La lettre juridique n°579 du 17 juillet 2014

La lettre juridique - Édition n°579

Éditorial

Des arrêtés "faits maison"... retoqués !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Juillet 2014


La mode -ou le marketing ; mais n'est-ce pas là la même lame de fond ?- est au "fait maison" ! Un nouveau décret savamment concocté nous promet donc la transparence dans les restaurants, non pas pour éviter les surgelés, mais du moins les plats assaisonnés hors cuisine. Le pouvoir réglementaire a cela de gaulois qu'il se niche dans n'importe quel poulailler, pour que la France puisse ainsi fièrement brandir la cocarde de son orgueilleuse cuisine... sans toutefois condamner les apprentis sorciers culinaires à devenir maîtres queux.

Du surgelé au réchauffé, il n'y a qu'un plat ; et c'est celui que mijotent, à intervalles estivaux réguliers, certains maires, lassés de laisser choir leur dernière parcelle d'autorité de police, que l'on avait cru pourtant abandonnée aux arrêtés anti-étendoirs Bitterois ou anti-déjections (canines), et qui font preuve d'une solitaire audace réglementaire qui n'est pas du goût de tous, loin s'en faut.

Ainsi, par conviction anti-communautariste, certains premiers magistrats de la cité adoptent, à Nice, un arrêté "anti-drapeaux étrangers", à Calais, un arrêté "anti-bivouac et anti-regroupement", ou encore un arrêté contre le port de signes religieux à "Wissous Plage". L'interdiction d'étendre son linge en pleine rue ou l'obligation de porter une blouse à l'école primaire pouvait faire sourire ; les contraventions à l'encontre des maîtres chiens, peu amènes à laisser la place nette, semblaient bien être une nécessité de salubrité publique ; la crainte de troubles de l'ordre public, la lutte contre l'insalubrité, amalgamée à la mendicité des migrants, ou encore l'application du principe de la laïcité à un établissement recevant du public, tout cela au nom du "vivre ensemble", n'auront pas convaincu les juges administratifs qui, suspendirent en référé, ces arrêtés mal enfournés, qui surfent avec l'illégalité républicaine alors qu'ils prétendent en défendre les valeurs. "Le mieux est l'ennemi du bien", dit le proverbe.

On pourrait, dès lors, facilement gloser sur ces "autocrates municipaux", que l'on aurait tôt fait de vouer aux gémonies "anti-droits de l'hommistes". Pourtant, si l'autorité municipale s'émeut, ici ou là, de préserver ce qu'elle nomme le "vivre ensemble", il faut y voir, même juridiquement mal appareillé, un attachement à l'unité de la communauté nationale et non une simple "salade niçoise". Après tout, dans "vivre ensemble", il y a "ensemble" : un idiome plutôt hospitalier, pour peu que la ville ne se transforme pas en "auberge espagnole".

La recette du "vivre ensemble" semble alors nécessiter des proportions justes, une exactitude pâtissière, aux saveurs multiples, mais pour une unicité de goût. Quant au "fait maison", tant revendiqué par ces mêmes défenseurs des valeurs culturelles françaises, ne consiste-t-il pas justement à tâtonner, à expérimenter risquant le plat indigeste, plus souvent que le trait culinaire de génie ?

Si seulement l'Etat ne se cantonnait pas à s'asseoir aux bonnes tables où il fait bon "vivre ensemble", pour partager sa recette de l'unité républicaine respectueuse de l'identité culturelle de tous, avec ces marmitons municipaux laissés à leur seule déroutante initiative pour toute cuisine réglementaire...

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Actes administratifs

[Jurisprudence] Précisions de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat sur le droit applicable en matière disciplinaire

Réf. : CE, Ass., 6 juin 2014, n° 351582, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0230MQL)

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par Pierre Bourdon, Maître de conférences, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le 17 Juillet 2014

La décision n° 351582 rendue par l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat le 6 juin 2014 apporte des précisions utiles sur le droit applicable en matière disciplinaire. D'une part, le Conseil d'Etat n'a pas reconnu l'existence d'un principe général du droit qui protégerait la liberté d'appréciation de l'autorité administrative en ce qui concerne l'opportunité des poursuites disciplinaires. Cette liberté est une simple règle du droit administratif à laquelle un décret peut déroger. D'autre part, le Conseil d'Etat a refusé d'appliquer à la procédure disciplinaire les articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 7 (N° Lexbase : L4797AQQ) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme dans leur volet pénal, ainsi que le principe constitutionnel de légalité des délits. Toutefois, le Conseil n'a vraisemblablement pas dit son dernier mot au sujet de l'applicabilité de ce principe. "La discipline peut remplacer bien des qualités. Aucune ne remplace la discipline" (1). L'école doit donc transmettre cette qualité essentielle aux élèves. Renforcer la discipline dans les collèges et les lycées est justement l'objectif du décret n° 2011-728 du 24 juin 2011, relatif à la discipline dans les établissements d'enseignement du second degré (N° Lexbase : L6418IQR). Le texte a modifié plusieurs articles du Code de l'éducation afin de réformer le régime des sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux élèves (2). La décision rendue le 6 juin 2014 par l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat concerne ce décret et, tout particulièrement, ses articles 2, 3, 5 et 9.

D'une part, les articles 3 et 5 du décret du 24 juin 2011 prévoient que le chef d'établissement dans les collèges et les lycées est tenu d'engager une procédure disciplinaire dans deux cas :

- "lorsque l'élève est l'auteur de violence verbale à l'égard d'un membre du personnel de l'établissement" ;
- ou "lorsque l'élève commet un acte grave à l'égard d'un membre du personnel ou d'un autre élève" (3).

Dans ces deux hypothèses, le chef d'établissement n'est pas libre d'apprécier l'opportunité des poursuites disciplinaires. Il est obligé d'engager une procédure à l'encontre de l'élève indiscipliné.

D'autre part, les articles 2 et 9 du décret instituent une commission éducative qui a pour mission d'examiner la situation des élèves dont le comportement est inapproprié. Cette commission est présidée par le chef d'établissement et comprend, notamment, au moins un parent d'élève, au moins un professeur et d'autres membres du personnel de l'établissement.

Par une requête enregistrée le 4 août 2011, un syndicat de parents d'élèves et un syndicat de lycéens ont saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir tendant principalement à l'annulation des articles précités du décret du 24 juin 2011. Trois questions de droit importantes étaient soulevées par la requête :

- la liberté d'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires par l'autorité administrative constitue-t-elle un principe général du droit ?
- à l'instar du principe constitutionnel de légalité des peines (4), le principe constitutionnel de légalité des délits s'applique-t-il aux sanctions disciplinaires ?
- les procédures disciplinaires sont-elles soumises aux articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans leur volet pénal ?

En raison de l'importance de ces questions, l'affaire a été inscrite directement en Assemblée par la quatrième sous-section du contentieux du Conseil d'Etat. Dans sa décision du 6 juin 2014, l'Assemblée a répondu négativement à la première et à la troisième question, mais n'a pas tranché la deuxième.

Une quatrième et dernière question était également soulevée par la requête. Il s'agissait de savoir s'il existe "un droit de participation des élèves du second degré", lequel aurait été méconnu puisque le décret ne prévoit pas la participation des élèves dans les nouvelles commissions éducatives. Le Conseil d'Etat a évidemment répondu négativement à cette question sur laquelle on ne s'attardera donc pas au cours de la présente analyse (voir les considérants n° 9 et n° 10).

Au demeurant, la décision rendue par le Conseil d'Etat apporte des précisions sur le droit applicable en matière disciplinaire, qu'il s'agisse de l'opportunité des poursuites (I) ou de la procédure de poursuite à proprement parler (II).

I - L'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires par l'autorité administrative : une liberté susceptible d'être limitée

Dans le considérant n° 4 de sa décision du 6 juin 2014, le Conseil d'Etat a estimé que la libre appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires par l'autorité administrative constitue, non pas un principe général du droit (A), mais une simple règle du droit administratif (B).

A - La liberté d'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires n'est pas un principe général du droit

Pour mémoire, les articles 3 et 5 du décret du 24 juin 2011 prévoient notamment que le chef d'établissement d'un collège ou d'un lycée est tenu d'engager une procédure disciplinaire "lorsque l'élève est l'auteur de violence verbale à l'égard d'un membre du personnel de l'établissement" ou lorsqu'il "commet un acte grave à l'égard d'un membre du personnel ou d'un autre élève". D'après les requérants, ces dispositions méconnaissaient un principe général du droit en faisant obligation aux chefs d'établissement d'engager des poursuites disciplinaires dans certains cas.

La liberté d'appréciation de l'opportunité des poursuites ou des sanctions, que l'on trouve à l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0951DYU), n'est pas inconnue en droit administratif. On sait depuis assez longtemps que dans le silence des textes législatifs et réglementaires, l'autorité de police dispose d'un "droit d'apprécier s'il convient de solliciter [...] l'autorité judiciaire" en cas d'infraction aux lois et règlements (5). L'autorité fiscale dispose du même "droit d'apprécier si elle doit donner une suite judiciaire" aux infractions fiscales (6). Il en va de même pour l'autorité hiérarchique d'un agent public qui "n'est pas tenu[e] d'engager des poursuites" en cas de manquement de toute personne envers cet agent (7). Enfin, il est acquis depuis récemment qu'une autorité de régulation, telle que l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, exerce "de sa propre initiative" le pouvoir de sanction dont elle dispose (8).

Dans le même sens que cette jurisprudence assez classique, le juge de la décision commentée a reconnu que, "dans le silence des textes, l'autorité administrative compétente apprécie l'opportunité des poursuites en matière disciplinaire". Mais le juge n'est pas allé plus loin que la jurisprudence classique. Il n'a reconnu "aucun principe général du droit" qui aurait fait "obstacle à ce qu'un texte réglementaire prévoie que, dans certaines hypothèses, des poursuites disciplinaires doivent être engagées".

La liberté d'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires n'est pas un principe général du droit. Elle n'est qu'une règle du droit administratif.

B - La liberté d'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires est une règle du droit administratif

C'est seulement "dans certaines hypothèses" qu'un décret peut obliger l'autorité administrative compétente à engager des poursuites disciplinaires. Si la libre appréciation de l'opportunité des poursuites ne fait pas l'objet d'une protection absolue, il faut donc au moins lui reconnaître une protection relative. Le communiqué de presse de la décision publié sur le site internet du Conseil d'Etat qualifie d'ailleurs la libre appréciation de l'opportunité des poursuites de "règle". Plusieurs décisions mentionnées en amont l'ont qualifié de "droit" (9). Il s'agit finalement d'une règle du droit administratif.

En outre, le Conseil d'Etat a indiqué, obiter dictum, que l'obligation faite au chef d'établissement d'engager des poursuites disciplinaires pouvait être écartée pour des motifs d'intérêt général, tels que "les nécessités de l'ordre public". Ainsi, lorsque les poursuites disciplinaires risquent de créer un certain désordre au sein du collège ou du lycée, le chef d'établissement est libre de ne pas enclencher les poursuites, de les différer, voire de les abandonner.

Ce faisant, le Conseil d'Etat a confirmé et étendu à la matière disciplinaire sa jurisprudence rendue en matière de contravention de grande voirie. En effet, par une décision de Section "Association des 'Amis des chemins de ronde'" de 1979 (10), le Conseil d'Etat a jugé que "les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l'utilisation normale des rivages de la mer et d'exercer à cet effet les pouvoirs qu'elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie [...] ; que, si l'obligation ainsi faite à ces autorités trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont elles ont la charge et, notamment, dans les nécessités de l'ordre public, elles ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative".

En suivant le même raisonnement, on aurait pu penser que certains droits, tels que le principe de légalité des délits, soient applicables aux procédures disciplinaires, puisqu'ils le sont déjà aux procédures de contravention de grande voirie (11). Mais le Conseil d'Etat ne s'est pas engagé dans cette voie (pour le moment).

II - La procédure de poursuite disciplinaire : des droits relativement restreints pour l'indiscipliné

Dans les considérants n° 5 à 8 de sa décision, le Conseil d'Etat n'a pas appliqué à la procédure de poursuite disciplinaire, d'une part, le principe constitutionnel de légalité des délits (A) et, d'autre part, les articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans leur volet pénal (B).

A - L'inapplicabilité en l'espèce du principe constitutionnel de légalité des délits

D'après les requérants, les termes "violence verbale" et "acte grave" figurant aux articles 3 et 5 du décret manquaient de clarté et de précision. Il en résultait une violation du "principe de légalité des délits" ou, pour mieux dire, du "principe de légalité des manquements disciplinaire". Ce principe Nullum crimen sine lege est protégé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen d'après lequel "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Dans le même sens, l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) précise que "la loi fixe les règles concernant [...] la détermination des crimes et délits [...]".

Le Conseil constitutionnel en déduit une "obligation pour le législateur de fixer les règles concernant la détermination des infractions" et "que, par voie de conséquence, il doit en définir les éléments constitutifs en des termes clairs et précis" (12). Le juge constitutionnel a dit pour droit que "ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire" (13).

Dans le sillage de cette jurisprudence, le Conseil d'Etat déduit du principe de légalité des délits "que les éléments constitutifs des infractions soient définis de façon précise et complète". Le juge administratif estime, de manière constante (14), que ce principe "s'applique aux sanctions administratives au même titre qu'aux sanctions pénales" (15). Le principe s'applique également depuis une décision de Section "Petit" de 2009 (16) aux "sanctions [...] infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire".

En revanche, une décision "Matelly" de 2010 (17) a maintenu l'inapplicabilité du principe de légalité des délits aux procédures disciplinaires mises en oeuvre "à l'égard des agents publics". Dans le même sens, plusieurs auteurs, et pas les moins éminents, ont écrit en faveur de l'inapplicabilité du principe de légalité des délits aux procédures disciplinaires (18). Toutefois, dans une décision rendue en 2012 à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, d'ailleurs renvoyée par le Conseil d'Etat (19), le Conseil constitutionnel a admis l'applicabilité du principe de légalité des délits aux procédures disciplinaires mises en oeuvre contre les maires, lesquels sont, à certains égards, des agents publics élus par le peuple (20).

Les décisions de 2009 et 2012 allaient-elles pousser le Conseil d'Etat à étendre l'applicabilité du principe de légalité des délits ou le Conseil allait-il rester sur sa jurisprudence rappelée par la décision de 2010 ? Le juge de la décision du 6 juin 2014 s'est abstenu de trancher cette question. C'est la raison pour laquelle le communiqué de presse de la décision publié sur le site internet du Conseil d'Etat est resté totalement silencieux sur ce point.

Ainsi, l'argumentation des requérants concernant la méconnaissance du principe de légalité des délits a été écartée, sans que le juge administratif ne statue en amont sur l'applicabilité du principe. Dans un premier temps, le juge s'en est tenu à observer que les articles 3 et 5 du décret "ne définissent pas d'obligation dont la méconnaissance constituerait un manquement disciplinaire", mais envisagent uniquement des "modalités spécifiques d'engagement des poursuites disciplinaires". Dans un second temps, le juge en a déduit que le principe de légalité des délits n'était pas méconnu "en tout état de cause". Autrement dit, comme les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet, ni pour effet, de déterminer un manquement disciplinaire, le principe de légalité des délits ne pourrait pas être violé dans l'hypothèse où il serait applicable.

Quoi qu'il en soit, on observe une évolution allant dans le sens d'une applicabilité du principe de légalité des délits à la procédure disciplinaire. A l'inapplicabilité claire et nette de la décision "Matelly" de 2010 s'est substitué le silence de la décision du 6 juin 2014. Or, l'on sait que la tendance en droit administratif est que le silence vaille acceptation (21).

Le meilleur rempart contre l'applicabilité du principe de légalité des délits en matière disciplinaire tient dans l'existence d'un lien exclusif de subordination entre l'autorité disciplinaire et l'auteur de l'indiscipline. La subordination implique plutôt de laisser à l'autorité supérieure la liberté d'apprécier si le comportement du subordonné constitue une faute susceptible d'être sanctionnée. A défaut, le subordonné pourrait, par exemple, se cacher derrière le principe de légalité des délits après avoir méconnu certaines directives de l'autorité supérieure. Le lien de subordination s'en trouverait affecté. La discipline aussi (22).

Toutefois, il faut remarquer une tendance récente à l'accumulation de textes sur la "déontologie" des agents de la fonction publique, qu'il s'agisse, par exemple, des juges (23) ou, plus généralement, des fonctionnaires (24). N'est-ce pas une reconnaissance implicite de l'applicabilité du principe de légalité des délits aux procédures disciplinaires ? Le juge de la décision commentée s'est fondé sur d'autres motifs pour écarter l'argumentation des requérants concernant les articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

B - L'inapplicabilité en général des articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans leur volet pénal

D'après les requérants, le manque de clarté et de précision des termes "violence verbale" et "acte grave" violait également le principe de légalité des délits "qui résulterait [...] des stipulations des articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". 

Le principe de légalité des délits figure à l'article 6, paragraphe 3, de la Convention, d'après lequel "tout accusé a droit notamment à [...] être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui". Plus explicitement, l'article 7, paragraphe 1, stipule que, "nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international". La Cour européenne des droits de l'Homme estime qu'il résulte du principe de légalité des délits "qu'une infraction doit être clairement définie par la loi" (25).

Pour écarter l'argumentation des requérants, le Conseil d'Etat aurait pu s'en tenir à reprendre le raisonnement formulé à propos du principe constitutionnel de légalité des délits. Mais, plus largement, le Conseil a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la Convention dans leur volet pénal n'étaient pas applicables aux procédures disciplinaires. Ce faisant, le juge de la décision du 6 juin 2014 a respecté la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui considère également que les articles de la Convention dans leur volet pénal ne sont pas applicables aux procédures disciplinaires (26).

Ainsi, le Conseil d'Etat a rappelé que les poursuites ou les sanctions susceptibles d'être mises en oeuvre contre les élèves ont une "nature disciplinaire", ce qui n'a rien à voir avec une procédure pénale. En particulier, le juge a souligné implicitement que les "conséquences" d'une procédure disciplinaire ne sont pas comparables aux conséquences d'une accusation ou d'une condamnation en matière pénale. Une sanction pénale consiste généralement en une amende ou une peine privative de liberté, alors qu'une sanction disciplinaire ne porte atteinte qu'au statut de l'élève.

En conclusion, si l'on devait choisir, il serait difficile de dire si la décision commentée est plus favorable à l'autorité disciplinaire ou à l'auteur de l'indiscipline. D'un côté, la décision juge que l'appréciation de l'opportunité des poursuites disciplinaires par l'autorité administrative est une liberté susceptible d'être limitée. L'autorité administrative et l'indiscipliné n'ont rien à gagner d'une telle limitation. La première perd une marge de manoeuvre dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire. Le second perd une première chance de voir un manquement absous. D'un autre côté, la décision confirme que les droits de l'indiscipliné sont relativement restreints à l'occasion de la procédure de poursuite disciplinaire. Ici, l'autorité disciplinaire sort a priori gagnante d'une telle restriction.

Mais le Conseil d'Etat n'a apparemment pas dit son dernier mot au sujet de l'applicabilité du principe constitutionnel de légalité des délits à la procédure disciplinaire. Il faudra attendre une prochaine décision du Conseil pour que soit apportée une réponse tranchée. Après tout, à chaque jour suffit sa peine ! Surtout en matière disciplinaire.


(1) G. Le Bon, Les incertitudes de l'Heure présente, Ernest Flammarion, Paris, 1923, p. 163.
(2) JORF n° 147 du 26 juin 2011, p. 10876.
(3) L'article 3 du décret modifie dans les mêmes termes l'article R. 421-85 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L6605IQP), relatif aux établissements professionnels maritimes.
(4) CE, 30 mars 1962, n° 27449, 27450, publié au recueil Lebon, p. 237.
(5) CE, Ass., 20 mars 1974, n° 90547, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3651B8Q), p. 200.
(6) CE 7° et 8° s-s-r., 5 novembre 1980, n° 16212, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6627AIB), p. 658.
(7) CE, Sect., 18 mars 1994, n° 92410, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2251B8U), p. 147.
(8) CE, Sect., 30 novembre 2007, n° 293952, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9662DZU), p. 459.
(9) Cf. supra, notes 6 et 7.
(10) CE, Sect., 23 février 1979, n° 04467, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2200AKP), p. 75.
(11) Cf. notamment C. gén. prop. pers. pub., art. L. 2132-2 (N° Lexbase : L4571IQD).
(12) Cons. const., décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 (N° Lexbase : A8107ACA), Rec. CC, p. 32.
(13) Cons. const., décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 (N° Lexbase : A8194ACH), Rec. CC, p. 18 ; cf. également Cons. const., décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8202ACR), Rec. CC, p. 71.
(14) CE, Ass., 7 juillet 2004, n° 255136, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7719KHD), p. 297.
(15) CE 2° et 6° s-s-r., 9 octobre 1996, n° 170363, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1383APW), pp. 690, 738.
(16) CE, Sect., 12 octobre 2009, n° 311641, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0760EM4), p. 367 ; revirement de jurisprudence CE 4° s-s., 30 mars 2005, n° 254244, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4337DH4).
(17) CE 2° et 7° s-s-r., 9 avril 2010, n° 312251, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5657EU3), p. 825.
(18) R. Odent, Contentieux administratif, tome 2, réédition, Dalloz, Paris, 2007, p. 666 ; B. Genevois, Principes généraux du droit, in Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, Paris, 2014, n° 964.
(19) CE 9° et 10° s-s-r., 24 octobre 2011, n° 348771, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8467HYA).
(20) Cons. const., décision n° 2011-210 QPC du 13 janvier 2012 (N° Lexbase : A1027IAB), JORF, 2012, p. 753 ; cf. également Cons. const., décision n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 (N° Lexbase : A9892MHT), JORF, 2014, p. 6202.
(21) Cf. loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens, art. 1er, I 2° (N° Lexbase : L5155IYL), JORF, n° 263 du 13 novembre 2013, p. 18407.
(22) "La première loi de la discipline est qu'un supérieur ne doit jamais avoir tort" a écrit Alexandre Dumas dans Vie et aventures de John Davys, Revue de Paris, tome VII, 1839, p. 100.
(23) Cf. le Recueil des obligations déontologiques des magistrats [judiciaires] publié en 2010 et la Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative publiée en 2011.
(24) Cf. le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2013.
(25) CEDH, 22 novembre 1995, Req. 47/1994/494/576 (N° Lexbase : A8378AW9), série A, n° 335-B, par. 35.
(26) CEDH, 13 septembre 2007, Req. 27521/04 (N° Lexbase : A3375MT8).

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Litige entre avocats : incompétence du Bâtonnier en présence d'une clause compromissoire

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0579MUY)

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Le 17 Juillet 2014

Aux termes d'un arrêt rendu le 9 juillet 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation énonce que, lors d'un litige entre avocats une clause compromissoire est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) (Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I N° Lexbase : A0579MUY ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9258ET3). En l'espèce, Me X., après avoir rejoint la société anglaise d'avocats le partnership Z en qualité d'associé à Paris, a, à la suite de dissensions sur sa rémunération, saisi le Bâtonnier de Paris d'une demande d'arbitrage contre M. Y. qui lui avait succédé au sein du cabinet à Paris et le cabinet Z alors que ce dernier avait engagé une procédure d'arbitrage à Londres en application de la clause compromissoire des statuts du cabinet. Par son arrêt du 30 janvier 2013, la cour d'appel de Paris confirme la sentence du 12 avril 2011 par laquelle l'arbitre unique désigné par le Bâtonnier du barreau de Paris, s'est déclaré incompétent et l'a renvoyé à mieux se pourvoir (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 30 janvier 2013, n° 11/08593 N° Lexbase : A4168I47). Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation va approuver la solution des juges parisiens. En effet, la Haute juridiction énonce que s'agissant d'un litige entre avocats, une clause compromissoire est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 attribuant compétence au Bâtonnier.

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Avocats/Publicité

[Jurisprudence] Sollicitation personnalisée et publicité personnelle de l'avocat : vive la liberté, vite des règles !

Réf. : CA Versailles, 14 mai 2014, n° 13/04017 (N° Lexbase : A0487MLM)

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N3173BU3

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 17 Juillet 2014

La nature a horreur du vide. La réglementation de la profession d'avocat aussi. En témoigne l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 14 mai 2014 qui sacralise le démarchage dans la profession d'avocat comme une vertu du libéralisme européen tel qu'énoncé par la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), dans son article 24 paragraphe 1 :
"Article 24
Communications commerciales des professions réglementées
1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées
". La cour d'appel de Versailles a jugé que n'emportait pas un trouble manifestement illicite l'opération de démarchage et de publicité mise en oeuvre, via un site internet, par une société commerciale faisant appel exclusivement à des avocats pour défendre les intérêts d'une clientèle d'automobilistes ayant commis des infractions au Code de la route.

Un cabinet d'avocats a introduit une action en concurrence déloyale à l'encontre de cette société commerciale, demandant la fermeture du site internet dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

L'action du cabinet d'avocats a été jugée recevable, celui-ci ne prétendant pas agir pour la défense générale de la profession d'avocat, mais arguant de pratiques trompeuses et de démarchage illicite constitutifs de concurrence déloyale, et se prévalant d'une atteinte particulière à ses conditions personnelles d'exercice, dans le domaine spécifique du droit routier et des infractions s'y rapportant, ce qui suffisait à caractériser ses intérêt et qualité nécessaires à la recevabilité de son action, la circonstance qu'elle ne bénéficie pas d'un monopole dans ce domaine et que celui-ci ne constitue pas une spécialité répertoriée de la profession d'avocat étant parfaitement indifférente.

La cour de Versailles a relevé que les pages auxquelles il était renvoyé par divers clics fournissaient des informations d'ordre général, même si elles étaient relativement détaillées, sur la nature des infractions routières, leurs sanctions, les actions à entreprendre et l'objectif à atteindre, sans aucune indication se rapportant à la garantie d'un résultat précis.

Mais, en outre et surtout, la cour d'appel a jugé que, si l'existence, l'objet et la présentation du site en cause pouvaient effectivement s'analyser comme une opération de démarchage et de publicité antérieurement prohibée au sens de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), à la date des constats dressés par huissiers sur demande du cabinet d'avocats demandeur, l'article 24, paragraphe 1, de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 faisait déjà obstacle à ce qu'une réglementation nationale interdise totalement aux membres d'une profession réglementée d'effectuer des actes de démarchage.

De plus, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX) par son article 13, a complété l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971, qui dispose désormais que dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée et que toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires.

Dès lors, le cabinet d'avocats ne démontrait pas l'existence actuelle d'un trouble manifestement illicite résultant par principe de ce seul démarchage.

Nous regrettons que les débats qui ont donné lieu à cet arrêt de la cour d'appel de Versailles n'aient pas été d'une plus grande qualité, ce qui peut expliquer des motifs critiquables et une solution qui, si elle avait valeur de principe, ce qui n'est heureusement pas le cas, serait grandement dommageable pour la profession d'avocat.

Un cabinet d'avocats estimant qu'il était victime de concurrence déloyale avait-il intérêt et qualité à agir à l'encontre d'une société commerciale, au motif que cette société, a priori non composée d'avocats mais renvoyant sur son site internet à un cabinet d'avocats, lui faisait concurrence en violation des règles de la profession d'avocat sur le démarchage ?

Il est permis de penser qu'un Ordre d'avocats aurait pu justifier de cet intérêt et de cette qualité à agir de façon plus certaine, et surtout, que les moyens de droit avancés auraient été plus pertinents.

La profession d'avocat, comme celles de détective, de buraliste, de puéricultrice, de diététicien, d'éducateur sportif est une profession réglementée ; comme celle d'expert-comptable, d'ailleurs.

Rappelons que, contrairement à une idée reçue, bien que soumises à une réglementation importante, ne sont pas, par exemple, des professions réglementées les professions de coiffeur, chauffeur de taxi, maréchal-ferrant, ramoneur ou débitant de boissons.

Précisons que les professions d'astrologue, de voyant, de marabout, de sorcier, de consultant feng shui et de sourcier ne sont pas réglementées. La répression des fraudes (DGCCRF) chargée de faire appliquer les réglementations ne peut souvent pas mettre à l'amende ces professionnels. Mais le droit pénal protège les personnes vulnérables (abus de faiblesse) et combat le banditisme (escroquerie en droit pénal français).

En ce qui concerne la profession d'avocat, l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 31 décembre 1990 dispose :

"Les avocats sont des auxiliaires de justice.

Ils prêtent serment en ces termes : 'Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité' [...]".

La Directive européenne du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, visée par la cour d'appel de Versailles dans son arrêt, a apporté un vent de fraîcheur dans ce texte jugé, par certains, désuet.

Encore que, les Etats membres ont supprimé "toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées". A contrario, ne sont pas visées les interdictions partielles.

Au visa de l'article 24, paragraphe 1er, de cette Directive, par arrêt en date 5 avril 2011, la CJUE avait considéré qu'une réglementation nationale ne pouvait interdire totalement aux experts comptables d'effectuer des actes de démarchage (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3).

Le motif décisoire de la CJUE était, très naturellement, la référence à une "interdiction totale" des communications commerciales des professions réglementées.

Ce qui nous conduit à dire que de nombreux commentateurs de cet arrêt selon lesquels il sonnait le glas de l'interdiction du démarchage dans la profession d'avocat allaient un peu vite dans leurs conclusions.

L'article 13 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation introduit dans notre droit la règle posée par la Directive de 2006.

Il dispose :

"L'article 3 bis de la loi du n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée.

Toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet s'une convention d'honoraires".

L'interdiction totale visant les communications commerciales des professions commerciales réglementées, en l'occurrence celle d'avocat, est donc levée. La publicité personnelle de l'avocat (laquelle était déjà autorisée, bien que réglementée) et la sollicitation personnalisée sont autorisées... mais dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat.

A notre connaissance, le CNB (Conseil national des barreaux) et la Chancellerie se concertent sur les termes d'un décret en préparation qui, à ce jour, n'a pas encore été publié.

Gageons que ce décret à venir, où bien il n'aurait aucun intérêt, encadrera la publicité personnelle de l'avocat et la sollicitation personnalisée.

La nature a horreur du vide. Mais sommes-nous à ce jour, dans l'attente du décret en Conseil d'Etat, totalement dans le "vide" à l'égard de la publicité et de la sollicitation personnalisée?

Un Ordre d'avocat aurait pu utilement faire valoir devant la cour d'appel de Versailles, non pas que les intérêts particuliers d'un cabinet d'avocats étaient en cause, mais bien l'intérêt général de la profession d'avocat.

En rappelant, notamment, certains principes et certaines règles qui ne sont remis en cause ni par la Directive de 2006, ni par la loi du 17 mars 2014.

1 - Le serment de l'avocat fait peser sur lui des obligations : "Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".

Toute publicité et toute sollicitation personnalisée doit être examinée à l'aune des termes de ce serment.

2 - L'article 1er du RIN (Règlement intérieur national N° Lexbase : L4063IP8) énonce les principes essentiels de la profession :

"Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l'avocat en toutes circonstances.

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence".

3 - L'article 10 du RIN relatif à la publicité de l'avocat devra certes être modifié, c'est une évidence, notamment en ce qu'il prohibe tout acte de démarchage et toute offre personnalisée, dispositions devenues contraires à la loi du 17 mars 2014.

Mais certaines des disposions de l'article 10.2 du RIN sont-elles contraires à la loi nouvelle ?

Rappelons les :

"Quelle que soit la forme de publicité utilisée, sont prohibées :

- toute publicité mensongère ou contenant des renseignements inexacts ou fallacieux ;

- toutes mentions laudatives ou comparatives ;

- toutes mentions susceptibles de créer l'apparence d'une qualification professionnelle non reconnue ;

- toutes mentions susceptibles de créer dans l'esprit du public l'apparence d'une structure d'exercice inexistante ;

- toutes références à des fonctions ou activités sans lien avec l'exercice de la profession d'avocat ;

- toutes mentions susceptibles de porter atteinte au secret professionnel ;

- toutes indications contraires à la loi".

4 - L'article 15.1 du RIN n'est pas concerné par les dispositions de la loi du 17 mars 1014. Il dispose :

"Il est interdit à l'avocat de partager un honoraire quelle qu'en soit la forme avec des personnes physiques ou morales qui ne sont pas avocats".

Outre la prohibition du partage d'honoraires avec des personnes non avocats, rappelons la prohibition de la rémunération des apporteurs d'affaires, les règles relatives à la fixation des honoraires de l'avocat qui font obstacle à ce que sa rémunération soit fixée forfaitairement par un intermédiaire et les principes essentiels de la profession rappelés ci-dessus.

5 - La réglementation de l'exercice du droit fait obstacle à ce que des personnes physiques ou morales non autorisées donnent des conseils juridiques ou rédigent des actes sous seing privé, a fortiori assistent ou représentent des justiciables devant des juridictions.

Notre propos n'est pas de rappeler ces règles dans le détail.

Mais assurément, une entreprise commerciale n'a pas vocation à adresser au public des offres de services juridiques ou de défense, quand bien même elle ferait référence via son site internet à des "avocats correspondants" dont les conditions d'intervention et de rémunérations demeurent inconnues si ces derniers n'ont pas, comme ils en ont l'obligation déontologique, informé préalablement leur Ordre de la publicité personnelle qu'ils font, et s'ils n'ont pas communiqué à leur Ordre les conventions passées avec des tiers.

La publicité personnelle de l'avocat est sans doute devenue, aujourd'hui, une impérieuse nécessité dans un environnement concurrentiel de plus en plus rude, que cette concurrence soit le fait de membres de la profession, ou à plus forte raison, qu'elle émane de personnes extérieures à la profession.

Sans doute l'avocat doit-il se faire connaître et faire connaître ce qu'il fait.

Le décret en Conseil d'Etat annoncé par la loi du 17 mars 2014 fixera les conditions du recours de l'avocat à la publicité et à la sollicitation personnalisée.

Souhaitons que ce texte préserve les principes essentiels de la profession, tous les principes essentiels.

Souhaitons que ce texte soit publié rapidement.

Décision

CA Versailles, 14 mai 2014, n° 13/04017 (N° Lexbase : A0487MLM)

Liens base : (N° Lexbase : E9500ETZ) et (N° Lexbase : E6368ETZ)

newsid:443173

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Exonération des produits financiers que les CARPA perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation des fonds déposés par les avocats

Réf. : CE Contentieux, 4 juillet 2014, n° 361316, Publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3121MU7)

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N3203BU8

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Le 19 Juillet 2014

Les produits financiers que les CARPA perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation des fonds déposés par les avocats ne procèdent pas d'une activité de gestion patrimoniale, mais sont inhérents à la réalisation même de leur objet social, tel qu'il est défini par les textes qui les régissent. Par conséquent, ces produits ne sont pas assujettis à l'impôt sur les sociétés, même à taux réduit. Telle est la portée d'un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 4 juillet 2014 (CE Contentieux, 4 juillet 2014, n° 361316, Publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3121MU7 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E7110ETI). Le Haut conseil casse ainsi l'arrêt de la cour d'appel administrative de Lyon du 24 mai 2012 (CAA Lyon, 5ème ch., 24 mai 2012, n° 11LY01141, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8185INH ; lire B. Thévenet, Assujettissement à l'IS des revenus mobiliers tirés du placement des sommes déposées dans les caisses des CARPA : la sanction de la rente, Lexbase Hebdo n° 491 du 28 juin 2012 N° Lexbase : N2635BTR) qui avait décidé que les produits financiers que les CARPA perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation des fonds déposés par les avocats procèdent d'une activité de gestion patrimoniale et doivent ainsi donc être imposés. Après avoir rappelé que doivent être compris dans les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au taux réduit les revenus de capitaux mobiliers dont une association dispose, notamment les produits des placements en attente d'emploi, alors même que l'association n'en aurait la disposition qu'à titre de dépositaire, la Conseil précise, comme la cour administrative d'appel, que, en revanche, sont exceptées de ces bases celles des recettes de l'association qui lui ont été procurées par une activité indissociable du but non lucratif poursuivi par elle et dont la perception découle, non de la mise en valeur d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social, mais n'en tire pas les mêmes conséquences. En effet, le Haut conseil considère, que les produits financiers qu'elles perçoivent dans le cadre de leur mission de conservation de ces fonds ne procèdent pas d'une activité de gestion patrimoniale mais sont inhérents à la réalisation même de leur objet social, car il résulte des dispositions du 9° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et des articles 241 et 235-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), d'une part, que la création des CARPA a été rendue obligatoire avec pour objet de recevoir, de conserver et de manier les fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients avant qu'ils ne soient reversés à leurs bénéficiaires et, d'autre part, que le financement des missions d'intérêt collectif de la profession et des missions d'intérêt général prévues par l'article 235-1 du décret du 27 novembre 1991 entre dans l'objet assigné aux CARPA.

newsid:443203

Baux commerciaux

[Brèves] Régularisation du congé qui n'est pas délivré par le propriétaire des lieux loués

Réf. : Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-16.655, FS-P+B (N° Lexbase : A4105MUL)

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N3242BUM

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Le 17 Juillet 2014

Le propriétaire des lieux loués couvre l'irrégularité de fond entachant un congé délivré par celui qui n'est plus le propriétaire des lieux loués s'il manifeste par des actes positifs son intention d'exécuter le congé. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2014 (Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-16.655, FS-P+B N° Lexbase : A4105MUL). En l'espèce, par acte du 29 avril 1987, un local industriel avait été donné à bail commercial. Par acte du 29 mai 1990, l'immeuble a été vendu. Un tiers avait acquis le fonds de commerce exploité dans les locaux loués, le vendeur de ces derniers ayant déclaré agréer la cession. Par acte du 29 octobre 2004, le vendeur de l'immeuble a délivré congé au cessionnaire pour le 30 avril 2005, sans offre de renouvellement, avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction. Le preneur avait assigné par actes des 10 avril 2007 et 1er octobre 2008 le vendeur et l'acheteur de l'immeuble en paiement d'une indemnité d'éviction. Ces derniers ont soulevé la nullité du congé délivré par une personne qui n'était plus bailleresse. Les juges du fond ayant retenu que l'acquéreur de l'immeuble et le cessionnaire avaient entendu se prévaloir du congé du 29 octobre 2004 (CA Pau, 26 février 2013, n° 13/807 N° Lexbase : A5477I8D), le vendeur et l'acquéreur de l'immeuble se sont pourvus en cassation. Le pourvoi a été rejeté au motif que le propriétaire des lieux loués couvre l'irrégularité de fond entachant un congé délivré par celui qui n'est plus le propriétaire des lieux loués s'il manifeste par des actes positifs son intention d'exécuter le congé. En l'espèce, les juges du fond avaient relevé que l'acquéreur de l'immeuble avait adressé, en qualité de bailleur, quatorze factures de paiement d'indemnités d'occupation au preneur à partir de la date d'expiration du bail au 1er mai 2005 alors qu'il avait adressé des factures de loyer sur la période antérieure et qu'il avait convié la locataire à un rendez-vous d'état des lieux de sortie. Il pouvait donc en être déduit que l'acquéreur avait expressément entendu exécuter le congé délivré par le vendeur bien qu'entaché d'une irrégularité de fond. Le preneur pouvait, en conséquence, bénéficier de l'indemnité d'éviction qui lui avait été offerte par ce congé (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E9625AE9).

newsid:443242

Baux d'habitation

[Brèves] Manquement du locataire à l'obligation d'user paisiblement de la chose louée justifiant la résiliation du bail : le juge doit examiner l'ensemble de la situation à la date de sa décision

Réf. : Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-14.802, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1885MUD)

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N3266BUI

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Le 19 Juillet 2014

Le juge saisi d'une action relative à la résiliation d'un bail doit examiner l'ensemble de la situation, et donc des manquements commis, à la date où il rend sa décision. Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt rendu le 9 juillet 2014 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-14.802, FS-P+B+I N° Lexbase : A1885MUD). En l'espèce, un office public d'HLM, invoquant les manquements de Mme X et des occupants de son chef à l'obligation d'user paisiblement de la chose louée, avait assigné la locataire en résiliation du bail du 5 octobre 2005 et en expulsion de tous occupants du logement. Le tribunal d'instance avait accueilli cette demande et ordonné l'expulsion qui avait été exécutée le 7 août 2012. Pour infirmer le jugement, la cour d'appel de Versailles avait retenu que, pendant l'année suivant les faits d'agression du 15 juillet 2011, constitutifs d'un manquement grave mais non renouvelé à l'obligation de jouissance paisible des lieux, jusqu'à l'expulsion, aucun autre trouble n'avait été reproché à la locataire et que les autres faits constitutifs d'agressions qui auraient été commis par les enfants de Mme X s'étaient déroulés dans des immeubles relativement éloignés (CA Versailles, 29 janvier 2013, n° 12/05864 N° Lexbase : A1413I44). La décision est censurée par la Cour suprême qui relève que le bailleur, tenu d'une obligation d'assurer la jouissance paisible des autres locataires, invoquait l'agression commise le 30 août 2012 contre une locataire de l'immeuble par les enfants de Mme X, en présence de celle-ci ; aussi, la cour d'appel, qui n'avait pas recherché, comme il lui était demandé, si la répétition de faits de même nature que ceux dénoncés dans l'assignation ne rendait pas impossible le maintien des liens contractuels, n'avait pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1728 (N° Lexbase : L1850AB7) et 1741 (N° Lexbase : L1863ABM) du Code civil.

newsid:443266

Collectivités territoriales

[Brèves] Dispositif de protection d'une propriété privée contre des éboulements : obligation de financement de la commune

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2014, n° 360835, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3117MUY)

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N3233BUB

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Le 23 Juillet 2014

Le maire d'une commune ne peut légalement refuser d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8694AAA) pour ordonner, aux frais de la commune, la réalisation des mesures de protection exigées par les circonstances pour assurer la mise en sécurité des immeubles appartenant à une copropriété et qui sont exposés au risque de chutes de rochers, énonce le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 juillet 2014 (CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2014, n° 360835, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3117MUY). L'arrêt attaqué (CAA Lyon, 4ème ch., 3 mai 2012, n° 11LY00157 N° Lexbase : A5301IPZ) a jugé que la construction d'un dispositif destiné à protéger une seule propriété privée du risque de chute de pierre provenant d'un massif montagneux ne présente pas un intérêt collectif susceptible de le faire concourir à la préservation de la sécurité publique au sens des dispositions de l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3470ICI) et d'en nécessiter le financement communal. La Haute juridiction relève, au contraire, que le danger d'éboulement de rochers pesant sur l'immeuble et sur le terrain de la copropriété justifiait la mise en oeuvre par le maire des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 2212-4 du même code pour mettre en place un dispositif de protection tel que des filets de sécurité ou la construction d'une digue. La circonstance que le danger concerne au premier chef un ensemble de propriétaires réunis dans une copropriété ne saurait le faire regarder comme n'intéressant pas la sécurité publique, ni retirer aux travaux de protection leur caractère de travaux d'intérêt collectif. Il incombait donc à la commune de réaliser ces travaux à ses frais. Il lui appartiendrait seulement, si elle estimait que le manquement des copropriétaires à des obligations leur incombant a contribué à la création de la situation de risque, d'exercer à leur encontre une action tendant à mettre en cause leur responsabilité civile.

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Contrats administratifs

[Brèves] Cas d'un contrat ne mentionnant pas de délai de réalisation de l'ouvrage : notion de délai raisonnable invocable par le maître d'oeuvre

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 4 juillet 2014, n° 371633, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3156MUG)

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N3234BUC

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Le 23 Juillet 2014

Le silence du contrat sur la détermination du délai de réalisation de l'ouvrage ne peut être regardé comme permettant au maître d'ouvrage de retarder pendant une durée indéfinie l'exécution de l'engagement qu'il a contracté. Par suite, le maître d'oeuvre peut utilement se prévaloir devant le juge d'un moyen tiré de ce que l'ouvrage devait être mis à sa disposition dans un délai raisonnable, relève le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 4 juillet 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 4 juillet 2014, n° 371633, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3156MUG ; sur l'obligation de l'entrepreneur de livrer les travaux dans un délai raisonnable, voir Cass. civ. 3, 16 mars 2011, n° 10-14.051, FS-P+B N° Lexbase : A1689HDW).

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Rémunération

[Brèves] Le principe "à travail égal salaire égal" ne peut être invoqué si le salarié n'est pas dans la même situation que les salariés avec lesquels il se compare

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 12-30.192, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A4200MU4)

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N3273BUR

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Le 22 Juillet 2014

N'est pas dans la même situation que les salariés avec lesquels elle se comparait, la salariée qui n'assumait pas l'intégralité des missions confiées aux autres enseignants, notamment le suivi de l'enseignement dans les matières enseignées de calcul différentiel et d'algèbre et dont la part de temps de travail affectée à la recherche était réduite. Telle est la solution d'un arrêt rendu le 9 juillet 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 12-30.192, FS-P+B sur le premier moyen N° Lexbase : A4200MU4).
Dans cette affaire, Mme X a été engagée en septembre 2000 en qualité de chargée d'enseignement au sein de l'Institut de Mathématiques appliquées par l'association Y, sans contrat écrit pour la durée de l'année universitaire. Après que des contrats ont été conclus, chaque année, dans les mêmes conditions jusqu'en 2005, elle a conclu avec l'association, à compter du mois de septembre 2005, des contrats à durée déterminée d'usage couvrant l'année universitaire. A la fin de l'année universitaire 2008-2009, elle a présenté sa candidature à un poste d'enseignant chercheur en statistiques et probabilités ouvert par l'Institut de Mathématiques appliquées. Le poste n'a pas été attribué, le processus de recrutement ayant été interrompu et la salariée a alors saisi la juridiction prud'homale pour demander la requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée, sa classification comme enseignant chercheur ou, subsidiairement, comme enseignant permanent, les rappels de salaire correspondants, des dommages et intérêts pour refus d'attribution du poste d'enseignant chercheur en raison de son âge. La cour d'appel d'Angers ayant rejeté ses demandes (CA Angers, 28 août 2012, n° 10/02460 N° Lexbase : A0370ISI), pourvoi a été formé. En vain. En effet, la Haute juridiction approuve les juges angevins d'avoir relevé que la salariée n'assumait pas l'intégralité des missions confiées aux autres enseignants, notamment le suivi de l'enseignement dans les matières enseignées de calcul différentiel et d'algèbre et que sa part de temps de travail affectée à la recherche était réduite, et d'en avoir déduit qu'elle n'était pas dans la même situation que les salariés avec lesquels elle se comparait (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0719ETS).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2014

Lecture: 12 min

N3164BUQ

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

Le 17 Juillet 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Les auteurs de cette chronique reviennent ce mois-ci sur deux arrêts rendus le 11 juin 2014, tous deux soumis à la plus large diffusion (annotés P+B+R+I). Dans le premier arrêt, commenté par le Professeur Le Corre, la Haute juridiction éclaire sur le rang des créances de remboursement des avances postérieures de l'AGS (Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-17.997, P+B+R+I). Dans le second arrêt, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Chambre commerciale de la Cour de cassation opère un important revirement sur la question de la répartition du produit des actions engagées par le mandataire de justice dans l'intérêt collectif des créanciers (Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-12.658, FS-P+B+R+I).
  • Le rang des créances de remboursement des avances postérieures de l'AGS (Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-17.997, P+B+R+I N° Lexbase : A3107MQ7 ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" [LXB=E1769EQL])

Il est des décisions au contenu extrêmement technique, qui peuvent effrayer le lecteur. Pourtant, certaines d'entre elles revêtent un intérêt pratique de premier plan. Tel est assurément le cas de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 11 juin dernier. La Haute cour ne s'y trompe pas, en attribuant à la décision les plus belles lettres de diffusion.

En l'espèce, les immeubles d'une société placée en liquidation judiciaire sont vendus. La question du classement des créanciers pour la répartition de leur prix se pose. Plus précisément, comment classer les créances de l'AGS correspondant à des avances effectuées après le jugement d'ouverture ? Faut-il appliquer l'article L. 641-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L8595IZD), qui contient deux classements en liquidation judiciaire : celui des créanciers postérieurs méritants entre eux -classement dit interne- et celui du classement des créanciers postérieurs par rapport aux créanciers antérieurs -classement dit externe- ? De la réponse à la question dépend le point de savoir si l'AGS peut espérer son paiement avant les créanciers hypothécaires, en tant que titulaires d'un privilège général sur les salaires classé avant le créancier hypothécaire.

La cour d'appel avait estimé devoir appliquer purement et simplement, et uniquement, l'article L. 641-13 du Code de commerce, qui classe les créanciers hypothécaires avant les créanciers postérieurs méritants. Un pourvoi est formé par l'AGS, qui va obtenir gain de cause, par cet arrêt de censure, au visa de trois articles de trois codes différents (C. civ., art. 2376 N° Lexbase : L1358HI7, C. com., art. L. 641-13, C. trav., art. L. 3253-16, 2° N° Lexbase : L5779IAB). Cela donne l'occasion de souligner l'obligation pour l'interprète du droit des entreprises en difficultés de jongler entre plusieurs branches du droit, en l'occurrence le droit civil des sûretés, le droit des entreprises en difficulté et le droit du travail. La Cour de cassation va juger, par un arrêt de principe, que "aux termes du dernier de ces textes [C. trav. art. L 3253-16, 2°], les sommes autres que les créances qu'il énumère, dont les institutions de garantie contre le risque de non paiement des salaires en cas de procédure collective ont fait l'avance [AGS], leur sont remboursées dans les conditions prévues pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective et bénéficient alors des privilèges qui y sont attachés ; qu'il en résulte que les créances correspondantes de ces institutions sont légalement réputées être des créances antérieures, sans distinction de date de naissance, et lorsqu'elles bénéficient du privilège général des salaires, priment, en application de ces textes, les créances hypothécaires".

On sait que l'AGS est amenée à faire un certain nombre d'avances. Elle doit ensuite en obtenir le remboursement. Ce dernier se fait dans un certain nombre de cas par la voie de la subrogation légale dans les droits des salariés.

La loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), à la suite d'un amendement présenté par la Commission des lois du Sénat, a étendu le domaine de la subrogation de l'AGS dans les droits des salariés. L'AGS est d'abord subrogée dans les droits des salariés pour toutes les sommes avancées dans la procédure de sauvegarde (C. trav., art. L. 3253-4 N° Lexbase : L0959H9E). Cette subrogation jouera quelle que soit l'issue de la procédure de sauvegarde (1).

Il a été dit que la subrogation interdira notamment d'imposer des délais de paiement pour rembourser les créances salariales, dans le cadre des plans de sauvegarde, ce qui obligera l'administrateur et le débiteur à négocier des délais avec l'AGS, sauf à rendre impossible l'exécution du plan de sauvegarde (2).

En revanche, l'article L. 3253-16 du Code du travail (N° Lexbase : L5779IAB) n'apporte pas de changement, par rapport à la législation antérieure, quant au domaine de la subrogation de l'AGS, dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires.

L'AGS est subrogée pour trois catégories d'avances.

La première catégorie de créances pour lesquelles joue la subrogation personnelle est représentée par les créances super privilégiées (3). En cas de résolution d'un plan de continuation, il y a ouverture d'une seconde procédure. Les créances super privilégiées dans la première procédure conservent-elles cette nature dans la seconde ? La Cour de cassation a répondu par l'affirmative, en jugeant que, en cas de succession de procédures, par suite de la résolution du plan, l'AGS subrogée dans le super privilège le demeure dans la seconde procédure et se trouve, en conséquence, dispensée de déclarer sa créance au passif de la seconde procédure (4). La solution vaut désormais pour la résolution du plan de sauvegarde et de redressement.

La deuxième catégorie de créances pour lesquelles l'AGS et subrogée est celle des créances couvertes par le privilège général des salaires. Toutefois, et contrairement à la solution posée pour la subrogation dans le super privilège des salaires, l'AGS subit ici, pour son remboursement, les délais et remises du plan de redressement ou de sauvegarde, alors que, comme il a été observé, les salariés eux-mêmes ne subiraient pas ces restrictions (5) (C. com., art. L. 626-20, I, 2° N° Lexbase : L4069HBC, rédaction "LSE").

La troisième catégorie de créances pour lesquelles joue, pour l'AGS, la subrogation personnelle dans les droits des salariés est constituée des créances salariales couvertes par le traitement préférentiel réservé aux créances postérieures et avancées par l'AGS (lorsque le tribunal aura prononcé la liquidation judiciaire : C. trav., art. L. 3253-8, 4° N° Lexbase : L0711IXM).

Pour les autres créances salariales avancées, l'AGS n'est pas subrogée dans les droits des salariés qu'elle a payés.

Lorsque l'AGS n'est pas subrogée dans les droits des salariés, elle n'est pas traitée, alors même que les avances ont nécessairement été effectuées après le jugement d'ouverture, comme un créancier postérieur méritant. En effet, l'article L. 3253-16, 2° du Code du travail, issu de la rédaction que lui a donnée la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 (N° Lexbase : L7792H3Y), prévoit que les avances pour lesquelles l'AGS n'est pas subrogée sont remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du Code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure. Elles bénéficient alors des privilèges attachés à celle-ci.

Il faut donc comprendre que le législateur procède ici par fiction légale. Pourquoi cette solution a-t-elle été adoptée ? Parce que si l'AGS avait été considérée commun un créancier postérieur méritant pour toutes ses créances, le sauvetage de l'entreprise aurait été mis en péril. En effet, dans les plans de redressement, cela aurait conduit l'AGS à bénéficier de la règle du paiement au comptant posée par l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L8102IZ4). L'AGS aurait eu droit au remboursement immédiat de ses avances. En traitant l'AGS comme un créancier antérieur, la règle du paiement au comptant disparaît pour le remboursement des avances consenties.

Certes, une règle différente aurait pu être posée selon que le remboursement devait intervenir en redressement ou en liquidation judiciaire. Mais telle n'a pas été l'option prise par le législateur, dans la rédaction de l'article L. 3253-16, 2° du Code du travail.

Quel est alors le rang des créances de l'AGS ? La question se pose notamment de savoir si l'AGS l'emporte sur les créanciers postérieurs et sur les créanciers titulaires de sûretés immobilières, notamment les créanciers hypothécaires.

La lecture isolée de l'article L. 641-13 aboutit à apporter une réponse négative à la question. Selon cette disposition, le classement est le suivant : super privilège des salaires, sous l'empire de la législation issue de l'ordonnance de 2008 (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT), applicable aux faits de l'espèce la procédure collective ayant été ouverte avant le 12 février 2009, les créanciers de frais de justice utiles au déroulement de la procédure collective, puis, déjà avant cette ordonnance, le privilège de la conciliation, les créanciers titulaires de sûretés immobilières et ceux titulaires de sûretés spéciales mobilières assorties d'un droit de rétention. Puis viennent les créanciers postérieurs méritants.

Mais cette lecture laisse lettre morte l'article L. 3253-16, 2° du Code du travail. Selon ce texte, issu de la loi du 21 janvier 2008, les autres sommes avancées par l'AGS, c'est-à-dire celles pour lesquelles l'AGS n'obtiendra pas le remboursement par le canal de la subrogation légale dans les droits des salariés, sont remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture, et cela avec les privilèges attachées à celles-ci.

Le législateur traite donc ces variétés de créances postérieures comme des créances antérieures. Il procède ici par fiction légale. Il faut donc, pour opérer le classement, tenir pour antérieures ces créances assorties, le cas échéant, du privilège des salaires.

Une fois opérée par l'effet de la fiction légale la conversion de ces créances postérieures en des créances antérieures, et faute de disposition contraire, le régime applicable aux créances antérieures tel qu'il est posé par le livre VI du Code de commerce doit trouver pleine application. Il convient dès lors d'admettre que le créancier qui en bénéficie est, dans le classement de l'article L. 641-13, classé avant le créancier postérieur méritant en tant que créancier titulaire d'une sûreté immobilière, le texte ne distinguant pas selon qu'il s'agit d'une sûreté spéciale ou d'un privilège général. Les sûretés immobilières visées dans l'article L. 641-13-II du Code de commerce peuvent être aussi bien des sûretés spéciales que des privilèges généraux (6).

L'obligation de respecter la fiction légale conduit à cette interprétation qui ne méconnaît pas la lettre de l'article L. 641-13, dès lors que cette dernière n'est tenue en échec que du fait de la fiction légale que l'on doit respecter.

Dès lors, si les créances bénéficient du privilège des salariés, lequel prime les créances hypothécaires, il faut considérer, compte tenu de la fiction légale, que l'AGS prime, en liquidation judiciaire, le créancier hypothécaire, puisqu'elle prime aussi le créancier postérieur méritant.

Telle est la solution justement retenue par la Cour de cassation, qui donne plein effet, comme elle en a à notre sens l'obligation, à la fiction légale introduite par le législateur.

L'arrêt apporte une réponse à une autre question : le liquidateur peut-il utiliser la disposition de l'article L. 643-8, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3373ICW) pour échapper, pour le paiement de ses honoraires, au classement qui est le sien avant l'ordonnance du 18 décembre 2008 (7), c'est-à-dire le rang deux des créanciers postérieurs éligibles au traitement préférentiel, donc après le créancier hypothécaire ? Selon cette disposition, "le montant de l'actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire, des subsides accordés au chef d'entreprise ou aux dirigeants ou à leur famille et des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises". Ainsi, il semblait pouvoir être soutenu que les répartitions au profit des créanciers n'auraient à intervenir qu'après paiement des "frais et dépens de la liquidation judiciaire", ce qui aurait autorisé le paiement par distraction des honoraires des mandataires de justice et des frais de greffe (8). La Cour de cassation n'a pas admis cette interprétation et pose en règle, dans l'arrêt du 11 juin 2014, que les dispositions de l'article L. 643-8, alinéa 1er, du Code de commerce, prévoyant la distraction des frais et dépens de la liquidation judiciaire avant distribution du montant de l'actif, n'autorisent pas le prélèvement prioritaire de l'ensemble des frais de justice sur le prix de vente d'un immeuble hypothéqué en méconnaissance du classement des créances organisé, en cas de liquidation judiciaire, par l'article L. 641-13, I et III, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008.

Le problème ne se pose plus depuis que l'ordonnance du 18 décembre 2008 a surclassé les frais de justice nés pour les besoins du déroulement de la procédure collective, qui prennent désormais place juste après le super privilège des salaires.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Répartition du produit de l'action engagée dans l'intérêt collectif des créanciers : prise en compte du rang des créanciers (Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-12.658, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3106MQ4)

Par arrêt rendu le 11 juin 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un important revirement sur la question de la répartition du produit des actions engagées par le mandataire de justice dans l'intérêt collectif des créanciers.

Depuis longtemps, la jurisprudence considérait que le produit de ces actions devait être réparti entre tous les créanciers au marc le franc, sans prendre en considération les privilèges dont seraient titulaires certains d'entre eux. Cette règle ancienne avait initialement été posée par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 octobre 1964 (9). Elle était alors parfaitement justifiée. En effet, à cette époque, et jusqu'à l'avènement de la législation du 25 janvier 1985, les créanciers étaient regroupés en une masse dotée de la personnalité morale et donc d'un patrimoine propre. La solution selon laquelle le produit des actions se répartissait entre les créanciers au marc le franc se justifiait alors par la considération selon laquelle le produit des actions tombait dans le patrimoine de la masse et non dans celui du débiteur sous procédure collective. En conséquence, les créanciers titulaires d'un privilège sur le patrimoine du "failli" ne pouvaient pas faire valoir leurs privilèges sur des sommes rattachées à un autre patrimoine, celui de la masse des créanciers. Cette solution, un temps abandonnée par la Chambre commerciale (10), a cependant été ultérieurement maintenue par la jurisprudence sous empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW).

En matière de produits des actions en responsabilité pour insuffisance d'actif exercées contre les dirigeants fautifs, la dérogation à la hiérarchie des privilèges au profit d'une répartition au marc le franc est, depuis la loi du 25 janvier 1985, imposée par le législateur. En effet, les dispositions de l'article 180 de la loi de 1985, reprises aujourd'hui à l'article L. 651-2, alinéa 3 (N° Lexbase : L8961IN9), issu de la loi de sauvegarde, prévoient que le produit des actions en responsabilité pour insuffisance d'actif exercées contre les dirigeants fautifs est réparti "entre tous les créanciers au marc le franc". Jusqu'à l'arrêt rapporté du 11 juin 2014, la jurisprudence (11) avait, de façon contestée, étendu cette solution aux produits d'autres actions, certes engagées dans l'intérêt collectif des créanciers, mais non visées par ce texte. Dans la droite ligne de cette jurisprudence extensive, une cour d'appel (CA Montpellier, 18 décembre 2012) avait considéré que la répartition des dommages et intérêts auxquels avait été condamnée une banque, pénalement responsable de complicité de banqueroute, envers le liquidateur es qualité devait s'effectuer entre tous les créanciers au marc le franc. Dans son arrêt du 11 juin 2014, la Chambre commerciale casse cet arrêt d'appel au visa de l'article L. 622-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L7024AIY), dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 applicable à la cause. Au terme de cette disposition, devenue, depuis la loi de sauvegarde, l'article L. 643-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3373ICW), "le montant de l'actif, distraction faite [...] des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises". Le syllogisme est imparable : par principe, il doit être tenu compte du privilège des créanciers pour répartir l'actif du débiteur. Les sommes recouvrées à la suite des actions engagées par le mandataire de justice dans l'intérêt collectif des créanciers sont recueillies dans le patrimoine du débiteur. En conséquence ces sommes doivent être réparties entre les créanciers en tenant compte de leur rang.

Cette nouvelle solution, qui marque un revirement jurisprudentiel, était appelée de ses voeux par la doctrine unanime (12). Elle doit être approuvée sans réserve car elle aurait dû s'imposer dès le lendemain de la loi du 25 janvier 1985 dès lors que cette dernière a mis à mort la masse des créanciers. En effet, tant qu'existait la masse des créanciers, le produit des actions contre les tiers engagées dans l'intérêt collectif des créanciers était recueilli dans le patrimoine de la masse et non dans celui du débiteur, de sorte que les sommes ne pouvaient être répartie qu'au marc le franc puisque les privilèges des créanciers ne pouvaient s'exercer que sur le patrimoine propre du débiteur. Depuis la loi du 25 janvier 1985, marquant la disparition de la masse des créanciers, le produit de ces actions est recueilli par le patrimoine du débiteur. En conséquence, la répartition des sommes recouvrées à la suite des actions engagées par les mandataires de justice dans l'intérêt collectif des créanciers doit nécessairement tenir compte des privilèges dont peuvent se prévaloir les créanciers à l'égard du débiteur sous procédure collective. Il n'y a qu'en matière d'action en responsabilité pour insuffisance d'actif exercée contre les dirigeants fautifs qu'il doit en être autrement parce qu'un texte spécial prévoit, de façon dérogatoire, que le produit de ces actions est réparti entre tous les créanciers au marc le franc (C. com., art. L. 651-2, al. 3).

La jurisprudence a enfin tiré les conséquences de la disparition de la masse des créanciers alors que jusqu'à présent, pour reprendre les propos du Professeur Michel Cabrillac (13), ce condamné à mort réapparaissait impertinemment !

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) Ph. Pétel, L'AGS et la réforme des procédures collectives, RJ com., 2006/3, p. 174 et s., sp. p. 183, n° 23.
(2) T. Météyé, L'AGS au secours des entreprises en difficulté, Cah. dr. entr., mars-avril 2007 n° 2, p. 24 et s., sp. p. 27 ; adde Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 556.
(3) Cass. com., 6 juillet 1993, n° 91-14.269, publié (N° Lexbase : A5665ABG), Bull. civ. IV, n° 285 ; D., 1993, jur. 530, note Ramackers ; JCP éd. E, 1993, I, 298, n° 16, obs. M. Cabrillac.
(4) Cass. com., 3 février 2009, n° 07-19.631, FS-P+B, Bull. civ. IV, n° 109 ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 39, n° 4, note Ph. Duprat ; JCP éd. E, 2009, 1347, n° 3, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2010, 189, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(5) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., LGDJ, 2012, n° 1237.
(6) Ainsi, CA Toulouse, 1ère ch. 1ère sect., 17 avril 2007, n° 06/04423 (N° Lexbase : A2136GZ7).
(7) Sur le détail de la question, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 8ème éd., 2014/2015, n° 456.58, à paraître en octobre 2014.
(8) M. Sénéchal, Journal sociétés, janvier 2007, n° 9, fiches pratiques n° 66 ; Travaux de la première compagnie régionale IFPPC, Les répartitions en matière de procédures collectives, Gaz. proc. coll. 2008/3, p. 3 et s., spéc. p. 10.
(9) Cass. com., 27 octobre 1964, JCP éd. G, 1964, II, 13968, note J.-A. ; D., 1965, 129, note M. Cabrillac ; RTDCom., 1965, 183, obs. Houin.
(10) Cass. com., 7 mai 1979, D., 1979.431, note F. Derrida et J.-P. Sortais ; JCP éd. CI, I, 8160, n° 18, obs. M. Cabrillac et J. Argenson.
(11) Cass. com., 7 avril 2009, n° 08-10.427, F-D (N° Lexbase : A1073EGT), Gaz. proc. coll., 28 juillet 2009, p. 26, obs. I. Rohart-Messager ; Cass. com., 6 mai 1997, n° 94-20.855, publié (N° Lexbase : A1564ACW), Bull. civ. IV n° 119 (en matière de responsabilité pour soutien abusif) ; Cass. com., 28 mars 1995, n° 93-13.937, publié (N° Lexbase : A8263ABN), Bull. civ. IV, n° 105, RTDCom., 1996, 127, obs. A. Martin-Serf, RTDCiv., 1996, 165, obs. J. Mestre.
(12) V. not. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 9ème éd., n° 1225 ; M. Cabrillac, L'impertinente réapparition d'un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, in Propos impertinents de droit des affaires, Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 69, spéc. n° 14, p. 76 ; A. Martin-Serf, L'intérêt collectif des créanciers ou l'impossible adieu à la masse, in Mélanges Adrienne Honorat, éd. Frison-Roche, 2000, p. 143, spéc. p. 155.
(13) M. Cabrillac, L'impertinente réapparition d'un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, préc..

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Juillet 2014

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N3205BUA

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 17 Juillet 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, portant sur trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat ayant pour problématique l'application de la règle, à l'origine prétorienne, de la cessation d'entreprise (CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347355, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6693MQX ; CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347006, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6673MQ9 ; CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 362284, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6674MQA). Après avoir exposé le cadre législatif et son évolution (I), la jurisprudence la plus récente sera relatée (II). I - Restructuration d'entreprises et règle de l'identité d'entreprise : évolution des dispositions légales

A - Les dispositions issues de l'article 221-5 du CGI (N° Lexbase : L9906IWS)

L'infortune économique que traverse notre pays depuis des temps qui semblent aujourd'hui immémoriaux n'a pas laissé le législateur fiscal insensible. En effet, afin d'éviter la reprise, par des entreprises bénéficiaires, d'activités déficitaires pour d'inavouables raisons fiscales, il a légalisé en 1985 un raisonnement prétorien applicable à la suite d'un changement d'activité réelle de l'entreprise ou de son objet social (pour les sociétés soumises à l'IS : CGI, art. 221-5 ; comp. pour les entreprises relevant de l'IR : CGI, art. 202 ter N° Lexbase : L2487HNG), en y attachant les conséquences fiscales de la cessation d'entreprise : perte des déficits antérieurs, taxation des plus-values latentes, des bénéfices en sursis d'imposition et des profits non encore imposés sur les stocks et reprise des provisions. C'est ainsi qu'une société qui se bornait jusqu'alors à des activités administratives, au profit notamment de sa filiale, doit être considérée comme ayant changé son activité réelle après avoir absorbé sa filiale, repris sa dénomination sociale et son activité de conditionnement et de commerce de légumes (CAA Douai, 3ème ch., 18 mars 2004, n° 01DA01065, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8988DBI). Il en est de même d'une société qui arrête son activité de transport au profit d'une activité de gestion de ses titres de participation (CAA Lyon, 2ème ch., 21 juin 2007, n° 03LY01753, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4426DX9). Les dispositions de l'article 221-5 concernent, par conséquent, les situations pour lesquelles une société a subi des transformations telles qu'elle n'est plus, en réalité, la même (CE 8° et 3° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9628DZM). Telle est l'hypothèse d'une SARL, eu égard à l'importance prise par sa nouvelle activité et au caractère déclinant de son activité initiale, devenue marginale (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484 N° Lexbase : A2853DXX). Toute restructuration est-elle finalement exclue ? En réalité, la jurisprudence s'est montrée très pragmatique : elle a ainsi écarté l'application de l'article 221-5 du CGI pour une société qui s'était vue reprocher par l'administration fiscale la vente de tee-shirts Nike après des polos Benetton à la suite d'une période d'inactivité totale de trente et un mois, le renouvellement du collège des associés et un changement de gérant (CE 8° et 3° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3450DIM). On n'ose d'ailleurs pas imaginer le sort fiscal qu'aurait subi cette entreprise si elle avait eu l'idée saugrenue de substituer la vente de sweat-shirts à celle des tee-shirts...

B - La récente évolution due à la loi de finances rectificative pour 2012

Malheureusement, cette jurisprudence assez bienveillante envers les entreprises s'est finalement heurtée à la raison du législateur (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ), très largement inspirée par l'administration fiscale, qui a visiblement peu apprécié de voir ses contrôles fiscaux régulièrement annulés : il est apparemment considéré que le quotidien d'un chef d'entreprise est de tirer un profit inavouable du droit fiscal, alors que l'urgence dans une entreprise en difficulté est d'honorer ses échéances et d'organiser sa survie. C'est ainsi que les dispositions de l'article 221-5 du CGI ont été amendées dans un sens nettement plus contraignant pour les entreprises : la disparition des moyens de production nécessaires à la poursuite de l'exploitation pendant une durée de plus de douze mois, sauf en cas de force majeure, notion toujours entendue restrictivement tant par la doctrine administrative que par la jurisprudence (v. pour des exemples : nos obs., Chronique de droit fiscal des entreprises - Mai 2008, Lexbase Hebdo n° 303 du 7 mai 2008 - édition fiscale N° Lexbase : N8897BEA), ou lorsque cette disparition est suivie d'une cession de la majorité des droits sociaux entraînera l'application de l'article 221-5 du CGI. Les contribuables pourront toutefois solliciter un agrément (CGI, art. 1649 nonies N° Lexbase : L0668IH9), lorsque la disparition temporaire des moyens de production pendant une durée de plus de douze mois est justifiée par des motivations principales autres que fiscales -condition régulièrement reprise dans les textes fiscaux depuis plusieurs années- ainsi que l'adjonction, l'abandon ou le transfert d'une ou de plusieurs activités, lorsque cela est indispensable à la poursuite de l'activité à l'origine des déficits et à la pérennité des emplois. Un tel agrément permet à l'administration fiscale d'apprécier in concreto chaque situation de fait. Selon la loi du 16 août 2012, le changement d'activité réelle d'une société résulte "notamment" :

-de l'adjonction d'une activité entraînant, au titre de l'exercice de sa survenance ou de l'exercice suivant, une augmentation de plus de 50 % par rapport à l'exercice précédant celui de l'adjonction soit du chiffre d'affaires de la société, soit de l'effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société ;

-de l'abandon ou du transfert, même partiel, d'une ou de plusieurs activités entraînant, au titre de l'exercice de sa survenance ou de l'exercice suivant, une diminution de plus de 50 % par rapport à l'exercice précédant celui de l'abandon ou du transfert soit du chiffre d'affaires de la société ; soit de l'effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société.

En définitive, le législateur se détourne de la sagesse du juge de l'impôt administratif dont la jurisprudence est considérée comme étant "ainsi devenue à la fois pragmatique et permissive" (1) (F. Marc, Rapport au nom de la commission des finances sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012, Sénat, 23 juillet 2012, p. 189), en offrant désormais une très grande latitude d'interprétation au profit de l'administration fiscale.

II - Les illustrations jurisprudentielles récentes (CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347355, mentionné aux tables du recueil Lebon ; CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347006, inédit au recueil Lebon ; CE 10° et 9° s-s-r., 11 juin 2014, n° 362284, inédit au recueil Lebon)

A - Décision "SEFIVAL" (CE 9° et 10° s-s-r., 11 juin 2014, n° 362284, inédit au recueil Lebon)

Une société anonyme créée en 1993 avait une activité relative à la vente de produits et de matériels spécialisés propres au monde équin constituant 99 % de son chiffre d'affaires jusqu'en 2000. Mais plusieurs modifications dans la vie sociale de cette société commerciale sont observées avant sa mise en sommeil pendant trois ans dont le rachat des titres en 1998 par une autre société qui avait la même activité et le transfert du siège social. Puis la société rachetée a cédé sa marque et a mis son personnel à disposition de son actionnaire majoritaire au titre d'une convention de prestation de services offrant une redevance égale au coût réel d'emploi des salariés, majoré d'une marge. L'administration fiscale a observé que la société avait en réalité changé son activité réelle et, en conséquence, ne pouvait plus se prévaloir du report de ses déficits antérieurs. En effet, un déficit subi au cours d'un exercice est déduit du bénéfice réalisé (CGI, art. 209 N° Lexbase : L1413IZD), l'excédent étant alors reporté sur les exercices suivants dans l'hypothèse où le bénéfice de l'exercice en cause ne serait pas suffisant et dans une certaine limite (2), modifiée à plusieurs reprises en 2011 et 2012 (3). L'enchaînement des succès et échecs partiels de la société contribuable devant le juge de l'impôt témoigne de la très grande difficulté à formuler a priori une opinion raisonnable quant à la position qui sera finalement celle des juges, tant les éléments de fait sont essentiels dans ce type de litige : la société contribuable avait ainsi pu obtenir la décharge des impôts redressés devant le tribunal administratif d'Amiens (TA Amiens, 15 mars 2011, n° 0900253 N° Lexbase : A7678ITK), au motif qu'elle "doit être regardée comme ayant poursuivi la même activité dans le même secteur dès lors qu'elle continue à oeuvrer dans celui des produits alimentaires et sanitaires pour chevaux et autres animaux et à exercer le métier de commercialisation d'aliments pour bétail, même si elle le fait désormais en tant qu'intermédiaire" de son actionnaire majoritaire. Pour les premiers juges du fond, seules les modalités d'exercice de son activité avaient été modifiées et non son activité réelle. Au contraire, la cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 3ème ch., 21 juin 2012, n° 11DA00515, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7438ITN), qui sera confortée dans son analyse par le juge de cassation, rétablira l'impôt déchargé par les premiers juges qui relèveront, malgré l'identité des moyens en personnel et matériel mis en oeuvre pour l'exécution des prestations, l'existence d'un changement quant à la clientèle devenue unique et quant à la rémunération constituée exclusivement des redevances versée par ce client qui est, par ailleurs, l'actionnaire de référence. En revanche, la juridiction d'appel annulera la majoration de 40 %, dès lors que la société contribuable ne peut être vue comme ayant délibérément mis en oeuvre un montage "lui permettant de récupérer des déficits réputés différés, dont elle aurait su qu'ils n'étaient pas susceptibles d'ouvrir droit à un tel report" : l'administration fiscale s'appuyait notamment sur le registre du commerce et des sociétés, qui mentionnait une activité de vente et de commercialisation de produits et matériels équins, alors que l'entreprise n'avait plus qu'une activité de prestataire de services et l'identité des dirigeants. Ces arguments témoignent d'une ambiance qui a dû être assez fraîche pendant le contrôle fiscal.

B - Décision "IMOTEL" (CE 9° et 10° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347006, inédit au recueil Lebon)

La décision "IMOTEL" a trait à une société civile immobilière (SCI) relevant de l'impôt sur les sociétés qui, à la suite d'une vérification de comptabilité, s'est vue notifier la remise en cause du report de déficits antérieurs ainsi que des amortissements réputés différés à la suite de transformations ayant entraîné la cessation de l'entreprise au sens de l'article 221-5 du CGI. Les juges du fond s'étaient appuyés sur un certain nombre de changements d'une ampleur significative pour en déduire une cessation d'entreprise au sens des dispositions de l'article 221-5 du CGI (TA Marseille, 19 février 2008, n° 0503110 N° Lexbase : A7353MTI ; CAA Marseille, 3ème ch., 20 décembre 2010, n° 08MA02104, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7235GNB), notamment la cession de la totalité des parts sociales à de nouveaux associés et la transformation de trois bâtiments exploitant un hôtel restaurant en trente-et-un locaux d'habitation. La société requérante se pourvoira en cassation et verra sa thèse triompher. Pour le Conseil d'Etat, qui a exercé son contrôle sur la qualification des faits juridiques opérée par la juridiction d'appel, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, dès lors que la nature de l'activité de la société civile immobilière est toujours restée la même, c'est-à-dire proposer ses immeubles à bail à titre civil. Pour la Haute juridiction administrative, la contribuable a continué la location de ses actifs immobiliers et le changement de la nature des activités des preneurs n'emporte aucune conséquence au regard de l'article 221-5 du CGI, ce qui justifie l'annulation de l'arrêt déféré sur ce point. La nature de l'activité de la SCI n'ayant pas été modifiée, il ne pouvait y avoir cessation d'entreprise, même si les modalités d'exercice avaient été substantiellement réformées. L'administration a tenté de faire échec à la thèse de la contribuable en arguant de l'absence de preuve de la réalité des amortissements réputés différés et des déficits reportables d'exercices prescrits, mais cette demande de substitution de motifs entraîne une appréciation des faits qui n'est pas du ressort du juge de cassation. De plus, la substitution de motifs, tout comme la substitution de base légale, est subordonnée au respect des garanties procédurales, telles que la possibilité pour le contribuable de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CE 9° et 10° s-s-r., 20 juin 2007, n° 290554, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8618DW4).

C - Décision "M. B." (CE 9° et 10° s-s-r., 11 juin 2014, n° 347355, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6674MQA)

Après avoir régulièrement opté pour l'impôt sur les sociétés en 1992 (CGI, art. 206 N° Lexbase : L0111IKC ; CGI, art. 239 N° Lexbase : L4947HLS), la totalité des parts sociales d'une entreprise à responsabilité limitée (D. Lecomte, L'EURL, Structure d'organisation de l'entreprise, L'Harmattan, 2004) a été cédée en 1994 à un nouvel associé qui a modifié les statuts de l'EURL en changeant sa dénomination, en transférant son siège social et en modifiant son objet social qui, jusqu'alors, opérait dans le domaine du tourisme, des loisirs et des services pour désormais exercer une activité de travaux de bâtiments et d'espaces verts. Puis, des redressements ont été émis au titre de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) pour les années 1998 et 1999. Au fond, le contribuable a été entendu dans ses conclusions en décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des accessoires par la juridiction d'appel (CAA Versailles, 1ère ch., 30 décembre 2010, n° 09VE03015, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2525GRX) et le juge de cassation. La question de la preuve était de premier ordre dans cette affaire : comment démontrer l'existence d'une option pour l'impôt sur les sociétés formulée en 1992 dans un contentieux fiscal examiné par les juges dix-huit ans après les faits ? La question est en pratique redoutable dans ses effets, dès lors que cette formalité est souvent perçue comme subalterne pour un chef d'entreprise. Au cas particulier, d'une part, une attestation de l'ancienne gérante en fonction entre 1992 et 1994 est versée aux débats ; d'autre part, l'acte de cession du 1er mai 1994 rappelait l'existence d'une option pour l'IS. Si la Cour souligne que cette dernière mention ne vaut pas option en elle-même, les juges du fond estimeront que ces indices précis et concordants vont dans le sens d'une option effective pour l'impôt sur les sociétés, d'autant que l'administration ne conteste pas l'assujettissement de l'EURL à l'IS. Cette option, une fois formulée, peut-elle être remise en cause du fait de la cessation d'entreprise ? La thèse de l'administration était d'invoquer les dispositions de l'article 221-5 du CGI pour considérer que les changements profonds opérés en 1994 entraînaient la perte de l'option pour l'IS. La cour administrative d'appel, ainsi que le Conseil d'Etat, jugeront à juste titre que l'application de l'article 221-5 du CGI est sans incidence sur l'option pour l'impôt sur les sociétés. En effet, les dispositions de l'article 239 du CGI ne comportent pas d'ambigüité : l'option pour l'IS est irrévocable et il était par conséquent impossible d'émettre des redressements au titre de l'impôt sur le revenu dans les mains de l'associé unique personne physique d'une société en l'absence de création d'une personne morale nouvelle (C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE (4)) et si elle n'a pas pris fin au sens des dispositions du Code civil (C. civ., art. 1844-7 N° Lexbase : L7356IZH (5)).


(1) En gras dans le texte.
(2) Le déficit est imputable dans la limite d'un montant de 1 000 000 d'euros, majoré de 60 % (50 % à compter du 1er janvier 2013) du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant.
(3) Loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (N° Lexbase : L1269IRG) ; loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013 (N° Lexbase : L7971IUR).
(4) "Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d'une société n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation".
(5) "La société prend fin : 1° Par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l'article 1844-6 ; 2° Par la réalisation ou l'extinction de son objet ; 3° Par l'annulation du contrat de société ; 4° Par la dissolution anticipée décidée par les associés ; 5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ; 6° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l'article 1844-5 ; 7° Par l'effet d'un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ; 8° Pour toute autre cause prévue par les statuts".

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Invalidité de la condition de réalisation du CA sur le marché local pour échapper à l'imposition à l'IS en France des résultats de filiales situées dans des paradis fiscaux : seule la réalité de l'activité compte !

Réf. : CE Sect., 4 juillet 2014, n° 357264, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3105MUK)

Lecture: 2 min

N3182BUE

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Le 19 Juillet 2014

Aux termes d'une décision rendue le 4 juillet 2014, le Conseil d'Etat invalide en partie l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9422IT7), en ce qu'il impose, pour éviter l'imposition à l'IS en France des résultats dégagés par une filiale d'une société française située dans un pays à fiscalité privilégiée, que l'activité de la filiale se réalise principalement sur le marché local (CE Sect., 4 juillet 2014, n° 357264, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3105MUK). En l'espèce, l'administration a taxé à l'IS en France les résultats dégagés par trois filiales d'une société française, dont les deux premières sont sises au Luxembourg, et la troisième à Guernesey. La société française considère que l'article 209 B du CGI, qui rend imposable en France les bénéfices tirés par des filiales détenues à 25 % (avant le 1er janvier 2003) ou à 10 % (après cette date) par une société française et qui se trouvent dans un Etat à la fiscalité privilégiée, est contraire à la liberté d'établissement. Le juge rappelle que, par un arrêt rendu le 12 septembre 2006 (CJCE, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7), la CJCE a invalidé une loi incluant dans l'assiette imposable d'une société établie dans un premier Etat membre les bénéfices réalisés par une société établie dans un second Etat membre et dans laquelle la première société détient une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de la seconde société, lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat membre, à moins qu'une telle inclusion ne concerne que les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, destinés à éluder l'impôt normalement dû dans le premier Etat membre. Or, si l'article 209 B prévoit l'imposition en France des résultats de filiale situées dans un Etat à fiscalité privilégiée, il peut y être dérogé en démontrant que la création ou l'acquisition de participations dans la filiale n'a pas, pour la société mère française, principalement pour objet d'échapper à l'impôt français. Notamment, cette condition est réputée remplie lorsque la filiale exerce à titre principal une activité industrielle ou commerciale effective et que les opérations qu'elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local. Ainsi, l'application de ces dispositions peut avoir pour effet d'inclure dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés les résultats bénéficiaires de filiales, alors qu'ils ont une implantation réelle et exercent, quoiqu'à titre non principal, une activité économique effective. En ce sens, l'article 209 B est contraire à la liberté d'établissement. En effet, la condition tenant à ce que l'activité soit réalisée à titre principal sur le marché local va au-delà de ce que la CJUE a prévu .

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Fiscalité internationale

[Brèves] Conseil des ministres : approbation de "FATCA"

Réf. : Lire le communiqué de presse du conseil des ministres du 9 juillet 2014

Lecture: 1 min

N3145BUZ

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Le 23 Juillet 2014

Le ministre des Affaires étrangères a présenté, lors du conseil des ministres du 9 juillet 2014, un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et les Etats-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite "loi FATCA"). En effet, les deux Etats ont signé, le 14 novembre 2013, un accord en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi dite "FATCA" (Foreign Account Tax Compliance Act). L'objectif est de procéder à l'échange automatique d'informations afin de mieux lutter contre la fraude fiscale internationale. Les premiers échanges d'informations, qui porteront sur des données collectées à partir du 1er juillet 2014, auront lieu à compter du 30 septembre 2015.

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Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Bornage de l'indemnisation du préjudice d'anxiété des salariés victimes de l'amiante

Réf. : Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 12-29.788, FS-P+B (N° Lexbase : A2718MTT)

Lecture: 15 min

N3294BUK

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par Julien Bourdoiseau, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Tours, Co-Directeur du M2 Juriste d'entreprise

Le 17 Juillet 2014

L'amiante est un monstre qui a définitivement échappé à son créateur. Un temps louée par les zélateurs du progrès technique, elle est, depuis, honnie par ses utilisateurs. Prié de palier sur le champ les conséquences du drame sanitaire qui se joue, et qui n'en finit pas (les projections les plus pessimistes font état de 100 000 décès en France à l'horizon 2025 : Sénat, rapp. inf. n° 37, 26 octobre 2005), le législateur écrit dans la hâte un article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9). Les salariés, qui ont travaillé dans un établissement pollué par l'amiante et ses poussières pathogènes, et ceux qui y travaillent encore, ont, depuis, droit à une indemnisation. Techniquement, les intéressés ont droit à un départ anticipé à la retraite moyennant une allocation de cessation anticipée d'activité (dite ACAATA) à charge pour ceux admis au bénéfice de ladite allocation de présenter leur démission à leur employeur. Seulement voilà, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Le manque de générosité du dispositif légal a contraint les allocataires à rechercher la responsabilité de leur employeur afin d'obtenir une indemnisation complémentaire. C'est à présent le juge qui est invité à soulager l'affliction des victimes en grossissant le quantum de la compensation. Un levier : l'invention du préjudice spécifique d'anxiété.
Résumé

L'existence du préjudice spécifique d'anxiété souffert par les salariés victimes de l'amiante ne saurait ipso jure contraindre l'AGS à garantir l'indemnisation dudit préjudice.

L'arrêt commenté, rendu le 2 juillet 2014, donne à penser, à première lecture, qu'il s'inscrit dans un courant jurisprudentiel des plus favorables aux salariés victimes. Réflexion faite, l'hésitation est permise. Dans le même mouvement, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme le droit des intéressés à l'indemnisation du préjudice spécifique d'anxiété, mais elle freine les velléités d'indemnisation tous azimuts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Ce n'est pas à dire que le sort des salariés victimes soit pour autant scellé.

En l'espèce, l'employeur est placé en liquidation judiciaire en février 1989. Par arrêté du 7 juillet 2000, l'activité de réparation et de construction navale de l'entreprise est inscrite sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA. En l'absence de débiteur solvable, l'UNEDIC, qui agit en qualité de gestionnaire du CGEA AGS, est appelée en garantie des créances salariales. L'assureur privé s'y refuse (v. sur la nature juridique de l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés, C. trav., art. L. 3253-14 N° Lexbase : L5777IA9). Il nie d'abord l'existence du préjudice spécifique d'anxiété. C'est peine perdue (rejet du moyen). La jurisprudence est bien fixée. La Chambre sociale prend soin de rappeler la doctrine de la Cour de cassation. L'UNEDIC nie ensuite sa garantie en soulevant une "exception d'incompétence", qui ne dit pas son nom. Elle obtient gain de cause (cassation partielle de l'arrêt). La garantie n'est pas due car, fondamentalement, le préjudice est né postérieurement à la clôture de la procédure collective.

L'arrêt est d'importance. Formellement, la Chambre sociale de la Cour de cassation saisit l'occasion qui lui est donnée par le rôle pour réunir pas moins de quatorze pourvois. Ce n'est pas la première fois qu'elle procède ainsi. On se souviendra, par exemple que, désireuse d'assoir une définition renouvelée de la faute inexcusable en droit des accidents du travail et des maladies professionnelles, la Cour de cassation rendait pas moins de sept arrêts sur une salve de vingt-neuf, tirée le 28 février 2002. Son intention ne souffre donc pas la discussion (v. not. sur cette technique de communication, A. Guégan-Lécuyer, Dommages de masse et responsabilité civile, LGDJ, 2006, not. n° 107 s., 215 et 220). Au reste, la décision est promise à une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

L'enseignement donné peut être ramassé de la façon suivante : l'existence du préjudice spécifique d'anxiété souffert par les salariés victimes de l'amiante (I) ne saurait ipso jure contraindre l'AGS à garantir l'indemnisation dudit préjudice (II).

Commentaire

I - L'existence du préjudice spécifique d'anxiété

A - La présomption du préjudice d'anxiété

La Cour de cassation considère que les salariés, qui sont à l'initiative de la procédure judiciaire engagée contre leur ancien employeur, sont nécessairement dans une situation permanente, face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée l'amiante. Et de considérer, par voie de conséquence, que les intéressés sont victime d'un préjudice d'anxiété. Pour le dire autrement, c'est de présomption de préjudice dont il est question. La solution facilite grandement l'action en indemnisation complémentaire. Le droit de la preuve et le droit civil de la responsabilité exigent d'ordinaire plus du demandeur à l'action. Ce n'est pas à dire, pour autant, que la charge probatoire est nulle.

Techniquement, le jeu de la présomption est conditionné. L'arrêt est explicite. Il importe à celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve qu'il a travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de loi du 23 décembre 1998 et figurant sur la fameuse liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités de l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. Il s'avère, en l'espèce, que la chose est acquise. C'était nécessaire. C'est suffisant. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de l'affirmer dans un passé récent. Rien de surprenant à ce que le dispositif de l'arrêt commenté reprenne mot pour mot la motivation d'une précédente décision (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B N° Lexbase : A9515KLY). C'est donc vainement que l'Unedic (et le liquidateur) soutient qu'aucun élément probant n'est produit pour établir la réalité du préjudice d'anxiété et son lien avec un manquement fautif de l'employeur.

A noter qu'il aurait été tout aussi inopérant d'exciper l'atténuation voire la disparition de l'angoisse de la maladie mortifère, pour la raison que la victime s'est soustraite aux contrôles et examens réguliers. Pour mémoire, la Cour de cassation a exigé, un temps, que le salarié victime établisse que son angoisse a été exacerbée par les contrôles et examens réguliers qu'il devait subir (Cass. soc. 11 mai 2010, n° 09-42-241, FP-P+B+R N° Lexbase : A1745EXW, D., 2011, p. 35, obs. crit. O. Gout ; D., 2010, p. 2048, note C. Bernard ; RTDCiv., 2010, p. 564, obs. crit. P. Jourdain, JCP éd. G, 2010, 1015, obs. C. Bloch). Elle s'est depuis ravisée (Cass. soc., 4 décembre 2012, deux arrêts, n° 11-26.294, FS-P N° Lexbase : A5687IYB et n° 11-26.293, FS-D N° Lexbase : A5543IYX, D., 2012, 2973, et 2013, 2658, obs. S. Porchy-Simon ; Gaz. Pal., 14 février 2013, p. 19, obs. M. Mekki, et 23 mars 2013, p. 32, obs. J. Colonna). L'arrêt porte distinctement la marque de son revirement (v. déjà en ce sens Cass. soc. 25 septembre 2013, n° 12-12.883, FP-P+B, op. cit.).

Il reste une seule issue au défendeur à l'action en indemnisation complémentaire : démontrer qu'en réalité, le préjudice d'anxiété subi est dû à une cause étrangère (v. par ex. Cass. soc., 27 juin 2013, n° 12-29347, FS-P+B N° Lexbase : A3895KI4, Cass. soc, 19 mars 2014, n° 12-29.339, F-D N° Lexbase : A7424MHG). Seulement, l'intéressé achoppera sur la condition d'extériorité. La Cour de cassation est formelle. Les salariés ayant travaillé dans un établissement pollué se trouvent, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

Fondamentalement, c'est de droit à l'indemnisation dont il est question. Il faut bien avoir à l'esprit que le montant mensuel de l'allocation est égal à 65 % du salaire de référence (décret n° 99-247 du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité prévue à l'article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, art. 2 N° Lexbase : L3871IZE). Les salariés, exposés leur vie de travail durant, aux fibres d'amiante sont donc le siège d'une double peine : leur espérance de vie est amputée et leurs conditions de vie sont dégradées. Pour peu que les intéressés n'aient pas encore déclaré d'affection liée à l'amiante, ils ne sont pas justiciables du droit des maladies professionnelles. Ils ne sauraient donc tirer profit de la présomption d'imputabilité de l'article L. 461-1, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale (tableaux n° 30 et n° 30 bis) (N° Lexbase : L5309ADY). L'apport de la jurisprudence est donc grand pour les victimes qui voient le fardeau de la preuve allégé, a maxima.

Etrangement, la Chambre sociale de la Cour de cassation s'applique à borner les velléités indemnitaires des victimes. Alors que le droit social de la responsabilité (i.e. le droit des risques professionnels) n'est d'aucun secours pour les salariés soumis au risque mortifère, lesquels, par définition, ne sont pas encore victimes d'une affection consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante ou d'un cancer broncho-pulmonaire provoqué par ladite inhalation, on aurait pu s'attendre à ce qu'une action en droit civil de la responsabilité soit jugée recevable. La raison est la suivante. L'allocation ne permettant pas au salarié de recevoir la totalité de son salaire antérieur, l'allocataire subit un préjudice économique dont il est fondé à demander réparation. La Cour ne partage pas l'analyse : "le salarié qui a demandé le bénéfice de l'allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal" (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42-241, FP-P+B+R, op. cit.). Il y aurait matière à redire...

Il ne reste plus alors qu'un levier pour augmenter le quantum de l'indemnisation : le préjudice d'anxiété. C'est dire combien il est spécifique.

B - La spécificité du préjudice d'anxiété

La Cour de cassation considère que le salarié, qui a travaillé dans un environnement pollué par les particules d'amiante, est nécessairement victime d'un "préjudice spécifique d'anxiété". Le qualificatif, qui a déjà été employé (V. not. sur le "préjudice spécifique d'anxiété" : Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42-241, FP-P+B+R op. cit., Cass. soc., 2 avril 2014, n° 12-28.616, FS-P+B N° Lexbase : A6342MIQ, Cass. soc., 4 décembre 2012, n° 11-26.294, FS-P N° Lexbase : A5687IYB ; sur le "préjudice spécifique résultant de la perte des droits à la retraite" : Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-20.991, FS-P+B N° Lexbase : A0636HZL ; sur le "préjudice spécifique résultant de la privation du repos hebdomadaire" : Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-67.051, FS-P+B N° Lexbase : A4987HTU ; sur le "préjudice spécifique d'accompagnement de fin de vie" : Cass. civ. 2, 21 novembre 2013, n° 12-28.168, FS-P+B N° Lexbase : A0485KQZ ; sur le "préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C" : Cass. civ. 2, 4 juillet 2013, n° 12-23.915, F-P+B N° Lexbase : A5465KIA ; sur le "préjudice spécifique de contamination par le VIH" : Cass. civ. 2, 22 novembre 2012, n° 11-21.031, FS-P+B N° Lexbase : A4948IXK), est pour le moins original.

Formellement, le préjudice spécifique d'anxiété n'est pas un chef de dommage listé dans la nomenclature des préjudices corporels "Dintilhac". Pour tout dire, il semble "inclassable", à tout le moins au regard des définitions tenues pour acquises (P. Jourdain, obs. sous Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42-241, FP-P+B+R, op. cit.).

En l'absence de définition opératoire, il est donc revenu à la jurisprudence de le caractériser. En l'espèce, la Cour de cassation prend soin d'indiquer que ledit préjudice est caractérisé par la situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante dans laquelle se trouve le salarié. Cette définition n'est pas nouvelle. Elle a été donnée par l'arrêt "princeps" du 11 mai 2010 (v. Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42-241, FP-P+B+R, supra). Ce "dommage existentiel" a ceci de spécifique que, par hypothèse, le salarié n'a encore développé aucune maladie consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante. C'est plutôt audacieux d'accorder une compensation dans ce cas de figure.

Au fond, le juge autorise l'indemnisation de la crainte d'un mal dont on ne sait s'il se réalisera. Son pouvoir d'appréciation est décidément des plus grands. Faute de "barémisation", ne serait-ce qu'indicative, d'un semblable poste de préjudice, qui indemnise une souffrance purement subjective, il y a matière à s'interroger sur l'office du juge et sur l'observance du principe d'égalité de traitement des victimes (v. notre brève étude, La rationalisation de la compensation du dommage corporel dans La réparation intégrale en Europe. Etudes comparatives des droits nationaux, Larcier, 2012, p. 97. V. le doute du justiciable : Cass. QPC, 27 juin 2013, n° 12-29.347, FS-P+B N° Lexbase : A3895KI4). Mais il faut bien convenir que, en l'occurrence, le risque est avéré. Pire, le pronostic vital des personnes concernées est statistiquement engagé. L'ACAATA est "un dispositif spécifique qui est [précisément] destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante" (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, FP-P+B+R, op. cit.). Ceci pour dire que la Chambre sociale aurait pu s'inspirer de la jurisprudence de la deuxième chambre de la Cour de cassation. Cette dernière, relativement au préjudice spécifique de contamination, considère qu'il s'agit d'"un préjudice exceptionnel extra-patrimonial qui est caractérisé par l'ensemble des préjudices tant physiques que psychiques résultant notamment de la réduction de l'espérance de vie[...]" (Cass. civ. 2, 22 novembre 2012, n° 11-21.031, FS-P+B N° Lexbase : A4948IXK, RCA, 2013, étude 1, S. Hocquet-Berg). Mutatis mutandis, c'est, en définitive, de préjudice extra-patrimonial évolutif dont il semble bien être question dans les deux cas de figure (v. égal. en ce sens M. Mekki, Chronique de jurisprudence de droit de la responsabilité civile, Gaz. Pal., 14 février 2013, n° 45, p. 19. contra P. Jourdain, obs. préc. sous Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, FP-P+B+R, op. cit., voir les obs. de Ch. Willmann, Faciliter la réparation du préjudice d'anxiété des salariés exposés à l'amiante : une jurisprudence attendue, quoique critiquée, D., 2014, 1312). La chose n'est pas inconnue. Il s'agit, selon la nomenclature "Dintilhac", d'un "préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance, d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital". Le rapport du groupe de travail dirigé par le président Dintilhac fait justement référence à la contamination d'une personne par le virus de l'hépatite C, celui du VIH, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ou l'amiante.

Matériellement, le préjudice d'anxiété a ceci de spécifique, mais cela a été souligné (v. supra), qu'il est subi par les salariés qui ont travaillé dans un établissement pollué par l'amiante. Pour le dire autrement, la victime est dispensée de rapporter la preuve d'un fait fautif de l'employeur, un fait causal suffit. Quant à l'exigence de certitude du dommage, on aurait tort de penser qu'elle est battue en brèche. Celle qui est requise juridiquement ne s'entend que d'une probabilité suffisante. La condition est, somme toute, satisfaite.

Il reste une question. Elle a trait au domaine ratione personae de cette jurisprudence. Il serait périlleux, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, de réserver ce dispositif aux seuls salariés victimes de l'amiante qui ont travaillé dans un établissement incriminé. Or, le préjudice spécifique d'anxiété est indemnisé à des conditions si particulières qu'il pourrait être soutenu que le principe de l'égalité de traitement des salariés victimes devant la loi est malmené. La saisine du Conseil constitutionnel aurait pu lever les doutes. Mais la Chambre sociale a refusé de transmettre la QPC (Cass. QPC, 27 juin 2013, n° 12-29.347, FS-P+B N° Lexbase : A3895KI4) : indemnisation du préjudice spécifique d'anxiété oblige.

II - L'indemnisation du préjudice spécifique d'anxiété

L'existence du préjudice spécifique d'anxiété est acquise, en l'espèce. Ce n'est pas à dire que l'indemnisation l'est, par voie de conséquence. Le salarié, qui se réjouit que sa qualité de victime soit reconnue, subit, en l'espèce, les affres du droit des procédures collectives. La Cour de cassation considère que la garantie de l'AGS n'est pas due (A). Une conclusion s'impose alors : la garantie de l'indemnisation devra être assumée par le FIVA (B).

A - L'absence de garantie de l'AGS

Aux termes de l'article L. 3253-8, 1° du Code du travail (N° Lexbase : L0711IXM), l'"AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation". Sur le fondement de l'ancien article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7703HBW), devenu l'article L. 3253-8, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide "que les dommages-intérêts dus au salarié à raison de l'inexécution par l'employeur d'une obligation découlant du contrat de travail sont garantis par l'AGS" (Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-44.220, FS-P+B N° Lexbase : A7793AXW). Elle a précisé, depuis, que l'assureur privé doit garantir le paiement des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice d'anxiété (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-20.912, FP-P+B+R N° Lexbase : A9257KLG). C'est que ladite garantie ne vise pas uniquement les salaires et ses accessoires mais s'étend également aux dommages-intérêts dus aux salariés, à raison de l'inexécution, par l'employeur, d'une obligation résultant de leur contrat de travail (Cass. soc., 12 octobre 2005, n° 03-47.510, F-D N° Lexbase : A8360DKT). C'est le sens qu'il convient de donner au visa de l'arrêt. Partant, le demandeur à l'action en indemnisation complémentaire pouvait espérer que sa créance indemnitaire soit garantie par l'AGS. C'était sans compter le jeu du droit des procédures collectives.

La garantie est refusée, en l'espèce, parce que "le préjudice d'anxiété est né à la date à laquelle les salariés avaient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA", soit le 7 juillet 2000. C'est-à-dire à "une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective". Ainsi rédigé, l'arrêt donne à penser qu'il importe de rechercher si la naissance de la créance est antérieure ou postérieure à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Autant dire que c'est égal. L'AGS doit sa garantie en tout état de cause. Comprenons bien. Non seulement les créances antérieures sont dues aux salariés mais il en va de même des créances postérieures. L'article L. 3253-8 du Code du travail est en ce sens, la jurisprudence également.

Ce que paraît vouloir signifier l'arrêt, c'est que la garantie n'est plus due à compter de la clôture de la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 643-9 N° Lexbase : L7337IZR), qui marque la fin de la procédure et fait disparaître le débiteur, personne morale, de la scène juridique. Pour mémoire, l'établissement est mis en liquidation judiciaire en 1989. En l'espèce, la Cour de cassation considère que le fait générateur de la créance d'indemnité est la manifestation du préjudice d'anxiété. Qu'est-ce à dire ? Pour la cour d'appel, cela consiste à se placer au jour de l'exposition le risque créé par l'amiante. Et de considérer, par conséquent, que la créance des salariés est nécessairement antérieure à l'ouverture de la procédure collective ; qu'elle est donc garantie par l'AGS.

La Cour de cassation casse l'arrêt sur ce point. Le fait générateur de la créance est contemporain de la connaissance par les salariés du risque mortifère et des troubles psychologiques qui s'en suivent. Cela n'est pas acquis au jour de l'inscription de l'établissement pollué sur la fameuse liste, mais au jour où les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel. Retardant la date de naissance de la créance, la Chambre sociale de la Cour de cassation réduit d'autant la dette de l'AGS. En l'espèce, c'est au mieux, au 7 juillet 2000, que les salariés victimes ont été informés, date à laquelle, en toute hypothèse, la liquidation judiciaire a été clôturée.

La Cour de cassation ne se prononce pas sur les modalités d'information des victimes du préjudice spécifique d'anxiété. Elle donne à penser qu'il s'agirait de procéder au cas par cas au regard de la date à laquelle le salarié aura eu, personnellement, connaissance de l'arrêté ministériel. D'impérieuses considérations de sécurité juridique recommanderaient de fixer la date de naissance de la créance au jour de la publication de l'arrêté ministériel.

La Cour ne se prononce pas non plus, et ce silence emporte plus, sur la question de savoir qui sera tenu de payer les dommages-intérêts compensatoires. Que l'AGS ne doive pas sa garantie est une chose, mais à quoi bon reconnaître l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété, à quoi bon consacrer un droit subjectif à l'indemnisation des salariés victimes de l'amiante, si aucun débiteur n'est désigné, si leur droit à n'est pas opposable ?

B - Le report de la garantie sur le FIVA

En disant que l'AGS ne doit pas sa garantie, la Chambre sociale de la Cour de cassation reporte mécaniquement, mais sans le dire, le poids de la dette des épaules d'un assureur privé sur celles d'un établissement public national à caractère administratif, à savoir le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (lequel, pour mémoire est financé à 75 % par la branche AT/MP et à 25 % par l'Etat). D'aucuns défendront qu'il ne s'agit que de péréquation et que, en définitive, la substitution de débiteur est sans incidence sur le sort de l'action de la victime. Il sera peut-être même considéré qu'il pouvait sembler, jusqu'ici, sévère de condamner seulement les entreprises, alors qu'un certain nombre d'entre elles se sont contentées de respecter la réglementation en vigueur sur l'amiante. Quoi qu'il en soit, il importera à la victime de saisir le fonds à charge pour ce dernier d'apprécier si l'exposition à l'amiante peut être considérée comme la cause du préjudice spécifique d'anxiété souffert. Ceci posé, il est douteux que la Commission d'examen des circonstances de l'exposition à l'amiante, qui est désignée par le Conseil d'administration du fonds, s'aventure à pratiquer la jurisprudence in favorem déroulée en droit de la responsabilité.

Décision

Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 12-29.788, FS-P+B (N° Lexbase : A2718MTT).

Cassation (CA Aix-en-Provence, 18 octobre 2012).

Texte concerné : C. trav., art. L. 3253-8, 1° (N° Lexbase : L0711IXM).

Mots clefs : amiante ; préjudice d'anxiété ; indemnisation.

Lien base : (N° Lexbase : E3186ET8).

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Licenciement

[Brèves] Nullité du licenciement prononcé en raison des activités syndicales d'un salarié et indemnités de réintégration

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.434, FS-P+B (N° Lexbase : A4264MUH)

Lecture: 2 min

N3271BUP

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Le 27 Août 2014

Tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de ses activités syndicales est nul ; dès lors qu'il caractérise une atteinte à la liberté, garantie par la Constitution, qu'a tout homme de pouvoir défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu le 9 juillet 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.434, FS-P+B N° Lexbase : A4264MUH).
Dans cette affaire, en 2008 la société S. a acquis auprès du groupe A. un hôtel situé à Champs-sur-Marne, hôtel dirigé depuis 1991 par M. L., par ailleurs représentant syndical au comité d'entreprise.
La demande d'autorisation de transfert de M. L., d'abord refusée par l'inspecteur du travail, a été autorisée par décision du ministre du Travail le 31 décembre 2008. La société S. a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. L. pour motif économique et refus a été donné par l'inspecteur du travail le 19 juin 2009 au motif que la demande était liée au mandat et aux responsabilités de représentant du personnel du salarié. Le 28 août 2009, le salarié, dont la période de protection s'achevait le 30 juin 2009, a été licencié pour motif économique. Ce licenciement a été annulé par la cour d'appel, le 26 novembre 2009, en raison de l'identité des motifs avec ceux ayant donné lieu à décision de refus de l'administration et de son caractère discriminatoire. Le 31 mars 2010, la société S. a notifié à M. L. un nouveau licenciement pour motif économique, licenciement également déclaré nul par la cour d'appel de Paris le 20 février 2013 (CA Paris, Pôle 6, 1ère ch., 20 février 2013, n° S 10/09791 N° Lexbase : A4669I8G).
Or, après avoir reconnu le caractère discriminatoire du licenciement prononcé, l'arrêt énonce qu'il sera alloué au représentant syndical une somme correspondant à la réparation de la totalité de son préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, déduction faite des revenus tirés par le salarié d'une autre activité ou d'un revenu de remplacement. Et c'est cette solution qui sera censurée par la Haute juridiction aux visas des articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L5203IZQ) et L. 1132-4 (N° Lexbase : L0680H93) du Code du travail : le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4752EXB).

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Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Juillet 2014

Lecture: 13 min

N3165BUR

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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)

Le 01 Août 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et de Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920). Au programme de cette nouvelle chronique de procédure pénale, une séquence jurisprudentielle assez conséquente consacrée à l'identification de la partie civile au procès pénal et à la détermination de ses prérogatives (Cass. crim., 14 mai 2014, n° 12-84.075, F-P+B ; Cass. crim., 3 juin 2014, n° 14-90.014, FS-P+B+R+I ; Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-83.288, F-P+B+I ; Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-86.361, F-P+B+I ; Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-86.526, F-P+B+I ; Cass. crim., 25 juin 2014, n° 12-88.329, P+B+I), un nouvel arrêt relatif au principe de loyauté (Cass. crim., 30 avril 2014, n° 13-88.162, F-P+B+I) et une autre décision du Conseil constitutionnel à propos de l'article 41-4 du Code de procédure pénale (Cons. const., décision n° 2014-406 QPC du 9 juillet 2014). I - A propos de la partie civile au procès pénal
  • Si l'article 87 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7159A4W) est conforme au principe du contradictoire (Cass. crim., 3 juin 2014, n° 14-90.014, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2822MQL), c'est à la condition que la partie civile dont la constitution est déclarée irrecevable ait préalablement pu présenter des observations (Cass. crim., 14 mai 2014, n° 12 -84.075, F-P+B N° Lexbase : A5581MLB)

L'article 87 du Code de procédure pénale dispose que, s'il déclare irrecevable une constitution de partie civile, "le juge d'instruction statue, après communication du dossier au ministère public, par ordonnance motivée dont l'intéressé peut interjeter appel". Ces dispositions portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit en ce qu'elles ne prévoiraient pas "la notification à la partie civile des réquisitions du procureur de la République et observations des parties visant à contester la recevabilité de la partie civile, avant que le juge statue sur le bien-fondé de cette contestation, ce après avoir recueilli au besoin les observations de la partie civile", et en ce qu'elles priveraient "la partie civile d'un double degré de juridiction lorsque le procureur de la République ou des parties entendent contester la recevabilité de la partie civile" ?

Non, répond la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 juin 2014, selon lequel ces questions prioritaires de constitutionnalité ne sont, "à l'évidence [...] pas sérieuses, au regard du principe de la contradiction tel que garanti par l'article préliminaire, I, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9741IPH), en ce que le juge d'instruction ne peut déclarer, d'office ou sur contestation, la constitution d'une partie civile irrecevable sans l'avoir mise en mesure, au préalable, de présenter ses observations".

Pour être expéditive, cette solution n'en a pas moins vocation à être publiée au Rapport annuel de la Cour de cassation ; elle mérite donc quelques explications.

Du point de vue de la partie civile, et relativement à l'éventuelle contestation de sa constitution, il importe deux choses : qu'elle soit effectivement en mesure de réagir, d'abord, en présentant des observations lors de la contestation même, ensuite, en faisant appel de l'irrecevabilité qui pourra consécutivement être prononcée. Or, il est vrai qu'à la lecture de l'article 87, seule cette dernière possibilité apparaît clairement. Qu'en est-il des observations, bref du respect du principe du contradictoire au stade de la contestation de la constitution de partie civile ?

C'est la jurisprudence qu'il faut alors consulter, ce qui ne pose plus vraiment de problème depuis que le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont considéré, de concert, qu'un texte et, corrélativement, sa constitutionnalité, ne doivent s'éprouver que de façon concrète, autrement dit à travers l'interprétation qui en est faite. Et, précisément, la lecture de cette interprétation révèle qu'il était déjà imposé au juge d'instruction, malgré le silence de l'article 87 du Code de procédure pénale et grâce à la conjonction hautement normative de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale d'inviter les parties à présenter leurs observations préalablement à une décision relative à la recevabilité d'une constitution de partie civile contestée (1).

Pour ne pas l'avoir fait, c'est bien logiquement sur le fondement de ces deux textes qu'une cour d'appel a été sanctionnée par la Chambre criminelle, dans un autre arrêt rendu le 14 mai 2014. Ce qui vaut pour le juge d'instruction, en vertu de l'article 87 du Code de procédure pénale interprété à la lueur de la jurisprudence, vaut tout aussi bien pour le juge qui tranche, en vertu de l'article 423 (N° Lexbase : L3830AZU) interprété à cette même lueur. Ainsi, les juges qui, d'office et sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, ont déclaré irrecevable une constitution de partie civile au motif qu'elle n'était pas mentionnée à la prévention, n'ont pas respecté les textes susvisés.

Où l'on constate, une fois de plus, que le calibrage de la procédure pénale française aux droits fondamentaux n'a pas attendu que la question prioritaire de constitutionnalité dépoussière la Constitution de 1958 et ce qui va avec. Ce qui n'empêche pas certains juges d'attendre que le Conseil constitutionnel se prononce pour appliquer des règles que la Cour européenne a posé de vieille lune...

Guillaume Beaussonie

  • La recevabilité de la constitution de partie civile par intervention du créancier de la victime d'une infraction est tributaire de l'existence d'un préjudice distinct du non-paiement de sa créance et qui résulte directement de l'infraction (Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-83.288, F-P+B+I N° Lexbase : A2816MRQ)

L'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ) dispose que "l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction". Disant cela, l'article 2 donne le critère qui permet d'identifier les titulaires, autres que le ministère public, du droit de participer au procès pénal. Autrement dit, il autorise la qualification des victimes au sens pénal du terme.

Ce texte est précieux, en ce sens que beaucoup peuvent avoir la tentation de demander la réparation d'un préjudice entretenant un lien plus ou moins distendu avec une infraction qu'ils n'ont pourtant pas subie personnellement et directement. Ainsi en est-il des créanciers d'une victime, qui perçoivent dans le processus de réparation du préjudice subi par cette dernière l'occasion de récupérer le montant de leur créance. La chose est d'autant plus tentante que le contexte s'avère être celui d'une procédure collective, durant laquelle des infractions ont été commises par les dirigeants de l'entreprise en difficulté, infractions qui, au surplus, empêcheront sans doute le paiement des créanciers.

Pourquoi ne pas leur ouvrir, au moins, l'action civile par intervention, dont on sait qu'elle est, quant à elle, de nature plus civile que pénale, puisqu'elle ne suppose pas un droit, pour la victime, de déclencher le procès pénal ? Elle est, en effet, exclusivement tournée vers l'indemnisation du préjudice causé à la victime par l'infraction.

Précisément, c'est ce nécessaire attachement du préjudice et de l'infraction qui exclut les créanciers de la victime d'une infraction de l'action civile par action ou par intervention relativement à cette infraction. La cause de leur créance ou, si l'on préfère, de la dette de leur débiteur n'est pas une infraction commise ou subie par ce dernier ; leur débiteur n'est pas l'auteur de l'infraction qui a été commise. Ils ne sont donc pas, sauf cession ou subrogation, légitimes à agir au titre d'un préjudice subi par un autre, quand bien même ce préjudice aurait des répercussions sur le non-paiement de leur créance par le débiteur.

Tel est le message de cet intéressant arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans lequel il était question du créancier d'une société faisant l'objet d'une procédure collective qui, ayant déclaré sa créance dans ce cadre, prétendait, en plus, se constituer partie civile par intervention dans l'instruction ouverte des chefs d'abus de biens sociaux, tenue de comptabilité irrégulière et banqueroute par détournement d'actif commis à l'encontre de sa débitrice. La Cour de cassation précise que "si l'article L. 654-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L4163HBS) n'interdit pas aux créanciers de se constituer partie civile par voie d'intervention, c'est à la condition que soit invoqué, par la partie intervenante, un préjudice distinct du montant de sa créance déclarée dans la procédure collective ouverte contre son débiteur et résultant directement de l'infraction" (2).

L'"intérêt collectif des créanciers" étant déjà assuré, dans la procédure pénale, par leur représentation dans ce cadre, telle qu'elle se trouve exceptionnellement autorisée par l'article L. 654-17 du Code de commerce en raison de la pluralité d'intérêts que cristallise le patrimoine d'une entreprise en difficulté, une action civile individuelle de l'un d'entre eux ne saurait se justifier que par la démonstration d'un préjudice individuel distinct né de l'infraction, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Guillaume Beaussonie

  • Lorsque les dispositions civiles d'un jugement sont devenues définitives, la partie civile ne peut plus comparaître à l'audience ou se faire représenter par un avocat, mais elle peut être entendue comme témoin (Cass. crim., 18 juin 2014, 2 arrêts, n° 13 -86.361 N° Lexbase : A4323MRK et n° 13-86.526 N° Lexbase : A4324MRL, F-P+B+I )

Une personne, dont la constitution de partie civile a été déclarée irrecevable ou qui a été déboutée de ses demandes par le tribunal correctionnel, et qui ne relève pas appel du jugement rendu par ce dernier, n'est plus partie à l'instance d'appel. En conséquence de quoi, elle ne peut plus comparaître à l'audience en tant que partie civile ou s'y faire représenter en cette qualité (premier arrêt). En revanche, rien ne s'oppose à ce qu'elle soit entendue comme témoin, mais sans son avocat (second arrêt).

C'est pour avoir méconnu cette logique processuelle et, partant, être allées au-delà de leur saisine, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse deux arrêts rendus par des cours d'appel. D'une part, en effet, aux termes de l'article 509 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3901AZI), "l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et la qualité de l'appelant" ; d'autre part, en vertu de l'article 437 du même code (N° Lexbase : L3445IGP), "la personne entendue comme témoin ne peut être assistée d'un avocat".

Guillaume Beaussonie

  • A la suite de l'opposition d'une personne condamnée par défaut, la partie civile qui s'est exprimée lors des précédentes audiences n'a pas besoin de comparaître ou d'être représentée à la nouvelle audience (Cass. crim., 25 juin 2014, n° 12-88.329, P+B+I N° Lexbase : A7728MRN)

Une personne, condamnée par défaut en première instance puis en appel à indemniser sa victime, qui s'est constituée partie civile, forme opposition à l'encontre de la dernière décision rendue à son encontre. A l'audience durant laquelle est examiné ce recours, la partie civile, non comparante ni représentée, ne dépose pas de nouvelles conclusions. La juridiction ressaisie -en l'occurrence la cour d'appel- demeure-t-elle malgré tout compétente pour se prononcer sur la demande initiale mais non réitérée de la partie civile ?

La Chambre criminelle de la Cour de cassation conforte les juges du fond qui, en l'espèce, ont décidé de se prononcer sur les demandes de la partie civile dans les limites fixées par elle dans ses conclusions régulièrement déposées lors du premier examen de son appel.

En matière d'opposition, il ne peut effectivement être fait application de l'article 425 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3831AZW), en vertu duquel "la partie civile régulièrement citée qui ne comparaît pas ou n'est pas représentée à l'audience est considérée comme se désistant de sa constitution de partie civile". L'opposition du prévenu, précise pertinemment la Cour de cassation à cet égard, a "eu pour seul effet de rendre non avenues les dispositions de l'arrêt rendu par défaut mais non de dessaisir la juridiction des conclusions régulièrement déposées par la partie civile lors du premier examen de son appel".

Ce qui compte, surtout, est que le contradictoire ait pu être véritablement rétabli, puisque telle est la raison d'être du recours en opposition. Or, tel a bien été le cas en définitive, le prévenu ayant également été mis en mesure, lors de l'audience consécutive à son opposition, de discuter contradictoirement les prétentions de la partie civile.

Guillaume Beaussonie

II - A propos du principe de loyauté dans le procès pénal

  • Pas d'atteinte au principe de loyauté de la preuve dans la mise en place, par une autorité publique américaine, d'un forum permettant à des délinquants de communiquer sur des fraudes à la carte bancaire (Cass. crim., 30 avril 2014, n° 13-88.162, F-P+B+I N° Lexbase : A6929MKT)

Dans ce domaine de légalité qu'est et doit demeurer le droit pénal, la loyauté, principe modérateur promu surtout par la doctrine, a quand même fini par faire sa place ; une place sans commune mesure avec l'ambition d'un tel principe, mais une place désormais pérenne (3). Ce principe oblige les enquêteurs à la dignité davantage qu'à la loyauté, en leur interdisant de provoquer quiconque à commettre une infraction. La provocation au dévoilement d'une infraction déjà commise est, en revanche, parfaitement autorisée, même si quelques arrêts, il est vrai encore timides, semblent inciter à distinguer également, dans une telle situation, entre provocation loyale et provocation déloyale (4).

Malgré la contrition et la pérennité, deux facteurs qui devraient rendre aisément appréhendable ledit principe, il est rarement évident de savoir quand il y a eu provocation à l'infraction prohibée et quand il y a eu provocation à la preuve autorisée. Le critère affirmé est celui de la présence ou de l'absence d'"éléments antérieurs permettant de soupçonner l'existence de l'infraction" (5), ce qui ne fait que reporter le problème à l'identification de tels éléments.

En l'espèce, il apparaissait, sur un forum d'infiltration mis en place par le FBI, qui permettait aux utilisateurs d'échanger sur des sujets liés à la fraude à la carte bancaire et de communiquer des offres d'achat, de vente ou d'échange de biens et services liés à cette fraude, qu'une personne était impliquée dans le commerce illicite de numéros de cartes bancaires sur internet. Informé par le FBI, l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication diligentait une perquisition chez cette personne, ce qui permettait aux enquêteurs de recueillir divers éléments confirmant l'existence d'activités frauduleuses sur internet à partir de cartes bancaires, de découvrir des schémas techniques relatifs à des escroqueries et d'identifier un autre suspect (6). Une fois mis en examen, les deux suspects contestaient la loyauté du stratagème américain qui, selon eux, avait provoqué le premier d'entre eux à la commission d'une infraction. Du point de vue de la chambre de l'instruction, tel n'était pas le cas en vérité, car le suspect "avait déjà manifesté sur d'autres sites son intérêt pour les techniques de fraude à la carte bancaire et pour l'utilisation d'internet à cette fin [...] le site de surveillance et d'enregistrement des messages échangés [ayant] seulement permis de rassembler les preuves de la commission de fraudes à la carte bancaire et d'en identifier les auteurs, aucun élément ne démontrant qu'il ait eu pour objet d'inciter les personnes qui l'ont consulté à passer à l'acte". Autrement dit, parce qu'il existait des éléments antérieurs permettant de soupçonner l'existence de l'infraction, il n'y avait pas eu provocation à l'infraction, donc pas atteinte au principe de loyauté, la preuve obtenue de la sorte étant, en conséquence, parfaitement recevable.

A cela, qu'ajouter, si ce n'est que le forum mis en place permettait aussi "de communiquer des offres d'achat, de vente ou d'échange de biens et services liés à la fraude à la carte bancaire". S'agissait-il seulement, en ce cas, de provoquer un délinquant à se dévoiler ou s'agissait-il, déjà, de provoquer un délinquant potentiel à devenir un délinquant réel ? Faut-il apprécier le stratagème abstraitement ou concrètement ? A suivre !

Guillaume Beaussonie

III - A propos de l'article 41-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0136I3G) (suite et peut-être fin)

  • L'alinéa 3 de l'article 41-4 du Code de procédure pénale est constitutionnel sous réserve de l'information de l'ensemble des personnes intéressées (Cons. const., décision n° 2014-406 QPC, du 9 juillet 2014 N° Lexbase : A0585MU9)

Stigmate d'une conception sans nul doute insuffisamment mûrie, l'article 41-4 du Code de procédure pénale n'en finit plus d'être examiné, censuré et amendé par le Conseil constitutionnel. Rappelons, en effet, que son alinéa 4, qui autorisait le procureur de la République à ordonner la destruction des biens meubles saisis dangereux, nuisibles ou illicites dont la conservation n'était plus nécessaire à la manifestation de la vérité, a été abrogé à la suite d'une décision rendue le 11 avril 2014 (7). C'est au tour de l'alinéa 3 d'être passé au crible des "juges" de l'aile Montpensier du Palais Royal, ces dispositions permettant essentiellement à l'Etat, sous réserve des droits des tiers, de devenir propriétaire de plein droit des objets saisis dans le cadre d'une procédure pénale, lorsque leur restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence.

Etrangement, le Conseil constitutionnel, qui commence traditionnellement par rappeler qu'il faut distinguer entre privation de propriété interdite et restriction du pouvoir de disposition du propriétaire concevable à certaines conditions, choisit de faire ressortir le mécanisme de l'alinéa 3 de l'article 41-4 à cette dernière catégorie. Transférer la propriété d'un bien à l'Etat ne reviendrait donc pas, selon lui, à priver son propriétaire de sa propriété... Il y aurait certainement de quoi surprendre l'analyste, si la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de propriété ne se caractérisait pas, précisément, par une grande confusion (8).

Sur une base ainsi tronquée, le Conseil constitutionnel n'a plus qu'à opérer un contrôle de proportionnalité désormais concevable, qui lui fait comparer les atteintes en l'occurrence portées au droit des propriétaires concernés aux objectifs de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers publics, ces derniers justifiant que soient assurées une gestion efficace des scellés conservés dans les juridictions et la clôture des dossiers. De la sorte, "en elle-même, l'attribution à l'Etat des biens placés sous main de justice et qui n'ont été réclamés ni pendant toute la durée de la procédure ou de l'enquête ni pendant un délai supplémentaire de six mois à l'issue de celle-ci, ne [porterait] pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi".

On sait aussi que, si le droit de propriété ne sort pas toujours grandi des décisions du Conseil constitutionnel, tel n'est en revanche pas le cas du droit à un recours effectif, que ladite "juridiction" raccroche au très compréhensif wagon de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). C'est pourquoi nul ne s'étonne non plus que cela soit finalement sur ce seul fondement, comme il l'avait déjà fait le 11 avril 2014, que le Conseil constitutionnel trouve à formuler une réserve d'interprétation à propos de la constitutionnalité de l'alinéa 3 de l'article 41-4 du Code de procédure pénale : le délai pour former la réclamation étant limité à six mois, quelle que soit la durée qui s'est écoulée entre la saisie des objets et la décision qui le fait courir, il apparaît nécessaire de s'assurer que toutes les personnes intéressées, c'est-à-dire pas seulement les destinataires de ladite décision qui peuvent ne pas être les véritables propriétaires des biens saisis, aient été effectivement informées de la décision qui risque de conduire à leur expropriation.

Guillaume Beaussonie


(1) Cass. crim., 3 mai 2007, n° 06-82.149, F-P+F (N° Lexbase : A5062DWE).
(2) Voir déjà Cass. crim., 4 décembre 1997, n° 96-85.729, inédit (N° Lexbase : A5429A4T) : s'inscrivant dans la jurisprudence en vertu de laquelle le créancier qui démontre un préjudice particulier, distinct du montant de sa créance et résultant directement de l'infraction, peut se constituer partie civile (voir Cass. crim., 11 octobre 1993, n° 92-81.260 N° Lexbase : A4029AC9, Bull. crim., n° 283), cette décision lui reconnaît un tel droit en compensation de la perte de la chance de récupérer sa créance.
(3) Voir déjà nos observations in Chronique de procédure pénale - Mars 2014, Lexbase Hebdo n° 562 du 13 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1182BUC).
(4) Voir par exemple Cass. crim., 7 janvier 2014, n° 13-85.246, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0243KT8), sur lequel portent les observations précitées dans la note n° 3.
(5) Cass. crim., 4 juin 2008, n° 08-81.045, F-P+F (N° Lexbase : A9418D8C), Bull. crim., n° 141, sur lequel voir par exemple notre note : La relativité du principe de loyauté de la preuve en procédure pénale, LPA, 28 août 2008, n° 173, p. 7.
(6) L'origine américaine de la procédure n'empêche aucunement l'application du principe de loyauté : comp. Cass. crim., 4 juin 2008, précité note 5.
(7) Cons. const., 11 avril 2014, décision n° 2014-390 QPC (N° Lexbase : A8257MIN) sur lequel voir nos observations in Chronique de procédure pénale - Mai 2014, Lexbase Hebdo n° 570 du 15 mai 2014 - édition privée (N° Lexbase : N2137BUP).
(8) Voir par exemple nos observations sur : Cons. const., décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014 (N° Lexbase : A8792MKT) in Chronique de droit des biens - Juillet 2014, Lexbase Hebdo n° 577 du 3 juillet 2014 - édition privée (N° Lexbase : N2925BUU).

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Possibilité d'enregistrer un espace de vente en tant que marque !

Réf. : CJUE, 10 juillet 2014, aff. C-421/13 (N° Lexbase : A1879MU7)

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N3223BUW

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Le 17 Juillet 2014

Dans un arrêt du 10 juillet 2014, la CJUE, saisie d'une question préjudicielle, a retenu en substance que la représentation de l'aménagement d'un espace de vente, tel que celui d'un magasin porte-drapeau "Apple", peut, sous certaines conditions, être enregistrée en tant que marque, une telle représentation devant alors être propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (CJUE, 10 juillet 2014, aff. C-421/13 N° Lexbase : A1879MU7). En 2010, Apple a fait enregistrer auprès de l'United States Patent and Trademark Office (office des brevets et des marques des Etats-Unis) une marque tridimensionnelle consistant en la représentation, par un dessin multicolore, de ses magasins porte-drapeaux (flagship stores). Cette marque était enregistrée pour des "services de commerce de détail relatifs aux ordinateurs, logiciels, périphériques, téléphones portables, électronique grand public et accessoires et démonstration de produits y relatifs". En 2013, l'extension au territoire allemand ayant été refusée par le Deutsches Patent und Markenamt (office allemand des brevets et des marques), un contentieux est né et la CJUE a été saisie d'une question préjudicielle. La Cour estime qu'une représentation qui, telle celle en l'espèce, visualise l'aménagement d'un espace de vente au moyen d'un ensemble continu de lignes, de contours et de formes peut constituer une marque, à condition qu'elle soit propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. La Cour souligne cependant que l'aptitude générale d'un signe à constituer une marque n'implique pas que ce signe possède nécessairement un caractère distinctif mais doit être appréciée par rapport, d'une part, aux produits ou aux services visés et, d'autre part, à la perception qu'en a le public pertinent. La Cour considère en outre, que, si aucun des motifs de refus d'enregistrement ne s'y oppose, un signe représentant l'aménagement des magasins porte-drapeaux d'un fabricant de produits peut valablement être enregistré non seulement pour ces produits, mais également pour des prestations de services, dès lors que ces prestations ne font pas partie intégrante de la mise en vente des produits. Elle conclut donc que la représentation, par un simple dessin sans indication de taille ni de proportions, de l'aménagement d'un espace de vente de produits peut être enregistrée comme marque pour des services consistant en des prestations qui sont relatives à ces produits mais ne font pas partie intégrante de la mise en vente de ceux-ci, à condition qu'elle soit propre à distinguer les services de l'auteur de la demande d'enregistrement de ceux d'autres entreprises et qu'aucun des motifs de refus énoncés à la Directive 2008/95 du 22 octobre 2008 (N° Lexbase : L7556IBH) ne s'y oppose.

newsid:443223

Régimes matrimoniaux

[Brèves] Caractère commun ou propre de la valeur de stock-options : tout dépend de la date de la levée d'option et non de la date d'attribution

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n° 13-15.948, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0580MUZ)

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N3254BU3

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Le 27 Août 2014

Si les droits résultant de l'attribution, pendant le mariage à un époux commun en biens, d'une option de souscription ou d'achat d'actions forment des propres par nature, les actions acquises par l'exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l'option est levée durant le mariage. Telle est la règle énoncée par la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 9 juillet 2014 (Cass. civ. 1, 9 juillet 2014, n° 13-15.948, FS-P+B+I N° Lexbase : A0580MUZ ; cf. l’Ouvrage "Droit des régimes matrimoniaux" N° Lexbase : E8921ETL). En l'espèce, le divorce de M. X et de Mme Y, mariés sans contrat en 1969, avait été prononcé le 28 juin 2007, les effets en étant fixés dans leurs rapports au 2 octobre 2002 ; des difficultés s'étaient présentées lors de la liquidation de leur communauté notamment quant au sort des options de souscription ou d'achat d'actions qui avaient été attribuées au mari avant cette date et qu'il avait levées, pour certaines avant la dissolution, pour d'autres après, selon les délais d'exercice stipulés lors des attributions. Pour décider que la valeur patrimoniale des stock-options, attribuées à M. X avant le 2 octobre 2002 et levées postérieurement à cette date, devait être intégrée à l'actif communautaire, après avoir énoncé que les stocks-options constituant un complément de rémunération, le caractère commun ou propre de leur valeur patrimoniale dépendait seulement de la date à laquelle elles étaient attribuées, la date de levée de l'option permettant uniquement de déterminer cette valeur, qui correspond au différentiel entre le prix d'exercice de l'option et la valeur du titre au jour de son acquisition, ou, le cas échéant, le prix de sa revente réalisée à la même époque, la cour d'appel de Paris avait retenu qu'ainsi, la valeur des stock-options, attribuées à M. X avant le 2 octobre 2002 et levées postérieurement à cette date, entrait en communauté, peu important leur période d'exercice et l'origine des fonds ayant financé l'acquisition (CA Paris, Pôle 3, 1ère ch., 19 décembre 2012, n° 11/20957 N° Lexbase : A3719IZR). A tort, selon la Cour régulatrice, qui énonce la solution précitée, au visa des articles 1401 (N° Lexbase : L1532ABD) et 1404 (N° Lexbase : L1535ABH) du Code civil, ensemble l'article 1589 du même code (N° Lexbase : L1675ABN) et l'article L. 225-183, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L8283GQT). S'agissant de la valeur des stock-options, la Cour retient que la plus-value réalisée était indifférente et que, comme le demandait Mme Y, dans le partage à intervenir, la valeur à retenir pour des actions qui, acquises pendant le mariage par la levée de l'option de souscription ou d'achat exercée par le mari durant celui-ci, se trouvaient en nature dans l'actif commun au jour de la dissolution de la communauté, était leur prix de cession pendant l'indivision post-communautaire.

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Rémunération

[Brèves] Le principe "à travail égal salaire égal" ne peut être invoqué si le salarié n'est pas dans la même situation que les salariés avec lesquels il se compare

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 12-30.192, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A4200MU4)

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N3273BUR

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Le 22 Juillet 2014

N'est pas dans la même situation que les salariés avec lesquels elle se comparait, la salariée qui n'assumait pas l'intégralité des missions confiées aux autres enseignants, notamment le suivi de l'enseignement dans les matières enseignées de calcul différentiel et d'algèbre et dont la part de temps de travail affectée à la recherche était réduite. Telle est la solution d'un arrêt rendu le 9 juillet 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 12-30.192, FS-P+B sur le premier moyen N° Lexbase : A4200MU4).
Dans cette affaire, Mme X a été engagée en septembre 2000 en qualité de chargée d'enseignement au sein de l'Institut de Mathématiques appliquées par l'association Y, sans contrat écrit pour la durée de l'année universitaire. Après que des contrats ont été conclus, chaque année, dans les mêmes conditions jusqu'en 2005, elle a conclu avec l'association, à compter du mois de septembre 2005, des contrats à durée déterminée d'usage couvrant l'année universitaire. A la fin de l'année universitaire 2008-2009, elle a présenté sa candidature à un poste d'enseignant chercheur en statistiques et probabilités ouvert par l'Institut de Mathématiques appliquées. Le poste n'a pas été attribué, le processus de recrutement ayant été interrompu et la salariée a alors saisi la juridiction prud'homale pour demander la requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée, sa classification comme enseignant chercheur ou, subsidiairement, comme enseignant permanent, les rappels de salaire correspondants, des dommages et intérêts pour refus d'attribution du poste d'enseignant chercheur en raison de son âge. La cour d'appel d'Angers ayant rejeté ses demandes (CA Angers, 28 août 2012, n° 10/02460 N° Lexbase : A0370ISI), pourvoi a été formé. En vain. En effet, la Haute juridiction approuve les juges angevins d'avoir relevé que la salariée n'assumait pas l'intégralité des missions confiées aux autres enseignants, notamment le suivi de l'enseignement dans les matières enseignées de calcul différentiel et d'algèbre et que sa part de temps de travail affectée à la recherche était réduite, et d'en avoir déduit qu'elle n'était pas dans la même situation que les salariés avec lesquels elle se comparait (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0719ETS).

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Réseaux sociaux

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Données analytiques

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