La lettre juridique n°246 du 1 février 2007

La lettre juridique - Édition n°246

Éditorial

Les associations sans but lucratif : ces entreprises privées non confrontées aux impôts commerciaux

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N8450A9T

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Ce qui ressemblait plus, à l'origine, à un rempart face à l'incursion du cultuel dans la sphère politique (avant la loi de 1905) est devenu, en un siècle, l'un des piliers fondamentaux du lien social organisant, de part en part, la société française ; le contrat d'association souhaité en 1901 par Pierre Waldeck-Rousseau -récidiviste en la matière, puisqu'il avait obtenu la légalisation des syndicats par la loi relative à la liberté des associations professionnelles ouvrières et patronales du 21 mars 1884-, est, sans aucun doute, l'un des contrats les plus usités en France. On estime à 1 million le nombre d'associations en activité et, chaque année, 70 000 associations nouvelles se créent. Le secteur culturel est parmi les plus dynamiques avec près d'un quart des créations nouvelles. Le sport, avec 15 % de créations nouvelles, est en deuxième position. Le secteur de la santé et de l'action sociale occupe la troisième place. Il est à l'origine de plus de 8 % des créations. Enfin, l'éducation, la formation et le logement conservent des parts stables avec 7 et 8 % des créations annuelles. On le pressent bien, ce n'est pas la recherche du profit qui inspire le développement des associations, mais "l'utilité sociale". En effet, au plan juridique, l'association est définie comme "la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager les bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations". 12 millions de bénévoles concourent donc à leur développement. Ont-ils conscience d'oeuvrer au sein de ce qu'il convient d'appeler "une entreprise privée" qui, bien que non commerciale, fait partie intégrante de l'activité économique du pays ? Et c'est bien parce que le "Grand Argentier" a parfaitement intégré cette réalité économique, qu'il est convenu d'accorder toutes les exonérations fiscales nécessaires au développement associatif et inhérentes à l'absence de profit et de valeur ajoutée que suppose leur caractère désintéressé et non lucratif. Quatre instructions entre 1998 et 2001 encadrent, sur des bases légales, le régime d'exonération des impôts commerciaux en faveur des organismes sans but lucratif ; s'adressant, plus que pour tout autre sujet, à l'ensemble des citoyens, une synthèse était rendue nécessaire, à la lumière des jurisprudences et réformes successives, au travers une instruction unique du 18 décembre 2006. Cette dernière n'innove en rien ; elle reprend et agence les commentaires précédents ; et c'est bien là le problème ! En effet, tout comme ses aînées, elle omet juste que le droit associatif, dont la fiscalité fait partie intégrante, n'est pas du même esprit aujourd'hui qu'en 1901 ! Il ne s'agit pas, uniquement, d'une structure juridique franco-française donnée à la société civile pour organiser le bénévolat. L'Union européenne s'est emparée du sujet depuis longtemps déjà ; le caractère universel de la liberté d'association prévaut depuis 1948 ; il convient donc, comme pour tout autre sujet de droit français, d'en référer aux Directives communautaires ; ce que manque de faire, une nouvelle fois, l'instruction du 18 décembre dernier. A l'heure où l'on parle du rôle essentiel des organismes non gouvernementaux, des ramifications internationales de telle ou telle association emblématique, encore faudrait-il que l'on s'accorde sur l'essentiel : la définition exacte des activités non lucratives, le champ d'application des organismes exonérés d'impôts commerciaux, et les modalités d'appréciation de l'impact économique et concurrentiel des actions de ces associations. Le Professeur Yolande Sérandour confronte donc l'instruction du 18 décembre 2006 aux règles communautaires, afin d'en dégager les contradictions qui ne manqueront pas de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir avec, ou non, question préjudicielle à la clé ! Les éditions juridiques Lexbase vous invitent, ainsi, à lire le commentaire de Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, directrice du Master Droit fiscal des affaires et du département droit fiscal du CDA, La nouvelle instruction associations à l'épreuve du droit communautaire.

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] Liberté de circulation des chômeurs migrants face à l'activité des agences d'emploi privées

Réf. : CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208/05, ITC Innovative Technology Center GmbH c/ Bundesagentur für Arbeit (N° Lexbase : A4560DT3)

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N8443A9L

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Suivant les conclusions de l'avocat général (lire nos obs., L'activité des agences d'emploi privées allemandes à l'épreuve du droit communautaire (à propos des conclusions de l'Avocat général, CJCE aff. C-208/05), Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4077ALL), la CJCE vient de rendre, le 11 janvier dernier, un arrêt rare quant à son objet, mais attendu quant à sa solution. En août 2003, la société ITC a conclu un contrat de placement avec M. Halacz, demandeur d'emploi. En droit allemand, l'acte de placement est financé par les pouvoirs publics ("bon de placement") à la condition que l'emploi soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale, que la durée de travail soit d'au moins 15 heures par semaine et que la durée de l'emploi convenue soit d'au moins 3 mois. En septembre 2003, M. Halacz a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec une société établie aux Pays-Bas. Cet employeur a confirmé qu'il s'agissait d'une relation d'emploi assujettie aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale et que la durée de travail était d'au moins 15 heures par semaine. En septembre 2003, ITC a sollicité du Bundesagentur le paiement d'une somme, conformément au bon de placement. Le Bundesagentur a rejeté cette demande, au motif que M. Halacz n'avait pas été placé dans un emploi assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire allemand. En novembre 2003, ITC a introduit devant le Sozialgericht Berlin un recours en annulation contre la décision du Bundesagentur. Cette juridiction constate que, en application du seul droit allemand, celui-ci s'applique uniquement aux emplois exercés sur le territoire d'application du SGB.
Résumé

Le versement par un Etat membre de la rémunération due à une agence de placement privée au titre d'un placement ne peut être conditionné à ce que le travail soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans cet Etat membre, emportant restriction au principe de libre circulation des travailleurs.

Décision

CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208/05, ITC Innovative Technology Center GmbH c/ Bundesagentur für Arbeit (N° Lexbase : A4560DT3)

Textes visés : art. 18 CE ; art. 39 CE (N° Lexbase : L5348BC3) ; art. 49 CE (N° Lexbase : L5359BCH) ; art. 87 CE ; articles 3 et 7 du Règlement (CE) n° 1612/68 du Conseil, 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L9271BHT).

Lien bases :

Faits

Le 27 août 2003, ITC a conclu un contrat de placement avec M. Halacz. A la suite de l'intervention d'ITC, M. Halacz a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec une société établie aux Pays-Bas. Cet employeur a confirmé qu'il s'agissait d'une relation d'emploi assujettie aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale et que la durée de travail était d'au moins 15 heures par semaine.

En septembre 2003, ITC a sollicité auprès de la Bundesagentur le paiement de la première échéance, à savoir une somme de 1 000 euros, conformément au bon de placement. La Bundesagentur a rejeté cette demande en octobre 2003, au motif que M. Halacz n'avait pas été placé dans un emploi assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire allemand.

En octobre 2003, ITC a formé une réclamation contre cette décision. La Bundesagentur a rejeté cette réclamation, au motif que la notion d'"assurance sociale obligatoire" était définie aux articles 1er à 3 du SGB IV, dispositions qui régiraient, également, le SGB III. Les dispositions relatives à l'assurance obligatoire s'appliqueraient ainsi à toute personne engagée dans une relation d'emploi sur le territoire d'application du SGB, à savoir le territoire allemand.

En novembre 2003, ITC a introduit devant le tribunal du contentieux social de Berlin un recours visant à faire annuler la décision de la Bundesagentur. Le Sozialgericht Berlin constate que, en application du seul droit allemand, celui-ci s'applique uniquement aux emplois exercés sur le territoire d'application du SGB. Le Sozialgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles.

Solution

La législation allemande est contraire à l'article 39 CE portant sur la libre circulation, dans la mesure où elle prévoit que le versement par l'Etat à une agence de placement privée de la rémunération due par un demandeur d'emploi au titre d'un placement est soumis à la condition que l'emploi trouvé par cet intermédiaire privé soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire de cet Etat membre.

Observations

Dans ces conditions, le Sozialgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles auxquelles la CJCE répond par le présent arrêt. Il est demandé à la CJCE si l'article 39 CE ainsi que les articles 3 et 7 du Règlement n° 1612/68 (N° Lexbase : L9271BHT) s'opposent à ce que le droit allemand (art. 421g, § 1, du SGB III), prévoie que le versement par un Etat membre à une agence de placement privée de la rémunération due par un demandeur d'emploi à cette agence au titre du placement de ce dernier soit soumis à la condition que l'emploi trouvé par cet intermédiaire soit assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale sur le territoire allemand.

1. Domaine d'application de la liberté de circulation des travailleurs

Le principe de libre circulation des travailleurs peut-il être invoqué par une personne morale ou physique autre qu'un travailleur ? Cette question, en l'espèce, se posait, dans la mesure où l'agence de placement privée entendait elle-même se prévaloir de l'article 39 CE et du règlement n° 1612/68, et non le demandeur d'emploi migrant. On peut, en effet, relever, à l'instar du gouvernement allemand, qu'agissant en tant qu'intermédiaire et non en tant que travailleur salarié, l'agence de placement privée ne relèverait pas du domaine d'application ratione personae de ces dispositions.

La CJCE donne, au contraire, par l'arrêt rapporté, une définition large et extensive des bénéficiaires de la liberté de circulation des travailleurs. La CJCE relève à cet effet que l'article 39 § 1 CE énonce, en des termes généraux, que la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté européenne. Cette liberté comporte le droit de répondre à des emplois effectivement offerts, de se déplacer librement sur le territoire des Etats membres, d'y séjourner afin d'y exercer un emploi dans les mêmes conditions que les nationaux et d'y demeurer au terme de celui-ci (arrêt rapporté, point 21).

Contrairement, donc, à l'analyse restrictive du domaine d'application ratione personae de la liberté de circulation des travailleurs soutenue par le gouvernement allemand, la CJCE relève que, s'il est établi que ces droits de libre circulation prévus à l'article 39 CE bénéficient aux travailleurs, y compris aux demandeurs d'emploi, rien dans la rédaction de cet article n'indique que ces droits ne peuvent être invoqués par autrui. En effet, pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d'être engagés et occupés sans discrimination doit nécessairement avoir comme complément le droit des employeurs de les engager dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs.

En l'espèce, l'agence de placement privée s'occupe des activités de médiation et d'interposition entre les demandes et les offres d'emploi. Le contrat de placement conclu avec un demandeur d'emploi confère à cette agence un rôle d'intermédiaire, dans la mesure où elle représente le demandeur et cherche à lui procurer un emploi. Aussi, selon la CJCE, il ne peut être exclu qu'une agence de placement privée puisse, dans certaines circonstances, se prévaloir des droits directement reconnus aux travailleurs communautaires par l'article 39 CE.

En effet, pour être efficace et utile, la CJCE souligne avec raison que le droit des travailleurs d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre sans discrimination doit, également, avoir comme complément le droit des intermédiaires, telle une agence privée de placement, de les aider à se procurer un emploi dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs. Cette interprétation de la CJCE de l'article 39 CE s'impose d'autant plus dans des circonstances de l'espèce lorsqu'une agence de placement privée a conclu un contrat de placement avec le demandeur d'emploi en vertu d'un bon de placement délivré à ce dernier (selon lequel le Bundesagentur s'engage à prendre en charge les frais de l'agence de placement privée si elle procure à ce demandeur d'emploi un contrat de travail répondant à certains critères). Il appartient donc bien à l'agence de placement privée, et non au demandeur d'emploi migrant, de réclamer à l'administration du travail allemande (Bundesagentur) la prise en charge de la rémunération due à cette agence.

2. Nature et justifications d'une entrave à la libre circulation des travailleurs

2.1. Eléments constitutifs de l'entrave à la libre circulation des travailleurs

L'agence de placement privée estime avoir été défavorisée par le système de bons de placement : aussi, le demandeur d'emploi auquel elle a procuré un emploi a été (ou aurait pu être) également défavorisé, parce que cet emploi se situait dans un autre Etat membre.

La réglementation allemande porte-t-elle atteinte au principe de la libre circulation des travailleurs ? Cette question doit, en effet, être examinée à la lumière du principe général de la libre-circulation des travailleurs. La CJCE rappelle opportunément, par l'arrêt rapporté (point 31), que l'ensemble des dispositions du Traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre. Les ressortissants des Etats membres disposent, en particulier, du droit de quitter leur Etat d'origine pour se rendre sur le territoire d'un autre Etat membre et y séjourner afin d'y exercer une activité économique.

Il faut rappeler que des dispositions nationales qui empêchent ou dissuadent un travailleur ressortissant d'un Etat membre de quitter son Etat d'origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des entraves à cette liberté, même si elles s'appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés. En effet, il serait incompatible avec le droit de la libre circulation qu'un travailleur ou un demandeur d'emploi puisse se voir appliquer, dans l'Etat membre dont il est ressortissant, un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s'il n'avait pas fait usage des facilités ouvertes par le Traité en matière de circulation.

En l'espèce, dans la mesure où la réglementation nationale allemande prévoit que l'Etat membre allemand ne s'acquitte de la rémunération due à une agence de placement privée que si l'emploi procuré par cette agence est assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans l'Etat allemand, un demandeur d'emploi, pour lequel l'agence d'emploi privée a procuré un emploi assujetti aux cotisations obligatoires de l'assurance sociale dans un autre Etat membre, se trouve dans une situation plus défavorable que si l'agence en question avait procuré un emploi dans cet Etat allemand. Il aurait, en pareil cas, bénéficié de la prise en charge de la rémunération due à l'agence intermédiaire au titre du placement.

La CJCE en conclut que cette réglementation allemande, qui crée une entrave pouvant dissuader les demandeurs d'emploi (notamment ceux dont les ressources financières sont limitées) et les agences de placement privées, de chercher un travail dans un autre Etat membre dès lors que la commission de placement ne sera pas acquittée par l'Etat membre d'origine des demandeurs, est, en principe, interdite par l'article 39 CE.

2.2. Rejet des faits justificatifs d'une entrave à la libre circulation des travailleurs

La jurisprudence développée par la CJCE admet des entraves à la libre circulation des travailleurs, pour autant qu'elles soient justifiées. Mais, un dispositif (fiscal, politique de l'emploi...) qui entrave la libre circulation des travailleurs ne peut être admis que s'il poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général. Mais, encore faut-il que l'application de ce dispositif soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

En l'espèce, il convient donc d'examiner si le système de bons de placement allemand peut être justifié :
- par le fait qu'un tel système représente un nouvel instrument de la politique du marché du travail national visant à améliorer le placement des travailleurs ainsi qu'à diminuer le chômage ;
- par le fait qu'il vise à protéger l'assurance sociale nationale qui ne peut être assurée que grâce aux cotisations versées sur le plan national et qui subirait des pertes de cotisations en cas de placement des demandeurs d'emploi dans d'autres Etats membres ;
- par le fait qu'il vise à protéger le marché du travail national contre la perte de main-d'oeuvre qualifiée.

  • Justification tirée d'une volonté d'améliorer le placement des travailleurs ainsi qu'à diminuer le chômage

Il incombe aux Etats membres de choisir les mesures susceptibles de réaliser les objectifs qu'ils poursuivent en matière d'emploi. La CJCE a reconnu que les Etats membres disposent d'une large marge d'appréciation dans l'exercice de cette compétence. En outre, il ne saurait être contesté que la promotion de l'embauche constitue un objectif légitime de politique sociale. Toutefois, la marge d'appréciation dont les Etats membres disposent, en matière de politique sociale, ne saurait justifier qu'il soit porté atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions du Traité consacrant leurs libertés fondamentales.

Or, de simples affirmations générales concernant l'aptitude du système de bons de placement à améliorer le placement des travailleurs ainsi qu'à diminuer le chômage en Allemagne ne sauraient suffire à démontrer que l'objectif de ce système justifie que l'exercice de l'une des libertés fondamentales du droit communautaire soit restreinte, ni à fournir des éléments permettant raisonnablement d'estimer que les moyens choisis sont (ou pourraient) être aptes à la réalisation de cet objectif.

  • Justification financière propre à l'équilibre financier du régime allemand de Sécurité sociale

La CJCE n'est pas plus convaincue par la deuxième justification tirée de la protection du système de Sécurité sociale allemand. En effet, l'existence d'un lien de causalité entre la perte de cotisations sociales en Allemagne et le placement d'un demandeur d'emploi dans un autre Etat membre n'a pas été établie. Compte tenu du taux de chômage élevé en Allemagne, il n'est pas avéré qu'un emploi vacant dans cet Etat le reste plus longtemps au motif qu'un demandeur d'emploi a été placé dans un autre Etat membre.

S'il est vrai qu'un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier d'un système de Sécurité sociale peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général, un tel risque n'a pas été démontré en l'espèce, selon la CJCE. Les pertes de cotisations du régime de Sécurité sociale allemand peuvent être modérées. Si le demandeur d'emploi placé dans un autre Etat membre n'est plus tenu de payer des cotisations sociales dans son Etat membre d'origine, ce dernier n'est plus tenu de lui verser des indemnités de chômage. De plus, la nature même de la libre circulation des travailleurs établie par le Traité implique que le départ d'un travailleur vers un autre Etat membre soit susceptible d'être compensé par l'arrivée d'un travailleur venant d'un autre Etat membre.

  • Protection du marché du travail national contre la perte de main-d'oeuvre qualifiée

Enfin, à supposer même que l'organisation du marché du travail, y compris la prévention de la perte de main-d'oeuvre qualifiée, puisse justifier des restrictions à la libre circulation des travailleurs, il convient de relever que la législation allemande va au-delà de ce qui apparaît nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Ces objectifs ne peuvent justifier que soit refusé de manière systématique le bénéfice des bons de placement aux demandeurs d'emploi placés dans d'autres Etats membres. En effet, une telle mesure équivaut à la négation même de la libre circulation des travailleurs, qui vise à garantir aux travailleurs et aux demandeurs d'emploi communautaires le droit d'accéder à une activité salariée de leur choix et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre.

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Santé

[Jurisprudence] Affaire du "Distilbène" : la justice reconnaît les victimes de la troisième génération mais limite l'indemnisation de leur préjudice

Réf. : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP)

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Le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène. A cet égard, il convient de revenir sur une récente série d'arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles le 21 décembre dernier (1), et qui apporte des précisions intéressantes tant sur la notion de "préjudice spécifique de contamination", que sur la reconnaissance de possibles victimes de la troisième génération. Pour mémoire, le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de Distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus.
  • Les faits en cause

Dans les huit affaires soumises à la cour d'appel de Versailles, les faits étaient relativement similaires. Des jeunes femmes, ayant été exposées au Distilbène in utero -le médicament ayant été prescrit à leurs mères durant la grossesse-, avaient développé ultérieurement différents symptômes (tumeurs cancéreuses, infertilité, malformations) dont elles tenaient pour responsable le laboratoire UCB Pharma qui commercialisait la molécule en cause.

Le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi des dossiers, avait retenu, le 10 juin 2005, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma sur le fondement des articles 1165 (N° Lexbase : L1267ABK), 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil. En effet, pour le tribunal, aux termes de ces articles, un tiers à un contrat est fondé à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autres preuves.

Le laboratoire a fait appel de sa condamnation, arguant que le lien de causalité entre l'exposition in utero au Distilbène et la survenance de malformations ou séquelles n'était pas établi.

  • L'étendue de la responsabilité

Dans ses huit décisions, la cour d'appel de Versailles va confirmer la responsabilité du laboratoire UCB Pharma, y compris pour les jeunes femmes victimes d'anomalies morphologiques et de séquelles d'infertilité ou de stérilité.

La cour rappelle que "malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du Distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB Pharma n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients".

L'apport de ces arrêts est conséquent. En effet, jusqu'alors, la responsabilité du laboratoire UCB Pharma n'avait été retenue, dans le cadre d'une exposition au Distilbène, que pour les développements de cancers. En effet, en mars 2006, la Haute juridiction avait retenu que le laboratoire avait manqué à son obligation de vigilance en commercialisant le Distilbène jusqu'en 1977, alors qu'existaient avant 1971, et dès les années 1953-1954, des doutes portant sur l'innocuité du médicament. La Cour de cassation notait, également, que la littérature expérimentale faisait état de la survenance de cancers très divers et qu'à partir de 1971, de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques contre-indiquaient l'utilisation du Distilbène. Elle en concluait que devant ces risques connus et identifiés sur le plan scientifique, le laboratoire n'avait pris aucune mesure, et avait, de ce fait, manqué à son obligation de vigilance (Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-16.180, FS-P+B N° Lexbase : A4988DN3 et n° 04-16.179, FS-P+B N° Lexbase : A4987DNZ).

L'avancée est aujourd'hui importante puisque la responsabilité du laboratoire est retenue pour les cas d'infertilité liés à une malformation utérine.

  • Le préjudice spécifique de contamination

Le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. Ce concept a été mis en place à la suite de l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du sida. En effet, dans ce cas précis, le préjudice spécifique de contamination inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination mais, également, les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique, moral ou d'agrément.

Ce préjudice tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasi programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime, ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun, laquelle suppose un dommage avéré et un état de consolidation. La question s'est ensuite posée de savoir si ce concept pouvait s'appliquer à d'autres virus que celui du sida. Ainsi, en 2003, la Cour de cassation a reconnu ce préjudice pour le développement d'une hépatite C, consécutive à des transfusions sanguines (Cass. civ. 1, 1er avril 2003, n° 01-00.575, Etablissement français du sang (EFS) c/ Mme Fumichon de Loynes, F-P N° Lexbase : A6575A7N).

Dans les arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles, seul l'un d'eux a retenu l'existence de ce préjudice. En effet, dans cet affaire, la victime était décédée des suites de son cancer du col de l'utérus (RG n° 05/04144). Les juges ont retenu que "Catherine P., décédée des suites de l'adénocarcinome à cellules claires, dont l'évolution défavorable a repris en 2003 après une rémission de trois ans suivant la première intervention sans qu'aucune consolidation ne puisse être retenue, a subi un préjudice spécifique d'exposition au DES qui regroupe tous les préjudices personnels et physiologiques subis".

Le montant de l'indemnisation de ce préjudice a été évalué à 310 000 euros, les juges prenant en compte, entre autres, le fait que la victime, en raison de sa maladie, avait été privée de tout organe gynécologique dès l'âge de 29 ans.

Néanmoins, la reconnaissance de ce préjudice n'a pas été retenue dans les sept autres affaires. Et selon la présidente du réseau Des-France, la cour d'appel semble considérer que seule la mort justifie l'application aux victimes du Distilbène du préjudice spécifique de contamination.

  • Vers la reconnaissance d'un préjudice de troisième génération ?

Dans deux arrêts (RG n° 05/06691 et RG n° 05/06698), la cour d'appel a ordonné que soit menées des expertises sur les enfants de deux femmes ayant été exposées au Distilbène in utero. En effet, les grossesses de celles que l'on appelle les "Filles DES" se passent souvent difficilement et la prématurité de l'enfant à naître est quasi inévitable. Dans la première affaire, l'enfant était atteint d'hypospadias (malformation congénitale masculine, qui se manifeste par l'ouverture de l'urètre dans la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité). Or selon une étude néerlandaise, ce type de malformations est plus présent chez les garçons dont la mère a été explosée in utero. D'autres auteurs s'interrogeant également sur l'existence d'éventuelles séquelles de l'exposition au Distilbène pour la troisième génération, la cour d'appel de Versailles a fait droit à la demande d'expertise médicale. Dans la seconde affaire, l'enfant souffrait d'une rétinopathie liée à la prématurité et là encore les experts ont évoqué un possible lien avec l'exposition au Distilbène.

Il convient donc d'attendre le résultat de ces expertises et l'avis de la cour d'appel pour voir si le préjudice de la troisième génération Distilbène sera reconnu.

Anne-Laure Blouet Patin
Rédactrice en chef du pôle Presse


(1) Huit arrêts ont été rendus ce jour là : CA Versailles, 21 décembre 2006, Laboratoire UCB Pharma, n° 05/06692 (N° Lexbase : A4091DTP), n° 05/04144 (N° Lexbase : A4087DTK), n° 05/06689 (N° Lexbase : A4089DTM), n° 05/06691 (N° Lexbase : A4090DTN), n° 05/06693 (N° Lexbase : A4092DTQ), n° 05/06694 (N° Lexbase : A4096DTU), n° 05/06697 (N° Lexbase : A4093DTR) et n° 05/06698 (N° Lexbase : A4094DTS).

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Fiscal général

[Manifestations à venir] Colloque "Actualité fiscale : réformes et jurisprudence", 9 mars 2007

Lecture: 1 min

N8444A9M

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Le 07 Octobre 2010

Se déroulera, le vendredi 9 mars 2007, à la Faculté de droit de Rennes, un colloque intitulé "Actualité fiscale : réformes et jurisprudence" organisé par le Master Droit fiscal des affaires de Rennes 1, Faculté de droit, et l'association des étudiants et enseignants fiscalistes de Rennes 1. Ce colloque est validé au titre de la formation continue des avocats.
  • Programme détaillé :

13 h 30 - Accueil des participants

13 h 55 - Allocution de bienvenue de M. Daniel Gadbin
Doyen de la Faculté de droit et de science politique de Rennes

14 h 05 - Président de séance - Propos introductifs
M. Philippe Thiria
Directeur fiscal de la société UNILEVER France

14 h 15 - L'actualité de la TVA
M. Jean-Claude Bouchard
Avocat au barreau des Hauts-de-Seine - Cabinet Taj

14 h 45 - L'actualité de la fiscalité des titres de participation
M. Henri Hovasse, Professeur à la Faculté de droit de Rennes
Fondateur du Master 2 professionnel Gestion du patrimoine

15 h 15 - L'actualité des immobilisations
M. Pierre Coquentin
Avocat au barreau de Rennes - Cabinet Debois - Hélouet

15 h 45 - Débats et Pause

16 h 15 - L'actualité des prix de transfert
M. Blaise-Philippe Chaumont
MINEFI - DLF - Chef du bureau des affaires internationales

16 h 45 - L'actualité de l'abus de droit
M. Philippe Thiria
Directeur fiscal de la société UNILEVER France

17 h 15 - Débats

17 h 25 - Propos conclusifs
Mme Delphine Charles-Peronne
Avocat à la Cour
Présidente de l'A3 F, Association des Femmes Françaises Fiscalistes
Mme Yolande Sérandour
Directrice du Master 2 professionnel Droit fiscal des affaires

  • Renseignements / Inscriptions

Droits d'inscription : 51 euros

Renseignements : adeefr1@yahoo.fr

newsid:268444

Internet

[Le point sur...] Spamming : un fléau encore peu sanctionné

Lecture: 7 min

N8389A9L

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Le 07 Octobre 2010


Selon plusieurs études récentes, les spams représenteraient aujourd'hui environ 95 % des messages électroniques échangés en France. Ce que la CNIL caractérisait, hier, de "tendance lourde" (rapport de la CNIL présenté par Mme Cécile Alvergnat, Le publipostage électronique et la protection des données personnelles, adopté le 14 octobre 1999) est, aujourd'hui, un phénomène malheureusement établi. La pratique du spamming est indéniablement perturbatrice pour les destinataires des messages, mais également pour les prestataires techniques qui en supportent principalement le coût financier (gestion des e-mails, mise en place de boîtes "anti-spams" ...). Aujourd'hui focalisé sur les e-mails, le phénomène va s'étendre aux SMS (short message service) et MMS (multimedia messaging service).
I - Rappel des textes

La Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 (N° Lexbase : L6515A43) a introduit en Europe l'interdiction de l'envoi de messages commerciaux non sollicités par courriers électroniques, sauf consentement préalable du destinataire de ces messages. C'est donc le régime de l'"opt in", dit du consentement préalable, qui a été choisi au détriment de l'"opt out" qui permet l'envoi de messages non sollicités, sauf refus exprès des destinataires.

Le texte communautaire impose que l'identité de l'émetteur aux fins de prospection directe soit visible et que les destinataires puissent s'opposer gratuitement à l'envoi de messages ultérieurs.

En France, l'article 22 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN, loi n° 2004-575, art. 22 N° Lexbase : L2615DZU) du 21 juin 2004, repris par les articles L. 34-5 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L1733HHN) et L. 121-20-5 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6450G9R), encadrent ces envois non sollicités. Ces textes ne donnent aucune définition des spams. Une définition simple est celle de la CNIL qui les qualifie d'"envoi massif, et parfois répété, de courriers électroniques non sollicités, à des personnes avec lesquelles l'expéditeur n'a jamais eu de contact et dont il a capté l'adresse électronique dans les espaces publics de l'internet, forums de discussion, listes de diffusion, annuaires, sites web, etc.".

II - La jurisprudence

En réalité, peu de décisions ont été rendues en France en matière de spamming. Les raisons sont multiples. L'une des raisons principales est que la plupart des entreprises préfèrent lutter contre ces envois par la mise en place d'outils technologiques que d'engager des procédures généralement longues et dont les résultats ne permettront pas, selon elles, d'arrêter ce phénomène.

L'analyse de ces décisions, tant dans leurs fondements que dans l'ampleur des condamnations prononcées, mérite l'attention.

  • La violation par le spammeur de ses obligations contractuelles

Dans un arrêt de 2001 (TGI de Rochefort sur Mer, 28 février 2001, Monsieur Christophe G. c/ SA France Télécom Interactive N° Lexbase : A7013DTW), le tribunal de grande instance a déclaré non fautive la résiliation par le fournisseur du contrat d'accès à internet du spammeur, qui s'était servi de son adresse mail pour déposer de nombreux messages publicitaires sur des forums de discussion afin de développer son activité commerciale.

Les juges ont considéré que l'interdiction du spamming sur les forums était un usage, or "l'usage, qui constitue une source du droit, s'impose à celui qui se livre à une activité entrant dans son champ d'application".

D'autres tribunaux se sont également appuyés sur la violation contractuelle pour condamner les spammeurs, notamment dans des arrêts du 15 janvier 2002 (TGI de Paris, 15 janvier 2002, Monsieur P. V. c/ Société Liberty Surf et Société Free N° Lexbase : A7015DTY), du 5 mai 2004 (T. com. de Paris, 5 mai 2004, Microsoft Corp. et AOL France c/ Monsieur K. N° Lexbase : A7017DT3) et du 15 mars 2006 (T. com. de Nanterre, 15 mars 2006, aff. n° 2004F01632, SARL LBVH c/ SA France Télécom N° Lexbase : A5162DSY). Dans les deux premières affaires, les spammeurs ont été condamnés à payer respectivement 1 524,49 euros à Liberty Surf et Free pour procédure abusive et 5 000 euros à Microsoft et AOL à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des préjudices causés (préjudice matériel et atteinte à l'image). Le recours manifeste et répétitif à la technique du spamming a été reconnu comme contraire aux dispositions des contrats signés avec leurs fournisseurs d'accès.

Dans ces trois affaires, les juges du fond ont validé la résiliation des contrats de fourniture d'accès et retenu la responsabilité contractuelle des spammeurs car, en l'espèce, "les contrats [entre les internautes et les fournisseurs d'accès] réservent expressément les services fournis à un usage personnel et interdisent l'usage commercial ainsi que le spamming" (T. com. de Paris, 5 mai 2004, précité).

  • La contrefaçon de marques

Dans une ordonnance de référé du 6 avril 2004 (TGI de Paris, 6 avril 2004, n° RG 04/52346, Société Microsoft c/ Société E Nov Developpment N° Lexbase : A6394DCS), confirmée au fond le 18 octobre 2006 (TGI de Paris, 18 octobre 2006, n° RG 04/01810 N° Lexbase : A7012DTU), un spammeur a été condamné sur la base de la contrefaçon de marques (Règlement (CE) n° 40/94 DU CONSEIL, 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, art. 9 N° Lexbase : L5799AUC).

Dans cette affaire, la société défenderesse avait utilisé la marque Hotmail, appartenant à la société Microsoft, dans l'adresse électronique dont elle se servait pour envoyer en masse des courriers électroniques de prospection commerciale. Le tribunal a considéré qu'il y avait un risque de confusion consistant en une "atteinte à la marque dans un but purement commercial, par un moyen pouvant être assimilé à un usage de marque, pour des services similaires, soit des services de publicité, marketing et de promotion". Le tribunal a donc interdit d'utiliser et d'exploiter la marque communautaire, sous quelque forme que ce soit, et a condamné la société contrefaisante à payer à Microsoft la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, eu égard, notamment, à la notoriété de la marque et aux modalités de la contrefaçon.

  • Le non-respect de la loi informatique et liberté de 1978 (modifiée le 6 août 2004)

La loi "Informatique et Liberté" de 1978 modifiée (loi n° 78-17, 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS) a aussi été utilisée par les tribunaux pour justifier la condamnation d'un spammeur en 2003 (TGI de Paris, 6 juin 2003, n° RG 0205001163, Ministère Public et Monsieur Thomas Quinot c/ Monsieur R. G. V. N° Lexbase : A7713DCN).

Dans cette affaire, le spammeur avait acquis un fichier d'adresses électroniques et un logiciel d'adressage afin de réaliser des envois massifs d'e-mails publicitaires non sollicités. Il a été condamné à 3 000 euros d'amende pour "absence de toute déclaration préalable du fichier en cause auprès de la CNIL dans les conditions prévues par l'article 16 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 auxquelles renvoient les dispositions de l'article 226-16 [du Code pénal N° Lexbase : L4476GTX]". Il a également été condamné à verser 800 euros de dommages et intérêts à la partie civile, destinataire de l'un des messages litigieux.

La Cour de cassation a également validé le recours par la cour d'appel à la loi de 1978 pour motiver sa décision (Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-83.423, F-P+F N° Lexbase : A8111DNQ et nos obs., Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Mai 2006, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition affaires N° Lexbase : N9390AKY). En effet, la Cour a rejeté le pourvoi contre l'arrêt qui avait condamné le prévenu à 3 000 euros d'amende pour avoir "collecté des adresses électroniques, qui constituent des données nominatives, de façon déloyale en ce qu'elles ont été utilisées sans rapport avec l'objet de leur mise en ligne" (C. pén., art. 226-18 N° Lexbase : L4480GT4).

  • Le délit d'entrave au traitement automatisé de données (1)

Seuls les arrêts rendus sur le fondement du délit d'entrave au traitement automatisé de données ont logiquement conduit au prononcé de peines d'emprisonnement (avec sursis). En effet, dans un jugement du TGI de Paris de 2002 (TGI Paris, 24 mai 2002, Monsieur P. c/ Société Lyonnaise Communications N° Lexbase : A7016DTZ), le spammeur, qui avait envoyé un très grand nombre de courriers électroniques à une entreprise, ce qui avait conduit à paralyser son service de messagerie, a été condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis pour "entrave au fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données" (C. pén., art. 323-2 [LXB=L9872GQP ]). Il a également été condamné à verser 20 000 euros de dommages et intérêts à la partie civile, toutes causes de préjudice confondues.

Dans un jugement du TGI du Mans (TGI du Mans, 7 novembre 2003, Procureur de la République et Sté Smith et Nephew c/ L. N° Lexbase : A7014DTX), le prévenu a été condamné à 10 mois d'emprisonnement avec sursis pour le même délit d'entrave au fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données (C. pén., art. 323-2), mais aussi pour le délit de faux et d'usage de faux (envois de mails par le biais d'adresses falsifiées laissant penser aux destinataires que l'expéditeur était membre du groupe Smith and Nephew). Il a, également, été condamné à verser à ces sociétés et au directeur de l'une d'entre elles plus de 30 000 euros cumulés de dommages et intérêts, compte tenu de la gravité des faits, de l'atteinte à l'image de ces sociétés de la particulière volonté de nuire ayant dicté ses agissements. En l'espèce, le prévenu avait utilisé de fausses adresses électroniques laissant penser aux destinataires des messages que l'expéditeur était membre du groupe de la société victime.

Il n'y a sans doute pas de remède miracle contre le spamming. Si tous les acteurs jouent leur rôle (depuis les Etats membres aux autorités judiciaires, jusqu'aux prestataires et internautes), le fléau pourrait être réduit.

A ce jour, le spamming reste finalement peu sanctionné en France. Notons que d'autres pays semblent adopter une position différente. A titre d'exemple, une juridiction danoise a prononcé en 2004 une amende record à l'encontre d'un spammeur d'un montant de 54 000 euros pour avoir envoyé 15 000 spams. Alors, un revirement sur le montant des sanctions est-il prévisible ? L'avenir nous le dira, mais de fortes condamnations pourraient avoir un effet dissuasif.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance


(1) Loi n° 88-19 du 5 janvier 1988, dite loi "Godfrain" (N° Lexbase : L2291HUE) modifée le 21 juin 2004.

newsid:268389

Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'affaire "Eurotunnel" : un nouveau témoignage du succès de la procédure de sauvegarde

Réf. : T. com. Paris, 15 janvier 2007, aff. n° 2006058654, Elliott International L.P. e.a. c/ Société Eurotunnelplus limited (N° Lexbase : A6330DTM)

Lecture: 7 min

N8268A94

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Le 07 Octobre 2010

Par un jugement du 2 août 2006, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Eurotunnelplus limited, société de droit anglais domiciliée à Folkestone, au Royaume-Uni. Par une déclaration déposée au greffe de ce même tribunal, le 1er septembre 2006, cinq sociétés (Elliott International, The Liverpool LTD Partnership, Tompkins Square Park SARL, M.D SASS RE / Entreprise Partners et M.D SASS Corporate resurgence Partners III) ont formé tierce opposition à l'encontre de ce jugement -voie de recours prévue par l'article L. 661-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4168HBY), selon lequel "les décisions statuant sur l'ouverture de la procédure sont susceptibles de tierce opposition"-. C'est dans ce contexte qu'a été rendu le jugement du 15 janvier dernier, par lequel le tribunal de commerce de Paris, saisi de demandes de rétractation pour incompétence, après avoir dit recevable la tierce opposition, a déclaré cette dernière mal fondée en ses demandes. Pour statuer, en premier lieu, sur la recevabilité de la tierce opposition formée par les cinq sociétés, le tribunal de commerce se réfère, tout d'abord, à l'article 75 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3027ADH), aux termes duquel, "s'il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée". Les juges relèvent, alors, que, si les sociétés demanderesses n'ont, ici, pas précisé devant quelle juridiction britannique elles sollicitaient que l'affaire soit portée, il résulte d'une jurisprudence constante qu'il leur suffisait de préciser l'Etat dans lequel se trouve, selon elles, la juridiction compétente sans avoir à indiquer sa nature ou sa localisation exacte. Or c'est, en l'espèce, ce qu'elles ont fait. Les juges se réfèrent, ensuite, à l'article 583 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2833ADB), aux termes duquel "est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent, toutefois, former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres [...]". Sur ce point, les juges estiment que c'est à bon droit que les sociétés font valoir qu'elles n'ont été ni parties, ni représentées au jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde. Ils relèvent, ensuite, que les sociétés invoquent, en outre, leur qualité de créanciers obligataires de la société Eurotunnelplus limited, "caution de la dette du groupe Eurotunnel, pour justifier de leur intérêt à agir sans, toutefois, démonter leur intérêt direct et personnel à ce faire ni invoquer des moyens propres, distincts de ceux d'autres créanciers obligataires qui justifieraient leur recours contre le jugement plaçant la défenderesse en sauvegarde". Par conséquent, les juges estiment contestable en droit la recevabilité de leur tierce opposition mais, soulignant que celle-ci n'est contestée de ce chef ni par la société, ni par ses mandataires, ils décident de recevoir les sociétés demanderesses dans leur tierce opposition .

Le tribunal de commerce est donc amené, en second lieu, à statuer sur le fondement de la tierce opposition, et c'est le point qui retiendra, ici, notre attention.

Les sociétés demanderesses, contestant l'application du Règlement du 29 mai 2000 (Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, relatif aux procédures d'insolvabilité N° Lexbase : L6914AUM) à la procédure de sauvegarde, sollicitaient du tribunal de commerce de rétracter, pour incompétence, son jugement du 2 août 2006 et, si besoin, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle, ainsi formulée : "une procédure qui bien que listée à l'annexe A du Règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 n'est pas fondée sur l'état de cessation des paiements du débiteur constitue-t-elle une procédure d'insolvabilité au sens dudit Règlement et entre-t-elle dans son champ d'application ?".
Cependant, les juges affirment clairement que la procédure de sauvegarde entre dans le champ d'application du Règlement. Pour cela, ils soulignent que le champ d'application du Règlement du 29 mai 2000 est clairement défini par ses articles 1 et 2. L'article 1er dispose, en effet, que "le présent Règlement s'applique aux procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d'un syndic" et l'article 2, précise, quant à lui, qu'"aux fins du présent règlement, on entend par :
a) "procédure d'insolvabilité": les procédures collectives visées à l'article 1er, paragraphe 1. La liste de ces procédures figure à l'annexe A".
Or, la procédure de sauvegarde a été insérée à l'annexe A par le vote d'un Règlement modificatif du 27 avril 2006 (Règlement (CE) n° 694/2006 du Conseil, modifiant les listes des procédures d'insolvabilité, des procédures de liquidation et des syndics figurant aux annexes A, B et C du règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité N° Lexbase : L4912HIR). Dès lors, les juges considèrent que cette seule présence à l'annexe A s'impose au juge national. Ce dernier n'a donc pas à contrôler la conformité de la procédure aux conditions prescrites par l'article 1er, paragraphe 1, du Règlement, ni à saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle qui y serait relative.

Aucun doute donc, le Règlement du 29 mai 2000 s'applique à la procédure de sauvegarde. S'ensuit, alors, la question de la détermination du centre des intérêts principaux de la société Eurotunnelplus limited. Rappelons, en effet, que l'article 3-1 du Règlement fait dépendre du centre des intérêts principaux du débiteur la compétence internationale des juridictions . Plus précisément, il dispose que "les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire". A cet égard, la cour d'appel de Versailles avait eu l'occasion de juger, dans un arrêt du 4 septembre 2003, qu'en application du Règlement du 29 mai 2000, le seul critère de compétence, pour ouvrir une procédure d'insolvabilité principale contre un débiteur, est le centre de ses intérêts principaux (CA Versailles, 24ème ch., 4 septembre 2003, n° 03/0503, Mr Stephen Taylor, Me Ian Green c/ Société ISA Daisytek SAS N° Lexbase : A5627C9B). En outre, il est précisé par l'article 13 du considérant du Règlement que le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers.
Le tribunal de commerce, s'aidant des commentaires de ces dispositions qu'avait pu livrer la Cour de justice des Communautés européennes dans le cadre de l'affaire "Eurofood" (CJCE, 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood IFSC Ltd N° Lexbase : A2224DP3), énonce la "ligne de conduite" à tenir : il convient, "pour se prononcer sur la demande de rétractation du jugement d'ouverture d'une sauvegarde de la défenderesse à l'opposition, de vérifier s'il existe ou non des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettant d'établir l'existence d'une situation réelle différente de celle que la localisation de son siège statutaire en Grande Bretagne est susceptible de refléter".
C'est alors, précisément, à cette vérification que se livrent les juges, à partir des documents produits aux débats. Il y apparaît, notamment, que la société n'emploie aucun salarié, qu'elle n'a aucune autonomie financière, les décisions concernant sa trésorerie étant prises à Paris, par le service de trésorerie rattaché au directeur financier du groupe. De plus, comme le confirme la lettre de ce dernier versée aux débats, la gestion de ses comptes bancaires, fournisseurs, clients, est effectuée à Paris (il en est ainsi de la préparation de ses plans à long terme et de l'établissement de ses budgets, de leur contrôle, et de la gestion de sa trésorerie au jour le jour effectuée en France sous le contrôle de ce même directeur financier...).
De l'ensemble de ces éléments, les juges déduisent qu'Eurotunnelplus limited ne dispose d'aucune autonomie, ce qui ne peut être ignoré des demanderesses, du fait du fonctionnement du groupe Eurotunnel par ses contacts avec les équipes, la lecture des rapports annuels diffusés sur le site internet de l'Eurotunnel ou, tout simplement, la presse. Ils relèvent, par ailleurs, que la direction stratégique, la gestion quotidienne de cette société sont assurées pour l'essentiel par des Français, travaillant en France, que sa pérennité dépend d'une restructuration de la dette du groupe et que les négociations concernant cette restructuration sont menées par le Conseil Commun et qu'elles sont, pour l'essentiel, conduites à Paris.

Les juges ont donc recours à une méthode que l'on pourrait qualifier de "faisceau d'indices" pour déterminer le centre réel des intérêts principaux d'une personne morale. En l'espèce, le tribunal conclut, à partir de ces "indices", qu'il existe une conjonction d'éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettant d'établir l'existence de la localisation du centre de ses intérêts principaux à Paris.
Par conséquent, la tierce opposition étant jugée mal fondée, le jugement du 2 août 2006, par lequel le tribunal a ouvert la procédure de sauvegarde à l'égard de la société Eurotunnelplus limited, se trouve confirmé.

Outre les apports juridiques et l'ampleur médiatique de cette affaire, ce jugement du 15 janvier 2007 ne fait que confirmer le succès de la procédure de sauvegarde. En témoigne le communiqué de presse rendu le même jour par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Celui-ci souligne que l'adoption du plan de sauvegarde d'Eurotunnel par le tribunal de commerce de Paris, pour une durée de 37 mois, constitue un événement important pour l'emploi (17 sociétés étant concernées (1)), événement qui "montre la nécessité qu'il y avait à réformer le droit des procédures collectives, en créant une nouvelle procédure dite de sauvegarde, dont le but est de mieux anticiper les difficultés des entreprises, d'éviter les faillites et de mieux associer aux plans de sauvetage les comités de créanciers". Le ministre de la Justice en a également profité pour saluer le bilan d'un an d'application de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), entrée en vigueur le 1er janvier 2006. En effet, 500 procédures de sauvegarde ont été ouvertes par 146 tribunaux de commerce (soit 70 % des juridictions), chiffre très satisfaisant. De plus, 87 % des sauvegardes ouvertes sont toujours en cours ou ont abouti de façon positive, alors que seulement 30 % des redressements judiciaires aboutissent habituellement à un plan. Le taux d'échec du plan de sauvetage de l'entreprise est ainsi considérablement réduit avec une procédure de sauvegarde et "la confiance qui va naître de ces premiers résultats ne peut qu'inciter ceux qui en ont besoin à y avoir recours".

Florence Labasque
SGR - Droit commercial


(1) Rappelons que, dans cette affaire, neuf jugements avaient été rendus, le même jour, par le tribunal de commerce de Paris (T. com. Paris, 2 août 2006, aff. n° 2006047530, Société Eurotunnel SA                              N° Lexbase : A6403DTC, aff. n° 2006047543, Société Eurotunnel Services GIE N° Lexbase : A6404DTD, aff. n° 2006047545, Société EurotunnelPlus Distribution, SAS N° Lexbase : A6405DTE, aff. n° 2006047553, Société Europorte 2, SAS N° Lexbase : A6406DTG, aff. n° 2006047554, Société Eurotunnel PLC N° Lexbase : A6407DTH, aff. n° 2006047557, Société The Channel Tunnel Group Limited N° Lexbase : A6408DTI, aff. n° 2006047559, Société Eurotunnel Finance Limited N° Lexbase : A6409DTK, aff. n° 2006047561, Société Eurotunnel Services Limited        N° Lexbase : A6410DTL et aff. n° 2006047614, Société Eurotunnel SE {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2516205, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "T. com. Paris, 02-08-2006, aff. n\u00b0 2006047614", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A6411DTM"}}).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Doctrine administrative] La nouvelle instruction "associations" à l'épreuve du droit communautaire

Réf. : Instruction du 18 décembre 2006, BOI n° 4 H-5-06 (N° Lexbase : X7805ADG)

Lecture: 14 min

N8360A9I

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Le 07 Octobre 2010

L'administration fiscale vient de publier une nouvelle instruction à propos du régime fiscal applicable aux organismes sans but lucratif qu'elle désigne par le sigle OSBL. Elle "a pour objet de présenter dans un document unique le régime fiscal d'ensemble de ces organismes tel qu'il a été défini" par cinq précédentes instructions (1). De plus, elle commente les modifications apportées par le législateur à la définition de la gestion désintéressée de ces organismes (2). La synthèse de l'interprétation administrative antérieure des règles françaises étant l'objectif, l'absence d'innovation dans le sens de la conformité du droit interne au droit communautaire ne surprendra pas. Il est, à cet égard, symptomatique que les expressions "sixième Directive" ou "Directive 2006/112/CE", "droit communautaire" ou "Cour de justice des communautés européennes" soient ignorées par cette instruction "OSBL". En désignant comme bénéficiaires potentiels de l'exonération de TVA les "associations visées par la loi de 1901 ainsi que les congrégations religieuses, associations régies par la loi locale maintenue en vigueur dans les départements de la Moselle du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, fondations reconnues d'utilité publique et fondations d'entreprise (désignées sous le terme 'organismes sans but lucratif' ou 'organismes' dans la présente instruction)", l'administration fiscale en écarte les personnes physiques. A tort, car la CJCE inclut dans la catégorie des organismes culturels exonérés de TVA par l'article 13 A § 1 n de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), devenu article 132 § 1 n de la Directive 2006/112/CE (N° Lexbase : L7664HTZ), les solistes se produisant à titre individuel (3). Au point 17 de l'arrêt "Gregg" (4), la Cour de Luxembourg a jugé, s'agissant de l'article 13, A, § 1, b et g, de la 6ème-Directive TVA, devenu article 132 § 1 b et g de la Directive 2006/112/CE, relatif à certaines prestations sociales et de soins, que le terme "organisme" est en principe suffisamment large pour inclure également des personnes physiques et que le bénéfice des exonérations visées à ladite disposition n'est pas limité aux seules opérations réalisées par des personnes morales, mais peut s'étendre aux opérations effectuées par des particuliers. La Cour a précisé, au point 18 du même arrêt, que, si la notion d'"organisme" suggère l'existence d'une entité individualisée accomplissant une fonction particulière, cette condition est également remplie par une ou plusieurs personnes physiques exploitant une entreprise.

La hiérarchie des sources du droit interdit aux Etats membres de réserver la qualification d'organismes aux seules personnes morales. L'administration fiscale paraît oublier la primauté du droit communautaire, non seulement quant au sens du terme "organismes", mais aussi à l'égard du caractère social des prestations ou organismes visés par la 6ème Directive TVA remplacée par la Directive 2006/112/CE et de leur caractère non lucratif.

1. Le caractère social des prestations ou organismes visés par la 6ème Directive-TVA devenue Directive 2006/112/CE

L'instruction "OSBL" comprend trois chapitres consacrés aux critères de non-lucrativité, aux liens privilégiés avec des entreprises et aux mesures spécifiques d'exonération. Aussi, faut-il observer que l'administration n'entend pas interpréter différemment les conditions d'exonération des organismes sans but lucratif selon qu'il s'agit de la TVA, de l'IS, de la taxe professionnelle ou de la taxe d'habitation, sauf lorsqu'il existe des mesures d'exonération propres à chaque impôt. Le commentateur en vient alors à se demander si l'administration considère que l'exonération de TVA pourrait concerner d'autres hypothèses que celles visées par la 6ème directive-TVA. A priori, la réponse est négative car les numéros 62 et suivants de l'instruction commentée visent l'utilité sociale, comme, apparemment, la 6ème Directive-TVA. En effet, l'article 13 A 1 de la 6ème Directive-TVA, devenu article 132 § 1 de la Directive 2006/112/CE exonère "b) l'hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d'autres établissements de même nature dûment reconnus ; g) les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'assistance sociale et à la sécurité sociale, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné ; h) les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à la protection de l'enfance et de la jeunesse, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné".

Les dispositions précitées paraissent exonérer de TVA les services à caractère social par l'âge, la santé ou les difficultés d'insertion des bénéficiaires. Aucun Etat membre ne peut aller au-delà. La CJCE considère, en effet, que "l'article 13, A, de la sixième Directive vise à exonérer de la TVA certaines activités d'intérêt général. Cependant, cette disposition exclut non pas toutes les activités d'intérêt général de l'application de la TVA, mais uniquement celles qui y sont énumérées et décrites de manière très détaillée" (5). De plus, selon une jurisprudence constante, la CJCE considère que les exonérations prévues à l'article 13 A, devenu article 132 § 1 de la Directive 2006/112/CE, sont des notions autonomes du droit communautaire ayant pour objet d'éviter des divergences dans l'application du régime de TVA (6). Enfin, "les termes employés pour désigner les exonérations visées à l'article 13 de la sixième Directive sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti" (7).

A cet égard, la conformité du CGI au droit communautaire peut prêter à discussion. Ce dernier exonère, sous conditions, d'IS et de TVA les organismes sans but lucratif. L'article 206, 1 bis, du CGI (N° Lexbase : L3083HNI) vise toute structure légalement constituée dont la gestion est désintéressée. L'article 207, 1-5° bis (N° Lexbase : L0808HPM), précise que cette exonération s'applique aux "organismes sans but lucratif mentionnés au 1º du 7 de l'article 261, pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée". Ce dernier exonère de TVA "a. les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée [...] b. les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient".

L'article 13 A 1 de la 6ème Directive-TVA, devenu article 132 § 1 de la Directive 2006/112/CE, exonère les services d'assistance sociale et de sécurité sociale ainsi que les services éducatifs, sportifs et culturels, sans réserver cette faveur aux seuls services fournis aux membres de l'organisme concerné. Observons déjà que l'article 261, 7 1° a, du CGI (N° Lexbase : L1198HP3) méconnaît le droit communautaire. Quels qu'en soient les bénéficiaires, les services à caractère social, éducatif, sportif et culturel rendus par les organismes sans but lucratif sont exonérés sur tout le territoire de l'Union européenne. L'instruction "OSBL", en ce qu'elle reprend, aux numéros 92 et suivants, la limitation française, mérite le même reproche. Pourtant, lorsque l'article 261, 7 1° b, du CGI revient sur l'exonération des services à caractère social pour l'ouvrir à tout service de cette nature rendu à quiconque, il se conforme apparemment au droit communautaire. Il en va de même de l'instruction "OSBL" lorsqu'elle renvoie l'analyse des services à caractère social rendus aux tiers au titre 1 précisant les critères d'exonération en général des organismes sans but lucratif.

Cependant, il n'apparaît pas certain que l'esprit de la 6ème Directive TVA et sa refonte par la Directive 2006/112/CE soient respectés. Ces Directives exonèrent "les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'assistance sociale et à la sécurité sociale", c'est-à-dire l'aide liée à la santé, l'âge ou les difficultés d'insertion. S'agissant des autres services rendus "à son prochain" par esprit de solidarité, elle désigne expressément la philanthropie, mais au seul profit des membres de l'organisme (8). L'instruction OSBL se réfère à l'utilité sociale, expression inconnue de la 6ème Directive-TVA et de la Directive 2006/112/CE. Plus précisément, l'administration fiscale entend exonérer de TVA et d'IS "l'activité qui tend à satisfaire un besoin qui n'est pas pris en compte par le marché ou qui l'est de façon peu satisfaisante [...] des organismes sans but lucratif qui, agissant dans leur secteur d'intervention, peuvent contribuer à l'exercice d'une mission d'intérêt général, voire de service public". Compte tenu de la jurisprudence communautaire précitée, les activités et organismes visés par l'administration ne sauraient être exonérés que de l'IS, non de la TVA. En matière sociale, seuls sont exonérés de TVA les organismes fournissant à quiconque, pas seulement à leurs adhérents, une aide liée à la santé, l'âge ou aux difficultés d'insertion.

Les prestations de nature sportive, éducative ou culturelle, fournies par un organisme sans but lucratif sont exonérées de plein droit, que le bénéficiaire soit un membre de l'organisme ou un tiers, cela sans avoir besoin de considérer ces prestations comme des prestations de nature sociale relevant de l'article 261, 7 1° b, lequel est, rappelons le, contraire à la 6ème Directive-TVA. Ainsi, la célèbre affaire de la patinoire, "Association Jeune France" (9), laquelle concernait une activité de nature sportive et non sociale aurait trouvé la même solution, l'exonération, en considérant les prestations sportives rendues à tous, sans avoir besoin de passer par la requalification.

Comme le caractère social des OSBL et la désignation des bénéficiaires de leurs prestations ouvrant droit à exonération, l'interprétation administrative de la condition de non-lucrativité suscite interrogation.

2. Le caractère non lucratif des organismes visés par la 6ème Directive-TVA devenue Directive 2006/112/CE

Comme précédemment, l'administration fiscale entend apprécier le caractère lucratif de chaque activité et non de l'organisme (10). Or, en matière de TVA, la CJCE préconise la recherche du caractère non lucratif des organismes susceptibles de bénéficier de l'exonération prévue par l'article 13 A de la 6ème Directive-TVA "en prenant en considération l'ensemble des activités" de l'organisme, peu importe que l'organisme "cherche systématiquement à générer des excédents qu'il affecte par la suite à l'exécution de ses prestations" (11). C'est donc à tort que l'administration fiscale affirme, au numéro 193 de l'instruction commentée que "le caractère non lucratif d'ensemble de l'organisme n'est pas contesté si les opérations lucratives sont dissociables de l'activité principale non lucrative". La même observation s'impose lorsque l'administration subordonne la sectorisation à la distinction entre activités (12).

S'agissant des organismes fournissant des prestations sportives, la CJCE prend en considération toutes les activités car l'absence de but lucratif doit caractériser l'organisme et non chacune de ses activités. L'article 13 A § 1 de la 6ème Directive-TVA, devenu article 132 § 1 de la Directive 2006/112/CE, fait ainsi l'objet d'une lecture littérale. Ce texte exonère, notamment, "certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l'éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif" et non lesdites prestations fournies sans but lucratif. Si le caractère non lucratif s'attachait aux prestations favorisant la pratique du sport et non à l'organisme, les entreprises commerciales fournissant, entre autres, de telles prestations seraient en droit de réclamer l'exonération. Or, le droit communautaire vise à favoriser certains organismes désintéressés essentiellement au service d'autrui. En n'écartant pas l'exonération des services sportifs rendus pour un prix supérieur au coût de revient, la CJCE envisage le financement des activités sportives déficitaires par une activité bénéficiaire. Cette interprétation ne risque-t-elle pas d'encourager les associations à concurrencer le secteur commercial ? L'article 13 A § 2-b de la 6ème Directive-TVA, devenu article 134 de la Directive 2006/112/CE, prévient pareil danger en excluant de l'exonération les prestations "essentiellement destinées à procurer à l'organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d'opérations effectuées en concurrence directe avec celles d'entreprises commerciales soumises à la TVA".

Plus généralement, l'article 13 A 2 a de la 6ème Directive-TVA, devenu article 133 de la Directive 2006/112/CE, prévoit que "Les Etats membres peuvent subordonner, cas par cas, l'octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues au paragraphe 1 sous b), g), h), i), l), m) et n) au respect de l'une ou plusieurs des conditions suivantes :

- les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l'amélioration des prestations fournies,

- ils doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n'ayant, par elles-mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation,

- ils doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n'excédant pas de tels prix homologués ou, pour les opérations non susceptibles d'homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la taxe sur la valeur ajoutée,

- les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée".

L'article 261, 7 1°, du CGI généralise les deux premières conditions, non-lucrativité et gestion désintéressée. Son b reprend apparemment la troisième condition à l'égard des organismes ouverts, mais en occultant la pratique de prix inférieurs à ceux fixés par les entreprises commerciales assujetties à la TVA. Si le libellé français, par l'expression "que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales" laisse supposer la pratique de prix inférieurs, il n'en demeure pas moins qu'il permet une interprétation plus audacieuse. La cour administrative d'appel de Paris a ainsi jugé que ne concurrence pas les entreprises privées, l'association vendant à des prix nettement supérieurs à ceux du marché des objets fabriqués par une coopérative employant des travailleurs handicapés, les bénéfices étant reversés à la coopérative qui fabrique ces objets. Peu importe l'utilisation de la publicité et du démarchage. La fraction du prix supérieur à celui du marché s'analyserait en un don (13). L'instruction commentée s'en tient à la 6ème Directive-TVA, maintenant Directive 2006/112/CE, en précisant, au numéro 69 qu'"Il convient d'évaluer si les efforts faits par l'organisme pour faciliter l'accès du public se distinguent de ceux accomplis par les entreprises du secteur lucratif, notamment par un prix nettement inférieur pour des services de nature similaire. Cette condition peut éventuellement être remplie lorsque l'organisme pratique des tarifs modulés en fonction de la situation des clients".

Ce contexte communautaire et interne amène à se demander comment concilier l'exigence d'une pratique de prix inférieurs à ceux du marché avec la réalisation de bénéfices admise par la CJCE et par notre administration fiscale, mais seulement en vue de faciliter l'exercice des activités non excédentaires et objet de l'organisme sans but lucratif (14). Ils peuvent résulter, selon l'administration fiscale, d'une gestion saine et prudente, mais aussi de la gestion désintéressée. Par ailleurs, dans les pays n'ayant pas transposé la faculté de poser une condition de pratique de prix inférieurs, le problème ne se pose pas. La réalisation de profits par les organismes sans but lucratif en France pourrait aussi s'expliquer par la possibilité de pratiquer des prix supérieurs à ceux du marché. L'article 261, 7 1° b, du CGI lie l'exonération à l'homologation des prix ou à l'inexistence d'opérations analogues à des prix comparables et non à des prix inférieurs à ceux du marché. En réalité cette condition française conjugue la troisième et la quatrième condition que chaque Etat membre peut poser, selon l'article 13 A 2 a de la 6ème Directive-TVA, devenu article 133 de la Directive 2006/112/CE. La quatrième condition évoque l'absence de concurrence, pas la troisième, consacrée à l'homologation des prix ou la pratique de prix inférieurs à ceux du marché. L'instruction commentée illustre la confusion faite entre ces deux conditions. Les numéros 56 à 71 traitent des "4 P", produit, public, prix et publicité pour expliquer la différence entre un organisme dans le secteur concurrentiel et un organisme sans but lucratif.

Ce mélange des conditions relatives aux prix et à la concurrence amène à douter que l'administration fiscale puisse écarter l'exonération des organismes ne pratiquant pas des prix inférieurs à ceux du marché. Les Etats membres qui adoptent les dispositions facultatives offertes par la 6ème Directive-TVA, Directive 2006/112/CE depuis sa refonte, doivent en faire une transposition fidèle, comme en matière de dispositions obligatoires. Tel est l'enseignement de l'arrêt "P. Charles et T. S. Charles-Tijmens", rendu par la CJCE le 14 juillet 2005. Pour avoir fait une interprétation originale de la faculté de taxer les prestations à soi-même, les Pays-Bas ont du admettre la déduction intégrale de la TVA ayant grevé l'acquisition d'un bien affecté partiellement à une activité imposable (15). La même conclusion s'impose à propos de l'option du bailleur d'immeuble pour la TVA offerte aux Etats membres par le droit communautaire. Le 30 mars 2006, la CJCE a considéré que la Finlande ne pouvait faire une interprétation originale de l'article 13 C, alinéa 2, de la 6ème Directive-TVA (16) en interdisant aux bailleurs ayant opté de récupérer la TVA supportée sur l'immeuble concerné avant l'option (17).

Le respect du droit communautaire en matière de gestion désintéressée des organismes sans but lucratif et de définition des dirigeants paraît plus sûr. A juste titre, l'administration fiscale considère que cette condition relative à la gestion est remplie si "- l'organisme est géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation ; - l'organisme ne procède à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfice, sous quelle que forme que ce soit ; - les membres de l'organisme et leurs ayants droit ne peuvent pas être déclarés attributaires d'une part quelconque de l'actif, sous réserve du droit de reprise des apports". En cela, l'administration fiscale se conforme au droit commun. La lucrativité ne dépend pas de la réalisation d'excédents, mais plutôt de la distribution ou non des bénéfices. La loi de 1901 définit l'association à but non lucratif comme "la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager des bénéfices".

La CJCE admet que chaque Etat membre puisse préciser dans quelle mesure l'intérêt financier ou la rétribution des dirigeants est compatible avec la gestion à titre essentiellement bénévole (18). La France autorise une rémunération limitée des dirigeants sous condition de ressources de l'organisme (19) et notre administration fiscale considère que la gestion demeure désintéressée si la rémunération brute mensuelle totale versée aux dirigeants de droit ou de fait n'excède pas les trois quarts du SMIC (20). Comme la CJCE, l'administration fiscale n'exclut pas l'emploi de salariés (21), y compris dans les organes de direction (22). De même, n'y a-t-il aucune discordance entre l'interprétation communautaire et l'interprétation administrative de la notion de dirigeants. Il convient de prendre en considération les dirigeants de fait comme de droit (23). Le bénévolat doit inspirer la direction et non un dirigeant en particulier. La CJCE qualifie de dirigeants de fait d'un organisme sans but lucratif les personnes qui "prennent les décisions de dernier ressort relatives à la politique dudit organisme, notamment dans le domaine financier" et qui "effectuent les tâches de contrôle supérieures". Notre administration fiscale ne dit pas autre chose en affirmant que "les dirigeants de fait s'entendent des personnes qui remplissent des fonctions normalement dévolues aux dirigeants de droit, qui exercent un contrôle effectif et constant de l'association et qui en définissent les orientations". Est dirigeant celui qui décide, donne des instructions et traite avec les partenaires de l'organisme (24).

L'appréciation administrative de la qualité de dirigeant et de leur gestion désintéressée constitue le rare point de convergence entre le droit interne et le droit communautaire en matière d'exonération de TVA des organismes sans but lucratif. La nouvelle instruction synthétise les instructions précédentes sans innover. Au contraire, elle réitère l'ignorance de la 6ème Directive TVA, devenue Directive 2006/112/CE, telle qu'interprétée par son juge, la CJCE. Pourtant, une lecture attentive de ce droit communautaire permettrait de limiter le champ d'application de l'exonération de TVA prévue en faveur de certains organismes sans but lucratif, notamment, en matière sociale.

Yolande Sérandour,
Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA


(1) Instruction du 15 septembre 1998, BOI n° 4 H-5-98 (N° Lexbase : X0387AAL) : Dr. fisc. 1998, n° 39, 12076. F. Deboissy, Vers une clarification du régime fiscal des organismes à but non lucratif, RTD com.1999, p. 226 ; Instruction du 16 février 1999, BOI n° 4 H-1-99 (N° Lexbase : X0433AAB) : Dr. fisc. 1999, n° 9, instr. 12163 ; Instruction du 30 octobre 2000, BOI n° 4 H-3-00 (N° Lexbase : X6128AA9) : Dr. fisc. 2000, n° 47, instr. 12527 ; Instruction du 26 avril 2000, BOI n° 4 C-2-00 (N° Lexbase : X7882AA8) : Dr. fisc. 2000, n° 21, instr. 12465 ; Instruction du 17 décembre 2001, BOI n° 4 H-6-01 (N° Lexbase : X9237AAD) : Dr. fisc. 2002, n° 3, instr. 12736.
(2) Loi de finances pour 2002 n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, art. 6 (N° Lexbase : L1042AWI) et décret d'application n° 2004-76 du 20 janvier 2004 (N° Lexbase : L1838DNE) codifiés respectivement à l'article 261-7-1° du CGI (N° Lexbase : L1198HP3) et à l'article 242 C de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0981HNN).
(3) CJCE, 3 avril 2003, aff. C-144/00, Matthias Hoffmann (N° Lexbase : L0981HNN) : RJF 6/03, n° 793 ; BF 6/03, n° 570.
(4) CJCE, 7 septembre 1999, aff. C-216/97, Jennifer Gregg et Mervyn Gregg c/ Commissioners of Customs and Excise (N° Lexbase : A0499AWE) : RJF 12/99, n° 163.
(5) CJCE, 9 février 2006, aff. C-415/04, Staatssecretaris van Financiën c/ Stichting Kinderopvang Enschede (N° Lexbase : A7249DMG) ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-8/01, Taksatorringen, § 60 (N° Lexbase : A1841DAG) : Dr. fisc. 2004. 191, note M. Guichard et W. Stemmer ; CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-394/04 et C-395/04, Diagnostiko & Therapeftiko Kentro Athinon-Ygeia AE c/ Ypourgos Oikonomikon, § 16 (N° Lexbase : A7840DLX) : RJF 2/06, n° 229.
(6) CJCE, 1er décembre 2005, Ygeia, préc. § 15 ; CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, § 15 (N° Lexbase : A7318AHI) : Dr. fisc 1999, p. 590 ; RJF 1999, n° 512 ; CJCE 15 juin 1989, aff. C-348/87 Stichting Uitvoering Financiëlle Acties, § 1 (N° Lexbase : A7893AUU) : Rec. p. I-1737 ; CJCE, 7 décembre 2006, aff. C-13/06, Commission c/ Grèce, § 9 (N° Lexbase : A8206DSQ) : Dr. fisc. 2006, n° 51, act. 256.
(7) Ygeia, préc. § 15, et Stichting Uitvoering Financiëlle Acties, préc. § 13.
(8) 6ème Directive TVA, art. 13 A 1 l.
(9) CE, section, 1er octobre 1999, n° 170289, Association jeune France (N° Lexbase : A4697AXA) : RJF 11/99 ; Dr. fisc. 2000, n° 7, comm. 106, concl. Courtial.
(10) Instruction du 15 septembre 1998 préc., spéc. 67 et 68 ; Instruction du 17 décembre 2001, BOI n° 4 H-6-01(N° Lexbase : X9237AAD) : Dr. fisc. 2002, n° 3, instr. 12736, spéc. 9, 10 à 13 et 16 ; Instruction du 18 décembre 2006 : BOI n° 4 H-5-06 (N° Lexbase : X7805ADG), spéc., 6, 11.
(11) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, Kennemer Golf & Country Club, § 22 et 35 (N° Lexbase : A2920AYS) : Dr. fisc. 2002, n° 21, comm. 441 ; RJF 6/02, n° 736 et concl. F. G. Jacobs au BDCF 6/02, n° 76 ; Obs. Y. Sérandour in L'Année Fiscale 2003, p. 327.
(12) Instruction du 15 septembre 1998, § 67 et 68, préc. ; Instruction du 16 février 1999, BOI n° 4 H-1-99, n° 15 s. (N° Lexbase : X0433AAB).
(13) CAA Paris, 2ème ch. A, 1er févr. 2001, n° 96PA02337, Association nationale des polios de France (N° Lexbase : A7251BHZ) : Dr. fisc. 2001, n° 41, comm. 926 ; RJF 2/02, n° 151.
(14) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, Kennemer Golf & Country Club préc. ; Instruction du 18 décembre 2006, spéc., § 67.
(15) CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-434/03, Charles et Charles-Tijmens (N° Lexbase : A1685DKM) : Dr. fisc. 2005, n° 38, note Y. Sérandour ; RJF 11/05, n° 1337.
(16) Devenu article 137 § 2, al. 1 et 2 de la Directive 2006/112/CE.
(17) CJCE, 30 mars 2006, aff. C-184/04, Uudenkaupungin kaupunki : RJF 6/06, n° 809 ; Y. Sérandour, Option pour la TVA et régularisation positive, Lexbase Hebdo - édition fiscale n° 224 du 20 juillet 2006 (N° Lexbase : N0987AL7).
(18) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-267/00, Commissioners of Customs & Excise c/ Zoological Society of London, § 27 (N° Lexbase : A4964AYI) : Dr. fisc. 2002, n° 25, comm. 523 ; RJF 6/02, n° 736, 2ème esp., concl. F. G. Jacobs au BDCF 6/02, n° 76 ; obs. Y. Sérandour, L'année fiscale 2003, p. 331.
(19) CGI, art. 261-7-1° d.
(20) Instruction du 15 septembre 1998, préc., obs. 1, spéc n° 6 ; Instruction du 18 décembre 2006, spéc., 18.
(21) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-267/00, préc., spéc., § 19 ; Instruction du 18 décembre 2006, spéc., § 47.
(22) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-267/00, préc., spéc., § 27 ; Instruction du 18 décembre 2006, spéc., § 48.
(23) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-267/00, préc., spéc., § 23 ; Instruction du 18 décembre 2006, spéc., § 20 et 41.
(24) M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 19ème éd., spéc. n° 294.

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Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-45.585, Société Easydis, FS-P+B (N° Lexbase : A6756DTE)

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Le 07 Octobre 2010


L'entrée en vigueur de la loi du 9 mai 2001 (loi n° 2001-397, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L7076ASU), qui a modifié le régime du travail de nuit, pose de redoutables problèmes de conflits entre la loi nouvelle et les conventions collectives conclues antérieurement. Dans un arrêt en date du 24 janvier 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme le principe de la non-rétroactivité des conventions collectives (1) et précise sa jurisprudence relative aux conséquences de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sur les conditions d'attribution des compensations salariales conventionnelles dues aux travailleurs de nuit (2).
Résumé

Une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu'il tient de la loi pour la période antérieure à la signature de l'accord.

Dès lors que l'accord d'entreprise ne contenait pas de définition du travail de nuit, c'est la définition légale issue de l'article L. 213-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8850G7W), plus favorable que celle retenue par l'accord d'entreprise du 11 septembre 2001, qui devait s'appliquer jusqu'au lendemain de la date de dépôt dudit accord.

Décision

Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-45.585, Société Easydis, FS-P+B (N° Lexbase : A6756DTE)

Cassation partielle sans renvoi (CA Toulouse, 4ème chambre, section 2, chambre sociale, 19 mai 2004)

Textes visés : C. civ., art. 2 (N° Lexbase : L2227AB4) ; C. trav., art. L. 132-10 (N° Lexbase : L4697DZY) ; C. trav., art. L. 213-1-1 (N° Lexbase : L8850G7W) ; C. trav., art. L. 213-4 (N° Lexbase : L8851G7X).

Mots-clefs : conventions collectives ; application dans le temps ; principe de non-rétroactivité ; travail de nuit ; définition légale ; absence de définition conventionnelle.

Lien bases :

Faits

1. La société Easydis, filiale du groupe Casino, exploite divers établissements sur le territoire national, dont un à Fenouillet (31), régis par la convention collective nationale des entrepôts d'alimentation du 29 mai 1969 et les accords d'entreprise successifs du groupe.

Par ordonnance de référé du 24 août 2001, confirmée en appel le 13 décembre 2001, la société a été condamnée à payer à certains salariés des sommes provisionnelles à titre de rappel de salaires pour des heures de travail de nuit effectuées entre 21 heures et 22 heures et entre 5 heures et 6 heures, pour la période du 10 mai au 30 juin 2001, par application immédiate de la loi du 9 mai 2001 sur le travail de nuit.

Le pourvoi formé contre l'arrêt du 13 décembre 2001 a été rejeté le 1er octobre 2003.

2. Le 28 février 2002, la société a saisi la juridiction prud'homale statuant au fond en vue d'obtenir la restitution des sommes versées en exécution de l'ordonnance de référé.

Solution

1. "Si la définition du travail de nuit prévue par l'article L. 213-1-1 du Code du travail tel qu'il résulte de la loi du 9 mai 2001, n'a, en principe, pas pour effet de modifier les conditions d'attribution de la compensation salariale fixées par une convention collective pour le travail de nuit, c'est à la condition que ladite convention fixe la plage horaire couverte par le travail de nuit" ; "la cour d'appel, qui a relevé que l'accord d'entreprise Casino du 19 décembre 1996 ne définissait pas la plage horaire à laquelle s'appliquait la majoration salariale pour travail de nuit, en a exactement déduit qu'il convenait de retenir la définition légale en vigueur".

2. "Vu l'article 2 du Code civil et l'article L. 132-10 du Code du travail" ;

- "Une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu'il tient de la loi pour la période antérieure à la signature de l'accord".
- en disant "que les salariés n'avaient pas droit aux majorations pour travail de nuit pour les heures effectuées de 21 heures à 22 heures et de 5 heures à 6 heures pour la période postérieure au 1er juin et les condamner à rembourser les sommes perçues à ce titre, l'arrêt retient que l'accord général de substitution Easydis du 11 septembre 2001, conclu entre partenaires sociaux, qui a précisé que les majorations de nuit étaient dues pour les heures travaillées entre 22 heures et 5 heures, a stipulé qu'il prenait effet au 1er juin 2001 [...], alors que l'accord d'entreprise du 19 décembre 1996 ne contenant pas de définition du travail de nuit, c'est la définition légale issue de l'article L. 213-1-1 du Code du travail, plus favorable que celle retenue par l'accord d'entreprise du 11 septembre 2001, qui devait s'appliquer jusqu'au lendemain de la date de dépôt dudit accord, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

- "Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que MM. Herlant, Benet, Debot, Adolphe et Mouly n'avaient pas droit à la majoration pour travail de nuit des heures effectuées de 21 heures à 22 heures et de 5 heures à 6 heures pour la période postérieure au 1er juin 2001 et les a condamnés à rembourser à la SNC Easydis des sommes à ce titre, l'arrêt rendu le 19 mai 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 1er juillet 2003 ; condamne la société Easydis aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), condamne la société Easydis à payer MM. Herlant, Benet, Debot, Adolphe et Mouly la somme globale de 2 500 euros".

Commentaire

1. Le principe de la non-rétroactivité des conventions collectives

  • Droit applicable

Il n'existe pas, à proprement parler, de dispositions spécifiques régissant les conflits temporels entre normes en droit du travail ; il convient, par conséquent, d'appliquer les règles du droit commun et, notamment, le principe de la non-rétroactivité qui figure à l'article 2 du Code civil (1). La loi nouvelle ne dispose donc que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif.

On sait, toutefois, que ce principe n'a de valeur constitutionnelle qu'en matière pénale, et non en matière civile, et qu'une loi peut donc y déroger dès lors qu'elle repose sur un motif d'intérêt général suffisant.

  • Sens des dispositions propres du Code du travail

Certaines dispositions du Code du travail pourraient laisser supposer qu'une telle dérogation existerait au bénéfice des partenaires sociaux. Ainsi, l'article L. 132-10, alinéa 4, du Code du travail, relatif à l'application des accords collectifs, dispose que "les textes sont applicables, sauf stipulations contraires, à partir du jour qui suit leur dépôt auprès du service compétent". S'il est évident que les partenaires sociaux peuvent différer l'entrée en vigueur du texte, peuvent-ils, par des "stipulations contraires", anticiper son application, c'est-à-dire lui donner une portée rétroactive ?

La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de répondre négativement à la question en 1999, à propos des accords de protection sociale complémentaire (2), puis, d'une manière plus générale, en 2000 (3), marquant ainsi un revirement dans sa jurisprudence traditionnelle (4).

C'est ce que confirme ce nouvel arrêt en date du 24 janvier 2007.

  • Une application du principe de non-rétroactivité aux conventions collectives pleinement justifiée

Cette interprétation restrictive de l'article L. 132-10, alinéa 4, du Code du travail doit être pleinement approuvée. Même s'il est traditionnellement admis qu'il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas, il apparaît peu probable que le législateur ait souhaité déléguer purement et simplement aux partenaires sociaux ses propres compétences et leur conférer le pouvoir d'édicter des normes rétroactives, compte tenu des menaces que la rétroactivité fait peser sur les droits des salariés. Une convention collective peut donc prévoir les conditions d'une entrée en vigueur différée, ce qui laisse aux destinataires de la norme plus de temps encore pour préparer l'application des dispositions nouvelles et va, ainsi, dans le sens d'un renforcement du principe de sécurité juridique, mais elle ne peut certainement pas s'autoproclamer d'application rétroactive.

2. Les incidences du principe sur les accords relatifs au travail de nuit

  • Situation du problème juridique

La loi du 9 mai 2001 a profondément modifié le régime juridique du travail de nuit, notamment, en mettant un terme à la prohibition qui frappait les femmes. La loi a, également, introduit une définition plus large du travail de nuit, la plage passant de 7 heures à 9 heures consécutives, et imposé un repos compensateur et, "le cas échéant", une compensation salariale (C. trav., art. L. 213-4, al. 1er).

La mise en oeuvre de ces accords a fait difficulté dans la mesure où ils retenaient la définition antérieure du travail de nuit, n'accordant aux salariés de majoration salariale que pour la plage légale définie à l'article L. 231-2 ancien (22 heures/5 heures), alors que la loi du 9 mai 2001 couvre, sauf disposition conventionnelle dérogatoire, la période allant de 21 heures à 6 heures du matin. Fallait-il, alors, reconnaître aux salariés un droit à majoration sur deux heures supplémentaires (21/22 heures et 5/6 heures) ?

  • Les hésitations de la Cour de cassation

La Cour de cassation avait choisi, dans un premier temps, d'imposer à l'entreprise d'étendre l'application des accords pour tenir compte de la nouvelle définition légale du travail de nuit, singulièrement dans cette même affaire (5), avant de faire machine arrière et de considérer que l'entrée en vigueur d'une nouvelle définition du travail de nuit était sans incidence sur les conditions d'attribution des compensations salariales prévues par la convention collective, et ce "alors même qu'elles ne prendraient pas en compte la totalité des heures entre 21 heures et 6 heures" (6).

Seules devaient être appliquées, de manière immédiate et selon la nouvelle définition, les dispositions de la loi nouvelle lorsqu'est en cause le repos compensateur, compte tenu de l'impératif de la loi, qui est de protéger la santé et la sécurité des salariés (en ce sens, le communiqué accompagnant les arrêts du 21 juin 2006, préc.). Cette lecture, fondée sur les objectifs premiers de la loi, pouvait d'ailleurs se justifier au regard des termes mêmes de l'article L. 213-4 (N° Lexbase : L8851G7X), qui impose, en effet, le principe du repos de manière indiscutable et ne prévoit l'existence de contreparties pécuniaires que de manière éventuelle, "le cas échéant", selon les propres termes du législateur.

  • Un arrêt en forme de demi-surprise

Cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation constitue donc une surprise dans la mesure où il conduit à faire application, ici, des dispositions de la loi nouvelle du 9 mai 2001, comme d'ailleurs cela résultait du premier arrêt de cassation en date du 1er octobre 2003 (préc.), et ce, alors que la jurisprudence de la Cour avait pourtant changé en juin 2006 (préc.).

Tout en confirmant le principe selon lequel "la définition du travail de nuit prévue par l'article L. 213-1-1 du Code du travail tel qu'il résulte de la loi du 9 mai 2001, n'a, en principe, pas pour effet de modifier les conditions d'attribution de la compensation salariale fixées par une convention collective pour le travail de nuit", la Cour précise, en effet, que "c'est à la condition que ladite convention fixe la plage horaire couverte par le travail de nuit". Dans l'hypothèse inverse, les juges doivent appliquer de manière immédiate la définition légale du travail de nuit, les dispositions de la loi du 9 mai 2001 étant d'ordre public et devant donc s'appliquer immédiatement : "la cour d'appel, qui a relevé que l'accord d'entreprise Casino du 19 décembre 1996 ne définissait pas la plage horaire à laquelle s'appliquait la majoration salariale pour travail de nuit, en a exactement déduit qu'il convenait de retenir la définition légale en vigueur".

La Cour de cassation infléchit incontestablement le revirement de 2006, sans toutefois revenir à la solution dégagée à partir de 2003, le sort réservé aux salariés dépendant de l'existence ou non d'une définition conventionnelle du travail de nuit et des avantages en cause puisque, rappelons-le, le revirement de juin 2006 ne concernait que l'attribution des compensations salariales et non le droit au repos compensateur.

  • Une nouvelle solution justifiée

La précision apportée par cette décision doit être pleinement approuvée.

Le refus de faire une application immédiate de la nouvelle définition du travail de nuit, s'agissant du régime des compensations salariales, s'explique par la volonté de préserver l'autonomie des partenaires sociaux et le principe selon lequel la loi applicable aux actes juridiques est celle en vigueur à la date de conclusion de l'accord. Dès lors, si une définition conventionnelle de la période de nuit a été arrêtée, il convient de la respecter ; mais, en l'absence d'une telle compensation, alors, l'application immédiate de la définition légale ne porte pas atteinte aux prévisions des partenaires sociaux, ceux-ci pouvant raisonnablement être considérés comme s'étant implicitement, mais nécessairement, référés à la définition légale en vigueur. Il est alors normal que la définition légale changeant, le bénéfice de la compensation change avec elle.

Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) L. Favoreu, Une convention collective peut-elle comporter des dispositions à caractère rétroactif ?, D. 1995, chron. p. 82 ; N. Colin, Conventions et accords collectifs de droit social à l'épreuve du temps, L'Harmatan, préf. F. Favennec-Héry, 2000.
(2) Cass. soc., 23 novembre 1999, n° 97-18.980, Association Adecare (N° Lexbase : A7031DTL) ; D. 2000, p. 292, note Y. Saint-Jours.
(3) Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-40.696, Société Elevage avicole la Bohardière c/ M. Pavion, publié (N° Lexbase : A9169AGP) ; D. 2001, Jur. p. 149, et la note ; JCP éd. G, 2001, p. 113, note J. Bigot ; Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-44.502, M. Gérard Miltgen c/ Société Val de Loire services, F-D (N° Lexbase : A1131C9R) ; Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-44.613, M. Jean-Joseph Galéa, F-D (N° Lexbase : A4569DPW).
(4) Cass. soc., 19 juin 1958, Bull. civ. V, n° 754.
(5) Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-45.812, M. X c/ Société Easydis, inédit (N° Lexbase : A6664C9P) : accord d'entreprise Casino ; solution confirmée par Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-45.723, Société Autoroutes du Sud de la France c/ M. Henri Bonnes, F-D (N° Lexbase : A5203DCP) : convention collective des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, ASF ; Cass. soc., 14 septembre 2005, n° 04-41.433, Société Carrefour hypermarchés France, F-D (N° Lexbase : A4537DKA) ; Cass. soc., 14 septembre 2005, n° 04-43.164, Société Carrefour hypermarché France c/ M. Liberto Plana, F-D (N° Lexbase : A4539DKC) : convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire, accord d'entreprise Carrefour ; Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-44.587, Société Brasseries Heineken c/ M. Jean Wavrant, F-D (N° Lexbase : A9865DLX) ; Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 04-48.762, Société Distribution Casino France c/ M. Patrick Tarbouriech, F-D (N° Lexbase : A0148DMG) : brasseries Heineken et accord d'entreprise Casino.
(6) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-42.073, Société ITM logistique international (ITM IL), venant aux droits de la société Base intermarché de Brignoles, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9602DPC) ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-42.307, Mme Fathia Bellaouira, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9599DP9) : convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire et article 5-12 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ; convention collective du commerce à prédominance alimentaire ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-42.072, Société ITM logistique international (ITM IL), venant aux droits de la société Base intermarché de Brignoles, FP-D (N° Lexbase : A1211DQW) : convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire et convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.441, M. Michel Redon, FS-P+B (N° Lexbase : A4409DQD) : convention collective nationale des activités du déchet ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-42.753, Société Plysorol, publié (N° Lexbase : A3603DRU) : convention collective nationale de l'industrie des panneaux à base de bois et convention collective nationale du commerce à prédominance alimentaire.

newsid:268390

Sociétés

[Jurisprudence] Inopposabilité aux tiers de la dissolution d'une société en cas de fusion-absorption pour défaut d'inscription modificative au RCS

Réf. : Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-16.460, M. Michel Astier, F-D (N° Lexbase : A6799DTY)

Lecture: 5 min

N8359A9H

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Les opérations de fusion ont pour caractéristique la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée vers la société absorbante. En particulier, le passif de cette dernière est pris en charge par la société bénéficiaire des apports, selon les modalités fixées par le traité de fusion. En conséquence, la fusion entraîne la dissolution de la société absorbée (C. com., art. L. 236-3 N° Lexbase : L6353AI7) qui s'opère de manière instantanée par le jeu de la restructuration sans que les règles relatives à la liquidation ne s'appliquent. Les conséquences d'une fusion sont très lourdes, notamment, pour les créanciers de la société absorbée qui se trouvent, par le jeu de la transmission universelle du patrimoine, avoir un nouveau débiteur : la société bénéficiaire de l'opération. C'est dans le cadre d'une telle opération que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé les règles applicables à l'opposabilité aux tiers d'une fusion-absorption. En l'espèce, la société Banco exterior France a été absorbée par la société Banco exterior international, par une convention de fusion du 30 octobre 1990 publiée en France dans un journal d'annonces légales, et a fait l'objet d'une radiation au registre du commerce et des sociétés. Le liquidateur judiciaire de M. B. a fait assigner, le 10 janvier 1992, la société Banco exterior France pour obtenir des dommages-intérêts pour soutien abusif de crédit.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 17 février 2005, annule l'assignation du 10 janvier 1992 pour avoir été délivrée à l'encontre d'une personne morale inexistante. Les juges du fond retiennent que la convention de fusion du 30 octobre 1990, ayant entraîné la dissolution de la société assignée est opposable aux tiers et, donc, au liquidateur de M. B., dès lors qu'elle a fait l'objet d'une publication dans un journal d'annonces légales et que la radiation de cette société, intervenue le 14 janvier 1991, a été publiée au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le 24 janvier 1991.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, estimant qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution d'une société n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de la cause ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, forme juridique et siège des personnes morales ayant participé à l'opération, la cour d'appel a violé les articles L.123-9 (N° Lexbase : L5567AIZ) et L. 237-2, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6376AIY) et 23 du décret du 30 mai 1984 (décret n° 84-406, relatif au registre du commerce et des sociétés N° Lexbase : L6533BHG).

La cour d'appel avait, tout d'abord, constaté la perte de la personnalité morale de la société absorbée pour constater que le demandeur ne pouvait l'attraire en justice. Or, une société absorbée étant dissoute sans liquidation, elle perd la personnalité morale à compter de la prise d'effet de l'opération de fusion-absorption, peu important la date à laquelle intervient sa radiation du registre du commerce et des sociétés. L'article L. 236-4, 2°, du Code de commerce (N° Lexbase : L6354AI8) précise, à ce sujet, que la fusion sans création d'une société nouvelle prend effet à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération, sauf si le contrat prévoit que l'opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires, ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine.

Il en résulte l'impossibilité pour une société absorbée d'agir en justice à compter de la prise d'effet de l'opération de fusion. La jurisprudence en a tiré des conséquences procédurales. Il a ainsi été jugé, par exemple, qu'une société absorbée ne peut interjeter appel d'un jugement, dès lors que sa personnalité morale a disparu (Cass. com., 11 février 1986, n° 84-12.337, SA Thomson CSF c/ Société Sifraco N° Lexbase : A3016AAX), et que la société absorbée perdant sa personnalité morale, elle ne peut plus faire l'objet de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 00-17.255, F-D N° Lexbase : A5555DD4).

Toutefois, la prise d'effet d'une opération se différencie de son opposabilité aux tiers (voir, notamment, dans une opération de fusion-absorption, Cass. com., 23 avril 2003, n° 01-15.037, Société Cetelem c/ M. Jim Sohn, F-D [LXB= A7551BSH]).

Si, en l'espèce, la société absorbée ne pouvait plus agir en justice, à compter de la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé la fusion-absorption, les juges devaient vérifier si cette opération, ayant conduit à la perte de la personnalité morale de la société, était ou non opposable aux tiers pour constater la validité ou la nullité de l'assignation délivrée par le demandeur contre cette société.

La question qui était, alors, posée aux juges était la suivante : à partir de quel moment la dissolution de la société consécutive à son absorption est-elle opposable aux tiers ?

La réponse est donnée par la Cour de cassation qui fait une application stricte des textes au visa desquels elle rend sa décision. Aussi, convient-il d'examiner ce visa.

L'article L. 123-9 du Code de commerce dispose que "la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre", l'article L. 237-1, alinéa 3, prévoyant, quant à lui, que "la dissolution d'une société ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés".

En d'autres termes, la publication au RCS a pour conséquence de rendre opposable aux tiers la perte de la personnalité morale de la société absorbée : la solution est des plus classique en droit des sociétés.

Or, les juges du fond avaient constaté la réalisation de mesures ayant pour objet de faire connaître la situation aux tiers : la publication de la dissolution dans un journal d'annonces légales et la publication de la radiation de la société au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. La cour d'appel en avait conclu l'opposabilité aux tiers de la dissolution de la société.

Pourtant, la Cour de cassation estime ces mesures insuffisantes, au regard des textes, puisqu'aux termes de l'article 23 du décret du 30 mai 1984, en cas de fusion ou de scission de société, toute personne morale immatriculée doit demander une inscription modificative mentionnant l'indication de la cause de dissolution ou d'augmentation de capital, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, forme juridique et siège des personnes morales ayant participé à l'opération. La combinaison de ce texte avec les articles L. 123-9 et L. 237-1, alinéa 3, du Code de commerce conduit à la solution suivante : la dissolution de la société absorbée ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la mention de ces indications au RCS.

A défaut de publication au RCS ou si la publication est postérieure à l'assignation de la société absorbée, cette dernière est valable.

Certains juges du fond avaient, déjà, déduit la même conséquence procédurale. La cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 2ème ch., 14 février 1991, n° 1346/90, SA SOCOM c/ M. Henri Dulus N° Lexbase : A5217DNK) avait, ainsi, jugé valable l'assignation d'une société absorbée délivrée par un huissier antérieurement à la publication de l'absorption de la société, peu important que l'officier ministériel ait pu connaître l'existence d'un traité de fusion-absorption.

C'est, également, le sens de l'arrêt rendu par la Cour de cassation : l'opposabilité aux tiers et donc la validité de l'assignation de la société absordée sont fonction de la date à laquelle les inscriptions modificatives au RCS sont effectuées.

newsid:268359

Rel. individuelles de travail

[Evénement] Mobilité géographique des salariés : actualité de l'année 2006

Lecture: 7 min

N8044A9S

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par Compte-rendu réalisé par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le 22 janvier dernier, Elegia organisait la 9ème édition de son rendez-vous annuel, consacré à l'actualité sociale de l'année écoulée. Pierre Sargos, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, et Françoise Favennec-Héry, Professeur à la faculté de droit de Paris II, présidaient, notamment, les séances. Les éditions Lexbase, présentes à cet événement, vous proposent un compte-rendu des propos développés par Pierre Sargos et Françoise Favennec-Héry, s'agissant de la question de la mobilité des salariés, que celle-ci résulte de l'application d'une clause de mobilité ou non. Ainsi que l'ont énoncé l'ancien président de la Chambre sociale et Françoise Favennec-Héry, on retrouve très souvent, au visa des décisions de la Cour de cassation relatives au contenu du contrat de travail, le double visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL). La preuve que le contrat de travail est, avant tout, un contrat régi par les règles issues du droit commun !

1. La mutation géographique en dehors de l'application d'une clause de mobilité

Le lieu de travail mentionné au contrat est-il un élément du contrat ou a-t-il simplement une valeur informative ? Un arrêt du 15 mars 2006 montre que la Cour de cassation maintient le cap quant à la portée de la mention du lieu de travail dans le contrat (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, F-P+B N° Lexbase : A6000DNK). Dans cette affaire, la salariée soutenait que sa mutation de Poitiers à Fontenille constituait une modification de son contrat de travail, ce que son employeur contestait. La Cour de cassation tranche et rappelle une solution classique : dès lors que la mutation s'effectue dans un secteur géographique différent, la modification contractuelle est caractérisée ; à défaut, la modification du contrat n'est retenue que si le lieu de travail est mentionné comme étant un élément du contrat. Si le contrat ne précise rien de particulier, la mutation dans un même secteur géographique entraîne un simple changement des conditions de travail. Quant à la définition du secteur géographique, elle ressort du pouvoir souverain des juges du fond qui, au vu des moyens de transport, de communication, etc., en fixeront les contours.

Cette jurisprudence n'est pas novatrice et remonte à 2003. D'importants arrêts avaient, en effet, jeté les bases des règles aujourd'hui applicables : la simple mention du lieu de travail ne vaut pas contractualisation (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX).

Mais, ajoute Pierre Sargos, la Cour de cassation apporte un certain nombre de correctifs à l'application de ces règles. Le changement de lieu de travail effectué en dehors du jeu d'une clause de mobilité doit répondre aux exigences de la bonne foi contractuelle. Autrement dit, l'employeur doit tenir compte des impératifs familiaux de ses salariés, de leurs impératifs de santé, etc.

Jusqu'à présent, relève Pierre Sargos, les arrêts de la Cour de cassation ont fait un "bloc" entre contrat de travail à durée indéterminée et contrat de travail à durée déterminée. Or, selon lui, il conviendrait de distinguer les deux types de contrats et d'adopter une approche différente du lieu de travail en matière de CDD. Il pourrait en être de même en matière de contrat de travail à temps partiel.

Dans un arrêt du 28 mars 2006, la Cour de cassation a décidé qu'une mutation géographique ne constitue pas, en elle-même, une atteinte aux libertés fondamentales quant au libre choix du domicile du salarié (Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-41.016, FS-P+B+I N° Lexbase : A8283DN4 ; lire les obs. de Ch. Radé, La distinction de la mobilité géographique et de ses incidences familiales, Lexbase Hebdo n° 211 du 20 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N7132AKD). Dans cette affaire, c'est le salarié qui demandait sa mutation géographique. L'employeur avait accepté cette demande mais, a posteriori, souhaitait intégrer au contrat une clause de retour dans le lieu de travail initial. Le salarié avait refusé et invoquait, alors, une atteinte à ses libertés individuelles. Or, selon la Cour de cassation, une mutation ne peut pas constituer, en soi, une atteinte à la liberté fondamentale du salarié quant au libre choix de son domicile. Le juge, ici, invoque la bonne foi contractuelle dans l'appréciation même de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Selon Pierre Sargos, l'intérêt de la personne humaine dépasse le contrat synallagmatique et les mises en oeuvre des prérogatives de l'employeur ne doivent pas être dévoyées.

Un autre arrêt de décembre 2005 concernant, cette fois-ci, la modification des horaires de travail, montre, encore, cette tendance de la Cour de cassation à pondérer les règles de droit applicables (Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-47.721, F-P N° Lexbase : A9911DLN). Dans cette affaire, une salariée, de retour de congé maternité, contestait la modification des horaires de travail applicable à tous les salariés de l'entreprise et imposant, notamment, de travailler le samedi. On sait que la Cour de cassation décide, de manière constante, que la modification des horaires de travail n'emporte pas modification du contrat de travail, dès lors, toutefois, qu'il ne s'agit pas de changements majeurs tels que le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit. Or, dans l'affaire ici rapportée, la Cour de cassation apporte une nouvelle pondération à sa jurisprudence, puisqu'elle exclut la faute grave de la salariée réfractaire à travailler le samedi, au motif que cette dernière "avait dix ans d'ancienneté et revenait d'un congé de maternité" et que "le refus d'une modification des horaires de travail d'une salariée à son retour de congé maternité qui invoque des obligations familiales impérieuses ne constitue pas une faute grave".

Une nouvelle preuve que la Cour de cassation refuse l'application de toute règle intangible et apporte, au cas par cas, des correctifs aux règles applicables.

2. La mutation en application d'une clause de mobilité

L'évolution des règles applicables aux clauses de mobilité pourrait faire croire à une évolution telle que celle qu'ont connu les clauses de non-concurrence. Même si, pour l'heure, on ne peut pas encore soutenir que la clause de mobilité doit répondre aux mêmes exigences que la clause de non-concurrence et, notamment, être justifiée par les nécessités de l'entreprise, une évolution dans ce sens n'est pas à exclure.

Les clauses de mobilité doivent être, aujourd'hui, analysées au regard de deux impératifs.

D'abord, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité doit respecter les libertés fondamentales du salarié. La Cour de cassation, en 1999, avait déjà estimé, au visa de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), que "toute personne a droit au respect de son domicile [et] que le libre choix du domicile personnel et familial est l'un des attributs de ce droit". Par suite, "une restriction à cette liberté par l'employeur n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché" (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7).

Dans un arrêt rendu en février 2006, la Cour statue sur la validité d'une clause de domiciliation insérée dans le contrat de travail d'un avocat salarié, pour "sa bonne intégration dans l'environnement local" (Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 05-12.113, F-P+B N° Lexbase : A8547DMI). Or, selon la Cour, la bonne intégration de l'avocat dans l'environnement local ne constitue pas un objectif susceptible de justifier l'atteinte portée à la liberté individuelle de l'avocat salarié de choisir son domicile.

Ensuite, les clauses de mobilité doivent être analysées au regard des dispositions contractuelles. Ainsi en a décidé la Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mai 2006 (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7230DPH ; lire les obs. de Ch. Radé, L'organisation contractuelle du travail ne peut être modifiée sans l'accord du salarié, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9530AK8).

Dans cette affaire, la Cour décide que, lorsque les parties ont convenu que le salarié effectuerait sa prestation de travail à domicile, l'employeur ne peut modifier cette organisation sans l'accord du salarié. En l'espèce, l'employeur, pour revenir sur l'organisation du travail de l'une de ses salariées qui effectuait une partie de sa prestation de travail depuis son domicile, utilise la clause de mobilité insérée dans le contrat de la salariée. A tort, lui répond la Haute juridiction : le télétravail fait l'objet d'une clause spécifique du contrat de travail, qui doit être bien distinguée de la clause de mobilité. Le travail à domicile est une forme d'organisation du travail et l'employeur ne peut revenir dessus sans modifier le contrat.

Par ailleurs, les juges de la Cour de cassation ont considéré, par un arrêt du 12 juillet 2006, que la clause de mobilité, pour être valable, doit définir sa zone d'application (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, F-P+B N° Lexbase : A4407DQB ; lire les obs. de S. Tourneaux, La précision de la zone géographique de la clause de mobilité : principe et sanction, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2633AL4). Cela étant, la zone géographique ainsi délimitée peut être plus ou moins large, dès lors qu'elle reste claire et précise. Ainsi, selon Pierre Sargos, serait valable la clause insérée dans le contrat d'un cadre et prévoyant une mobilité dans toute l'Union européenne ou dans tout le territoire national, par exemple.

Toutefois, une clause prévoyant une mobilité géographique dans les établissements à venir d'une société serait illicite. Seuls les établissements existant au moment de la signature de la clause de mobilité entrent dans son champ d'application.

Ainsi que le souligne l'ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, la clause de mobilité connaît, aujourd'hui, des évolutions similaires à celles qu'ont connu les contrats d'assurance en leur temps, les juges ayant, pour ces derniers contrats, imposé des exigences de précision et de clarté. Cela témoigne, une nouvelle fois, de l'application du droit des contrats de manière générale au droit du travail.

En outre, une décision récente de la Cour de cassation interdit qu'une clause de mobilité conduise un salarié à travailler sur deux sites différents (Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, FS-P+B N° Lexbase : A1103DTZ ; lire les obs. de S. Tourneaux, La clause de mobilité limitée à la modification du lieu de travail N° Lexbase : N7199A9I). Ainsi, le salarié ne peut partager son temps de travail entre deux lieux différents ; il s'agirait alors d'une modification plus importante que la simple mise en oeuvre de la clause de mobilité, et cela même si l'employeur reste le même.

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