut que les mentalités changent et que les gens n'hésitent pas à prendre un conseil chez un avocat avant même qu'il y ait un problème. Le calcul est simple. Dans la vie d'une famille, il y a plus de chance d'avoir besoin d'un notaire (achat d'un bien) ou d'un expert comptable (création d'une société), que d'un avocat, or cela devrait être équivalent. L'avocat, ce n'est pas que le procès ; c'est aussi le conseil et, souvent, le conseil peut éviter le procès. Et, c'est cela qu'il faut faire passer comme message. Les mentalités doivent changer. Cela ne va pas se faire en deux ans, mais il faut amorcer la chose.

Ce que je constate c'est que, lorsque l'on prend un dossier depuis le début, cela se passe mieux et même s'il doit y avoir procès -parce que cela reste parfois inévitable- cela se passe mieux.

Il faut aussi faire passer le message que les solutions ne sont pas toutes dans les tribunaux ; l'avocat peut arranger un problème sans avoir recours au juge. Et l'un des moyens pourrait être l'acte contresigné d'avocat. Sans qu'il soit révolutionnaire, c'est un outil intéressant et il faudra voir ce que cela va donner en pratique.

De toutes les façons, les avocats sont là depuis toujours. On a surmonté toutes les réformes. On a été supprimé, on nous a remis. D'ailleurs cette année on fête le bicentenaire du rétablissement des Ordres. Le monde ne peut pas avancer sans nous. C'est rare les professions supprimées qui réapparaissent et cela est assez significatif de l'importance de la profession !

Lexbase : Quel regard portez-vous sur les différentes réformes en cours ?

Pierre-François Giudicelli : Il faudrait plutôt me parler des réformes qui ne sont pas en cours ! Parce que tout change. J'ai 43 ans, depuis que 15 ans que j'exerce rien ne nous a été épargné et souvent plusieurs fois : le divorce, deux fois ; la procédure pénale, je ne compte plus ; la procédure civile, on a des décrets qui sont rendus chaque fois fin décembre ou fin juillet et qui modifient tout. Donc il faudrait plutôt me poser des questions sur ce qui ne change pas !

Ce que je trouve insupportable, c'est que l'on fasse de l'évènementiel avec la loi. Les révolutionnaires disaient que la loi ne peut mal faire. Aujourd'hui, on fait faire n'importe quoi à la loi. Ce n'est pas l'inflation législative le problème, elle a toujours existé. C'est qu'aujourd'hui les gens pensent que tout peut se régler immédiatement par la loi et ce n'est pas possible. Il n'y a aucune lisibilité. On n'est pas là pour commenter la loi, on l'applique, on l'interprète lorsque cela est nécessaire, mais le problème est profond.

L'aide juridictionnelle, c'est un serpent de mer ; ça pollue toutes les réunions des instances professionnelles. On en parle depuis des années et depuis des années c'est dévalorisé, et au final rien ne se passe...

Il faut savoir quelle justice on souhaite avoir.

Une justice de qualité impose que des moyens soient mis en oeuvre pour qu'elle soit rendue efficacement. Et il faut mettre en parallèle la rémunération des avocats qui peuvent intervenir pour les gens qui sont dans le besoin. Et, tant que ces deux objectifs seront séparés, on n'avancera pas. On ne peut pas continuer à avoir en France un budget qui soit l'un des plus faibles d'Europe. Je parle du budget de la justice en général. On ne peut pas avoir ce budget ridicule, ce manque de moyens, alors que, dès qu'on allume la télé ou la radio, plus de la moitié des sujets traités a trait à la justice.

Sur Avignon, la situation est très tendue : manque de personnels, manque de moyens, délais insupportables (6 mois pour être divorcé par consentement mutuel, par ex.) ; ce n'est plus possible.

Alors, si le moyen c'est, comme on le pense à la Chancellerie, de déjudiciariser, ce n'est pas une bonne solution, et pourtant c'est ce qui ressort des projets en cours.

Si on veut avoir des relations apaisées et que les choses se passent bien, il faudrait, par exemple, que les divorces par consentement mutuel soient prononcés en 15 jours ou 3 semaines.

A l'époque, quand on parlait de transférer les procédures de consentement mutuel du juge aux affaires familiales au notaire, tout le monde a hurlé ; si cela avait permis de réduire les délais, tant mieux ; mais cela a été conçu comme une mesure de rétorsion à l'égard des avocats.

Allez discuter de l'homologation d'un acte que j'ai rédigé devant le juge ou devant un officier ministériel , intellectuellement on peut trouver cela choquant ; mais si l'objectif est le même, s'il authentifie ou homologue ce que j'ai fait, alors...

A l'étranger pour les divorces par consentement mutuel, le juge homologue et ne convoque même pas l'avocat.

La question est donc de savoir si nos juges sont prêts à admettre de ne devenir que des chambres d'enregistrement et d'authentification. Ce n'est culturellement pas pensable.

C'est comme pour la garde à vue, vous n'allez pas me dire qu'en France on est par principe contre l'avocat et culturellement contre l'avocat en garde à vue. Non ! On a juste calculé que cela devrait coûter beaucoup au budget de l'Etat pour l'aide judiciaire. On retarde une échéance et on veut régler les problèmes d'une manière complètement inadaptée.

Quand vous voyez qu'en Allemagne un dossier criminel est jugé en 6 mois alors qu'il faut 2 ans en France. Pourquoi ? Parce que, au Parquet de Cologne, il y a plusieurs dizaines de substituts, les dossiers tournent et cela va vite.

Rendre la justice, de façons sereine et dans les délais les meilleurs cela a été le plus gros sujet d'inquiétude des rois.

La première chose à laquelle se sont attaqués les rois, c'est de faire en sorte que la justice soit rendue convenablement. C'est la première fonction régalienne de l'Etat.

Concernant l'avocat en entreprise, c'est plus compliqué. Partout où cela a été fait sans garde fou cela a été catastrophique (Espagne, Amérique du Sud, par exemple).

Et le problème c'est qu'en France, on prend ce qui se fait ailleurs et on essaye de l'accommoder à la sauce française et ça ne peut pas marcher. Il faut savoir ce que l'on veut : soit être une profession libérale, soit être salarié. Aujourd'hui, un avocat diplômé qui veut être, demain, juriste en entreprise, qu'il se mette alors en omission du barreau.

Personnellement je n'y suis pas hostile c'est dans l'Ordre des choses, mais il faut en parler, l'expliquer, l'organiser et voir quel est l'intérêt pour la profession.

Sur l'interprofessionnalité, pour moi le combat contre les notaires n'a pas lieu d'être ; on ne fait pas le même travail. Il y a eu un litige mais ce ne sont pas les avocats qui ont commencé.

L'objet des avocats ce n'est pas de faire des actes authentiques.

Personnellement, je suis pour une grande profession du chiffre et du droit unique organisée et puissante avec les experts-comptables. Economiquement cela serait bon. Cela éviterait que les comptables fassent des choses sur lesquelles ils ne sont pas formés.

Enfin sur la gouvernance, le barreau d'Avignon s'est déjà exprimé pour le maintien des Ordres, tout en étant favorable à une mutualisation pour certaines choses.

Si le regroupement des Carpa par département semble possible, le Bâtonnier se doit d'être proche des gens, proche de ses confrères, proche du tribunal. Nous maintenir en exercice pour aller inaugurer les chrysanthèmes ce n'est pas possible !

On a une légitimité ; être bâtonnier veut encore dire quelque chose et cela est irremplaçable.

Et s'il y a une structure régionale cela ne sera plus possible

Je le redis, le rôle du Bâtonnier est irremplaçable et s'il est maintenu sans prérogatives cela ne marchera pas.

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Présomption d'existence de revenus imposables en France des sommes transférées depuis ou vers l'étranger et règles de territorialité

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 309363, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6009E3X)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 1er juillet 2010 (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juillet 2010, n° 309363, mentionné dans les tables du recueil Lebon) a jugé qu'il résulte des dispositions combinées des articles 4 A (N° Lexbase : L1009HLX) et 1649 quater A (N° Lexbase : L4680ICC) du CGI que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France depuis l'étranger ou de France vers l'étranger.

Les faits, dans cette affaire, sont les suivants : M. et Mme S. ont fait l'objet en 1996 d'un examen d'ensemble de leur situation fiscale personnelle au titre des années 1993 à 1995. Dans le cadre de cette procédure de contrôle, l'administration fiscale a adressé aux contribuables, sur le fondement des dispositions de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), des demandes de justifications et d'éclaircissements sur l'origine des sommes créditées sur leurs comptes bancaires français au cours de la période, puis, estimant que les réponses apportées n'étaient pas suffisantes, a procédé à leur taxation d'office sur le fondement des dispositions de l'article L. 69 du même livre (N° Lexbase : L8559AEQ). Par ailleurs, s'appuyant sur les constatations opérées par le service des douanes du Léman dans le cadre d'un procès-verbal établi le 3 juin 1944, aux termes desquelles M. S. a été trouvé en possession, à cette même date lors de son entrée sur le territoire français, de sommes et chèques d'une valeur totale de 1 050 000 francs (soit environ 160 000 euros), l'administration, estimant que les contribuables n'avaient pas apporté de justifications sur l'origine de ces sommes, a fait application de la présomption d'existence d'un revenu imposable en France prévue par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI et les a taxées d'office à l'impôt sur le revenu. M. et Mme S. ont contesté devant la juridiction administrative les redressements qui leur ont été assignés à la suite de cette procédure de contrôle. Ils se pourvoyaient en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'arrêt du 3 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 3 juillet 2007, n° 05PA03556 N° Lexbase : A5408DYX), après avoir jugé que leur domicile fiscal n'avait été fixé en France qu'à compter du 1er juillet 1994 et prononcé en conséquence la décharge de l'impôt sur le revenu au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 1994 correspondant au montant des traitements et salaires perçus pendant cette période, ainsi qu'à la somme de 43 645 francs (soit environ 6 650 euros) créditée sur leurs comptes bancaires pendant cette période et imposée en tant que revenu d'origine indéterminée, avait rejeté le surplus des conclusions de leur requête tendant à la réformation du jugement du 9 juin 2005 par lequel le tribunal administratif de Melun n'avait que partiellement fait droit à leur demande tendant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 ainsi que des pénalités correspondantes.

L'arrêt du Conseil d'Etat censure la cour administrative d'appel de Paris qui, dans son arrêt du 3 juillet 2007, avait rejeté partiellement les conclusions en décharge de M. et de Mme S. en jugeant que la présomption d'existence de revenus imposables en France instituée par le troisième alinéa de l'article 1649 quater A s'applique à toute personne physique, qu'elle soit ou non domiciliée en France au sens de l'article 4 A du CGI, et juge que la cour administrative d'appel de Paris a, ce faisant, commis une erreur de droit. Cette solution prend appui sur le principe selon lequel les obligations fiscales des personnes non domiciliées en France sont restreintes. La présomption prévue par le mécanisme institué par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI ne peut donc être mise en oeuvre que dans le respect des règles de territorialité propres à l'imposition mise à la charge du contribuable. Ce faisant, le Conseil d'Etat, par son arrêt du 5 juillet 2010, prolonge sa jurisprudence du 4 décembre 1985 (CE Contentieux, 4 décembre 1985, n° 43383 N° Lexbase : A3065AMH) et confirme une solution retenue par le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 28 juin 2007, n° 00-14517, Brossard) qui avait jugé que, si les transferts visés par l'article 1649 quater A du CGI sont présumés constituer des revenus d'origine indéterminée, dans le cas d'un non résident, il ne peut y avoir taxation que si l'administration a réuni des indices sérieux laissant penser que le contribuable a pu disposer de revenus de source française plus importants que ceux qu'il a déclarés.

1. Le régime juridique des dispositions de l'article 1649 quater A : un mécanisme en apparence autonome de lutte contre la fraude fiscale

Les dispositions édictées par l'article 98 de la loi de finances pour 1990 et l'article 23 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 (N° Lexbase : L4741AQN) sont venues renforcer les mécanismes de lutte contre le blanchiment des capitaux.

1.1. L'article 1649 quater A du CGI : un mécanisme de lutte contre le blanchiment

Les dispositions qui viennent d'être rappelées, codifiées sous l'article 1649 quater A du CGI, dans sa rédaction applicable à l'année 1994, qui était en litige en l'espèce prévoient que les sommes, titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger et qui n'ont fait l'objet d'aucune déclaration constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables. Une déclaration est établie pour chaque transfert à l'exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 50 000 francs (aujourd'hui, ce montant s'établit à 10 000 euros). Les sommes titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger constituent sauf preuve contraire des revenus imposables lorsque le contribuable n'a pas rempli ses obligations déclaratives.

Dans l'affaire M. et Mme S., les contribuables n'avaient pas apporté d'éléments de réponse suffisants aux demandes de justifications et d'éclaircissements demandées par le fisc sur le fondement de l'article L. 16 du LPF. Par ailleurs, il ressortait d'un procès-verbal établi le 3 juin 1994 par le service des Douanes du Léman que M. S. avait été trouvé en possession, à la date de son entrée sur le territoire français, de sommes et chèques d'une valeur totale de 1 050 000 francs. Or, lorsque le contribuable n'apporte pas de justification sur l'origine des sommes qui sont en sa possession, l'administration peut faire application de la présomption d'existence d'un revenu imposable en France prévue par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI, ce qu'elle a fait en l'espèce.

Si le troisième alinéa de l'article 1649 A du CGI prévoit que les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables, le régime fiscal de ces sommes a été progressivement précisé.

1.2. Les incidences fiscales de la mise en oeuvre de la présomption de l'article 1649 quater A du CGI appliquées à la personne physique

Tout d'abord, le fait générateur de l'impôt sur le revenu dû au titre des sommes, titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger sans déclaration est constitué par le passage des fonds en douane et non par la perception initiale du revenu (CAA Bordeaux, 4ème ch., 8 décembre 2005, n° 02BX00360 N° Lexbase : A5108DM7). Par ailleurs, l'article ne précise pas la catégorie d'imposition de ces revenus. Le Conseil d'Etat est venu préciser, dans un avis du 6 février 1996 (CE, 6 février 1996, n° 358557), que cet article doit être interprété comme instituant une présomption légale spécifique d'existence de revenus d'origine indéterminée. La solution repose sur une logique par défaut, dès lors que la taxation d'office, comme en l'espèce, est mise en oeuvre, les revenus sont taxés comme revenu d'origine indéterminée si aucun élément ne permet de les rattacher à une catégorie précise de revenus (CE, 9° et 10° s-s., 13 mars 2006, n° 249895 N° Lexbase : A5907DN4). La présomption de revenus d'origine indéterminée est toutefois réfragable comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Marseille le 10 juillet 2009 (CAA Marseille, 4ème ch., 10 juillet 2009, n° 06MA03457 N° Lexbase : A1996EK7). Lorsque l'origine des revenus est déterminée ceux-ci doivent alors être imposés dans la catégorie correspondante.

Les conséquences financières pour le contribuable taxé d'office sont importantes. En effet, en application de l'article 1759 du CGI (N° Lexbase : L1751HN8), les rappels d'impôt correspondants sont assortis de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 de ce code (N° Lexbase : L2931IGN), au taux de 0,75 % par mois, et d'une majoration de 40 %. Le contribuable peut éviter la taxation en apportant la preuve que les transferts ne constituent pas des revenus imposables. La présomption instituée par le législateur est, en effet, une présomption simple. Ainsi, le contribuable peut apporter la preuve que les transferts effectués par l'intermédiaire d'un compte non déclaré, en provenance de l'étranger ou vers l'étranger ne constituent pas des revenus imposables lorsque ces sommes sont des revenus déjà soumis à l'impôt. Il a aussi été jugé qu'un contribuable qui a transféré des pièces d'or vers l'étranger sans avoir déposé la déclaration prévue à l'article 1649 quater A du CGI apporte la preuve que la contre valeur de ces pièces ne constitue pas un revenu imposable pour la totalité des sommes en cause en établissant qu'il n'est pas le seul propriétaire desdites pièces (CAA Paris, 1er juin 2006, n° 03PA03361 N° Lexbase : A3338DQP).

La présomption instituée par les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI ne s'applique toutefois pas indépendamment de la domiciliation de la personne physique, notamment lorsqu'elle est non résidente. Les obligations fiscales des non-domiciliés sont restreintes, ces derniers étant seulement imposables sur leurs revenus de sources françaises. Il faut donc pour l'administration établir que le contribuable a pu disposer de revenus de source française d'un montant plus important que celui qu'il a déclaré. Le mécanisme de lutte contre le blanchiment qui aboutit à une taxation à l'impôt sur le revenu n'opère donc pas indépendamment des règles qui encadrent et articulent la détermination de l'impôt sur le revenu et en particulier des règles de territorialité.

2. La territorialité de l'impôt sur le revenu est une limite à la mise en oeuvre de la présomption de revenus imposables au sens de l'article 1649 quater A du CGI

La domiciliation d'une personne physique au sens des dispositions de l'article 4 A du CGI encadre et borne la présomption d'existence de revenus imposables en France instituée par les dispositions du troisième alinéa de l'article 1649 quater A.

2.1. Les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI doivent se combiner avec les dispositions de l'article 4 A du même code pour l'imposition de non-résident

Les obligations fiscales des non-résidents sont restreintes, ils ne sont imposables que sur leurs revenus de source française : les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent donc être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France en provenance de l'étranger. La présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A ne peut donc être mise en oeuvre dans l'ignorance de la territorialité de l'impôt sur le revenu. La solution retenue dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 1er juillet 2010 avait été proposée par le tribunal administratif de Paris dans un jugement rendu le 26 juin 2007 (TA Paris, 26 juin 2007, n° 00-14517, Brossard). Le tribunal administratif de Paris avait jugé que la présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A ne peut s'appliquer en cas de transfert de sommes opéré de l'étranger vers la France par une personne fiscalement domiciliée hors de France, imposable en France sur ses seuls revenus de source française.

Dans son arrêt du 1er juillet 2010, c'est sous la forme d'un considérant de principe que le Conseil d'Etat juge que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France depuis l'étranger ou en France vers l'étranger. L'étendue des obligations fiscales des personnes domiciliées en France est en principe illimitée ; celle des non-domiciliées est restreinte. Ce principe peut, cependant, comporter des dérogations résultant des conventions fiscales internationales. La notion de résident prévaut, en effet, sur celle de domicile fiscal, ce qui entraîne qu'une personne considérée comme non-résidente en France au sens d'une convention fiscale bilatérale conclue par la France ne pourra en aucun cas être considérée comme fiscalement domiciliée même si elle remplit l'un des critères de domiciliation au sens de l'article 4 B, 1 du CGI. En droit interne, les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu et l'étendue de leur obligation dépend, donc, du seul critère du domicile. Si le contribuable n'est pas résident, il n'est pas pour autant dispensé de toute imposition française, il est imposé sur le seuls revenus de source française, il s'agit d'une obligation fiscale restreinte.

2.2. La domiciliation du contribuable comme limite à la mise en oeuvre de la présomption de revenus imposables instituée par l'article 1649 quater A du CGI

En l'espèce, M. et Mme S. devaient être regardés comme ayant transféré leur domicile fiscal d'Irlande en France à partir du 1er juillet 1994. Ils n'étaient donc soumis à une obligation fiscale illimitée qu'à compter de cette date. Dans le cas d'un non-résident imposable en France sur ses seuls revenus de source française, il ne peut y avoir taxation de revenus d'origine indéterminée que si l'administration a réuni des indices sérieux laissant penser que l'intéressé a pu disposer de revenus de source française plus importants que ceux qu'il a déclarés. Or, dans l'affaire M. et Mme S., le ministre n'a produit aucun élément de nature à établir que les sommes en litige pouvaient se rattacher à des revenus de source française acquis préalablement au transfert de leur domicile fiscal en France et que M. et Mme S. n'avaient pas déclarés à tort. Le Conseil d'Etat, sur ce point, reprend à son compte dans son arrêt du 1er juillet 2010, le raisonnement qu'il avait retenu dans son arrêt du 4 décembre 1985 (CE, 4 décembre 1985, n° 43383 N° Lexbase : A3065AMH).

La lutte contre le blanchiment trouve, avec l'arrêt du 1er juillet 2010, une limite dans la détermination de ses modalités de mise en oeuvre et dans ses effets ; la présomption de revenus imposables de l'article 1649 quater A du CGI ne peut être mise en oeuvre que dans le respect des règles de détermination du revenu imposable s'agissant, notamment, de non-résident. Il appartient alors à l'administration, lorsqu'elle met en oeuvre les dispositions de l'article 1649 quater A du CGI, d'apporter la preuve de l'existence d'indices sérieux établissant que l'intéressé a pu disposer de revenus de source française plus important que ceux qu'il a déclarés.

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Magistrats

[Jurisprudence] L'accroissement de la sévérité du contrôle de l'activité professionnelle des magistrats

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 30 juin 2010, n° 325319, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6043E39)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 03 Mars 2011

L'institution judiciaire est, aujourd'hui, sujette à polémiques. On l'accuse, notamment, de ne pas savoir gérer ses dérives. La révélation de faits ou de comportements isolés, commis par une infime minorité de certains de ses représentants sont apparus susceptibles de constituer de graves manquements aux devoirs de leurs charges. Pourtant, le corps de la magistrature est sain dans son ensemble et il faut resituer le débat dans sa réalité chiffrée, qui est extrêmement modeste, même si elle est dévastatrice à la vue de certains comportements. De même, les enquêtes disciplinaires sont plus nombreuses qu'auparavant et la justice des magistrats répugne un peu moins à sanctionner ses "brebis galeuses". Elle fait également preuve d'un peu plus de transparence. Depuis déjà un certain nombre d'années, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) publie ses décisions dans chacun de ses rapports d'activité annuels sans compter le fait que les audiences de ce même CSM sont publiques depuis 2001 (1). Pour autant, il existe une impression persistante de caste intouchable. La loi organique du 5 mars 2007 (2) a, certes, confié au CSM, le soin d'établir, pour la première fois en France, un Recueil des obligations déontologiques des magistrats (3), mais ce même conseil refuse toujours un code fixant une liste de devoirs, comme il en existe désormais dans la police (4) ou pour les avocats (5), le CSM entendant, par la même, s'affirmer comme la seule autorité légitime pour apprécier le comportement des juges. Les magistrats restent peu sanctionnés (6). L'information remonte difficilement dans les juridictions, il y a toujours une certaine propension à étouffer des affaires pour préserver l'image d'un tribunal. La solidarité entre juges joue aussi normalement s'agissant avant tout de drames humains, parfois même de désarroi ponctuel.

Il n'est pas toujours aisé, à ce sujet, de déterminer quelle attitude adopter à l'égard des magistrats dont le comportement est affecté par une maladie, comportement qui tout à la fois génère des difficultés relationnelles, perturbe le fonctionnement du service et nuit à l'image de l'institution judiciaire. Trop souvent, les mesures prises dans les juridictions apparaissent insuffisantes ou inadéquates : simples rappels à l'ordre, mise à contribution des collègues pour traiter les dossiers en retard de l'intéressé, changement d'affectation au sein de la juridiction, souvent dans des formations pénales collégiales, mutation dans une autre juridiction, ce qui déplace le problème sans le résoudre et risque de faire subir au magistrat un deuxième échec. Par-delà ces exemples, a été assez souvent dénoncée l'absence d'une véritable politique de gestion des ressources humaines dans la Justice. Certains ont également évoqué une grande tolérance interne : "tout le monde sait, personne ne dit rien". On répugne à dénoncer un collègue à la hiérarchie. Il n'est pas non plus facile de l'alerter, de l'aider afin d'éviter que les choses empirent.

De ce fait, lorsque les magistrats sont sanctionnés par leurs pairs, ils sont très rarement révoqués, on comptabilise peu de révocations ou de mises à la retraite d'office, le CSM prononçant des interdictions d'exercer essentiellement lorsqu'il y a des peines au pénal, et encore, ceci n'étant pas systématique. La plupart du temps, les fautes commises sont sanctionnées par une mutation d'office, accompagnée ou non d'un abaissement d'échelon (7). En tout les cas, un manquement professionnel ne peut en toute logique justifier pareille sanction. Du moins en tout logique.

Selon les faits de l'espèce, depuis le 8 novembre 2006, une magistrate du Siège, conseillère à la cour d'appel de Nîmes, a, dans l'exercice de ces fonctions, montré des insuffisances récurrentes manifestées par son absence injustifiée à de nombreuses audiences auxquelles elle devait siéger, par la restitution systématique au président de chambre des dossiers dont elle avait la charge alors qu'aucun travail de rédaction n'avait été accompli durant cette période à l'exception de trois brefs arrêts. Il ressort du dossier administratif de l'intéressée que, malgré les mises en garde réitérées de sa hiérarchie, celle-ci ne s'est pas souciée des conséquences subies par les personnes soumises à ces décisions dans un contentieux familial généralement sensible et urgent.

L'inertie de la magistrate ayant entraîné un ralentissement de l'activité juridictionnelle de la chambre à laquelle elle était affectée, entraînant une situation préjudiciable à l'équilibre de la juridiction, celle-ci a fait l'objet d'une enquête disciplinaire puis d'une convocation devant le CSM. La magistrate ne s'est pas présentée à l'audience du 26 novembre 2008, ni personne pour elle. Le CSM a rejeté sa demande de report d'audience dans la mesure où, ayant disposé de l'entier dossier dans un délai raisonnable lui permettant d'organiser sa défense en vue de sa comparution devant le conseil, les circonstances invoquées sont insuffisantes pour justifier sa non comparution et ne peuvent être regardées comme constituant un cas de force majeure, seul motif de nature à interdire au CSM, de statuer en son absence (8).

Pour le CSM, dans sa décision en date du 17 décembre 2008, l'attitude de la magistrate traduit une carence professionnelle manifeste, un mépris du justiciable et une méconnaissance de ses responsabilités. Un tel comportement jette un discrédit sur la juridiction à laquelle elle appartient et se caractérise ainsi comme un manquement au devoir de son état de magistrat. Dans son audition par le rapporteur comme dans son mémoire en défense, la magistrate avait invoqué l'altération de son état de santé, argument non retenu par le CSM eu égard à la validation de l'activité à plein temps par le Comité médical supérieur le 8 juin 2006. En raison de l'absence de modification de la situation, son état de santé n'étant plus de nature à justifier la gravité ni la persistance des défaillances constatées. Ne s'étant, au surplus pas présentée à l'entretien d'évaluation de son chef de cour et ayant refusé de rendre compte de son activité, l'ensemble des manquements est considérée par le conseil comme constitutif d'une violation de ses obligations statutaires et de ses devoirs de dignité et de délicatesse, tant à l'égard de son supérieur hiérarchique que de ses collègues qui ont du suppléer ses carences dans l'exercice de ses fonctions.

C'est la persistance et la gravité des fautes commises qui justifie alors que soit prononcée à l'encontre de la magistrate la sanction de mise à la retraite d'office ce que confirme le Conseil d'Etat dans la décision d'espèce commentée, le CSM n'ayant pas commis d'erreur de droit en passant outre la demande de report d'audience et n'ayant pas inexactement qualifié les faits de l'époque. Ces faits constituant bien des violations par la magistrate de ses obligations statutaires et de ses devoirs de dignité et de délicatesse.

Il ressort de la décision prise par le Conseil d'Etat que l'indépendance des magistrats ne va pas sans contrepartie. Si leur rôle spécifique dans notre Etat de droit et les pouvoirs qui en découlent, supposent que des droits singuliers leur soient reconnus et que des moyens adaptés garantissent un bon fonctionnement du service public de la justice, ils justifient aussi des exigences particulières. S'ils usent de leurs pouvoirs pour juger la moralité des hommes politiques, ils doivent pouvoir justifier eux-mêmes de leur éthique devant le peuple qui leur a délégué la fonction de juger. De la sorte, si le juge disciplinaire n'a pas à apprécier la démarche intellectuelle du magistrat (9), il peut se prononcer sur des carences professionnelles démontrant une activité insuffisante, un manque de rigueur caractérisé, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne. La décision d'espèce témoigne, à cet égard, d'une sévérité accrue dans le contrôle de l'activité professionnelle des magistrats, les manquements professionnels étant susceptibles de faire l'objet de sanctions disciplinaires pouvant aller, comme en l'espèce, jusqu'à la mise en retraite d'office.

Ordinairement, le CSM sanctionnait plutôt des comportements personnels problématiques des magistrats, comme l'alcoolisme à l'audience ou la corruption. Les méthodes de travail n'étaient pas punies, car il était considéré qu'elles relevaient des instances proprement judiciaires pouvant être saisies en cours d'enquête, chambres de l'instruction et Cour de cassation. Le contrôle du travail des juges devient en ce sens plus strict (I). Le contrôle normal, depuis peu pratiqué par le juge administratif en matière de discipline des magistrats du Parquet, aurait pu, en contrepartie, amené à un contrôle plus poussé du Conseil d'Etat des sanctions disciplinaires prononcées par le CSM à l'encontre des magistrats du Siège, notamment quant à la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute commise. Mais si un tel contrôle est, désormais, pratiqué auprès des magistrats du Parquet, il ne l'est toujours pas concernant les magistrats du Siège, le contrôle demeurant, comme en l'espèce, toujours un contrôle restreint (II).

I - Un contrôle plus strict du travail des magistrats

Il y a immanquablement, aujourd'hui, une tendance qui se dégage de l'analyse des sanctions disciplinaires prises à l'égard des magistrats, c'est cette tendance à augmenter le domaine des manquements professionnels propre à l'activité de tous les jours du magistrat pouvant donner lieu à sanction disciplinaire (A). Tendance qui s'accompagne d'une volonté de sanctionner encore plus sévèrement ces manquements alors qu'à l'origine il ne donnait lieu à aucune sanction disciplinaire voire qu'aux sanctions les plus modestes (B).

A - L'augmentation de l'exigence du niveau d'activité professionnelle suffisant

Quelle que soit sa fonction, tout magistrat est tenu aux devoirs liés à cet état qui lui imposent, en toutes hypothèses, de ne pas commettre de manquement professionnel, lui interdisent une conception personnelle de ses fonctions et lui commandent d'être impartial. Concernant l'insuffisance professionnelle, dans son rapport d'activité pour l'année 2000 (10), le CSM observe que celle-ci ne donne pas plus souvent matière à poursuites disciplinaires aujourd'hui qu'autrefois, mais qu'elle est, depuis quelque temps, plus souvent retenue pour qualifier des manquements professionnels qui, jadis, recevaient des dénominations différentes (absentéisme, carences, négligences...). L'instance disciplinaire précise que tout manquement professionnel avéré ne suffit pas à caractériser une faute disciplinaire et que, pour revêtir un caractère disciplinaire, ces manquements doivent être répétés et ne pas apparaître véniels, l'absence de mise en garde préalable par les supérieurs hiérarchiques du magistrat défaillant n'étant pas aussi sans influence sur le caractère disciplinaire, ou non, des conséquences constatées comme cela a pu être relevé en l'espèce.

Le CSM souligne qu'au fil du temps, l'exigence d'un niveau d'activité professionnelle suffisant devient plus forte et que le seuil au-delà duquel l'insuffisance professionnelle n'est plus tolérée s'abaisse. Il estime que cette évolution accompagne des exigences nouvelles envers une justice qui doit être rendue dans des délais raisonnables, de manière équitable et impartiale et qu'elle est aussi le fruit de l'élévation du niveau d'exigence des justiciables au sujet des devoirs professionnels des magistrats.

On peut citer, à titre d'exemples et en se référant aux considérants de l'arrêt d'espèce, des cas identiques d'insuffisances professionnelles ainsi sanctionnées. C'est le cas notamment des retards apportés dans le traitement d'affaires pénales ayant entraîné la prescription de l'action publique, faisant ainsi obstacle au cours normal de la justice (11). Ont de même été sanctionnés, le fait pour un juge du Siège de s'absenter sans autorisation en écrivant au président du tribunal qu'il agissait en toute conscience des sanctions à venir, provoquant ainsi volontairement une épreuve de force au prétexte du caractère "impératif" d'un voyage à l'étranger dénué de toute connotation professionnelle (12) ou le fait pour un juge des tutelles de laisser sans la moindre réponse, parfois durant plusieurs mois, des demandes insistantes et réitérées de rendez-vous, de convocation du conseil de famille ou de décision dans des situations d'urgence (13). Dans le traitement de l'affaire dite des "disparues de l'Yonne", la passivité, la légèreté, le défaut de diligence et le manque de discernement de certains magistrats du Parquet (14). Enfin, on peut encore citer le refus d'un magistrat du Parquet d'assurer la permanence hiérarchique ainsi que le service des audiences au cours de la période estivale de service allégé (15). La décision d'espèce s'inscrit dans cette dynamique d'augmentation du degré d'exigence attaché à l'activité professionnelle d'un magistrat.

Au fil des décisions et avis du CSM qui viennent d'être cités, on peut relever que l'instance disciplinaire prend effectivement le soin de vérifier dans quelle mesure l'altération de l'état de santé du magistrat ou l'importance de son service peuvent justifier, en tout ou en partie, les manquements constatés. Il a pris soin de le vérifier, en l'espèce, mais n'a pas jugé l'altération suffisante à justifier les manquements constatés. Enfin et comme le relève toujours le CSM, l'élargissement de la notion d'insuffisance professionnelle auquel mènent ces évolutions devra toutefois conduire à apprécier finement la part prise par l'insuffisance professionnelle du magistrat en cause dans le dysfonctionnement constaté par rapport au rôle qu'a pu éventuellement jouer la mauvaise organisation du service dont ce magistrat n'avait pas la charge. Critiquée de toutes parts, la simple "réprimande avec inscription au dossier" adressée au magistrat Fabrice B., dans l'affaire de pédophilie d'Outreau (16) témoigne de cette appréciation fine de la part prise par l'insuffisance professionnelle du magistrat. Ce sont au total 64 magistrats qui avaient participé à l'élaboration du dossier "Outreau". Le juge d'instruction n'était pas la cellule centrale, mais juste la cellule de base (17).

B - L'augmentation du degré de sévérité de la sanction disciplinaire rattaché au manquement professionnel

On a souvent pu faire observer que les sanctions du CSM pouvaient être faibles, sinon symboliques, ce qui faisait dire à certains observateurs que le comportement du conseil de discipline était avant tout un comportement corporatiste. La décision commentée du Conseil d'Etat montre, à l'inverse, que les sanctions peuvent être exemplaires. Point d'orgue de la critique du corporatisme, la décision du 24 avril 2009 concernant le juge d'instruction B.ayant instruit l'affaire de pédophilie d'Outreau précitée dans laquelle le CSM avait infligé au magistrat une simple réprimande avec inscription à son dossier, alors qu'une exclusion temporaire d'une durée maximale d'un an avait notamment été souhaitée par le ministère de la Justice. La décision avait, pourtant, décrit avec une remarquable précision la masse des fautes commises par le juge, celles -ci ne s'analysant pas en quelques manquements isolés. Si l'instance a été visiblement gênée par le cas de l'ancien juge d'instruction, puisqu'elle avait différé d'un mois sa décision, elle a néanmoins souligné, d'une part, la gravité d'un certain nombre de fautes, et d'autre part établit suffisamment leur nombre et leur répétition (18).

L'examen des auditions des mineurs a, d'abord, révéler, de la part du juge d'instruction, d'incontestables négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire. Le juge d'instruction n'a pas relevé, ni approfondi, au cours de ces auditions ou postérieurement, des contradictions flagrantes dans les déclarations de ces mineurs, alors qu'il disposait des éléments lui permettant de le faire, se contentant d'accumuler les déclarations, sans y apporter une quelconque approche critique. Un manque de méthode a, en outre, été souligné de la part du magistrat instructeur constaté, tant dans le traitement de nombreuse dénonciations que dans la conduite des investigations, interrogatoires et confrontation. Les quelques vérifications nécessaires ont ainsi, parfois, été omises, abandonnées ou tardivement engagées. Enfin, certains faits avaient été présentés comme acquis alors qu'ils ne résultent que de déclarations de victimes ou de mis en cause.

Ce constat sévère n'a pourtant débouché que sur une sanction minimale car le CSM a relevé aussi beaucoup d'éléments à décharge du juge, qui instruisait notamment des dizaines d'autres dossiers en parallèle et manquait de moyens matériels et qui n'avait pas violé la loi, ni les droits de la défense. Surtout, 90 % des fautes étaient couvertes par la loi d'amnistie du 6 août 2002 (19). Les fautes disciplinaires commises avant le 17 mai 2002 étant amnistiées sauf si elles constituent des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Mis à part ce cas particulier, il semble que la tendance soit plutôt à augmenter le degré de sévérité de la sanction disciplinaire corrélativement aux manquements professionnels touchant la profession de magistrat. On peut citer, par exemple, la décision par laquelle le doyen des juges d'instruction du Mans a été mis à la retraite d'office par le CSM (20). Ce juge de 56 ans avait délaissé, entre 1998 et 2007, des dizaines de dossiers à son cabinet, tout en le dissimulant à sa hiérarchie. Le CSM a jugé que le magistrat avait mis en place "un système de dissimulation et de falsification destiné à masquer l'ampleur de ses carences" (21).

On peut citer, encore, une affaire où on peut juger la sanction assez sévère. Une juge d'instruction parisienne ayant, ainsi, été poursuivie pour des propos indélicats à sa hiérarchie, un manque de rigueur de diligence et de responsabilités, le CSM lui a retiré ses fonctions, mesure assortie d'un déplacement d'office (22). La magistrate se voyait reprocher une série de griefs, comme le refus de faire droit au contrôle de la chambre de l'instruction sur son activité de magistrat instructeur, et des retards accumulés dans la rédaction de jugement lorsqu'elle présidait des audiences à juge unique. Un incident avec le président du tribunal et une altercation avec des gendarmes du palais de Justice de Paris qui n'exécutaient pas assez vite, selon la magistrate, une tâche qu'elle leur avait confié, avait également été mis en avant.

II - Un contrôle toujours aussi restreint des sanctions disciplinaires prises à l'encontre des magistrats du Siège

La sanction disciplinaire prise par le CSM, en l'espèce, peut paraître à bien des égards un peu excessive corrélativement à des manquements professionnels, mais le Conseil de discipline reste maître de la déontologie des magistrats (A) d'autant plus qu'en la matière, le recours contre les décisions de sanctions disciplinaires prises à l'encontre des magistrats du Siège s'exerce devant le Conseil d'Etat par le moyen d'un recours en cassation et non d'un recours pour excès de pouvoir ce qui limite le contrôle du juge (B).

A - Un conseil de discipline maître de la déontologie des magistrats

Juridiquement, c'est le CSM, dans l'exercice de sa fonction disciplinaire, et non le Conseil d'Etat, qui dessine, au cas par cas et en creux, le tracé de la frontière entre les bonnes et les mauvaises pratiques professionnelles et rédige au fil des espèces une sorte de Code de déontologie des magistrats. Comme peut le noter David Dokhan, "le juge administratif est moins le censeur des sanctions disciplinaires proposées ou prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature qu'un gardien des règles déontologiques intervenant en dernier ressort et garantissant en toute fin de contentieux disciplinaire que la sanction était légalement justifiée sur le fond et légalement prononcée dans la forme" (23).

Deux préoccupations semblent ressortir de cette casuistique de la déontologie mise en place par le CSM : rappeler aux magistrats qu'ils doivent avoir le sens de leurs responsabilités et la conscience de leurs devoirs, dans le but de préserver leur dignité et de légitimer leur action (24). Autrement dit, les devoirs des magistrats tendent à préserver le crédit de la justice et son effectivité. Par delà la généralité de ces termes, se retrouvent les exigences de probité, de dignité, d'honneur, de confraternité, de désintéressement et de compétences, propres à tous les codes de déontologie formels, exigences tournées autant vers les autres membres de la profession que vers les usagers du service public de la justice.

Contrairement au statut général de la fonction publique, le statut des magistrats comporte une définition de la faute disciplinaire -certes approximative- mais qui rend parfaitement compte de la symbiose entre la déontologie professionnelle et l'éthique des magistrats (25). Il faut appréhender la dignité au sens de "l'éthique judiciaire" par le renvoi au respect que l'on doit à la fonction de magistrat. Par conséquent, elle a trait à l'image que la Justice et ceux qui la servent doivent offrir au regard des justiciables et entraîne l'interdiction formelle de tout comportement qui lui porte atteinte. Cette définition purement fonctionnelle de la dignité est emblématique de ce que l'on peut appeler la tyrannie des apparences. Mis en avant, notamment par le juge européen, elle semble être dorénavant davantage prise en compte par les juges disciplinaires ce qui peut amener, à certains égards, à des sanctions qui apparaissent disproportionnées. Mais l'éthique ne renvoie pas seulement à la conscience du magistrat mais elle doit être entendue aussi comme une morale professionnelle, qui génère des obligations qui peuvent être qualifiées de "permanentes". L'éthique inclut par conséquent la déontologie professionnelle et à la différence de la morale qui impose des impératifs à la conscience de chaque individu, l'éthique est davantage une recherche permanente de ce qui est estimé bon dans une pratique professionnelle.

B - Un juge administratif qui pourrait développer son contrôle

L'adéquation de la sanction disciplinaire infligée à un agent public fautif ne fait, en principe, l'objet que d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation de la part du juge administratif. Depuis l'arrêt "Lebon" (26), le juge administratif opère ainsi ce que l'on nomme usuellement un contrôle restreint, vérifiant, suivant les termes particulièrement expressifs d'un arrêt récent "Touzard", que la sanction "n'est pas manifestement disproportionnée" (27). Mais cette règle connaît désormais une exception, le Conseil d'Etat ayant opéré un contrôle plus exigeant dans une espèce où était en cause un magistrat du Parquet (28). Le Conseil d'Etat y affirmait que la sanction n'était pas disproportionnée, exerçant ainsi un contrôle entier sur l'adéquation de la sanction prononcée aux fautes de l'intéressé. On peut penser que, l'arrêt émanant de deux sous-sections réunies et la solution "Touzard ", quant à elle, étant adoptée en section il y a tout juste trois ans, que l'arrêt "Pierre H." constitue uniquement une exception ponctuelle au contrôle restreint et non l'annonce d'un abandon, au moins à brève échéance, de la jurisprudence "Lebon". De même, il peut être difficile d'étendre la solution consacrée à propos d'un magistrat du Parquet à un magistrat du Siège, puisque ces derniers sont sanctionnés non pas par le Garde des Sceaux mais par le Conseil supérieur de la magistrature, (Constitution, art. 65 N° Lexbase : L0894AHL) statuant alors en qualité de juridiction administrative spécialisée (29) et qu'ils bénéficient d'un recours en cassation et non d'un recours pour excès de pouvoir.

Pour autant, et comme a pu le souligner le commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar, il n'y a pas que les motifs qui condamnent la jurisprudence "Touzard" qui doivent être pris en compte, il faut aussi tenir compte de la situation spécifique des magistrats. Le respect du principe d'indépendance des magistrats appelle, en effet, en matière disciplinaire, un contrôle approfondi, c'est "la nécessaire conciliation entre le principe d'indépendance et l'exercice de la répression disciplinaire qui appelle la garantie appropriée que constitue le passage, dans le contentieux de l'excès de pouvoir, à un entier contrôle de la qualification juridique des faits non seulement sur le principe mais aussi sur le choix de la sanction" (30). De plus, si les magistrats du Siège et les magistrats du Parquet ne sont pas placés dans la même situation, ils doivent, en vertu du principe d'unicité de l'autorité judiciaire, pouvoir bénéficier des mêmes garanties que la décision soit prise par une autorité administrative ou par une juridiction administrative spécialisée. C'est ce qui doit prédominer selon le juge européen au-delà de la distinction entre type de recours (recours en cassation ou recours pour excès de pouvoir). La garantie apportée par l'intervention du juge administratif ne peut être assurée que par l'existence d'un contrôle de pleine juridiction ou, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir ou d'un recours en cassation, par l'existence d'un entier contrôle sur le pouvoir de sanction ce qui comprend l'appréciation des éléments de fait y compris en ce qui concerne l'adéquation entre la faute et la sanction.


(1) Loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001, relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature (N° Lexbase : L1810AT9).
(2) Loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007, relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats (N° Lexbase : L5926HUZ).
(3) Cette publication, décidée par le Parlement, a pour objectif de rendre transparentes les conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire exerce les pouvoirs qui lui sont impartis par la Constitution afin de renforcer la confiance du public dans les décisions des magistrats rendues au nom du peuple français. Les conduites résultant des exigences éthiques de la fonction de magistrat sont décrites, dans le Recueil, de manière concrète, en fonction des situations institutionnelles, fonctionnelles et personnelles dans lesquelles il peut se trouver. Il vise à constituer un guide pour les magistrats du Siège et du Parquet et non un code de discipline dès lors que seuls les manquements aux obligations statutaires peuvent déclencher des poursuites disciplinaires et être, le cas échéant, sanctionnés par le Conseil supérieur de la magistrature.
(4) En France, la police nationale est soumise à un Code de déontologie, depuis un décret n° 86-592 du 18 mars 1986, portant Code de déontologie de la police nationale (N° Lexbase : L1153G89). Un exemplaire de celui-ci est remis à chaque fonctionnaire durant sa formation initiale. Ce code subordonne l'exercice des missions de police au respect absolu de la légalité.
(5) Un Règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) a été mis en place, après bien des vicissitudes. Il a valeur réglementaire et a été publié au Journal officiel : décision du 12 juillet 2007, portant adoption du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat . Il constitue le socle de la déontologie commune des avocats et intègre également le Code de déontologie des avocats européens.
(6) Moins en tout cas que d'autres corps de professions comme les avocats ou les policiers par exemple.
(7) Entre 1988 et 2003, on a enregistré 37 déplacements d'office et 4 abaissements d'échelon. Par exemple, pour ne citer que certaines des affaires les plus médiatiques, un magistrat, accusé d'avoir photographié des jeunes filles dénudées dans la salle d'audience du tribunal de grande instance de Grenoble a simplement été contraint de changer de palais de justice (affaire "Carle", février 2002). En décembre 2001, le CSM refuse de sanctionner la juge d'instruction Marie-Paule M., qui était suspectée d'avoir laissé "un dossier en déshérence durant cinq années" le dossier concernant l'Eglise de scientologie, qualifiée, en France, de secte. En janvier 2002 le CSM inflige une "réprimande avec inscription au dossier" au doyen des juges d'instruction de Nice, M. Jean-Paul R., reconnu coupable d'avoir "communiqué à des responsables de la GLNF (obédience maçonnique, Grande loge nationale de France) des renseignements sur une procédure pénale jugée" et d'avoir, toujours au profit de la GLNF, établit "un relevé intégral des fiches de casier judiciaire, appelé bulletin n° 1, qui n'est délivré qu'aux autorités judiciaires". Bien que ces faits soient qualifiés, et que le CSM constate que le juge R. a "frauduleusement utilisé les pouvoirs qu'il tenait de ses fonctions à des fins privées étrangères à ses missions", la sanction est la sanction minimale.
(8) La magistrate avait formulé le 24 novembre 2008 une demande de report d'audience reçu au tribunal par télécopie le 25 novembre 2008 dans laquelle elle indiquait en soutien avoir constitué tardivement avocat et être dans un état d'extrême faiblesse à l'appui duquel elle joignait un certificat médical du 24 novembre 2008 lui prescrivant une simple mise au repos de trois jours en raison d'un syndrome "anxio-dépressif ".
(9) En vertu de l'indépendance des magistrats du Siège garantie par la Constitution, leurs décisions juridictionnelles ne peuvent être critiquées, dans les motifs et dans le dispositif qu'elles comportent, que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi.
(10) Rapport annuel d'activité du Conseil supérieur de la magistrature 2000, La documentation française, 2001, p. 100 et suiv..
(11) CSM Siège, 9 juillet 1993 ; CSM Parquet, 24 avril 1997.
(12) CSM, 6 novembre 1996.
(13) CSM, 17 février 2000.
(14) CSM, 22 mars 2002.
(15) CSM, 16 juillet 2004.
(16) Fabrice B. était poursuivi pour ses manquements supposés dans la conduite de "l'affaire d'Outreau", lorsqu'il était juge d'instruction au tribunal de Boulogne -sur-Mer. Au terme de deux procès, 13 des 17 accusés ont été acquittés des accusations de viols sur mineurs, certains d'entre eux ayant passé près de trois ans en détention provisoire. Le seul autre magistrat à avoir été poursuivi dans cette affaire est le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Gérald L.. La formation disciplinaire du CSM pour les magistrats du Parquet n'avait demandé aucune sanction. Il a été depuis muté à Caen (Calvados)
(17) Il travaillait avec, d'un côté, les services de police et de gendarmerie qui faisaient tout le travail de terrain, de l'autre, le Parquet qui était responsable des poursuites et requérait ce qu'il était opportun de faire pour la procédure, à coté toujours, le juge des libertés et de la détention qui avait seul compétence pour la détention provisoire, et au dessus la chambre d'instruction, formation de la cour d'appel, saisie à maintes reprises soit contre les décisions du juge d'instruction, s'agissant de la conduite de la procédure, soit contre les décisions du juge de la détention et de la liberté s'agissant de la détention provisoire.
(18) Attendu que l'acte de saisine précise que chacune des insuffisances professionnelles ne saurait, en soi, constituer une faute disciplinaire, mais que leur accumulation tout au long de la procédure, peut, néanmoins, être considérée comme traduisant une conscience insuffisante de ses obligations par le magistrat, pouvant difficilement s'expliquer par la seule inexpérience.
(19) Loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, portant amnistie (N° Lexbase : L5165A43).
(20) CSM, 21 juillet 2009.
(21) Didier L. n'a jamais nié ses fautes. Il a reconnu que, dans les rapports d'activité envoyés périodiquement à sa hiérarchie, il mentionnait des actes d'enquête qu'il sollicitait lui-même sans vérifier ensuite leur exécution, faut de temps.
(22) CSM, 16 avril 2010.
(23) D. Dokham, Le Conseil d'Etat, garant de la déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire, RFDA, 2002, p. 768.
(24) CSM, 24 mars 1994.
(25) L'article 43 du statut définit la faute disciplinaire comme "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité".
(26) CE, sect., 9 juin 1978, n° 5911 (N° Lexbase : A2843AI7), Rec. CE, p. 245 ; AJDA, 1978, p. 573, concl. B. Genevois.
(27) CE, sect., 1er février 2006, n° 271676 (N° Lexbase : A6404DM7), Rec. CE, p. 38.
(28) CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2009, n° 310493 (N° Lexbase : A3389EHY), DA, 2009, n° 7, juillet, comm. 104, F. Melleray ; cf. nos obs., La consécration de l'exercice d'un contrôle normal du juge administratif sur le choix de la sanction infligée à un magistrat du Parquet, Lexbase Hebdo n° 8 - édition professions (N° Lexbase : N3768BMI).
(29) CE, ass., 12 juillet 1969, n° 72480 (N° Lexbase : A8787B7L), Rec. CE, 1969, p. 388.
(30) Conclusions M. Guyomar sous CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2009, n° 310493 (N° Lexbase : A3389EHY), Gaz. Pal., 23 juin 2009, n° 174 p. 8.

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Licenciement

[Jurisprudence] Montant de l'indemnité "forfaitaire" allouée aux salariés protégés illégalement licenciés : enfin des éclaircissements ?

Réf. : Cass. soc., 1er juin 2010, n° 09-41.507, FS-P+B (N° Lexbase : A2239EYL)

Lecture: 9 min

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Si la qualification de "salarié protégé" est traditionnellement associée à celle de représentants du personnel, il est bien d'autres salariés qui entrent dans cette catégorie. Il en va par exemple ainsi des administrateurs de mutuelle dont il était question dans l'arrêt rendu le 1er juin 2010. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans cette décision, lorsque un salarié investi d'un tel mandat est licencié sans autorisation administrative, il peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois. Au-delà du cas particulier de l'administrateur de mutuelle, cet arrêt paraît devoir retenir l'attention en ce qu'il semble annoncer la solution qui devrait prévaloir pour les représentants élus du personnel illégalement licenciés.
Résumé

Selon l'article L. 114-24 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6306HWH), le licenciement d'un salarié exerçant un mandat d'administrateur de mutuelle ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT). Il en résulte que l'administrateur de mutuelle, élu pour un mandat à durée déterminée, licencié sans autorisation administrative, peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois.

I - La protection du salarié administrateur de mutuelle

Problématique et solution. Depuis la recodification, l'article L. 2411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3230IML) livre la liste des salariés qui, en raison du mandat qu'ils exercent, bénéficient du statut protecteur contre le licenciement. Est notamment visé le membre du conseil d'administration d'une mutuelle, union ou fédération mentionné à l'article L. 114-24 du Code de la mutualité (C. trav., art. L. 2411-1, 14°). L'administrateur de mutuelle est donc un salarié protégé (1), dont le licenciement doit être autorisé par l'inspecteur du travail.

En l'espèce, une salariée réélue le 27 juin 2006 pour une durée de six ans en qualité d'administrateur d'une mutuelle, avait précisément été licenciée sans autorisation administrative par lettre du 14 mars 2007. Elle avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une indemnité pour violation du statut protecteur à hauteur de quatre ans et six mois de salaires, en se prévalant de la durée d'indemnisation des représentants élus du personnel irrégulièrement licencié.

Pour limiter le montant de l'indemnité allouée à la salariée pour violation du statut protecteur à un an de salaire, l'arrêt attaqué avait retenu que l'intéressée ne pouvait pas se prévaloir de la similitude existant entre le statut d'administrateur de sécurité sociale et celui d'administrateur de mutuelle pour réclamer une indemnité correspondant à la limite de la durée de protection des représentants du personnel (soit quatre ans), à laquelle s'ajoute la période de protection supplémentaire de six mois, dès lors que les dispositions de l'article L. 114-24 du Code de la mutualité renvoient clairement aux dispositions de l'article L. 412-18 du Code du travail, dans leur ancienne rédaction, lesquelles visent exclusivement la situation des délégués syndicaux.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 114-24 du Code de mutualité et L. 412-12 du Code du travail alors en vigueur. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "selon l'article L. 114-24 du Code de la mutualité, le licenciement d'un salarié exerçant un mandat d'administrateur de mutuelle ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail. Il en résulte que l'administrateur de mutuelle, élu pour un mandat à durée déterminée, licencié sans autorisation administrative, peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois".

Appréciation de la solution. A l'évidence le litige ne portait pas sur l'application du statut protecteur à la salariée, ni sur l'illicéité de son licenciement, mais sur les conséquences indemnitaires de celui-ci. On se bornera ici à rappeler que le salarié illégalement licencié, qui ne demande pas sa réintégration, a le droit d'obtenir :

- au titre de la méconnaissance du statut protecteur, une indemnité d'un montant égal à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et la fin de la période de protection ;

- les indemnités de rupture (indemnités compensatrices de préavis et de licenciement) ;

- une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L) (non inférieure aux salaires des six deniers mois) (2).

En l'espèce, c'est le montant de la première de ces indemnités qui faisait problème. Alors que la salariée demandait le paiement de quatre ans et six mois de salaires, les juges du fond avaient limité le montant de l'indemnité allouée à un an de salaire. Cette solution peut se justifier (3). Ainsi que le précise en effet l'article L. 2411-19 du Code du travail (N° Lexbase : L0165H9Y), "la procédure d'autorisation de licenciement et les périodes et durées de protection du salarié membre du conseil d'administration d'une mutuelle [...] sont prévues à l'article L. 114-24 du Code de la mutualité". Selon l'alinéa 5 de ce dernier texte, "le licenciement par l'employeur d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail". Devenue l'article L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D) postérieurement à la recodification, cette disposition vise les seuls délégués syndicaux. Or, on se souvient qu'à leur égard, la Cour de cassation a fait le choix de plafonner le montant de l'indemnité précitée à douze mois de salaire (4).

Par voie de conséquence, et ainsi qu'il a été souligné, "aucun fondement textuel ne permet de faire bénéficier les salariés chargés d'un mandat d'administrateur de mutuelle de la protection offerte aux représentants du personnel élus ce qui explique que, pour la cour d'appel, la salariée ne pouvait prétendre à une indemnisation équivalente à 4 années de salaire et six mois supplémentaires courant à compter de l'expiration du mandat" (5). Si cette assertion nous paraît recevable, il reste contestable de vouloir limiter l'indemnité à douze mois de salaire. Sans doute l'article L. 114-24 du Code de la mutualité renvoie-t-il à un texte relatif aux délégués syndicaux. Mais, il se borne à viser "la procédure prévue à l'article L. 412-18", c'est-à-dire l'exigence d'une autorisation préalable de licenciement donnée par l'inspecteur du travail. Déduire de cela des conséquences sur l'indemnisation du salarié illégalement licencié paraît excessif. Cela est d'autant plus vrai que la solution précitée s'explique par le fait que le délégué syndical est titulaire d'un mandat à durée indéterminée (6), ce qui n'est nullement le cas de l'administrateur de mutuelle, dont la Cour de cassation relève à juste titre qu'il est élu pour un mandat à durée déterminée. On en vient par la suite à considérer que ce dernier est plus proche d'un délégué du personnel ou d'un représentant élu au comité d'entreprise, dont le mandat est également à durée déterminée (7). La censure de la Cour de cassation nous paraît dès lors justifiée. On doit, en revanche, s'interroger sur le montant de l'indemnité forfaitaire tel qu'il est fixé par la Cour de cassation dans le présent arrêt.

II - Le montant de l'indemnité forfaire

La solution retenue. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, si l'administrateur d'une mutuelle illégalement licencié est en droit de prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat, celle-ci est limitée à deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois.

Cette solution est troublante à deux égards. Tout d'abord, on peut trouver curieux que la Cour de cassation renvoie au mandat des représentants élus du personnel. Sans doute, ainsi qu'il a été relevé précédemment, ces derniers ont en commun avec l'administrateur de mutuelle d'être élus pour une durée déterminée. Mais l'analogie s'arrête là. Tandis que les premiers sont élus pour quatre ans, le second l'avait été en l'espèce pour six années. Par voie de conséquence, on pouvait concevoir que le montant de l'indemnité due à la salariée soit borné par cette durée et elle seule.

Ensuite, on s'explique mal que l'assimilation aux représentants élus du personnel conduise à limiter le montant de l'indemnité à la durée minimale légale du mandat, augmentée de six mois. Il faut ici rappeler que la loi permet à un accord collectif de fixer, de manière dérogatoire, une durée du mandat des délégués du personnel ou des représentants élus au comité d'entreprise comprise entre deux et quatre ans (8). Les six mois supplémentaires correspondent quant à eux à la durée de la protection postérieurement à la cessation des fonctions. Mais, et on y revient, en application de la loi ces représentants du personnel sont élus pour quatre ans.

Comment, par voie de conséquence, expliquer la double limitation du montant de l'indemnité forfaire à laquelle procède la Cour de cassation. On peinera à trouver un fondement juridique à cela. La raison doit sans doute être recherchée dans la crainte que la solution de principe retenue en la matière conduise à faire peser sur l'employeur fautif une charge financière par trop importante. Cette solution n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle qui avait été retenue à propos d'un conseiller prud'homme dont le contrat de travail avait été rompu en violation du statut protecteur. Dans un arrêt en date du 2 mai 2001, la Cour de cassation avait décidé que "le conseiller prud'homme, dont le contrat de travail est rompu sans autorisation administrative, a le droit, s'il ne demande pas sa réintégration, d'obtenir à titre de sanction de la méconnaissance du statut protecteur par l'employeur une indemnité au moins égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du seul mandat en cours à la date de la rupture, peu important sa réélection ultérieure, et ce dans la limite de la durée de la protection des représentants du personnel, qui comporte une période de six mois après l'expiration des fonctions" (9).

Sachant qu'à l'époque, le mandat des délégués du personnel et des représentants élus du personnel avait une durée de deux ans, la proximité de la solution retenue en 2001 avec celle issue de l'arrêt sous examen est évidente. Mais, et il est important de le relever, la Cour de cassation ne se réfère plus à la durée du mandat des représentants élus, mais à sa durée "minimale". Cela laisse à penser que la solution retenue dans le présent arrêt pourrait s'appliquer à d'autres salariés protégés.

Une solution de portée générale. Postérieurement à l'adoption de la loi du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), portant la durée du mandat des délégués du personnel et des représentants élus au comité d'entreprise de deux à quatre ans, nous avions pu nous interroger quant au fait de savoir si la Cour de cassation accepterait de calquer le montant maximal de l'indemnité forfaitaire sur la durée nouvelle du mandat. L'arrêt précité du 2 mai 2001 relatif au conseiller prud'homme pouvait en faire douter (10). La décision du 1er juin 2010 semble le confirmer. En effet, si telle avait été l'option retenue par la Cour de cassation, on peut penser qu'elle aurait limité le montant de l'indemnité forfaitaire à quatre ans et six mois et non à la durée minimale "légale" de deux ans.

Retenue à propos du cas très particulier d'un administrateur de mutuelle élu pour six ans, cette solution devrait sans doute valoir pour le conseiller prud'homme illégalement licencié, dont on sait qu'il est élu pour cinq ans. Sachant que les délégués syndicaux et les conseillers du salarié font l'objet d'un traitement particulier (11), il reste à savoir quel sort sera réservé aux délégués du personnel et aux représentants élus au comité d'entreprise illégalement licenciés. Les décisions les concernant ont été rendues sous l'empire des textes antérieurs à la loi de 2005, ce qui revient à dire que le montant de l'indemnité forfaitaire était pour eux limité à deux ans et six mois. A supposer que la Cour de cassation entende maintenir cette solution, elle leur appliquera celle retenue dans l'arrêt commenté.

Si tel est le cas, on pourra juger que la solution est raisonnable en ce qu'elle ne fait pas peser sur l'employeur fautif une charge financière trop lourde. Mais elle n'en demeurera pas moins contestable au regard de la solution de principe selon laquelle le salarié protégé licencié sans autorisation administrative peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'au terme de son mandat. N'est-ce pas là le signe que cette règle devrait être, sinon abandonnée, du moins modifiée (12) ?


(1) Cela est d'autant plus avéré que celui-ci est encore visé par l'article L. 2421-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3242IMZ).
(2) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 24ème éd., 2008, avec notre coll., § 915 et la jurisprudence citée. Ce cumul d'indemnité est, non sans raisons, critiqué (v. J. Mouly, Quelle indemnisation pour les salariés protégés irrégulièrement licenciés ?, Dr. soc., 2009, p. 1204).
(3) Pour une approbation v. Th. Lahalle, note ss. l'arrêt en cause : JCP éd. S, 2010, 1337.
(4) Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-40.387 (N° Lexbase : A9384ATQ).
(5) Th. Lahalle, note précitée.
(6) Sans doute conviendrait-il d'écrire au passé, étant entendu que, consécutivement aux modifications apportées par la loi du 20 août 2008, le mandat de délégué syndical, comme celui de représentant de la section syndicale, prend fin de plein droit à chaque élection.
(7) Et l'on comprend de ce fait la demande de la salariée en l'espèce.
(8) C. trav., art. L. 2314-27 (N° Lexbase : L2650H9Z) et L. 2324-25 (N° Lexbase : L9781H8R). La durée minimale de deux ans est donc plus conventionnelle que "légale", même si la dérogation n'est possible que parce que la loi l'autorise.
(9) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.319 (N° Lexbase : A3414ATM).
(10) V. notre art., L'indemnisation du salarié protégé illégalement licencié, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3190AKD). V. aussi, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., p. 1176, note 7.
(11) Pour les premiers, v. Cass. soc., 6 juin 2000, préc. et pour les seconds, v. Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.055 (N° Lexbase : A3425ATZ).
(12) V. en ce sens les pertinentes propositions du Professeur Mouly (art. préc.).

Décision

Cass. soc., 1er juin 2010, n° 09-41.507, FS-P+B (N° Lexbase : A2239EYL)

Cassation partielle de CA Chambéry (chambre sociale), 28 octobre 2008

Textes visés : C. mut., art. L. 114-24 (N° Lexbase : L6306HWH) et C. trav., art. L. 412-18 (N° Lexbase : L0040HDT) alors en vigueur

Mots-clefs : administrateur de mutuelle, statut protecteur, violation, licenciement, indemnité forfaitaire, montant

Lien base : (N° Lexbase : E9603ESH)

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Urbanisme

[Doctrine] Chronique de droit de l'urbanisme - Septembre 2010

Lecture: 24 min

N0557BQP

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par Laurent Ducroux -Avocat Associé- DL Avocats (Montpellier)

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit de l'urbanisme, rédigée par Laurent Ducroux -Avocat Associé- DL Avocats (Montpellier). Au sommaire de cette chronique, tout d'abord un arrêt du Conseil d'Etat en date du 16 juillet 2010 relatif à la hiérarchie des normes énonçant qu'une directive territoriale d'aménagement (DTA) comportant des modalités d'application de la loi "littoral" (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9) ne s'applique aux autorisation d'urbanisme que si ces modalités sont suffisamment précises et compatibles avec cette loi. Dans un autre registre, un arrêt du 16 juillet 2010 rendu à propos d'un permis de démolir valide la décision de suspension en référé alors même qu'il avait été pris acte d'un désistement au fond, dès lors qu'il avait été fait appel de la décision rendue sur ce désistement et que les conditions tenant à l'urgence et au doute sérieux quant à légalité de la décision querellée étaient, par ailleurs, satisfaites. Enfin, dans une décision du 19 juillet 2010, rendue à propos de l'attribution d'un marché de maîtrise d'oeuvre, la Haute Juridiction rappelle le pouvoir souverain du juge d'appel pour apprécier un projet au regard des règles de hauteur des constructions définies par un document d'urbanisme, et sanctionne les conditions dans lesquelles une non-conformité constatée en violation du dossier de consultation peut conduire à constater la nullité du marché.
  • Conditions d'application d'une DTA comportant des modalités d'application de la loi "littoral" aux autorisations d'urbanisme (CE Contentieux, 16 juillet 2010, n° 313768, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6404E4X)

L'urbanisme réglementaire repose sur une hiérarchie complexe des normes qui tend à combiner à la fois une articulation cohérente entre différents types et échelles de planification et, en dépit des apparences, une limitation des risques contentieux pouvant en résulter. Dans cette architecture originale, les DTA, élaborées et approuvées par l'Etat, occupent une place éminente que le juge soumet, néanmoins, à un contrôle rigoureux.

L'affaire commentée porte sur l'annulation d'un permis de construire en date du 17 septembre 2003 délivré par le préfet de la Corse-du-Sud en vue de la réalisation de constructions à usage d'habitation sur la commune de Porto-Vecchio, dont le territoire, qui relève du champ d'application de la loi "littoral", se trouvait soumis aux prescriptions du schéma d'aménagement régional (SAR) de la Corse. Dans le litige porté devant la Haute juridiction, il s'agissait, notamment, de déterminer si le permis de construire avait pu valablement être délivré au vu des prescriptions du SAR de la Corse supposées préciser les conditions d'application de la loi "littoral". Plusieurs principes sont définis à ce titre par le Conseil d'Etat.

- Les DTA s'appliquent directement aux autorisations d'urbanisme lorsqu'elles précisent les modalités d'application de la loi "littoral"

La question posée part du principe selon lequel les prescriptions du SAR de la Corse s'appliquent directement aux autorisations d'urbanisme, et que la Haute juridiction rappelle en l'espèce. En effet, le SAR de la Corse, selon le régime alors en vigueur, avait valeur de schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) et bénéficiait, à ce titre, des mêmes effets qu'une DTA (art. 57 modifié de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat N° Lexbase : L4726AQ4), tout comme, d'ailleurs, les SAR des départements d'outre mer. Ces DTA ont été conçues afin de pouvoir définir de manière globale et raisonnée des principes de développement, d'aménagement et de protection des territoires à une échelle pertinente, non assujettie aux limites parfois inadaptées des collectivités territoriales et de leurs groupements. Elles sont aussi significatives de la volonté de l'Etat d'encadrer l'évolution de ces territoires. La loi les place au sommet de la hiérarchie des documents d'urbanisme. Selon les dispositions de l'article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme ([LXB=L1887IEM)]) alors applicables, les DTA avaient, ainsi, vocation à s'appliquer directement aux documents locaux d'urbanisme, en particulier aux schémas de cohérence territoriale (SCOT) et, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme (PLU) ou aux cartes communales. Elles avaient aussi la possibilité de préciser les modalités d'application des dispositions issues des lois "montagne" (loi n°85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne N° Lexbase : L7612AGZ) et "littoral", telles que définies aux articles L. 145-1 (N° Lexbase : L7451IMW) à L. 146-9 du Code de l'urbanisme, avec alors pour effet de s'appliquer directement aux autorisations d'urbanisme (C. urb., art. L. 111-1-1 et L. 146-1 [LXB=L7341ACU)]). Voilà ce que rappelle en l'espèce le Conseil d'Etat qui avait, d'ailleurs, déjà eu à statuer en ce sens (1).

- Un principe à la recherche d'une clarification et d'une plus grande sécurité juridique

Sur ce point, il faut rappeler que les dispositions de la loi "littoral" s'appliquent elles-mêmes directement aux autorisations d'urbanisme, ce qui manifeste un souci particulier de protection de ces zones. En même temps, le caractère très général et imprécis de ces dispositions laisse beaucoup d'incertitude quant à leurs conditions d'application. L'application directe de la DTA, ou du document en tenant lieu, a donc le mérite de permettre une clarification des règles opposables pour une plus grande sécurité juridique des autorisations d'urbanisme. Ce principe participe doublement d'une limitation des risques juridiques car le juge écarte, dans ce cas, l'application directe des dispositions de la loi "littoral", comme le confirme ici la Haute juridiction. Cela permet d'éviter la multiplication des normes de référence et le risque de contradiction entre elles. Cette solution procède de la même logique que le principe dit de "compatibilité limitée" entre les documents d'urbanisme, instauré par les dispositions de l'article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme, issues de la loi n° 95-115 du 4 février 1995, d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (N° Lexbase : L8737AGP), et qui limite le contrôle d'un document d'urbanisme de rang inférieur au seul document de rang supérieur. En même temps, cette solution ne se départit pas d'un contrôle strict lié la loi "littoral", puisque les prescriptions de la DTA qui en portent application s'imposent elles-mêmes dans un rapport de conformité aux autorisations d'urbanisme, solution qu'entérine, également, l'arrêt du 16 juillet 2010. Il reste, cependant, à déterminer le contrôle opéré par le juge sur la DTA elle-même, ou le document en tenant lieu.

- Les prescriptions de la DTA demeurent cependant soumises à un contrôle du juge

Les DTA n'échappent pas à un contrôle de légalité vis-à-vis des dispositions de la loi "littoral". Lors des débats devant le Parlement, il avait été envisagé de permettre aux DTA de déroger aux dispositions de cette loi. Finalement, la solution retenue fut qu'elles demeuraient de simples modalités d'application de celle-ci. Par suite, il appartient au juge de contrôler si les DTA ne sont pas en contravention avec les dispositions de la loi "littoral".

Aujourd'hui, il est acquis que le juge opère un contrôle restreint dit de "compatibilité", plus souple qu'un contrôle de stricte conformité (2).Ce rapport de compatibilité permet, en effet, des écarts par rapport à la règle de référence, à condition qu'elles n'en remettent pas en cause les principes et les options essentielles (3). Cette solution est, également, confirmée au cas d'espèce. Ce faisant, le Conseil d'Etat confirme la souplesse qui peut être apportée dans l'élaboration des DTA, ce qui conforte la capacité d'adapter les dispositions générales de la loi aux particularités géographiques locales. Cette souplesse est encore renforcée par le fait que la légalité de la DTA au regard des dispositions de la loi "littoral" doit s'apprécier à l'échelle du territoire qu'elle couvre et compte tenu de l'ensemble de ses orientations et prescriptions, et non à l'échelle d'un quartier ou d'un secteur (4). Certes, les marges de manoeuvres ainsi admises ne seront pas toujours aisées à déterminer, mais elles confortent la possibilité d'adapter ces dispositions à un territoire donné.

- Un contrôle qui fait prévaloir l'effet utile de la loi

Le contrôle de la DTA peut s'opérer dans le cadre d'un recours contre le document lui-même (5). Les juridictions font aussi jouer ce contrôle, comme en l'espèce, dans le cadre d'un recours contre une autorisation d'urbanisme. Elles écartent, dans ce cas, la possibilité pour les DTA de faire écran aux dispositions de la loi "littoral", lorsqu'elles sont illégales. Le Conseil constitutionnel avait déjà précisé que le principe du contrôle hiérarchique limité instauré par les dispositions de l'article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme ne saurait faire obstacle à la possibilité pour tout intéressé de faire prévaloir, par voie d'exception, les dispositions de la loi sur le contenu des prescriptions règlementaires de la DTA (6). Le Conseil d'Etat reprend cette solution en admettant de faire jouer l'exception d'illégalité à l'encontre du document d'urbanisme incompatible avec les dispositions de la loi "littoral" (7). Dans cette hypothèse, ce contrôle opère non pas pour conclure à l'illégalité en soi, de l'autorisation ou du document d'urbanisme au regard du document illégal portant DTA, mais seulement comme un moyen d'écarter celui-ci et de faire prévaloir directement les dispositions de la loi "littoral". En sens inverse, la Haute juridiction considère qu'une autorisation d'urbanisme ne peut être appréciée directement au regard de cette loi sans avoir recherché si les prescriptions de la DTA étaient bien incompatibles avec celle-ci. C'est la solution entérinée dans le cas d'espèce qui conduit à censurer l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Marseille (8). La Haute juridiction confirme, ainsi, une solution qui tend à combiner les objectifs de protection liés à la loi "littoral" et ceux de sécurité juridique indispensable aux autorisations d'urbanisme.

En effet, dans la mesure où cette exception ne joue qu'en cas d'incompatibilité sur le fond, et non de procédure ou de forme, et seulement pour écarter le document illégal sans rejaillir en soi sur l'autorisation d'urbanisme, cette solution permet d'éviter une démultiplication des risques contentieux. Elle a consacré avant l'heure le principe qui semble aujourd'hui retenu après quelques tâtonnements dans le contrôle des documents ou autorisations d'urbanisme prenant en compte un document cadre illégal (9).

Dans l'affaire commentée, le Conseil d'Etat ajoute que les prescriptions de la DTA ou du document en tenant lieu portant application de la loi "littoral" ne s'imposent que pour autant qu'elles sont suffisamment précises. Cette solution est logique car les prescriptions de la DTA ne sont susceptibles de s'interposer que si elles précisent explicitement les modalités d'application de la loi précitée. Cette solution ne correspondant sans doute pas à un cas isolé, tant l'élaboration conflictuelle de certaines DTA peut conduire à l'énonciation de dispositions aussi vagues que générales, dénuées de réelles précisions.

- Un effet relatif des DTA consacré au cas d'espèce

Au cas d'espèce, il s'agissait d'interpréter les dispositions du SAR de la Corse au regard, notamment, des dispositions des I et II de l'article L. 146-4 (N° Lexbase : L8907IMT) du Code de l'urbanisme selon lesquelles "l'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement". A ce titre, le Conseil d'Etat considère que les dispositions du SAR précisent bien les dispositions de la loi "littoral" et ne sont pas incompatibles avec elle, en énonçant qu'elles privilégient la densification des zones urbaines existantes et prévoient, pour les "espaces péri-urbains", que les extensions, lorsqu'elles sont nécessaires, s'opèrent dans la continuité des centres urbains existants, les hameaux nouveaux demeurant l'exception.

En second lieu, le contrôle du SAR de la Corse portait sur la traduction des dispositions de l'article L. 146-4-II du Code de l'urbanisme relatives au principe d'urbanisation limitée dans les espaces proches du rivage. Ce principe constitue un point d'achoppement récurrent des projets au regard de la loi "littoral", compte tenu de la pression immobilière et des conflits d'usage qui se cristallisent sur ces territoires. Il reste, d'ailleurs, en marge de l'objectif de densification que l'on céderait trop volontiers aux dispositions issues de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (N° Lexbase : L9087ARY), et, plus récemment, de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN), dite "Grenelle 2". Sur ce point, la Haute juridiction relève que le SAR se borne à reprendre les termes de la loi et n'apportent donc aucune précision, ce qui conduit à faire directement application des dispositions de la loi "littoral". A ce titre, il confirme une solution classique selon laquelle un terrain distant d'environ 800 mètres du rivage constitue bien un espace proche de ce dernier et, qu'en l'occurrence, le projet qui ne développe que 6 492 m² de surface hors oeuvre nette (SHON) pour un coefficient d'occupation des sols (COS) de 0,22 en milieu urbain constitue bien une extension limitée de l'urbanisation (10).

- Des applications remises en cause par la loi "Grenelle 2"

A travers sa décision du 6 juillet 2010, le Conseil d'Etat confirme donc la portée, certes utile mais aussi relative, des principes issus de l'article L. 111-1-1 du Code de l'urbanisme. Au demeurant, l'élaboration des DTA peut s'avérer problématique au regard des conflits qu'elles peuvent générer. De fait, les DTA, et même les SMVM relatifs aux zones côtières, restent en nombre limité. Les dispositions issues de la loi "Grenelle 2" du 12 juillet 2010 vont donc faire évoluer ce dispositif. Elles créent le dispositif nouveau des directives territoriales d'aménagement et de développement durables (DTADD) (C. urb., art. L. 113-1 N° Lexbase : L7487IMA et suivants). Les DTADD s'orientent vers une planification souple et stratégique plutôt que strictement règlementaire. Ainsi, seules s'imposeront celles de leurs dispositions faisant l'objet d'une qualification en projet d'intérêt général (PIG) au sens de l'article L. 121-9 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7496IML). Les dispositions de l'article L. 111-1-1 du même code font, ainsi, l'objet d'une nouvelle rédaction effaçant les DTA du dispositif de la hiérarchie des normes. Certes, les DTA approuvées avant la publication de cette loi conservent expressément les effets qui leur sont aujourd'hui attachés. La loi permet même leur continuation en introduisant une procédure de simple modification, tout en prévoyant la possibilité de les abroger ou de les soumettre au nouveau régime de DTADD.

  • Permis de démolir : validation d'une décision de suspension en référé après un désistement au fond (CE 1° et 6° s-s-r., 16 juillet 2010, n° 318757, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6416E4E)

Le référé-suspension prévu par les dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) permet de contrebalancer la force exécutoire des actes administratifs et le caractère non suspensif attaché, sauf exceptions, aux recours devant les juridictions administratives. Il donne ainsi la possibilité de paralyser l'exécution d'une décision administrative dans l'attente d'une décision au fond.

Dans un arrêt rendu le 16 juillet 2010, le Conseil d'Etat apporte une traduction spécifique dans l'application de ce régime en jugeant que la condition de l'existence d'un recours au fond est bien remplie alors même qu'il avait donné acte du désistement, dès lors qu'il était fait appel de cette décision. Il fait aussi application des conditions classiques du prononcé de la suspension au cas particulier d'un permis de démolir portant sur des éléments inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, avec, notamment, une appréciation spécifique de l'urgence propre aux autorisations d'urbanisme.

- Le prononcé d'une suspension suppose qu'il y ait lieu à statuer

De manière très logique, le prononcé d'une décision de suspension suppose que la demande ne soit pas vidée de son objet, ce qui vise la demande elle-même, mais aussi le recours au fond auquel elle doit être nécessairement rattachée. Ainsi, la demande en référé-suspension ne peut prospérer que pour autant qu'elle conserve son objet, ce qui n'est pas le cas si postérieurement à l'introduction de la requête, cet objet vient à disparaître, soit du fait que la décision dont la suspension est réclamée a produit l'intégralité de ses effets, soit parce qu'une nouvelle décision de l'administration donne satisfaction au demandeur, soit en raison de l'intervention de la décision du juge saisi au principal sur le recours en annulation. Cette disparition d'objet doit être au besoin constatée d'office par le juge (11). En ce qui concerne le rattachement à un recours au fond, il convient de rappeler que celui-ci constitue une condition essentielle. Le défaut de présentation d'une requête au fond constitue un motif d'irrecevabilité d'ordre public (12). A ce titre aussi, le Conseil d'Etat a jugé que, lorsque le requérant conclut expressément au non-lieu à statuer, de telles conclusions, qui sont équivalentes à un renoncement au recours déposé, priment sur toute autre question et qu'il doit donc être donné acte du désistement (13). La liaison entre la demande au fond et le référé-suspension opère donc, tant en début qu'à l'issue de la procédure.

- L'appel contre la décision prenant acte du désistement sur le fond permet de maintenir l'existence d'un recours

Dans l'affaire commentée, la demande en référé-suspension était bien liée à une requête au fond. Dans le cadre de la première instance, le tribunal administratif de Paris avait donné acte du désistement du requérant, mais celui-ci avait fait appel de cette décision de sorte que l'instance demeurait pendante. Le juge d'appel avait ainsi considéré que la décision de désistement n'étant pas définitive, il ne pouvait être soutenu que l'affaire au fond était définitivement close, de sorte qu'il pouvait être statué sur la demande en référé-suspension (14). Le Conseil d'Etat saisi d'un recours contre cette décision confirme cette solution. Celle-ci se fonde sur l'existence d'un recours en appel et préserve donc les garanties attachées aux voies de recours. Elle paraît, à ce titre, peu discutable. En revanche, il n'est pas sûr que, dans certains cas, elle préserve aussi efficacement les intérêts, publics ou privés, dont la protection aurait déjà justifié et permis l'intervention d'une décision de suspension. En effet, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, le juge considère que la décision prenant acte du désistement éteint de plein droit la décision de suspension si elle a été prononcée (15) ; tandis que l'appel interjeté à l'encontre d'un jugement demeure en principe non suspensif (CJA, art. R. 811-14 N° Lexbase : L3291ALH). Dans cette hypothèse, il appartiendrait à l'appelant de solliciter le sursis à exécution du jugement dans les conditions définies l'article R. 811-17 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3294ALL), dès lors que ce jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et que les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction, ce qui déplace au moins en partie la discussion.

- La condition d'urgence doit être appréciée au cas par cas

En ce second lieu, la décision commentée consacre une solution classique en ce qui concerne la condition de l'urgence. On sait que celle-ci doit être regardée comme étant remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant, ou aux intérêts qu'il entend défendre (16). Cette urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce (17).

En matière de construction, cette urgence est présumée dès lors que les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés, compte tenu du caractère difficilement réversible de la construction d'un bâtiment (18). Ce caractère difficilement réversible des travaux conduit, ainsi, à un renversement de la charge de la preuve. En l'espèce, le Conseil d'Etat fait logiquement application de ce principe en matière de permis de démolir en s'appuyant sur le même constat, à savoir les conséquences difficilement réversibles des travaux de démolition sur l'état des lieux. Il convient, cependant, de rappeler que cette présomption d'urgence n'est pas irréfragable et qu'elle supporte donc la preuve contraire au vu des circonstances particulières invoquées par les parties (19). Dans une affaire récente, le Conseil d'Etat a jugé, par exemple, que les faibles dimensions d'un l'ouvrage, l'intérêt public attaché à sa réalisation et l'absence de démonstration concrète des désagréments liés à sa réalisation faisaient obstacle au prononcé d'une décision de suspension (20). Le juge des référés conserve donc un large pouvoir d'appréciation dans ce domaine. En l'espèce, les arguments développés en appel par les défendeurs tendant à démontrer l'absence de tels effets n'avaient pas convaincu le juge d'appel. Le Conseil d'Etat, qui reconnaît classiquement sur ce point le pouvoir souverain d'appréciation du juge des référés, et n'exerce qu'un contrôle limité sur la dénaturation des pièces du dossier et l'erreur de droit, confirme la décision de ce dernier.

- La présentation tardive de la demande en référé peut être indifférente dès lors que l'urgence est patente

De la même manière, la Haute juridiction confirme que le fait que les travaux aient commencé quelques jours avant la présentation de la demande de suspension suffit à caractériser l'urgence, alors même que la requête au fond avait été introduite plusieurs mois avant. Cette solution avait déjà été consacrée par les Sages du Palais-Royal (21). Dans ce cadre, il convient de rappeler que le référé peut être introduit sans condition de délai une fois la requête au fond déposée, et tant que celle-ci n'est pas jugée. Les éléments d'urgence justifiant son prononcé peuvent, en effet, se cristalliser à tout moment de l'instance et même évoluer, ce qui autorise à présenter une demande en référé, y compris pour la première fois devant le juge d'appel ou même de la renouveler devant ce dernier (22). En tout état de cause, le fait d'introduire la demande en référé-suspension à l'encontre d'une autorisation d'urbanisme à une date où le commencement des travaux est imminent ou entamé, et alors qu'ils ne sont pas achevés, constitue un moment privilégié pour justifier de la demande. A ce titre, le délai entre la date de présentation des conclusions sur le fond et celle de la demande en référé demeure indifférent. Le seul retard susceptible d'être sanctionné demeure bien celui lié à l'achèvement, voire au quasi-achèvement des travaux liés à l'exécution de la décision querellée (23). L'urgence à présenter une demande en référé-suspension est donc, en droit, très relative. C'est en particulier le cas dans l'hypothèse d'un recours contre une décision positive de l'administration. En revanche, la solution est susceptible de différer en cas de demande de suspension introduite à l'encontre une décision de refus d'une autorisation d'urbanisme (24), même s'il s'agit chaque fois d'une solution au cas d'espèce, à apprécier au vu de l'ensemble des circonstances et des intérêts en présence.

En l'espèce, la décision de suspension s'est ainsi trouvée confirmée, l'autre condition tenant au doute sérieux quant à la légalité de la décision querellée étant considérée, également, comme satisfaite au regard des dispositions alors applicables des articles L. 430-5 (N° Lexbase : L7595ACB) et L. 430-8 (N° Lexbase : L3330HCC) du Code de l'urbanisme concernant le permis de démolir, de l'article 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques (N° Lexbase : L4485A8M), et du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.

  • Respect des règles d'urbanisme et attribution d'un marché public de maîtrise d'oeuvre (CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 327155, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9942E4Y)

Le respect des règles d'urbanisme conditionne la délivrance des autorisations d'urbanisme mais il peut aussi être une condition pour l'attribution d'un marché public quand celui-ci porte sur un projet de construction. Dans ce cas, le juge doit se livrer à une double interprétation qui porte tant sur les documents d'urbanisme que sur les documents de la consultation.

Dans un l'arrêt du 19 juillet 2010 ici commenté, qui mêle donc à la fois le droit des marchés publics et de l'urbanisme, le Conseil d'Etat rappelle qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement la conformité du projet d'un candidat à un concours de maîtrise d'oeuvre d'architecture et d'ingénierie au regard des dispositions du document d'urbanisme en vigueur. Il confirme, au nom d'une application stricte du principe d'égalité de traitement, l'irrégularité de la décision d'attribution du marché au candidat ayant présenté une offre non conforme aux exigences du dossier de consultation, mais sanctionne les conditions dans lesquelles la nullité du marché peut être par suite constatée.

- Une appréciation souveraine du juge d'appel du respect des règles de hauteur maximale des constructions

Un centre hospitalier avait passé un marché de maîtrise d'oeuvre selon la procédure de concours prévue alors par les dispositions de l'article 70 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2730HPS) en vue de réaliser un projet d'extension et de restructuration. Les documents de la consultation et, en particulier, l'article 5-1 du programme technique détaillé de l'opération, mentionnait de façon expresse que les contraintes du document d'urbanisme s'imposaient au traitement architectural de l'opération. Or, le groupement retenu aux termes de la procédure de passation avait présenté un projet qui, selon les requérants, dépassait la hauteur maximale autorisée par le document d'urbanisme applicable, à savoir alors le plan d'aménagement de zone (PAZ) de la zone d'aménagement concerté (ZAC), dans laquelle était situé le projet. Le tribunal administratif de Montpellier avait suivi cette argumentation en annulant la décision du directeur du centre hospitalier portant attribution du marché de maîtrise d'oeuvre. Le centre hospitalier a fait appel de cette décision en arguant, notamment, du fait que la partie du bâtiment qui dépassait la hauteur requise était, en réalité, un ouvrage technique, ce qui était autorisé par le document d'urbanisme. La cour administrative d'appel de Marseille ayant rejeté cette argumentation (25), le centre hospitalier s'était pourvu devant le juge de cassation. Le Conseil d'Etat rejette le pourvoi en confirmant que cette appréciation relève du pouvoir souverain du juge d'appel, ce dernier n'ayant commis aucune dénaturation des pièces du dossier ni erreur de droit.

On le sait, l'application des règles de hauteur maximale définies par les documents d'urbanisme règlementaire constitue une source inépuisable de contentieux. En l'espèce, la partie litigieuse du projet portait sur des galeries de liaison entre des bâtiments et un noyau de circulation verticale. Le juge d'appel avait considéré que l'ouvrage en litige, d'une longueur de plus de trente mètres et d'une largeur d'environ quatre mètres, constituait un volume de bâtiment assurant la liaison entre d'autres bâtiments, comprenant, notamment, de longs couloirs permettant la circulation tant du personnel que des usagers du centre hospitalier. De par ses caractéristiques et ses dimensions propres, cette partie du bâtiment ne pouvait être considérée comme un ouvrage technique.

- La difficile interprétation de la notion "d'ouvrage technique"

Il est vrai que la notion "d'ouvrage technique" reste, en réalité, difficile d'interprétation. La notion d'ouvrage peut renvoyer à tout type de constructions, comprenant ou non un volume bâti. L'attribut "technique" est lui-même peu explicite, et peut renvoyer à des éléments qui ne concernent pas directement le fonctionnement du bâtiment, comme, par exemple, une antenne de télécommunications. Il faut rappeler que les règles de hauteur des constructions sont fondées essentiellement sur des questions d'ordre paysager, de densité, voire de vue et d'ensoleillement, le gabarit étant, dans ce dernier cas, plutôt encadré par les règles de prospect. A ce titre, la règlementation des ouvrages en superstructure peut ne pas s'avérer pertinente, bien qu'il faille, néanmoins, bien prendre soin de prendre en compte les différentes hypothèses et fixer des limites dans certains cas. Dans ce cadre, on peut supposer que ce type d'exception aux règles de hauteur renvoie plutôt au cas d'équipements de superstructure, notamment en toiture, qui impactent moins la physionomie des constructions et peuvent s'avérer nécessaires à leur fonctionnement. Cela étant, les exemptions des règles de hauteur peuvent s'appliquer y compris à des équipements de superstructure au sol, comportant des volumes bâtis (26). C'est dire que les possibilités d'interprétation demeurent particulièrement vastes et incertaines, et que la solution dépend largement de rédaction des documents d'urbanisme.

Dans certains cas, les documents d'urbanisme définissent eux-mêmes en annexe du règlement les ouvrages ou superstructures qui échappent aux règles de hauteur maximale des constructions. Dans ce cas, le juge sanctionne les demandes d'autorisation d'urbanisme sur la base de ces dispositions interprétatives (27). Celles-ci peuvent contenir des précisions quant aux caractéristiques techniques des ouvrages, mais aussi quant à leur fonction (28). En l'absence de telles précisions, le juge doit procéder à une analyse empirique.

Dans ce cadre, on pourrait être aussi tenté de se référer à des définitions données par le Code de l'urbanisme. Dans le cas d'espèce, les requérants s'étaient fondés sur les dispositions des articles R. 422-1 (N° Lexbase : L7478HZY) et R. 422-2 ([LXB=L7479HZZ ]) de ce code alors en vigueur concernant le champ d'application des permis de construire et des déclarations de travaux. Cela étant, les qualifications effectuées par une règlementation ne sont pas nécessairement transposables dans une autre (29). En l'espèce, le Conseil d'Etat considère qu'il ne peut être procédé à l'appréciation de la qualification juridique des faits au regard de la règlementation concernant les autorisations d'urbanisme. Cette solution est logique car les deux règlementations procèdent d'objectifs différents et les auteurs des documents d'urbanisme demeurent libres de définir les conditions de hauteur maximale de constructions au regard des orientations propres de leur projet urbain.

Il restait donc à interpréter en soi les règles de hauteur des constructions définies par le PAZ. En l'espèce, la solution rendue semble combiner à la fois les critères d'affectation et de dimensions des éléments de construction. Ainsi, les règles de hauteur trouvaient à s'appliquer dans la mesure où les éléments en cause participaient directement de l'usage et du volume principal du bâtiment. A contrario, les ouvrages techniques constitueraient des éléments accessoires, résiduels et limités au fonctionnement technique du bâtiment. Ce type d'interprétation a déjà pu être retenu à propos des règles de prospect (30). Dans cette analyse, le juge se réfère aussi à l'importance des dimensions des éléments de constructions, ce qui est de nature à rejoindre le critère lié au caractère accessoire de ces derniers. Il reste qu'une telle interprétation reste relativement incertaine et qu'il est utile, à l'évidence, que les auteurs des documents d'urbanisme procèdent à une définition précise des notions conditionnant l'application des règles, par exemple en déterminant la nature, la localisation et les caractéristiques techniques des éléments concernés. Il y a là un enjeu de sécurité juridique, même si l'exercice reste difficile et ne peut sans doute prétendre à l'exhaustivité.

- Une interprétation des règles de hauteur de constructions déterminante pour la validité de l'attribution du marché de maîtrise d'oeuvre

En l'espèce, cette interprétation des règles de hauteur n'était pas décisive pour la réalisation du projet puisqu'un permis de construire a pu être délivré sur la base d'une modification du projet proposé initialement par le candidat retenu. En revanche, elle engageait la validité de la passation du marché de maîtrise d'oeuvre. Ainsi, la cour administrative d'appel de Marseille avait considéré que, dans la mesure où les documents de la consultation imposaient le respect des règles d'urbanisme, le marché ne pouvait être attribué à un candidat ayant présenté un projet non conforme, sans méconnaître le principe d'égalité de traitement des candidats et les dispositions du Code des marchés publics applicables. La décision d'attribution du marché devait donc être censurée. Le fait qu'un permis de construire ait pu être délivré sur la base d'une modification du projet est apparu comme ne pouvant régulariser le vice entachant la procédure d'attribution du marché.

Le Conseil d'Etat n'a pas eu à se prononcer sur ce point. Cette solution appelle pourtant une appréciation nuancée. En effet, si le respect du principe d'égalité de traitement des candidats fait l'objet d'une application stricte, la Haute juridiction a pu aussi considérer qu'une décision d'éviction d'un candidat à un concours était justifiée dès lors que le non respect du programme fonctionnel concernait un élément "suffisamment important du programme", même s'il portait sur de faibles surfaces (31). Cette appréciation qualitative rompt avec une approche trop automatique du constat de non-conformité. Il conviendrait donc d'apprécier si les adaptions apportées au programme ont pu avantager le candidat. Dans certains cas aussi, le respect du programme constitue en soi un critère d'attribution, et les dispositions non obligatoires du programme servent seulement à départager les candidats (32). Dans d'autres cas, enfin, le caractère insuffisamment précis du programme confère aux candidats la possibilité d'apporter certaines variations par rapport aux prescriptions de référence (33). La rédaction des documents de consultation conserve donc aussi son importance dans cette appréciation et la solution dépend in fine de chaque cas d'espèce.

- L'irrégularité constatée n'entraîne pas nécessairement la nullité du marché

En dernier lieu, il s'agissait de déterminer si le vice entachant la décision d'attribution du marché devait conduire à la résolution de ce dernier. Cette question renvoie au régime applicable avec le revirement opéré par l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 juillet 2007, "Société Tropic travaux signalisation" (34), lequel permet désormais aux candidats évincés de saisir directement le juge du contrat en plein contentieux pour constater la nullité du contrat et en tirer les conséquences. Jusqu'alors, les candidats évincés ne pouvaient agir directement à l'encontre du marché. Ils ne pouvaient solliciter que l'annulation de l'acte détachable du contrat, telle que la décision d'attribution, en l'assortissant d'une demande d'injonction afin que la personne publique saisisse le juge du contrat en vue de faire constater sa nullité avec toutes les conséquences qui lui sont attachées, dans le cas où une résolution amiable n'aurait pu intervenir.

Cependant, l'annulation de l'acte détachable d'un marché ne justifiait pas nécessairement la nullité du marché. Celle-ci ne pouvait être prononcée que si les motifs d'annulation de l'acte détachable impliquaient nécessairement, par leur nature, la nullité du contrat, et à condition que la nullité du contrat ne porte pas, si elle est constatée, une atteinte excessive à l'intérêt général (35). A ce titre, il pouvait être décidé de maintenir le contrat ou encore, de ne prononcer qu'une résiliation de ce dernier ou enjoindre à une mesure de régularisation quand cela est possible.

Cette appréciation, qui met en balance le principe de légalité et l'intérêt général attaché à l'action publique, constitue un moyen à part entière. En l'espèce, le centre hospitalier avait fait valoir en appel que le constat de la nullité du marché de maîtrise d'oeuvre du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général eu égard aux besoins du service public hospitalier, aux exigences de sécurité et au coût de l'engagement d'une nouvelle procédure de sélection. La cour administrative d'appel ne s'était prononcé explicitement que sur le coût de l'engagement d'une nouvelle procédure en se bornant à relever, pour le reste, qu'il n'y avait aucune circonstance de nature à démontrer une atteinte excessive à l'intérêt général. Le Conseil d'Etat censure l'arrêt de la cour au motif qu'il est insuffisamment motivé. Cette exigence montre toute l'importance à pouvoir justifier du prononcé de la nullité du contrat au regard, non seulement du vice dont il est entaché, mais aussi des conséquences qui lui sont attachées. Cette solution demeure d'actualité dans le cadre des nouvelles possibilités ouvertes par l'arrêt "Société Tropic travaux signalisation". Elle montre aussi l'équilibre savant que le juge doit opérer entre des tendances parfois contradictoires mais toujours présentes, visant, d'une part, à renforcer l'accès au juge et l'efficacité de l'action contentieuse, et, d'autre part, à préserver l'intérêt général attaché à l'action publique et le principe de sécurité juridique.

Laurent Ducroux -Avocat Associé- DL Avocats (Montpellier)


(1) CE Contentieux, 29 juin 2001, n° 208015 (N° Lexbase : A4997AUM).
(2) Voir CE Contentieux, 29 juin 2001, n° 208015, préc..
(3) Sur la notion de "compatibilité", voir, notamment, CE Contentieux, 10 juin 1998, n° 176920 (N° Lexbase : A7537ASX).
(4) CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 264336 (N° Lexbase : A1347DK4).
(5) Voir CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 264336, préc..
(6) Cons. const., décision DC 94-358 du 26 janvier 1995 (N° Lexbase : A8322AC9).
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 14 novembre 2003, n° 228098, n° 228232 et n° 228371 (N° Lexbase : A1108DAB).
(8) CAA Marseille, 1ère ch., 20 décembre 2007, n° 05MA02448 (N° Lexbase : A4505D7Y).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 15 octobre 2007, n° 269301 (N° Lexbase : A7819DYA) ; CE Contentieux, 7 février 2008, n° 297227 N° Lexbase : A7166D48).
(10) Voir, en sens contraire, CE Contentieux, 10 juillet 1995, n° 138588 (N° Lexbase : A5061ANR), pour un projet portant sur environ 400 logements pour une SHON de plus de 35 000 m².
(11) CE référé, 21 mars 2006, n° 291139 (N° Lexbase : A9570DNR).
(12) CE 5° et 7° s-s-r., 29 avril 2002, n° 240647 (N° Lexbase : A6456AYR).
(13) CE référé, 21 mars 2006, n° 291139, préc..
(14) CAA Paris, 7 juillet 2008, n° 08PA02543.
(15) CE Contentieux, 22 juin 2001, n° 231282 (N° Lexbase : A7742ATW).
(16) CE Contentieux, 19 janvier 2001, n° 228815 (N° Lexbase : A6576APA).
(17) CE Contentieux, 5 novembre 2001, n° 234396 (N° Lexbase : A2592AXB).
(18) CE 1° et 6° s-s-r., 9 juin 2004, n° 265457 (N° Lexbase : A6477DCU).
(19) CE 1° et 6° s-s-r., 9 juin 2004, n° 265457, préc..
(20) CE 1° et 6° s-s-r., 22 mars 2010, n° 324763 (N° Lexbase : A1405EUL).
(21) CE 6° s-s., 25 mars 2009, n° 318358 (N° Lexbase : A1885EEK).
(22) CE 9° et 10° s-s-r., 23 avril 2003, n° 253004 (N° Lexbase : A7797C8B).
(23) Sur ce dernier point, voir CE 3° et 8° s-s-r., 26 juin 2002, n° 240487 (N° Lexbase : A0221AZ9).
(24) CE 1° et 6° s-s-r., 23 mars 2005, n° 266565 (N° Lexbase : A3937DHB).
(25) CAA Marseille, 7ème ch., 19 février 2009, n° 08MA03346 (N° Lexbase : A9436EHX).
(26) CAA Paris, 1ère ch., 17 février 1998, n° 96PA00436 (N° Lexbase : A0158BIP) ; voir aussi, en sens inverse, CE 2° et 7° s-s-r., 28 décembre 2005, n° 284863 (N° Lexbase : A2017DMN) à propos de la fameuse affaire du stade de football de Lille.
(27) CAA Paris, 3 juillet 2009, n° 06PA0334.
(28) CAA Bordeaux, 7 octobre 2004, n° 02BX02166 (N° Lexbase : A3669E9R), à propos de constructions visant à créer un effet architectural.
(29) CAA Versailles 2ème ch., 19 janvier 2006, n° 04VE00237 (N° Lexbase : A2051DNB).
(30) CAA Paris 3ème ch., 8 octobre 1996, n° 95PA00545 (N° Lexbase : A8882BHG).
(31) CE 2° et 7° s-s-r., 9 mai 2008, n° 308911 (N° Lexbase : A4330D8U).
(32) CAA Versailles, 3 juillet 2007, n° 06VE00112 (N° Lexbase : A3285DYC).
(33) CAA Bordeaux 1ère ch., 31 octobre 2007, n° 04BX01652 (N° Lexbase : A6207D4N).
(34) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW).
(35) CE 5° et 7° s-s-r., 10 décembre 2003, n° 248950 (N° Lexbase : A4046DA4) ; CE 2° et 7° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 291487 (N° Lexbase : A1509D3B).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Septembre 2010

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi, d'abord, de s'arrêter sur un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 juillet 2010 et promis aux honneurs de son Bulletin, dans lequel la Chambre commerciale répond à la question de savoir si, dans le cadre d'une procédure régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985, un créancier domicilié aux Antilles et confronté à déclarer une créance au passif d'un débiteur domicilié aux Antilles dans le même département bénéficie de l'allongement de délai pour déclarer sa créance. La seconde actualité marquante en la matière est à n'en pas douter l'avant-projet de loi, portant modification du Code de commerce, présenté le 27 juillet 2010 par le Gouvernement, qui envisage, notamment, la création d'une sauvegarde financière expresse et sur laquelle revient, cette semaine, Pierre-Michel Le Corre.
  • Le délai de déclaration de créance du créancier domicilié hors de la France métropolitaine (Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-13.103, FS-P+B N° Lexbase : A6761E48)

Un créancier domicilié aux Antilles et confronté à déclarer une créance au passif d'un débiteur domicilié aux Antilles dans le même département bénéficie-t-il de l'allongement de délai pour déclarer sa créance ? Telle est la question que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a tranchée par un arrêt rendu le 13 juillet 2010, dans le cadre d'une procédure régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR).

En l'espèce, une société avait été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de Fort-de-France du 28 juin 2005, publié au BODACC le 31 juillet 2005. Un créancier martiniquais ayant déclaré sa créance le 14 octobre 2005 avait, dans un premier temps, été admis au passif au motif qu'en application de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 (décret n° 85-1388, art. 66 N° Lexbase : L5358A49), les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine bénéficiaient d'un délai supplémentaire de deux mois pour déclarer leur créance.
L'ordonnance ayant ensuite été infirmée par la cour d'appel (CA Fort-de-France, 23 janvier 2009), le créancier s'était pourvu en cassation en arguant d'une prétendue violation de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 qui disposait, sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985 applicable en la cause, que "le représentant des créanciers, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, avertit les créanciers connus d'avoir à lui déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC. Ce dernier délai est augmenté de deux mois pour les créanciers domiciliés hors de la France métropolitaine".

De la lecture littérale du texte faite par le créancier il ressortait qu'un créancier domicilié hors France métropolitaine pouvait bénéficier de l'allongement de deux mois du délai pour déclarer sa créance, que la procédure s'ouvre en France métropolitaine ou en dehors de la France métropolitaine.

Telle n'est pas l'analyse retenue par la Chambre commerciale qui considère que l'arrêt d'appel "retient à bon droit que l'allongement du délai de déclaration de créance prévu par l'article 66, alinéa premier, du décret, qui édicte un régime dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier domicilié hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement, ne peut être étendu au créancier domicilié dans un département ou territoire d'outre-mer ayant à déclarer leurs créances dans une procédure ouverte dans le même département ou territoire".

Si, à la lecture du texte, la solution n'était pas évidente, la position adoptée par la Chambre commerciale doit pourtant être approuvée sans réserve.

Le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, qui vise le créancier domicilié hors France métropolitaine, ne peut en effet être interprété largement, en le déconnectant de sa ratio legis. Ce texte a été conçu par le pouvoir réglementaire, qui n'a manifestement pas songé à l'ouverture d'une procédure outre-mer. Il n'a pas vocation à donner un avantage immérité aux créanciers hors métropole lorsque la procédure s'ouvre hors métropole. Il a, au contraire, pour but de remédier au fait que le délai de déclaration de créance n'est ni un délai de recours, ni un délai de comparution (1) privant ainsi le créancier d'outre-mer ou étranger de l'augmentation du délai posée par l'article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5814ICC) (2), lequel n'est applicable qu'aux seuls délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation.

Parce que le délai de déclaration des créances n'est ni un délai de recours, ni un délai de comparution, un texte spécial -l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985- a ainsi été nécessaire pour accorder un allongement de délai au créancier domicilié hors de la France métropolitaine. Ce texte est évidemment d'exception, puisqu'il déroge à l'interdiction d'allonger un délai de procédure en dehors des solutions du droit commun prévues par l'article 643 du Code de procédure civile.

Parce que ce texte est d'exception, la Cour de cassation a refusé de l'étendre par analogie à la situation inverse de celle qu'il régit : celle du créancier métropolitain confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte aux Antilles (3). Ainsi, la Cour de cassation n'a pas accordé l'allongement du délai de déclaration de créance à un créancier métropolitain confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte en Guadeloupe (4). Un raisonnement par analogie aurait été tentant au lieu d'un raisonnement a contrario. Pourquoi le premier était-il impossible ? Parce que le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret est un texte d'exception, lequel ne peut, comme tel, être interprété extensivement. Seule l'interprétation a contrario était concevable. En refusant d'appliquer une solution prévue pour un autre cas à la situation sur laquelle elle avait à raisonner, la Cour de cassation en revient au principe : celui du délai de deux mois pour déclarer les créances.

Il importe d'observer que toute la logique du raisonnement mené tient au constat que l'allongement du délai de déclaration des créances est dérogatoire au droit commun et mérite donc d'être strictement appliqué. Dès lors, l'argument facile consistant à énoncer que là où la loi ne distingue pas, l'interprète n'a pas à distinguer, tombe de lui-même. Pareille méthode d'interprétation ne peut être adoptée en présence d'un texte d'exception. L'adage ubi lex... conduit en effet à mener un raisonnement par analogie, a pari, ce qui est inconcevable en présence d'un texte d'exception.

Le texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, qui vise le créancier domicilié hors France métropolitaine, ne peut donc être interprété largement, en le déconnectant de sa ratio legis.

L'apport de la législation de sauvegarde des entreprises est à cet égard intéressant. Il s'est agi de rendre strictement symétriques les solutions en permettant à un créancier métropolitain de bénéficier d'un allongement de délai de déclaration de créance, lorsque la procédure collective s'ouvre en dehors de la France métropolitaine (C. com., art. R. 622-24 N° Lexbase : L0896HZ9).

Selon l'alinéa 2 de l'article R. 622-24, issu du décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1677, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3297HET), "lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire".

Selon l'alinéa 3 du même article, "lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège dans un département ou une collectivité d'outre-mer, le délai est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas dans ce département ou cette collectivité".

Ainsi, le pouvoir réglementaire, soucieux de l'amélioration des textes, a-t-il raisonné non seulement par rapport au créancier, mais encore par rapport à la juridiction qui a ouvert la procédure.

Cette précaution n'avait pas été prise par le décret du 27 décembre 1985.

Le décret du 28 décembre 2005, qui s'intéresse au cas du créancier domicilié en dehors de la France métropolitaine, prend bien le soin de préciser qu'il ne bénéficiera de l'allongement du délai de déclaration de créance que si le débiteur ne se trouve pas dans le même territoire ou département d'outre-mer. Aucun auteur en doctrine n'a souligné un changement opéré par le législateur. La raison en est simple : il n'y a pas eu de changement sur la question, mais seulement la volonté de soigner la rédaction des textes, ainsi que certains l'ont relevé (5). Le décret du 28 décembre 2005 est donc parfaitement interprétatif lorsqu'il s'intéresse au cas du créancier situé en dehors de la France métropolitaine.

Au regard de la ratio legis du texte de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 et de l'éclairage apporté à ce texte par l'amélioration rédactionnelle contenue dans le décret du 28 décembre 2005, la conclusion qui s'impose est claire : l'allongement du délai de déclaration de créance résultant de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 ne vaut que pour le créancier domicilié en dehors de la France métropolitaine et seulement si la procédure est ouverte en métropole.

Cette interprétation était donc la seule concevable, de sorte que la solution adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans cet arrêt du 13 juillet 2010 doit être totalement approuvée.

Il aurait, en outre, été pour le moins choquant en l'espèce, régie par les disposition de la loi du 25 janvier 1985, et absolument inexplicable au regard du principe de l'identité législative, qui impose l'application de la loi française aux départements d'outre-mer, sauf texte contraire, qu'un créancier martiniquais puisse déclarer sa créance en Martinique dans un délai de quatre mois alors que le créancier métropolitain, confronté à devoir déclarer sa créance dans une procédure collective ouverte en Martinique ne dispose que d'un délai de deux mois.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Le projet de loi portant création d'une sauvegarde financière expresse (avant-projet de loi portant modification du Code de commerce)

Un projet de loi, émanant conjointement du ministère de la Justice et du ministère de l'Economie, a pour objet d'introduire dans le livre VI du Code de commerce une sauvegarde financière expresse en insérant un chapitre VIII dans le titre II de ce livre, par création des articles L. 628-1 à L. 628-7. Ce projet de loi trouve clairement son inspiration dans un article de Thierry Montéran (6), praticien avisé s'il en est, dans lequel l'auteur évoquait la création d'une procédure de sauvegarde simplifiée, nécessairement précédée d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation, qui resterait discrète et ne concernerait que certains créanciers, auxquels une interruption ou un arrêt des poursuites individuelles serait imposé, alors que les autres créanciers ne seraient pas concernés par la procédure ouverte.

L'idée est de faire en sorte que le passage sous procédure collective d'une entreprise, qui n'est pas en état de cessation des paiements, soit le plus court possible, afin de ne pas provoquer un assèchement du crédit fournisseur. On sait, en effet, que l'une des difficultés principales de la procédure de sauvegarde tient à la réticence des assureurs crédits de continuer à assurer les risques sur des clients de leurs assurés, lorsque ces clients ont fait l'objet d'une procédure de sauvegarde.

Cette dernière, bien que préventive, n'en est pas moins une véritable procédure collective de paiement, entraînant l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'interdiction des paiements. Corrélativement, les créanciers sont soumis à l'obligation de déclarer leurs créances au passif.

La lourdeur de la procédure de déclaration et de vérification des créances, dans une procédure préventive, est incontestable. Pourtant, une véritable procédure collective peut difficilement s'affranchir de ce cadre obligé, car les grands corps de règles du droit des entreprises en difficulté ne peuvent suivre des cheminements différents : s'il y a arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, il faut obligatoirement qu'il y ait également interdiction des paiements. S'il y a arrêt des poursuites individuelles, il faut remplacer l'interdiction d'agir en justice pour obtenir condamnation au paiement par une autre démarche procédurale, qui ne peut être que la déclaration de créance au passif. Ainsi, si l'on veut mettre de la souplesse dans la procédure collective, cela ne peut se faire que par la mise à l'écart complète des corps de règles qui assujettissent les créanciers à la discipline collective et qui, au travers de la règle de l'interdiction de paiement, dicte sa conduite au débiteur.

Dans une procédure de conciliation, au contraire, ces grands corps de règles, qui fondent la discipline collective, sont absents. Tout est contractuel et repose ainsi sur le bon vouloir des créanciers.

Evidemment, pour le débiteur, la conciliation est plus attrayante que la sauvegarde, car elle conserve, si elle n'est pas homologuée, toute la confidentialité à la procédure, dont voudrait s'accommoder la recherche du sauvetage des entreprises.

Si des créanciers récalcitrants se manifestent dans la procédure de conciliation, il faut s'orienter vers une procédure collective de paiement, à savoir une sauvegarde s'il n'y a pas cessation des paiements, pour imposer aux récalcitrants au minimum des délais de paiement et, en cas de procédure à comités de créanciers, éventuellement des réductions de dettes à une minorité de récalcitrants grâce à un vote de la majorité.

On comprend ainsi le rôle de bouclier que peut jouer la procédure de sauvegarde par rapport à la procédure de conciliation. Le discours du conciliateur peut facilement être le suivant, même s'il est énoncé généralement par des conciliateurs policés et diplomates : "créanciers, montrez-vous conciliants dans une procédure de conciliation. A défaut on pourrait vous imposer des sacrifices plus lourds dans une procédure de sauvegarde".

Si malgré ce discours, le conciliateur n'obtient pas l'accord recherché de la part de certains créanciers stratégiques pour l'entreprise, la seule issue pour le débiteur est de passer par la procédure de sauvegarde. Mais, alors, la perte de temps, faute de texte articulant les procédures de conciliation et celle de sauvegarde, va être sensible et le placement sous sauvegarde potentiellement catastrophique pour l'entreprise, compte tenu des délais de la procédure collective. C'est ce constat qui a inspiré le projet de loi, qui ambitionne de créer une procédure de sauvegarde financière expresse.

Il s'agirait de placer le débiteur sous sauvegarde, après un passage dans une conciliation où l'accord de conciliation n'aurait pas été obtenu avec tous les créanciers, mais au moins avec une majorité de ceux-ci, pour un temps très réduit, un mois, afin d'imposer aux minoritaires, qui seraient des créanciers bancaires ou des établissements de crédit, au minimum des délais de paiement. On comprend alors l'expression de sauvegarde financière expresse, expresse par la durée, financière par la portée des contraintes imposées à une variété particulière de créanciers. Il reste que la lettre des textes, en l'état du projet de loi, traduit assez mal cette condition.

La sauvegarde financière expresse est, selon le texte de l'article L. 628-1 du Code de commerce soumise aux règles de la sauvegarde, sous réserve des dispositions du chapitre VIII. Cela signifie donc que, par principe, la sauvegarde financière expresse ne constitue qu'une modalité de la procédure de sauvegarde (I), cependant que, par son caractère très partiellement collectif la procédure aboutit à la création d'une nouveauté juridique, que nous pouvons qualifier de "procédure semi-collective" (II).

I - La sauvegarde financière expresse, une modalité de la procédure de sauvegarde

Dire que la sauvegarde financière expresse ne constitue, par principe, qu'une modalité de la procédure de sauvegarde, signifie d'abord que les règles de droit commun de la sauvegarde trouvent application dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse (A). Cela veut dire ensuite que, si dans les délais impartis par la loi, les solutions n'ont pas été trouvées dans le cadre de la sauvegarde financière expresse, il y aura retour au droit commun de la sauvegarde (B).

A - L'application des règles de droit commun de la sauvegarde dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse

Le principe selon lequel les exceptions sont de droit étroit et ne peuvent exister sans texte oblige à une application des règles de droit commun de la sauvegarde dans le silence des textes dérogatoires de la sauvegarde financière expresse. Telle est la solution au demeurant explicitement posée par l'article L. 628-1 du Code de commerce.

Ce principe de solution permet d'apporter des réponses à certaines interrogations, que suscite nécessairement le caractère laconiquement parcellaire et donc "clairement" elliptique du texte du projet de loi.

L'une des conditions d'application de la procédure de sauvegarde financière expresse (SFE) est le recours préalable à la procédure de conciliation, ainsi que le précise l'article L. 628-2 du Code de commerce. Or, la procédure de conciliation peut bénéficier à un débiteur qui n'est pas en état de cessation de paiement ou qui est dans cet état depuis moins de 45 jours. Au contraire, la procédure de sauvegarde ne peut pas bénéficier à un débiteur en état de cessation des paiements. Ainsi, faut-il décider, compte tenu de l'application de principe des règles de la procédure de sauvegarde, que la sauvegarde financière expresse n'est accessible à un débiteur ayant obtenu le bénéfice de l'ouverture d'une procédure de conciliation, que si ce débiteur n'est pas en état de cessation des paiements au jour de la demande d'ouverture de la sauvegarde. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit fermée à un débiteur ayant été en état de cessation des paiements, depuis moins de 45 jours, au jour où il a obtenu l'ouverture de la conciliation. En effet, pendant la recherche de l'accord de conciliation, le débiteur a pu obtenir un moratoire de la part d'un ou plusieurs créanciers, rendant à terme un passif exigible. Même si l'accord de conciliation n'a pu être obtenu, rien n'interdit, semble-t-il, de donner plein effet au moratoire accordé, s'il est retranscrit dans un accord bilatéral entre le débiteur et le créancier, sous l'égide du conciliateur, dès lors que le maintien du moratoire n'est pas conditionné à l'accord de conciliation.

Le recours préalable à la conciliation interdit d'appliquer la SFE aux agriculteurs, qui ne bénéficient pas de la procédure de conciliation, mais qui sont soumis au règlement amiable agricole.

En tout état de cause, le tribunal, saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde financière expresse, devra vérifier que le débiteur n'est pas en état de cessation de paiement et qu'il remplit les conditions visées aux articles L. 620-1 (N° Lexbase : L3237ICU) à L. 621-1 du Code de commerce. L'application de ces articles est, en effet, expressément réservée par l'article L. 628-4 du Code de commerce.

Conformément aux principes qui régissent la matière, le débiteur, et lui seul, pourra saisir le tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de sauvegarde financière expresse.

L'article L. 628-4 du Code de commerce prévoit que le tribunal statue sur l'ouverture de la procédure après rapport du conciliateur sur le déroulement de conciliation et sur les perspectives sérieuses de conclusion, dans le délai d'un mois, d'un accord de nature à assurer la pérennité de l'entreprise. On pressent ici que l'essentiel de l'accord a été trouvé en amont, dans le cadre de la procédure de conciliation. La notion de "pré pack" est clairement sous-entendue. Précisons, toutefois, qu'une possibilité de report du délai pour un mois supplémentaire est prévue dans le texte, mais elle est tout à fait exceptionnelle et ne peut être accordée, sauf excès de pouvoir du tribunal, que si les délais de réunion des assemblées d'actionnaires le requièrent.

L'article L. 628-3 du Code de commerce, qui sera sans doute déplacé dans la partie réglementaire, prévoit en ce sens que la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse est accompagnée du projet de plan établi avec le concours du débiteur. La formule peut d'ailleurs surprendre car, dès lors qu'il s'agit d'une démarche préalable à l'ouverture de la sauvegarde, cela signifie qu'aucun administrateur judiciaire n'est encore en fonction, d'où il résulte que le projet de plan suppose au minimum le concours du débiteur. Cela signifie sans doute que le projet de plan est l'oeuvre commune du débiteur et du conciliateur. Il serait préférable de l'énoncer clairement, plutôt que d'utiliser des formules absconses.

Ce même article L. 628-3 ajoute que la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse est accompagnée des prévisions d'activité et de financement, celles-ci devant s'entendre, à notre sens, de celles qui présideront à l'exécution du plan, et non de celles devant permettre la poursuite d'activité de la période d'observation, car celle-ci n'est appelée à durer qu'un mois, sauf renouvellement pour la même durée.

Enfin, la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse doit être accompagnée de la liste des dettes établies à la date de la demande d'ouverture par le commissaire aux comptes du débiteur ou par un commissaire aux comptes désigné par ordonnance du tribunal. Observons, au passage, que le débiteur et son conciliateur doivent ici anticiper l'ouverture de la procédure collective, si le débiteur n'a pas de commissaire aux comptes, afin que le président du tribunal, par ordonnance relevant de la matière gracieuse, en désigne un.

L'article L. 628-3 du Code de commerce fait apparaître, en réalité, que cette liste doit isoler, en son sein, les créances détenues par les fournisseurs de biens et services, qui ne subiront pas la procédure collective, et celles détenues par des personnes qui, sans être des fournisseurs, ne seront pas davantage soumises à la discipline collective ou ne le seront que pour un temps limité, leur paiement devant intervenir au plus tard lors de l'admission de leurs créances.

Pour gagner du temps, il est évident que le conciliateur peut devenir l'administrateur. L'opposition du ministère public à la désignation comme administrateur de l'ancien conciliateur ne semble pas ici recevable, contrairement à la solution retenue dans la procédure de sauvegarde de droit commun. La solution se rapproche de celle qui consiste à autoriser le débiteur à proposer au tribunal la désignation d'un administrateur, qui sera celui ayant au préalable fait office d'administrateur. Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il que le conciliateur puisse être nommé administrateur, ce qui, d'évidence, n'est pas le cas s'il est mandataire judiciaire. La formule de l'article L. 628-4, alinéa 2, du Code de commerce est donc trop brutale, pour pouvoir être appliquée à la lettre, car on imagine mal qu'un mandataire judiciaire devienne administrateur, les fonctions étant incompatibles.

Bien que l'article L. 628-1 du Code de commerce fasse apparaître la sauvegarde financière expresse comme une variante de la procédure de sauvegarde classique, il semble qu'elle doive être limitée à l'hypothèse où des comités de créanciers doivent être constitués.

La lettre des textes est en ce sens. On remarque, d'abord, que la présence d'un administrateur judiciaire s'impose, ainsi que l'énonce l'alinéa 2 de l'article L. 628-4, ce qui exclut l'application de la sauvegarde financière expresse en l'absence d'administrateur judiciaire. Ensuite, l'article L. 628-5, alinéa 2, du Code de commerce exclut la prise en compte des créances non affectées par le projet de plan pour la composition des comités de créanciers. La solution serait insuffisante si la sauvegarde financière expresse avait vocation à déborder le cadre des procédures sans comité de créanciers. En effet, les créances non affectées par le projet de plan devraient être prises en compte, faute de texte contraire, pour l'élaboration du plan, en dehors du jeu des comités de créanciers, ce qui serait un non sens au regard de l'architecture et plus encore de l'objet de la sauvegarde financière expresse.

Il faut en effet bien voir à quoi, en pratique, sert cette création. Elle a pour objet, ainsi que le précise la note explicative jointe au projet de loi et emportant demande de consultation, de permettre à un débiteur étant passé par la conciliation, et ayant reçu une très large adhésion des créanciers consultés sur l'accord de conciliation, de faire plier quelques récalcitrants. Or ces derniers, qui n'ont pas donné leur accord dans le cadre de la conciliation, n'ont aucune raison de retourner leur veste. Il faut donc les contraindre, ce qui ne peut passer que par un vote de la majorité des créanciers, déjà acquise au débiteur dans la conciliation, qui imposera sa loi à cette minorité de réfractaires, que la sauvegarde financière expresse a pour ambition de faire plier. La présence du comité des établissements de crédit s'impose donc, cependant que celle du comité des fournisseurs semble bien exclue. Cette remarque conduit à modifier la rédaction de l'article L. 628-5 alinéa 2, qui vise des "comités", le pluriel utilisé pouvant apparaître ici bien singulier.

Tout concorde donc, l'esprit du texte et sa lettre, pour affirmer que la procédure de sauvegarde financière expresse ne peut concerner que des procédures avec comités.

L'esprit du texte ne fait pas de discrimination entre les comités obligatoires et ceux simplement facultatifs. En revanche, la lettre des textes prévoyant la nomination obligatoire d'un administrateur judiciaire, dès l'ouverture de la sauvegarde financière expresse, fait pencher pour une solution réservant celle-ci aux seules procédures avec comités de créanciers obligatoires, c'est-à-dire aux grandes entreprises. Il en est de même de la présence obligatoire, au jour de l'ouverture de la procédure, d'un commissaire aux comptes établissant la liste des créances. Enfin, les délais de la sauvegarde financière expresse semblent s'accommoder assez mal de la nomination d'un administrateur ayant pour seule mission de faire fonctionner les comités, en cours de procédure.

B - Le retour au droit commun de la sauvegarde en cas d'échec de la sauvegarde financière expresse

La sauvegarde financière expresse est enfermée dans un délai extrêmement bref : un mois à compter de l'ouverture. Dans ce mois, le plan doit être arrêté, sous réserve de la prorogation du délai pour un mois, si la réunion des assemblées d'actionnaires le requiert.

On peut, certes, regretter que la prorogation de délai soit enfermée dans des conditions aussi strictes, ce qui fait de la sauvegarde financière expresse, sur le terrain de la temporalité, un mécanisme rigide. Mais, en sens inverse, les dérogations apportées au fonctionnement classique d'une procédure collective ne peuvent perdurer. Les acteurs professionnels du droit des entreprises en difficulté doivent bien comprendre le tempo, et ne demander l'ouverture de la sauvegarde financière expresse que lorsque l'accord est bouclé avec l'essentiel des créanciers et qu'il ne reste donc à consulter que quelques rares créanciers, ce qui peut être fait rapidement. Ils doivent aussi avoir vu en amont, avec le tribunal, la gestion des délais de convocation, pour que les décisions puissent être rendues dans les délais. On est ici dans une mécanique de précision rappelant l'horlogerie suisse.

A défaut d'arrêté du plan dans le délai du mois, le tribunal met fin à l'application des dispositions dérogatoires de la sauvegarde financière expresse. Il en est de même, précise l'article L. 628-7, à tout moment, le tribunal qui se saisit d'office devant alors rendre une décision spécialement motivée.

Les textes sont muets sur les effets du retour au droit commun de la sauvegarde. On pourrait tenter l'analogie avec la procédure de liquidation judiciaire simplifiée et le retour au droit commun de la liquidation judiciaire. Ce rapprochement ne nous paraît pas pertinent. La clé du système pourrait bien reposer sur un différé de publication du jugement d'ouverture : dès lors que la procédure, comme on le verra, n'est pas véritablement collective, on pourrait concevoir de ne pas publier au BODACC la sauvegarde financière expresse et de ne publier que le jugement mettant fin à celle-ci et plaçant le débiteur sous le régime de droit commun de la sauvegarde. Même si le deuxième jugement n'est pas, techniquement, un vrai jugement d'ouverture de la procédure collective, tout se passerait pour les personnes assujetties à la discipline collective comme si le jugement de retour à la sauvegarde de droit commun constituait le jugement d'ouverture. Seul ce dernier ferait alors courir les délais de recours, et notamment la tierce opposition. Seul ce jugement aurait pour effet de faire courir les délais de déclaration des créances et de revendication.

C'est ainsi que nous comprenons l'article L. 628-7 du Code de commerce, disposition finale de la procédure de sauvegarde expresse. Le texte s'intéresse au jugement qui statue sur l'issue de la sauvegarde. Il s'intéresse également à une autre hypothèse, celle dans laquelle à l'issue des délais de la sauvegarde financière expresse, le plan n'est pas arrêté. En ce cas, un jugement va mettre fin à l'application des dispositions spécifiques de la procédure de sauvegarde financière expresse et emporter application du droit commun de la procédure de sauvegarde. A ce stade, et à ce stade seulement, est envisagée une publication du jugement. Il faut donc comprendre que le jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse n'est pas publié, seul l'étant le jugement qui statue sur l'issue de la procédure en arrêtant le plan, ou qui met fin à l'application des dispositions spéciales de la sauvegarde financière expresse.

Par cette publication retardée, les difficultés liées au recours des tiers sur le jugement d'ouverture sont écartées, seul le jugement décidant l'application des dispositions de droit commun de la sauvegarde étant susceptible de recours. De même, les délais de déclaration des créances et ceux de l'action en revendication commenceraient à courir à compter de la publication de ce second jugement et ne pourraient jamais courir à compter du jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse. Pour les créanciers non soumis aux contraintes de la procédure de sauvegarde financière expresse, ceux pour lesquels le jugement de sauvegarde expresse n'a eu aucun impact, les règles de l'arrêt ou de l'interruption des poursuites individuelles et des voies d'exécution, et corrélativement la règle de l'interdiction des paiements, commenceraient leur jeu au jour du jugement assurant le passage de la sauvegarde financière expresse à la procédure de sauvegarde de droit commun, et cela sans rétroactivité, laquelle, comme toute fiction juridique, supposerait un texte ici absent.

Il serait toutefois opportun de tenir expressément en échec le principe d'opposabilité erga omnes du jugement d'ouverture de la sauvegarde financière expresse, dans la partie réglementaire du texte. Ainsi, les questions d'opposabilité du jugement de la sauvegarde financière expresse seraient esquivées. Seraient, par exemple, évitées toutes les discussions sur la validité des paiements de créances antérieures intervenus entre l'ouverture de la sauvegarde financière expresse et le jugement mettant fin à l'application des dispositions spéciales de cette procédure et faisant entrer la procédure dans l'ère du droit commun.

S'il est exact que la sauvegarde financière expresse ne constitue qu'une modalité de la procédure de sauvegarde, cependant, par l'absence de caractère collectif de la procédure, elle aboutit, ainsi que nous venons de l'observer, à la création d'une nouveauté juridique, que nous pouvons qualifier de "procédure semi-collective".

II - La sauvegarde financière expresse, une procédure semi-collective

En droit français, il existe une procédure contractuelle, la conciliation, et trois procédures judiciaires, qui sont toutes trois de véritables procédures collectives de paiement : la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires.

Dans la première, la conciliation, les grands corps de règles qui permettent de considérer qu'une procédure de paiement est collective font défaut. Les créanciers ne sont soumis ni à l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, ni à la règle de l'interdiction des paiements et corrélativement n'ont pas à déclarer leurs créances au passif. Les créanciers ne sont pas représentés par un organe assurant leur défense collective et, pour sa part, le débiteur n'est dessaisi d'aucune de ses prérogatives.

Dans les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, au contraire, nous sommes en présence de véritables procédures collectives de paiement avec les traits caractéristiques qui viennent d'être signalés. Cela est vrai même dans la procédure de sauvegarde, qui pour être préventive, n'en est pas moins collective. Ainsi, tous les créanciers autres que ceux éligibles au traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs sont soumis à la discipline collective. Ils ne peuvent plus être payés, ne peuvent plus agir en justice pour obtenir la condamnation de leur débiteur au paiement ou exécuter des titres obtenus. Corrélativement, ils doivent se soumettre à l'obligation de déclaration au passif, pour rendre opposable à la procédure collective leur droit de créance. Pour leur part, les propriétaires de meubles corporels ou incorporels, afin de rendre opposable à la procédure collective l'ordre de propriété doive revendiquer, dès lors que le contrat, qui fonde la détention précaire du débiteur, n'est pas publié.

L'élaboration du plan de sauvegarde est lourde. Tous les créanciers antérieurs, sous réserve des créanciers d'aliments et des salariés, doivent être consultés, soit dans le cadre d'une consultation individuelle, soit dans le cadre des comités de créanciers. Parallèlement, une consultation particulière intéresse les remises de dettes que peuvent consentir les créanciers publics.

La durée d'élaboration du plan, et celle de la procédure de déclaration de vérification et d'admission des créances, aboutissent à laisser le débiteur sous procédure collective pendant un temps relativement long, ce qui n'est pas favorable pour son image et donc son crédit.

Si l'on veut accélérer la procédure, il faut gagner du temps sur les deux tableaux, celui de l'élaboration du plan, mais aussi, et surtout peut-être, sur celui de la procédure de déclaration, de vérification et d'admission des créances. Alors le postulat est le suivant : limiter strictement les consultations des créanciers aux seuls créanciers sur lesquels le plan doit avoir un impact. De la même façon, il faut limiter la procédure de vérification des créances aux seuls titulaires de créance sur lesquels le plan aura un impact.

On peut ainsi constater que la sauvegarde financière expresse conduit à une "balkanisation" (7) des créances (A) et débouche sur une procédure de vérification et d'admission des créances présentant un grand particularisme (B).

A - Une "balkanisation" des créances

L'un des traits les plus saillants de la sauvegarde financière expresse est l'éclatement du traitement des créances traditionnellement soumises aux contraintes de la discipline collective. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, on sait que la discipline collective a vu son périmètre s'accroître pour concerner toutes les créances autres que celles postérieures méritantes, les créances bénéficiant du traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs élus. La sauvegarde financière expresse ne s'intéresse pas aux créances postérieures. En revanche, elle soumet à des régimes distincts des créanciers antérieurs au jugement d'ouverture, qui, éventuellement, ne sont pas dans des situations juridiques différentes. Autrement dit, il pourra s'agir de traiter différemment des créanciers chirographaires, voire de traiter plus durement des créanciers privilégiés par rapport à certains créanciers chirographaires. La démarche est nouvelle et il n'est pas certain que la nouveauté s'accompagne d'une grande orthodoxie juridique, au regard du principe de l'égalité des créanciers, qui interdit de traiter différemment des créanciers placés dans une situation identique. Il restera peut-être à voir ce qu'en pense le Conseil constitutionnel, s'il est saisi.

Certains créanciers échapperont complètement aux contraintes de la procédure collective. Les traditionnelles règles de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, qui accompagnent la règle de l'interdiction des paiements, seront sans application pour eux.

Il en sera d'abord ainsi des fournisseurs de biens ou de services, catégorie au demeurant très vaste, comme avait permis de s'en apercevoir l'étude de la question de la cession judiciaire des contrats, qui s'intéresse identiquement à ces fournisseurs.

Si l'on veut que le texte ait une véritable portée, sans doute serait-il bon d'exclure certains fournisseurs de services, qui sont des établissements de crédit, et auquel le législateur n'entend sans doute pas, si l'on en juge par l'expression sauvegarde "financière", faire profiter du régime enviable réservé aux fournisseurs. Ainsi, le banquier qui consent un cautionnement est-il fournisseur de services. Il en est de même du crédit-bailleur.

Eviteront tout autant les contraintes de la discipline collective, les créanciers détenant des créances que le débiteur et son conciliateur, aujourd'hui relayé par son administrateur, ont décidé de payer dans les conditions contractuelles ou à l'échéance, en présence de créances non contractuelles, par exemple des créances publiques.

Le silence du texte sur les créances publiques pourrait conduire à considérer que le droit commun de la sauvegarde leur est applicable, ce qui autoriserait la mise en place de la consultation des créances publiques, pour l'octroi de remises de dettes. Le dispositif de remises des dettes publiques ne semble pas contrarié par le fait de l'exclusion des remises de dettes de la part de certains créanciers, dont les fournisseurs. En effet, l'article D. 626-15, alinéa 1er in fine, du Code de commerce (N° Lexbase : L0163IER), qui résulte du décret n° 2009-385 du 6 avril 2009 pris en application de l'article L. 626-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L0036IE3 ; JO du 8 avril 2009) énonce que "les efforts des créanciers publics sont coordonnés avec ceux des autres créanciers en vue de faciliter le redressement durable de l'entreprise et permettre le recouvrement de recettes publiques futures". Il ne subordonne donc pas les remises publiques au fait que tous les créanciers privés consentent des remises.

L'on peut, toutefois, douter de la possibilité d'appliquer le dispositif de consultation des créanciers publics, dans la sauvegarde financière expresse, pour deux raisons.
D'une part, la notion même de sauvegarde financière expresse fait ressortir que les efforts doivent être consentis par des créanciers financiers, non par les autres.
D'autre part, les délais de la procédure de sauvegarde expresse, qui oblige à l'arrêté du plan dans le mois de l'ouverture de la procédure, apparaissent inconciliables avec la procédure de consultation des créanciers publics.

Ces deux raisons nous amènent donc à poser en postulat que les créanciers publics seront au rang des créanciers non affectés par le projet de plan.
Rien n'interdit toutefois d'envisager que certains créanciers, autres que les fournisseurs, et notamment les créanciers publics, ne soient payés qu'au jour de l'arrêté du plan, ce qui entraîne alors un différé de paiement.
Rien n'interdit également de suggérer au mandataire judiciaire une contestation de certaines créances, et notamment les créances publiques. En ce cas, il faut prévoir que la créance ne sera payée qu'au jour de l'admission de la créance. Il y alors un arrêt des poursuites individuelles de la part de ces créanciers, qui sont soumis au passage obligé de la vérification des créances.

Il y aura enfin la catégorie des créances sur lesquelles le projet de plan exercera une incidence. Ces créances seront, selon l'article L. 628-6 du Code de commerce "affectées par le projet de plan". Ces créances subiront les règles de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'interdiction des paiements. Bien qu'elles ne soient pas soumises à déclaration au passif, elles seront vérifiées et pourront faire l'objet d'une proposition de rejet, qui déclenchera une phase contentieuse, si le créancier entend exercer un recours sur la liste des créances, qui sera publiée.

Ainsi, le régime applicable aux créances sera très variable, ce qui justifie l'expression de procédure semi-collective, car les contraintes seront extrêmement variables en fonction des créanciers concernés.

B - Un particularisme de la procédure de vérification et d'admission des créances

L'article L. 628-6 du Code de commerce énonce que "par dérogation aux articles L. 622-24 (N° Lexbase : L3455ICX) et L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC), le mandataire judiciaire établi dans le délai fixé par le tribunal, après avoir pris en compte la liste des créances prévues au 2° de L. 628-3 et en prenant en compte, le cas échéant, les déclarations de créance effectuées spontanément par des créanciers, la liste des créances affectées par le projet de plan avec ses proposition d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente. Le greffe en assure la publication dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Le mandataire judiciaire transmet aux créanciers concernés les propositions le concernant, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au plus tard cinq jours à compter de la publication des propositions. Le créancier peut contester la proposition le concernant dans un délai de 15 jours à compter de sa publication".

L'article L. 628-6 commence ainsi par une dérogation aux articles L. 622-24 et L. 622-25 du Code de commerce. Il faut donc comprendre que l'une des nouveautés saisissantes de la sauvegarde financière expresse est la dispense de déclaration des créances. Cette dispense est absolument générale. Les créanciers confrontés, dans une sauvegarde classique, à devoir déclarer leurs créances au passif, en sont ici dispensés. C'est pourquoi la procédure de sauvegarde financière expresse n'est pas une véritable procédure collective. Nous l'avons qualifiée de semi-collective, non seulement au regard des créanciers qu'elle va affecter, mais encore par la mise à l'écart de règles caractérisant fondamentalement toute procédure collective.

La première étape dans le processus conduisant à l'admission ou au rejet des créances est donc supprimée.

On commence immédiatement par la deuxième étape, la vérification des créances.

Le mandataire doit établir une liste des créances, dont il a connaissance de deux façons : d'une part, le débiteur aura dû, lors de la demande d'ouverture de la sauvegarde financière expresse, joindre une liste des créances établie par son commissaire aux comptes ou par un commissaire aux comptes qui aura été désigné avant l'ouverture de la sauvegarde par le président du tribunal sollicité en ce sens. Cette liste devra faire ressortir les créances susceptibles d'être affectées par le projet de plan. La solution résulte de la combinaison des 3° et 4° de l'article L. 628-3 du Code de commerce.

La procédure de vérification des créances n'a donc absolument pas la portée générale qu'elle peut avoir dans la procédure de sauvegarde de droit commun. Le mandataire judiciaire doit, énonce l'article L. 628-5 du Code de commerce, élaborer une liste des créances "affectées par le projet de plan". Il faut donc, a contrario, décider que si les créances ne sont pas affectées par le projet de plan, elles ne doivent pas figurer sur la liste du mandataire judiciaire.

Il en sera d'abord ainsi des créances détenues par les fournisseurs de biens ou de services, puisqu'elles doivent, en application de l'article L. 628-5, alinéa 1er, du Code de commerce, être payées suivant les modalités contractuelles.

Il en sera de même des créances non affectées par le projet de plan, que le débiteur aura décidé de payer sans que l'ouverture de la procédure collective n'y fasse obstacle. Il pourra ici s'agir des créances détenues par les créanciers publics ou par des établissements de crédit.

Ainsi, devront figurer sur la liste établie par le mandataire judiciaire les créances affectées par le projet de plan, mais encore les créances que le débiteur aura entendu faire contester par le mandataire judiciaire, et dont il est prévu qu'elles seront payées après admission. Si le débiteur avait entendu que ces créances soient payées sans que l'ouverture de la procédure constitue un obstacle, logiquement, il n'aurait pas demandé qu'elles soient vérifiées.

Sur la liste des créances établie par le mandataire judiciaire, figureront ses propositions d'admission, de rejet ou d'incompétence. Observons que le texte, par rapport à l'éventail de solutions classiquement ouvertes au juge-commissaire, n'évoque pas la question des instances en cours.

Le greffe assure la publication de liste des créances ainsi vérifiées, à l'instar de la solution retenue dans la liquidation judiciaire simplifiée. Comme dans cette procédure, aucune intervention judiciaire n'est prévue ab initio.

Le mandataire judiciaire doit adresser un courrier recommandé avec demande d'avis de réception à chaque créancier figurant sur la liste, au plus tard cinq jours à compter de la publication des propositions d'admission, de rejet ou d'incompétence. Le créancier est ainsi doublement informé : en théorie, par la publication de la liste des créances et, en pratique, par l'information individuelle qu'il reçoit de la part du mandataire judiciaire.

La brièveté du délai institué -5 jours- nous conduit, sans grande prophétie, à voir là une source sérieuse de problème. Que faudra-t-il décider si le mandataire informe tardivement le créancier ?

La réponse semble devoir être trouvée dans les possibilités de recours ouvertes aux créanciers. Tout créancier, indique l'article L. 628-6 du Code de commerce, peut contester la proposition du mandataire judiciaire dans les 15 jours de la publication -sans doute au BODACC- de la liste des créances vérifiées. Si la double information n'est pas effectuée, le délai ne devrait pas courir contre le créancier. Le point de départ du délai devrait alors être décalé au jour de l'avertissement reçu par le créancier. La solution rejoindrait celle qui avait été posée, sous l'empire de la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, 10 juin 1994, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), et dans le silence des textes sur ce point, en matière d'inopposabilité de la forclusion, lorsque le créancier titulaire d'une sûreté publiée n'avait pas été averti personnellement d'avoir à déclarer sa créance, alors que le représentant des créanciers ou le liquidateur avait l'obligation de l'avertir dans les 15 jours du jugement d'ouverture (8).

On remarquera encore que la réclamation n'est pas ouverte ici aux personnes intéressées autres que les parties, par exemple les cautions, ce qui pourrait être de nature à faire naître un sérieux problème d'accès au juge. Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faudrait-il qu'un juge ait statué, dont la décision aurait autorité de chose jugée à l'égard des cautions, ce qui ne sera pas le cas, dès lors que seule existe une liste émanant d'un mandataire de justice, que l'on aura quelques scrupules, quel que soit le respect porté aux professionnels, à ériger en une décision de justice.

En conclusion, ce texte peut surprendre, voire désarçonner, mais, à y regarder de plus près, il semble, sous réserves de quelques précieuses précisions réglementaires, conciliable avec la sécurité juridique, tout en augmentant les chances de sauvetage des entreprises. Encore faudra-t-il toutefois, qu'il passe avec succès l'éventuelle épreuve du Conseil constitutionnel, une fois sa rédaction sensiblement améliorée, faisant s'éclipser quelques zones d'ombre, contenues dans certaines de ses dispositions, qui, pour l'heure, apparaissent un peu absconses...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cette analyse a été posée par la Cour de cassation : Cass. com., 23 novembre 1999, n° 96-21.034, (N° Lexbase : A4554AGR), Bull. civ. IV, n° 207, D., 2000, AJ p. 31, obs. A. L. ; JCP éd. E, 2000, chron. 752, n° 3-b-10, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2000, p. 185, obs. J.-L. Vallens.
(2) C. proc. civ., art. 643: "lorsque la demande est portée devant une élection qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de :
1. un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à la Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les terres australes et antarctiques françaises ;
2. deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger
".
(3) Cass. com., 23 novembre 1999, préc. ; Act. proc. coll., 1999/20, n° 271 ; Act. proc. coll., 2000/1, n° 5 ; D., 2000, préc. ; JCP éd. E, 2000, préc.; RTDCom., 2000, préc..
(4) Cass. com., 23 novembre 1999, préc., et les obs. préc..
(5) V. ainsi, Ph. Rousel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 529 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2010/2011, n° 665.31.
(6) Th. Montéran, Pour améliorer le droit des entreprises en difficulté, osons la réforme, Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 3.
(7) Le terme est emprunté à notre collègue François-Xavier Lucas.
(8) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-20.715 (N° Lexbase : A3504AUC), Bull. civ. IV, n° 56 ; D., 2000, AJ p. 168, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2000/8, n° 88 ; RTDCom., 2000, p. 716, obs. A. Martin-Serf ; RD banc. et fin., 2000/2, n° 69, obs. F.-X. Lucas.

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Fiscalité des particuliers

[Questions à...] L'ISF est-il inconstitutionnel ? Questions à Maître Jérôme Cuber, Avocat, et Maître Frédéric Subra, Avocat associé, Cabinet Delsol Avocats

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N0551BQH

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt rendu le 9 juillet 2010, le Conseil d'Etat a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les articles 885 A (N° Lexbase : L1191IET), 885 E (N° Lexbase : L8780HLR) et 885 U (N° Lexbase : L0165IKC) du CGI, en matière d'ISF (CE 3°et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 339081, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1408E4W). La décision des Sages de la rue de Montpensier, qui est attendue pour début octobre au plus tard, le Conseil ayant trois mois pour se prononcer, pourrait bien sonner le glas de l'ISF, alors que le débat sur le bien-fondé de cet impôt et du bouclier fiscal est à nouveau relancé par le ministre du Budget, François Baroin, qui mène une réflexion à propos d'une harmonisation avec le système fiscal allemand, dans lequel ces dispositifs n'existent pas. En attendant la décision, les avocats lyonnais ayant soulevé la question, Maître Frédéric Subra, Avocat associé, et Maître Jérôme Cuber, Avocat, Cabinet Delsol Avocats, ont accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Quels sont les arguments soutenus à l'appui de la QPC soulevée à l'encontre de l'ISF ?

Jérôme Cuber et Frédéric Subra : Nous avons trois arguments à l'appui de la QPC transmise au Conseil constitutionnel. Le premier argument, qui repose sur le principe d'égalité devant la loi, tient à la différence de traitement qui existe entre, d'une part, les concubins notoires, qui suivent le même régime que les personnes mariées et les partenaires d'un PACS, et qui sont donc soumis à une imposition commune, et d'autre part, les concubins non notoires, qui font l'objet d'une imposition séparée. Pour ces derniers, chacun des concubins n'est donc soumis à l'ISF que si son patrimoine personnel dépasse le seuil d'imposition, alors que, s'agissant des concubins notoires, comme les personnes mariées, ou les partenaires d'un PACS, c'est le patrimoine du foyer fiscal qui est comparé au seuil d'imposition. Les concubins non notoires disposent donc d'un avantage certain puisqu'ils bénéficient deux fois du seuil d'imposition. Or, en fait, la situation est identique dans les deux cas, puisqu'il existe une communauté de vie. Nous considérons, donc, que l'ISF ne respecte pas le principe d'égalité des contribuables devant la loi, dans la mesure où il existe un traitement différent de situations identiques, et que rien ne justifie ce traitement différent. A l'argument selon lequel l'assimilation des concubins notoires à des personnes mariées ou pacsées a pour objet d'éviter les problématiques de fraude, nous répondons qu'il convient, alors, de considérer que l'ensemble des concubins doit être soumis au même régime que les personnes mariées.

Notre deuxième argument porte sur le problème de l'intégration, dans l'assiette de l'ISF, de tous les biens, qu'ils soient productifs ou non de revenus. Nous soutenons qu'il ne devrait être tenu compte que des seuls biens qui produisent effectivement des revenus. L'argument n'est pas nouveau. En effet, dans deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel, l'une le 30 décembre 1981, à propos de l'IGF (Cons. const., 30 décembre 1981, n° 81-133 DC N° Lexbase : A8033ACI), et l'autre le 29 décembre 1998 (Cons. const., 29 décembre 1998, n° 98-405 DC N° Lexbase : A8751AC4), le Conseil constitutionnel énonçait la nécessité que l'impôt sur la fortune soit acquitté au moyen des revenus produits par le patrimoine : "l'impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés par ces biens ; en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l'impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables".

Nous nous appuyons sur ces deux décisions pour soutenir, plus généralement, que ne devraient être inclus dans l'assiette de l'ISF que les seuls biens qui procurent effectivement des revenus. Autrement dit, il conviendrait d'exclure de l'ISF les biens tels que les véhicules, les bijoux, et tous les meubles meublants. Concernant les immeubles, il conviendrait également de distinguer ceux utilisés par le contribuable lui-même au titre de sa résidence principale, ou de résidences secondaires, et ceux qu'il loue ; de même, on peut s'interroger à propos des titres de société qui ne donnent pas lieu à dividendes au titre d'une année donnée. Cela étant, dans les décisions précitées, le Conseil constitutionnel fait référence aux revenus "en espèce ou en nature". La question se pose donc de savoir ce qu'il faut entendre par revenu en nature, et notamment si le fait d'occuper un bien est constitutif d'un revenu en nature. En droit civil, la réponse est négative, sachant que la notion de revenu se réfère uniquement au fructus et non à l'usus. En revanche, il est vrai que, en droit fiscal, notamment en matière de revenus fonciers, les revenus des propriétés dont le contribuable se réserve la jouissance présentent le caractère de revenus imposables, conformément à l'article 14 du CGI (N° Lexbase : L1053HLL), et font l'objet d'une exonération lorsqu'il s'agit de logements, en vertu de l'article 15-II du même code (N° Lexbase : L1055HLN). Il faudra, donc, que le Conseil constitutionnel précise la notion de "revenus en nature".

Ces deux premiers arguments ont été joints par le Conseil d'Etat pour être rattachés à une QPC portant sur les articles 885 A et 885 E du CGI, relative à l'assiette de l'ISF.

Le troisième argument porte sur l'absence de quotient familial, et a donné lieu à une seconde QPC visant l'article 885 U du CGI. Il est également tiré du principe du respect des capacités contributives issu de l'article 13 de la DDHC (N° Lexbase : L1360A9A). On considère qu'une famille avec trois enfants, par exemple, n'a pas la même capacité réelle de contribution, à patrimoine identique, que celle d'une personne célibataire. Aujourd'hui, le mode de calcul de l'ISF ne permet pas réellement de tenir compte de cette différence de capacité contributive, c'est ce que nous condamnons ici.

Lexbase : Outre l'intérêt de la décision, sur le fond, en tant qu'elle porte transmission de la QPC au Conseil constitutionnel, l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 juillet 2010 statue sur un point de procédure important, puisqu'elle a été soulevée à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir. Pouvez-vous nous préciser les circonstances de l'affaire ?

Jérôme Cuber et Frédéric Subra : Dans cette affaire, nous intervenons au nom d'une personne physique, qui est le président d'une association ayant pour charge de défendre les contribuables. Nous avions exercé un premier recours, au nom de cette association, mais celui-ci a été rejeté, le Conseil d'Etat ayant jugé que l'intérêt à agir faisait défaut. C'est donc le président de l'association, soumis à l'ISF, qui a exercé l'action à titre personnel. L'action en justice a consisté en un recours pour excès de pouvoir, exercé directement devant le Conseil d'Etat, à l'encontre des instructions administratives relatives à l'ISF, et ne résulte donc pas d'un litige. La décision du 9 juillet 2010 présente un intérêt procédural puisque le Conseil d'Etat admet la possibilité de soulever une QPC à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir, et dont le seul moyen est la QPC, sachant que nous n'avions pas soulevé d'autres arguments.

Lexbase : Quelles effets attendez-vous de la décision du Conseil constitutionnel s'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions attaquées ?

Jérôme Cuber et Frédéric Subra : S'agissant des effets de droit, en supposant que le Conseil constitutionnel nous donne raison sur l'un des points soulevés, nous pensons, vraisemblablement, qu'il invitera le législateur à modifier la loi de telle sorte que la disposition en cause soit désormais conforme à la Constitution, tout en lui laissant un délai pour procéder à cette régularisation, ainsi que lui permet l'article 62 de la Constitution. Cette régularisation pourrait intervenir, par exemple, dans le cadre de la prochaine loi de finances. De la même manière, il lui appartiendra, en vertu de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93), de préciser les effets de sa décision pour le passé et nous pensons qu'il décidera d'en limiter les effets à l'avenir seulement.

Au-delà de ces effets de droit, il est clair que la décision comporte une dimension politique au sujet de cet impôt qui est particulièrement controversé. Si le Conseil constitutionnel relève l'inconstitutionnalité des dispositions en cause, on peut également penser qu'il s'agira d'un argument supplémentaire en faveur de la suppression de l'ISF dans sa globalité, et par la même occasion du bouclier fiscal. Inversement, si le Conseil constitutionnel déclare les dispositions attaquées conformes à la Constitution, en utilisant le bouclier fiscal comme argument de conformité à la Constitution, cela renforcerait nécessairement la pérennité de ce dispositif.

Lexbase : Décelez-vous d'autres sources d'inconstitutionnalité dans le système fiscal français ?

Jérôme Cuber et Frédéric Subra : Nous avions une autre piste de réflexion à propos des dispositions de l'article 158, 7, 1°, du CGI (N° Lexbase : L0074IKX) prévoyant une majoration de 25 % du revenu imposable pour les non-adhérents à un centre de gestion agrée, mais le débat a été clos par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 juillet 2010, par laquelle il a jugé la conformité de ces dispositions (Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9194E4B). L'on s'interroge, également, sur la taxe sur les salaires, et notamment sur les conditions d'application de cette taxe. Quoi qu'il en soit, la QPC constitue une nouvelle arme qui va être amenée à se développer dans le cadre du contentieux fiscal.

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Procédure pénale

[Questions à...] L'égalité des armes et le droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert - Questions à Maître Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Saint-Dié-des-Vosges

Réf. : Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-80.953, F-P+F (N° Lexbase : A2758E3K)

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N0502BQN

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

Le principe de la contradiction, aujourd'hui devenu essentiel, est étroitement associé à l'égalité des armes : les plaideurs en conflit devant le juge civil, comme en matière pénale l'accusateur et la personne poursuivie, doivent être en mesure de s'apporter mutuellement la contradiction, de discuter les preuves présentées et de verser aux débats tous les éléments qu'ils détiennent. Le procès équitable, dont se déduisent les principes fondamentaux du contradictoire, des droits de la défense et de l'exigence de loyauté des débats, et qui implique aussi l'égalité des armes, traduit le passage du droit du plus fort au droit du plus juste, fondement essentiel de l'Etat de droit. Pour Bruno Oppetit (1), l'égalité des armes est un véritable principe de droit naturel en droit processuel en raison du lien indissociable entre égalité, justice et Etat de droit. Il peut, néanmoins, apparaître surprenant d'évoquer l'existence et l'emploi d'armes à propos de la justice, en ce début de troisième millénaire. Pourtant, la Cour européenne des droits de l'Homme fait référence à l'égalité des armes, en tant qu'exigence du procès équitable, qu'il soit civil ou pénal, depuis plus de trente ans. Ce principe, qui figure aussi, depuis la loi du 15 juin 2000 (loi n° 2000-516, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes N° Lexbase : L0618AIQ), dans le premier article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R) qui énonce les principes qui doivent "éclairer" l'ensemble des règles que contient ce Code, a même fait son entrée dans notre jurisprudence nationale, si bien que devant la Cour de cassation il est, depuis une quinzaine d'années, fréquemment invoqué au soutien de moyens. En témoigne un arrêt de la Chambre criminelle du 11 mai 2010, qui, au-delà de ces considérations presque théoriques, vient apporter une précision inédite en procédure pénale et dont la portée doit impérativement être prise en compte. Pour faire le point sur cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Nicolas Pasina, Avocat associé, SCP C.R.C, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Saint-Dié-des-Vosges, et représentant des mis en examen dans cette affaire.

Lexbase : En quoi l'arrêt rendu par la Chambre criminelle le 11 mai 2010 est-il important ?

Maître Nicolas Pasina : Cet arrêt est important car la Cour de cassation ne s'était jusque là jamais prononcée sur la question de savoir si les avocats devaient ou non assister à un acte qu'effectue le juge d'instruction en présence du procureur sur une question technique.

Lexbase : Quel était le problème plus spécifiquement posé dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 11 mai 2010 ?

Maître Nicolas Pasina : Ici, au cours d'une information suivie contre deux mis en examen du chef de meurtre, faux, escroquerie, tentative d'escroquerie et vol, deux experts graphologues, commis par le juge d'instruction, ont eu des conclusions différentes. Après le dépôt de leurs rapports, le procureur a demandé au juge d'instruction d'organiser une confrontation entre les deux experts afin qu'ils s'expliquent sur leurs divergences. Le juge d'instruction a donc organisé leur audition, à laquelle a assisté le procureur de la République et à laquelle il a participé activement en posant des questions.
Rappelons qu'en application des dispositions du Code de procédure pénale, le procureur de la République est partie à tous les actes de la procédure. En revanche, l'avocat n'assiste qu'aux auditions, confrontations ou reconstitution de son client. Il peut, en outre, à sa demande, assister aux actes qu'il sollicite (ex. : l'audition d'un témoin), mais avec l'autorisation du juge d'instruction.
Dans l'affaire qui nous intéresse, le problème était quelque peu différent, puisque le juge d'instruction avait organisé une "réunion technique", en présence du procureur de la République mais en l'absence de l'avocat des mis en examen alors que cet acte n'est nullement prévu par le Code de procédure pénale.
Or, à partir du moment où le procureur y assiste et pose des questions, l'accusation est dans une situation différente de celle de la défense ; il y a donc, à mon sens, à l'évidence, une rupture d'égalité.

Lexbase : Pourtant tel n'a pas été l'avis de la chambre de l'instruction. Pouvez-vous nous expliquer son raisonnement ?

Maître Nicolas Pasina : En effet, la chambre de l'instruction ne m'a pas suivi sur ce point là et a refusé de prononcer la nullité de l'audition des experts graphologues ; elle s'est d'ailleurs faite censurée par la Cour de cassation. Les juges nancéens ont considéré d'abord, que la demande d'audition des experts, par le procureur de la République, n'entre pas dans le cadre des articles 119 (N° Lexbase : L5537DYQ) et 120 (N° Lexbase : L0932DY8) du Code de procédure pénale, l'audition des experts constituant une mesure d'instruction pouvant être utile à la manifestation de la vérité. Or, aux termes de l'article 82, alinéa 1er, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5912DYM) "dans son réquisitoire introductif et à toute époque de l'information par réquisitoire supplétif, le procureur de la République peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité, et toutes mesures de sûreté nécessaires ; il peut également demander à assister à l'accomplissement des actes qu'il requiert". Selon la chambre de l'instruction, la demande d'audition des experts par le procureur de la République par réquisitoire supplétif aux fins que ceux-ci s'expliquent sur leurs conclusions respectives était donc recevable par application du texte précité et la présence du procureur de la République durant l'audition des experts par le magistrat instructeur était tout aussi recevable par application du même texte. Or, la cour d'appel considère que cette présence, prévue par l'article 82 du Code de procédure pénale, induit nécessairement la possibilité pour le procureur de la République d'intervenir et de poser des questions aux experts, une assistance passive à l'acte sollicité vidant de son sens la faculté donnée au procureur d'être présent à l'acte d'instruction qu'il a sollicité et, ajoute la cour, aucune disposition légale ne prévoit, ni ne fait obligation au juge d'instruction de convoquer les autres parties ou leurs avocats lorsqu'il fait droit à une telle demande de la part du procureur de la République. Elle relève même, en faisant une sorte de parallèle, que, sur le fondement de l'article 82-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7152A4N), les avocats peuvent demander l'accomplissement de certains actes et y assister sur autorisation du juge d'instruction (audition de témoins, notamment) ; sauf qu'ici, il ne s'agissait pas de témoins mais d'experts ! Les juges de la cour d'appel de Nancy en ont conclu que le magistrat instructeur s'était en fait conformé aux prescriptions légales. C'était finalement bien vite oublier certains principes de notre procédure pénale que leur ont rappelés les magistrats de la Chambre criminelle.

Lexbase : Pouvez-vous nous éclairer sur la réponse apportée par la Cour régulatrice ?

Maître Nicolas Pasina : La solution de bon sens de la Cour de cassation s'explique aisément, même s'il ne faut pas en sous-estimer l'importance ! La Chambre criminelle rappelle un principe bien connu de tout juriste et notamment des pénalistes, aux termes duquel, le principe de "l'égalité des armes", tel qu'il résulte de l'exigence d'une procédure équitable et contradictoire, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits. Pour la Cour, fort logiquement, il doit en être ainsi, spécialement, du droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert effectuée sur réquisitions du procureur de la République, en présence de celui-ci. Cette décision est rendue au visa des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et préliminaire du Code de procédure pénal. En substance que nous dit la Cour ? Finalement, elle affirme que lorsqu'un acte de procédure est accompli et qu'il n'est pas expressément prévu par le Code de procédure pénale, comme ici la confrontation d'experts, le juge d'instruction doit s'inspirer de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et se demander si son acte doit être fait de manière contradictoire ou non. En tout état de cause son acte doit respecter le principe de l'égalité des armes entre la défense et l'accusation.
Cette solution ne se limite donc pas à la seule confrontation d'experts mais déborde tous les actes que pourraient accomplir le juge d'instruction sans que ceux-ci ne soient encadrés par notre procédure pénale.
Il est important de soulever que le visa explicite de cet arrêt indique que la Cour de cassation s'inspire directement des principes généraux de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, ce qui conforte indéniablement ce texte comme étant une véritable source du droit en matière pénale.


(1) B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1999, p. 117.

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