La lettre juridique n°185 du 13 octobre 2005

La lettre juridique - Édition n°185

Éditorial

Du droit des non-grévistes à disposer d'eux-mêmes....

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N9557AIS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


D'aucuns le savent : l'exercice du droit de grève est affaire subjective. La grève est une cessation collective et concertée du travail par des salariés en vue d'appuyer des revendications professionnelles. Alors non que nous voulions, ici, discuter du bien-fondé de ce droit constitutionnel, mais, simplement, il convient de rappeler qu'il appartient à chaque salarié concerné de se déclarer en grève, ou non, et d'en subir ainsi toutes les conséquences, notamment financières (du moins pour les droits communs). Aussi quand un mouvement de grève conduit à la paralysie d'une entreprise pour des raisons de sécurité ou de maintien de l'ordre, nous ne pouvons que nous émouvoir du sort de ces non-grévistes, dont le choix est aussi respectable que celui de leurs co-légionnaires grévistes, se trouvant forts dépourvus de travail, quand la grève fut venue... Le chômage technique est ainsi le lot quotidien de ces salariés qui ne désirent, pourtant, que poursuivre leur activité. Or, si l'employeur se doit de continuer à rémunérer les non-grévistes au travail, rien ne l'y oblige lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité d'exercer leurs missions du fait de l'occupation de l'usine, de la paralysie d'un secteur de production, du refus des autorités administratives de procéder à l'expulsion des grévistes... D'où l'identité inacceptable des situations pécuniaires des grévistes et non-grévistes. Et la Cour de cassation d'instaurer un "service minimum" dans les entreprises privées, au bénéfice de ces non-grévistes, afin que les employeurs leur proposent des missions temporaires supplétives avant de décréter la fermeture pour cause de lock-out. Certains estimeront, à la lecture de cet arrêt rendu le 30 septembre dernier, que cette obligation est des plus contraignantes sur la tête de l'employeur. Quid de la définition des missions supplétives ? Qui plus est en adéquation avec les qualifications des salariés concernés ? Dans un environnement pouvant être emprunt à des risques de sécurité ? Situation à gérer en même temps que la conduite des négociations pour désamorcer un conflit dont, le plus souvent, convenons-en, la grève n'est que le signe post-curseur ? Mais reconnaissons que, malgré ces difficultés, l'essentiel est de préserver le droit le plus absolu du salarié à vouloir travailler... Alors hasard ou coïncidence de l'actualité, la raffinerie Total de Gonfreville-l'Orcher, la plus importante raffinerie en France, dont certains salariés sont en grève depuis plus de trois semaines, a tout intérêt à s'assurer que, malgré la paralysie du site d'exploitation, elle a proposé à ses salariés non-grévistes des missions supplétives... avant de fermer (temporairement) ses portes. De là à désengorger les problèmes d'approvisionnement de la Normandie... et ceux de la région Provence-Côte d'Azur, après le blocage de ses raffineries par les dockers... Les éditions juridiques Lexbase vous invitent à poursuivre cette réflexion en lisant le commentaire de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, L'employeur doit tenter de confier aux non-grévistes des tâches supplétives avant de mettre l'entreprise en chômage technique.

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Impôts locaux

[Jurisprudence] Taxe professionnelle : champ d'application de la valeur locative plancher en cas de transmission de l'intégralité du patrimoine

Réf. : CAA Bordeaux, 4ème ch., 9 juin 2005, n° 02BX00997 (N° Lexbase : A2322DK9), n° 02BX01876 (N° Lexbase : A0325DKA) et n° 02BX02132 (N° Lexbase : A2327DKE), Société Rocamat Pierre Naturelle c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

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N9424AIU

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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

Le 07 Octobre 2010

Par trois arrêts en date du 9 juin 2005, la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est prononcée sur la valeur locative plancher à retenir en matière de taxe professionnelle en cas de confusion de patrimoines de plusieurs sociétés en une seule entité. En l'espèce, la société Rocamat SNI, en exécution d'une décision prise le 20 novembre 1995 sur le fondement de l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), et devenue définitive le 22 décembre 1995, avait, en sa qualité d'associée unique des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE, qui exerçaient la même activité, à savoir l'exploitation de carrières, procédé à la dissolution de ces sociétés par confusion de leurs patrimoines avec le sien.
La société Rocamat SNI avait estimé que cette opération s'analysait, au plan fiscal, comme un changement d'exploitant et avait, en conséquence, le 31 décembre 1995 en vue de l'établissement de la taxe professionnelle de l'année 1996, déclaré des bases d'imposition calculées d'après la valeur des immobilisations corporelles, dont elle avait disposé au 31 décembre 1995 en application des dispositions de l'article 1478 du CGI , qui disposent qu'"En cas de création d'un établissement [...], la taxe professionnelle n'est pas due pour l'année de la création. Pour les deux années suivant celles de la création, la base d'imposition est calculée d'après les immobilisations dont le redevable a disposé au 31 décembre de la première année d'activité. En cas de changement d'exploitant, la base d'imposition est calculée pour les deux années suivant celle du changement [...]".

Toutefois, à la suite de plusieurs vérifications de comptabilité, l'administration fiscale avait remis en cause les bases d'imposition afférentes à la taxe professionnelle de la société Rocamat SNI et leur avait substitué, pour le calcul de la taxe professionnelle des années litigieuses, la valeur locative plancher applicable en cas de cession d'établissements en application de l'article 1518 B du CGI .

Le service avait, ainsi, rehaussé le montant de la taxe professionnelle due par la société Rocamat SNI au titre des années 1996 et 1997 dans les rôles de la commune de Talence (Gironde), ainsi que dans les rôles de la commune de Campan (Hautes-Pyrénées) et dans les rôles des communes de Vilhonneur (Charente) et de Chauvigny (Vienne) et au titre des années 1998 et 1999 dans les rôles de la commune de Vilhonneur (Charente).

Afin de contester les compléments de taxe professionnelle mise à la charge de la société Rocamat SFI au titre des années 1996, 1997, 1998 et 1999 dans les rôles des différentes communes, la société Rocamat Pierre Naturelle, société en nom collectif, venant aux droits de la société Rocamat SNI, a porté le litige respectivement devant les tribunaux administratifs de Bordeaux, Pau et Poitiers.

Les premiers juges de Bordeaux et de Pau, contrairement aux juges de Poitiers, rejetaient le surplus de la demande en décharge des compléments de taxe professionnelle dont était redevable la société Rocamat SNI.

Aussi, la société Rocamat Pierre Naturelle a interjeté appel des deux premiers jugements par requêtes enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 23 mai 2002 et du 9 septembre 2002.

Le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi la même cour administrative par requête enregistrée le 9 octobre 2002 aux fins de voir réformer les deux jugements ayant accordé la décharge à la société Rocamat Pierre Naturelle des impositions supplémentaires de taxe professionnelle.

Dans les trois décisions présentement commentées, la cour administrative d'appel de Bordeaux a statué à l'identique, à savoir :

"Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que l'opération en litige résulte de la décision unilatérale de l'associé unique des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE ; que la transmission de l'intégralité du patrimoine de ces sociétés à la société Rocamat SNI ne présente par le caractère d'une "cession d'établissement" au sens de l'article 1518 B du CGI, laquelle impliquerait un cédant, un cessionnaire et un accord entre ces deux parties. Considérant que si une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil, telle que celle en litige, présente certaines similitudes avec une opération de fusion, elle s'en distingue, néanmoins, par le régime juridique auquel elle est soumise, et par la circonstance qu'elle n'exige ni décision de la société dissoute, ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante ; qu'ainsi, l'opération en question ne peut pas non plus être regardée comme une fusion de société au sens de l'article 1518 B ; que, par suite, l'administration n'était pas fondée à déterminer la taxe professionnelle des années en litige sur la base d'une valeur locative correspondant aux minimums prévus par les dispositions précitées de l'article 1518 B".

Il ressort de ces trois décisions que le montant minimal de la valeur locative pour le calcul de la taxe professionnelle due par la société Rocamat SNI dépend de la nature juridique de l'acte réalisé par celle-ci lors de la transmission de l'intégralité des actifs et passifs des sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE à la société susvisée.

En l'espèce, il convenait de déterminer si la confusion des patrimoines des sociétés susvisées constituait juridiquement une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil ou au contraire une cession d'établissement au sens de l'article 1518 B du CGI entraînant dissolution de la société "cédante".

Il s'agit là d'un très bel exemple selon lequel le juridique conditionne le fiscal (2).

Toutefois, afin de mieux comprendre la teneur des trois arrêts commentés, il convient dans un premier temps de revenir sur les deux notions suivantes "opération de dissolution" et "cession d'établissement", qui comme le rappelle très expressément la cour administrative d'appel de Bordeaux en l'espèce, présentent, certes, des similitudes, mais se distinguent cependant (1).

1. Distinction juridique entre cession d'établissement et transmission universelle du patrimoine

Lorsqu'une personne morale, associé unique de plusieurs sociétés, souhaite détenir l'intégralité du patrimoine de ces dernières, elle peut, soit recourir à la cession de ces établissements sous forme de fusion par exemple, soit recourir à la dissolution sans liquidation prévue à l'article 1844-5 du Code Civil, plus communément appelée TUP (Transmission Universelle du Patrimoine).

Les deux opérations, fusion et transmission universelle du patrimoine, entraînent le transfert de l'intégralité du patrimoine d'une ou de plusieurs sociétés sans qu'il y ait lieu de procéder à leur liquidation.

La fusion visée à l'article 210-0 A du CGI constitue une diminution des sociétés en présence soit :

  • par création d'une société nouvelle

Deux ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine actif et passif à une société nouvelle qu'elles constituent.

  • par absorption de l'une des sociétés par l'autre société

Cette opération emporte transmission universelle du patrimoine de la société dissoute au profit de la société nouvelle ou préexistante.

En d'autres termes, une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine actif et passif à une autre société préexistante.

La réalisation d'une opération de fusion exige une décision de l'assemblée générale extraordinaire de la société dissoute, ainsi qu'un accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.

En revanche, la transmission universelle du patrimoine au sens de l'article 1844-5 du Code civil n'entraîne pas automatiquement la dissolution de la société qui a transféré l'intégralité de ses actifs et passifs et n'exige ni décision de la société dissoute ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.

En effet, aux termes de cet article, il est précisé que la réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n'a pas été régularisée dans un délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci.

Dans nos trois affaires similaires, force est de constater que la nature juridique de l'opération ayant permis la transmission de l'ensemble du patrimoine des trois sociétés Rocamat Seine, Rocamat Saône et Rhône et Rocamat SNE a un impact déterminant sur les bases d'imposition à retenir pour le calcul de la taxe professionnelle auquel a été assujettie la société Rocamat SNI.

En effet, il existe une valeur locative plancher l'année de l'opération litigieuse si cette dernière est assimilée à une cession d'établissement ou à une fusion au sens de l'article 1518 B du CGI, alors que les bases d'imposition sont nulles l'année de l'opération si cette dernière est assimilée à une transmission universelle de patrimoine au sens du Code civil.

2. Conséquences de la distinction sur la valeur locative plancher

Les juges d'appel de Bordeaux, au cas particulier, ont considéré que l'opération en litige résultait de la décision unilatérale de l'associé unique des sociétés en cause et que la transmission de l'intégralité du patrimoine de ces sociétés à la société Rocamat SNI ne présentait par le caractère d'une "cession d'établissement" au sens de l'article 1518 B du CGI, laquelle impliquerait un cédant, un cessionnaire et un accord entre ces deux parties.

Par ailleurs, ils ont précisé que si une opération de dissolution sans liquidation régie par l'article 1844-5 du Code civil, telle que celle en litige, présente certaines similitudes avec une opération de fusion, elle s'en distingue, néanmoins, par le régime juridique auquel elle est soumise, et par la circonstance qu'elle n'exige ni décision de la société dissoute, ni accord préalable entre la société dissoute et la société absorbante.

Dès lors, dans la mesure où l'opération litigieuse avait été décidée par la seule société Rocamat SNI et, donc, sans aucun accord des sociétés ayant transféré leur patrimoine, elle devait être assimilée à une opération de dissolution sans liquidation au titre de l'article 1844-5 du Code civil.

Aussi, les bases d'imposition devaient être déterminées par application des dispositions de l'article 1478 du CGI et non en vertu des dispositions de l'article 1518 B du même code.

Il convient de rappeler que la société requérante avait considéré que cette opération s'analysait au plan fiscal comme un changement d'exploitant et avait en application des dispositions de l'article 1478 du CGI, déclaré des bases d'imposition calculées d'après la valeur des immobilisations corporelles dont elle avait disposé au 31 décembre 1995.

Les seconds juges ont, donc, dégrevé les compléments de taxe professionnelle mis à tort par l'administration fiscale à la charge de la société Rocamat SNI sur le fondement de l'article 1518 B du CGI.

Il s'agissait, en réalité, d'un simple changement d'exploitant, comme l'avait d'ailleurs souligné la société Rocamat Pierre Naturelle, puisque les quatre sociétés avaient toutes la même activité d'exploitation de carrières et que la société Rocamat SNI était l'associé unique des trois sociétés précitées.

La taxe professionnelle due pour les années litigieuses relevait, donc, bien de l'article 1478 du CGI.

La société Rocamat SNI a, ainsi, pu valablement bénéficier de l'exonération de taxe professionnelle l'année où le changement d'exploitant a eu lieu soit en 1995 et a pu légitimement calculer ses bases d'imposition au titre des années 1996 et 1997 d'après les immobilisations dont elle avait disposé au 31 décembre 1995 et les recettes réalisées au cours de cette même année.

La valeur locative plancher obligatoire en cas de cession d'établissement ou de fusion ne lui était, donc, pas applicable.

Aucun arrêt du Conseil d'Etat ne semble avoir été rendu à notre connaissance en la matière.

Aussi, ces trois arrêts viennent ouvrir la voie à une jurisprudence sur le champ d'application de la valeur locative plancher en matière de taxe professionnelle en cas de transmission de l'ensemble des actifs et passifs d'une ou de plusieurs sociétés à une seule entité.

newsid:79424

Social général

[Jurisprudence] L'employeur doit tenter de confier aux non-grévistes des tâches supplétives avant de mettre l'entreprise en chômage technique

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.193, Société Atofina, FS-P+B (N° Lexbase : A5976DKK)

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N9377AI7

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Lorsque l'entreprise se trouve paralysée par un conflit collectif, l'employeur peut être tenté de mettre celle-ci en chômage technique et de ne plus payer les non-grévistes. La jurisprudence a développé, au fil des années, des solutions qui l'y autorisent lorsqu'il rapporte l'existence d'une "situation contraignante". Dans un nouvel arrêt en date du 30 septembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte une nouvelle précision qui semble de nature à restreindre considérablement le recours au chômage technique (1), puisque l'entreprise devra désormais prouver qu'elle a été dans l'impossibilité de proposer aux non-grévistes des "tâches supplétives en relation avec leur contrat de travail" (2).
Décision

Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.193, Société Atofina, FS-P+B (N° Lexbase : A5976DKK)

Rejet (conseil de prud'hommes de Lyon, section industrie, départage section, 31 octobre 2003)

Textes concernés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT)

Mots clef : grève ; lock-out ; chômage technique ; existence d'une situation contraignante.

Lien bases :

Résumé

N'est pas valablement libéré de son obligation de paiement du salaire des non-grévistes l'employeur qui ne rapporte pas la preuve qu'il était dans l'impossibilité de leur fournir des tâches supplétives en rapport avec l'exécution de leurs contrats de travail, même s'il avait été contraint du fait de la grève d'arrêter totalement les installations de l'atelier de production pour des impératifs de sécurité.

Faits

1. Une grève a été décidée le 8 novembre 2001 dans l'établissement de Saint Fons de la société Atofina pour s'opposer aux suppressions d'emploi prévues par un plan de restructuration.

L'employeur a fermé l'atelier de production et a mis les salariés en chômage technique du 23 novembre au 6 décembre 2001, date à laquelle un protocole de fin de conflit a été signé entre la direction et les syndicats CGT et CFDT.

2. Le conseil de prud'hommes de Lyon (31 octobre 2003) a jugé que la société Atofina avait procédé à un lock out illicite et l'a condamnée à restituer à certains de ses salariés des heures sur le compte de récupération des jours fériés et sur le compte du repos compensateur et à payer diverses sommes en réparation du préjudice causé.

3. La société Atofina a formé un pourvoi en cassation contre ces jugements.

Solution

1. "Le juge prud'homal qui a constaté que l'employeur ne rapportait pas la preuve qu'il était dans l'impossibilité de fournir aux salariés non-grévistes des tâches supplétives en rapport avec l'exécution de leurs contrats de travail, même s'il avait été contraint, du fait de la grève, d'arrêter totalement les installations de l'atelier de production pour des impératifs de sécurité, a pu décider qu'il ne se trouvait pas dans une situation contraignante justifiant la mise du personnel en chômage technique et qu'il devait payer leur rémunération à tous les salariés qui s'étaient tenus à sa disposition".

2. Rejet

Commentaire

1. Le renforcement des conditions du recours au chômage technique en cas de grève

  • Principes applicables en cas de grève

L'employeur est tenu de payer les salariés qui mettent leur activité à sa disposition, par application de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Certaines circonstances justifient toutefois la suspension du droit à rémunération ; il s'agira soit de l'absence du salarié (maladie notamment), soit de l'exercice du droit de grève, par application de l'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM).

Si la suspension du paiement du salaire du salarié gréviste se justifie pleinement, la situation du salarié non gréviste peut faire difficulté lorsque, par l'effet de la grève, l'employeur se trouve empêché de lui fournir du travail.

  • Règles applicables à la fermeture de l'entreprise en cas de grève

La Cour de cassation a développé, au fil des années, des solutions qui permettent à l'employeur de placer les non-grévistes en chômage technique et de cesser de leur verser leur rémunération lorsqu'il se trouve placé dans une situation contraignante (Cass. soc., 4 juillet 2000, n° 98-20.537, Syndicat CGT de la Cogema - La Hague c/ Compagnie généraledes matières nucléaires (Cogema) N° Lexbase : A9159AGC, Dr. soc. 2000, p. 1091, chron. A. Cristau ; Cass. soc., 28 mars 2001, n° 99-42.945, F-D N° Lexbase : A6763AXR).

Jusqu'à cet arrêt, la preuve de la paralysie totale de l'entreprise semblait suffisante pour justifier la mise en chômage technique dès lors que la sécurité des biens et des personnes semblait menacée (Cass. soc., 7 novembre 1990, n° 89-44.264, Régie des transports de Marseille c/ M. Sava et autres N° Lexbase : A4709ACE, JCP E 1991, I, 27, n° 14, obs. B. Teyssié).

Dans une précédente décision en date du 22 février 2005 (Cass. soc., 22 février 2005, n° 02-45.879, F-P+B N° Lexbase : A8610DGY, Dr. soc. 2005, p. 589, et nos obs.), qui concernait déjà cette même société Atofina, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait précisé que l'entreprise pouvait valablement être libérée de son obligation de paiement des salaires aux non-grévistes dès lors que la grève totale du secteur de production avait empêché le maintien des tâches d'exécution des salariés concernés.

Nous nous étions émus de cette modification dans la jurisprudence classique qui nous semblait de nature à favoriser la mise en chômage technique, puisque l'impossibilité de fournir du travail se vérifiait désormais non pas pour l'ensemble des salariés mais uniquement pour ceux qui étaient effectivement empêchés de travail en raison de la nature particulière de leurs tâches, en l'occurrence des tâches d'exécution (nos obs. préc.).

  • L'existence de nouvelles conditions pour justifier le recours au chômage technique

Cet arrêt en date du 30 septembre 2005 nous paraît de nature à atténuer nos craintes.

Dans cette affaire, la société Atofina avait placé l'entreprise en chômage technique pendant deux semaines, jusqu'à la conclusion d'un accord de fin de conflit. Pour se justifier, l'entreprise faisait valoir que son activité avait été entièrement paralysée par le conflit et qu'elle avait été contrainte de mettre son personnel en chômage technique pour des raisons de sécurité. Elle avait pourtant été condamnée par le conseil de prud'hommes qui lui reprochait de ne pas avoir démontré l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de proposer aux non-grévistes des tâches supplétives.

Cette solution se trouve ici confirmée par le rejet du pourvoi.

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "le juge prud'homal qui a constaté que l'employeur ne rapportait pas la preuve qu'il était dans l'impossibilité de fournir aux salariés non-grévistes des tâches supplétives en rapport avec l'exécution de leurs contrats de travail, même s'il avait été contraint, du fait de la grève, d'arrêter totalement les installations de l'atelier de production pour des impératifs de sécurité, a pu décider qu'il ne se trouvait pas dans une situation contraignante justifiant la mise du personnel en chômage technique et qu'il devait payer leur rémunération à tous les salariés qui s'étaient tenus à sa disposition".

En d'autres termes, la paralysie totale du secteur d'activité ainsi que des impératifs de sécurité sont nécessaires à la mise en chômage technique de l'entreprise, mais non suffisants ; encore faut-il que l'entreprise ait été dans l'impossibilité absolue de fournir du travail aux non-grévistes.

2. Le durcissement de la jurisprudence à l'égard de la mise en chômage technique

  • La notion de "tâches supplétives"

La solution adoptée par la Haute juridiction est incontestablement favorable aux non-grévistes dans la mesure où elle introduit une nouvelle condition pour admettre le recours au chômage technique.

L'employeur a désormais l'obligation de proposer aux salariés non-grévistes des "tâches supplétives en rapport avec l'exécution de leurs contrats de travail".

Cette référence -à notre connaissance inédite- mérite une attention particulière et un travail de précision. La Cour ne donne, en effet, aucune définition de ces tâches mais précise toutefois qu'elles doivent être "en rapport avec l'exécution" du contrat de travail.

Cette référence un peu vague doit certainement s'interpréter à la lumière des solutions qui prévalent en matière de modification du contrat de travail lorsque est en cause un changement intervenu dans les fonctions du salarié. La jurisprudence considère, en effet, que l'employeur peut valablement imposer à un salarié un changement de fonctions dès lors que ces dernières demeurent dans le cadre de la qualification pour laquelle le salarié a été recruté (Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-45.673, Société Hortifruit c/ Mme Egouy, publié N° Lexbase : A4652AGE, Dr. soc. 1999, p. 736, obs. B. Gauriau).

En visant les tâches "en rapport" avec le contrat de travail, la Cour de cassation suggère sans doute que ces tâches doivent être compatibles avec sa qualification professionnelle. Ainsi, un ouvrier pourra valablement être affecté à des tâches techniques liées notamment à la sécurité, même si ces dernières n'entrent pas habituellement dans ses attributions, mais pas un employé.

L'employeur a donc l'obligation d'opérer des glissements de postes afin d'optimiser la gestion du personnel non-gréviste.

  • Une solution bienvenue

Cette solution nous semble la bienvenue.

Il serait, tout d'abord, aberrant de permettre à l'employeur de fermer l'entreprise et de ne plus payer les non-grévistes sous prétexte que les titulaires des postes sont en grève. Il y aurait même quelque chose d'injuste à affirmer que l'employeur a le droit de changer unilatéralement les tâches d'un salarié, au sein d'une même qualification, et qu'il peut valablement ne pas le faire dès lors qu'il s'agit de ne plus lui verser de salaire pendant la durée d'un conflit auquel il a, par hypothèse, refusé de s'associer.

Cette obligation de faire glisser les non-grévistes sur les postes des grévistes, notamment lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des biens et des personnes, traduit alors parfaitement la nature du chômage technique qui doit demeurer l'ultime recours lorsque les autres moyens de poursuivre l'activité ont échoué.

Cette solution, qui protège donc les non-grévistes contre le risque de non-paiement de leurs salaires pendant le conflit, sert également indirectement les intérêts des grévistes. En imposant à l'employeur de gérer au mieux son personnel non-gréviste et en repoussant le moment de la mise en chômage technique de l'entreprise, la Cour de cassation évite qu'une pression trop forte ne pèse sur les grévistes et ne complique un peu plus la mission du chef d'entreprise, ce qui confère à la grève une plus grande efficacité.

Enfin, on relèvera que cette solution rapproche un peu plus la notion de situation contraignante de celle de force majeure, qui doit être absolument irrésistible. Or, cette notion de situation contraignante n'a aucune légitimité puisqu'elle ne figure dans aucun texte et évince, au contraire, la force majeure, seule visée dans l'article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU).

Plus protectrice des droits des non-grévistes, plus favorable au droit de grève, cette solution est donc également plus rigoureuse au regard des principes juridiques qui gouvernent la matière. Que demander de plus ?

newsid:79377

Sociétés

[Jurisprudence] De la répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire : suite et fin ?

Réf. : Cass. civ. 2, 13 juillet 2005, n° 02-15.904, M. Alain Roquelaure c/ M. Gérard Rebsomen, FS-P+B (N° Lexbase : A9112DIC)

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N9721AIU

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Le 07 Octobre 2010

Par un heureux hasard du calendrier, la question de la répartition du droit de vote entre l'usufruitier et le nu-propriétaire de droits sociaux est décidément à l'honneur de l'agenda de la Cour de cassation. C'est, en effet, pas moins de trois décisions sur ce problème que la Haute juridiction a rendues en dix-huit mois. Ainsi, après les arrêts "Henaux" (1) et "Gérard" (2), rendus par la Chambre commerciale, la deuxième chambre civile vient de se prononcer, à son tour, sur ce problème si controversé. Dans un arrêt du 13 juillet 2005, celle-ci a invalidé une clause des statuts d'une société en nom collectif qui prévoyait que "l'usufruitier représente valablement le nu-propriétaire pour toutes les décisions sociales, quel qu'en soit l'objet". Pour la Cour de cassation, "la clause statutaire selon laquelle l'usufruitier représente valablement le nu-propriétaire pour toutes les décisions sociales, quel qu'en soit l'objet, si elle permet à l'usufruitier d'exercer seul le droit de vote en application des dérogations autorisées sur ce point par l'article 1844, alinéa 4, du Code civil, ne peut avoir pour effet de priver le nu-propriétaire du droit de participer aux décisions collectives tel qu'il est prévu à l'alinéa 1er dudit article".

La deuxième chambre civile envisage, ainsi, l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG ) globalement : elle interprète l'alinéa 3 de ce texte à la lumière de l'alinéa 1er. Le partage conventionnel du droit de vote ne pourra avoir pour effet de priver le nu-propriétaire, associé, de ses prérogatives de gouvernement. Il en résulte que les dérogations à la répartition légale doivent respecter la qualité d'associé du nu-propriétaire, qui lui octroie un droit irréductible de participer aux décisions collectives.

En d'autres termes, dans la mesure où l'article 1844, alinéa 4, du Code civil permet de déroger à la répartition légale du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire, la clause attribuant la totalité du droit de suffrage au premier est licite. Cependant, cette stipulation ne devra pas porter atteinte au "droit de participer aux décisions collectives", visé par l'article 1844, alinéa 1er.

Le principe posé par les arrêts "de Gaste" (3) et "Gérard" est réaffirmé sans la moindre ambiguïté. L'article 1844, alinéa 3, autorise les statuts à octroyer la totalité du droit de vote à l'usufruitier mais le nu-propriétaire devra, néanmoins, être mis en mesure de participer aux décisions collectives, sans pour autant voter, ainsi que l'affirme l'alinéa 1er de ce texte. La cause est donc entendue : il est possible de priver le nu-propriétaire de son droit de vote, mais non de son droit de participer aux décisions collectives (I), alors qu'il est seul associé (II).

I - L'impossibilité de priver le nu-propriétaire de son droit de participer aux décisions collectives

Il ressort de l'arrêt rendu le 13 juillet 2005 que les statuts peuvent attribuer la totalité du droit de suffrage au seul usufruitier, à condition de ne pas priver le nu-propriétaire de son droit de participer aux décisions collectives visé par l'article 1844, alinéa 1er, du Code civil.

La Haute juridiction procède, ainsi, à une analyse exégétique des dispositions de l'article 1844. Son alinéa 4 permet les dérogations statutaires à l'alinéa 3, qui concerne l'aménagement du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire. En revanche, il interdit de déroger à l'alinéa 1er qui vise le droit pour tout associé, de participer aux décisions collectives. C'est donc que les statuts litigieux pouvaient priver le nu-propriétaire associé de son droit de vote mais sans lui ôter son droit de participation.

Bien que rendue en matière de société en nom collectif, cette solution doit être étendue à toutes les sociétés commerciales. En effet, la deuxième chambre civile a statué sous le visa de l'article 1844 du Code civil, qui est un texte de droit commun.

Par conséquent, les statuts peuvent valablement conférer la totalité du droit de vote à l'usufruitier à condition de ne pas porter atteinte au droit de participer aux décisions collectives reconnu par l'article 1844, alinéa 1er, au nu-propriétaire, seul associé.

Cette solution n'est pas, on l'a vu, totalement inédite.

Dans un premier arrêt en date du 4 janvier 1994, en effet, la Cour de cassation avait annulé une clause statutaire qui prévoyait que seul l'usufruitier aurait la faculté d'assister aux assemblées générales, et d'y voter (4). Cependant, le doute était permis dans la mesure où la stipulation litigieuse, en l'occurrence, avait, non seulement privé le nu-propriétaire de son droit de vote, mais l'avait exclu de toute participation aux affaires sociales. Seul l'usufruitier pouvait participer aux assemblées.

Interprétée à la lumière de la jurisprudence ultérieure, qui assimilait droit de participation et droit de vote (5), cette décision interdisait donc de priver le nu-propriétaire de tout droit de suffrage.

Le doute n'est plus permis au lendemain de l'arrêt du 22 février 2005 (6). En l'espèce, la clause statutaire litigieuse avait été annulée par les juges du fond au motif qu'elle privait le nu-propriétaire de son droit de vote (7). La Cour de cassation censure cette analyse car la clause litigieuse, si elle dépouillait le nu-propriétaire de son droit de suffrage, laissait intact son droit de participation aux décisions collectives. Par conséquent, il ressort très nettement de cet arrêt que les statuts peuvent valablement conférer la totalité du droit de vote à l'usufruitier mais ne peuvent priver le nu-propriétaire, seul associé, de son droit de participation aux décisions collectives.

Cette solution est réaffirmée avec force par l'arrêt commenté.

La solution adoptée par la deuxième chambre civile et la Chambre commerciale semble peu orthodoxe. La distinction entre droit de participation et droit de vote risque de poser des difficultés pratiques puisque le nu-propriétaire devra être convoqué à toutes les assemblées, y compris lorsqu'il est privé du droit de vote.

Elle présente, néanmoins, l'intérêt de valider les clauses conférant la totalité du droit de vote à l'usufruitier, qui manifeste souvent un plus grand intérêt pour les affaires sociales que le nu-propriétaire et qui est fréquemment le fondateur de la société.

A aucun moment, pourtant, la deuxième chambre civile, pas plus que la Chambre commerciale ne reconnaît la qualité d'associé à l'usufruitier. Bien au contraire, elles affirment implicitement, mais nécessairement, que seul le nu-propriétaire peut être associé.

II - La qualité d'associé du seul nu-propriétaire

La reconnaissance de la qualité d'associé au nu-propriétaire ne souffre pas la discussion. La doctrine est, d'ailleurs, unanime en ce sens (8).

Même si elle est peu abondante, la jurisprudence consacre cette solution (9).

Mais est-ce à dire que l'usufruitier ne pourra jamais se voir attribuer cette qualité ? Une fraction minoritaire de la doctrine en doute (10). Sans remettre en cause le statut du nu-propriétaire, elle soutient que l'usufruitier est aussi associé. Cependant, force est de constater que les arguments avancés par ce courant n'ont que l'apparence de la pertinence (11).

D'autres arguments militent, au contraire, en faveur de la reconnaissance de la qualité d'associé au seul nu-propriétaire. Ainsi l'article 1844-5, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM) affirme-t-il que "l'appartenance de l'usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l'existence de la société" (12). Interprété à la lumière de l'alinéa 1er, ce texte refuse nécessairement le statut d'associé à l'usufruitier. En effet, si la réunion de tous les titres sur la tête d'un même associé peut entraîner, sous certaines conditions, la dissolution de la société et que la détention de l'usufruit de la totalité des parts ou actions par une seule personne est sans incidence, c'est donc que l'usufruitier n'est pas associé.

Même si un arrêt demeuré isolé a qualifié l'usufruitier de "coassocié" (13), la jurisprudence ne lui a jamais reconnu cette qualité. Certaines décisions de juridictions du fond la lui ont d'ailleurs expressément déniée. Ainsi, une ordonnance de référé du tribunal de commerce de Roanne a-t-elle considéré que seul le nu-propriétaire pouvait solliciter du juge la nomination d'un expert de gestion, conformément à l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu l'article L. 225-31 du Code de commerce N° Lexbase : L5902AIG), étant seul investi de la qualité d'associé (14). La position du tribunal de commerce de Lyon est encore plus nette (15). En l'occurrence, la juridiction consulaire répute non écrite une clause statutaire attribuant le droit de vote au seul usufruitier. Cette stipulation avait pour effet de priver l'associé de son droit de participer aux décisions collectives et de conférer cette prérogative à une personne qui n'était pas associée. Comme le font remarquer les juges, "la qualité d'associé ne peut être reconnue qu'au nu-propriétaire, seul concerné par les droits et obligations liés aux apports". On ne pouvait plus clairement refuser ce statut à l'usufruitier.

En outre, l'arrêt commenté réserve implicitement la qualité d'associé au seul nu-propriétaire. Même si la question de l'attribution de ce statut à l'usufruitier n'a pas été posée à la Cour de Cassation, deux arguments militent en faveur de cette conclusion. En premier lieu, le visa de l'article 1844, alinéa 1er, qui fait référence à l'associé, laisse peu de place au doute. En second lieu, le principe d'indivisibilité, posé à l'article L. 228-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6180AIQ) et applicable à toutes les formes sociales, s'oppose à ce que la qualité d'associé soit reconnue en même temps aux deux parties à la convention d'usufruit. En effet, il résulte de cette règle que la société ne connaît, pour chaque titre, qu'un seul titulaire ; par conséquent, la qualité d'associé ne peut être scindée, pas plus que les attributs attachés aux droits sociaux. En d'autres termes, si le nu-propriétaire est associé, l'usufruitier ne peut pas l'être.

La cause paraît donc entendue. Il est possible de priver le nu-propriétaire, nonobstant sa qualité d'associé, de son droit de vote dans toutes les assemblées générales, à l'exception peut-être, si l'on suit la logique de l'arrêt de la Chambre commerciale rendu le 31 mars 2004, de celles décidant de la dissolution de la société, à condition de sauvegarder son droit de participer aux décisions collectives. Inversement, il est admissible de priver l'usufruitier du droit de vote pour toutes les résolutions à l'exception de celles décidant de la répartition des bénéfices. Plusieurs interrogations subsistent néanmoins. Que décider pour les porteurs d'actions de préférences dépourvues de tout droit de vote ? Faut-il toutefois reconnaître à ces derniers un droit irréductible de participer aux décisions collectives ? Cette question met en lumière le caractère largement artificiel de la distinction droit de participation/droit de vote.

Renee Kaddouch
Docteur en droit, Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) Cass. com., 31 mars 2004, n° 03-16.694, M. Max Hénaux c/ Mme Jacqueline Filliette, FS-P+B N° Lexbase : A7593DBT, Petites Affiches 10 déc. 2004 p. 5, note R. Kaddouch ; sur l'ensemble de la question, R. Kaddouch, L'usufruit de droits sociaux, technique de transfert du droit de vote, Bull. Joly 2004 p. 189 ;
(2) Cass. com., 22 février 2005, n° 03-17.421, M. Guy Gerard c/ M. Alain Gerard, F-D N° Lexbase : A8706DGK, JCP éd. E. 2005 p. 1067, note R. Kaddouch ;
(3) Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-20.256, Consorts de Gaste et autre c/ M Paul de Gaste N° Lexbase : A4835AC3, Defrénois 1994 p. 556, note P. Le Cannu ;
(4) Cass. com. 4 janvier 1994, précité ;
(5) Cass. com., 9 février 1999, n° 96-17.661, Société du Château d'Yquem c/ Mme de Chizelle et autres, publié N° Lexbase : A8033AGM, Bull. IV n° 44 ;
(6) Cass. com. 22 février 2005, précité ;
(7) CA Rennes 27 mai 2003, Bull. Joly 2003 p. 1187, note F-X. Lucas, JCP éd. N. 2003, I n° 1545, note J.-P. Garçon ;
(8) J. Mestre, Sociétés commerciales, Lamy, 2005, n° 225 ; J. Derrupe, Un associé méconnu : l'usufruitier de parts ou actions, Defrénois 1994 p. 1137 ; M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui à la qualité d'associé ?, JCP éd. E 1994 n° 374 ;
(9) CA Paris 22 janvier 1971, JCP éd. CI 1971 n° 10364 ; D. 1971 p. 517, note Y. Guyon ; CA Douai 22 février 1971, Journ. agrées 1971 p. 259 ; Cass. civ. 3, 5 juin 1973, n° 72-12634, Société S.I.A.M.N.A. SA c/ Société civile particulière du domaine de Beaurose, publié N° Lexbase : A1988CGQ, Bull. III n° 403 et surtout Cass. com. 4 janvier 1994, de Gaste, précité, Defrénois 1994 p. 556, note P. Le Cannu ; JCP éd. E. 1994 I n° 363 (n° 4), obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ;
(10) J. Derruppe, Un associé méconnu : l'usufruitier de parts ou actions, précité, et De l'ineptie de refuser à l'usufruitier la qualité d'associé, Defrénois 1997 p. 297 ; M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associé ?, précité et L'usufruitier de droits sociaux a-t-il oui ou non la qualité d'associé (ou controverse pour un concert à trois plumes), JCP éd. N. 2003 I n° 1335 ; C. Regnaut-Moutier, Vers la reconnaissance de la qualité d'associé au nu-propriétaire de droits sociaux ?, Bull. Joly 1994 p. 1155 ; Y. Paclot, Remarques sur le démembrement de droits sociaux, JCP éd. E. 1997 II n° 678 ; adde, A. Pietrancosta, Usufruit et droit des sociétés, Dr. et patrimoine mai 2005 p. 63 ;
(11) Pour une réfutation de ces arguments, V. R. Kaddouch, L'usufruit de droits sociaux, technique de transfert du droit de vote, précité ;
(12) J. Mestre, Sociétés commerciales, Lamy, op. cit., n°209 ;
(13) Cass. com., 26 février 1974, n° 72-14.056, Epoux Bichon c/ Société Thury et Bouyer N° Lexbase : A6859AG7, Bull. IV n° 71 ;
(14) Trib. com. Roanne, ord. référé, 13 septembre 1991, RTD com. 1992 p. 201, obs. Y. Reinhard ; comp. CA Paris, 14e ch., sect. B, 27 mai 1988, n° 88-000320, Monsieur Hubert de Bouville c/ Société Nouvelle des Basaltes (S.N.B) N° Lexbase : A9672C7D, D. 1988, inf. rap., p. 220 et CA Versailles, 13e ch., 19 décembre 1989, n° 10771/89, M. Jean-Claude Abeille c/ M. Ghislain Busson N° Lexbase : A3460A4W, Bull. Joly 1990 p. 182, note P. Le Cannu ;
(15) Trib. com. Lyon 30 septembre 1993, Dr. Sociétés 1993 n° 217, obs. crit. Th. Bonneau.

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Droit financier

[Jurisprudence] Affaire Hyparlo : l'ADAM croque... l'AMF

Réf. : Cour d'appel de Paris, 1ère ch., sect. H, 13 septembre 2005, n° 2005/04058, ADAM c/ Hyparlo (N° Lexbase : A4372DK7)

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Le 07 Octobre 2010

L'affaire Hyparlo qui a, une fois encore, permis de mettre en avant une action de l'Association des actionnaires minoritaires (ADAM) contre une société cotée, nous donne l'occasion d'assister à un des premiers recours important en matière d'offre publique. La cour d'appel de Paris vient, le 13 septembre dernier, de censurer une décision de l'Autorité des Marchés Financiers (l'AMF) en annulant une autorisation de dérogation à l'obligation de dépôt d'une offre publique et ce, dans des termes qui invitent à s'interroger sur les rapports qu'entretiendront, à l'avenir, la nouvelle autorité et le juge d'appel. En effet, cette dérogation, accordée par l'AMF sous l'égide du droit boursier (I), a été annulée par la cour d'appel pour des motifs liés, selon elle, à une mauvaise appréciation de la notion de changement de contrôle, sur des bases textuelles qui relèvent davantage du droit des sociétés (II). I - Une dérogation à l'obligation d'offre publique fondée sur le droit boursier

L'affaire ADAM contre Hyparlo a pour origine un recours contre une décision de l'AMF en date du 16 février 2005, décision permettant à la société précitée de déroger au principe d'obligation de dépôt d'un offre publique, à la suite d'une modification de son contrôle (A). La cour d'appel de Paris a ainsi rendu sa décision en appréciant la décision de l'AMF, cette dernière ayant à apprécier si la modification substantielle d'un concert (B) justifiait, ou non, l'obligation de déposer une offre publique.

A - La modification du contrôle de la société Hyparlo

La société défenderesse, la société Hyparlo, dont les actions sont admises aux négociations sur l'Eurolist d'Euronext Paris sur actions, exploite, dans le cadre d'un contrat de franchise, 16 hypermarchés à l'enseigne Carrefour, en France et en Roumanie. Originellement, cette société était contrôlée par les membres de la famille Arlaud (le groupe familial Arlaud dans l'arrêt) via deux holdings (sociétés Hofidis et Arlco) détenant 57,8 % du capital et 67,2 % des droits de vote de la SA Hyparlo. Le "groupe familial" et la société Carrefour (Carrefour) agissaient de concert vis-à-vis de la société défenderesse, en vertu d'un pacte d'actionnaire en date du 1er janvier 1999, Carrefour détenant dans la société en cause 20 % du capital et 20,8 % des droits de vote.

Le 24 décembre 2004, le groupe familial Arlaud et la société Carrefour concluent un "protocole d'accord" afin de renforcer leur action de concert, sans toutefois, du moins selon les mentions portées dans l'accord, en modifier l'équilibre antérieur.

C'est ainsi que les holdings Hofidis et Arlco furent fusionnées, constituant une SAS dénommée Hofidis II. La société Carrefour, par ailleurs, apporte à Hofidis II sa participation dans la société Bearbull, société tête de groupe des activités de la défenderesse en Roumanie. Carrefour achète, en outre, des actions à la famille Arlaud. A la suite de ces opérations, la Société Hofidis II est détenue à parité, en capital et en droit de vote, par Carrefour et ses partenaires.

Par ailleurs, dans ce protocole, Carrefour s'engage irrévocablement à acquérir, à compter du 1er janvier 2012, les actions d'Hofidis II détenues par la famille Arlaud, à un prix déterminé par un expert financier, à défaut d'un accord entre les parties. Au cas de cessation des fonctions des dirigeants d'Hofidis II, le terme prévu au 1er janvier 2012 sera anticipé à la date de cessation des fonctions.

Les statuts d'Hofidis II prévoient, enfin, la nomination de MM. Pardi et Arlaud comme président et directeur général jusqu'au 31 décembre 2011. Un conseil de surveillance de 6 à 12 est constitué, avec une parité de représentation entre le groupe familial Arlaud et Carrefour. Ce conseil de surveillance ne pourra, valablement, délibérer qu'à la moitié de ses membres, le conseil devant statuer, en outre, à la majorité qualifiée des 2/3.

En dehors de ces stipulations, qui ne font que matérialiser l'intensité du partenariat, il en est d'autres plus spécifiques qui confèrent un avantage significatif à la société Carrefour. Il est, en effet, prévu l'attribution d'un droit de vote double à cette société sur une fraction (dites actions B) de sa participation dans Hofidis II, soit à l'échéance du 31 décembre 2001, soit dans les deux cas de figure suivants :

- le président ou le directeur général cessent leurs fonctions ;
- la direction générale a pris une décision relevant de l'article 10.3 (b) des statuts, décision sur laquelle de conseil de surveillance n'aurait pas donné un avis positif.

C'est le jeu de ces clauses, assez complexe, qui, précisément, va susciter ultérieurement des questions quant à l'appréciation du contrôle. Cependant, le changement programmé ne pose, apparemment, aucun problème à l'époque puisque les accords susmentionnés entrent en vigueur le 14 janvier 2005.

L'AMF, de son coté, est informée de l'existence du pacte d'actionnaires, en respect des dispositions de l'article L. 233-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L6314AIP) qui prévoit, pour les sociétés cotées, une information obligatoire pour toute clause d'une convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions et portant sur au moins 0,5 % du capital et des droits de vote (1).

Il demeure, qu'en principe, cette modification du concert fait encourir -sous réserve de dérogation qui ne manqueront pas d'être invoquées-, l'obligation de déposer une offre publique. A ce titre, les conseils de la société Carrefour font valoir, pour convaincre l'AMF, que les modifications précitées ne doivent pas entraîner de dépôt d'une offre. La société Carrefour, par cet intermédiaire, souligne, notamment, que "la prédominance d'un concertiste sur un autre ne se réduit pas à la simple constatation d'un niveau de participation et que l'AMF peut prendre en compte des éléments extérieurs à la simple pesée comparative des pourcentages de capital ou de droits de vote". Elle ajoute "que c'était donc dans les statuts d'Hofidis II qu'il convenait d'analyser le poids relatif de chacun des concertistes". En l'espèce, la famille Arlaud et Carrefour se trouvaient temporairement à égalité au sein de cette structure.

Les conseils de la société carrefour demandaient donc à l'AMF, dans une lettre du 19 janvier 2005, de constater, sur le fondement des articles 234-6 1° ([LXB=L5398G8G ]) et 234-3 (N° Lexbase : L5395G8C) de son règlement général, que les membres du concert n'étaient pas tenus de déposer un projet d'offre publique sur les titres de la société défenderesse.

L'AMF fera droit à cette demande par une décision 205C0262 en date du 16 février 2005 (N° Lexbase : L2064HCG), au motif que :

- les statuts d'Hofidis II prévoient que les représentants légaux de la SAS sont choisis au sein de la famille Arlaud de façon irrévocable, sauf prise de contrôle par la société Carrefour ;
- la direction et la gestion effective du groupe continueront d'être assurées par les membres de cette famille, les organes sociaux demeurant inchangés. Cette prédominance familiale demeurera inchangée tant que Carrefour ne deviendra pas l'actionnaire majoritaire, seule situation pouvant déboucher sur l'application des textes conduisant au dépôt d'une offre publique sur les titres d'Hyparlo. Quant à l'évolution du concert, il s'inscrit dans le cadre d'un partenariat commercial, entre Carrefour et le groupe familial, partenariat qui est, par ailleurs, matérialisé par un contrat de franchise.

Contestant cette analyse, l'ADAM intente un recours, le 28 février 2005, demandant à la cour d'appel de Paris d'annuler la décision de l'AMF et, notamment, de contraindre la Société Hyparlo à déposer un projet d'offre publique.

B - Modification substantielle du concert et autorisation de dérogation au dépôt d'une offre publique

La cour d'appel avait, dans cette affaire, à se prononcer sur d'autres points concernant, en particulier, la recevabilité de certains recours intentés hors délais, par un associé minoritaire et l'irrégularité supposée de la procédure suivie devant l'AMF. Il n'est, cependant, que sur l'analyse de l'accord entre les actionnaires que cette affaire présente un intérêt ; intérêt majeur s'il en est, puisque l'arrêt vient, dans une certaine mesure, encadrer de façon plus restrictive les dérogations au principe de dépôt d'une offre publique.

A ce titre, les textes visés, dont l'ADAM contestait l'interprétation, étaient respectivement -selon la décision- les articles L. 233-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L6314AIP), et 234-6 1° et 234-3 2° du règlement général de l'AMF.

C'est sur ce fondement, suggéré dans leur mémoire par les conseils de la société Carrefour, que l'AMF devait conclure, après analyse de la teneur du nouveau pacte d'actionnaire : "qu'il n'y [avait] pas matière à déposer, en l'état, un projet d 'offre publique sur la base des dispositions réglementaires invoquées par les requérants".

Sur ce point, ces textes établissent, dans l'ordre de présentation choisi par l'autorité :

- s'agissant, d'abord, de l'article 234-6 1° du règlement général ; que l'AMF peut constater qu'il n'y a pas matière à déposer un projet d'offre publique lorsque les personnes, qui viennent à déclarer agir de concert, le font avec "un ou plusieurs actionnaires qui détenaient déjà, seul ou de concert, la majorité du capital ou des droits de vote de la société, à condition que ceux-ci demeurent prédominants". L 'article ajoute, également, que tant que l'équilibre des participations respectives au sein d'un concert n'est pas significativement modifié, par référence à la situation constatée lors de la déclaration initiale, il n'y a pas lieu à offre publique.

A l'évidence, ce qui était souligné, par les conseils de la société Carrefour, était l'absence de modification substantielle de la majorité du capital et des droits de vote de la société visée, puisque, dans la nouvelle organisation des participations, la société Hyparlo demeurait contrôlée par le groupe familial, ce dernier demeurant ainsi "prédominant" en apparence. Il convient, d'ailleurs, sur ce point, de préciser que l'AMF, (mais cette remarque ne figure pas dans les motifs de la cour d'appel) avait cru bon de souligner, dans sa décision, qu'elle retenait, en partie, cette solution parce que "la famille Arlaud [conservait] la majorité des sièges au conseil de surveillance, compte tenu de la voix prépondérante attribuée à son Président issu de la famille Arlaud en cas de partage des voix [...]".

Toutefois, le texte précédent visant exclusivement le "concert", cette solution ne préfigurait pas de l'appréciation du "contrôle". Il convenait donc d'appliquer, ensuite, l'article 234-3 2° du règlement général qui prévoit que : "lorsque plus du tiers du capital ou des droits de vote d'une société dont les titres de capital sont admis sur un marché réglementé est détenu par une autre société et constitue une part essentielle de ses actifs, l'obligation de déposer une offre publique s 'applique quand : [...] 2° Un groupe de personnes agissant de concert vient à prendre le contrôle de la société détentrice au sens des textes applicables à cette dernière, sauf si l'une ou plusieurs d'entre elles disposaient déjà de ce contrôle et demeurent prédominantes".

C'est, pour les motifs déjà évoqués, à propos du concert que, selon l'AMF, il était -en définitive- possible de déroger à l'obligation de dépôt d'une offre publique.

Le texte précise, de surcroît, comme s'il fallait clarifier l'interprétation de ce qui précède, que : "tant que l'équilibre des participations respectives au sein d'un concert n'est pas significativement modifié par référence à la situation constatée lors de la déclaration initiale, il n'y a pas lieu à offre publique".

On remarquera, sur la forme, la similitude de rédaction entre les articles 234-6 1° et 234-3 2° du règlement général de l'AMF, mais sur le fond, s'agissant du raisonnement de l'AMF et de la cour d'appel, il fallait bien invoquer les deux textes en dépit de leur redondance, afin d'examiner la situation du concert et la situation du contrôle. Dans un souci de sécurité, et en raison du doute pesant sur le maintien de "l'équilibre" précité, il paraissait ainsi nécessaire de faire jouer les deux séries de dérogations. Au plan de la technique juridique, on ne peut, donc, que souligner la solidité des fondements sur lesquels l'AMF, puis la cour d'appel, ont bâti leur motivation.

II - Le maintien de l'obligation de déposer une offre publique fondée sur la notion de changement de contrôle

Le raisonnement de la cour d'appel de Paris diffère quelque peu de celui que l'AMF avait retenu. La cour examine, notamment, à travers l'analyse des statuts la réalité de l'exercice du contrôle (A), ce qui conduit a estimer que le changement de pouvoir justifiait le dépôt obligatoire d'une offre (B).

A - La recherche par la cour de "l'exercice" du contrôle

La décision de l'AMF paraît, de la sorte, suffisamment étayée, aussi bien en fait qu'en droit. En effet, les modifications introduites dans le pacte initial n'aboutissaient pas à un changement de pouvoir significatif au sein de la société, du moins, pas avant le changement programmé de majorité. C'est, toutefois, l'organisation de ce changement qui fait surgir un problème juridique. Les transformations futures sont programmées avec un telle précision et de telles sécurités pour le futur majoritaire que la situation à l'issue de la modification du pacte ne saurait apparaître que transitoire largement orientée vers une prise de contrôle de Carrefour ou, en tout cas, différente quant à la forme et au fond.

A l'examen, l'équilibre de l'actionnariat apparaît ainsi particulièrement fragile puisque, par le jeu de deux clauses, celle qui permet l'exercice d'un droit de vote double par Carrefour en cas de départ des dirigeants et celle qui attribue le même droit en cas d'actes du directoire non avalisé par le conseil de surveillance ; les dirigeants voient leurs décisions subordonnées à la position de Carrefour. La situation, en soi, n'est pas choquante dans une logique où les acteurs du concert sont a égalité au sein de la société. Il n'en demeure pas moins, que les requérants font valoir que ce nouvel équilibre est à l'origine d'une évolution du pouvoir qui justifie le dépôt d'une offre publique. C'est pour cette raison qu'ils attaquent la décision de dérogation de l'AMF.

Le raisonnement de la cour d'appel va ainsi porter, essentiellement, sur l'analyse de la prédominance supposée de l'ancien minoritaire. En effet, alors que l'AMF, suivant en cela les conclusions des conseils de la société Carrefour, relève essentiellement que le groupe familial avait gardé le contrôle sur les décisions et demeurait majoritaire sinon égalitaire au sein de la nouvelle structure, la cour se livre a un examen approfondi des statuts de la nouvelle holding afin de déterminer la façon dont le contrôle de la société Hypralo est véritablement exercé.

La cour, tout d'abord, rappelle que si l'AMF dispose du pouvoir d'appréciation des conditions de dérogation à l'obligation du dépôt d'une offre publique, que si ce pouvoir emporte celui de rechercher si les anciens majoritaires conservaient un pouvoir prédominant, cette "prédominance" doit être "constatée dans l'exercice du contrôle de la société concernée".

Ainsi, les juges relèvent, qu'en l'espèce, l'article 9.2 des statuts de la société Hofidis II prévoit que le président et le directeur général doivent recueillir l'accord préalable du conseil de surveillance pour toute une série d'actes, y compris toute cession ou acquisition d'actions de la société défenderesse, leur filiale, toute acquisition ou cession d'actif supérieure à 100 000, "l'octroi de tous concours financier", de toute sûreté, de tout recours à l'emprunt ou la délivrance de toute garantie y compris des lettres de confort.

La cour d'appel insiste, ensuite, sur la situation de subordination des dirigeants vis-à-vis du conseil de surveillance. En effet, l'article 10.3 (b) des statuts de la société Hofidis II stipule que le conseil de surveillance donne son avis sur le sens du vote que doit adopter la société s'agissant de sa filiale Hyparlo. Or, il convient, pour apprécier la portée de cette stipulation en apparence anodine -et notamment en référence au terme "d'avis"- de la rapprocher de l'article 13.2 des statuts. Ce dernier établit, en effet, -et sa teneur a déjà été soulignée- que la société Carrefour obtient un vote double pour ses actions B si la direction générale prend une décision en matière de vote "sur laquelle le conseil de surveillance n'aura pas donné un avis positif".

B - La modification du contrôle entraîne obligation de dépôt d'une offre publique

En vertu de ce rapprochement textuel, la cour d'appel s'estime fondée à affirmer que les limitations ainsi apportées aux pouvoirs des dirigeants de la société Hofidis II quant à la gestion de sa participation avaient "pour objet et pour effet" de donner un pouvoir de co-décision à la société Carrefour. La cour ajoute, d'ailleurs, que, compte tenu du fait qu'elle s'exerçait dans une holding, cette gestion constituait "l'objet même" de la société nouvellement créée, ce qui accentue les conséquences de ce changement de contrôle.

L'argument de Carrefour, pour contrer cette affirmation apparaiît, en revanche, maladroit. Il tendait à démontrer qu'en contrepartie de ce pouvoir, les dirigeants de Hofidis II pouvaient briser indirectement cet équilibre en ne se conformant pas à l'avis du conseil de surveillance. Ce rejet de l'avis donnant, ipso facto, droit de vote double sur les actions B à la société partenaire, la famille Arlaud aurait pu contraindre son partenaire, de la sorte, à déposer une offre publique. Ainsi, si l'on suit le raisonnement de la société Carrefour, le groupe familial pouvait mettre fin à la situation à tout moment, indirectement, puisque, par leur simple opposition, ils perdaient immédiatement le contrôle. Piètre logique, à notre sens, que celle qui était ici invoquée, puisqu'elle n'aboutissait qu'à souligner que, dans les faits, aucun actionnaire ne pouvait s'opposer au groupe de distribution. Au surplus, le juge relèvera que la société Carrefour pouvait envisager le coût d'une OPA et que de nombreux documents démontraient sa volonté de faire entrer à terme la société Hypralo dans son groupe.

La Cour en conclut que les personnes agissant de concert contrôlaient, conjointement, la société Hofidis II sans aucune prédominance du groupe familial Arlaud. Dés lors, le changement de contrôle, devenu "conjoint", ne permettait plus l'octroi d'une dérogation, justification suffisante pour annuler la décision de l'AMF.

Pour conclure, quelques remarques s'imposent, s'agissant de cet arrêt. D'abord sur la technique utilisée : c'est, en effet, en soulignant indirectement les prérogatives de l'AMF que la cour d'appel censure sa décision en mentionnant qu'elle analyse le concert et le contrôle mais non la dérogation. La décision en elle-même n'augure donc pas d'un changement dans l'appréciation des critères de dérogation et ne relève pas, en définitive, d'une problématique de pur droit boursier. Le problème et, en effet, traité par le juge sur le terrain du droit des sociétés. Avec quelque recul toutefois, on s'aperçoit que les questions sont tellement liées que la dissociation de ces deux domaines est artificielle. On peut surtout voir dans l'argumentation le souci du juge de souligner qu'il ménage, autant que faire se peut, les compétences de l'AMF.

Par ailleurs, cette décision s'inscrit incontestablement dans l'évolution du contexte juridique relatif au contrôle et aux offres publiques. Deux points peuvent permettre, à ce sujet, d'expliquer la rigueur de la décision de la cour d'appel. D'une part, les dispositions de la loi Breton du 2 août 2005 qui a ajouté un alinéa 4 à l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM). Ce dernier prévoyant, désormais, qu'une société est présumée en contrôler une autre "lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société". Cette disposition ne s'applique naturellement pas à l'espèce commentée mais elle traduit un renforcement de l'encadrement législatif de la notion de contrôle.

La même loi dispose, par ailleurs, dans son article 34 de la possibilité pour l'AMF d'étendre le mécanisme de garantie de cours aux marchés non réglementés, disposition qui traduit une extension du champ d'application du droit des offres (2).

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférence à l'ENS Cachan - antenne de Bretagne IODE/Rennes I
Membre du centre de recherche de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

(1) Article L. 233-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L7452DAA) (loi nº 2001-420 du 15 mai 2001, art. 1 N° Lexbase : L8295ASZ ; loi nº 2003-706 du 1 août 2003, art. 46, I, 4º N° Lexbase : L3556BLB). Toute clause d'une convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions admises aux négociations sur un marché réglementé et portant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de la société qui a émis ces actions doit être transmise dans un délai de cinq jours de bourse à compter de la signature de la convention ou de l'avenant introduisant la clause concernée, à la société et à l'Autorité des marchés financiers. A défaut de transmission, les effets de cette clause sont suspendus, et les parties déliées de leurs engagements, en période d'offre publique. La société et l'Autorité des marchés financiers doivent, également, être informées de la date à laquelle la clause prend fin. Les clauses des conventions conclues avant la date de publication de la loi nº 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques qui n'ont pas été transmises au Conseil des marchés financiers à cette date, doivent lui être transmises, dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets que ceux mentionnés au premier alinéa, dans un délai de six mois. Les informationsn mentionnées aux alinéas précédentsn sont portées à la connaissance du public dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers.
(2) L'article L. 433-3 du Code monétaire et financier ([LXb=L8025HBT]) est complété par un III et un IV ainsi rédigés : "III. - L'Autorité des marchés financiers peut prévoir que les règles mentionnées au II sont également applicables, dans des conditions et selon des modalités fixées par son règlement général, aux instruments financiers négociés sur tout marché d'instruments financiers ne constituant pas un marché réglementé, lorsque la personne qui gère ce marché en fait la demande. IV. - Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe également les conditions dans lesquelles tout projet d'offre publique déposé conformément aux dispositions de la section 1 du présent chapitre ou de la présente section doit, lorsque l'offre porte sur une société qui détient plus du tiers du capital ou des droits de vote d'une société française ou étrangère dont des titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché équivalent régi par un droit étranger et qui constitue un actif essentiel de la société détentrice, être accompagné des documents permettant de prouver qu'un projet d'offre publique irrévocable et loyale est ou sera déposé sur l'ensemble du capital de la société contrôlée ou qui constitue un actif essentiel, au plus tard à la date d'ouverture de la première offre publique". 

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Concurrence

[Jurisprudence] Une erreur en droit, ne remettant pas en cause une analyse économique, ne permet pas au tribunal d'infirmer une décision de la Commission

Réf. : TPICE, 21 septembre 2005, aff. T-87/05, EDP - Energias de Portugal, SA c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A4900DKP)

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N9484AI4

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Le 07 Octobre 2010

Le 31 mars 2004, "Energias de Portugal" (EDP), la compagnie historique portugaise d'électricité et Eni SpA, une compagnie d'énergie italienne, ont acquis "Gás de Portugal" (GDP) qui est la compagnie historique portugaise du gaz. Par décision en date du 9 décembre 2004, la Commission a déclaré cette opération de concentration incompatible avec le marché commun. Elle a conclu, notamment que, malgré les différents engagements proposés par les parties, l'opération projetée renforcerait les positions dominantes sur les marchés portugais de l'électricité (EDP) et du gaz (GDP). L'intérêt juridique majeur de cette décision résulte dans le fait qu'en présence d'une opération de concentration, qui pose de nombreux problèmes de concurrence sur plusieurs marchés, la Commission a estimé que les engagements souscrits par les parties devaient être facilement exécutables. Elle a confirmé, par ailleurs, sa ligne d'analyse concurrentielle : lorsque une concentration élimine une des rares sources de concurrence potentielle sur un marché déjà très concentré où les entreprises participantes ont une forte position, les mesures correctives proposées ne peuvent se limiter à réduire les barrières à l'entrée et à garantir l'accès des infrastructures. Elles doivent rendre possible avec un degré de certitude suffisant l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché en leur cédant d'importants actifs. Le 25 février 2005, EDP a demandé au Tribunal de première instance des Communautés européennes de procéder à l'annulation de cette décision. Le recours invoque, notamment, le fait que le marché du gaz portugais constituait un marché "émergent" au titre de l'article 28, paragraphe 2, de la directive 2003/55 (1), dite "seconde directive gaz". Rappelons, ici, qu'un marché émergent est défini (article 1er, paragraphe 31 de la même directive), comme "un Etat membre dans lequel la première fourniture commerciale relevant de son premier contrat de fourniture de gaz naturel à long terme a été effectuée il y a moins de dix ans". A ce titre, le Portugal bénéficierait, en la matière, d'une dérogation à l'application de la directive et ce, jusqu'en avril 2007.

La requérante estime, par ailleurs, qu'en évaluant les effets d'une concentration sur un marché du gaz non ouvert à la concurrence, la Commission aurait violé le droit du gouvernement portugais de restructurer le secteur du gaz durant la période de dérogation. De plus, elle affirme que la Commission a méconnu le critère de fond fixé par l'article 2 du règlement n° 4064/89 (2) en prétendant évaluer les effets d'un projet de concentration à la fin de la période de dérogation, c'est-à-dire plusieurs années plus tard.

Une autre violation de cet article ainsi que de l'obligation de motiver sa décision résulteraient, toujours selon la requérante, du fait que la Commission n'a pas examiné si le renforcement de la position dominante de EDP et de GDP sur les marchés de l'électricité et du gaz aurait entravé la concurrence de manière significative.

Enfin, la requérante fait valoir que la Commission a enfreint les dispositions de l'article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 en décidant que le projet de transaction devait être déclaré incompatible avec le marché commun malgré les engagements proposés par les parties.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, le Tribunal [point 112], après avoir analysé l'état de la libéralisation sur le marché du gaz, conclut, sans surprise, que "cette dérogation exonère l'Etat membre concerné de l'obligation d'appliquer les principales dispositions de la seconde directive gaz assurant l'ouverture des différents marchés à la concurrence et garantissant une concurrence effective. Il doit donc être conclu que, en vertu de cette dérogation, les marchés du gaz concernés ne sont pas ouverts à la concurrence tant que l'Etat membre concerné n'a pas ouvert ces marchés".

Revenant sur la méconnaissance de la dérogation accordée à la République portugaise [point 113], EDP soutient, par ailleurs, que la Commission, en appréciant les effets de la concentration sur des marchés qui n'avaient pas à être ouverts à la concurrence, a violé le droit de la République portugaise de restructurer le secteur du gaz durant le temps accordé par la dérogation octroyée par l'article 28 de la seconde directive gaz.

Bien évidement, pour sa part, la Commission estime que cette dernière résulte de décisions émanant d'entreprises et qu'en conséquence, elle doit être appréciée au regard des dispositions du règlement n° 4064/89.

Le raisonnement du Tribunal peut se résumer de la manière suivante :

  • La Commission dans son appréciation n'a pas tenu compte de la dérogation dont bénéficie le Portugal [point 130] :

"en fondant l'interdiction de la Concentration sur le renforcement de positions dominantes ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence sur des marchés du gaz non ouverts à la concurrence en vertu de la dérogation octroyée par l'article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz, la Commission a méconnu les effets et donc la portée de cette dérogation".

  • Cette erreur d'appréciation ne porte que sur les marchés non ouverts à la concurrence [point 131] :

"l'erreur commise par la Commission réside uniquement dans le fait qu'elle a considéré comme satisfaites les conditions d'application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à l'égard de marchés non ouverts à la concurrence. En revanche, ses appréciations concurrentielles fondées sur le règlement n° 4064/89 relatives à la situation des marchés du gaz antérieurement à la Concentration, celles relatives à la situation des marchés du gaz à la date prévisible de l'ouverture de ces marchés et celles relatives à la situation des marchés de l'électricité avant et après la Concentration ne sont pas affectées par cette erreur".

  • En conséquence, [point 132] :

"l'application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés de l'électricité n'est pas affectée par l'erreur commise en ce qui concerne les marchés du gaz".

Pour le Tribunal, la décision litigieuse est donc entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle conclut au renforcement [point 133] "des positions dominantes préexistantes de GDP sur les marchés de fourniture de gaz aux producteurs d'électricité, aux gros et aux petits clients ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative". En effet, s'agissant du critère de fond fixé par les dispositions de l'article 2 du Règlement n° 4064/89 relatif à l'évaluation des effets du projet de concentration (ici à la fin de la période de dérogation c'est-à-dire cinq années plus tard), après avoir rappelé que la décision attaquée était entachée d'une erreur de droit s'agissant de l'application dudit règlement aux marchés du gaz, le tribunal estime qu'il n'y a plus lieu de statuer sur un renforcement éventuel des positions dominantes de GDP sur lesdits marchés. Cependant, le juge remarque que la Commission s'est appuyée, dans son analyse des marchés de l'électricité, sur son analyse concurrentielle des marchés du gaz, sans que, bien évidemment, cette démarche soit affectée par l'erreur de droit constatée. En conséquence, c'est donc à juste droit, estime le Tribunal, que la commission a appliqué l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés de l'électricité et qu'il convenait de repousser l'argument mis en avant par EDP.

En matière de renforcement de la position dominante supposée de EDP et de GDP sur les marchés de l'électricité et du gaz, le Tribunal conclut [point 236], qu 'il convient de noter, que, "dès lors que l'amélioration concurrentielle générale sur les marchés du gaz à la suite de la Concentration, telle que modifiée, ne produit pas d'effets suffisamment conséquents sur les marchés de l'électricité pour éliminer les problèmes concurrentiels préalablement identifiés sur ces derniers marchés, la Commission ne saurait accepter de déclarer la Concentration compatible avec le marché commun en raison des effets bénéfiques pour la concurrence sur l'un des secteurs en cause au mépris des effets négatifs sur l'autre secteur. À cet égard, il importe de prendre en considération le fait que la plupart des bénéfices concurrentiels attendus sur le secteur du gaz en raison de la Concentration, voire tous, constituent des bénéfices à court ou à moyen terme dans la mesure où tous ces avantages, ou la plupart d'entre eux, seront en toute hypothèse obtenus deux à trois ans après la date prévue avec la Concentration, par le simple respect du calendrier de libéralisation instauré par la dérogation de la seconde directive gaz dont bénéficie la République portugaise", et qu'en conséquence, EDP n'a démontré aucune erreur manifeste d'appréciation de la part de la Commission lorsque celle-ci a conclu que la concentration, avait pour effet de renforcer la position dominante d'EDP sur les marchés de l'électricité, ayant comme effet une entrave significative à une concurrence effective.

Enfin, rappelons que la Commission a décidé que le projet de transaction devait être déclaré incompatible avec le marché commun et ce, malgré les engagements proposés par les parties. Cette décision est également validée par le Tribunal qui, à titre d'exemple sur le marché de l'électricité considère [point 220] que "la requérante n'a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d 'appréciation lorsqu'elle a considéré que la Concentration, telle que modifiée par tous les engagements directement relatifs au problème horizontal, pris ensemble, devait être déclarée incompatible avec le marché commun en raison de son effet horizontal sur les marchés de l'électricité. En particulier, si l'ensemble de ces engagements améliore sans conteste la possibilité d'entrer sur le marché de gros en électricité, la requérante n'a pas renversé la conclusion de la Commission fondée sur le test de marché, selon laquelle l'ensemble de ces engagements ne créaient pas un environnement concurrentiel suffisant pour rendre une telle entrée probable. En outre, à supposer même qu'une telle entrée soit prévisible sur l'un des marchés de l'électricité, rien n'indique que ce nouveau concurrent posséderait la force et les avantages détenus par GDP en vue de son entrée sur tous ou sur certains des marchés de l'électricité".

Reprenant une jurisprudence maintenant établie et considérant qu'une décision en matière de concentration déclarant incompatible une opération de concentration avec le marché commun ne saurait être annulée que s'il y a lieu de constater que les éventuels motifs qui ne sont pas entachés d'illégalité, en particulier ceux concernant l'un des marchés en cause, ne suffisent pas à justifier son dispositif (3), le Tribunal, in fine, confirme l'interdiction de l'acquisition de Gás de Portugal par EDP et Eni SpA.

Jean-Pierre Lehman
Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence


(1) Directive (CE) n° 2003/55 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (N° Lexbase : L0089BI7).
(2) Règlement (CE) n° 4064/89 du Conseil, 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (N° Lexbase : L6553AUA).
(3) TPICE, 22 octobre 2002, aff. T-310/01, Schneider Electric SA, établie à Rueil-Malmaison (France) c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2801A37), Rec. p. II-4071, point 412.

newsid:79484

Sociétés

[Manifestations à venir] La détermination du prix dans les cessions de titres sociaux, aspects contractuels et sociétaires

Lecture: 1 min

N9522AII

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Le 07 Octobre 2010

La Lettre des Juristes d'Affaires organise, le 9 novembre 2005, une matinée-débats intitulée "la détermination du prix dans les cessions de titres sociaux, aspects contractuels et sociétaires". Ces derniers mois, l'actualité jurisprudentielle relative à la détermination du prix dans les cessions de titres sociaux a été particulièrement nourrie. La Cour de cassation et les juridictions du fond ont rendu d'importants arrêts relatifs au rôle respectif des parties et du juge (du fond ou des référés), aux conditions d'intervention d'un expert, aux problèmes juridiques posés par la fixation d'un prix symbolique ou d'un prix plancher, ou encore à la responsabilité du dirigeant social du fait de son intervention dans la négociation du prix, qu'il soit mandataire ou lui-même partie à la cession. De leur côté, les récentes réformes du droit des sociétés ont modifié plusieurs aspects touchant à la matière. Ainsi, il apparait nécessaire de faire le point sur un certain nombre de questions qui influent directement sur la validité juridique et l'intérêt financier des cessions de titres.
  • Programme

Comment bien rédiger une clause de earn-out et maîtriser le risque d'indétermination, voire de potestativité ?
Quelles sont les conditions de nomination d'un expert ?
Quelle est l'étendue de sa mission et dans quels cas commet-il une erreur grossière de nature à remettre en cause l'évaluation ?
Quelles sont les conséquences d'un refus d'agrément du cessionnaire ou d'un repentir du cédant sur le terrain de la détermination du prix ?
Quel est le rôle et quelles sont les responsabilités du dirigeant social dans la fixation du prix de cession ?
A quelles conditions la cession à prix symbolique échappe-t-elle à la nullité ?

  • Intervenants

Nicolas Bombrun, Avocat associé au Cabinet Latham & Watkins ;
Bertrand Fages, Professeur à l'Université Paris XII, Directeur scientifique du Lamy Droit du Contrat ;
Dominique Ledouble, Expert-comptable, Commissaire aux comptes, Professeur associé au CNAM ;
Alain Pietrancosta, Professeur à l'Université Paris I

  • Lieu

Hôtel Meurice, Salon Pompadour
228, rue de Rivoli,
75001 Paris

  • Date

Mercredi 9 novembre 2005 : 9h - 11h30

  • Renseignements / Contact

Laure Legru - La Lettre des juristes d'Affaires, Lamy S.A.
21/23, rue des Ardennes
75935 Paris Cedex 19
Tél : 01 44 72 18 08
Fax : 01 44 72 18 28
Mél : matineesdebats@lamy.fr

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