La lettre juridique n°628 du 8 octobre 2015

La lettre juridique - Édition n°628

Éditorial

Mémoire vs oubli : un pas de plus vers la "fin" de l'absolu régime de prescription extinctive

Lecture: 3 min

N9280BUA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449280
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 08 Octobre 2015


"Parce que tout temps mort excessif laisse présumer le désintérêt de la victime ou du ministère public et leur renoncement, dans un système marqué par le principe d'opportunité des poursuites, la prescription apparaît nettement comme la réponse procédurale apportée à l'inaction ou l'oubli, volontaire ou involontaire". Telle est la justification de la prescription en matière pénale, posée par Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation.

Cette inaction, cet oubli, on pensait qu'ils relevaient finalement de la responsabilité des Etats, qui assumaient l'absence de poursuite dans le cadre d'intérêts souverainement appréciés. Si la prescription extinctive relève de l'ordre public et constitue un droit fondamental de la défense, lorsque le défaut d'action profite à l'auteur (présumé) d'un délit ou d'un crime, il semblait naïvement que c'est la société civile de cet Etat qui pouvait seule demander des comptes au gouvernement judiciaire pour l'action ainsi laissée choir.

La Cour de justice de l'Union européenne vient apporter un cinglant démenti à tout cela, lorsqu'il y va... du système commun de taxation sur le chiffre d'affaires. Le régime de la prescription extinctive doit plier devant l'intérêt pécuniaire des Etats, lorsque cette prescription emporte un préjudice pour l'ensemble du système de taxation sur la valeur ajoutée européenne ! Ce faisant, la Cour de justice, par un arrêt du 8 septembre 2015, a jugé qu'en empêchant, en matière de fraude grave à la TVA, l'infliction effective et dissuasive de sanctions, en raison d'un délai global de prescription trop bref, car elle prive la prise en compte de décisions judiciaires définitives, la règlementation italienne est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Dans un tel cas, le juge italien doit, au besoin, laisser inappliqué le régime de prescription en cause.

Voici donc l'appréciation d'un droit fondamental de la défense, d'un droit naturel des peuples, à écouter Deslauriers dans L'éducation sentimentale, remis en cause par les prescriptions européennes et le régime de taxation en particulier.

Dunod, Rogérius, Balbus, Merlin, Vazeille, Savigny et Troplong, tous éminents jurisconsultes spécialistes de la question à travers les siècles, n'ont qu'à bien se tenir. La prescription n'est plus un droit intouchable -nous l'avions compris depuis la réforme de 2008 en matière civile- mais elle peut même être écartée, quand on pensait qu'elle devait être relevée d'office.

La Cour de justice ne fait d'ailleurs pas cavalier seul sur le terrain de cette prescription extinctive ; mais on peut dire qu'elle charge ici à la hussarde !

Les critiques en matière d'extinction de l'action publique, notamment, sont nombreuses. Si la paix et la tranquillité publique commanderaient, après un certain délai, d'oublier l'infraction et non d'en raviver le souvenir, cette "grande loi de l'oubli" contredirait le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés ou de les rappeler à la mémoire, analyse le dernier rapport sénatorial en date (2007). De même, si la prescription a aussi été considérée comme la contrepartie de l'inquiétude dans laquelle vit l'auteur des faits aussi longtemps qu'il échappe à la poursuite et à la punition, il y aurait, à l'évidence, quelque naïveté à placer l'état d'incertitude psychologique au même plan qu'une peine effective. Et, si la prescription était la sanction de la négligence de la société à exercer l'action publique ou à exécuter la peine -comme c'est le cas présent dans l'affaire soumise à examen devant la Cour- cette justification pourrait s'apprécier différemment selon que la négligence est antérieure ou postérieure à l'engagement des poursuites. En effet, la perte du droit de punir apparaît plus contestable lorsque les poursuites n'ont pas été engagées. Finalement, le dépérissement des preuves est présenté aujourd'hui comme l'une des justifications les plus solides de la prescription : mais à l'ère numérique, cet écueil semble de plus en plus improbable.

C'est donc une fronde qui s'organise, non pas pour abolir les régimes de prescription, mais pour les aménager, voire les relativiser. C'est l'enjeu d'une proposition de loi de mai dernier visant à allonger la prescription en matière de crime. C'est la marque d'une société soucieuse de faire prévaloir la mémoire sur l'oubli -ce qui n'est pas sans aller en contradiction avec le droit à l'oubli numérique revendiqué de plus en plus par les citoyens et les pouvoirs publics-.

C'est assurément un pas vers cette relativisation de la prescription, ici en matière fiscale et pénale, que la Cour de justice fait, en encourageant le juge nationale à écarter le bénéfice d'une prescription contraire aux intérêts... de l'Union.

"Nul est censé ignorer la loi. Pour les autres, il y a la prescription, le sursis et l'amnistie"... Pour l'un d'eux, c'est déjà moins vrai.

newsid:449280

Actes administratifs

[Jurisprudence] Informer ou protéger, il faut choisir : quand le droit d'accès aux documents administratifs se heurte à la protection de la vie privée des administrés

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 21 septembre 2015, n° 369808, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8492NP9)

Lecture: 8 min

N9297BUU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449297
Copier

par Jean-Baptiste Chevalier, Avocat au barreau de Paris

Le 08 Octobre 2015

Par un arrêt rendu le 21 septembre 2015, le Conseil d'Etat a précisé les conditions dans lesquelles le droit d'accès aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées à une personne, institué par l'article 3 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3), doit être concilié avec les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 de cette même loi. "Dans une démocratie comme la nôtre, le secret ne se postule pas. Il faut qu'il soit justifié. On ne peut demander aux citoyens de participer davantage, à titre individuel ou collectif, aux affaires publiques et leur refuser l'accès à certains documents. Si, comme nous le pensons, être citoyen, c'est bien plus que de mettre périodiquement un bulletin dans l'urne, alors il faut admettre que tout ce qui concerne le fonctionnement de l'administration 'regarde' les Français" (1). C'est par ces mots que Raymond Barre, alors Premier ministre, lançait en février 1977 les travaux de la commission qui allait réfléchir sur les conditions dans lesquelles pourrait être instituée et organisée une liberté d'accès aux documents administratifs. Déjà transparaissait-il que cette liberté d'accès ne pourrait être absolue. Bien qu'érigée en principe, elle fut donc assortie de restrictions et d'exceptions, lesquelles résultent principalement de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978. Depuis près de vingt ans, les juridictions administratives se sont donc ingéniées à combiner cette liberté d'accès aux documents administratifs avec ces restrictions et exceptions, dont l'interprétation ne fut pas toujours aisée.

Ajoutant une nouvelle pierre à l'édifice du droit d'accès aux documents administratifs, le Conseil d'Etat devait statuer, par la décision rapportée, sur l'articulation entre l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978, qui prévoit un droit d'accès particulier aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées à une personne, et l'article 6 de la loi, qui institue des restrictions et des exceptions à la communicabilité de certains documents administratifs.

Le contexte de cette affaire était épineux. Un agent public, qui exerçait à l'époque des faits les fonctions de chef du bureau de l'état civil et des étrangers d'une préfecture, avait demandé à la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) (2) l'ensemble des pièces du dossier ayant abouti à l'une de ses recommandations (3). Celle-ci avait été rendue à la suite de la saisine d'un député et portait sur les conditions d'exécution d'une mesure d'éloignement de deux familles étrangères en situation irrégulière. Au travers de cette recommandation, la CNDS avait relevé un série de manquements et directement mis en cause deux gendarmes officiers de police judiciaire qui avaient participé aux opérations. Par une première décision, le secrétaire général de la CNDS s'était totalement opposé à la communication de ces pièces. A la suite de l'intervention de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), il avait finalement daigné communiquer les documents pour lesquels la CADA avait émis un avis favorable. C'est cette seconde décision que l'ancien chef du bureau des étrangers contestait, sollicitant en particulier la communication des procès-verbaux d'audition et les documents de travail de la CNDS.

Au soutien de sa demande, l'agent invoquait notamment les dispositions de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978, permettant à toute personne de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. Mais sa demande se heurtait par ailleurs aux dispositions de l'article 6 de la même loi, qui prévoit notamment que "ne sont communicables qu'à l'intéressé" les documents administratifs "faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice".

Statuant en premier et dernier ressort, le tribunal administratif de Paris n'avait que très partiellement fait droit aux demandes de l'agent, par un jugement du 1er février 2013, en n'annulant la décision du secrétaire général de la commission qu'en tant qu'elle avait refusé de communiquer l'un des documents de travail de la CNDS. Le reste de ses demandes avait été rejeté.

Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a confirmé le jugement, en prenant le soin de préciser les conditions dans lesquelles le droit d'accès aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées à une personne qui résulte de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 (I), devaient être conciliées avec les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 (II).

I - La délimitation du droit d'accès aux documents dont les conclusions sont opposées

Le premier apport de cette décision concerne la notion même de "document administratif dont les conclusions sont opposées". Cette notion ressort de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 qui prévoit que "toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées". C'est de ce droit que se prévalait l'ancien chef du bureau des étrangers de la préfecture, en estimant qu'en dépit de ce que les documents en cause pouvaient contenir des informations dont la communication était restreinte, il disposait d'un droit particulier à obtenir leur communication.

Le Conseil d'Etat relativise cependant la portée de ce droit en rappelant d'abord "qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1978 que les dispositions de son article 3 ont pour objet de permettre à toute personne de connaître des informations contenues dans tout document administratif, lorsqu'une décision ayant pour fondement lesdites informations lui est opposée". Or, en l'occurrence, il relève, en confirmant l'analyse des premiers juges, qu'aucune décision visant l'intéressé "n'avait été prise ni n'était envisagée sur la base des éléments figurant dans les pièces de la procédure suivie devant la CNDS dont il sollicitait la communication".

La recommandation de la CNDS ne visait en effet l'agent qu'indirectement. Son rôle dans l'une des deux opérations d'expulsion avait été mentionné, mais il n'avait pas été mis directement en cause. La commission avait, en revanche, recommandé l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre de deux gendarmes officiers de police judiciaire, et transmis son avis pour information à un procureur général (par ailleurs territorialement incompétent) afin qu'il apprécie l'opportunité du maintien de leur habilitation. Nul doute qu'ils auraient été en droit, quant à eux, de se prévaloir du droit d'accès de l'article 3. Le seul fait pour le chef de bureau de l'état civil et des étrangers d'avoir pris part aux opérations litigieuses était cependant insuffisant pour considérer que les conclusions des documents sollicités lui étaient "opposées", dès lors qu'aucune décision n'avait été prise à son encontre sur le fondement des informations contenues dans ces documents.

Sur ce point, le Conseil d'Etat consacre l'interprétation stricte que la CADA retient elle-même lorsqu'elle est saisie de demandes de communication de documents administratifs. Au travers de plusieurs avis, la CADA avait déjà pu préciser que les documents dont les conclusions sont opposées correspondaient aux rapports et pièces sur lesquelles l'administration s'était fondée "directement et de manière déterminante" pour prendre une décision à l'encontre de la personne visée (4). Le seul fait pour une personne d'être mentionnée dans un document n'est, en revanche, pas suffisant pour lui donner le droit d'en obtenir la communication (5).

Le Conseil d'Etat a par ailleurs relativisé la portée de ce droit d'accès aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées, en le soumettant aux restrictions et exceptions résultant de l'article 6.

II - La préservation du secret des documents divulguant le comportement d'une personne

Le deuxième et principal apport de cette décision concerne indéniablement l'articulation des articles 3 et 6 de la loi du 17 juillet 1978, qui pouvaient sembler entrer en conflit. Que décider si un administré, se fondant sur l'article 3, réclamait la communication d'un document dont les conclusions lui étaient opposées, mais qui, en raison des informations qu'il contenait, lui était par ailleurs incommunicable au regard de l'article 6 ? C'est la question que le Conseil d'Etat devait trancher.

C'est au travers d'un obiter dictum (6) que le Conseil d'Etat a entendu préciser que "les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 de la loi peuvent être opposées à une demande formulée sur le fondement de l'article 3". Autrement dit, quand bien même une personne se verrait opposer les conclusions d'un rapport administratif, elle ne peut en obtenir communication en se prévalant de l'article 3 si ce document relève d'une exception ou d'une restriction prévue à l'article 6. La protection du secret d'Etat et de la vie privée des personnes prévaudra sur le droit d'accès aux documents administratifs. On relèvera que la CADA avait d'elle-même déjà fait prévaloir les intérêts de personnes mentionnées dans un document administratif sur le droit d'accès prévu à l'article 3, en s'opposant à la communication de la liste des signataires d'une pétition figurant au dossier d'un arrêté rejetant une demande d'ouverture le dimanche présentée par une société (7).

En l'occurrence, le requérant avait sollicité la communication de témoignages et de procès-verbaux d'audition dont la CADA et le juge administratif considéraient qu'ils faisaient apparaître le comportement d'une personne dont la divulgation était susceptible de lui porter préjudice, au sens du II de l'article 6. Cette restriction trouve ici une justification assez claire. Il apparaissait en effet que la divulgation des informations contenues dans les témoignages et procès-verbaux sollicités aurait pu porter préjudice aux témoins et aux personnes à l'origine de la saisine de la CNDS, si leur identité avait été révélée aux services préfectoraux. Le Conseil d'Etat confirme donc que ces documents étaient bien de ceux dont la communication est réservée aux seules personnes intéressées.

Le requérant aurait cependant pu solliciter lui-même le bénéfice de l'article 6 en faisant valoir qu'il faisait justement partie de ces personnes intéressées. Mais, et c'est là le dernier apport de cette décision, le Conseil d'Etat a confirmé qu'il ne pouvait, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme une personne "intéressée" au sens du II de l'article 6. Il précise sur ce point que des personnes n'ont la qualité d'intéressées au sens de ces dispositions que lorsque la communication de ces documents à des tiers serait de nature à leur porter préjudice. Le Conseil d'Etat confirme là encore l'interprétation restrictive de cette notion de personne intéressée retenue par la CADA. Ne peut être regardée comme telle qu'une personne concernée directement et personnellement par les informations contenues dans le document administratif, à raison du contenu de ce document ou de son utilisation (8).

Au-delà de ces multiples aspects, cette décision illustre une nouvelle fois la relativité du droit d'accès aux documents administratifs qui n'est ni général, ni absolu. Dans son étude sur "le mythe de la transparence administrative", le professeur Jacques Chevallier faisait ce constat, lucide, que "l'image d'une administration dialoguant avec les administrés sur un pied d'égalité, travaillant sous le regard du public et en phase avec la société est une image idéalisée, idyllique, une image d'Epinal... L'idée d'une transparence administrative complète n'est qu'un rêve, un mirage, dont la matérialisation est irrémédiablement vouée à l'échec" (9).


(1) Cité par J. Thyraud, avis n° 378, présenté sur le projet de loi portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public, Sénat, annexé au procès-verbal de la séance du 25 mai 1978.
(2) Remplacée depuis lors par la mission "déontologie de la sécurité" du Défenseur des droits.
(3) Recommandation n° 2009-121 du 14 décembre 2009, rendue sur la saisine de M. A. Vezinhet, député de l'Hérault.
(4) Voir par exemple : CADA, avis n° 2006-4070 du 28 septembre 2006 (N° Lexbase : X5578APB), concernant le rapport d'expertise de l'assureur d'une communauté d'agglomération sur lequel celle-ci s'était fondée pour rejeter la demande d'indemnisation d'une société ; voir également : CADA, avis n° 2007-4683 du 6 décembre 2007 (N° Lexbase : X5579APC), à propos du courrier d'un particulier sur la base duquel l'administration avait pris une décision de retrait d'autorisation de travaux.
(5) Voir par exemple : CADA, avis n° 2008-1758 du 6 mai 2008, s'agissant du rapport de l'enquête publique sur un schéma directeur d'assainissement mettant personnellement en cause un responsable associatif, qui n'avait cependant qu'un caractère informatif et qui n'avait servi de fondement à aucune décision prise à l'encontre de l'intéressé.
(6) Le requérant ne pouvant se prévaloir des dispositions de l'article 3, il n'était plus besoin, pour rejeter sa demande, de préciser que les restrictions et exceptions de l'article 6 prévalaient sur l'application de l'article 3.
(7) CADA, avis du 16 février 1996, Hay c/ Société Allones distribution, JCl adm., fasc. 109-10, n° 34.
(8) Voir par exemple : CADA, avis n° 2003-3083 du 24 juillet 2003, à propos de la communication d'un bulletin d'hospitalisation à la personne intéressée.
(9) J. Chevallier, Le mythe de la transparence administrative, in Information et transparence administratives, PUF, 1988, pp. 239-275, cité par R. Denoix de Saint-Marc, La transparence : vertus et limites, in Transparence et secret, colloque pour le 25ème anniversaire de la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs, La documentation française, août 2004.

newsid:449297

Affaires

[Brèves] Sociétés de libre partenariat : quelques précisions réglementaires

Réf. : Décret n° 2015-1204 du 29 septembre 2015, relatif à la société de libre partenariat (N° Lexbase : L1109KKB)

Lecture: 1 min

N9269BUT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449269
Copier

Le 08 Octobre 2015

Les sociétés de libre partenariat (SLP) ont été introduites par l'article 145 de la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC). Elles ont vocation à participer à l'amélioration du financement en capital des entreprises françaises et européennes, notamment des entreprises innovantes, et sont construites pour renforcer l'attractivité des véhicules français pour les investisseurs internationaux. Un décret, publié au Journal officiel du 1er octobre 2015 (décret n° 2015-1204 du 29 septembre 2015, relatif à la société de libre partenariat N° Lexbase : L1109KKB), définit, tout d'abord, les mentions devant obligatoirement figurer dans l'extrait des statuts de la société de libre partenariat déposé en annexe du registre du commerce et des sociétés. Ainsi, cet extrait, signé par les associés commandités, doit contenir :
- la désignation des associés commandités, différenciés selon qu'il s'agit de personnes physiques (leur nom, prénom, adresse, date et lieu de naissance) ou des personnes morales (dénomination sociale, adresse des sièges sociaux et objets) ;
- la dénomination sociale de la société de libre partenariat, son objet et l'adresse de son siège social ;
- la désignation des gérants ayant le pouvoir général d'engager la société envers les tiers ;
- la date de constitution et la durée de vie de la société ;
- les conditions et modalités de prise de décision collective, y compris celles permettant la modification des statuts ;
- les modalités de transfert de parts des associés commanditaires et commandités.
Ces informations doivent être mises à jour, notamment, en cas de cession de parts d'un associé commandité.
Le décret fixe, également, les délais dans lesquels les rapports annuels et semestriels de la société doivent être mis à disposition des associés. Il est ainsi prévu qu'ils sont mis à disposition au siège de la société et sont communiqués par tout moyen aux associés, respectivement dans un délai de six mois et deux mois à compter de la fin de la période à laquelle ils se réfèrent.

newsid:449269

Assurances

[Brèves] Responsabilité du courtier d'assurance qui, lorsqu'il transmet à l'assureur les informations fournies par l'assuré, ne s'assure pas de leur prise en considération par l'assureur

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-19.613, F-P+B (N° Lexbase : A5561NSR)

Lecture: 2 min

N9325BUW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449325
Copier

Le 15 Octobre 2015

Commet une faute le courtier d'assurance qui s'abstient de vérifier que les renseignements qu'il transmet à l'assureur -qu'il appartenait à l'assurée de déclarer spontanément en application de l'article L. 113-2, alinéa 1, 3° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI)- ont été suivis d'une modification effective du contrat d'assurance, garantissant son client contre les risques d'une réduction proportionnelle pour déclaration inexacte ou incomplète. Telle est la solution qui se dégage de l'arrêt rendu le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-19.613, F-P+B N° Lexbase : A5561NSR). En l'espèce, la société A. s'était vu opposer par l'assureur, auprès de laquelle elle avait souscrit, par l'entremise d'un courtier, une police multirisques industriels, la réduction proportionnelle prévue par l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN), pour avoir inexactement déclaré le régime juridique de l'immeuble et n'avoir pas signalé l'existence des clauses de renonciation à recours consenties aux locataires commerciaux de l'immeuble. Après que le pourcentage de cette réduction eut été, par voie transactionnelle, ramené à 10 % de l'indemnité d'assurance, l'assurée, reprochant au courtier de n'avoir pas, en dépit de consignes précises, transmis à l'assureur les renseignements nécessaires à l'actualisation des risques initialement déclarés, l'avait assigné en paiement d'une indemnité égale au montant de la réduction appliquée. Pour rejeter la demande en dommages-intérêts formée contre le courtier, la cour d'appel avait retenu que celui-ci avait rempli ses obligations de courtier en assurance, en remettant au mandataire de l'assureur, qui y avait immédiatement apposé la mention "bon pour accord pour action des services production", une lettre qui signalait le changement de qualité du souscripteur, devenu copropriétaire, et demandait "l'insertion d'une clause au contrat", lettre qui, complétant son envoi préalable, par télécopie, d'extraits des baux conclus avec les locataires commerciaux de l'immeuble, transmis "pour information et validation" aux services de production de l'assureur, démontrait que l'assureur était au courant de la situation. A tort, selon la Cour régulatrice, qui retient qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le courtier n'avait pas commis une faute en s'abstenant de vérifier que les renseignements transmis, qu'il appartenait à l'assurée de déclarer spontanément en application de l'article L. 113-2, alinéa 1, 3° du Code des assurances, avaient été suivis d'une modification effective du contrat d'assurance, garantissant sa cliente contre les risques d'une réduction proportionnelle pour déclaration inexacte ou incomplète, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

newsid:449325

Avocats

[Jurisprudence] Un avocat peut-il tout dire lorsqu'il plaide ?

Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH)

Lecture: 5 min

N9144BU9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449144
Copier

par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

Le 08 Octobre 2015

Un avocat a été poursuivi disciplinairement à l'initiative du procureur général pour avoir manqué à ses obligations de délicatesse et de modération lors de deux audiences. A l'appui de son pourvoi, cet avocat faisait valoir : que les articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 10 (N° Lexbase : L4743AQQ) de la CESDH impliquent qu'un avocat puisse critiquer le fonctionnement de la justice spécialement lorsqu'il estime que le magistrat n'a pas respecté le principe du contradictoire ; qu'on ne peut reprocher à un avocat un ton virulent ou le volume sonore inhabituel d'une plaidoirie ; que l'on ne peut reprocher des propos dès lors qu'ils ne sont ni injurieux, ni menaçants. Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B) répond : que l'avocat avait mis en cause la compétence professionnelle du juge, l'avait menacé de le faire démettre de ses fonctions, avait mis en cause l'impartialité d'un juge, exprimait une animosité envers un magistrat visant à le discréditer et le déconsidérer ; et que si l'avocat a le droit de critiquer le fonctionnement de la justice et le droit de critiquer le comportement d'un magistrat, il ne peut tenir de propos véhéments mettant en cause son éthique professionnelle. La Cour estime que les propos étaient exclus de la protection de l'article 10 de la CESDH et de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L9095A8D), relatif aux cas d'immunités de la défense.

La Cour européenne des droits de l'Homme n'a jamais reconnu une immunité absolue aux avocats pour leurs propos tenus au cours des audiences. Mais elle estime que les restrictions doivent rester exceptionnelles comme elle l'a rappelé dans une affaire "Nikula c/ Finlande" (CEDH, 21 mars 2002 Req 31611/96 N° Lexbase : A1016GNX).

Dans cette affaire, une avocate finlandaise avait accusé un procureur de "manipulation" et de "présentation illégale de preuves". Elle avait été condamnée pour diffamation.

Saisie d'une requête, la Cour européenne a rappelé que les propos d'un accusé, adressés à un procureur, doivent bénéficier d'une protection accrue. Elle a rappelé que la défense ne devait pas être influencée par la crainte d'une sanction. Elle souligne que les atteintes à la liberté d'expression d'un avocat dans une société démocratique ne peuvent être tolérées que de manière exceptionnelle et qu'une ingérence dans la liberté d'expression d'un avocat peut porter atteinte à l'article 6 de la Convention eu égard au droit de l'accusé à bénéficier d'un procès équitable. Selon la Cour, le principe de "l'égalité des armes" et, plus généralement, le principe d'un procès équitable militent en faveur d'une argumentation librement et même vigoureusement débattue entre les parties, sans pour autant que cela conduise à une liberté d'expression illimitée de l'avocat.

Dans une autre affaire, concernant cette fois des juges du siège, un avocat avait été condamné à cinq jours de prison pour outrage. L'avocat avait accusé les juges d'échanger entre eux des "ravassakia" (lettres d'amour) au cours du contre interrogatoire qu'il menait pour assurer la défense de son client accusé de meurtre. Il avait provoqué l'indignation des magistrats du siège. La Cour européenne estima que les magistrats qui avaient prononcé la sanction n'avaient pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d'expression du requérant. Elle estima qu'il y avait eu une violation de l'article 10 de la CESDH (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01 N° Lexbase : A9564DLS).

L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 10 septembre 2015, est donc bien conforme aux principes posés par la CEDH.

Mais l'avocat poursuivi évoquait un second moyen de défense, tiré de l'immunité accordée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte dispose que les propos tenus devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage sauf, toutefois, si les faits diffamatoires sont étrangers à la cause.

Les tribunaux apprécient cette condition de manière plutôt large. Dans une affaire de faux en écriture, un avocat avait fait allusion au fait que la ministre de la Justice ne serait, quant à elle, jamais poursuivie alors qu'elle avait utilisé un faux MBA. Il a été jugé que cette accusation n'était pas totalement étrangère à la cause et que l'avocat devait bénéficier de l'immunité de parole (TC de la Réunion, 3 octobre 2008).

Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation répond que, si l'immunité de l'article 41 protège l'avocat contre des poursuites pénales, elle ne le protège pas contre des poursuites disciplinaires.

Ce principe n'est pas nouveau. Dans un arrêt du 14 octobre 2010 (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495, F-D N° Lexbase : A8644GBR), la Cour de cassation avait rappelé que l'immunité de l'article 41 n'était pas applicable aux poursuites disciplinaires. Dans cette affaire, un avocat avait critiqué la manière dont son client avait été interrogé en Syrie sur commission rogatoire internationale.

Dans son mémoire, il avait mis personnellement en cause les magistrats en leur reprochant d'avoir délibérément favorisé l'usage de la torture et de s'être ainsi rendus activement complices des mauvais traitements infligés par les enquêteurs syriens. La Cour avait infligé un blâme à l'avocat qui avait tenu ces propos. La Cour de cassation a validé cette décision en relevant que ces graves accusations étaient aussi inutiles que gratuites.

La décision du 10 septembre 2015 ne fait que reprendre ce principe et elle est parfaitement conforme à la lettre de la loi de 1881.

Il parait légitime de sanctionner les avocats qui manquent gravement à leurs devoirs en tenant des propos déplacés, incorrects, et de surcroît sans rapport avec la procédure.

Les articles 440 (N° Lexbase : L1124INX) et 441 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1123INW) permettent d'ailleurs au président d'audience de retirer la parole aux parties si la passion ou l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la décence convenable et ils leur permettent de faire cesser les plaidoiries.

Les avocats ne sont pas au dessus de la loi et méritent, comme tous les citoyens, des sanctions s'ils ne respectent pas les magistrats et la justice.

Ils le méritent d'autant plus qu'ils se sont, par serment, engagés à respecter les principes de dignité, de délicatesse, de modération et de courtoisie (RIN, art. 1 N° Lexbase : L2100IR9).

Mais une fois que l'on a réaffirmé ces principes, on n'a rien dit...car la question est de savoir à partir de quand un avocat mérite d'être sanctionné ? Il n'y a pas de code des infractions disciplinaires et il est impossible d'énumérer tout ce qui est contraire à des principes aussi vagues. Tout est donc confié à l'arbitrage du juge.

Or, qui décide si un avocat a manqué à ses devoirs ? Qui décide, au final, d'interdire ou de radier un avocat ? Ce sont des magistrats, exclusivement des magistrats puisqu'ils sont juges d'appel et ont, par conséquent, le dernier mot.

Cette situation est préoccupante car on voit bien que les appréciations sont différentes selon les juges : tel avocat ne sera pas poursuivi pour avoir fait allusion à un usage de faux du ministre de la Justice, tel autre sera poursuivi pour avoir laissé entendre qu'un lien de parenté avec le Parquet avait pu avoir une influence sur les poursuites !

Si l'on veut garantir l'indépendance des avocats, qui est une garantie de démocratie, il est nécessaire de confier le pouvoir disciplinaire aux avocats ; pas seulement en première instance mais aussi en appel. Les Ordres doivent rester maîtres de leur tableau.

Certes les choses ont évolué favorablement depuis l'affaire "Choucq", puisqu'un avocat ne peut plus être sanctionné immédiatement pour un délit d'audience. Il doit être jugé en première instance, non plus par les juges qu'il a offensé, mais par le conseil régional de discipline (loi n° 82-506 du 15 juin 1982, relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l'audience par un avocat).

La question est sans doute moins importante en période de paix mais elle est beaucoup plus préoccupante en période de troubles. Les avocats, qui ont eu à intervenir pendant et après la Seconde guerre mondiale, sont bien placés pour en parler.

Elle l'est d'autant plus que les avocats ont perdu le contrôle de leur déontologie qui relève désormais du pouvoir exécutif (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA).

Si les avocats doivent être sanctionnés disciplinairement lorsqu'ils manquent de respect aux magistrats et à la justice, c'est à la condition que leur indépendance soit pleinement garantie.

newsid:449144

Avocats

[Jurisprudence] Un avocat peut-il tout dire lorsqu'il plaide ?

Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH)

Lecture: 5 min

N9144BU9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449144
Copier

par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

Le 08 Octobre 2015

Un avocat a été poursuivi disciplinairement à l'initiative du procureur général pour avoir manqué à ses obligations de délicatesse et de modération lors de deux audiences. A l'appui de son pourvoi, cet avocat faisait valoir : que les articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 10 (N° Lexbase : L4743AQQ) de la CESDH impliquent qu'un avocat puisse critiquer le fonctionnement de la justice spécialement lorsqu'il estime que le magistrat n'a pas respecté le principe du contradictoire ; qu'on ne peut reprocher à un avocat un ton virulent ou le volume sonore inhabituel d'une plaidoirie ; que l'on ne peut reprocher des propos dès lors qu'ils ne sont ni injurieux, ni menaçants. Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B) répond : que l'avocat avait mis en cause la compétence professionnelle du juge, l'avait menacé de le faire démettre de ses fonctions, avait mis en cause l'impartialité d'un juge, exprimait une animosité envers un magistrat visant à le discréditer et le déconsidérer ; et que si l'avocat a le droit de critiquer le fonctionnement de la justice et le droit de critiquer le comportement d'un magistrat, il ne peut tenir de propos véhéments mettant en cause son éthique professionnelle. La Cour estime que les propos étaient exclus de la protection de l'article 10 de la CESDH et de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L9095A8D), relatif aux cas d'immunités de la défense.

La Cour européenne des droits de l'Homme n'a jamais reconnu une immunité absolue aux avocats pour leurs propos tenus au cours des audiences. Mais elle estime que les restrictions doivent rester exceptionnelles comme elle l'a rappelé dans une affaire "Nikula c/ Finlande" (CEDH, 21 mars 2002 Req 31611/96 N° Lexbase : A1016GNX).

Dans cette affaire, une avocate finlandaise avait accusé un procureur de "manipulation" et de "présentation illégale de preuves". Elle avait été condamnée pour diffamation.

Saisie d'une requête, la Cour européenne a rappelé que les propos d'un accusé, adressés à un procureur, doivent bénéficier d'une protection accrue. Elle a rappelé que la défense ne devait pas être influencée par la crainte d'une sanction. Elle souligne que les atteintes à la liberté d'expression d'un avocat dans une société démocratique ne peuvent être tolérées que de manière exceptionnelle et qu'une ingérence dans la liberté d'expression d'un avocat peut porter atteinte à l'article 6 de la Convention eu égard au droit de l'accusé à bénéficier d'un procès équitable. Selon la Cour, le principe de "l'égalité des armes" et, plus généralement, le principe d'un procès équitable militent en faveur d'une argumentation librement et même vigoureusement débattue entre les parties, sans pour autant que cela conduise à une liberté d'expression illimitée de l'avocat.

Dans une autre affaire, concernant cette fois des juges du siège, un avocat avait été condamné à cinq jours de prison pour outrage. L'avocat avait accusé les juges d'échanger entre eux des "ravassakia" (lettres d'amour) au cours du contre interrogatoire qu'il menait pour assurer la défense de son client accusé de meurtre. Il avait provoqué l'indignation des magistrats du siège. La Cour européenne estima que les magistrats qui avaient prononcé la sanction n'avaient pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d'expression du requérant. Elle estima qu'il y avait eu une violation de l'article 10 de la CESDH (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01 N° Lexbase : A9564DLS).

L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 10 septembre 2015, est donc bien conforme aux principes posés par la CEDH.

Mais l'avocat poursuivi évoquait un second moyen de défense, tiré de l'immunité accordée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte dispose que les propos tenus devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage sauf, toutefois, si les faits diffamatoires sont étrangers à la cause.

Les tribunaux apprécient cette condition de manière plutôt large. Dans une affaire de faux en écriture, un avocat avait fait allusion au fait que la ministre de la Justice ne serait, quant à elle, jamais poursuivie alors qu'elle avait utilisé un faux MBA. Il a été jugé que cette accusation n'était pas totalement étrangère à la cause et que l'avocat devait bénéficier de l'immunité de parole (TC de la Réunion, 3 octobre 2008).

Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation répond que, si l'immunité de l'article 41 protège l'avocat contre des poursuites pénales, elle ne le protège pas contre des poursuites disciplinaires.

Ce principe n'est pas nouveau. Dans un arrêt du 14 octobre 2010 (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495, F-D N° Lexbase : A8644GBR), la Cour de cassation avait rappelé que l'immunité de l'article 41 n'était pas applicable aux poursuites disciplinaires. Dans cette affaire, un avocat avait critiqué la manière dont son client avait été interrogé en Syrie sur commission rogatoire internationale.

Dans son mémoire, il avait mis personnellement en cause les magistrats en leur reprochant d'avoir délibérément favorisé l'usage de la torture et de s'être ainsi rendus activement complices des mauvais traitements infligés par les enquêteurs syriens. La Cour avait infligé un blâme à l'avocat qui avait tenu ces propos. La Cour de cassation a validé cette décision en relevant que ces graves accusations étaient aussi inutiles que gratuites.

La décision du 10 septembre 2015 ne fait que reprendre ce principe et elle est parfaitement conforme à la lettre de la loi de 1881.

Il parait légitime de sanctionner les avocats qui manquent gravement à leurs devoirs en tenant des propos déplacés, incorrects, et de surcroît sans rapport avec la procédure.

Les articles 440 (N° Lexbase : L1124INX) et 441 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1123INW) permettent d'ailleurs au président d'audience de retirer la parole aux parties si la passion ou l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la décence convenable et ils leur permettent de faire cesser les plaidoiries.

Les avocats ne sont pas au dessus de la loi et méritent, comme tous les citoyens, des sanctions s'ils ne respectent pas les magistrats et la justice.

Ils le méritent d'autant plus qu'ils se sont, par serment, engagés à respecter les principes de dignité, de délicatesse, de modération et de courtoisie (RIN, art. 1 N° Lexbase : L2100IR9).

Mais une fois que l'on a réaffirmé ces principes, on n'a rien dit...car la question est de savoir à partir de quand un avocat mérite d'être sanctionné ? Il n'y a pas de code des infractions disciplinaires et il est impossible d'énumérer tout ce qui est contraire à des principes aussi vagues. Tout est donc confié à l'arbitrage du juge.

Or, qui décide si un avocat a manqué à ses devoirs ? Qui décide, au final, d'interdire ou de radier un avocat ? Ce sont des magistrats, exclusivement des magistrats puisqu'ils sont juges d'appel et ont, par conséquent, le dernier mot.

Cette situation est préoccupante car on voit bien que les appréciations sont différentes selon les juges : tel avocat ne sera pas poursuivi pour avoir fait allusion à un usage de faux du ministre de la Justice, tel autre sera poursuivi pour avoir laissé entendre qu'un lien de parenté avec le Parquet avait pu avoir une influence sur les poursuites !

Si l'on veut garantir l'indépendance des avocats, qui est une garantie de démocratie, il est nécessaire de confier le pouvoir disciplinaire aux avocats ; pas seulement en première instance mais aussi en appel. Les Ordres doivent rester maîtres de leur tableau.

Certes les choses ont évolué favorablement depuis l'affaire "Choucq", puisqu'un avocat ne peut plus être sanctionné immédiatement pour un délit d'audience. Il doit être jugé en première instance, non plus par les juges qu'il a offensé, mais par le conseil régional de discipline (loi n° 82-506 du 15 juin 1982, relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l'audience par un avocat).

La question est sans doute moins importante en période de paix mais elle est beaucoup plus préoccupante en période de troubles. Les avocats, qui ont eu à intervenir pendant et après la Seconde guerre mondiale, sont bien placés pour en parler.

Elle l'est d'autant plus que les avocats ont perdu le contrôle de leur déontologie qui relève désormais du pouvoir exécutif (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA).

Si les avocats doivent être sanctionnés disciplinairement lorsqu'ils manquent de respect aux magistrats et à la justice, c'est à la condition que leur indépendance soit pleinement garantie.

newsid:449144

Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Constitutionnalité de l'amende pour défaut de déclaration d'un compte bancaire à l'étranger

Réf. : Cons. const., 17 septembre 2015, n° 2015-481 QPC (N° Lexbase : A2348NPN)

Lecture: 8 min

N9312BUG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449312
Copier

par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international

Le 08 Octobre 2015

Le Conseil constitutionnel estime, dans sa décision du 17 septembre 2015, que les dispositions du IV de l'article 1736 du CGI (N° Lexbase : L9148I8C) ne méconnaissent pas les droits ou libertés que la Constitution garantit. En vertu du IV de l'article 1736 du CGI, le non-respect des dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A (N° Lexbase : L1746HMM) et de l'article 1649 A bis (N° Lexbase : L9502IYL) du CGI est passible d'une amende de 1 500 euros par compte ou avance non déclaré. S'agissant de l'infraction aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A, ce montant est porté à 10 000 euros par compte non déclaré lorsque l'obligation déclarative concerne un ETNC. Il faut, de prime abord, se tourner vers l'article 1649 A (en son 2ème alinéa) du CGI : celui-ci impose aux personnes physiques, associations et sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger. Quant à l'article 1649 A bis du CGI, il impose aux administrations, établissement, organismes ou personnes visés au 1er alinéa de l'article 1649 A (qui octroient ou qui gèrent des avances remboursables ne portant pas intérêt ou des prêts ne portant pas intérêt) de déclarer ces opérations à l'administration fiscale. N'étaient pas contestée devant le Conseil constitutionnel la régularité des dispositions législatives issues de l'article 1736 du CGI prévoyant une amende égale à 5 % du solde créditeur (sans pouvoir être inférieures à 1 500 ou 10 000 euros) en présence d'un compte avec un total des soldes créditeurs égal ou supérieur à 50 000 euros. Une fois le cadre textuel normatif posé, arrêtons-nous sur la querelle interprétative normative à l'origine du contentieux. En l'espèce, les contribuables ont reçu, de la part de l'administration fiscale, une demande de renseignements portant sur l'existence d'un compte bancaire ouvert à leur nom en Suisse ; ce compte bancaire n'était point mentionné dans leurs déclarations de revenus des années 2009 et 2010. Ces derniers ayant reconnu avoir ouvert un tel compte entre juillet 2005 et août 2010, l'administration fiscale a, une fois constatée le non-respect de l'article 1649 A du CGI, eu recours à la sanction visée au IV de l'article 1736 du CGI. Sur ce fondement, est advenue une amende de 10 000 euros pour l'année 2009 et une amende de 1 500 euros pour l'année 2010. Après le rejet, par l'administration fiscale, de leur réclamation visant à obtenir le dégrèvement de ces amendes, les requérant ont saisi le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 30 mars 2015, n° 1502761). Tout en sollicitant la décharge des amendes infligées, ils ont soulevé une QPC visant les dispositions du IV de l'article 1736 du CGI (dans sa rédaction issue de l'article 52 de la loi de finances rectificative pour 2008 N° Lexbase : L3784IC7). Le tribunal a transmis la QPC (ordonnance du 30 mars 2015) au Conseil d'Etat qui a saisi le Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s-r., 17 juin 2015, n° 389143, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2602NLX) ; pour le juge administratif, les principes d'individualisation et de proportionnalité des peines garantis par l'article 8 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L4798AQR) seraient méconnus par les dispositions législatives mentionnées en amont, ce qui ne manque pas de soulever une question présentant un caractère sérieux. Le Conseil constitutionnel rejette ces griefs tirés de la méconnaissance de notre bible révolutionnaire, griefs centrés sur les principes d'individualisation et de proportionnalité des peines. La décision du juge n'est guère argumentée et on ne peut (une nouvelle fois) que se lamenter devant ce manque de pédagogie juridictionnelle. Un point génère quelque étonnement : un principe n'est évoqué ni par les requérants, ni soulevé d'office par le juge, le principe d'égalité. Au regard de ces brèves formulations introductives, divers points méritent attention : proportionnalité (I), individualisation (II), autant d'éléments qui se mesurent à l'aune d'un objectif de valeur constitutionnelle, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales (III). Reste le principe d'égalité, si souvent invoqué de coutume et étrangement éludé (IV).

I - Proportionnalité

En vertu de l'article 8 de la DDHC, "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Sur le fondement de ce principe, le Conseil constitutionnel opère un contrôle de proportionnalité, entendu que pour apprécier la proportionnalité, il porte son regard et sur le taux et sur l'assiette. Plus exactement, le juge s'assure de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Politique de l'adjectif aurait écrit Bobbio : qualifiez et vous interpréterez. Le contrôle de proportionnalité conduit à censure seulement et seulement si le législateur a manifestement fait un usage disproportionné, abnorme de son pouvoir discrétionnaire. En d'autres termes, il faut que le législateur méconnaisse de manière abusive, anormale les droits des contribuables pour que le juge censure. On ne peut que regretter cette autolimitation du pouvoir du juge, une fois rappelé que le contrôle de proportionnalité est le vecteur permettant aux cours constitutionnelles de protéger les citoyens. Dans le cas présent, l'amende forfaitaire pour défaut de déclaration annuelle d'un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger est de 1 500 euros, montant porté à 10 000 euros si le compte est ouvert dans un ETNC. En édictant de telles sanctions, le législateur a poursuivi un objectif (a priori) louable, celui de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, le juge conclut que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées à la gravité des faits ayant vocation à être réprimer. Le Conseil a apprécié tant le montant des amendes forfaitaires que la nature de la sanction financière.

II - Individualisation

Le principe d'individualisation des peines découle de l'article 8 de la DDHC. Il implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration l'a expressément prononcée en tant compte des circonstances propres à chaque espèce. Le juge ajoute aussitôt que l'action de l'administration s'opère sous le haut contrôle du juge de la loi. Certes. Mais une telle assertion mérite nuance eu égard à la carence du contrôle de proportionnalité qui ne vise (comme on l'a vu) que de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. S'arrêtant sur le principe d'individualisation des peines, le Conseil estime que la loi ("elle-même") a assuré la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Pour le Conseil, les amendes forfaitaires "s'inscrivent dans une échelle de sanctions interne à l'article 1736 du CGI" (1). En effet, il existe deux montants forfaitaires distincts en fonction du lieu où le compte a été ouvert, selon que l'Etat ou le territoire concerné a (ou non) conclu une convention d'assistance administrative aux fins de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales via l'accès aux renseignements bancaires. Pour chaque sanction prononcée, le juge fiscal peut : soit maintenir l'amende, soit en dispenser le contribuable si celui-ci n'a pas fauté en ses obligations déclaratives. Certes, le plein contrôle du juge ordinaire porte seulement sur "une alternative de maintien de l'amende ou de dispense de celle-ci" (2). Mais point de censure selon le Conseil dans la mesure où le manquement sanctionné par la loi est une "simple formalité objective, de déclaration de l'existence d'un compte bancaire à l'étranger" (3). Dès lors que le juge fiscal, celui-là même qui opère un plein contrôle sur les faits et la qualification retenue par l'administration, "peut proportionner les pénalités selon la gravité des agissements commis par les contribuables", les dispositions législatives déférées ne portent pas atteinte au principe d'individualisation des peines.

III - OVC : lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

Décision faiblement argumentée, voire non argumentée a-t-on dit. Dans le considérant 5, le Conseil, après avoir souligné l'importance de son contrôle aux fins de garantir les droits et libertés constitutionnels, s'empresse d'ajouter qu'il ne saurait empiéter sur l'action du législateur. Ainsi, le Conseil "ne saurait interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales". Que dire devant un tel truisme ? Qu'il sert de fondement argumentatif principal à la décision ? C'est bien là que le bât blesse. La décision n'est pas articulée, elle est posée, tel un postulat évidant toute justification. On apprend ainsi que le législateur, par le truchement d'une sanction ayant le caractère d'une punition, a voulu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations bancaires et prévenir la dissimulation de revenus à l'étranger. Il n'est guère surprenant que le Conseil ait ensuite recours à une grande, belle et englobante notion pour motiver (sic) sa décision : un objectif de valeur constitutionnelle, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Que répondre au juge si ce n'est que frauder est mal et que le législateur a vocation à réprimer les contribuables violant le droit positif. Le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de l'immense marge d'appréciation qu'il laisse au législateur ; le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de la motivation générique justifiant cette immense marge d'appréciation.

IV - Egalité

Dans le I, il a été vu que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées. La phrase mérite ici d'être complétée car le juge écrit précisément : les "sanctions dont la nature est liée à l'infraction et [...] même par le cumul d'amendes qu'elles permettent, ne sont pas manifestement disproportionnées". Par ce "même par le cumul d'amendes qu'elles permettent", le juge évoque, de manière rapide, un cumul d'amendes potentiellement problématique. N'était-il pas loisible d'invoquer la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi répressive ? Car l'absence de déclaration d'un compte bancaire en terre étrangère est visée, de manière répressive, et par le CGI et par le Code monétaire et financier (CMF). Ce dernier prévoit, en son article L. 152-2 (N° Lexbase : L9846DYC), que "Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont soumises aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A du CGI". Et en vertu de l'article L. 152-5 du CMF (N° Lexbase : L3521AP4), le non-respect des dispositions de l'article L. 152-2 du CMF est puni d'une amende de 750 euros en cas de non déclaration d'un compte. Nous somme ainsi en présence d'un mimétisme délictuel (des délits définis de manière identique) et/mais d'une césure "sanctionnatrice" (des amendes différentes). La différence de traitement ainsi posée ne méritait-elle pas censure ? Dans une décision du 28 juin 2013 (Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-328 QPC N° Lexbase : A7733KHU), le Conseil a, en présence d'incriminations définies identiquement mais connaissant des sanctions différentes, censuré la différence de traitement alors instituée. Sur le fondement du principe d'égalité, les sanctions les plus sévères avaient été jugées contraires à la Constitution. Dans notre QPC, le juge ne pouvait-il pas (ne devait-il pas) censurer les dispositions du CGI (en son article 1736), dispositions plus sévères que celles du CMF ? Il est encore loisible de mentionner une décision du 18 mars 2015 (Cons. const., 18 mars 2015, décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC N° Lexbase : A7983NDZ), portant sur les questions de cumul des poursuites pour délits d'initiés et des poursuites pour manquement d'initié, au soutien d'une telle argumentation (4).

Du législateur et du juge pour conclure.

Quant au législateur, il faut avoir souvenance du contexte dans lequel le CGI a été modifié, une affaire concernant une grande banque internationale. L'article 52 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, a relevé le montant de l'amende, objet de la présente saisine. Or, le "texte miroir" du CMF n'a pas été (lui) modifié. La précipitation de Bercy et de ses relais législatifs a ainsi conduit à cette regrettable césure normative CGI/CMF. Quant au juge, il n'a pas souhaité censurer la disposition déférée. Si l'on doit respecter sa souveraine appréciation, l'absence d'argumentations substantielles dans la décision du Conseil mérite encore et toujours critique. Pendant combien de temps encore l'habituelle "formule magique", l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) ne lui conférant pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, va-t-elle servir de pauvre masque herméneutique ? Il ne s'agit pas de dire que le Conseil a tort ou s'est trompé. Pour affirmer cela, encore faudrait-il qu'il rende des décisions dignes d'une Cour suprême. Tout est question de motivation(s), enfin d'absence de motivation(s) dans le cas présent.


(1) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(3) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(4) Sanctions fiscales des comptes bancaires étrangers clandestins : le juge constitutionnel au milieu du gué ?, C. Prats, dalloz-actualité.fr.

newsid:449312

Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Compétence matérielle du juge-commissaire et admission des créances

Réf. : CA Douai, 24 septembre 2015 n° 13/07143 (N° Lexbase : A7350NPW)

Lecture: 6 min

N9375BUR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449375
Copier

par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

Le 08 Octobre 2015

Le juge-commissaire, juge naturel de l'établissement du passif dans le cadre d'une procédure collective, peut-il connaître de toutes les contestations relatives aux créances déclarées du débiteur sous procédure collective ? Sans l'ombre d'un doute, les juristes spécialisés dans ce domaine, répondront par la négative. Certes ! Toutefois, la compétence matérielle du juge-commissaire a été étendue par l'ordonnance n° 2014-324 du 12 mars 2014 (N° Lexbase : L7194IZH). L'arrêt de la cour d'appel de Douai rendu le 24 septembre 2015 en est l'une des premières applications (1).
En l'espèce, un tribunal de commerce a ouvert un redressement judiciaire par jugement du 3 juillet 2012 à l'encontre d'une SARL, procédure convertie, le 7 janvier 2014, en liquidation judiciaire. Le 7 septembre 2012, une banque a déclaré sa créance au passif de la procédure pour le solde débiteur du compte courant ainsi qu'une certaine somme due au titre d'un prêt accordé à la société débitrice le 10 juin 2011. Par courrier du 17 avril 2013, le mandataire a partiellement contesté la créance déclarée au titre du prêt. En réponse, par courrier du 30 avril 2013, le créancier acceptait la contestation tout en précisant qu'il convenait de prendre en compte les intérêts mentionnés dans la déclaration de créance. Le 29 juillet 2013, le mandataire a contesté à nouveau la créance de la banque, mais dans son intégralité invoquant la nullité du contrat de prêt et, subsidiairement, la responsabilité de la banque. Par ordonnance du 15 novembre 2013, le juge-commissaire a admis la créance de la banque pour le montant initialement proposé par le mandataire dans sa lettre de contestation du 17 avril 2013. La société débitrice, son administrateur judiciaire et le mandataire de justice ont interjeté appel, au motif que le créancier est exclu des débats pour ne pas avoir répondu à la lettre du mandataire du 29 juillet 2013. En outre, ils demandent à la cour de surseoir à statuer et inviter le débiteur et les organes de la procédure à saisir la juridiction de droit commun compétente pour trancher le litige au fond. Par un arrêt du 24 septembre 2015, la cour d'appel de Douai rejette les prétentions de la société débitrice et des mandataires à propos de l'exclusion du créancier, des débats sur la fixation du montant de sa créance (I). En outre, faisant application de l'article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9), dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, la cour d'appel précise que le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission de la créance. Par ailleurs, il appartient au juge d'examiner si la contestation élevée par le débiteur est susceptible d'impliquer le rejet de la créance déclarée ou, à tout le moins, un sursis statuer dans l'attente de la décision d'un juge du fond. Ainsi, le juge-commissaire doit vérifier les conséquences éventuelles de la contestation formulée par le débiteur ou les organes de la procédure (II). Considérant qu'en l'espèce, les motifs invoqués par les appelants ne permettent pas de rejeter la créance déclarée, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance d'admission entreprise.

I - Les modalités de la contestation de créance par le mandataire de justice

A la lecture des nombreuses décisions rendues tant par les juridictions du fond que par la Cour de cassation, force est de constater que le contentieux relatif à l'admission des créances est important. Toutefois, prenant acte de cette donnée, le législateur a opéré certaines modifications, tout spécialement à propos de la compétence matérielle du juge-commissaire. Cependant deux phases de la procédure d'établissement du passif d'un débiteur sous procédure collective se déroulent en amont de l'intervention du juge-commissaire : la déclaration de créance par les créanciers et la vérification du passif sous la direction du mandataire judiciaire. En l'espèce, le débat était centré sur la discussion de la créance par le mandataire, ou plus exactement sur la contestation de celle-ci.

Selon les articles L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) et R. 624-1 (N° Lexbase : L6267I3I) du Code de commerce, s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance, le mandataire en avise le créancier en l'invitant à faire connaître ses explications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans un délai de trente jours à compter de celle-ci. Elle doit préciser l'objet de la discussion et indiquer le montant de la créance dont l'inscription est proposée. Le défaut de réponse dans ce délai de trente jours interdit au créancier toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire.

En l'espèce, le mandataire avait contesté le montant du prêt déclaré par courrier du 17 avril 2013. Le mandataire proposait une admission pour une somme moindre. Le créancier avait répondu par courrier du 30 avril 2013. Ainsi, le mandataire n'avait pas critiqué le caractère privilégié ou chirographaire de la créance déclarée, mais seulement le montant indiqué dans la déclaration de créance effectuée par la banque. La contestation porte effectivement sur le montant de la créance existant au jour de l'ouverture de la procédure collective (2), objet de la discussion, conformément à l'article L. 622-27 précité, et non sur la régularité de la déclaration de créance (3). En outre, la lettre du mandataire doit mentionner la proposition d'admission de la créance contestée (4). Tel était bien le cas. Le "dossier" aurait dû être considéré comme clos ; le créancier, ayant répondu dans le délai de trente jours, ne pouvait être considéré comme s'étant lui-même exclu du débat sur le sort de sa créance.

Or, le mandataire a adressé une seconde lettre de contestation au créancier, le 29 juillet 2013, soit environ trois mois après la première, lettre dans laquelle il ne proposait pas un montant moindre de la créance de prêt, mais par laquelle il contestait la validité de l'acte de prêt et invoquait sa nullité, ainsi que la mise en cause de la responsabilité de la banque. Celle-ci n'a pas répondu. Devant le juge-commissaire, le mandataire de justice a maintenu la proposition de sa seconde contestation, alors que la première avait été acceptée par le créancier. Pour cette raison, créancier et mandataire ont été convoqués devant le juge-commissaire. Par ordonnance critiquée du 15 novembre 2013, le juge-commissaire a retenu le montant qui, lors de la première contestation, avait été acceptée par le créancier. Par la suite, le mandataire critique le juge-commissaire au motif que n'ayant pas répondu dans le délai de trente jours de la seconde contestation, le créancier est exclu des débats. La cour d'appel rejette cette argumentation, au motif que le créancier a répondu dans le délai de l'article L. 622-27 du Code de commerce.

Cette décision, sous réserve de la confirmation de la solution proposée, permet de considérer que l'exclusion des débats du créancier ne peut intervenir qu'en raison de son silence à la première contestation adressée par le mandataire. Le défaut de réponse aux contestations éventuelles postérieures serait alors sans effet, ou plus exactement, justifierait la convocation du créancier et du mandataire devant le juge-commissaire afin de trancher la contestation, qui en l'occurrence serait véritablement sérieuse, sous réserve des limites de la compétence matérielle du juge-commissaire.

II - La compétence matérielle du juge-commissaire en l'absence de contestation sérieuse

L'article L. 624-2 du Code de commerce précise les contours de la compétence matérielle du juge-commissaire. Ainsi, ce dernier décide de l'admission ou du rejet des créances déclarées ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. Afin de diminuer l'importance du contentieux en la matière, le législateur a précisé dans la nouvelle rédaction de l'article L. 624-2 précité, qu'en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à sa demande d'admission.

En effet, jusqu'alors, la jurisprudence avait des difficultés à résoudre de façon satisfaisante le défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, car il devait surseoir à statuer sur l'admission de la créance et inviter les parties à saisir le juge compétent. En outre, aucun délai n'était précisé pour saisir ce dernier. La Cour de cassation avait refusé au juge-commissaire de pouvoir statuer sur une demande reconventionnelle (5). Désormais, la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6270I3M) précise que le créancier ou le mandataire doit, sous peine de forclusion, saisir le juge compétent, dans un délai d'un mois pour faire trancher le conflit afin de fixer le sort de la créance litigieuse.

En l'espèce, et comme le précise à juste titre la cour d'appel, il n'appartient pas au juge de se prononcer sur la validité d'un contrat conclu avec le créancier, sur l'éventuelle faute commise par ce dernier et susceptible de donner droit à l'allocation de dommages-intérêts, ou sur la validité d'un nantissement consenti par un tiers à la procédure collective. Le mandataire de justice invoquait la nullité du contrat de prêt et subsidiairement la responsabilité délictuelle de la banque dans l'octroi du crédit au débiteur. Par conséquent, cette contestation n'étant pas de la compétence matérielle du juge-commissaire, le mandataire devant, alors, dans un délai d'un mois, saisir le juge compétent, ce qu'il n'a pas fait.

En outre, et dans l'hypothèse où le juge compétent avait été valablement saisi, il est de la compétence du juge-commissaire de rechercher si la contestation élevée par le débiteur et le mandataire est susceptible d'impliquer le rejet de la créance déclarée. Or, le litige portait sur un contrat de prêt. Les fonds avaient été remis au débiteur pour un montant de 750 000 euros. Par un raisonnement particulièrement logique, la cour d'appel considère que, si la nullité du prêt était prononcée, le débiteur devrait restituer les sommes versées, ce qui justifie la créance déclarée par la banque. Elle ne le serait pas au titre du remboursement du prêt mais des conséquences de la nullité qui pourrait être prononcée.

Au final, contestation sur contestation ne vaut pour le mandataire, comme argument pour exclure le créancier du débat judiciaire sur le montant de sa créance. En outre, les praticiens devront être particulièrement vigilants car la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce ne leur laisse qu'un délai d'un mois pour saisie le juge compétent dès lors que la contestation se situe en dehors de la compétence naturelle du juge-commissaire !


(1) Compétence du juge-commissaire pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission, en l'absence de contestation sérieuse, Lexbase Hebdo n° 438 du 1er octobre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9235BUI)
(2) Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.357, F-P+B (N° Lexbase : A5712ML7), Bull civ. IV n° 87, E. Le Corre-Broly, in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2014 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 385 du 12 juin 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2666BUB) ; D., 2014, p. 1148, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1447, n° 5 obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2014, comm. 185, obs. P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 5-6 octobre 2014, p. 38, obs. P.-M. Le Corre.
(3) En ce sens, J. Vallansan in J. Cl. Com. Fasc 2312, Déclaration et admission des créances, qui distingue entre la contestation de la régularité de la créance et la contestation sur le montant ou la qualité de la créance déclarée.
(4) Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-23.773, F-D (N° Lexbase : A8623IXN), Bull. Joly Entrp. Diff., 2013, p. 95, note E. Le Corre-Broly.
(5) Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-35.048 (N° Lexbase : A4383DMP), Bull. civ. IV n° 24 ; D., 2014, p. 368, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1174, n° 6, obs. Ph. Pétel ; E. Le Corre-Broly in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2014 (2nd. comm.), Lexbase Hebdo n° 370 du 20 février 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0818BUT)

newsid:449375

Entreprises en difficulté

[En librairie] Droit des entreprises en difficulté : parution d'un nouvel ouvrage du Professeur Dominique Vidal et de Giulio Cesare Giorgini

Lecture: 1 min

N9373BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449373
Copier

Le 08 Octobre 2015

En septembre 2015, un nouvel ouvrage consacré au droit des entreprises en difficulté, intitulé "Cours de droit des entreprises en difficulté" est paru chez l'éditeur Gualino.
Il traite notamment du traitement non judiciaire (prévention, mandat ad hoc, conciliation), des procédures judiciaires (sauvegarde, sauvegarde accélérée, redressement judiciaire), des procédures liquidatives (liquidation judiciaire, rétablissement professionnel), des sanctions, les questions de procédure, de la protection des intérêts des salariés, du droit international et du droit européen des difficultés des entreprises.
Cet ouvrage, à jour de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", a été rédigé par Dominique Vidal, Agrégé de droit privé, Avocat honoraire, arbitre commercial et Professeur émérite de l'Université Nice Sophia Antipolis, et Giulio Cesare Giorgini, Maître de conférences à l'Université Nice Sophia Antipolis.

(1) D. Vidal et G. C. Giorgini, Cours de droit des entreprises en difficulté, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 624 pages, 39,50 euros

newsid:449373

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Réduction d'impôt pour investissements ultramarins : confirmation de la condition d'habitation principale pour le locataire

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5698NST)

Lecture: 1 min

N9360BU9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449360
Copier

Le 15 Octobre 2015

L'avantage fiscal auquel bénéficient les contribuables qui investissent dans les départements d'outre-mer (CGI, art. 199 undecies A N° Lexbase : L5234IZU) est subordonné à la condition que le locataire fasse effectivement de l'immeuble qui lui est loué par le contribuable son habitation principale. Tel est le principe dégagé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 1er octobre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5698NST). Au cas présent, l'administration fiscale a remis en cause le droit du requérant au bénéfice de la réduction d'impôt, prévue à l'article 199 undecies A du CGI, à raison de l'acquisition et de la location d'un appartement situé sur le territoire de Saint-Martin. La Haute juridiction a alors suivi la décision de l'administration fiscale sur le fondement du principe énoncé. En effet, le locataire du logement dont l'intéressé était propriétaire n'avait pas fait de celui-ci son habitation principale. Cette décision vient donc clairement confirmer une longue série d'arrêts rendus dans le même sens par les cours administratives d'appel sur ce sujet (v. notamment : CAA Paris, 27 mars 2015, n° 14PA00278, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9137NQH ; CAA Bordeaux, 16 juillet 2013, n° 12BX01234, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1102KKZ ; CAA Versailles, 13 juin 2013, n° 11VE03400, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5987KKX) .

newsid:449360

Fonction publique

[Brèves] Eléments dont l'autorité municipale doit tenir compte dans la fixation du montant de la redevance d'occupation d'un logement de fonction concédé par utilité de service

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 372030, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5706NS7)

Lecture: 1 min

N9347BUQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449347
Copier

Le 09 Octobre 2015

Sous réserve du principe de parité énoncé à l'article 88 de la loi n° 84-16 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), il appartient à l'autorité municipale de fixer le montant de la redevance d'occupation d'un logement de fonction concédé par utilité de service à l'un de ses agents en tenant compte des caractéristiques du bien, des valeurs locatives constatées pour des logements comparables situés dans le même secteur géographique et des conditions particulières imposées à l'agent. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 1er octobre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 372030, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5706NS7). Le tribunal administratif a, par un jugement suffisamment motivé, estimé que le conseil municipal avait commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant un montant de redevance situé dans la fourchette des loyers pratiqués pour des logements de composition et de superficie analogues, alors que la prise en compte des nuisances liées aux caractéristiques propres de l'appartement, situé au-dessus des ateliers municipaux et à proximité immédiate d'un terrain occupé sans autorisation ni aménagements par des gens du voyage, aurait dû le conduire à minorer ce montant par rapport aux loyers de biens comparables exempts de telles nuisances. En statuant ainsi, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit et s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E2434EQ9).

newsid:449347

Habitat-Logement

[Brèves] Validité de la fermeture, dans un foyer d'hébergement, d'une salle pour la pratique du culte musulman

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-25.709, F-P+B (N° Lexbase : A5588NSR)

Lecture: 1 min

N9326BUX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449326
Copier

Le 09 Octobre 2015

Un foyer est en droit de supprimer la mise à disposition des résidents d'une salle pour la pratique du culte musulman, pour procéder à des travaux de modernisation et de sécurisation, sans qu'il soit porté atteinte à une liberté fondamentale. Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt rendu le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-25.709, F-P+B N° Lexbase : A5588NSR). En l'espèce, des résidents d'un foyer géré par la société A., avaient assigné celle-ci afin qu'il lui soit fait interdiction de supprimer la mise à leur disposition d'une salle pour la pratique du culte musulman. Ils faisaient grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris de rejeter leurs demandes et d'ordonner leur expulsion de la salle litigieuse (CA Paris, Pôle 4, 3ème ch., 10 juillet 2014, n° 13/19438 N° Lexbase : A2013MU4). En vain. Aucun argument ne sera entendu par la Cour suprême qui retient l'analyse de la cour d'appel en tout point. Sur le terrain contractuel, tout d'abord, la Cour suprême approuve les juges d'appel qui, ayant retenu que la libre disposition d'une salle pour la pratique du culte musulman relevait d'un prêt à usage qui n'avait aucun terme convenu ni prévisible, en avaient exactement déduit que la société propriétaire des lieux, pouvait y mettre fin en respectant un délai de préavis raisonnable, sans devoir justifier d'un besoin pressant et imprévu de la chose prêtée. S'agissant d'une prétendue atteinte à la liberté de culte, la Haute juridiction approuve, là encore, la cour d'appel qui, après avoir relevé que la société A. n'était pas en charge d'assurer aux résidents la possibilité matérielle d'exercer leur culte et constaté que ceux-ci peuvent pratiquer la religion musulmane sans utiliser la salle de prière, qui facilite seulement leur pratique religieuse, en avait justement déduit que la société n'avait pas porté atteinte à une liberté fondamentale en décidant la fermeture de cette salle pour procéder à des travaux de modernisation et de sécurisation.

newsid:449326

Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Expertise CHSCT annulée : quelques pistes pour en atténuer les effets

Réf. : Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ)

Lecture: 11 min

N9283BUD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449283
Copier

par Daniel Boulmier, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine - Institut régional du travail

Le 09 Octobre 2015

Le CHSCT peut décider d'une expertise (1) dans deux circonstances : d'une part, en cas de risque grave (2), l'expertise n'est alors enfermée dans aucun délai suivant la désignation de l'expert ; d'autre part, en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (3), l'expertise devant alors être réalisée dans le délai d'un mois ou, en cas de nécessité, dans le délai maximum de 45 jours (4). L'article L. 4614-13 du Code du travail (N° Lexbase : L0722IXZ) précise que les frais de l'expertise décidée par le CHSCT sont à la charge de l'employeur (5). Il précise également que l'employeur dispose du droit à contester devant le juge judiciaire la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise (6). Le président du tribunal d'instance compétent, saisi de la demande, statue en la forme des référés (7). L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 16 septembre 2015, porte sur le renvoi devant le Conseil constitutionnel d'une QPC relative à l'article L. 4614-13 du Code du travail précité, la question étant de savoir si, en cas d'annulation de la délibération décidant d'une expertise, l'employeur doit néanmoins en supporter le coût lorsque celle-ci a été réalisée (8). Cette QPC vient heurter une autre affaire portant sur cette même interrogation, dont devrait être saisie l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Aussi, la réponse du Conseil constitutionnel à la QPC aura également une influence sur cette décision à venir. Avant de présenter l'affaire concernant la QPC (II) il nous faut présenter celle pendante devant l'Assemblée plénière (I) ; il sera alors temps d'en venir à des propositions d'aménagement des recours sur l'expertise CHSCT pour atténuer les effets critiqués par la QPC (III).
Résumé

Est renvoyée au Conseil constitutionnel, la QPC mettant en cause la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail et l'interprétation jurisprudentielle constante y afférente en ce qu'elles seraient contraires aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu'elles imposent à l'employeur de prendre en charge les honoraires d'expertise du CHSCT, notamment au titre d'un risque grave, alors même que la décision de recours à l'expert a été judiciairement (et définitivement) annulée.

I - L'affaire pendante devant l'Assemblée plénière

Un CHSCT ordonne une expertise sur un projet important, modifiant les conditions de travail, présenté par l'employeur le 18 décembre 2008, en application de l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L5577KGN). L'expertise est alors enfermée dans le délai de l'article R. 4614-18, al. 1 précité (N° Lexbase : L2405IXD). Le TGI, saisi par l'employeur, ayant rejetté la contestation sur le bien fondé de cette expertise le 17 février 2009, l'employeur relève appel de cette décision. L'expert remet son rapport le 30 juin 2009, la veille du jour où la cour d'appel infirme la décision du TGI en annulant la délibération du CHSCT, le 1er juillet 2009. L'employeur, refusant de supporter les frais de l'expertise qui n'avait donc pas lieu d'être, un second contentieux est ouvert par l'expert en paiement de ses honoraires ; mais celui-ci est débouté, tant en première instance, qu'en appel.

Le pourvoi de l'expert est couronné de succès par un arrêt du 15 mai 2013 (9). Au visa de l'article L. 4614-13 du Code du travail, la Cour de cassation censure la solution adoptée par la cour d'appel en ces termes : "Qu'en statuant ainsi, alors d'une part, que tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la cour d'appel se soit prononcée sur le recours formé contre une décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert, et alors, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l'a désigné, faute de budget pouvant permettre cette prise en charge, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Par une décision du 23 janvier 2014, la cour d'appel de Bourges, cour de renvoi, a résisté à la Cour de cassation par cette motivation : "Attendu que dans ces circonstances il appartenait à la société appelante d'attendre l'issue de la procédure de contestation de la délibération du CHSCT de la société Michelin, site de Joué les Tours, en date du 20 novembre 2008 avant d'effectuer son expertise car elle n'était tenue à aucun délai, ce qui est corroboré par le fait qu'elle n'a pas réalisé son expertise ni dans le délai d'un mois, ni dans celui de 45 jours ; que son attention avait été attirée à plusieurs reprises par la société Michelin sur le fait qu'en cas d'annulation de cette délibération elle ne serait pas réglée de ses prestations ; que dès lors rien ne justifie la condamnation de la société Michelin sur le fondement de l'article L. 4614-13 du Code du travail à s'acquitter des frais de l'expertise réalisée par la SAS ISAST ; qu'en conséquence la décision déférée du 28 décembre 2010 sera confirmée" (10). S'opposant donc à l'analyse de la Cour de cassation, la cour d'appel de renvoi considère, tout comme la première cour d'appel, que l'employeur n'a pas à supporter la charge d'une expertise dont la délibération l'ayant décidée, a été annulée. L'on est alors dans l'attente de la décision de la Cour de cassation à nouveau saisie.

II - L'affaire, objet de la QPC commentée

Un CHSCT délibère sur la désignation d'un expert le 23 mars 2012 pour une mission, sur le fondement du 1° de l'article L. 4614-12 du Code du travail, relatif à l'existence d'un risque grave, expertise enfermée dans aucun délai. Le président du TGI, saisi par l'employeur, valide la délibération du CHSCT le 22 juin 2012, mais la cour d'appel de Versailles infirme cette décision et annule la délibération le 27 mars 2013. Faute de pourvoi, la décision est définitive.

L'expert procède à l'expertise en novembre 2012, alors que l'affaire est pendante devant la cour d'appel. Le rapport d'expertise intervient le 15 juin 2013 soit plus de 2 mois et demi après l'arrêt d'appel ayant annulé l'expertise. L'employeur refuse de supporter les frais d'expertise au motif que la cour d'appel de Versailles a annulé la délibération mandatant l'expert ; ce dernier assigne l'employeur devant le TGI en paiement de ses honoraires mais, débouté de ses demandes, il relève appel de la décision.

Devant le TGI l'employeur avait soulevé une QPC que le juge n'avait pas transmise ; cette QPC, réitérée en cause d'appel, a plus de succès puisque, par une décision du 18 juin 2015 (11), les juges décident de la transmettre à la Chambre sociale de la Cour de cassation. La QPC est ainsi formulée : Les dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail et l'interprétation jurisprudentielle constante y afférente sont-elles contraires aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu'elles imposent à l'employeur de prendre en charge les honoraires d'expertise du CHSCT notamment au titre d'un risque grave, alors même que la décision de recours à l'expert a été judiciairement (et définitivement) annulée ?".

La Cour de cassation décide à son tour de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel (12), par la motivation suivante : "la question posée présente un caractère sérieux en ce que l'absence de budget propre du CHSCT, qui a pour conséquence que les frais de l'expertise sont à la charge de l'employeur, y compris lorsque ce dernier obtient l'annulation de la délibération ayant décidé de recourir à l'expertise après que l'expert désigné a accompli sa mission, est susceptible de priver d'effet utile le recours de l'employeur".

De la QPC et de la motivation de son renvoi, ressort la difficulté à laquelle sont confrontés, tant l'employeur que l'expert qui a réalisé l'expertise, lorsque la délibération du CHSCT est annulée ; le premier ne veut pas supporter le coût d'une expertise injustifiée, sauf à priver d'effet la décision rendue en sa faveur, le second, qui n'était pas privé du droit d'expertise, souhaite être rémunéré de son travail.

La motivation de la Cour de cassation peut laisser comprendre que si le CHSCT avait un budget propre, l'expertise, réalisée avant l'annulation de la délibération du CHSCT, devrait être imputée sur ce budget ; la décision donnant gain de cause à l'employeur emporterait alors plein effet. Une telle perspective n'est certainement pas sans critique car si l'article L. 4614-13, précité place expressément l'employeur comme débiteur de l'expert, il ne dit nullement qu'en cas d'annulation de la délibération, le CHSCT en deviendrait automatiquement le débiteur. Il faut alors examiner les aménagements qui pourraient être mis en oeuvre pour l'expertise CHSCT, afin d'atténuer les effets d'une annulation après réalisation.

III - Les aménagements envisageables

Dès lors que la cour d'appel annule la délibération du CHSCT, le rapport de l'expert, qui a été remis entre temps, ne peut plus avoir d'effet utile, mais l'expert a néanmoins réalisé l'expertise. Il est alors avancé que le fait de contraindre l'employeur d'en supporter les coûts serait une atteinte au droit au recours. En fait, l'employeur n'a pas été privé de son droit au recours, mais il est privé des effets de la décision découlant de son recours. En l'état des textes applicables, on ne peut pénaliser l'expert qui a agi sur le fondement d'une délibération juridiquement opposable. On ne peut davantage priver le CHSCT du droit à solliciter une expertise lorsque la santé et la sécurité des salariés sont en question.

Des aménagements aux règles portant sur l'expertise CHSCT peuvent être proposés pour atténuer les conséquences, pour l'employeur, de l'annulation d'une délibération du CHSCT, tout en prenant en compte l'intérêt des salariés, lorsque leur santé et leur sécurité sont directement en péril.

Les délais impartis à l'expert. La réalisation de l'expertise est enfermée dans un délai (1 mois à 45 jours) uniquement lorsqu'il s'agit d'analyser un projet important modifiant les conditions de travail. Ce délai vise à ne pas retarder, de manière dilatoire, la mise en oeuvre du projet de l'employeur. Si, fort étonnamment, la circulaire du 25 mars 1993 (Circ. min., n° 93-15, du 25 mars 1993, II.1 ; mise en place des CHSCT N° Lexbase : L3031AI4) précise que le délai court à compter de la délibération du CHST, un TGI a décidé, avec plus de réalisme, que ce délai court du jour où l'expert a été en mesure d'accomplir sa mission (13).

Ne serait-il pas souhaitable, également, de prévoir un délai pour les expertises fondées sur un risque grave, l'intérêt pour le collectif des travailleurs étant que le risque grave soit analysé au plus tôt ? Ce délai pourrait être prorogé sous le contrôle du juge.

Délai de recours de l'employeur. Si l'employeur peut exercer un recours contre la délibération du CHSCT, ce recours n'est encadré par aucun délai d'action et, parfois, l'employeur en joue avec malignité. C'est le cas de cette affaire dans laquelle la SNCF refusait de communiquer à l'expert des éléments, au motif qu'elle contestait ce recours à expertise sur un projet modifiant les conditions de travail, sans avoir encore, à l'échéance du délai maximum imparti à l'expert pour rendre son rapport, saisi le juge de la contestation. Sur action du CHSCT, le TGI a constaté un trouble manifestement illicite et condamné l'employeur, en précisant qu'en l'absence d'un délai pour engager l'action, il "doit cependant être admis que la contestation doit être formée dans un délai raisonnable" (14). Dans d'autres affaires, les juges du fond ont rejeté les actions de l'employeur en contestation de la délibération du CHSCT décidant d'une expertise, dès lors qu'elles avaient été introduites en dehors de tout délai raisonnable (15).

La contestation, par l'employeur, d'une délibération du CHSCT décidant d'une expertise, devrait intervenir rapidement. A l'instar de certains délais courts déjà applicables ici ou là, cette contestation pourrait être enfermée dans un délai de 15 jours (16). Passé ce délai, la contestation serait irrecevable.

Effet du recours devant le TGI et de la décision rendue. Selon les textes applicables, le recours de l'employeur ne suspend pas la délibération du CHSCT, délibération qui continue à s'imposer à lui ; l'expert peut donc exécuter sa mission, dès lors qu'il dispose des informations nécessaires. Par ailleurs, le TGI statue en la forme des référés selon les règles de l'article 492-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0329IRM) ; dans son 3°, cet article précise que l'ordonnance est exécutoire de plein droit, à moins que le juge en décide autrement ; il ne peut, alors, davantage être reproché à l'expert de poursuivre sa mission lorsque le TGI valide la délibération du CHSCT sans en suspendre l'exécution, et que l'affaire se retrouve pendante devant la cour d'appel.

Ne faudrait-il pas alors distinguer entre les deux catégories d'expertise ?

Lorsque le CHSCT est saisi d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, il n'y a aucun effet sur les salariés, tant que le projet reste un projet ; il n'y aurait donc aucun dommage, ni pour les droits de la représentation du personnel, ni pour la protection des salariés, de différer l'action de l'expert à l'échéance du délai de recours. Par ailleurs, la saisine du TGI par l'employeur pourrait entraîner la suspension de l'expertise jusqu'à l'issue de la procédure ; l'employeur prendrait, ainsi, le risque de retarder la mise en oeuvre de l'expertise, et par là même de son projet, tout en étant assuré de supporter le coût des seules expertises résultant d'une délibération judiciairement validée (17).

Lorsque le CHSCT décide d'une expertise en raison de l'existence d'un risque grave, le recours de l'employeur ne doit pas suspendre l'expertise, dès lors que la santé et la sécurité des salariés sont présumées être en danger. Le risque de voir l'employeur supporter la charge d'une expertise réalisée subsisterait si la délibération qui l'a décidée était par la suite annulée ; dans cette hypothèse, il nous semble que seule pourrait échapper à la prise en charge de l'employeur, la partie des honoraires correspondant à la prestation réalisée par l'expert après notification de l'ordonnance du TGI ayant annulé la délibération du CHSCT (18) ou après notification de l'annulation décidée par la cour d'appel.

Quid d'un budget attribué au CHSCT ? L'attribution d'un budget au CHSCT est depuis longtemps en débat, sauf qu'attribuer un budget aux fins spécifiques de financer des expertises serait, selon-nous, la plus dommageable des solutions. En effet, sur un exercice donné, les recours à l'expertise sont fonction des projets importants présentés par l'employeur et liés aux risques graves dont le CHSCT peut avoir connaissance. Envisager un budget pour expertises, qui serait nécessairement limité, reviendrait à paralyser le CHSCT une fois le budget épuisé, alors même que les expertises seraient toutes justifiées. A la limite, un éventuel budget qui serait attribué au CHSCT pour son fonctionnement, ne devrait être mis à contribution en cas d'annulation d'une délibération décidant d'une expertise réalisée, qu'en cas d'abus du CHSCT (19), et non lorsque l'annulation serait seulement consécutive à une mauvaise appréciation de la situation (20).

En conclusion. Il nous semble que les aménagements ici proposés pour l'expertise CHSCT, atténueraient notablement les critiques objet de la QPC. La critique disparaîtrait pour l'expertise visant un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, puisque le contentieux ouvert par l'employeur aurait pour seule conséquence de retarder le délai de mise en oeuvre du projet, sans risque de supporter la charge d'une expertise jugée finalement injustifiée. Pour l'expertise portant sur un risque grave, il est illusoire de vouloir régler complètement la difficulté soulevée par la QPC, sauf à s'exposer, en suspendant l'expertise jusqu'à la décision judiciaire, à la réalisation du risque grave.

Compte tenu des larges pouvoirs de l'employeur, comparés aux droits restreints et contraints du CHSCT pour les missions de protection qui lui incombent, la prise en charge par l'employeur, dans des cas nécessairement fort limités, d'une expertise pour risque grave dont la délibération serait annulée, n'apparaît pas alors comme manifestement déséquilibrée au regard de son droit au recours.

Nul doute que, dans sa décision, le Conseil constitutionnel restera attaché au droit au recours qu'il tire de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) (21), mais une modulation de ce droit est vivement souhaitable pour préserver la libre action du CHSCT dans son rôle de protection de la santé et de la sécurité des salariés (22).


(1) La délibération appartient aux seuls élus du CHSCT, le président ne peut y participer, Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-14.788, FS-P+B (N° Lexbase : A2983KIC) ; Bull. civ. V, n° 171, Dr. soc., 2013, p. 866, obs. D. Boulmier.
(2) C. trav., art. L. 4614-12, 1° (N° Lexbase : L5577KGN).
(3) C. trav., art. L. 4614-12, 2°.
(4) C. trav., art. R. 4614-18, al. 1 (N° Lexbase : L2405IXD).
(5) C. trav., art. L. 4614-13, al. 1 (N° Lexbase : L0722IXZ).
(6) C. trav., art. L. 4614-13, al. 2.
(7) C. trav., art. R. 4614-20 (N° Lexbase : L8921H9B). Sur la procédure en la forme des référés, v. C. pr. civ., art. 492-1 (N° Lexbase : L0329IRM).
(8) Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ).
(9) Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-24.218, FS-P+B (N° Lexbase : A4989KD7) ; Bull. civ. V, n° 125 ; Dr. ouvr., 2013, p. 663, note K. Hamoudi ; JCP éd. S, 2013, 1324, note J.-B. Cottin ; JCP éd. E, 2014, 1354, note L. Dauxerre.
(10) CA Bourges, 23 janvier 2014, n° 13/01009 (N° Lexbase : A7823MCQ) ; JCP éd. S, 2014, 1221, note J.-B. Cottin.
(11) Sur cet arrêt de la cour d'appel de Versailles du 18 juin 2015, n° 15/00001 (N° Lexbase : A4428NLL) ; v. O. Dutheillet de Lamothe, Les frais d'expertise du CHSCT en cas d'annulation, SSL, 7 septembre 2015, n° 1688, p. 12.
(12) Pour d'autres options qui s'offraient à la Cour de cassation, v. O. Dutheillet de Lamothe, préc., in fine.
(13) TGI Bobigny, 5 janvier 2011 ; Dr. ouvr., 2011, p. 613, note X. Médeau.
(14) TGI Clermont-Ferrand, 9 février 2011, n° 11/00122 (N° Lexbase : A3847GXR) ; SSL, 21 février 2011, n° 1480, p. 15.
(15) TGI Bobigny, préc. (action 8 mois après la délibération) ; TGI Annecy, 9 mai 2011 (action 1 an après la délibération) ; TGI Paris, 20 janvier 2011, n° 10/57994 (N° Lexbase : A5885HMW) (action 6 mois après la délibération) ; sur ces décisions v. Dr. ouvr., 2011, p. 611 s., note X. Médeau.
(16) Par exemple, on rencontre un tel délai pour la contestation des élections professionnelles ou pour la contestation du refus par l'employeur de certains congés spéciaux (création d'entreprise ou congé sabbatique, C. trav., art. L. 3142-97 N° Lexbase : L0708H94 et D. 3142-52 N° Lexbase : L9228H9N).
(17) Sur la prise en charge par l'employeur, dans tous les cas, des frais de justice engagés par le CHSCT, sauf abus, v. infra.
(18) Rappelons que l'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, sauf si le juge en décide autrement ; on imagine difficilement un juge annulant la délibération du CHSCT et décidant que son ordonnance n'est pas exécutoire.
(19) En application de la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation selon laquelle l'employeur doit supporter les frais de procédure, dès lors qu'aucun abus du CHSCT n'est établi, tant en cas de contestation de l'expertise par l'employeur (Cass. soc. 12 janvier 1999, n° 97-12.794, N° Lexbase : A4679AGE ; Bull. civ. V, n° 19), qu'en cas de contentieux ouvert par le CHSCT sur des questions de fonctionnement (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-13.375, FS-P N° Lexbase : A0180AZP, Bull. civ. V, n° 215) ou encore en cas de constitution de partie civile déclarée irrecevable (Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-18.409, FS-P+B N° Lexbase : A3424EPI ; Bull. civ. V, n° 275).
(20) Depuis la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3) qui intègre le CHSCT à la délégation unique du personnel et qui permet dans les entreprises d'au moins 300 salariés de créer, par voie conventionnelle, une instance regroupant les institutions, le risque est grand de voir le budget du CE être sollicité pour les missions du CHSCT, ce que la loi ne prévoit pourtant pas. Sur le regroupement conventionnel des IRP, v. D. Boulmier, Les syndicats, commis de cuisine de la malbouffe sociale. A propos de la négociation conventionnelle sur les IRP, article 14 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue sociale et à l'emploi, Dr. soc., novembre 2015, à paraître.
(21) V. Conseil constitutionnel, Tables d'analyses du 4 octobre 1958 au 1er juillet 2015, p. 505 s.. V. aussi O. Dutheillet de Lamothe, préc., p. 14.
(22) Dans un autre domaine, le juge a trouvé un équilibre entre pouvoirs de l'employeur et protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; par un arrêt du 5 mars 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation a posé une exception au principe selon lequel le juge n'a pas à s'immiscer dans les choix de gestion de l'employeur, en suspendant une décision qui était "de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés" (Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, FS-P+B+R N° Lexbase : A3292D73 ; Bull. civ. V, n° 46, Dr. soc., 2008, p. 605, obs. P. Chaumette ; P.-Y. Verkindt, Santé au travail vs pouvoir de direction. Un retour vers la théorie institutionnelle de l'entreprise ?, Dr. soc., 2008, p. 519).

Décision

Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ).

Renvoi au Conseil constitutionnel (CA Versailles, 18 juin 2015, n° 15/00001 N° Lexbase : A4428NLL).

Texte visé : C. trav., art. L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ).

Mots-clés : QPC ; honoraires d'expertise du CHSCT ; prise en charge ; annulation de la délibération décidant d'une expertise.

Lien base : (N° Lexbase : E3406ETC).

newsid:449283

Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Octobre 2015

Lecture: 22 min

N9278BU8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449278
Copier

par Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC, EA 1919) et Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ (IFG, EA 7301)

Le 08 Octobre 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC, EA 1919) et de Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ (IFG, EA 7301). Parmi les arrêts récemment rendus, essentiellement au cours des mois de juillet et septembre, ont été retenus des décisions qui abordent les thèmes suivants : l'information relative au droit de se taire devant les juridictions correctionnelles (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-85.699, F-P+B+I) ; l'interception de correspondances électroniques (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457, FS-P+B+I) ; les actes d'enquête et d'instruction dans le cadre de la criminalité organisée (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 15-81.731, FS-P+B+I) ; la prescription de l'action publique en matière d'homicide involontaire (Cass. crim., 15 septembre 2015, n° 14-83.740, FS-P+B ; Cass. crim., 23 juin 2015, n° 13-86.922, FS-P) ; les pouvoirs du ministère public en matière de droits fondamentaux (Cass. crim., 8 septembre 2015, n° 14-84.315, F-P+B) ; et l'enregistrement des procès d'assises (Cass. crim., 9 septembre 2015, n° 15-81.208, FS-D). I - L'information relative au droit de se taire devant les juridictions correctionnelles
  • L'article 406 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3177I33) oblige le président du tribunal correctionnel ou l'un de ses assesseurs à informer le prévenu de son droit au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. Cette obligation est applicable devant la chambre des appels correctionnels en vertu de l'article 512 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4412AZG). Le non-respect de cette obligation fait nécessairement grief au prévenu (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-85.699, F-P+B+I N° Lexbase : A6244NM9 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2274EUR)

La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N), portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), a créé un "socle de droits communs aux suspects" (1). Elle a également modifié l'article 406 du Code de procédure pénale. Il prévoyait jusqu'alors que, devant le tribunal correctionnel, le président ou l'un de ses assesseurs devait constater l'identité du prévenu et donner connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal. Il prévoit désormais que cette constatation de l'identité du prévenu s'accompagne d'une information portant sur le droit d'être assisté par un interprète, d'une part, et sur le droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, d'autre part.

L'arrêt du 8 juillet 2015 vient préciser le champ d'application de cette obligation d'information ainsi que les conséquences de sa méconnaissance. S'agissant de l'application dans le temps du nouvel article 406 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation l'applique immédiatement aux instances en cours. L'audience a eu lieu le 3 juillet 2014 ; la loi du 27 mai 2014 était entrée en vigueur le 2 juin 2014 (2) : l'information relative au droit de se taire aurait donc dû être délivrée. Ensuite, la Cour de cassation précise, une fois encore sans surprise, que cette obligation, prévue pour le tribunal correctionnel, a également vocation à s'appliquer devant la cour d'appel, en application de l'article 512 du Code de procédure pénale.

L'apport principal de la décision réside surtout dans la sanction du non-respect de l'article 406 du Code de procédure pénale, muet sur ce point. La Cour prend, en effet, la peine de préciser que "la méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire lui fait nécessairement grief". Il n'est donc pas nécessaire au prévenu de rapporter la preuve d'un grief, s'agissant d'une cause de nullité d'ordre public. La précision est bienvenue. Nul doute que l'information du droit d'être assisté par un interprète, également prévue à l'article 406 du Code de procédure pénale, suivra le même régime.

Jean-Baptiste Thierry

II - L'interception de correspondances électroniques

  • L'interception de correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications antérieurement à la date de la décision écrite d'interception prise par le juge d'instruction, n'entre pas dans les prévisions des articles 100 (N° Lexbase : L4316AZU) à 100-5 du Code de procédure pénale. Elle doit alors être réalisée conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457, FS-P+B+I N° Lexbase : A6245NMA ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4428EUK)

Les téléphones portables qui circulent en détention entraînent régulièrement des réactions des surveillants pénitentiaires et des associations de défense des détenus. Certains détenus sont allés un peu plus loin, jusqu'à détenir du matériel informatique clandestin et l'utiliser pour commettre des infractions, depuis leur lieu de détention.

A la suite d'un renseignement communiqué par le service de la douane judiciaire, un individu, incarcéré, est soupçonné de commettre des fraudes par l'utilisation de cartes bancaires contrefaites. Une information est ouverte le 8 mars 2013. Le 11 mars suivant, le juge d'instruction délivre une commission rogatoire afin qu'il soit procédé à l'interception, l'enregistrement et la transcription des courriers électroniques émis ou reçus sur l'adresse électronique utilisée par le suspect depuis son lieu de détention. Les enquêteurs ont procédé au recueil de tous les courriers électroniques, y compris ceux stockés antérieurement à l'autorisation d'interception. L'individu est par la suite mis en examen et conteste la validité des transcriptions des données antérieures à la date de la commission rogatoire. La chambre de l'instruction rejette la requête en nullité, en retenant que les correspondances électroniques entrent bien dans le champ des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale et que l'interception pouvait concerner des courriers archivés, reçus avant la commission rogatoire. Elle ajoute que les enquêteurs n'ont pas porté atteinte au respect de la vie privée du mis en examen, car il utilisait frauduleusement ce matériel informatique pour commettre des infractions, depuis son lieu de détention.

Saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour a donc dû préciser le sens du mot "interception" et préciser si une telle interception pouvait s'appliquer à des correspondances antérieures à la décision du juge d'instruction.

Au visa des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale, relatifs aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, la Cour de cassation a annulé l'arrêt de la chambre de l'instruction, en retenant que "n'entrent pas dans les prévisions de ces textes l'appréhension, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications antérieurement à la date de la décision écrite d'interception prise par le juge d'instruction, lesquels doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions".

L'arrêt commenté apparaît particulièrement intéressant au regard de la définition des correspondances émises par la voie des télécommunications, d'une part, et des modalités de recueil de données électroniques, d'autre part.

L'arrêt considère implicitement que les courriers électroniques sont bien des correspondances émises par la voie des télécommunications. On sait que le dispositif législatif ne se limite pas aux seules écoutes téléphoniques et qu'il englobe, plus largement, les communications électroniques, c'est-à-dire "toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques" (3). Dès lors, rien n'empêche au juge d'instruction d'ordonner l'interception de courriers électroniques. Mais que faut-il alors entendre par "interception" ? Suppose-t-elle une captation de ces correspondances au moment où elles sont émises ou bien permet-elle une copie de messages électroniques déjà reçus ou envoyés ? L'interception se définit normalement comme "le fait de prendre quelque chose au passage" (4). Il semble donc que la copie de fichiers déjà reçus ne résulte pas d'une interception à proprement parler, aucune donnée n'étant détournée entre le moment de son émission et celui de sa réception. On pourrait penser que "la fugacité et le caractère écrit des courriels se prêtent mal [...] à pareille interprétation" (5), mais il est techniquement tout à fait possible de mettre en place un dispositif man-in-the-middle permettant d'appréhender les messages pendant le temps de leur acheminement, fût-il quasiment instantané.

Etrangement, la Cour de cassation considère implicitement que le recueil des messages reçus résulte bien d'une interception, au sens de l'article 100 du Code de procédure pénale, puisqu'elle ne sanctionne que le recueil des fichiers antérieurs à la décision d'interception du juge d'instruction. La solution est étonnante puisqu'elle a déjà considéré que n'était pas une interception la lecture de messages "parvenus sur la bande d'un récepteur de messagerie unilatérale" (6).

Mais il n'est possible, dans le cadre de l'interception des correspondances, de consulter que les messages reçus postérieurement à cette décision. Voici alors les enquêteurs soumis à une épreuve bien curieuse : autorisés à consulter les messages électroniques d'un individu, ils ne peuvent en aucun cas consulter ceux d'une date antérieure à la décision du juge d'instruction, pourtant visibles depuis n'importe quel service ou logiciel de messagerie...

Mieux, l'arrêt laisse entendre que la consultation des messages électroniques entre dans le champ de deux actes d'instruction différents. La Cour précise en effet que l'appréhension, l'enregistrement et la transcription des correspondances électroniques émises ou reçues avant la décision du juge d'instruction doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions (7). Ces correspondances électroniques peuvent par ailleurs faire l'objet d'une décision d'interception dont les conditions sont prévues aux articles 100 et suivants du Code de procédure pénale. Le juge d'instruction a donc le choix : soit privilégier la perquisition, soit privilégier l'interception, étant entendu qu'il devra dans ce cas être attentif à ce que seuls les messages postérieurs à sa décision soient appréhendés. L'intérêt réside dans l'efficacité de l'investigation : la perquisition est connue du suspect qui peut donc adapter son comportement en conséquence, quand l'interception s'effectue à son insu.

Le demandeur au pourvoi faisait également valoir que l'appréhension de correspondances électroniques était attentatoire à sa vie privée et que l'intrusion dans une boîte de messagerie électronique ne faisait pas l'objet d'un encadrement suffisant. La Cour ne répond pas à cet argument, n'envisageant la question que sous l'angle de l'application rétroactive de la décision d'interception du juge d'instruction. Il semble qu'elle considère alors que l'appréhension de messages électroniques est suffisamment protégée par les conditions de la perquisition ou celles de l'interception des correspondances émises par la voie des télécommunications. L'argument était pourtant sérieux au regard des spécificités des messages électroniques qui peuvent, techniquement, soit faire l'objet d'une vraie interception, entrant alors dans le champ des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale, soit être lus sur le terminal du suspect, entrant alors dans le champ des perquisitions.

Jean-Baptiste Thierry

III - Les actes d'enquête et d'instruction dans le cadre de la criminalité organisée

  • L'ordonnance autorisant la perquisition hors des heures légales doit être spécialement motivée : l'absence d'une telle motivation fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée. Les enregistrements résultant d'un dispositif de sonorisation doivent être placés sous scellés : les officiers de police judiciaire ne peuvent disposer d'une copie de ces enregistrements que pour les besoins et dans le temps de l'exécution de leur mission (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 15-81.731, FS-P+B+I N° Lexbase : A6246NMB ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4380EUR)

Les infractions relevant de la criminalité organisée permettent la mise en oeuvre d'actes d'enquête et d'instruction dérogatoires au droit commun. A la complexité de la preuve de ces infractions s'ajoute la complexité du cadre procédural, où s'entremêlent normes anciennes et nouvelles, nationales et supranationales. Il en résulte un cadre tout à la fois large et contraint qu'il peut être difficile de cerner précisément. Les pouvoirs d'enquête ou d'instruction en matière de criminalité organisée sont particulièrement importants et dérogatoires au droit commun. Ils ne peuvent toutefois pas outrepasser le cadre légal qui apparaît suffisamment permissif. Dans cet arrêt, de manière surprenante, ce sont les actes réalisés sous le contrôle du juge d'instruction, véritable autorité judiciaire, qui ont été annulés, quand ceux réalisés à l'initiative du ministère public n'ont pas été remis en cause. Plusieurs enquêtes préliminaires distinctes sont ouvertes, portant sur un trafic de stupéfiants. Différents actes interviennent en 2012 et 2013, date à laquelle une information est ouverte, au cours de laquelle auront notamment lieu une perquisition nocturne et une sonorisation.

Les actes réalisés à l'initiative du ministère public étaient les suivants : des réquisitions aux fins de communication de données téléphoniques, prises en application de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (N° Lexbase : L8220I49) ; des mesures de géolocalisation ; des interceptions de correspondances téléphoniques, autorisées par le juge des libertés et de la détention.

La validité des réquisitions faites par le ministère public à des opérateurs de téléphonie aux fins de transmission de données téléphoniques, était contestée, le pourvoi estimant qu'une telle mesure relevait de la compétence d'une autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. L'argument est rapidement rejeté, la Cour estimant que l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale n'est pas contraire à l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). La solution mérite l'approbation sur ce point : l'acte en cause, certes attentatoire à la vie privée, n'apparaît pas constitutif d'une ingérence disproportionnée et il apparaît inutile de faire intervenir un juge en la matière. Dans le même sens, la Cour approuve également le refus de la chambre de l'instruction de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 77-1-1 ne relevant pas du champ du droit communautaire [sic]. Les pouvoirs du ministère publics se voient donc confortés par la Cour de cassation, qui ne réserve pas la communication de données téléphoniques à la seule autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne.

Les mesures de géolocalisation avaient été décidées par le ministère public, avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2014. La Cour de cassation estime ici que cette mesure était proportionnée à la gravité des infractions concernées et, surtout, que "sa durée n'a pas excédé celle au terme de laquelle le respect des dispositions conventionnelles imposait qu'elle fût exécutée sous le contrôle d'un juge", solution déjà dégagée dans un arrêt du 6 janvier 2015 (8) qui avait grandement tempéré les conséquences de son arrêt du 22 octobre 2013, imposant un contrôle juridictionnel de la mesure (9). Les juges se livrent ici à une appréciation in concreto des faits de l'espèce.

S'agissant des écoutes téléphoniques réalisées pendant l'enquête, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, en application de l'article 706-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2781KG4), plusieurs écoutes avaient été autorisées, sur différentes lignes, dans le respect du délai légal, et l'un des suspects avait été ainsi écouté pendant plus d'un mois. Il faisait donc valoir que la durée maximale des écoutes devait s'apprécier, non au regard de la ligne téléphonique interceptée, mais au regard de la personne concernée. Une telle interprétation ne pouvait guère prospérer, les textes applicables ne faisant référence qu'à la ligne interceptée. Un individu peut donc être écouté pendant plus d'un mois, dans le cas d'interceptions successives ou cumulées.

Le quatrième problème concernait les conséquences du non-respect de l'obligation prévue à l'article 706-95, alinéa 3, du Code de procédure pénale : le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l'interception doit être informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l'alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation. En l'espèce, cette information n'avait pas eu lieu. La Cour de cassation a estimé qu'il ne pouvait s'agir d'une cause de nullité que dans le cas où un grief est établi : il s'agit donc d'une nullité d'ordre privé. Les juges estiment que les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ont pas été atteints, puisque les procès-verbaux ont été très rapidement soumis au contrôle d'un juge d'instruction. Le contrôle effectué par le juge d'instruction vient donc compenser l'absence de contrôle opéré par le juge des libertés et de la détention.

Les moyens soulevés n'avaient jusqu'alors pas prospéré, les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ayant pas été atteints. Les pouvoirs importants reconnus au ministère public dans le domaine de la criminalité organisée se sont ainsi vus confortés. En revanche, les actes effectués pendant l'instruction ont été annulés.

Le cinquième problème soulevé était relatif à l'ordonnance du juge d'instruction ayant autorisé une perquisition en dehors des heures légales. Le pourvoi faisait valoir que cette ordonnance n'était pas suffisamment motivée. La chambre de l'instruction avait écarté la nullité, relevant qu'un officier de police judiciaire avait rédigé un rapport où il faisait mention d'une livraison de stupéfiants imminente, ce qui expliquait la décision du juge d'instruction. Les perquisitions réalisées hors des heures légales doivent, en application de l'article 706-92 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9743HEL), être autorisées par une ordonnance "motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires". La Cour de cassation, au visa des articles 706-91 (N° Lexbase : L2783KG8) et 706-92 du Code de procédure pénale et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, estime que l'absence d'une telle motivation empêche un contrôle réel et effectif de la mesure. Elle ajoute que cette irrégularité fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée. Il n'appartient donc pas à la chambre de l'instruction de trouver le facteur déterminant de cette perquisition nocturne dans des éléments extérieurs à l'ordonnance l'ayant autorisée. Le juge d'instruction ne saurait se départir de cette obligation particulière de motivation. Il serait en effet difficilement concevable qu'une motivation spéciale, exigée pour permettre de justifier une atteinte importante à la vie privée, puisse être contournée par le recours à des éléments extérieurs à la décision.

Enfin, le sixième problème concernait le sort des enregistrements résultant d'un dispositif de sonorisation ou de fixation d'images. Les enquêteurs avaient en effet conservé une copie de travail de ces enregistrements. La Cour de cassation, au visa de l'article 706-100 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5781DYR), pourtant muet sur ce point, estime que les enquêteurs peuvent réaliser une copie des enregistrements placés sous scellés, mais uniquement pour les besoins et dans le temps de la mission de sonorisation autorisée par le juge d'instruction. Elle s'oppose à ce qu'une telle copie soit utilisée une fois la mission de sonorisation terminée. Encore une fois, la protection instaurée par l'article 706-100, qui exige que les enregistrements soient placés sous scellés, perdrait tout son sens si des copies d'enregistrements étaient utilisées hors du cadre précis de la procédure de sonorisation.

Jean-Baptiste Thierry

IV - L'existence d'une appréciation rigoureuse de la prescription de l'action publique (au moins en matière d'homicide involontaire)

  • En l'absence d'identité de conception, de cause ou de but avec une infraction non prescrite, et à défaut de constituer avec elle un tout indivisible, une infraction prescrite le demeure (Cass. crim., 15 septembre 2015, n° 14-83.740, FS-P+B N° Lexbase : A3857NPK ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1826EU8) ; l'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours (Cass. crim., 23 juin 2015, n° 13-86.922, FS-P N° Lexbase : A9829NLM ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2801EUB)

L'hostilité de la Chambre criminelle de la Cour de cassation envers le mécanisme de la prescription de l'action publique est devenue plus qu'un lieu commun au sein des observateurs de sa jurisprudence ; c'est, aujourd'hui, un véritable postulat doctrinal, qu'il devient de plus en plus difficile de remettre en cause. Pourtant, à bien étudier l'ensemble de ses arrêts, la chose ne paraît pas si évidente, tant la Chambre criminelle accepte de concéder la mort de l'action publique lorsqu'il appert que la prescription est irrémédiablement acquise (10) et, à l'inverse, justifie suffisamment sa survie lorsqu'il ne le semble pas.

A cet égard, on sait que la connexité et l'indivisibilité de plusieurs infractions sont deux mécanismes qui, parce qu'ils se fondent sur l'existence d'un lien très fort entre ces infractions, autorisent la survie de toutes les actions publiques relatives à ces dernières, à la seule condition que l'action publique relative à l'une quelconque d'entre elles ne soit pas encore éteinte. La règle est assurément compréhensive, d'autant qu'elle est, en cet aspect, d'origine jurisprudentielle, mais elle ne saurait avoir vocation à jouer à chaque fois qu'existe un lien ténu entre deux infractions, deux arrêts récents le démontrant avec force.

Dans une première décision, rendue le 23 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation constate la prescription d'un certain nombre de contraventions connexes à un délit quant à lui non encore couvert par la prescription. En l'espèce, lors d'une opération de pêche, deux marins d'un chalutier décédaient, alors qu'il était contrevenu à un certain nombre de dispositions relatives à la sécurité des travailleurs en mer. La société armant le bateau était conséquemment condamnée, non seulement, pour homicides involontaires, mais également pour l'ensemble des contraventions connexes. Les actions publiques relatives à ces dernières apparaissaient pourtant prescrites. Le capitaine, quant à lui, était condamné pour contravention relative au défaut de port, par l'équipage de son navire, des vêtements de sécurité. Saisie seulement à propos de la condamnation de la société pour les contraventions connexes, la Cour de cassation précise que "l'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours". Dès lors, il aurait fallu dire que l'action publique était déjà prescrite concernant les contraventions reprochées.

La solution pourrait paraître singulière eu égard au fait que les infractions étaient, en l'occurrence, assurément connexes et, plus encore, qu'elles formaient un tout indivisible. Précisément, c'est ce lien fréquemment entretenu entre l'homicide involontaire et autant de contraventions qui permettent de démontrer la faute de l'agent, qui conduirait à percevoir, en leur sanction respective, une redondance plutôt qu'une complémentarité. Peut-être s'agissait-il alors simplement d'en tirer toutes les conséquences quant à la prescription de l'action publique ? Toutefois, la motivation très générale de la Chambre criminelle incite à trouver une autre explication, la brièveté du délai de prescription en matière contraventionnelle poussant éventuellement le juge à l'appréhender, fût-ce inconsciemment et sous certains aspects seulement, comme une forclusion.

Dans une seconde décision, rendue le 15 septembre 2015, et toujours en matière d'homicide involontaire, la Chambre criminelle constate la prescription de ladite infraction en raison de son absence de connexité et d'indivisibilité avec un homicide volontaire quant à lui non prescrit, malgré le fait que la victime des deux infractions soit la même. Plus précisément, une personne suivie par un psychiatre en raison de troubles mentaux avait commis un assassinat, avant de bénéficier d'un non-lieu ayant pour cause son absence de discernement au moment des faits. A la suite d'une plainte avec constitution de partie civile, la psychiatre était alors renvoyée devant le tribunal correctionnel, qui la condamnait pour homicide involontaire. Or, elle aurait dû bénéficier de la prescription de l'action publique, sauf à percevoir l'infraction comme connexe ou indivisible avec l'assassinat. La Chambre criminelle de la Cour de cassation s'y refuse, constatant en effet que "les faits d'homicide involontaire reprochés à la prévenue ne procédaient pas d'une unité de conception, n'étaient pas déterminés par la même cause ou ne tendaient pas au même but que les faits d'homicide volontaire reprochés [...], ou ne formaient pas avec eux un tout indivisible".

Comme la connexité subjective ne le serait pas, la connexité objective n'est donc pas suffisante à justifier une unité de traitement de deux infractions, notamment au regard de la prescription de l'action publique. Il faut, effectivement, entretenir une conception exigeante de ce mécanisme, mêlant objectivité et subjectivité, ce à quoi incite sa définition par l'article 203 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3583AZQ) : "les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux,mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées" (11). Tel est l'un des prix à payer pour un droit rigoureux de la prescription de l'action publique.

Guillaume Beaussonie

V - Le ministère public n'est pas le gardien des droits fondamentaux

  • Le ministère public ne saurait invoquer une prétendue atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6580IXY), qui ne garantissent que les droits et les libertés des parties privées (Cass. crim., 8 septembre 2015, n° 14-84.315, F -P+B N° Lexbase : A3846NP7 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1745EU8)

La forme la plus anodine peut parfois dissimuler un arrêt au moins potentiellement important. En l'occurrence, alors que ne se posait qu'un problème relatif à l'inutilité de la présence du ministère public lors d'une audience en chambre du conseil du juge des enfants, et que l'affaire allait s'achever sur le rejet du pourvoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précisait que "le ministère public ne saurait invoquer une prétendue atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale, qui ne garantissent que les droits et les libertés des parties privées". Celui qui doit veiller à l'application de la loi ne pourrait donc pas veiller à celle des principes fondamentaux ?

En l'espèce, deux mineurs de seize ans comparaissaient pour vol aggravé devant le juge des enfants lequel, en l'absence du ministère public, rendait un jugement de condamnation en chambre du conseil. Le ministère public interjetait alors appel, un défaut de communication de la procédure ayant fait obstacle à ce qu'il assiste aux débats ou formule des réquisitions écrites. Selon lui, l'absence de telles formalités substantielles portait atteinte au principe contradictoire et à l'égalité des armes. La cour d'appel relevait essentiellement, pour écarter l'exception de nullité soulevée de la sorte, que "la présence du procureur de la République est obligatoire aux audiences de jugement en chambre du conseil et qu'il ne pouvait en ignorer la date, de sorte qu'en n'y étant pas représenté, il ne [pouvait] invoquer un grief tiré de sa propre carence". La Chambre criminelle de la Cour de cassation parvient à la même conclusion, mais à partir d'un raisonnement un peu différent : en vérité, les audiences concernées n'impliquaient pas la présence obligatoire du procureur de la République. Il n'empêche que celui-ci pouvait "à tout moment, se faire communiquer la procédure et en suivre l'état d'avancement, pour assister, se faire représenter à l'audience de chambre du conseil du juge des enfants, ou encore prendre des réquisitions écrites". Les juges du fond n'étaient donc pas responsables tant de son absence que de son silence.

Les choses auraient sans doute pu s'arrêter là, si le ministère public n'avait pas soutenu que l'article préliminaire du Code de procédure pénale et l'article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme avaient été méconnus. Ce à quoi répond donc la Cour de cassation qu'il n'avait pas qualité pour le faire, ces textes ne faisant que garantir les droits et les libertés des parties privées.

L'affirmation nous paraît contestable comme, d'ailleurs, toutes celles qui conduisent à différencier les prérogatives du ministère public et les droits des parties privées -par exemple l'application du principe de loyauté de la preuve au premier à l'exclusion des secondes-. Aux yeux de la Cour européenne des droits de l'Homme, gardienne de l'interprétation de la Convention et des principes qu'elle contient, le ministère public est une partie comme une autre, ce qui implique des obligations, mais aussi des droits. Par ailleurs, comme nous l'avons souligné plus haut, le ministère public n'est-il pas le garant de l'application de la loi lato sensu, en ce compris les principes fondamentaux ? Si tel n'est pas le cas, comment soutenir encore qu'il fasse partie de l'autorité judiciaire, gardienne, on le rappelle, de la liberté individuelle.

Guillaume Beaussonie

VI - L'enregistrement des procès d'assises, garantie du droit à un recours effectif

  • Est sérieuse la question de la constitutionnalité des dispositions du dernier alinéa de l'article 308 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5439I3T), qui prévoient que l'enregistrement sonore devant la cour d'assises n'est pas prescrit à peine de nullité (Cass. crim., 9 septembre 2015, n° 15-81.208, FS-D N° Lexbase : A9769NN7 ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2206EUA)

Les questions prioritaires de constitutionnalité conduisent presque quotidiennement le Conseil constitutionnel à corriger la procédure pénale française. L'opportunité du dispositif n'a donc plus à être soumise à commentaire. Passons alors au fond : le procès d'une personne condamnée par une cour d'assises ne fait pas l'objet d'un enregistrement sonore. Il appert, en effet, que si l'article 308 du Code de procédure pénale prévoit que "les débats de la cour d'assises font l'objet d'un enregistrement sonore sous le contrôle du président", le texte s'achève sur une phrase qui n'encourage pas à l'appliquer : "les dispositions ci-dessus ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure". Est-ce conforme au droit à un recours effectif et au principe d'égalité devant la justice, tels qu'ils sont garantis par les articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ?

Pour la Cour de cassation, qui ne fait donc que passer la main au Conseil constitutionnel, la question est sérieuse car l'"enregistrement peut être utilisé devant la cour d'assises jusqu'au prononcé de l'arrêt, y compris lors du délibéré, ainsi que devant la cour d'assises statuant en appel et la cour d'assises de renvoi après cassation ou annulation". En outre, ajoute-t-elle, "l'absence d'enregistrement peut influer sur l'instruction d'un recours en révision". En cela constate-t-elle qu'il existe un risque d'atteinte au droit à un recours effectif ainsi qu'au principe d'égalité entre les justiciables.

La longueur -sans nul doute excessive- du procès d'assises justifie qu'il en soit gardé une trace, tant pour que les jurés puissent délibérer en toute connaissance de cause, que pour qu'un recours puisse s'exercer en vertu de cette même connaissance. Sur ce dernier point, la motivation des arrêts apparaît tout de même de nature à compenser l'absence d'enregistrement. Pour éviter la dépendance à la technique, peut-être faudrait-il tout simplement souffler aux avocats des parties et de la société qu'il s'avère contreproductif de parler trop longtemps. Quelques études scientifiques -non juridiques- relatives à la capacité d'attention à un discours en attestent. Ou il suffit d'assister à un cours en amphithéâtre !

Guillaume Beaussonie


(1) E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale. A propos de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, Dr. pén., 2014, étude 15.
(2) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, art. 15.
(3) C. postes et com. électr., art. L. 32 (N° Lexbase : L1864KG7).
(4) V. Interception, Trésor informatisé de la langue française.
(5) S. Detraz, obs. sous Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6245NMA), JCP éd. G, 2015, zoom 884.
(6) Cass. crim., 14 avril 1999, n° 98-87.224 (N° Lexbase : A4240CHI) : D., 1999, somm., 324, obs. J. Pradel ; Procédures, 1999, comm., 238, obs. J. Buisson ; Dr. pén., 1999, comm., 124, obs. A. Maron.
(7) C. proc. pén., art. 56 et 57-1.
(8) Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 14-84.694, FS-P+B (N° Lexbase : A0813M9Y), JCP éd. G, 2015, 295, note O. Décima.
(9) Cass. crim., 22 octobre 2013, n° 13-81.949, FS-P+B (N° Lexbase : A4648KNH), D., 2014. 115, note H. Matsopoulou ; JCP éd. G, 2013, 1378, note F. Fourment.
(10) V., par ex., la désormais notoire affaire de l'octuple infanticide, dans laquelle la Chambre criminelle avait fait oeuvre d'orthodoxie en constatant une prescription évidemment acquise, seule l'intervention de l'Assemblée plénière et le recours, par cette dernière, à une règle inédite en procédure pénale, ayant autorisé la solution inverse : Cass. crim., 16 octobre 2013, deux arrêts, n° 13-85.232 et n° 11-89.002, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9276KMI) puis Ass. plén., 7 novembre 2014, n° 14-83.739, P+B+R+I (N° Lexbase : A8445MZS).
(11) Nous soulignons.

newsid:449278

Propriété intellectuelle

[Brèves] Condition de recevabilité de l'action en contrefaçon dirigée à l'encontre d'une oeuvre de collaboration

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11.944, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7904NR8)

Lecture: 2 min

N9275BU3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449275
Copier

Le 08 Octobre 2015

La recevabilité de l'action en contrefaçon dirigée à l'encontre d'une oeuvre de collaboration, laquelle est la propriété commune des coauteurs, est subordonnée à la mise en cause de l'ensemble de ceux-ci, dès lors que leur contribution ne peut être séparée, quelle que soit la nature des droits d'auteur invoqués par le demandeur à l'action. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 septembre 2015 (Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11.944, FS-P+B+I N° Lexbase : A7904NR8). En l'espèce, soutenant que les chansons intitulées "Aïcha 1" et "Aïcha 2" contrefaisaient la composition musicale dénommée "For Ever" dont il est l'auteur, M. X a assigné M. Z, tant en sa qualité d'auteur-compositeur qu'en sa qualité d'éditeur, des deux oeuvres arguées de contrefaçon, M. Y, coauteur des arrangements, et le coéditeur, aux fins d'obtenir réparation de l'atteinte prétendument portée à ses droits moraux et patrimoniaux d'auteur. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause de M. A, coauteur des paroles de l'oeuvre intitulée "Aïcha 2", l'arrêt d'appel énonce qu'aucune irrecevabilité ne peut être soulevée lorsque la demande est fondée et ne peut qu'être fondée sur la violation du droit moral de l'auteur, dès lors que la cour d'appel n'est pas saisie de l'évaluation et de la réparation du préjudice patrimonial, le tribunal n'ayant pas statué sur ce point et une expertise étant en cours. Mais, énonçant le principe précitée, la Cour régulatrice censure l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3337ADX). Par ailleurs, pour rejeter les demandes de M. X, l'arrêt d'appel retient que, si les oeuvres en cause font apparaître un enchaînement d'accords identiques sur quatre notes, ce passage est couramment utilisé dans les compositions musicales actuelles et n'est pas, en tant que tel, susceptible d'appropriation. En outre, lesdites oeuvres constituent globalement, par leurs structures musicale et lyrique divergentes, perceptibles pour l'auditeur moyen, des oeuvres distinctes qui traduisent un parti pris esthétique différent. Ainsi, pour la cour d'appel l'oeuvre intitulée "For Ever" ne peut bénéficier de la protection instaurée par le livre I du Code de la propriété intellectuelle. La Cour de cassation censure également sur ce point l'arrêt d'appel, au visa de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3333ADS), retenant qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'originalité de l'oeuvre revendiquée, qui doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments, fussent-ils connus, qui la composent, pris en leur combinaison, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

newsid:449275

Rel. collectives de travail

[Brèves] Salarié conseiller prud'hommes : impossibilité de se prévaloir de la protection attachée à son mandat en l'absence d'information à l'employeur de sa réélection préalablement à la rupture de son contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-17.748, FS-P+B (N° Lexbase : A5591NSU)

Lecture: 1 min

N9291BUN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449291
Copier

Le 08 Octobre 2015

Ne peut se prévaloir de la protection attachée à son mandat de conseiller prud'hommes la salariée réélue le 3 décembre 2008 mais qui n'en n'avait pas informé son employeur ni établi que ce dernier en avait été avisé par d'autres voies au plus tard au moment de la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 septembre 2015 (Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-17.748, FS-P+B N° Lexbase : A5591NSU).
En l'espèce, Mme X a été engagée par la société Y, en qualité de directeur administratif du cadre A, coefficient 390, à temps partiel le 21 février 2003, puis à temps plein à compter du 1er janvier 2004 et a accédé au cadre B, coefficient 454 de la convention collective applicable. Elle a signé une rupture conventionnelle du contrat de travail à effet du 30 septembre 2010 et a saisi la juridiction prud'homale de demande en reconnaissance d'une discrimination salariale, en annulation de la rupture et en rappel de salaire pour des heures supplémentaires.
La cour d'appel (CA Dijon, 20 mars 2014, n° 12/01532 N° Lexbase : A5169MHW) l'ayant déboutée de ses demandes tendant à la nullité de la rupture conventionnelle pour défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail et en paiement de sommes aux titre de rappel de salaire, d'indemnité de préavis, de congés-payés et de dommages-intérêts pour licenciement illicite, la salariée s'est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi de la salariée sur ce point (voir également en ce sens, Cass. soc., 14 septembre 2012, n° 11-21.307, FS-P+B+R N° Lexbase : A7531ISQ) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9535ESX et N° Lexbase : E3714ETQ).

newsid:449291

Protection sociale

[Brèves] Illégalité des stipulations sur le calcul du différé d'indemnisation : annulation de l'arrêté agréant la Convention d'assurance chômage du 14 mai 2014

Réf. : CE, 1° s-s., 5 octobre 2015, n° 383956 (N° Lexbase : A5756NSY)

Lecture: 2 min

N9284BUE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449284
Copier

Le 09 Octobre 2015

Les stipulations du paragraphe 2 de l'article 21 du règlement général annexé à la Convention d'assurance chômage du 14 mai 2014 sont entachées d'illégalité. En effet, en prenant en compte l'intégralité des indemnités allouées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pour le calcul du différé d'indemnisation des salariés licenciés, alors qu'ils comptaient moins de deux ans d'ancienneté ou, qu'ils étaient employés par une entreprise comptant moins de onze salariés, les parties à la convention ont adopté des stipulations aboutissant à ce que certains salariés, victimes d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puissent être privés de l'intégralité des sommes destinées à assurer la réparation du préjudice qui en résulte ; elles ont ainsi porté atteinte au droit de ces salariés d'en obtenir réparation. Eu égard à l'intérêt qui s'attache à la continuité du versement des allocations et du recouvrement des cotisations, à laquelle une annulation rétroactive de l'arrêté du 25 juin 2014 (N° Lexbase : L5601I3T), qui agrée les stipulations de la Convention du 14 mai 2014, ainsi que ses annexes et accords d'application, il y a lieu, pour permettre au ministre chargé du Travail ou, à défaut, au Premier ministre de prendre les dispositions nécessaires à cette continuité, de n'en prononcer l'annulation totale, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la décision, qu'à compter du 1er mars 2016. En revanche, aux termes de l'article L. 5422-20 du Code du travail (N° Lexbase : L3907I7T), les parties à la convention d'assurance chômage n'étaient pas compétentes pour prévoir que les allocations de chômage, indûment versées, seraient recouvrées par retenues sur les allocations à verser, y compris en cas de contestation par l'intéressé du bien-fondé de l'indu ainsi recouvré ; l'annulation de cette partie de la convention est d'application immédiate. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 octobre 2015 (CE, 1° s-s., 5 octobre 2015, n° 383956 N° Lexbase : A5756NSY).
Dans cette affaire, les associations X, Y et Z, des syndicats d'intermittents, du secteur du spectacle et de chômeurs, ont saisi la juridiction administrative de plusieurs recours en annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 25 juin 2014 du ministre du Travail, de l'Emploi et du Dialogue social, portant agrément de la convention du 14 mai 2014, relative à l'indemnisation du chômage et les textes qui lui sont associés.
En énonçant le principe susvisé, le Conseil d'Etat annule l'arrêté du 25 juin 2014 portant agrément de la Convention du 14 mai 2014, relative à l'indemnisation du chômage ainsi que des divers textes qui sont annexés à cette convention (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E5378ALR).

newsid:449284

Sociétés

[En librairie] Droit général et droit spécial des sociétés : parution de deux nouveaux ouvrages du Professeur Dominique Vidal et de Kevin Luciano

Lecture: 1 min

N9372BUN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449372
Copier

Le 08 Octobre 2015

En septembre 2015, sont parus deux nouveaux ouvrages consacrés au droit des sociétés chez l'éditeur Gualino.
Le premier intitulé "Cours de droit général des sociétés" (1) traite notamment de la notion de société et de celle de groupe de sociétés, du contrat de société, de la personnalité morale, de la constitution ou de la dissolution de la société, des fusions, des fonctions et responsabilités des dirigeants, etc.
Le second intitulé "Cours de droit spécial des sociétés" (2) traite, notamment, des sociétés à risque illimité, de la société anonyme, des sociétés à risque limité, des régimes particuliers, du droit international et du droit européen des sociétés. Ces ouvrages, à jour de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", ont été rédigés par Dominique Vidal, Agrégé de droit privé, Avocat honoraire, arbitre commercial et Professeur émérite de l'Université Nice Sophia Antipolis et Kevin Luciano, Docteur en droit de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Maître de conférences de l'Université Nice Sophia-Antipolis et avocat au barreau de Nice.

(1) D. Vidal et K. Luciano, Cours de droit général des sociétés, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 432 pages, 28,50 euros.
(2) D. Vidal et K. Luciano, Cours de droit spécial des sociétés, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 352 pages, 28,50 euros.

newsid:449372

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Assujettissement à la TVA pour des opérations financières liées à la rémunération d'une activité principale

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 369846, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5703NSZ)

Lecture: 2 min

N9368BUI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/26417604-edition-n-628-du-08102015#article-449368
Copier

Le 09 Octobre 2015

Une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due. Ainsi, des opérations financières indissociablement liées à la rémunération de l'activité principale ne peuvent être regardées comme accessoires et donc exonérées de TVA. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 1er octobre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 369846, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5703NSZ). En l'espèce, une société exerce une activité d'émission et de vente de titres-restaurant soumise à la TVA. Elle perçoit une rémunération sous forme de commissions à l'occasion de la vente des titres, encaisse l'intégralité des fonds correspondant à la valeur faciale des titres qu'elle cède aux employeurs et place ces sommes auprès d'un établissement financier teneur de comptes, pendant un délai maximal de treize semaines. En principe, les produits financiers qui en résultent sont exonérés de TVA lorsque les opérations financières sont accessoires à l'activité principale. Toutefois, la Haute juridiction n'a pas donné raison à la société requérante car, eu égard à leurs caractéristiques, les opérations financières en cause, indissociablement liées à l'activité d'émission et de cession de titres-restaurant et normalement pratiquées par les organismes qui exercent celle-ci conformément à la réglementation en vigueur, en constituent non seulement le prolongement direct et permanent, mais aussi le prolongement nécessaire, la double circonstance qu'elles ne sont pas rendues obligatoires par la réglementation et qu'elles ne conditionnent pas la rentabilité de la société émettrice étant à cet égard indifférente. Ces opérations ne peuvent donc être regardées comme accessoires au sens de l'article 19 de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), sans qu'il soit besoin de tenir compte du critère quantitatif. Cette décision reprend notamment les solutions de plusieurs arrêts rendus par la CJUE (v. notamment : CJUE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94 N° Lexbase : A7255AH8, CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08 N° Lexbase : A5607EMM). La Haute juridiction administrative française a déjà fait respecter cette règle, notamment dans un arrêt publié au recueil rendu en 2011 (CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 315469, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8317HYP) .

newsid:449368

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.