La lettre juridique n°158 du 10 mars 2005

La lettre juridique - Édition n°158

Table des matières

Procédures collectives : "l'extension sanction", entre tempérament et abandon

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N1916AIS

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 07 Octobre 2010


Selon l'adage "faillite sur faillite ne vaut", il ne peut y avoir deux procédures collectives simultanées à l'encontre d'une même personne. Or, la Cour de cassation a apporté, en ce début d'année 2005, un tempérament à ce principe autorisant, par là-même, l'ouverture d'une seconde procédure, contre une même personne, mais, cette fois, à titre de sanction. Si l'importance de cette solution est à souligner, au regard du tempérament qu'elle apporte, il n'en reste pas moins qu'elle est vouée à perdre prochainement sa raison d'être. En effet, l'actualité législative de cette dernière quinzaine a été marquée, entre autres, par l'examen tumultueux, et l'adoption le 9 mars, du projet de réforme du droit des faillites qui instaure une procédure de sauvegarde pour les entreprises dont les difficultés pourraient les conduire à la cessation de paiement. Et, parmi les dispositions du texte, il en est une qui supprime ce mécanisme dit d'"extension sanction", le remplaçant par une obligation aux dettes sociales qui conduirait, le plus souvent, à ajouter au passif de la personne physique déjà en liquidation, les dettes de la société. Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose cette semaine de retrouver la chronique bimestrielle de Pierre-Michel Le Corre, professeur à l'université de Toulon et du Var, consacrée au droit des entreprises en difficulté.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Un tempérament au principe "faillite sur faillite ne vaut"

Réf. : Cass. com., 4 janvier 2005, n° 03-14.150, M. Léon Lamole c/ Mme Nadine Bréion, FS-P+B (N° Lexbase : A8733DE8)

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N4881ABE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

Le 16 Octobre 2017

Selon le fameux principe "faillite sur faillite ne vaut", une personne ne peut faire l'objet, simultanément, de deux procédures collectives. La solution est justifiée par le sacro-saint principe de l'unité du patrimoine, en vertu duquel toute personne a un patrimoine et un seul. Il est donc impossible d'ouvrir une procédure à l'encontre d'une personne déjà en redressement ou en liquidation judiciaire. La solution a été maintes fois affirmée (Cass. com., 11 décembre 2001, n° 99-10.238, FS-D N° Lexbase : A6451AX9, D. 2002, jur. p. 2523, note F. Derrida et A. Perdriau ; Rev. proc. coll. 2003, p. 106, n° 7, obs. S. Gorrias ; Cass. com., 19 février 2002, n° 96-22.702, FS-P N° Lexbase : A0281AY3, D. 2002, jur. p. 2523, note F. Derrida et A. Perdriau ; Act. proc. coll. 2002/6, n° 68 ; RTD com. 2002, p. 376, n° 11, obs. J.-L. Vallens ; Dr. et patrimoine 2002, n° 104, p. 85, obs. D. Houtcieff ; Cass. com., 4 février 2003, n° 00-14.636, FS-D N° Lexbase : A9181A4S, Act. proc. coll. 2003/6, n° 79, obs. F.-X. Lucas ; Petites affiches 16 février 2004, n° 33, p. 7, note H. Lécuyer). Les difficultés peuvent, en revanche, surgir, lorsqu'une personne physique débitrice, sous le coup d'une procédure collective, est parallèlement dirigeant d'une personne morale, objet d'une procédure collective. Le Code de commerce envisage deux cas de mise en redressement ou en liquidation judiciaire du dirigeant de la personne morale : soit pour les faits visés à l'article L. 624-5 (N° Lexbase : L7044AIQ), soit pour inexécution de la décision de condamnation à combler le passif (C. com., art. L. 624-4 N° Lexbase : L7043AIP). Le problème est, alors, de savoir si ces hypothèses d'ouverture de la procédure à titre de sanction contre un dirigeant fautif sont applicables, lorsque le dirigeant est déjà en redressement ou en liquidation judiciaire. C'est à cette délicate question que répond l'arrêt rapporté. En l'espèce, M. Lamole est déclaré en liquidation des biens début 1985, c'est-à-dire sous l'empire de la législation du 13 juillet 1967. Une société, dont il était le dirigeant, est déclarée, en 1999, en liquidation judiciaire. Le 7 avril 2000, il est condamné à combler en partie le passif de cette société. Le 15 décembre 2000, sa liquidation des biens est clôturée pour insuffisance d'actif. Le 19 juin 2001, le tribunal, constatant qu'il n'avait pas exécuté la décision de condamnation à combler le passif, prononce, à son encontre, un redressement, puis une liquidation judiciaire à titre personnel. Exhibant le principe de l'unité du patrimoine, M. Lamole reproche à la cour d'appel d'avoir confirmé la décision de liquidation judiciaire personnelle. L'argument est rejeté par la Cour de cassation qui va énoncer que "l'existence d'une procédure collective à l'égard d'une personne ne fait pas obstacle au prononcé, à titre de sanction, d'une nouvelle procédure collective à l'égard de la même personne prise en sa qualité de dirigeant d'une personne morale elle-même soumise à une procédure collective".

Le principe "faillite sur faillite ne vaut", qui paraissait bien assis, est ainsi assorti d'un tempérament qu'il faut exactement circonscrire : la Cour de cassation prend ici le soin de préciser que l'ouverture de la procédure ne fait pas obstacle au prononcé d'une seconde procédure "à titre de sanction". C'est donc l'idée de sanction qui a, ici, incontestablement animé la Cour de cassation. Il faut voir dans cette décision un tempérament au principe "faillite sur faillite ne vaut", plutôt qu'un revirement.

Les textes n'ignorent d'ailleurs pas l'hypothèse de la double procédure collective en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce. L'article 166 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5280A4C) envisage, en ce sens, le cas du redressement ou de la liquidation judiciaire d'un dirigeant de la personne morale débitrice, prononcé contre une personne déjà soumise à une procédure collective. Il indique que la procédure se poursuit devant la juridiction ayant prononcé la liquidation judiciaire. Les créanciers, admis dans le cadre de la procédure qui n'est pas poursuivie, sont admis de plein droit dans celle qui est poursuivie. Enfin, la date de cessation des paiements ne peut être postérieure à celle de la personne morale, dont la procédure collective a justifié le prononcé de la sanction. Le cas envisagé expressément par l'article 166 du décret, à savoir celui du dirigeant condamné sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce, n'est pas exactement celui de l'espèce. La question qui se pose, dès lors, est de savoir si les solutions retenues par l'article 166 du décret peuvent être transposées au cas de la personne déclarée en redressement ou en liquidation judiciaire au titre d'une activité indépendante, puis en redressement ou en liquidation judiciaire, en tant que dirigeant, pour inexécution de la décision de condamnation à combler le passif. Une réponse positive ne nous apparaît pas douteuse. Si les cas de prononcé du redressement et de la liquidation judiciaires personnels sont différents, la nature de la sanction est exactement la même. Il n'y a aucune raison de ne pas aligner les régimes.

En ce qui concerne, tout d'abord, la date de cessation des paiements à retenir pour la procédure ouverte contre le dirigeant, suggérons de retenir la plus ancienne des dates de cessation des paiements, pour éviter qu'un débiteur soit en état de cessation des paiements, à l'égard de certaines personnes seulement. La solution envisagée par l'article 166 du décret peut, donc, prospérer.

Le deuxième problème qui peut surgir intéresse les créanciers. Les créanciers personnels du dirigeant, dont les dettes sont nées après l'ouverture de sa première procédure, seront, dans la seconde procédure, des créanciers antérieurs astreints à déclarer leur créance au passif dans les délais classiques.

Le passif de la personne morale est mis à charge du dirigeant du fait de l'ouverture de la procédure à titre de sanction. Le liquidateur de la personne morale doit-il déclarer la créance de support du passif social dans la procédure ouverte contre le dirigeant ? Une réponse positive semble devoir être donnée mais dans une hypothèse seulement : celle dans laquelle le dirigeant n'avait été condamné qu'à une partie de l'insuffisance d'actif. En ce cas, le liquidateur du groupement devra, semble-t-il, déclarer au passif du dirigeant la différence entre, d'une part, le total de l'insuffisance d'actif du groupement et, d'autre part, le montant de la condamnation à combler le passif, à concurrence de la fraction non exécutée.

Les problèmes induits par la brèche ouverte dans le principe "faillite sur faillite ne vaut" n'auront plus l'occasion de se poser avec la réforme. Le projet de sauvegarde des entreprises (art. 145) supprime, en effet, les "extensions sanctions", qu'il s'agisse de l'extension au dirigeant pour faits visés à l'article L. 624-5 du Code de commerce, ou de l'extension au dirigeant pour inexécution de la décision de condamnation à combler le passif. Il remplace ces sanctions par une obligation aux dettes sociales, qui, dans la situation de l'espèce, conduirait simplement à ajouter au passif de la personne physique déjà en liquidation judiciaire, les dettes de la société.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Non-imposition d'une indemnité destinée à compenser un préjudice autre que la perte de revenu

Réf. : CAA Versailles, 17 février 2005, n° 03VE0248, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Etienne Aussedat (N° Lexbase : A1785DHL)

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N1901AIA

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010

L'indemnité versée à un salarié, par son employeur, à la suite de la remise en cause par ce dernier, dans le cadre de son contrat de travail, d'un avantage, consistant dans le bénéfice d'un régime supplémentaire de retraite, constitue selon la cour administrative d'appel de Versailles, dans un arrêt en date du 17 février 2005, "une indemnité représentative du préjudice subi résultant de la perte d'une chance de pouvoir bénéficier du régime [...en question...] sans qu'importe la circonstance qu'une telle indemnité ne soit pas destinée à réparer le préjudice résultant d'un licenciement".

La cour précise, en outre, que cette indemnité doit "être regardée comme réparant les troubles de toute nature résultant de la perte de la possibilité d'acquérir des avantages de retraite supplémentaire".

Aux termes de l'article 79 du CGI , "les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu". L'article 82 du même code poursuit en précisant que "pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés".

Il ressort, toutefois, de la documentation administrative de base que "toutes les sommes versées aux salariés sous forme d'indemnités [...] ont le caractère de revenus imposables, à moins qu'[...] elles ne présentent le caractère [...] de dommages-intérêts" (Doc. adm. 5 F-1131, du 10 février 1999, n° 2). Cette documentation poursuit en précisant, également, que "les dommages et intérêts s'entendent des sommes allouées par l'employeur à un salarié pour réparer un préjudice non financier résultant le plus souvent de la rupture forcée du contrat de travail ou d'une faute lourde commise à son égard" et que "ces sommes ont le caractère d'un gain en capital et n'entrent pas dans le champ de l'impôt sur le revenu" (Doc. adm. 5 F-1131, du 10 février 1999, n° 7).

Ainsi, il en ressort que les dommages et intérêts non imposables concernent les sommes versées par l'employeur en compensation d'un préjudice subi par le salarié, dont la cause est imputable à l'employeur, sauf, précise le Conseil d'Etat, lorsque ces dommages et intérêts ont pour seul objet de compenser une perte de revenu (CE Contentieux, 18 juin 1990, n° 74742, Le Roux c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5169AQI ; CE Contentieux, 4 décembre 1992, n° 83205, M. Brossard c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0969AIQ).

On observera, à cet égard, que pour la Haute cour, contrairement à ce qu'affirme la documentation administrative, l'indemnité destinée à compenser un préjudice financier ne peut être considérée comme une somme imposable, dès lors qu'il ne s'agit pas de compenser une perte de revenu.

Aussi, peu importe la nature de l'événement à l'origine du préjudice, qu'il s'agisse d'un licenciement, d'une faute lourde ou de la rupture d'un engagement contractuel. Dès lors qu'il y a un préjudice, autre qu'une simple perte de revenu, les dommages et intérêts qui le compensent sont considérés comme non imposables.

Autrement dit, le contexte dans lequel une indemnité est versée par un employeur à l'un de ses employés n'est pas un critère valable pour la détermination du caractère imposable ou non de cette indemnité. Le seul critère valable est celui de la nature du préjudice indemnisé, les dommages et intérêts compensant une perte de revenu étant dès lors imposables, les dommages et intérêts compensant tout préjudice autre qu'une perte de revenu étant non imposables, peu important à cet égard qu'ils compensent un préjudice financier ou moral.

S'il est évident que ces principes trouvent, le plus souvent, à s'appliquer dans le cadre des licenciements, qui constituent la cause la plus fréquente d'indemnisation pour préjudice dans le cadre professionnel, il est certain, aussi, que sa portée est beaucoup plus générale et ne se limite pas au cas du seul licenciement.

C'est ce qu'illustre un arrêt du Conseil d'Etat du 11 octobre 1991, qui en a fait application pour l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existences subis par un salarié, "alors même que celui-ci est demeuré salarié de l'entreprise" (CE Contentieux, 11 octobre 1991, n° 48270, Ministre du budget c/ Tisseyre N° Lexbase : A9114AQM).

Il ressort, précisément, de la jurisprudence de la Haute cour que "la perte de droits à retraite" ou "à pension particulière", tels que des régimes surcomplémentaires de retraite constitués au profit d'un salarié, ne peut s'analyser comme une perte de revenu, mais bien comme des dommages et intérêts destinés à compenser un préjudice autre que la perte d'un revenu, et, à ce titre, ne sont pas imposables à l'impôt sur le revenu (CE Contentieux, 18 novembre 1985, n° 49631, Genthon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3061AMC) ; CE Contentieux, 6 novembre 1991, n° 106386, Garçon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9129AQ8 ; CE Contentieux, 20 novembre 1995, n° 127679, M. Grand c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6493ANS ; voir aussi en ce sens : Jérôme Turot, Indemnités de licenciement : quand le Conseil d'Etat se fait juge de paix, RJF 4/91, p. 325).

Ces arrêts n'impliquent absolument pas que les personnes concernées tiennent le préjudice subi pour un préjudice exclusivement moral, dans la mesure où la jurisprudence tient la perte de droits, pensions et avantages à retraite pour un préjudice autre qu'une perte de revenu, quel que soit le caractère moral ou financier de ce préjudice, caractère qui n'influe pas, d'ailleurs, sur le caractère imposable ou non de l'indemnité.

Les indemnités versées au salarié ont, donc, le caractère de dommages et intérêts réparant une perte de chance dans la mesure où l'employeur a entendu compenser, en versant l'indemnité, la perte de toute possibilité d'acquérir des avantages de retraite. Une telle perte de chance ne saurait, en aucune manière, s'analyser comme une perte de revenu, mais comme la perte d'une simple possibilité, déjà en elle-même très aléatoire, de bénéficier d'un avantage de retraite surcomplémentaire.

Le caractère purement aléatoire du droit à prestation ne permet pas à l'administration de soutenir ou de prétendre que ce type d'indemnité compense une perte de revenus. En effet, cette dernière qualification ne pourrait être éventuellement retenue qu'à la condition que le droit au versement d'un revenu soit parfaitement assuré et définitif, et non pas aléatoire.

Le principe de non-imposition des dommages et intérêts alloués à raison de la perte de droits complémentaires à la retraite a été reconnu très tôt par la Haute cour dans un arrêt du 18 novembre 1985 (CE Contentieux, 18 novembre 1985, n° 49631, Genthon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité), rendu aux conclusions de M. le commissaire du Gouvernement Fouquet.

En effet, elle a reconnu expressément la nature de dommages et intérêts à la partie de l'indemnité qui compense la perte de droits à la retraite d'un cadre salarié en des termes très explicites : "considérant qu'il résulte de l'instruction que l'indemnité [...] a eu [...] pour objet de réparer le préjudice causé à l'intéressé [enfin] par les troubles de son existence résultant notamment de la perte et de la possibilité d'augmenter ses droits à la retraite [...]".

La Haute cour a confirmé sa jurisprudence, ultérieurement, dans un arrêt du 1er avril 1987 (CE Contentieux, 1er avril 1987, n° 48732, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ M. Couraud N° Lexbase : A2776API) en statuant sur des versements revêtant pour partie le caractère de dommages et intérêts "compensant [...] les avantages de toutes natures attachés à l'exercice des fonctions, dont la possibilité d'acquérir des avantages de retraites".

Il convient d'observer que la notion de troubles de l'existence se trouve définie par "l'atteinte à l'exercice d'un droit sur une chose (trouble de la possession)" portant au cas particulier sur un droit "à créance de retraite" touchant aux conditions d'existence de la personne à sa retraite.

Il est intéressant de noter, selon M. le Professeur René Chapus (René Chapus, Droit administratif général tome 1, édit. Montchrestien 1998 § 1410 B), qu'il faut entendre par trouble de l'existence "l'expression propre à la jurisprudence administrative et de signification étendue" désignant "les sentiments liés au désagrément les plus divers susceptibles de résulter du fait dommageable et tels, par exemple, que l'obligation de changer ses habitudes ou son mode de vie, de renoncer à certains projets, d'interrompre ou de suspendre ses études, de s'abstenir de certaines activités sportives ou de délassement, ces troubles étant appréciés abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable".

Ce trouble doit, donc, être apprécié à la date du fait générateur constitué par la décision de l'employeur de mettre un terme au régime de retraite surcomplémentaire octroyé à ses salariés qui ne génère pas qu'"un seul manque à gagner potentiel", mais un véritable trouble, tel le désagrément de devoir renoncer à un projet de retraite surcomplémentaire et, donc, la perte de chance à un avenir autre à la retraite que celui projeté par le salarié, qui ne peut s'apprécier qu'abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable.

Il s'ensuit que la suppression de ce droit constitue bien un trouble dans l'existence de la personne au jour du fait dommageable, qui doit être apprécié abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable en question.

Il est intéressant de rapprocher de toutes ces affaires, les décisions prises par le juge judiciaire (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4508DDC, lire Gilles Auzero, Stocks-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137 du 6 octobre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3011AB7) ; CA Versailles, 6ème ch. soc., 28 juin 2002, n° 01-3823, Huot c/ SA Business objects) à propos de salariés privés de leur droit de lever des options de souscription ou d'achat d'actions en raison de leur licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour lesquels lesdites juridictions ont considéré que les salariés avaient subi un réel préjudice, dont ils pouvaient demander réparation à leur ancien employeur.

Dans cette dernière affaire, le juge judiciaire a, en effet, estimé, dans des circonstances similaires, que le salarié avait perdu la chance de pouvoir réaliser une plus-value entre la valeur préférentielle d'achat et le prix éventuel de vente.

A la lumière de ce panorama de décisions, il pourra être observé que les actions engagées dans ce type situation avec opiniâtreté par les contribuables ne sont, donc, pas vaines.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La mention du dépôt de garantie dans la déclaration de créance du bailleur, condition de la compensation ?

Réf. : Cass. com., 18 janvier 2005, n° 02-12.324, M. Christian Wiart, mandataire judiciaire c/ Société Lille Grand' Place, F-P+B (N° Lexbase : A0722DGT)

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N4880ABD

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

Le 07 Octobre 2010


Le sort du dépôt de garantie, versé par le locataire au bailleur commercial, est l'occasion d'un contentieux récurrent, lorsque survient le redressement ou la liquidation judiciaire du preneur à bail. La question centrale est de savoir si le bailleur peut prétendre conserver le dépôt de garantie, en le compensant avec la créance de loyers et de charges. Ce problème s'est posé, une fois de plus, dans l'arrêt commenté, mais sous un jour nouveau.

En l'espèce, la SCI Lille Grand'Place avait donné à bail un immeuble à la Société 3C International. De manière classique, le locataire avait versé un dépôt de garantie et un fonds de roulement. Le bail a été amiablement résilié et les modalités de paiement de l'arriéré ont été fixées : le locataire pouvait s'en acquitter sur quinze mois. Le locataire a été déclaré en liquidation judiciaire. Le bailleur a, alors, déclaré sa créance au passif. Le liquidateur a, ensuite, assigné le bailleur en restitution du dépôt de garantie et du fonds de roulement. Fort logiquement, le bailleur lui a opposé la compensation entre, d'une part, la dette de restitution du dépôt de garantie et du fonds de roulement, et, d'autre part, la créance de loyers et des charges arriérées. Très ingénieusement, le mandataire liquidateur a, alors, eu l'idée de plaider que le dépôt de garantie étant un gage, mention devait en être faite dans la déclaration de créance, comme pour toute sûreté réelle. La cour d'appel ne l'ayant pas suivi dans son argumentation, il se pourvoit en cassation.

La question était, ici, de savoir si le bailleur, pour prétendre à la compensation, devait avoir mentionné l'existence du dépôt de garantie dans sa déclaration de créance. La Cour de cassation répond négativement, en énonçant que "la créance de loyer du bailleur et la créance de restitution du débiteur [au titre du dépôt de garantie et du fonds de roulement] qui sont connexes se sont compensées à concurrence de la plus faible, peu important que la SCI n'ait pas mentionné dans sa déclaration de créance l'existence du dépôt de garantie et du fonds de roulement".

Rappelons, d'abord, qu'il n'y a pas de difficulté à admettre la compensation, pour dettes connexes, entre une dette de loyers ou de charges et la dette, en sens inverse, de restitution du dépôt de garantie (V. P.-M. Le Corre, Dépôt de garantie et compensation dans les procédures collectives, AJDI 2003/10, p. 657). L'exigibilité de la créance détenue par le preneur sur le bailleur, au titre du dépôt de garantie, dépendra des conditions prévues au bail (Cass. com., 7 juillet 2004, n° 01-01.452, F-D N° Lexbase : A0132DDA). En pratique, il sera nécessaire que le contrat soit arrivé à terme ou soit résilié (Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-14.124, Mme Marie-Dominique Du Buit c/ Société civile immobilière Palaibaux N° Lexbase : A1237ATY, D. 2001, AJ p. 1391, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2001/8, n° 100 ; RTD com. 2001, p. 765, obs. A. Martin-Serf ; JCP éd. E 2002, jur. 224, p. 226, note M. Keita). La difficulté ne se présentait pas, en l'espèce, sur ce terrain. En effet, le bail avait fait l'objet d'une convention de résiliation amiable.

La compensation pour dettes connexes suppose une déclaration de créance au passif, contrairement à la compensation légale, qui joue de plein droit. L'absence de déclaration de créance entraînera, en effet, son extinction, et la compensation se révélera impossible (pour des illustrations : Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-14.961, Société Resma c/ Société Sotranasa N° Lexbase : A1939ATY, Act. proc. coll. 2001/10, n° 120 ; Cass. com., 9 octobre 2001, n° 98-14.514, Société en nom collectif (SNC) SAEP Constructions c/ Société BICS N° Lexbase : A2065AWE, RJDA 2002/2, n° 174, p. 145 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 00-10.630, Société Etablissements Fontvieille c/ Société Factofrance Heller, F-D N° Lexbase : A6012A4G). En outre, la déclaration de créance doit être effectuée pour la totalité de ce qui lui est dû, c'est-à-dire abstraction faite du jeu de la compensation (Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-16.256, Société Geleurop Stefover c/ M. Massart, ès qualités de mandataire liquidateur de la liquidation N° Lexbase : A1232ATS, D. 2001, AJ p. 1468 ; Act. proc. coll. 2001/8, n° 99).

Le dépôt de garantie s'analyse en un gage de sommes d'argent. Par application de l'article L. 621-44, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6896AIA) (anct L. 25 janv. 1985, art. 51, al. 1), le bailleur devait en faire mention dans sa déclaration de créance, puisque, comme tout créancier, il doit préciser la "nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie". La sanction de l'absence d'indication de la sûreté à l'occasion de la déclaration de créance est bien connue : le créancier perd sa sûreté et il est relégué au rang des créanciers chirographaires (V. par exemple, Cass. com., 10 juillet 2001, n° 98-18.091, Société Canada Inc c/ Société Golf club international N° Lexbase : A1695AUC, Rev. proc. coll. 2002, p. 94, n° 6, obs. F.-F. Legrand). Il est exigé, en outre, que l'indication de la sûreté soit intervenue dans le délai de la déclaration de créance, une déclaration complémentaire ultérieure en dehors du délai n'autorisant pas le créancier à bénéficier de la sûreté (Cass. com., 1er février 2000, n° 97-17.772, Banque nationale de Paris (BNP) c/ M. Gérard Philippot N° Lexbase : A0545A7C, RJDA 2000/5, n° 562 ; Cass. com., 20 juin 2000, n° 97-16.732, Société Erpi Santé c/ Mme Martine Schwartz et autres N° Lexbase : A8263AHI).

Dès lors que l'analyse de ce dépôt de garantie en un gage n'est pas discutée, il semble bien que la précision devrait être apportée dans la déclaration de créance. Néanmoins, la technique de la compensation pour dettes connexes a pour effet d'infléchir la solution. En effet, le bailleur créancier ne demande pas à être payé en qualité de gagiste. Il se contente d'opposer la compensation, ce qu'il peut faire, dès lors que les conditions de la compensation pour dettes connexes sont réunies. Or, tel était le cas dans la présente affaire. La solution de la Cour de cassation doit, en conséquence, être pleinement approuvée.

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Social général

[Jurisprudence] Contrats de travail conclus avec une association intermédiaire : action en requalification et défense des intérêts collectifs de la profession

Réf. : Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-40.913 et 02-41.075 (jonction), M. Jacques Pawloff c/ Union locale CFDT d'Aubenas et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8587DG7)

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Le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu le 23 février 2005 par la Chambre sociale de la Cour de cassation est riche d'enseignements, à au moins deux égards. Celui-ci donne, en premier lieu, l'occasion à cette dernière de préciser les relations juridiques qui se nouent entre une association intermédiaire et les salariés qu'elle embauche. Selon la Cour de cassation, la violation des articles L. 124-1 (N° Lexbase : L8979G7P), L. 124-3 (N° Lexbase : L9647GQD) et L. 124-4 (N° Lexbase : L5620AC7) du Code du travail n'est pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat de travail à durée indéterminée. Ensuite, et en second lieu, la Chambre sociale vient préciser que l'action d'un syndicat en dommages-intérêts, du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire en contrat à durée indéterminée, est recevable. Si la solution retenue par la Cour de cassation est, de ce dernier point de vue, parfaitement justifiée, elle laisse pour le moins perplexe s'agissant de la qualification de la relation juridique qui se noue entre un salarié et une association intermédiaire.
Décision

Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-40.913 et 02-41.075 (jonction), M. Jacques Pawloff c/ Union locale CFDT d'Aubenas et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8587DG7)

Cassation partielle sans renvoi (CA Nîmes, Chambre sociale, 13 décembre 2001)

Textes concernés : C. trav., art. L. 322-4-16-3 (N° Lexbase : L6153ACU) ; C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS)

Mots-clefs : association intermédiaire ; contrats de mission ; irrégularités ; requalification en contrat à durée indéterminée (non) ; syndicats ; action en justice ; intérêt collectif de la profession.

Lien bases :

Faits

1. M. Pawloff a été engagé à compter du mois de janvier 1995 par l'association Intermaide 07 pour effectuer des missions chez divers utilisateurs. Le salarié a, par la suite, saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats conclus par l'association en un contrat de travail à durée indéterminée. L'Union locale CFDT d'Aubenas est intervenue volontairement à l'instance.

2. Le salarié reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en requalification, alors que "la violation des textes du Code du travail invoquée, en l'occurrence, l'existence d'irrégularités affectant les contrats de mission comme l'absence de signature, de mention du salaire horaire et de la durée du contrat, permettait au salarié de revendiquer la requalification du contrat de travail".

2. L'Union locale CFDT d'Aubenas reprochait, quant à elle, à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son intervention irrecevable en considérant que les intérêts collectifs de la profession n'étaient pas menacés et qu'il n'y avait pas lieu, en conséquence, de faire application de l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS).

Problème juridique

1. Les irrégularités affectant le contrat de mission conclu entre une association intermédiaire et un salarié doivent-elles entraîner la requalification de ces contrats en un contrat de travail à durée indéterminée ?

2. L'action en justice d'un syndicat est-elle recevable du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire en contrat de travail à durée indéterminée ?

Solution

1. Cassation partielle sans renvoi.

2. "La cour d'appel, qui a retenu que l'association Intermaide 07 était une association intermédiaire soumise aux dispositions de l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail, a exactement décidé que la violation des articles L. 124-1, L. 124-3 et L. 124-4 du Code du travail n'était pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat de travail à durée indéterminée".

3. "L'action du syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec l'association en un contrat de travail à durée indéterminée est recevable".

Commentaire

1. Interrogations quant aux relations juridiques entre une association intermédiaire et ses salariés

  • Une relation triangulaire

Les associations intermédiaires sont des associations ayant pour objet l'embauche de demandeurs d'emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières afin de faciliter leur insertion professionnelle, en les mettant à titre onéreux à disposition de personnes physiques ou morales (C. trav., art. L. 322-4-16-3 N° Lexbase : L6153ACU). Quoique l'on ne saurait ici opérer une quelconque assimilation, il apparaît que l'association intermédiaire agit, en quelque sorte, comme une entreprise de travail temporaire : elle embauche des salariés afin de les mettre à disposition d'utilisateurs. On est ainsi en présence, ici comme là, d'une relation triangulaire.

Les relations entre l'association intermédiaire et l'utilisateur s'établissent sur la base d'un contrat de mise à disposition dont un décret du 18 février 1999 a fixé, en son article 5, le contenu minimum (décret n° 99-109 du 18 février 1999, relatif aux associations intermédiaires N° Lexbase : L8369AIS). On doit relever que le texte en question ne prévoit aucune sanction s'agissant de l'absence de ces mentions ou même de l'absence pure et simple d'un tel contrat.

  • Les relations contractuelles entre les salariés et les associations intermédiaires

S'agissant des relations entre les salariés et les associations intermédiaires c'est, il faut l'avouer, un certain flou qui prévaut. Selon l'article L. 322-4-16-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6146ACM), les contrats conclus entre les entreprises d'insertion et les salariés concernés sont des contrats à durée déterminée soumis aux dispositions de l'article L. 122-2 du même code (N° Lexbase : L5454ACY).

On apprend cependant, à la lecture de l'article D. 121-2 (N° Lexbase : L8259ADA), que des contrats à durée déterminée d'usage peuvent être conclus pour "les activités mentionnées à l'article L. 128 du Code du travail". Cet article, aujourd'hui abrogé, avait précisément trait aux associations intermédiaires. La référence à l'article L. 128 (N° Lexbase : L4311DCN) doit donc s'entendre désormais, certainement, de la référence à l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6153ACU).

Il faut donc comprendre que les salariés peuvent conclure avec l'association intermédiaire un contrat à durée déterminée d'usage en application de l'article D. 121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8259ADA) (Circ. DGEFP, n° 99-17, du 26 mars 1999, Réforme de l'insertion par l'activité économique N° Lexbase : L0840G8M) (1).

  • Le régime juridique du contrat conclu entre le salarié et l'association intermédiaire

Toutefois, ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, "la cour d'appel, qui a retenu que l'association Intermaide 07 était une association intermédiaire soumise aux dispositions de l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail, a exactement décidé que la violation des articles L. 124-1, L. 124-3 et L. 124-4 du Code du travail n'était pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat à durée indéterminée".

Cette solution laisse pour le moins dubitatif. En effet, on aurait pu s'attendre à ce que la Chambre sociale déclare purement et simplement que les dispositions relatives au travail temporaire sont inapplicables aux associations intermédiaires. Or, à lire le motif retenu, il semble que, pour la Cour de cassation, celles-ci, ou du moins certaines d'entre elles, doivent être appliquées mais, que leur violation ne peut entraîner la requalification des "contrats de travail temporaires" (sic) en contrat de travail à durée indéterminée. On pensait pourtant, ainsi qu'il l'a été vu, que ces contrats étaient plutôt des contrats à durée déterminée d'usage.

En outre, et en tant que tels, ces contrats devraient suivre le régime juridique qui leur est attribué par le Code du travail à savoir, notamment, l'exigence d'un écrit et de mentions obligatoires sous peine d'une requalification en contrat à durée indéterminée. Or, la solution retenue par la Cour de cassation, en l'espèce, peut en faire douter si l'on considère que celle-ci entend conférer au contrat conclu entre l'association intermédiaire et le salarié un régime dérogatoire.

Le problème est que celui-ci n'est nullement organisé par les textes. Doit-on, dès lors, au vu de l'arrêt commenté, admettre que ces contrats sont soumis au régime juridique du travail temporaire et qualifiés de contrats de mission ? La question reste malheureusement entière et conduit à conclure que l'arrêt commenté pose plus de questions qu'il n'en résout.

2. Action en requalification et défense de l'intérêt collectif de la profession

  • La défense de l'intérêt collectif de la profession

Titulaires de la personnalité juridique, les syndicats ont le droit d'ester en justice, ainsi que le reconnaît expressément l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS). Cette disposition fondamentale précise, en outre, que ceux-ci "peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent".

Le législateur a, ainsi, conféré aux syndicats une prérogative essentielle : assurer la défense de l'intérêt collectif de la profession (2). Le champ d'application de la règle énoncée est large puisque le préjudice peut être direct ou indirect, matériel ou moral. 

Un syndicat est recevable à intervenir dans une instance soulevant une question de principe dont la solution est susceptible d'être étendue à toutes les entreprises y adhérant et de porter un préjudice au moins indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente (Cass. soc., 2 juin 1983, n° 81-4010381-40489, Fédération Française des Organismes de Prévention et Sécurité, Syndicat National des Entreprises de Prévention et Sécurité c/ Consorts Legendre, publié N° Lexbase : A6429C8M).

De même, il a été décidé qu'un syndicat professionnel est en droit d'engager une action qui tend à faire constater le caractère illicite et préjudiciable aux intérêts des salariés des contrats de travail à durée déterminée conclus au sein d'une entreprise, et de faire ainsi trancher par la juridiction saisie une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble d'une profession dont, en vertu de ses statuts, il assure la défense (CA Versailles, 22 mars 1991, Dr. soc. 1991, p. 706, concl. J. Duplat).

  • Intérêt collectif et requalification du contrat de travail

En l'espèce, les juges d'appel avaient déclaré irrecevable l'intervention de l'Union locale de la CFDT, considérant que les intérêts collectifs de la profession n'étaient pas menacés et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire application de l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS).

La décision des juges du fond est cassée, de ce point de vue, par la Chambre sociale au visa de ce texte. Pour la Cour de cassation, en effet, l'action du syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec l'association intermédiaire était, au contraire, recevable. La cour d'appel pouvait seulement la dire non-fondée.

Cette solution doit être entièrement approuvée. Il s'agissait, pour le syndicat, de faire trancher une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de la profession. Au-delà du cas particulier du salarié concerné, le problème était, en effet, de savoir si les irrégularités affectant les contrats conclus avec une association intermédiaire pouvaient entraîner leur requalification en contrat en durée indéterminée. On mesure ainsi toute l'importance de la question. La réponse étant négative, l'action du syndicat, par hypothèse recevable, aurait ainsi été déclarée non fondée.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il est important de souligner qu'en matière de travail temporaire, l'article D. 124-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8286ADA) fixe une liste identique, à l'exception précisément des associations intermédiaires et de services aux particuliers.

(2) Il convient de ne pas confondre cette action en justice dans l'intérêt collectif de la profession avec la possibilité pour le syndicat d'exercer des actions individuelles propres aux salariés avec ou sans mandat des intéressés, lorsque la loi l'autorise pour ce dernier cas. Il en va notamment ainsi en matière de contrats à durée déterminée et de travail temporaire (C. trav., art. L. 125-3-1 N° Lexbase : L5643ACY).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le régime fiscal des sociétés mères : attention aux démembrements des titres de participation

Réf. : CAA Douai, 2ème ch., 7 décembre 2004, n° 00DA01085, Société anonyme Sana c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A9602DED)

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N4889ABP

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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste

Le 07 Octobre 2010

La cour administrative d'appel de Douai, par un arrêt en date du 7 décembre 2004, vient d'apporter une précision intéressante sur les conditions d'application du régime des sociétés mères en cas de démembrement des titres de participation. Les magistrats ont, en effet, refusé le bénéfice de ce régime spécial à une société qui ne détenait que l'usufruit des titres de sa filiale. Ils ont considéré que la société mère, ne disposant que du droit de vote aux assemblées générales ordinaires, n'était pas en mesure d'exercer sur la société filiale le contrôle prévu par l'article 145 du CGI qui conditionne l'application de ce régime de faveur. Le régime des sociétés mères est un régime de faveur qui, d'une part, exonère la société mère de l'impôt sur les sociétés pour les dividendes reçus de sa filiale et, d'autre part, permet à la société mère, lors de la redistribution de ces dividendes de transmettre à ses propres associés l'avoir fiscal attaché à ces dividendes sans avoir à acquitter de précompte mobilier (le prélèvement exceptionnel de 25 % pour 2005).

Pour bénéficier de ce régime de faveur, un certain nombre de conditions est posé par l'article 145 du CGI et par l'article 54 de l'annexe II du même code . Si les conditions relatives aux sociétés du groupe ne sont pas très restrictives, celles concernant la nature et l'importance des participations sont beaucoup plus contraignantes.

Ainsi, sont concernées par ce régime, toutes les sociétés mères, personnes morales ou organismes, quelle que soit leur nationalité, qui sont soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés au taux normal sur tout ou partie de leur activité. La forme des filiales n'a pas, en principe, d'incidence sur l'application du régime. Sur ce dernier point, l'administration a, toutefois, apporté une restriction à ce champ d'application très large du régime en indiquant que les sociétés de personnes, imposables en vertu de l'article 8 du CGI , ne constituent pas des filiales au sens de ce régime spécial.

Seules les participations satisfaisant aux conditions posées par l'article 145 du CGI entrent dans le champ d'application du régime spécial des sociétés mères et filiales.

Ainsi, pour ouvrir droit à ce régime, les titres de participations détenus par la mère doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement agréé par l'administration. Ils doivent représenter un pourcentage minimal du capital de la filiale. Ce pourcentage a varié dans le temps. Ainsi, pour la détermination des résultats des exercices clos avant le 31 décembre 2000, le régime fiscal des sociétés mères était réservé aux participations qui représentaient au moins 10 % du capital de la société émettrice, ou dont le prix de revient était au moins égal à 150 millions de francs (22 800 000 euros). Pour la détermination des résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2000, ce pourcentage est fixé à 5 % du capital de la filiale. Attention, cet élargissement du champ d'application du régime de faveur est moins important qu'il n'y paraît au premier abord car, désormais, une société détenant une participation qui représente moins de 5 % du capital de la société émettrice ne peut plus opter pour le régime des sociétés mères, même si son prix de revient est supérieur ou égal à 22, 8 millions d'euros.

Par ailleurs, pour pouvoir bénéficier du régime spécial, les titres doivent avoir été souscrits à l'émission ou, à défaut, avoir fait l'objet d'un engagement de conservation pendant 2 ans par la société mère.

Enfin, le régime des sociétés mères n'est pas applicable aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de votes. Dès lors, seuls les titres qui comportent à la fois un droit de vote et un droit à dividende sont susceptibles de bénéficier de ce régime (instruction du 27 avril 1993, BOI n° 4 H-12-93).

L'administration avait, déjà, eu l'occasion d'indiquer qu'elle considérait, en conséquence, que les produits des actions à dividendes prioritaires sans droit de vote et les produits des certificats d'investissement étaient exclus de ce régime de faveur.

La cour administrative d'appel de Douai va plus loin en refusant le bénéfice du régime spécial aux produits de titres détenus par la société mère en usufruit. Elle rappelle que le législateur a entendu réserver le bénéfice de ce régime fiscal aux titres ne représentant pas seulement une participation financière de la société détentrice, mais lui conférant, également, un contrôle sur la vie sociale et la politique de sa filiale. Conformément aux dispositions de l'article L. 225-110 du Code de commerce (N° Lexbase : L5981AID), une société ne détenant que l'usufruit des titres ne dispose du droit de vote qu'au sein des assemblées générales ordinaires de sa filiale. Elle ne peut pas, dès lors, participer aux assemblées générales extraordinaires dans lesquelles sont délibérées les modifications statutaires pouvant toucher, notamment, l'objet ou les règles de fonctionnement de la société, le montant de son capital social, le droit de vote appartenant, alors, au nu-propriétaire.

La cour a, donc, considéré que compte-tenu des restrictions au droit de vote de la société mère découlant du démembrement des titres, celle-ci n'est, en pratique, pas en mesure d'exercer sur sa filiale le contrôle nécessaire prévu par l'article 145 du CGI pour l'application du régime de faveur.

Voici une conséquence inattendue du démembrement de titres à laquelle devront faire très attention les sociétés, qui entendent opter pour le régime des sociétés mères. Cette décision importante sur le champ d'application de ce régime devra toutefois être confirmée par le Conseil d'Etat. A suivre.

Il convient, par ailleurs, de noter que la cour administrative d'appel de Douai, à l'occasion de cet arrêt, précise que le plafonnement du crédit d'impôt à concurrence de l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise au titre du même exercice prévu par l'article 209 bis 1 du CGI ne peut être regardé comme portant atteinte, par lui-même, au respect des biens des redevables de l'impôt sur les sociétés et ne contrevient ni dans son objet, ni dans ses effets aux principes posés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels.

Elle considère, en conséquence, que le contribuable ne saurait invoquer les discriminations prohibées par l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) pour obtenir la restitution intégrale de son avoir fiscal.

En statuant ainsi, les magistrats reprennent à leur compte la position du Conseil d'Etat (voir, par exemple, CE Contentieux, avis, 12 avril 2002, n° 239693, Société anonyme Financiers Labeyrie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6303AY4) qui fait une lecture très restrictive de la possibilité donnée au contribuable d'invoquer les principes posés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pour établir une discrimination en matière fiscale. Il est, ainsi, rappelé que c'est au contribuable d'apporter la preuve de la violation des principes qu'il allège et que cette preuve est toujours extrêmement difficile à rapporter !

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Sécurité sociale

[Manifestations à venir] Le droit de la Sécurité sociale : 5 points clés

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N4907ABD

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Le 07 Octobre 2010

L'EFB organise un cycle de 5 séances de formation sur ce thème, les 15 mars, 6 avril, 11 avril, 11 mai et 13 juin 2005. 1. Assujetissement
  • Intervenant

Monsieur Bertrand Faure
Président de Chambre à la cour d'appel de Paris

  • Date

Mardi 15 mars 2005, de 17h30 à 20h30.

2. Le recouvrement forcé

  • Intervenant

Madame Catherine Lenfant
Inspecteur du Contentieux

  • Date

Mercredi 6 avril 2005, de 17h30 à 20h30.

3. Accidents, maladies professionnelles, faute inexcusable

  • Intervenant

Monsieur Bertrand Faure
Président de Chambre à la cour d'appel de Paris

  • Date

Lundi 11 avril 2005, de 17h30 à 20h30.

4. Le Fond d'indemnisation de la mutualisation des risques

  • Intervenant

Mademoiselle Anne-Sophie Dispans
Avocat à la cour de Paris

  • Date

Mercredi 11 mai 2005, de 17h30 à 20h30.

5. Le droit de la retraite

  • Intervenant

Monsieur Alexis Triclin
Maître de conférence de l'Université de Versailles

  • Date

Lundi 13 juin 2005, de 17h30 à 20h30.

6. Précisions sur le cycle de formation

  • Lieu

Salle du Bareau - Maison du Barreau
2/4 rue du Harlay
75 001 Paris

  • Renseignements pratiques et inscriptions

EFB- Direction de la formation continue
63 rue Charenton
75 012 Paris
Tel : 01-43-43-78-37/38
Fax : 01-43-43-48-10
E-mail : ifc@efb-paris.avocat.fr

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