La lettre juridique n°545 du 24 octobre 2013

La lettre juridique - Édition n°545

Éditorial

Jusnaturalisme vs positivisme juridique : des concepts barbares, une réalité civilisationnelle

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N9069BT3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Il suffit de lire Sophocle pour s'apercevoir que l'histoire est toujours la même ! Au Vème siècle avant JC, la transgression d'Antigone célébrant les rites funéraires pour son frère Polynice, contre la volonté de son royal oncle, au nom d'un droit naturel et universel, au-delà de la loi des hommes ; aujourd'hui, la transgression présidentielle proposant à une jeune collégienne de poursuivre ses études en France, après avoir été expulsée sommairement. Le rapport officiel aura beau montrer la légalité de la mesure au regard du droit des étrangers et de la circulaire en cause, comme souvent en France, certains courants de pensées n'auront que faire de la suprématie législative, préférant suivre la voie d'une loi, pas même constitutionnelle, mais supérieure, non écrite, souvent celle de leur conscience.

Il n'est point à discuter de la méthode orchestrée pour procéder à l'expulsion litigieuse ; le rapport du ministère de l'Intérieur avoue lui-même que les forces de l'ordre "n'ont pas fait preuve du discernement nécessaire" en prenant en charge la collégienne lors d'une sortie scolaire. Il sera question, ici, chacun l'aura compris, d'une lutte éternelle, depuis la Révolution française pour être plus exact, entre le jusnaturalisme, c'est-à-dire le droit naturel, et le positivisme juridique, qui place la hiérarchie des normes, et donc la loi, comme génératrice de toute source de droit.

Soit le droit est la source de la loi, c'est le jusnaturalisme ; soit c'est l'inverse, et c'est le positivisme juridique de Kelsen qui l'emporte. Et, si l'on analyse bien la vie politique française, encore aujourd'hui, c'est cet affrontement philosophique qui se joue au quotidien. Et, vouloir en faire une synthèse comme a tenté de le faire l'autorité présidentielle, en proposant à la jeune collégienne de revenir, seule, en France, c'est-à-dire sans sa famille est une gageure. C'est non seulement contra legem, parce que contraire au droit positif français ; et, si toutefois c'est conforme à une règle supérieure d'humanité et d'hospitalité chère à la France, la proposition est également contra conventionnelle puisqu'elle méprise l'intérêt supérieur de l'enfant qui prescrit le droit à une vie familiale (CESDH, art. 8).

Mais attention, ce conflit de normes transcende les clivages ; en aucun cas, l'on pourrait taxer un bord politique d'être plus respectueux de la loi qu'un autre, et ne pas être inféodé au droit naturel plus volontiers qu'à la loi démocratique. L'épisode législatif du "mariage pour tous" est bien l'exemple même que le droit naturel, plus singulièrement en l'espèce, une certaine morale religieuse s'avérait aux yeux d'une partie de la population supérieur à la loi de la République ; au point que certains réclament encore l'exercice d'une liberté de conscience... Après, il est évident que la source de ce droit naturel n'est nécessairement pas la même selon le courant de pensée politique qui s'en prévaut : Pascal et Kant ne sont pas Hobbes et Léo Strauss. Si les opposants au droit naturel peinent à identifier la source même de ce jusnaturalisme, excluant de la limiter à la seule essence divine, il est un fait que l'universalité du droit naturel trouve également sa source dans l'Homme lui-même... Bien que Marx lui-même soit perplexe face à ce droit supérieur à la loi.

Et ce conflit entre jusnaturalisme et positivisme juridique n'est pas non plus réservé à la seule controverse politique ; encore fait-elle surface dans les prétoires, lorsque les juges du fond, le tribunal de grande instance de Lille en l'occurrence, accordent à deux femmes nouvellement mariées l'adoption plénière des deux enfants dont seule l'une d'elle était titulaire de l'autorité parentale jusqu'à présent. Or, chacun sait que la Cour de cassation y est farouchement opposée. "Justifie légalement sa décision de rejet de la requête en adoption simple formée par la partenaire d'un pacte civil de solidarité, la cour d'appel qui retient, à juste titre, que la mère biologique perdrait son autorité parentale sur ses enfants en cas d'adoption par sa compagne alors qu'il y a communauté de vie, puis relève que la délégation de l'autorité parentale ne peut être demandée que si les circonstances l'exigent, ce qui n'est ni établi, ni allégué et qu'en l'espèce une telle délégation ou son partage sont, à l'égard d'une adoption, antinomique et contradictoire, l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de conférer l'autorité parentale au seul adoptant" indiquait-elle en 2007. "Ainsi, le refus d'accorder à une femme le droit d'adopter l'enfant de sa compagne ne constitue ni une violation de l'article 14, relatif à l'interdiction de la discrimination, ni une violation de l'article 8, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, de la CESDH" enchérissait la Cour européenne des droits de l'Homme en 2012. Mais là encore, c'est sans doute au nom d'une conception de la famille supérieure à celle que la loi définit qui aura poussé certains juges à franchir le pas vers l'adoption plénière par un couple homosexuel, décision qui ne manquera pas de faire couler beaucoup d'encre.

En somme, c'est encore l'exception culturelle française qui s'exprime ; les anglos-saxons étant parfaitement inféodés au positivisme juridique kelsenien, du moins en matière de politique intérieure... Le tropisme gaulois oblige une querelle permanente entre les philosophies juridiques, et la synthèse s'avère bien difficile au pays des Lumières, concepteurs du droit naturel universel transcendant les lois de Nations à travers la Déclaration des droits de l'Homme. Il est certain que choisir le positivisme juridique comme nous y encourage l'ensemble des autres Nations démocratiques serait nous renier nous-mêmes. C'est pourquoi le conflit est éternel, tout juste pourrions-nous en limiter les dommages collatéraux... sur une collégienne de quinze ans, notamment.

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Avocats/Champ de compétence

[Questions à...] Cumul des statuts d'avocat et de parlementaire : une fin programmée ? - Questions à Lionel Tardy, député

Lecture: 7 min

N8935BT4

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef

Le 27 Mars 2014

C'est le "mal français", dit-on. Le cumul des mandats consiste à exercer plusieurs fonctions professionnelles et/ou électives en même temps. La pluralité de l'exercice de ces mandats et activités ne fait pas de nos parlementaires des surhommes, car aucun n'a le don d'ubiquité, et pourtant c'est une position encore très défendue en France. A l'heure où une loi organique et une loi ordinaire traitent du non-cumul des mandats locaux et parlementaires, des voix s'élèvent, également à la suite de l'"affaire Cahuzac" et le débat sur la transparence de la vie publique, contre le cumul d'un mandat parlementaire et l'exercice de la profession d'avocat. 55 députés sont concernés, c'est-à-dire 6,3 % de l'Assemblée nationale. Parmi les plus âpres défenseurs du non-cumul, Lionel Tardy, député UMP de la 2ème circonscription de Haute-Savoie, suit ce débat depuis longtemps. Ce n'est pas la première fois que cette question est discutée, et ce n'est probablement pas la dernière. Quelles sont les raisons du cumul des mandats ? Pourquoi la profession d'avocat serait-elle incompatible avec une fonction élective ? Pourquoi, finalement, les avocats défendent-ils le cumul ? Pour répondre à ces interrogations, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Lionel Tardy, député.

Lexbase : Aujourd'hui, comment les fonctions de parlementaire et d'avocat sont-elles rendues compatibles ? Quelles sont les sanctions au non respect de ces règles ?

Lionel Tardy : Le cumul des fonctions de parlementaire et d'avocat est permis grâce à une petite exception du Code électoral. Depuis 1995, l'article LO. 146-1 (N° Lexbase : L7634AIL) interdisait à tout député de commencer à exercer une fonction de conseil, sauf s'il exerçait déjà cette activité avant le début de son mandat. Mais cette règle ne valait pas pour les professions libérales à statut législatif ou réglementaire, notamment la profession d'avocat. Par le biais de la loi organique sur la transparence de la vie publique, votée le 17 septembre dernier et promulguée au Journal officiel du 12 octobre 2013 (loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3621IYR), le Gouvernement a tenté de revenir sur cette règle. La version initiale du texte prévoyait de rendre incompatible l'exercice d'une fonction de conseil avec le mandat de député, même s'il l'exerçait avant le début de son mandat. Malheureusement, cette version n'a pas passé le cap de l'examen en commission. Le saut était visiblement trop grand pour la commission des lois de l'Assemble nationale, qui a préféré ne pas aller aussi loin et s'en tenir à l'interdiction de commencer à exercer une fonction de conseil, y compris pour les avocats. Contrairement à ce que souhaitait le Gouvernement, les parlementaires pourront donc conserver une telle fonction. Ce n'est pas vraiment étonnant quand on sait que beaucoup de députés sont également avocats. Il s'agit tout de même d'un pas important dont on ne peut que se réjouir.

NDLR : L'interdiction de commencer à exercer une activité professionnelle et certaines activités de conseil a finalement été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 9 octobre 2013 (voir Cons. const., n° 2013-675 DC N° Lexbase : A4215KM3).

Pour ma part, j'avais proposé d'instaurer un mécanisme de sanction pour ceux qui ne respecteraient pas cette interdiction. Des sanctions existent déjà pour les députés-avocats qui plaideraient contre l'Etat, des sociétés nationales, des collectivités ou établissements publics. S'ils franchissent cette interdiction, la déchéance de leur mandat peut être prononcée par le Conseil constitutionnel. La logique aurait voulu que cette sanction soit étendue pour le commencement d'une activité de conseil au cours du mandat. Mon amendement a été repoussé, et le rapporteur m'a répondu qu'il valait mieux que d'éventuelles sanctions soient gérées en interne par le Bureau de l'Assemblée nationale... Sur la question des sanctions, on reste donc sur un statu quo, alors que ce projet de loi était une occasion intéressante de faire évoluer les choses.

Lexbase : Depuis combien de temps menez-vous votre combat pour que soient déclarées incompatibles les fonctions d'avocat et de parlementaire ? Avez-vous noté des évolutions sur la question, tant au niveau de la loi qu'au niveau de l'opinion publique ?

Lionel Tardy : Lorsque je suis arrivé à l'Assemblée en 2007, j'ai découvert cette situation qui n'avait pas l'air de choquer grand monde. Pourtant, j'y ai vu un vrai risque de conflits d'intérêts. J'ai alors profité du premier véhicule législatif approprié pour essayer d'y mettre un terme. C'était en décembre 2010, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des députés. L'amendement que j'avais déposé proposait tout simplement de supprimer l'exception réservée aux avocats, et plusieurs députés UMP l'avaient cosigné. Cette proposition n'aurait pas empêché aux députés de devenir avocat pendant leur mandat, mais de se livrer à une activité de conseil dans le cadre de l'exercice de ce métier, ce qui, de fait, restreint considérablement les avantages du cumul. Mon amendement avait fait couler beaucoup d'encre, et j'avais reçu le soutien de plusieurs personnalités de l'opposition... ce qui n'a pas empêché son rejet.

En juillet 2012, juste après ma réélection, j'ai considéré que le moment était propice pour relancer cette idée, le changement de majorité ayant pu changer la donne. J'ai donc déposé une proposition de loi organique visant à réformer les incompatibilités parlementaires. Elle contenait plusieurs propositions sur la transparence, les déclarations d'intérêts et de patrimoine, et j'y ai naturellement intégré ma proposition de 2010. Elle n'a jamais été mise à l'ordre du jour, mais l'important est que le sujet ait été soulevé. Ces débats ont bien eu lieu quelques mois plus tard à la suite de l'affaire "Cahuzac". L'interdiction du cumul du mandat parlementaire avec certaines professions est d'ailleurs devenue une annonce de François Hollande en avril 2013. Avec ce genre de scandale, il est clair que l'on ressent une attente légitime de la part des Français, et qu'il faut y répondre sans prendre de demi-mesures.

Au final, la disposition issue des lois transparence de 2013 (loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique et loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3622IYS) allait exactement dans le même sens que ma proposition initiale, c'est pourquoi, contrairement à l'écrasante majorité de mon groupe, je l'ai votée sans problème.

Lexbase : Pourquoi est-il souhaitable, selon vous, que l'avocat ne puisse pas exercer sa profession en même temps qu'un mandat de parlementaire ?

Lionel Tardy : Je n'ai rien contre les avocats, et je considère qu'exercer une profession à côté de son mandat de parlementaire n'est pas néfaste. Etre homme politique n'est pas un métier, c'est un mandat que nous donnent les électeurs et qui n'est pas éternel. L'expérience d'un métier donne aux parlementaires une légitimité et une expertise qui peuvent être très utiles dans certains débats. Là où il y avait danger, c'est que le mandat de député (ou de sénateur) pouvait servir de tremplin à l'obtention et l'exercice d'un poste. Cela était d'autant plus vrai pour les activités de conseil. Maintenant que nous sommes arrivés à cette avancée, autant aller plus loin et interdire carrément les activités de conseil pendant le mandat, comme le proposait le Gouvernement.

Les raisons de cette interdiction sont évidentes : on ne peut pas être juge et partie, autrement dit à la fois législateur et conseil en lobbying. Ce cumul n'est pas forcément mal intentionné, mais un soupçon de collusion et de conflit d'intérêts plane nécessairement. Pour un député "de base", cette situation est insupportable. En maintenant cette exception, on tend le bâton pour se faire battre en donnant du crédit à la théorie du "tous pourris" et à l'antiparlementarisme.

Lexbase : Pourquoi les avocats tiennent-ils tant à cumuler leur statut et celui de parlementaire ?

Lionel Tardy : Certains parlementaires sont bien conscients des limites de l'exercice et abandonnent d'eux-mêmes leur activité d'avocat. Jusqu'à l'adoption des lois transparence, la question se posait selon moi en sens inverse : pourquoi certains parlementaires tenaient-ils à pouvoir devenir avocats-conseil pendant leur mandat ? On observait une dérive qui consistait pour des députés de tout bord à se faire inscrire au barreau, et ainsi utiliser leur rôle de législateur au profit de clients. Pour ceux qui en profitaient, la voie était royale. Il fallait à tout prix cesser cette situation malsaine.

Aujourd'hui, le nouveau sujet est celui du maintien de l'activité d'avocat-conseil. Comme je l'ai dit, il est délicat et excessif d'interdire à un parlementaire de cesser son activité professionnelle. En revanche, s'il doit y avoir une exception, c'est bien celle des avocats-conseils. Il y a un réel risque de conflit d'intérêts qui collera en permanence à la peau de ceux qui cumulent les fonctions. Ils peuvent rapidement se retrouver dans une situation de dépendance vis-à-vis des entreprises qui le rémunèrent en tant qu'avocat. C'est d'autant plus vrai que la plupart des avocats de l'Assemblée sont, dans les faits, avocats-conseil.

Lexbase : Pensez-vous qu'une loi de non-cumul entre les fonctions d'avocat et de parlementaire sera votée un jour ?

Lionel Tardy : Le Gouvernement avait proposé initialement de rendre incompatible toute fonction de conseil avec le mandat de député. L'intention était bonne, mais comment s'assurer qu'un avocat n'ait aucune activité de médiation, de conseil ? Comme il est très difficile de faire la part des choses et de connaître le détail des activités de conseil d'un avocat, aller vers l'interdiction absolue me semble être la meilleure solution. Dans le cas des textes sur la transparence de la vie publique, la barque est déjà bien chargée et il s'agit d'une évolution cruciale. Il faut ajouter à cela la loi sur l'interdiction du cumul du mandat. Deux étapes importantes ont été franchies, non sans mal. La question du non-cumul entre les fonctions d'avocat et de parlementaire était dans ce contexte une question annexe, et la façon dont le sujet a avancé n'est pas négligeable. Le fait qu'on ne soit pas allé au bout de la logique ne me pose donc pas de problème. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut plus s'en préoccuper. Sur ce genre de thème, les avancées se font petit à petit. Il faut être patient, ne jamais relâcher sa vigilance, et surtout ne pas abandonner. Car, si pour l'instant il n'y a pas eu d'affaire ou de scandale lié au cumul entre les activités d'avocat et de parlementaire, il n'est pas du tout exclu que cela arrive un jour. Nous ne pourrons alors pas dire que nous n'avions pas été prévenus.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] L'office du juge du contrat : "Béziers I" l'emporte sur "Béziers II"

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 1er octobre 2013, n° 349099, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3383KMA)

Lecture: 11 min

N9047BTA

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

Le 24 Octobre 2013

Dans un arrêt n° 349099 du 1er octobre 2013, le Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le recours tendant à la reprise des relations contractuelles (recours "Béziers II") (1) doit être concilié avec le recours en contestation de validité du contrat (recours "Béziers I") (2). Plus précisément, le juge du contrat doit rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles lorsqu'il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui et tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, et cela quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est entachée. L'arrêt rappelle également la récente jurisprudence "Atlar" (3) aux termes de laquelle l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques a mis fin à la théorie dite de la domanialité publique virtuelle, mais seulement pour l'avenir. L'arrêt n° 349099 rendu le 1er octobre 2013 par les troisième et huitième sous-sections réunies de la section du contentieux du Conseil d'Etat est particulièrement riche. Son apport est important pour le droit des contrats administratifs mais aussi pour le droit administratif des biens.

Les faits de l'espèce ressemblaient fortement à ceux qui ont donné lieu en 1985 au célèbre arrêt "Eurolat Crédit foncier de France" (4). Par un premier contrat conclu le 10 juin 1986, la société de HLM du personnel d'une préfecture de police a donné à bail à une commune un ensemble immobilier destiné à devenir à constituer une résidence pour personnes âgées. Par un deuxième contrat conclu le 26 juin 1986, la commune a donné à bail à la même société le terrain d'assiette du projet. Ce montage dit "aller-retour" devait permettre à la commune de faire construire la maison de retraite par la société de HLM et d'en devenir propriétaire à l'expiration du bail qui avait été conclu pour 55 ans. Enfin, par une convention tripartite conclue le 5 septembre 1986, l'Etat, la société de HLM et la commune ont défini les obligations de gestion de la résidence qui pesaient sur la commune. Par la suite, la municipalité a confié la gestion de la résidence à une association (l'association pour l'amélioration des conditions d'habitation des anciens) dont la liquidation judiciaire a finalement été prononcée. Une seconde association a alors pris le relais avant de connaître, elle aussi, des difficultés financières qui ont convaincu la commune de reprendre la gestion de la maison de retraite en régie. Le 9 mars 2006, cette dernière a prononcé la résiliation des conventions des 10 et 26 juin 1986. La société X, qui avait succédé à la société HLM, a contesté ces décisions devant le juge judiciaire et devant le juge administratif.

Le tribunal de grande instance de Melun s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige se rattachant, selon lui, à un ensemble indivisible ayant le caractère d'un contrat administratif. Cette solution a ensuite été confirmée en appel et en cassation. Saisi d'une demande d'annulation de la délibération résiliant les conventions, et de conclusions indemnitaires subsidiaires (en cas d'annulation de la convention du 26 juin 1986), le tribunal administratif de Melun a admis sa compétence au motif que le bail emphytéotique comportait une clause exorbitante du droit commun. Sur le fond, il a toutefois relevé que le bail était entaché de nullité car il contenait une clause interdisant à la commune de prononcer la résiliation pendant toute la durée nécessaire au remboursement des prêts contractés par la société HLM pour la construction de la résidence pour personnes âgées. Il a aussi rejeté les conclusions indemnitaires au motif que le contentieux n'avait pas été lié. La cour administrative d'appel de Paris (5) ayant confirmé ce jugement, il revenait au Conseil d'Etat de se prononcer en cassation. Il lui appartenait de régler deux questions d'inégale importance. La première tenait à la détermination de la nature juridique des conventions litigieuses (I). La seconde tenait à l'articulation des recours "Béziers I" et "Béziers II" (II).

I - La qualification administrative de l'ensemble contractuel

Le litige dont était saisie la juridiction administrative trouvait sa source dans deux conventions qui étaient formellement distinctes mais qui n'en demeuraient pas moins étroitement liées. En effet, elles formaient un ensemble contractuel reposant sur un montage aller-retour. La commune louait le terrain d'assiette à la société qui s'engageait en retour à y construire une maison de retraite qu'elle louerait à la commune, laquelle en deviendrait propriétaire en fin de bail. Il n'existait donc aucune raison sérieuse de réserver une qualification juridique distincte à ces deux conventions et c'est fort logiquement que le Conseil d'Etat les qualifie de "même ensemble contractuel" (6).

Il restait alors à la Haute juridiction administrative de dire si cet ensemble contractuel pouvait être qualifié d'administratif et pour quelles raisons il pouvait l'être. Les juges du fond avaient relevé l'existence d'une clause exorbitante. Plus précisément, avait été qualifiée comme telle la clause subordonnant la cession des droits du preneur à l'accord préalable de la commune, au motif qu'une telle clause avait "pour objet de conférer à la commune des droits et de mettre à la charge de sa cocontractante des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales". Rejoignant la position adoptée par la Cour de cassation (7), le Conseil d'Etat a considéré qu'une telle clause n'était pas de celle qui pouvait être jugée comme anormale, illicite ou impossible dans les rapports de droit privé. En effet, l'examen de la jurisprudence judiciaire montre que si la clause limitant la cession des droits réels ne peut valablement être insérée dans un bail emphytéotique de droit privé (l'article L. 451-1 du Code rural N° Lexbase : L4141AE4 attribue au preneur un droit réel qui peut être cédé), sa présence dans un tel contrat implique non sa nullité, mais la requalification du contrat en bail ordinaire. Si elle peut se comprendre, cette solution illustre une nouvelle fois le caractère fuyant de la notion de clause exorbitante.

C'est peut-être cette difficulté d'identification qui a convaincu le Conseil d'Etat de censurer l'arrêt des juges d'appel pour erreur de droit et d'établir l'administrativité de l'ensemble contractuel en se fondant sur le critère du service public. Dans la lignée de la position adoptée en 1985 dans l'arrêt "Eurolat Crédit Foncier de France" (8), la Haute juridiction administrative a considéré que l'association avait été chargée "de l'exécution d'une mission de service public". Appliquant la jurisprudence "APREI" (9) et mettant notamment l'accent sur le contrôle exercé par la commune sur l'association (contrôle de sa gestion financière, gestion de la résidence conformément à la convention tripartite, approbation des budgets de la résidence par le conseil municipal), le Conseil d'Etat conclut qu'"eu égard à l'intérêt général de sa mission, aux conditions de son organisation et de son fonctionnement, aux obligations qui lui étaient imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier les objectifs qui lui étaient assignés étaient atteints, l'association pour l'amélioration des conditions d'hébergement des anciens était chargée de l'exécution d'une mission de service public".

Cette qualification a alors eu une conséquence directe quant à la domanialité du terrain communal qui constituait l'assiette du projet immobilier. En effet, si les parties avaient vraisemblablement entendu conclure un bail emphytéotique de droit privé sur un terrain qu'elles considéraient comme appartenant au domaine privé de la commune, il va de soi que ce terrain, dès lors qu'il avait vocation à accueillir un équipement destiné à un service public et qu'il devait faire l'objet d'aménagements spéciaux à cet effet, devait être intégré dans le domaine public communal. La seule perspective de l'utilisation de ce terrain en vue de l'exécution d'une mission de service public, combinée à la réalisation d'aménagements spéciaux, suffisait à entraîner la domanialité publique du terrain. On reconnaît ici une nouvelle application de la théorie dite du domaine public virtuel (ou par anticipation) qui a précisément été consacrée par l'arrêt "Eurolat Crédit Foncier de France" de 1985. A la suite de l'adoption du Code général de la propriété des personnes publiques et de son silence sur ce point, la doctrine s'est interrogée : le silence du code devait-il être interprété comme un abandon ou comme une confirmation de cette théorie ? La question a finalement été tranchée dans l'arrêt "Atlar" du 8 avril 2013, où le Conseil d'Etat a opéré une distinction entre le stock et le flux (10).

Concernant le stock, qui comprend les biens qui ont été incorporés dans le domaine public avant l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques en application de la théorie du domaine public virtuel, l'arrêt "Atlar" pose le principe selon lequel l'entrée en vigueur de ce code, le 1er juillet 2006, ne peut pas avoir pour effet d'entraîner le déclassement des dépendances et cela, alors même que l'aménagement spécial qui avait été envisagé n'aurait finalement pas été exécuté. En revanche, pour ce qui concerne le flux, l'arrêt précise bien que pour qu'un bien affecté au service public constitue une dépendance du domaine public en application de l'article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4505IQW), il faut impérativement que ce bien fasse "déjà" l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. La théorie jurisprudentielle de la domanialité publique virtuelle ne vaut donc que pour le passé, elle ne vaut plus pour l'avenir.

Cette solution est rappelée par l'arrêt du 1er octobre 2013, puisque le Conseil d'Etat indique au considérant n° 7 de la décision qu'à la date de la délibération autorisant le maire de la commune à conclure les conventions litigieuses, la commune avait prévu de manière certaine l'affectation du terrain au service public, moyennant la réalisation des aménagements nécessaires à son exécution. Entré dans le domaine public en application de la théorie du domaine public virtuel, le terrain ne pouvait donc être considéré comme en étant sorti du fait de la suppression par le Code général de la propriété des personnes publiques de ladite théorie. Cette solution repose sur des considérations pratiques facilement compréhensibles. Elle vise notamment à amortir les conséquences juridiques découlant de l'application des nouvelles règles du Code général de la propriété des personnes publiques. Elle présente aussi un redoutable inconvénient en ce qu'elle suppose de distinguer selon que les biens ont été incorporés au domaine public avant ou après le 1er juillet 2006. Pour les biens entrés dans le domaine public avant cette date, les critères jurisprudentiels continuent à s'appliquer (et spécialement la théorie de la domanialité publique virtuelle), alors que pour les autres biens, seul le nouveau texte et les règles qu'ils fixent doivent prévaloir.

II - L'articulation des recours "Béziers I" et "Béziers II"

Si la question de la compétence du juge administratif était importante, il ne fait pas de doute que l'arrêt du 1er octobre 2013 retiendra davantage l'attention pour la précision qu'il apporte au sujet de l'articulation entre les recours dits "Béziers I" et "Béziers II".

Le recours "Béziers I" permet aux parties contractantes de saisir le juge de plein contentieux d'une action en contestation de validité de leur contrat. Comme chacun sait, la jurisprudence "Commune de Béziers" a reconfiguré le contentieux contractuel entre les parties en les obligeant, par principe, à régler les litiges les opposant sur le terrain contractuel. L'exigence de loyauté des relations contractuelles, combinée au principe de la stabilité des relations contractuelle, fait ainsi obstacle à ce qu'une partie puisse trop facilement se délier de ses obligations en invoquant n'importe quelle irrégularité. Désormais, le contrat fait la loi des parties devant le juge de plein contentieux alors qu'il était très fréquent, par le passé, qu'il soit mis à l'écart. Ce n'est que dans l'hypothèse, qui reste exceptionnelle, où le contrat est entaché d'une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, que le juge de plein contentieux peut mettre le contrat à l'écart et régler le litige né entre les parties sur le terrain extracontractuel.

Le recours "Béziers II" n'a pas remis en cause le principe selon lequel le juge du contrat ne dispose pas du pouvoir d'annuler une mesure d'exécution prise par la personne publique à l'égard de son cocontractant. Cependant, il lui a apporté une importante exception en créant l'action en reprise des relations contractuelles. Désormais, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Lorsqu'il constate que la mesure de résiliation est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, le juge du contrat doit déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité.

L'intérêt de la présente affaire venait précisément de ce que le recours formé par la société X contre la résiliation des deux conventions des 10 et 26 juin 1986 et tendant à la reprise des relations contractuelles soulevait la question de la validité de l'ensemble contractuel. La question posée au juge était donc la suivante : le juge du recours "Béziers II" pouvait-il statuer sur l'action en reprise des relations contractuelles, et donc sur la validité de la seule résiliation, sans s'interroger sur la validité du contrat dans son ensemble ? Plus encore, le juge du contrat pouvait-il valablement ordonner la reprise des relations contractuelles alors que le contrat dans le cadre duquel elles se sont nouées était manifestement illégal ? A cette interrogation, le Conseil d'Etat apporte une réponse clairement négative et complète très utilement le considérant de principe de l'arrêt "Commune de Béziers" du 21 mars 2011 en précisant que, "dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles".

Cette solution doit être approuvée car elle concrétise l'unité de l'office du juge du contrat et permet dans une certaine mesure de connecter des contentieux qui trouvent tous leur origine dans le contrat (action en contestation de validité du contrat, action en reprise des relations contractuelles, action indemnitaire, etc.). Les faits de l'espèce se prêtaient très bien à l'adoption de cette solution qui permet de replacer le recours "Béziers II" dans l'orbite du recours "Béziers I". En effet, l'ensemble contractuel était affecté de plusieurs irrégularités, particulièrement graves, et qui rendaient impossible le prononcé d'une éventuelle reprise des relations contractuelles. En premier lieu, en consentant un bail emphytéotique sur le domaine public, la commune avait porté atteinte au principe d'inaliénabilité qui interdit de constituer des droits réels sur le domaine public. De ce seul point de vue, l'objet du contrat était illicite. En second lieu, la convention du 26 juin 1986 comportait une clause elle aussi illicite, par laquelle la commune renonçait à l'exercice de son pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général pendant toute la durée nécessaire au remboursement des prêts contractés par la société d'HLM du personnel de la préfecture de police.

Au total, c'est fort logiquement que le recours en reprise des relations contractuelles est rejeté. C'est aussi sans surprise que l'action indemnitaire formée à titre subsidiaire par la société X est écartée. En effet, si elle pouvait valablement demander à être indemnisée sur le fondement de l'enrichissement sans cause, c'est à la stricte condition d'avoir préalablement lié le contentieux.


(1) CE, S., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE), Rec. CE, p.117, concl. E. Cortot-Boucher, AJDA, 2011, p. 670, note A. Lallet, Contrats Marchés publ., 2011, comm. 150, note J.-P. Pietri, Dr. adm., 2011, comm. 46, note F. Brenet et F. Melleray, RJEP, 2013, comm. 11, note J. Gourdou, RFDA, 2011, p.507, concl., p. 518, note D. Pouyaud.
(2) CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC), Rec. CE, p. 509, concl. E. Glaser, AJDA, 2010, p. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, AJDA, 2011, p. 665, chron. A. Lallet et X. Domino, BJCP, 2010, p. 138, concl., D. 2011, p. 472, obs. A. Mekki et B. Fauvarque-Cosson, Contrats Marchés publ., 2010, comm. 38, note P. Rees, GAJA, n° 116, p. 939, JCP éd. A, 2010, 2072, note F. Linditch, RD imm., 2010, p. 265, note R. Noguellou, RDP, 2010, p. 553, note H. Pauliat, RFDA, 2010, p. 506, concl., p. 519, note D. Pouyaud, RJEP, 2010, comm. 19, note J. Gourdou et Ph. Terneyre, RTDC, 2010, p.548, obs. G. Orsoni.
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 8 avril 2013, n° 363738, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7216KBU), Dr. adm., 2013, comm. 50, note T. Leleu.
(4) CE 2° et 6° s-s-r., 6 mai 1985, n° 41589, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3186AMX), Rec. CE, p. 141, GDDAB, n° 9, AJDA, 1985, p. 620, note E. Fatôme et J. Moreau, LPA du 23 octobre 1985, p. 4, note F. Llorens, RFDA, 1986, p. 21, concl. B. Genevois, RDSS, 1986, p. 286, note E. Alfandari.
(5) CAA Paris, 8ème ch., 28 février 2011, n° 08PA02256, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9030HNR).
(6) Dans l'arrêt "Eurolat Crédit Foncier de France" du 6 mai 1985, le Conseil d'Etat avait déjà considéré que des conventions semblables formaient "un ensemble indivisible".
(7) Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-23.430, F-D (N° Lexbase : A9614HUM), RD imm., 2011, p. 565.
(8) Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat avait relevé que les deux conventions formaient un ensemble indivisible ayant pour objet "de confier à l'association l'exécution d'une mission de service public".
(9) CE, S., 22 février 2007, n° 264541, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2709DUU), Rec. CE, p. 92, concl. C. Vérot, JCP éd. A 2007, 2066, concl. C. Vérot, note M.-C. Rouault, AJDA, 2007, p. 793, chron. F. Lénica et J. Boucher, JCP éd. A 2007, I, 166, chron. B. Plessix, JCP éd A, 2007, 2145, note G. Guglielmi et G. Koubi, RFDA, 2007, p. 803, note C. Boiteau.
(10) Pour reprendre l'expression de G. Bachelier, Spécial, indispensable, global, virtuel : trop d'adjectifs pour le domaine public immobilier ?, AJDA, 2013, p. 960 et s.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'exécution du contrat continué

Réf. : Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-21.659, F+P+B (N° Lexbase : A4929KL7)

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N9152BT7

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy)

Le 24 Octobre 2013

La continuation des contrats en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective de l'un des cocontractants est plus fréquemment évoquée en jurisprudence, en ce qui concerne la décision de le continuer, que s'agissant de l'exécution du contrat au cours de la période d'observation, puis, ultérieurement après l'adoption d'un plan. Tel est le thème central dans l'affaire à l'origine de l'arrêt rendu le 17 septembre 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Ainsi, le redressement judiciaire d'une société a été prononcé par jugement du 5 mai 2009. Celle-ci disposait de locaux grâce à un contrat de crédit-bail immobilier. Les deux propriétaires indivis ont déclaré leurs créances de redevances impayées ainsi que l'indemnité de résiliation. Le plan de redressement de la société débitrice a été arrêté par jugement du 7 décembre 2010. Ce dernier prévoyait le règlement des créances privilégiées et chirographaires définitivement admises à 100 % en dix dividendes égaux, annuels et suivis, le premier dividende devant intervenir un an après l'arrêté du plan. Quelques jours après le jugement adoptant le plan, les crédits-bailleurs ont délivré un commandement de payer à la société débitrice, visant la clause résolutoire. Par la suite, ils ont saisi le juge des référés en constatation de l'acquisition de cette clause, expulsion et condamnation au titre de l'exécution, à titre de provision, des redevances impayées. La société débitrice a soulevé l'incompétence de ce juge au profit du tribunal de la procédure collective. Par un arrêt du 21 juin 2012, la cour d'appel de Douai (1) a rejeté ces prétentions, considérant que le tribunal de grande instance était compétent. Elle a constaté la résiliation du contrat de crédit-bail immobilier, prononcé l'expulsion de la débitrice et condamnée cette dernière à payer la somme provisionnelle de plus de 598 000 euros. La débitrice et le commissaire à l'exécution du plan ont formé un pourvoi soutenant que seul le tribunal de la procédure collective est compétent s'agissant d'un contrat continué (I) et que les loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective étaient compris dans le plan de redressement (II). Par son arrêt du 17 septembre 2013, la Cour de cassation rejette leur pourvoi.

I - Contrat continué et compétence du tribunal de la procédure collective

Dans la présente affaire, la discussion porte sur la compétence matérielle du tribunal de la procédure. L'attraction de la compétence de cette juridiction modifie l'application des règles de droit commun de rattachement de compétence matérielle. Cette dérogation doit être mise en application pendant toute la durée de la procédure collective (2). Ainsi, en application de l'article R. 662-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L9419ICT), le tribunal saisi d'une procédure collective "connaît de tout ce qui concerne" cette procédure ainsi que des actions en responsabilité diligentées à l'encontre du débiteur ou des personnes dont la responsabilité est susceptible d'être recherchée par les organes de la procédure ou le ministère public. Une question pratique est soulevée dans la présente affaire : que faut-il entendre par "tout ce qui concerne la procédure" en matière de contrat en cours, ou plus exactement en matière de contrat continué après l'ouverture de la procédure, en l'occurrence le redressement judiciaire de la société débitrice ?

La règle est ancienne (3) et la réponse traditionnelle, car elle a été formulée en jurisprudence depuis plus de 120 ans (4). Elle a été reprise par les législations successives postérieures tout en étant adaptée en fonction du changement des appellations des procédures collectives depuis cette époque. Pour cette raison, l'article R. 662-3 décline cette règle aux procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire. En outre, elle a été adaptée au patrimoine affecté de l'EIRL, l'article L. 680-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L8964INC) disposant que les contestations relatives à l'affectation des éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui s'élèvent à l'occasion de la procédure ouverte à l'égard de ce patrimoine, sont de la compétence du tribunal de la procédure collective (5). Enfin, il semble que cette règle soit d'ordre public (6).

Conformément à la jurisprudence actuelle, constitue une action entrant dans la compétence matérielle du tribunal de la procédure, celle relative à une contestation née de la procédure collective ou sur laquelle la procédure exerce une influence juridique (7). En matière de contrat en cours, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment apporté des précisions utiles. Ainsi, dans un arrêt rendu le 18 juin 2013 (8), elle considère que le juge-commissaire dispose d'une compétence exclusive en matière de résiliation d'un contrat en cours. En l'occurrence, il s'agissait de savoir si un contrat, en cours lors de l'ouverture de la procédure, serait ou non poursuivi. En outre, s'agissant d'un contrat de concession du domaine public, il s'agissait de savoir si la contestation était de la compétence de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif (9). La Cour de cassation a clairement indiqué, que pour cette question, seul le tribunal de la procédure (ici, le juge-commissaire), est compétent pour connaître cette contestation.

La question est différente dans la présente affaire, car la décision de poursuite du contrat a déjà été prise au cours de la procédure, pendant la période d'observation du redressement judiciaire. La Cour de cassation a déjà précisé qu'échappe à la compétence du tribunal de la procédure les contestations relatives à des fautes contractuelles commises après le jugement d'ouverture, dès lors que la contestation n'est pas née de la procédure collective et n'est pas soumise à l'influence juridique de celle-ci (10). L'arrêt du 17 septembre 2013 se situe dans la droite ligne de ces décisions. La constatation de l'acquisition de la clause résolutoire pour non-paiement des redevances échues postérieurement au jugement d'ouverture n'est pas une contestation née de la procédure, et cette dernière n'y exerce aucune influence juridique. Par conséquent, le juge de droit commun est compétent, en l'occurrence le juge des référés. Reste alors à savoir si les sommes dues étaient effectivement exigibles au jour de la délivrance du commandement de payer par les crédit-bailleurs.

II - Contrat continué et paiement des créances postérieures privilégiées

Afin de savoir si les sommes prétendues impayées par les créanciers étaient effectivement exigibles au jour de la délivrance du commandement de payer, il faut s'interroger sur l'influence du plan de redressement sur le paiement des créances dues par le débiteur. De manière indirecte, la solution est pressentie par le rejet de la compétence du tribunal de la procédure collective.

En effet, après l'option pour la continuation des contrats en cours, l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) trouve à nouveau à s'appliquer : le contrat est la loi entre les parties. Par conséquent, si toutes les créances dues au jour de l'ouverture de la procédure collective doivent être déclarées entre les mains du mandataire judiciaire désigné, les créanciers doivent distinguer, dans leur déclaration de créances, les créances échues, c'est-à-dire celles qui sont effectivement impayées au jour l'ouverture de la procédure, des créances à échoir, qui ne sont pas encore exigibles à cette date. Lorsque ces dernières entrent par la suite, dans la catégorie des créances postérieures privilégiées, elles doivent être réglées à leur échéance. Il en est ainsi lorsque le contrat en cours lors de l'ouverture de la procédure est continué au cours de la période d'observation.

Ultérieurement, dans le cadre de la préparation du plan, seules les créances antérieures et les créances postérieures non prioritaires, c'est-à-dire celles qui sont soumises à la règle de l'interdiction des paiements et des poursuites individuelles (11) font partie du passif à régler dans le cadre de l'exécution du plan, après qu'il ait été arrêté par le tribunal. Pour les autres créances, et tout spécialement les créances postérieures privilégiées de l'article L. 622-17, I du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), elles sont réglées aux échéances normalement prévues, et ce, même si elles sont rappelées dans le cadre du plan de redressement. Pour cette raison, les créanciers, ayant des créances répondant à cette catégorie, qui n'ont pas été réglées par la société débitrice alors qu'elles sont échues postérieurement à l'ouverture de la procédure, peuvent exercer des poursuites individuelles. Ils peuvent également faire constater la résiliation du contrat.

C'est pourquoi la Cour de cassation indique que la cour d'appel avait rappelé que le commandement de payer visant la clause résolutoire ne portait pas sur des redevances antérieures au jugement d'ouverture. Par conséquent, la créance litigieuse bénéficiant du privilège de l'article L. 622-17 du Code de commerce, elle n'est pas visée par le jugement arrêtant le plan de redressement de la société débitrice. C'est le retour de la souveraineté du droit commun, par la limitation de l'impérialisme du droit des entreprises en difficulté ! Dès lors, le contrat est résilié et la société débitrice condamnée à payer, ce qui, inéluctablement, provoque la remise en cause du plan de redressement, avant même le paiement de la première échéance.


(1) CA Douai, 3ème ch. civ., 21 juin 2012, n° 11/08692 (N° Lexbase : A3644IPN).
(2) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz-Action, 2013-2014, n° 312.11.
(3) Pour avoir été formulée par le législateur depuis 1838 (P.-M. Le Corre, préc. n ° 312.11).
(4) Cass. Req, 29 octobre 1888, DP 1889, I, p. 13.
(5) Ch. Lebel, L'EIRL en difficulté, ou l'adaptation du Livre VI du Code de commerce à l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du patrimoine d'affectation d'un débiteur personne physique, Rev. Lamy Droit des Affaires, 2011, 3210.
(6) J.-L. Vallens, in Lamy Droit Commercial, 2012, n° 2525.
(7) Cass. com., 8 juin 1993, n° 90-13.821, publié (N° Lexbase : A5421ABE), Bull. civ. IV, n° 233
(8) Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-14.836, FS-P+B (N° Lexbase : A1819KHT), nos obs. Compétence exclusive du juge-commissaire en matière de contrat en cours, Lexbase Hebdo n° 348 du 25 juin 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8300BTL) ; Dalloz Actualité, 26 juin 2013, obs. A. Lienhard.
(9) T. confl., 26 mai 2003, n° 3554 (N° Lexbase : A9516DRU); LPA, 7 novembre 2003, note Brandeau, RTDCom., 2004, p. 154, obs. A. Martin-Serf, à propos d'une créance fiscale ; Cass. civ. 1, 4 mai 2012, n° 10-26.115, F-D (N° Lexbase : A6642IK9), nos obs., Compétence du tribunal de la procédure pour apprécier la connexité entre créances résultant de contrats administratifs, Lexbase Hebdo n° 300 du 14 juin 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N2446BTR), à propos de la connexité entre deux créances lorsque le créancier est une personne publique.
(10) Cass. com., 7 février 2012, n° 11-10.851, F-P+B (N° Lexbase : A3528ICN), Bull. civ IV, n° 28 ; D., 2012, Act. 496, note A. Lienhard ; Act proc. coll., 2012, comm.. 80, note L. Fin-Langer, Rev. proc. coll., 2012, comm.. 59, note P. Cagnoli ; DPDE Bull. 335, mars 2012, p. 1, note Ph. Roussel Galle.
(11) C. com., art L. 622-7 (N° Lexbase : L3389ICI) et s..

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Filiation

[Jurisprudence] Abandon judiciaire et adoption de l'enfant délaissé par ses parents : le système français validé par la Cour européenne des droits de l'Homme

Réf. : CEDH, 26 septembre 2013, Req. 4962/11 (N° Lexbase : A6553KLB)

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N9141BTQ

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 24 Octobre 2013

L'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 26 septembre 2013, illustre la manière dont le droit français utilise l'adoption comme un outil de protection de l'enfance. Il est aussi la manifestation de la recherche difficile mais non impossible, de l'équilibre entre le respect des droits parentaux et la protection de l'intérêt de l'enfant délaissé. Cette décision permet, en outre, de présenter les subtilités du droit français relative à la question particulièrement complexe de la rupture des liens d'un enfant avec ses parents d'origine pour leur substituer des liens avec une nouvelle famille. On pourrait souhaiter que la validation du système français opéré par la Cour européenne des droits de l'Homme incite les travailleurs sociaux à mettre en oeuvre plus fréquemment des procédures semblables à celle de l'arrêt et qui restent encore trop rares... Faits. En l'espèce, la mère de l'enfant avait abandonné sa fille dans le cadre d'un accouchement sous X avant de se rétracter et de reconnaître l'enfant. Celle-ci fut cependant placée en raison de graves difficultés psychologiques de sa mère, qui ont conduit à plusieurs hospitalisations à son placement sous curatelle. Celle-ci n'ayant établi aucun contact avec sa fille, en dehors d'une visite à la pouponnière, une procédure d'abandon judiciaire fondée sur l'article 350 du Code civil (N° Lexbase : L8900G9I) fut intentée un an plus tard. Durant la procédure, la mère, profondément dépressive, envoya une carte et un cadeau d'anniversaire à sa fille, et se fit reconnaître par le juge des enfants un droit de visite qu'elle n'exerça en réalité jamais, même si elle évoquait son enfant avec ses médecins. Le tribunal de grande instance constata le désintérêt de la requérante à l'égard de sa fille, consentit à ce que l'enfant soit admis en qualité de pupille de l'Etat et délégua l'autorité parentale au service de l'Aide sociale à l'enfance. Trois ans après la décision, un appel nullité fut interjeté par la mère, ayant retrouvé sa pleine capacité, au motif que la procédure n'avait pas respecté son droit fondamental d'être assisté de son curateur. Accueillant ce motif, la cour d'appel a annulé la décision de première instance et a repris l'affaire au fond. Elle statua cependant dans le même sens que le jugement de première instance. Le pourvoi intenté contre cette décision fut rejetée par un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2010 (1). Un après la déclaration judiciaire d'abandon et avant même que la mère intente un recours contre cette décision, le tribunal de grande instance avait prononcé l'adoption plénière de l'enfant au profit de sa famille d'accueil. La mère de l'enfant présenta une requête à la Cour européenne des droits de l'Homme, considérant que la déclaration d'abandon judiciaire et l'adoption plénière qui s'en est suivie constituaient des violations de son droit au respect de sa vie familiale fondé sur l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR).

Plan. Dans un arrêt qui constitue un modèle du genre, la Cour européenne examine dans le détail les différentes décisions relatives à l'enfant pour déterminer si l'Etat français a satisfait à ses obligations positives ou négatives qui découlent de l'article 8 de la Convention. Elle s'interroge en premier lieu sur le fait de savoir si les autorités ont mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour développer la vie familiale existant entre la requérante et sa fille (I), pour ensuite examiner si les ingérences dans le droit au respect de la vie familiale que constitue, d'une part, la déclaration judiciaire d'abandon (II) et, d'autre part, le prononcé de l'adoption plénière (III), remplissent les conditions nécessaires pour ne pas constituer une violation de la Convention.

I - Le respect de l'obligation positive de développer les liens familiaux

Fondement. De manière classique, la Cour européenne affirme dans l'arrêt du 26 septembre 2013, qu'au-delà des ingérences arbitraires, l'article 8 met à la charge de l'Etat des obligations positives inhérentes au respect effectif de a vie familiale. "Ainsi, là où l'existence d'un lien familial se trouve établie, l'Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer". Logiquement, la Cour considère qu'elle doit s'attacher à vérifier si, préalablement à la déclaration d'abandon et au prononcé de l'adoption, l'Etat avait rempli son obligation de favoriser le développement du lien familial. La Cour consacre ainsi, semble-t-il pour la première fois de manière aussi claire, l'obligation première qui pèse sur les Etats d'aider les parents à développer une relation effective avec leurs enfants avant d'envisager leur séparation et ce, même si, comme le juge européen le constate, le lien entre la mère et l'enfant était ténu. Les seules manifestations d'intérêt ont en effet consisté en une reconnaissance de filiation, une visite à l'enfant quelques mois plus tard, l'envoi d'une carte accompagné d'un colis pour son premier anniversaire et la déclaration d'appel contre la décision prononçant l'abandon judiciaire. La Cour déduit de cette vie familiale réduite une grande marge d'appréciation pour l'Etat. Elle procède cependant au contrôle du respect de l'obligation par les autorités françaises de développer le lien familial.

Appréciation. La Cour constate que les autorités internes n'ont absolument pas fait obstacle aux rencontres entre la requérante et sa fille mais qu'au contraire, les visites sollicitées par la mère ont été rendues possibles, soit par le service de l'Aide sociale à l'enfance, soit par le juge des enfants, lequel a accordé un droit de visite médiatisé bimestriel. De même, la Cour note que si la requérante a été hospitalisée sans son consentement durant une grande partie de la période examinée, il n'est pas allégué que les autorités médicales se seraient opposées à l'exercice de ce droit de visite. La Cour estime donc que l'Etat n'a pas manqué à son obligation de favoriser le développement du lien familial avant d'envisager la solution d'une rupture de ce lien, qui a été suggérée par la requérante elle-même devant l'expert psychologue et dans un courrier adressé au juge des enfants.

Cette analyse conforte la position du droit français qui consacre le principe du maintien des liens de l'enfant avec ses parents, conformément aux exigences du droit européen et international. Sans doute pourrait-on même regretter que cette exigence occupe parfois une place si prépondérante qu'elle devient un obstacle pour envisager une rupture des liens. Tel n'a pas été le cas en l'espèce dans laquelle, très rapidement, les services sociaux ont envisagé une rupture des liens entre l'enfant et sa mère, sans doute pour permettre à la petite fille de construire d'autres liens stables avec la famille auprès de laquelle elle avait été placée.

II - L'abandon judiciaire, ingérence légitime et proportionnée dans le droit au respect de la vie familiale

Deux étapes. La Cour européenne constate que la rupture des liens entre l'enfant et sa mère a été réalisée en deux étapes successives : la déclaration d'abandon et l'adoption plénière. Elle affirme que celles-ci ne peuvent passer pour nécessaires du point de vue des exigences de l'article 8 que si elles ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l'enfant et de la mère, l'intérêt de l'enfant devant constituer la considération déterminante, et si le processus décisionnel a permis à la requérante de jouer un rôle assez important pour satisfaire aux exigences de l'article 8. Pour ce qui est de l'abandon judiciaire, deux questions se sont donc posées : celle de savoir si, au fond la décision était motivée par des raisons impérieuses et si les droits procéduraux de la mère avaient été suffisamment respectés.

1° La légitimité de la décision judiciaire d'abandon

Légalité et but légitime. L'article 350 du Code civil permet au tribunal de grande instance de prononcer l'abandon judiciaire d'un enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'Aide sociale à l'enfance dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant plus d'un an. La Cour considère, à juste titre, que cette disposition légale visent à préserver la santé et la moralité des mineurs, et à protéger leurs droits, en permettant de déclarer abandonné l'enfant dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant une durée d'un an et de le rendre adoptable. S'il s'agit à l'évidence d'une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale, celle-ci qui est prévue par la loi et poursuit un but légitime au sens du second paragraphe de l'article 8 de la Convention. Le point décisif est, dès lors, de savoir si elle était nécessaire "dans une société démocratique".

Abandon originel. La Cour relève, tout d'abord, que cette affaire se distingue d'une grande partie de celles dont elle a eu à connaître, en ce que la prise en charge initiale de l'enfant par l'Etat n'a pas pour origine une initiative des autorités internes. En effet, l'enfant, née le 16 septembre 2002, a été immédiatement admise comme pupille de l'Etat à titre provisoire et confiée à l'Aide sociale à l'enfance, en raison de la demande de la mère de conserver le secret de la naissance, et ce antérieurement à la première hospitalisation de cette dernière sans son consentement.

Opportunité de la déclaration judiciaire d'abandon. S'agissant de l'opportunité de la déclaration d'abandon du point de vue de l'équilibre des intérêts en présence, et, surtout, de l'intérêt supérieur de l'enfant, la Cour observe qu'une telle mesure constitue le préalable nécessaire à une éventuelle adoption. Or, elle relève, en l'espèce, que l'enfant avait bénéficié depuis sa naissance d'une prise en charge en pouponnière, puis en famille d'accueil, du fait de la carence de la mère. Cette dernière n'avait pas investi le lien de filiation de manière significative. La famille élargie n'avait, quant à elle, pas manifesté d'avantage d'intérêt, puisqu'elle s'était abstenue de rendre visite à l'enfant -l'article 350 prévoit que l'abandon n'est pas déclaré si dans l'année précédant la demande de déclaration, un membre de la famille de l'enfant a demandé à en assumer la charge et que cette demande est jugée conforme à l'intérêt de l'enfant -. Au regard de ces éléments, la Cour estime que les autorités locales ont pu, sans outrepasser leur marge d'appréciation, estimer que la déclaration d'abandon était une mesure correspondant à l'intérêt supérieur de l'enfant et proportionnée au but légitime poursuivi.

Désintérêt volontaire. En l'espèce, il apparaît que les capacités intellectuelles et affectives de la requérante n'avaient pas été altérées au point que son désintérêt apparaisse comme involontaire et qu'elle puisse invoquer une grande détresse incompatible avec une procédure judiciaire d'abandon. Cette question du caractère volontaire du désintérêt est au coeur de la plupart des débats relatif à la déclaration judiciaire d'abandon. Le désintérêt des parents doit en effet être volontaire pour la permettre. Tel n'est pas le cas lorsqu'un tiers aura empêché le parent d'entretenir des relations avec l'enfant (2) ou que l'Administration n'a pas informé les parents du lieu de placement de l'enfant (3). Les parents qui se défendent d'avoir volontairement abandonné leur enfant doivent rapporter la preuve du caractère involontaire de leur désintérêt. Avant qu'elle ne soit supprimée en 2005 (4), le texte de l'article 350 -applicable en l'espèce- prévoyait une exception de grande détresse des parents qui constituait un obstacle au prononcé de l'abandon judiciaire, en ce qu'elle conduisait à réputer involontaire le désintérêt manifeste des parents. C'est cette exception que la mère invoquait en l'espèce mais que les juridictions saisies, approuvées par la Cour européenne ont refusé de caractériser, en s'appuyant sur la persistance du désintérêt de la mère pour son enfant durant les congés d'essai et les périodes hors hospitalisation, ainsi que sur les expertises psychologiques et psychiatriques dont il ne ressortait pas que les troubles de la mère aient été de nature à altérer son jugement, l'expression de sa volonté ou la manifestation de son sentiment maternel dans les décisions relatives à sa fille. A l'inverse, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 23 novembre 2011 (5) que la condition du caractère volontaire du désintérêt n'était pas satisfaite dès lors que la mère de l'enfant présentait des anomalies mentales atteignant les sphères intellectuelles, affectives et de la volonté, et avait été hospitalisée pendant de longues périodes. La Cour européenne fait, en outre, état de l'analyse de la cour d'appel selon laquelle le placement sous un régime de curatelle ne saurait faire présumer l'impossibilité pour le bénéficiaire de manifester sa volonté ou son intérêt dans les questions qui touchent les rapports avec ses enfants.

2° Le respect des droits procéduraux de la mère

Fondement. Depuis longtemps (6), la Cour a déduit de l'article 8 une protection procédurale des parents en matière d'assistance éducative qui a été étendue à tous les domaines concernant les relations parents-enfants (7). Dès lors que mesure est susceptible de porter atteinte au droit à la vie familiale, le processus décisionnel doit "être équitable et respecter comme il se doit les intérêts protégés par l'article 8". Pour qu'il en soit ainsi, les parents doivent pouvoir jouer un rôle suffisamment important dans la procédure (8). Les mêmes garanties procédurales doivent être respectées dans le cadre des procédures relatives à l'adoption dans lequel il est capital pour le parent biologique de pouvoir s'exprimer devant l'autorité judiciaire et remettre en cause le choix d'abandonner ses enfants (9).

Approche globale de la procédure. Dans l'arrêt du 26 septembre 2013, la Cour observe que l'état de santé de la requérante dont découlait une vulnérabilité particulière appelait de la part des autorités internes une attention spécifique, propre à lui garantir une protection accrue. Or, elle note que la déclaration d'abandon a été prononcée en première instance dans des conditions ne satisfaisant pas aux règles internes applicables aux majeurs protégés, la curatrice de l'intéressée n'ayant pas été convoquée. La question était donc de savoir si la procédure d'appel a permis de rétablir cette irrégularité et d'accorder à la mère une place lui permettant de faire valoir ses intérêts de manière satisfaisante, la curatelle ayant été levée entre temps. A cet égard, la Cour constate que la cour d'appel, après avoir annulé la décision du tribunal de grande instance, a de nouveau statué sur la requête en abandon judiciaire, en tenant compte des éléments de faits relatifs au désintérêt manifeste de la mère pour sa fille durant l'année précédant la requête, mais aussi des arguments avancés par l'appelante, fondés sur ses troubles psychologiques et ses hospitalisations sans consentement. La Cour note que la requérante a comparu en personne, qu'elle a été assistée de son avocat, et qu'elle a pu prendre connaissance de la décision attaquée et présenter de nouvelles pièces. Il ressort de la motivation des juges qu'ils ont analysé ces dernières avec soin. La Cour en conclut que la cour d'appel a procédé à un nouvel examen complet de la demande, ce qui permet de rétablir les droits procéduraux de la requérante qui n'avait pas été respectés en première instance. Le juge européen met ainsi en oeuvre une approche globale de la procédure et fait jouer à la voie de recours en l'occurrence l'appel, un rôle de rétablissement des garanties de la convention (10).

III - L'opportunité de l'adoption rapide de l'enfant

Famille d'accueil. En l'espèce, l'adoption a été prononcée au bénéfice de la famille d'accueil auprès de laquelle l'enfant avait été placé. Le droit français accorde, en effet, dans le cadre de son adoption, une priorité à la famille qui a pris en charge l'enfant. L'article L. 225-2 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8971G97) énonce d'ailleurs en premier lieu que "les pupilles de l'Etat peuvent être adoptés soit par les personnes à qui le service de l'aide sociale à l'enfance les a confiés pour en assurer la garde lorsque les liens affectifs qui se sont établis entre eux justifient cette mesure soit par les personnes agrées". Selon l'article R. 224-16 du même code (N° Lexbase : L7679IUX) aucun autre projet ne peut être examiné tant qu'il n'a pas été statué sur cette demande. L'article L. 225-9 témoigne, en outre, de la faveur faite à ce type d'adoption en prévoyant que "le département accorde une aide financière sous condition de ressources aux personnes adoptant un enfant dont le service de l'aide sociale à l'enfance leur avait confié la garde". La Cour européenne a déjà été confrontée à des hypothèses d'adoption d'un enfant par sa famille d'accueil dans les arrêts du 27 avril 2010 (11) et du 17 janvier 2012 (12).

Prononcé prématuré de l'adoption. La procédure suivie dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 24 septembre 2013 est pour le moins particulière. En effet, si le prononcé de l'adoption a eu lieu avant que les voies de recours contre la déclaration judiciaire d'abandon n'aient été examinées, c'est en réalité parce qu'il s'agissait d'un appel nullité que la mère a intenté seulement trois ans après que la décision ait été rendue, alors même que l'adoption de l'enfant avait déjà été prononcée. En réalité la mère n'a agi que lorsqu'elle a retrouvé sa pleine capacité juridique et qu'elle est sortie de l'hôpital. La Cour européenne s'interroge à la demande de la mère sur le fait de savoir si l'adoption prononcée seulement un an après la décision d'abandon initiale n'était pas prématurée.

Intérêt supérieur de l'enfant. Une fois encore c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui est au coeur de l'analyse de la Cour européenne des droits de l'Homme. La Cour rappelle au préalable, comme elle l'a souvent fait dans les affaires relatives aux relations parents-parents, que l'écoulement du temps peut avoir des conséquences importantes sur la prise en charge de très jeunes enfants. Elle fait primer l'intérêt supérieur de l'enfant a être adopté rapidement, comme elle l'avait déjà fait dans un arrêt du 10 janvier 2008 (13) relatif au délai de rétractation de la mère ayant accouché sous X. Le juge européen considère à juste titre qu'une fois la déclaration d'abandon décidée, l'intérêt supérieur de l'enfant était de voir sa situation personnelle stabilisée et sécurisée par l'établissement d'un lien légalement reconnu avec sa famille nourricière (14), étant observé que l'enfant était alors âgé de trois ans et demi et qu'elle n'avait vu qu'une seule fois sa mère naturelle. La Cour en déduit que le délai d'un an ne paraît pas, en soi, contraire aux exigences de l'article 8. Elle observe, néanmoins, qu'il en est résulté la situation critiquée par la requérante, dans laquelle le réexamen de la requête en déclaration d'abandon a été fait alors qu'une adoption plénière était déjà intervenue sur la base du jugement annulé. Pour autant, la Cour remarque que cette situation est également imputable au fait que l'appel contre la déclaration d'abandon n'a été interjeté par la requérante que tardivement. Compte tenu de son abstention et de la quasi absence de manifestations d'intérêt pour sa fille antérieurement, la Cour considère que les autorités locales ont pu estimer qu'il était déraisonnable, du point de vue de l'intérêt de la mineure, de conserver plus longtemps la situation d'abandon et de prise en charge provisoire. Dès lors, elle juge que l'Etat n'a pas outrepassé sa marge d'appréciation en considérant que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait le prononcé de l'adoption plénière avant que les voies de recours contre la décision d'abandon aient été examinées.

Il était particulièrement difficile en l'espèce de reprocher au juge d'avoir prononcé l'adoption un an après la déclaration judiciaire d'abandon alors qu'aucun recours n'était engagé contre cette dernière décision, l'intervention ultérieure de l'appel nullité était particulièrement inattendue. Une solution contraire consistant à imposer d'attendre plusieurs années avant le prononcé de l'adoption serait tout à fait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. La longueur excessive des procédures relatives à ces questions est déjà souvent dénoncée notamment par les travailleurs sociaux et il serait totalement inopportun d'ajouter des conditions supplémentaires de délai entre la déclaration judiciaire d'abandon et l'adoption.


(1) Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-15.129, F-P+B+I (N° Lexbase : A2719E34), AJFam., 2010, p. 433, obs. F. Chénédé.
(2) Cass. civ. 1, 3 octobre 1978, n° 77-13.953 (N° Lexbase : A9136CE4), Bull. civ. I, n° 285, D., 1979, IR, 47.
(3) CA Paris, 8 novembre 1996, Dr. fam. 1997, comm. n° 157, obs. P. Murat ; et Cass. civ. 1, 12 octobre 1999, n° 97-05.002 (N° Lexbase : A1647CSS), Dr. fam., 2000, comm. n° 3, obs. P. Murat, qui illustrent l'hypothèse dans laquelle le placement de l'enfant constitue une première rupture susceptible d'être exploitée pour rendre l'enfant adoptable par le biais de la déclaration judiciaire d'abandon.
(4) Loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 (N° Lexbase : L6312G9N).
(5) Cass. civ. 1, 23 novembre 2011, n° 10-30.714, F-D (N° Lexbase : A0101H37), JCP éd. G, 2012, p. 49, obs. Y. Favier.
(6) F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2011 p. 573.
(7) CEDH, 24 février 1995, Req. 51/1993/446/525 (N° Lexbase : A6655AWE), JCP éd. G, 1996, I, 3910, obs. F. Sudre.
(8) CEDH, 13 janvier 2009, Req. 33932/06 (N° Lexbase : A2469EME) ; CEDH, 5 décembre 2002, Hoppe c/ Allemagne.
(9) CEDH, 13 janvier 2009, préc..
(10) D. Mardon, Convention européenne des droits de l'Homme et Voies de recours, Thèse Grenoble 2013, n° 234 et s..
(11) CEDH, 27 avril 2010, Req. 16318/07 (N° Lexbase : A8222EWG), JCP éd. G, 2010, 578, obs. F. Sudre.
(12) CEDH, 17 janvier 2012, Kopf et Liberda c/ Autriche, Dr. fam., 2013, Etude n° 3, nos obs..
(13) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04 (N° Lexbase : A2492D3P), Dr. fam., 2008, Etude n° 14, nos obs..
(14) La Cour européenne considère que les liens entre la famille d'accueil et l'enfant qu'elle a recueilli pendant une période assez longue sont constitutifs d'une vie familiale : CEDH, 27 avril 2010, préc., JCP éd. G, 2010, 578, obs. F. Sudre.

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Protection sociale

[Textes] Caractère collectif et obligatoire des garanties de prévoyance

Réf. : Circ. n° DSS/SD5B/2013/344 du 25 septembre 2013 (N° Lexbase : L2810IYQ)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1

Le 24 Octobre 2013

Promue par les partenaires sociaux dans l'ANI du 11 janvier 2013 (1) et relayée par la loi n° 2013-504, 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU) (2), la généralisation de la couverture santé des salariés à l'horizon de 2016 a mis la protection sociale d'origine professionnelle sous les projecteurs, jetant la lumière sur un domaine du droit social que la technicité réserve habituellement à quelques spécialistes. Si les tous projecteurs ne sont pas encore éteints, la technicité a vite repris le dessus avec la publication par la Direction de la Sécurité sociale (ci-après DSS) de la très attendue circulaire relative aux modalités d'assujettissement aux cotisations sociales des financements patronaux des prestations de retraite et de prévoyance complémentaire.
Résumé

Il s'agit ici pour l'administration de tenir compte des dispositions réglementaires issues du décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012, portant sur le caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire (N° Lexbase : L7139IRT) (3) et, ainsi, d'actualiser son interprétation des conditions nécessaires au bénéfice, pour l'employeur, de la déductibilité sociale sous plafond de sa participation financière (CSS, art. L. 242-1 N° Lexbase : L4931ADY). Pour parvenir à cette actualisation, la DSS a pris son temps (4) mais a également eu recours, chose inhabituelle, à une consultation publique d'un projet de circulaire (du 7 au 21 juin 2013). La nouvelle circulaire n'emporte pas pour autant abrogation de la précédente, celle de 2009 (circ. n° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009 N° Lexbase : L9384ICK). En effet, 7 des 9 fiches que comporte la circulaire de 2009 restent quasiment inchangées ; seules -mais il s'agit des plus essentielles- les fiches 5 et 6 relatives aux caractères collectif et obligatoire se trouvent modifiées afin de tenir compte de l'évolution réglementaire intervenue en 2012 (5).

Il convient également de souligner que la DSS reporte la date-butoir de mise en conformité au décret du 9 janvier 2012 fixée initialement au 31 décembre 2013. Le délai est prolongé de six mois et prendra fin au 30 juin 2014, ce qui laisse ainsi davantage de temps aux entreprises pour (re)configurer les dispositifs de protection sociale à l'aune de la nouvelle interprétation administrative (6)... intervenue bien tardivement.


I - Caractère collectif : l'utile interprétation ministérielle du décret du 9 janvier 2012

Pour revêtir un caractère collectif au sens de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, les prestations complémentaires instituées doivent bénéficier à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux. Des dispositifs catégoriels peuvent donc être considérés comme collectifs mais c'est à la condition que le critère de catégorisation retenu soit objectif et utilisé conformément aux dispositions issues du décret du 9 janvier 2012.

L'adoption de ce texte réglementaire a rebattu les cartes puisque la détermination des critères objectifs de catégorisation est désormais encadrée, ce qui conduit la doctrine administrative à réécrire la fiche n° 5 (caractère collectif) à la lumière des dispositions des nouveaux articles R. 242-1-1 (N° Lexbase : L7177IRA), R. 242-1-2 (N° Lexbase : L7178IRB) et R. 242-1-3 (N° Lexbase : L7179IRC) du Code de la Sécurité sociale (7).

A - Les contours des critères

L'article R. 242-1-1 du Code de la Sécurité sociale énumère les critères permettant de définir objectivement une catégorie de bénéficiaires. La circulaire précise qu'il s'agit là d'une liste limitative (8), raison pour laquelle, contrairement à la doctrine antérieure, disparaît de la fiche n° 5 la possibilité de constituer des catégories objectives par référence aux catégories retenues pour l'application du droit du travail, dont celle de cadres dirigeants (9). En revanche, la DSS donne ici son interprétation des contours des cinq critères réglementaires.

Critère n° 1 - appartenance aux catégories "cadres" et "non-cadres" au sens de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947. Au regard de la réglementation AGIRC issue de la convention de 1947, la DSS considère que trois groupes de cadres peuvent exister : salariés exerçant les fonctions d'ingénieur et de cadre au sens de l'article 4, salariés relevant du groupe de l'article 4 auxquels s'ajoutent les employés techniciens et agents de maîtrise assimilés à des cadres par l'article 4 bis en raison de leur coefficient hiérarchique, les salariés composant les groupes article 4 et article 4 bis auxquels s'ajoutent les salariés bénéficiant d'une extension de la notion de cadre par recours à l'article 36 de l'annexe I de la convention de 1947.

La circulaire de septembre 2013 considère que chaque groupe peut constituer une catégorie objective, étant précisé que l'ensemble des salariés affiliés à l'AGIRC constitue a fortiori une catégorie donnant un caractère collectif au dispositif institué. Mais la DSS raisonne également a contrario pour définir les catégories objectives de non-cadres : l'ensemble des salariés non affiliés à l'AGIRC, les ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise, à l'exception de ceux assimilés cadres en application de l'article 4bis et de ceux bénéficiant de l'extension "cadre" en application de l'article 36, les ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise assimilés cadres en application de l'article 4bis, les ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise.

La circulaire invite à se montrer très précis dans la délimitation des catégories par référence, positive ou négative, aux dispositions régissant le champ d'application personnel de l'AGIRC. Cette exigence est à l'évidence susceptible de mettre en porte-à-faux nombre de dispositifs s'étant contentés de définir les catégories bénéficiaires par utilisation des seuls termes "cadres" et "non-cadres". Au regard de cette réalité, la DSS a manifestement décidé de faire preuve de pragmatisme : elle considère que "la mention dans un acte des catégories de "cadres" et "non-cadres" sans autre précision ne remet pas en cause les exclusions de l'assiette sociale", la catégorie "cadres" englobant alors les seuls salariés relevant de l'article 4 et la catégorie "non-cadres" les ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise. Cette interprétation devrait permettre à certaines entreprises de faire l'économie d'un processus de mise en conformité.

Critère n° 2 - tranches de rémunération fixées pour le calcul des cotisations AGIRC et ARRCO (10). Ce critère pose moins de difficultés que le précédent puisqu'il renvoie à la façon dont les régimes AGIRC et ARCCO "découpent" les rémunérations des salariés en tranchespour le calcul des cotisations dues (AGIRC : entre un et quatre plafonds de la sécurité sociale/entre quatre et huit plafonds ; ARRCO : entre zéro et un plafond/entre un et trois plafonds).

Le principal apport de la circulaire est de prévoir une tolérance en permettant de recourir à une tranche qui n'existe pas en matière de cotisation de retraite complémentaire, à savoir une tranche correspondant à deux plafonds. Dès lors, une catégorie peut regrouper les salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à un, deux, trois, quatre ou huit plafonds.

En revanche, l'administration ne fait pas place à l'idée défendue par certains d'une tranche "D" (pour la fraction des rémunérations supérieure à huit plafonds). Par conséquent, une catégorie peut regrouper les salariés dont la rémunération est égale ou supérieure à un, deux, trois ou quatre plafonds.

Critère n° 3 - appartenance aux catégories et classifications professionnelles définies par les conventions de branche. Selon la circulaire, ce critère renvoie au premier niveau de classification des salariés défini par la convention de branche dont relève l'employeur. Cette interprétation appelle deux remarques. En faisant référence au premier niveau de classification conventionnelle, la DSS recourt à un critère opérationnel utilisable dans tous les cas de figure indépendamment de la façon dont est dénommé ce premier niveau dans chaque convention de branche et du type de classification utilisé. Par ailleurs, en précisant "convention de branche dont relève l'employeur", la circulaire ferme a priori la voie à un recours instrumentalisé à une classification conventionnelle d'une branche dont ne relève pas l'entreprise. Elle laisse toutefois en suspens la question d'une application volontaire.

Critère n° 4 - sous-catégories fixées par les conventions de branche. Curieusement, la circulaire semble occulter une partie du critère tel que précisé au 4° de l'article R. 242-1-1 du Code de la Sécurité sociale : "le niveau de responsabilité, le type de fonctions ou le degré d'autonomie dans le travail des salariés correspondant aux sous-catégories...". Pour la DSS, ce critère n° 4 permet de prendre en considération les niveaux de classification conventionnelle inférieurs au 1er niveau retenu (qui est d'utilisation au titre du critère n° 3) et ce jusqu'au niveau le plus bas. Cependant, selon la circulaire, retenir une sous-catégorie (ou un sous-niveau) ne peut être envisagé qu'à la condition que "ces niveaux correspondent à une définition" et pas seulement à un coefficient de rémunération. Malgré quelques exemples, cette condition est peu explicite. On peut faire l'hypothèse qu'elle doit être comprise par croisement avec les termes de l'article R. 242-1-1 4° du Code la Sécurité sociale évoqués ci-dessus.

Critère n° 5 - appartenance aux catégories définies à partir des usages professionnels.

B - Les conditions d'utilisation des critères

En préambule de la fiche n° 5, la circulaire précise que les critères peuvent être combinés entre eux. Cependant, quelques lignes plus bas, la DSS avertit que le recours aux critères dans les conditions d'utilisation requises ne ferme pas la porte à une requalification s'il peut être démontré que la catégorisation instituée a eu "en fait pour objectif d'accorder un avantage personnel" en totale contradiction avec l'exigence d'un caractère collectif. En d'autres termes, une certaine complexité dans la combinaison des critères peut rendre le montage suspect pour les URSSAF. Gare, donc, à une instrumentalisation abusive des critères.

En fonction de l'objet du régime (risques couverts). Les modalités d'utilisation des critères dépendent de la nature des garanties, plus précisément des risques couverts. Elles sont prévues à l'article R. 242-1-2 du Code de la Sécurité sociale. Eu égard à leur complexité, la circulaire s'efforce d'en faire une présentation pédagogique sous forme de tableau croisant chaque critère et chaque grande catégorie de risque (retraite - incapacité (11)/invalidité/inaptitude/décès - maladie au sens de couverture frais de santé) (v. tableau reproduit ci-dessous).

Les "croisements" relèvent du cadre général lorsque la situation correspond à l'une de celles que l'article R. 242-1-2 du Code de la Sécurité sociale reconnaît comme constituant une catégorie objective. En revanche, les autres situations relèvent de cadres particuliers qui contraignent l'employeur à justifier du caractère objectif des catégories, c'est-à-dire à démontrer que les catégories permettent de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées. Dans le cadre général, l'entreprise bénéfice d'une présomption de caractère collectif ; dans les cadres particuliers, elle doit en faire la démonstration.

Critère 1 Critère 3 Critère 4 Critère 5
Catégorie cadres/non cadres Catégories des conventions collectives Sous-catégories des conventions collectives Catégories issues d'usages
Retraite Cadre général

sous réserve que tous les salariés soient couverts (B)

Cadres particuliers
Incapacité (A), invalidité, inaptitude, décès (C)
Maladie sous réserve que tous les salariés soient couverts

Source - circulaire n° DSS/SD5B/2013/344 du 25 sept. 2013, p. 4

En fonction de conditions particulières d'exercice de l'activité. L'alinéa 1er de l'article R. 242-1-3 du Code de la Sécurité sociale dispose en substance que le caractère collectif doit être vérifié pour chaque garantie prévue par le régime institué : "les garanties [...] doivent être les mêmes" pour tous les salariés relevant d'une catégorie identifiée. Toutefois, cette exigence peut être aménagée en matière de prévoyance, l'alinéa second permettant l'instauration de garanties plus favorables au bénéfice de certains salariés "en fonction des conditions d'exercice de leur activité". En particulier, il peut être fait place à des garanties renforcées si l'activité de certains salariés les expose davantage à des risques de santé. L'aménagement est bienvenu et pertinent ; il suppose toutefois une grande vigilance de la part de l'employeur dont l'administration attend qu'il puisse justifier du lien entre le caractère particulier de l'activité des salariés bénéficiaires de ces garanties "améliorées" et la nature desdites garanties.

II - Caractère obligatoire : quelques précisions ministérielles

Conditionné par le caractère collectif des prestations complémentaires, le bénéfice du régime social de faveur est également subordonné à leur caractère obligatoire pour les salariés concernés. Le décret du 9 janvier 2012 fait toutefois place à des facultés de dispense d'adhésion dont l'existence, sous réserve de respecter les exigences de l'article R. 242-1-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7182IRG), ne remet pas en cause le caractère obligatoire.

A - Conditions générales relatives aux dispenses d'adhésion

Le premier alinéa de l'article R. 242-1-6 du Code de la Sécurité sociale dispose que "les garanties mentionnées [...] sont mises en place à titre obligatoire au profit des salariés sous réserve des facultés de dispense d'adhésion, au choix du salarié, prévues dans l'acte juridique et énoncées ci-dessous [...]". Les termes auxquels recourt le texte réglementaire conduisent la circulaire à rappeler, davantage qu'à préciser, les trois conditions générales.

Des dispenses expressément prévues dans l'acte juridique. La prévision de dispenses d'adhésion ne constitue qu'une simple faculté. Cependant, si le choix est fait d'en instituer une ou plusieurs, il doit s'agir d'un choix explicite qu'il convient de matérialiser dans l'acte juridique et ce quel que soit le mode opératoire utilisé (accord collectif, référendum ou décision unilatérale).

Dans sa circulaire précédente de 2009, la DSS faisait déjà place aux dispenses... à une époque où aucun texte réglementaire n'existait. Pour certains cas de dispense, la doctrine administrative n'admettait l'instauration de dispenses qu'au stade de l'acte juridique initial (12). La nouvelle fiche n° 6 balaie ces conditions restrictives et considère que les dispenses peuvent être prévues tant dans l'acte initial que dans des actes modificatifs ultérieurs. Cette prise de position est logique au regard des termes mêmes de l'article R. 242-1-6 qui ne distingue pas.

Des dispenses laissées au libre choix du salarié. Seul le salarié peut décider de faire jouer la dispense en sa faveur. Celle-ci ne peut en aucune manière être mise en oeuvre par l'employeur au seul constat que le salarié serait dans une des situations prévues (par exemple, salarié ayant un CDD de moins de 12 mois). C'est la raison pour laquelle la circulaire précise que le jeu de la dispense ne peut résulter que d'une demande explicite du salarié traduisant sa volonté de renoncer au bénéfice des garanties collectives.

A n'en pas douter l'existence de facultés de dispense induit une obligation d'information ad hoc à la charge de l'employeur afin que les salariés potentiellement concernés aient connaissance de leur existence, en comprennent les enjeux et puissent le cas échéant les faire jouer de façon éclairée, Enfin, un certain formalisme devra être respecté afin de pouvoir attester du choix effectué par le salarié mais également de produire les justificatifs éventuellement nécessaires au jeu de la dispense (par exemple, une attestation d'assurance santé complémentaire individuelle).

Des motifs de dispense entrant dans les prévisions de l'article R. 242-1-6 (v. ci-dessous).

B - Conditions particulières relatives aux différents cas de dispense

Cas n° 1 : salariés embauchés avant la mise en place de garanties par une décision unilatérale. Ce premier cas de dispense envisagé par l'article R. 242-1-6 n'est pas sans filiation avec l'article 11 de la loi "Evin" du 31 décembre 1989 . Cet article dispose en effet que "aucun salarié employé dans une entreprise avant la mise en place, à la suite d'une décision unilatérale de l'employeur, d'un système de garanties collectives [en matière de prévoyance (14)] ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système". Le caractère d'ordre public de cette loi pourrait laisser penser qu'il n'était pas besoin pour le décret de janvier 2012 d'évoquer ce cas de dispense ni d'exiger une dispense explicite dans l'acte juridique.

En réalité, si la filiation est évidente, les situations visées ne se recouvrent pas nécessairement. En effet, la loi "Evin" ouvre un véritable droit de ne pas adhérer aux salariés embauchés avant la mise en place de garanties par décision unilatérale dans la seule hypothèse où une quote-part de financement est laissée à leur charge ; dès lors, dans cette situation, nul besoin d'une dispense expresse dans l'acte juridique comme l'évoque un peu maladroitement la circulaire. En revanche, l'article R. 242-1-6 du Code de la Sécurité sociale ne pose pas de condition relative aux modalités de financement des garanties et ouvre une possibilité générale de dispense en faveur des salariés présents dans l'entreprise lorsque des garanties collectives sont instituées par voie de décision unilatérale.... donc y compris lorsque le dispositif est intégralement financé par l'employeur. C'est sans doute la raison qui pousse la DSS à estimer que cette dispense générale peut également concerner les décisions unilatérales modifiant un régime préexistant "lorsque cette modification consiste en une remise en cause du financement intégral par l'employeur".

Cas n° 2 : salariés en situation salariale particulière. La circulaire ne comporte aucun commentaire relativement aux conditions permettant à des salariés en CDD, en contrat d'apprentissage ou à temps partiel de faire jouer l'éventuelle dispense insérée dans l'acte juridique. Cela ne surprend pas puisqu'elles font l'objet de précisions suffisamment claires au 2° de l'article R. 242-1-6.

En revanche, la DSS revient sur une "anomalie" du décret que nombre de praticiens avaient pointée, à savoir le fait que le texte réserve la possibilité de prévoir cette catégorie de dispense aux seules garanties mises en place par accord collectif ou référendum. Si la circulaire ne peut ajouter au texte en vigueur afin d'englober également la décision unilatérale, elle prend soin de souligner que "l'anomalie" sera prochainement corrigée par voie réglementaire (15). Tous les modes opératoires visés à l'article L. 911 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP) seront à l'avenir concernés.

Cas n° 3 : salariés en situation de double couverture. Le 3° de l'article R. 242-1-6 du Code de la Sécurité sociale permet de prévoir, à certaines conditions, une dispense (parfois temporaire) d'adhésion pour les salariés bénéficiaires de la CMU-C ou d'un chèque santé (aide à l'acquisition d'une complémentaire santé-ACS) ou couverts par un contrat individuel "frais de santé" ou une autre couverture collective. S'agissant de cette dernière hypothèse, la circulaire retranscrit les dispositions de l'arrêté du 26 mars 2012 qui donne la liste des couvertures collectives éligibles au jeu de la dispense. Elle en profite pour rendre explicites les conditions permettant au salarié de demander une dispense ès qualité d'ayant-droit de la couverture d'entreprise d'un de ses proches ; il doit s'agir d'une couverture présentant un caractère collectif et obligatoire au sens de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, ce qui suppose que le régime ait rendu obligatoire l'adhésion non seulement des salariés mais également des ayants-droit.

La DSS prend en quelque sorte acte du caractère réversible ou évolutif de certaines situations. Ce faisant, elle apporte confirmation aux praticiens que les dispenses au titre du bénéfice de la CMU-C, du chèque santé ou d'une autre couverture collective (16) peuvent être sollicitées en cours de régime (et pas seulement au moment où il est institué) lorsque la situation du salarié vient à changer (17).


(1) V. nos obs., Généralisation de la couverture santé des salariés : des avancées, des évolutions, des interrogations (commentaire ANI du 11 janv. 2013) ? Lexbase Hebdo, n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : L9638IUI).
(2) V. nos. obs., Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité ? Lexbase Hebdo, n° 534 du 4 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : L0394IXU).
(3) Décret n° 2012-25 du 9 janvier 2012, relatif au caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire (N° Lexbase : L7139IRT) ; V. nos. obs., Caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire : il est (enfin !) venu le temps du décret ? Lexbase Hebdo, n° 472 du 9 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : L7139IRT).
(4) Pour partie, cette temporisation peut s'expliquer par le recours en annulation formé par certaines confédérations syndicales contre le décret du 9 janvier 2012. En effet, contestant la légalité du texte réglementaire, la CGT et la CFE-CGEC ont saisi le Conseil d'Etat en mars et juin 2012. Or ce contentieux ne s'est que récemment dénoué par le rejet des requêtes syndicales et donc la validation du décret (CE 15 mai 2013, n° 357479, mentionné aux tables du Recueil LebonN° Lexbase : A3191KDK).
(5) Sur un plan pratique, il convient donc d'utiliser de façon combinée les deux circulaires, ce qui rend fort utile le recours à la version consolidée et actualisée de l'ensemble des fiches mise en ligne sur le site sécurité-sociale.fr.
(6) Pour rappel, les circulaires ministérielles et l'interprétation qu'elles donnent des textes peuvent être opposées par le cotisant aux URSSAF, opposabilité en sens unique qui est source de sécurité juridique pour l'entreprise qui ferait le choix de se glisser dans les pas de la doctrine administrative (CSS, art. L. 243-6-2 N° Lexbase : L6610G9P).
(7) Bien que non développé dans le présent commentaire, il convient de souligner que la circulaire précise comment il convient d'apprécier le caractère collectif en cas de modification de la situation juridique de l'employeur au sens de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) (v. p. 12 de la circulaire). Elle fait sienne la jurisprudence sur le respect du principe d'égalité de traitement en cas de coexistence de dispositifs différents consécutifs à l'application de l'article L. 1224-1.
(8) Cette affirmation est partiellement démentie par la circulaire elle-même quelques pages plus loin afin de faire place à certaines situations un peu particulières (v. p. 8 et 9 de la circulaire). Parmi celles-ci, la situation des salariés détachés à l'étranger et maintenus au régime français de sécurité sociale qui peuvent effectivement avoir besoin d'une couverture spécifique rendant pertinente la possibilité de les traiter dans une catégorie à part. V. G. Godard, A. Le Fur et M. Del sol, Prévoyance des expatriés et caractère collectif des garanties de protection sociale complémentaire : comment concilier l'inconciliable ? JCP, 2012, éd. S, p. 1328.
(9) La circulaire traite toutefois dans un paragraphe à part de la situation des mandataires sociaux qui, à certaines conditions qui sont précisées, peuvent être rattachés à une catégorie de bénéficiaires, y compris lorsqu'ils ne sont pas titulaires d'un contrat de travail. En revanche, les mandataires sociaux ne peuvent à eux seuls constituer une catégorie objective.
(10) La DSS prend soin de préciser que la rémunération s'entend de la rémunération brute annuelle constituant l'assiette des cotisations AGIRC et ARCCO (CSS, art. L. 242-1 N° Lexbase : L0132IWS). Les éléments de rémunération à intégrer dans le calcul ne sont pas laissés à la disposition des employeurs, fermant logiquement la voie à toute modulation "volontariste" des tranches.
(11) La circulaire précise qu'une modification de l'article R. 242-1-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7178IRB) interviendra prochainement par voie réglementaire afin de rattacher explicitement "la perte de revenu en cas de maladie" au risque "incapacité" et non "frais de santé" comme actuellement (CSS, art. R . 242-1-2 4°). Ainsi, il y a aura, d'une part, la prévoyance "gros risques" et, d'autre part, la prévoyance "petits risques" (frais de santé), ce qui est beaucoup plus pertinent.
(12) Pour une condamnation judiciaire des exigences de la circulaire de 2009 en matière de dispense, Cass. civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-22.59, F-D (N° Lexbase : A5031KLW).
(13) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques (N° Lexbase : L5011E4D).
(14) En matière de retraite supplémentaire, la jurisprudence fait application de la même solution. V. Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-40.288 (N° Lexbase : A7678AHT).
(15) Correction qui interviendra à l'occasion d'un décret pris en application de la loi n° 2013-504, 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU).
(16) Par erreur, la circulaire a visé le cas de la couverture individuelle en lieu et place manifestement de la situation d'une autre couverture collective.
(17) La circulaire entend que le libre choix du salarié soit préservé puisqu'elle fait place implicitement à une demande de dispense différée par rapport à la date à laquelle la situation personnelle du salarié vient à changer.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Octobre 2013

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N9057BTM

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 21 Juin 2016

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de TVA. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par la CJUE, une cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat, traitant de points rarement abordés. Dans le premier arrêt, en date du 12 septembre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne se prononce, après 25 ans de procédure, sur la question de savoir si un prorata de déduction de la TVA "mondialisé" peut être mis en oeuvre (CJUE, 12 septembre 2013, aff. C-388/11). Dans la deuxième décision, rendue le 1er août 2013, la cour administrative d'appel de Nancy traite des conditions de forme applicables pour l'exonération de la TVA dans le cadre d'opération réalisée par un intermédiaire. Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, en date du 25 juillet 2013, le Conseil d'Etat rendu une décision relative à la notion de livraison de biens dans le cadre intracommunautaire.
  • La CJUE n'admet pas l'application d'un prorata de déduction de la TVA "mondialisé" (CJUE, 12 septembre 2013, aff. C-388/11 N° Lexbase : A9611KK8)

Cette décision fort attendue permet de donner une réponse sur des faits qui datent aujourd'hui de 25 ans. Elle porte sur un problème de droit -les modalités de détermination du prorata de déduction de TVA-, qui a été débattu et dont il est nécessaire de rappeler le contexte juridique. Dans un second temps, les différentes étapes de ce contentieux seront exposées au regard des différentes décisions -nationales et de la CJCE- intervenues en la matière. Enfin, seront examinées les réponses de la CJUE qui ne correspondent pas nécessairement à la solution qui était attendue, voire espérée sur cette question de prorata.

1 - Le droit à déduction est essentiel dans le mécanisme de la TVA et permet de mettre en oeuvre le principe de neutralité. Aux termes du second alinéa de l'article 2 de la 1ère Directive-TVA (Directive 67/227 du Conseil du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires N° Lexbase : L7913AUM), il est prévu que pour "chaque transaction, la TVA calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service est exigible, déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix". Le droit à déduction vise à soulager l'opérateur de la totalité de la TVA qu'il a réglé dans le cadre de toutes ses activités économiques.

Cependant certains opérateurs, notamment les établissements bancaires et financiers, réalisent à la fois des opérations soumises à TVA et des opérations qui en sont exonérées, enfin certaines peuvent faire l'objet d'un droit d'option à la TVA (1). Dans ce cas, l'entreprise n'est pas en droit de déduire la totalité de la TVA qui lui a été facturée. Selon l'article 17-5 de la 6ème Directive-TVA (2) "en ce qui concerne les biens et services utilisés par un assujetti pour à la fois des opérations ouvrant droit à déduction [...] et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations".

Le droit de l'Union européenne laisse le choix aux Etats membres entre deux méthodes afin de déterminer la proportionnalité de la TVA déductible. Il peut s'agir, soit de la mise en oeuvre d'un "prorata" de recettes avec éventuellement la création de "secteurs d'activité" (3) ; soit de l'application de la règle d'affectation qui permet de déterminer la quote-part de TVA relative aux opérations ouvrant droit à déduction en fonction de critères propres à l'entreprise.

La décision commentée est relative à la notion de prorata. Il faut noter que les faits en cause dans ce litige sont anciens puisqu'ils datent de 1988 et 1989. A l'époque, la législation applicable est celle de la 6ème Directive-TVA (4), bien que soit intervenue la Directive 2006/112/CE (5), qui a mis en place une refonte à droit quasi constant de la 6ème Directive-TVA, les modifications ne remettent pas en cause la pertinence des réponses données par la CJUE. Ainsi, les dispositions du CGI en matière de droit à déduction sont reprises pratiquement intégralement par le décret du 16 avril 2007 (6). Aux termes de cette modification, le prorata a été remplacé par le coefficient de taxation (7). Cependant, dans l'affaire commentée, ce changement n'emporte pas d'incidence (8).

Le droit à déduction résultant du prorata est égal au résultat d'une fraction qui comprend, au numérateur, le chiffre d'affaires des opérations taxées et, au dénominateur, ce chiffre d'affaires auquel sont ajoutés le chiffre d'affaires de certaines opérations exonérées, de certaines opérations immobilières ou financières sauf si elles sont accessoires.

Cette question du prorata emporte des conséquences financières importantes pour le secteur bancaire. Eu égard aux montants en jeu, la détermination du prorata est essentielle. Cependant, ce mécanisme est critiqué, car il est considéré comme un "instrument de mesure rigide qui conduit à une application approximative et parfois déformée du principe de neutralité" (9).

2 - Les faits du litige sont relativement simples. Par ailleurs, ils ne présentent pas une grande particularité, donc la solution donnée par la CJUE n'intéressera pas seulement le contribuable en cause mais l'ensemble de ce secteur des activités bancaires et financières. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause les modalités utilisées par le Crédit Lyonnais pour le calcul de son prorata de déduction de TVA (10). L'administration a estimé que l'établissement bancaire n'aurait pas dû inscrire au numérateur, comme au dénominateur, les intérêts des prêts consentis par le siège sis en France à ses succursales établies à l'étranger.

Si, dans un premier temps, le Crédit Lyonnais a contesté ce redressement, par deux réclamations en date du 20 juillet 1994, en considérant que les recettes réalisées avec les succursales devaient être traitées comme celles réalisées avec des tiers ; dans un second temps, il a complètement modifié ses arguments. Dans une réclamation du 31 décembre 1996, la banque estime que les succursales et le siège ne constituaient qu'un seul et même assujetti et, en conséquence, pour déterminer le prorata applicable, il était nécessaire d'y inclure les intérêts versés par les succursales étrangères par leurs clients. Le tribunal administratif de Paris (11) a rejeté la demande de décharge de la société ; la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision des premiers juges (12).

Le Crédit Lyonnais s'est pourvu en cassation contre cet arrêt de la cour administrative d'appel de Paris. A l'appui de son pourvoi, la société a développé plusieurs moyens (13) dont le principal porte sur la question de savoir si le calcul du prorata peut être mondialisé. Plus précisément, il s'agit de savoir si, pour le calcul du prorata, la société établie dans un Etat membre doit prendre en compte les recettes réalisées par ses succursales établies dans un autre Etat membre ou dans un Etat tiers à l'UE.

Dans une décision de 1981 (14), le Conseil d'Etat avait jugé que les subventions d'exploitation versées par le siège à ses établissements n'étaient pas des opérations soumises à la TVA. Plus récemment, en 2001 (15), la Haute juridiction administrative avait considéré que les mouvements de fonds en provenance d'une succursale à destination du siège constituaient des opérations internes ; dès lors, elles n'entraient pas dans le champ d'application de la TVA et étaient donc exclues des éléments pris en compte pour la détermination du prorata (16). On peut noter qu'à l'époque, le commissaire du Gouvernement avait conclu à l'inintérêt de saisir la CJCE (17). Enfin, dans une décision de 2006 (18), la Cour de justice des communautés européennes a conclu à l'inexistence au plan de la TVA des opérations entre un siège et ses succursales. Cependant, dans cette décision, il n'avait pas été abordé le droit à déduction, mais seulement le point de savoir si ces opérations relevaient ou on du champ d'application de la TVA (19).

3 - La décision de la CJUE était pour le moins attendue car la question des éléments à prendre en compte pour le calcul du prorata a fait l'objet d'un intérêt certain (20), non seulement dans le cadre du droit français mais aussi pour d'autres législations (21). Cependant, il ressort que, de manière générale, par application du principe de neutralité, la plupart des auteurs s'accordaient à espérer que la décision du juge européen soit favorable à la mise en oeuvre d'un prorata mondialisé. Néanmoins, il était nécessaire de régler les questions d'ordre pratique découlant de cette admission du prorata mondial notamment celle "de savoir quel droit devront appliquer le siège et chacune des succursales pour déterminer si une opération ouvre droit ou non à déduction" (22).

Or, la CJUE n'a pas répondu positivement aux différentes questions préjudicielles concernant la possibilité de déterminer le prorata de déduction de la TVA au niveau mondial. Dans un premier temps, elle a déjà décidé de reformuler la première question posée par le Conseil d'Etat. En effet, ce dernier posait une question qui portait non pas sur l'existence ou non d'un prorata mondialisé, mais sur les modalités à mettre en oeuvre pour le calcul d'une part, du prorata applicable au siège et, d'autre part, au prorata applicable aux succursales établies hors de France. Or, pour les juges de l'Union européenne, la question ne porte que sur "la détermination du prorata de déduction de TVA applicable au siège de la société assujettie" (23). Après avoir rappelé les objectifs du droit à déduction, notamment la garantie du principe de neutralité, la CJUE mentionne aussi que les modalités du droit à déduction relèvent de la "sphère d'application de la législation nationale" (24) sur le fondement de l'article 17, § 5 de la 6ème Directive-TVA.

La CJUE rappelle une décision en date du 16 juillet 2009 (25), aux termes de laquelle elle a jugé que l'établissement stable situé dans un Etat membre et l'établissement principal situé dans un autre Etat membre sont considérés comme étant un seul et unique assujetti. Dès lors, cet assujetti "est soumis, à côté du régime applicable dans l'Etat de son siège, à autant de régimes de déduction nationaux que d'Etat membre dans lesquels ils disposent d'établissement stables" (26). En revanche, il n'est absolument pas fait mention de l'arrêt "FCE Bank" (27), elle suit sur ce point les conclusions de l'avocat général pour lequel cette décision n'apporte aucun élément pertinent quant à la question de savoir si une entreprise doit prendre en considération le chiffre d'affaires de ses succursales situées dans un autre Etat (28).

Selon la CJUE, le principe de neutralité n'est pas remis en cause par cette position. A noter que ce principe ne constitue pas une "règle de droit primaire, mais plutôt un principe d'interprétation qui doit guider les Etats dans l'adoption de leur législation" (29). Cette appréciation du principe de neutralité est déjà apparue dans un arrêt récent de 2012 (30), et permet à la CJUE de faire prévaloir d'autres principes qui peuvent être analysés de manière contraire à la neutralité. En l'espèce, la CJUE fait prévaloir la souveraineté fiscale des Etats membres en retenant le caractère territorial de l'imposition et ne remet pas en cause l'emprise territoriale de ces Etats au regard de la TVA qui, même harmonisée, reste un impôt national. En reconnaissant la possibilité d'un prorata "mondialisé", la CJUE viendrait ainsi limiter le pouvoir d'appréciation laissé aux Etat membre, en l'espèce quant aux règles applicables pour la détermination du prorata de déduction de la TVA.

La deuxième question préjudicielle portait sur une demande relative à la détermination du prorata d'une société dont le siège est sis dans un Etat membre, à savoir si elle pouvait prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par ses succursales situées dans des Etats tiers. Sans surprise, eu égard à sa réponse à la première question préjudicielle, la CJUE estime qu'il n'existe aucun élément de droit qui permette de considérer que lorsqu'un assujetti dispose d'un établissement stable dans un Etat tiers, cette situation puisse avoir une incidence sur le régime de déduction auquel il est soumis dans l'Etat où est situé son siège (31).

Enfin, sur la troisième question préjudicielle au terme de laquelle le Conseil d'Etat demandait si l'article 17 de la 6ème Directive-TVA permettait à un Etat membre "de retenir une règle de calcul du prorata de déduction par secteur d'activité d'une société assujettie autorisant celle-ci à prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par une succursale établie dans un autre Etat membre ou un Etat tiers" (32). Pour la CJUE, comme précédemment, la réponse est négative. Elle considère que la notion de secteur d'activité ne peut s'entendre au sens de territoire géographique, mais qu'il doit s'agir de différents genres d'activités économiques.

Par cette décision, très clairement, la CJUE a entendu réaffirmer le caractère prégnant de la souveraineté des Etats, même dans le cadre d'une imposition ayant été harmonisée. La défense du prorata "mondialisé" se fondait principalement sur le principe de neutralité, dont le droit à déduction est la clé de voûte. Cependant, il est important de noter que dans cette affaire, la CJUE a tenu à relativiser ce principe, au point qu'étant en contradiction avec d'autres principes tels que la souveraineté fiscale des Etats, il pouvait être battu en brèche.

  • Exonération de TVA des sommes perçues par un intermédiaire : nécessité de comptabiliser les sommes dans un compte de passage (CAA Nancy, 2ème ch., 1er août 2013, n° 11NC01582, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5649KKG)

La décision commentée aborde un point de droit qui fait l'objet de peu de jurisprudence et présente un intérêt certain en nous permettant d'analyser une question rarement évoquée. Il s'agit de savoir à quelles conditions -notamment comptables- l'opération accomplie par un intermédiaire peut bénéficier de l'exonération de TVA sur le fondement de l'article 267 du CGI (N° Lexbase : L5338HLB). Cet arrêt porte aussi sur une question qui n'est pas relative à la TVA, mais qui intéresse la mise en oeuvre des pénalités dues en cas de manquement délibéré par application de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB), plus particulièrement au regard de la profession exercée par le contribuable.

1 - Les faits à l'origine du litige sont simples. Une société a adressé le 24 avril 2004 une facture d'un montant de 2 270,10 euros à une contribuable personne physique. Cette somme correspondrait à des "frais d'enregistrement" qu'elle a réglé en tant que mandataire pour le compte de la contribuable, mandante. En vue de justifier cette exonération, elle indique que les frais en cause sont inclus dans la rubrique "honoraires" de la note d'honoraires qu'elle a produite. La société demanderesse considère que cette somme représente des débours et, en conséquence, elle estime ne pas être imposable au titre de la TVA. Cependant, la société ne peut justifier avoir porté en comptabilité -sur un compte de passage- les dépenses litigieuses. N'ayant pas rempli cette condition, l'administration fiscale a estimé à bon droit que cette somme ne devait pas être maintenue hors de la base imposable à la TVA.

En effet, aux termes du 2° du II de l'article 267 du CGI, ne sont pas comprises dans la base d'imposition à la TVA "les sommes remboursées aux intermédiaires, autres que les agences de voyages et organisateurs de circuits touristiques, qui effectuent des dépenses au nom et pour le compte de leurs commettants dans la mesure où ses intermédiaires rendent compte à leurs commettants, portent ces dépenses dans leur comptabilité dans des comptes de passage et justifient auprès de l'administration des impôts de la nature ou du montant exact de ces débours".

Le principe est que doivent être exclues de la base imposable les sommes remboursées aux intermédiaires qui effectuent des dépenses au nom et pour le compte de leurs commettants. Cette exclusion ressort de la logique de l'imposition à la TVA au terme de laquelle le remboursement de frais ne peut s'analyser comme la rémunération d'un service rendu. Cependant, cette exclusion de la base imposable à la TVA ne doit être faite que si certaines conditions sont remplies :

- il doit exister un mandat préalable. Le mandataire doit intervenir sur le fondement d'un mandat préalable et explicite. La doctrine administrative admet le mandat tacite "dès qu'il est suffisamment vraisemblable pour n'être pas mis en doute" (33) ;

- les sommes dont il est demandé le remboursement doivent correspondre aux sommes versées à des tiers par le mandataire, au nom et pour le compte du mandant. Ainsi, si l'intermédiaire obtient une remise, même postérieure à la transaction, il doit en faire bénéficier son mandant (34) ;

- l'intermédiaire doit rendre compte exactement à son commettant de l'engagement et du montant de ces dépenses. Il n'existe aucune condition de forme attachée à la reddition des comptes. En l'espèce, la SELARL avait produit une facture adressée à son mandant qui mentionnait des "frais d'enregistrement" qu'elle analysait comme des débours et à ce titre en réclamait la non imposition à la TVA. A l'égard du mandant -et de l'administration fiscale-, le mandataire doit pouvoir justifier par "tous moyens appropriés (facture des fournisseurs de biens ou services, copie des comptes rendus ou factures détaillées adressées aux mandants, etc.), du montant ou de la nature des débours', exclus de la base d'imposition" (35) ;

- les dispositions de l'article 267-II-2° du CGI indiquent une condition relative aux règles de comptabilisation ; l'intermédiaire doit porter les débours dans "des comptes de passage" (36). En pratique, pour les redevables soumis aux règles de la comptabilité commerciale, ce sont des comptes de tiers, et pour les autres redevables de comptes spécifiques (37). Par exemple, si un intermédiaire achète des biens pour le compte et au nom d'un mandant, il ne sera imposable à la TVA qu'au titre de sa commission. En revanche, n'est pas compris dans l'assiette le remboursement du prix des biens engagés pour le compte et au nom du commettant (38).

Dans l'affaire commentée, c'est précisément du fait du non respect de cette condition relative à l'inscription sur un compte de passage que l'administration fiscale a considéré que les sommes ne constituaient pas le remboursement de débours et qu'en conséquence elles devaient être incluses dans la base imposable à la TVA. Cette solution a été confirmée par les juges du tribunal administratif (39), puis de la cour administrative d'appel. La règle de comptabilisation imposant d'inscrire les frais dont les intermédiaires font l'avance sur un compte de passage est liée à la nécessité de pouvoir différencier de distinguer entre la rémunération de service rendu et le remboursement des frais avancés ; "ce régime permet aux mandataires de n'être imposables que sur leur rémunération propre, à l'exclusion des frais dont ils ont fait l'avance" (40).

La mention d'inscrire les sommes exclues de la base de la TVA, en vertu de l'article 267-II-2° du CGI, sur un compte de passage est donc obligatoire et la seule constatation de son absence permet à l'administration de remettre en cause l'exclusion des sommes remboursées, même si, par ailleurs, elles remplissaient toutes les autres conditions mentionnées par la loi.

2 - Cette décision de la cour administrative d'appel de Nancy aborde un point important dans le cadre de l'application de l'article 1729 du CGI quant aux critères à prendre en compte afin de déterminer s'il existe ou non un manquement délibéré. En l'espèce, l'administration fiscale avait considéré que l'intention délibérée de la SELARL était constituée au regard de la profession du gérant de ladite société qui était avocat.

Les critères définis par la jurisprudence afin de caractériser le manquement délibéré -antérieurement la mauvaise foi- sont l'existence de l'insuffisance de déclaration et le caractère délibéré du comportement du contribuable (41). "Le caractère délibéré du manquement résulte de l'ensemble des éléments de fait de nature à établir les erreurs, inexactitudes ou omissions commises par le contribuable n'ont pu l'être de bonne foi" (42). Notamment, le Conseil d'Etat prend en considération la profession du contribuable (43). Ainsi, l'exercice de la profession d'expert-comptable (44), de conseil juridique et fiscal (45), ou d'avocat fiscaliste (46) a été considéré comme un élément qui permettait à l'administration fiscale de retenir le manquement délibéré et suffisait à en apporter la preuve (47).

En l'espèce, si les juges de première instance avaient estimé que la profession du gérant était suffisante pour établir qu'il y avait bien eu un manquement délibéré, en revanche la cour administrative d'appel a considéré que la seule mention de la profession ne suffisait pas à apporter la preuve qu'il y avait bien eu une intention délibérée de la part du contribuable. En conséquence, elle a déchargé la société des pénalités dues sur le fondement de l'article 1729 du CGI. On peut noter que, dans une affaire portant sur le même point de droit, la cour administrative d'appel de Paris avait considéré que la fonction d'un contribuable, président du conseil d'administration et associé d'une société spécialisée en droit des sociétés et en droit fiscal, était suffisante pour fonder la preuve de l'intention délibérée en vue de l'application des pénalités mentionnées à l'article 1729 du CGI (48).

Il n'est pas mentionné si le gérant exerçant la profession d'avocat était spécialisé ou non dans le domaine de la fiscalité. Si cela était le cas, cette décision viendrait en contradiction, non seulement avec d'autres arrêts de cour administrative tel que celui mentionné ci-avant mais aussi au regard de la ligne de jurisprudence de la Haute juridiction administrative. En effet, il semble possible de pouvoir déduire des différents décisions connues que le Conseil d'Etat n'accepte de prendre en compte la profession du contribuable comme élément de preuve d'un manquement délibéré que lorsqu'il existe un lien très étroit entre les connaissances mobilisées par cette profession et le droit fiscal (expert-comptable, avocat ou conseil fiscaliste). En revanche, si dans l'espèce commentée, l'avocat n'était pas spécialiste de la matière fiscale, elle s'inscrit dans le "droit fil" des décisions antérieures.

  • Le Conseil d'Etat saisit la CJUE d'une question préjudicielle portant sur le lieu de livraison d'une marchandise expédiée depuis l'Italie vers la France pour des travaux à façon et distribués à la cliente française depuis le lieu des travaux (CE 10° et 9° s-s-r., 25 juillet 2013, n° 345103, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1199KKM)

Les règles relatives à la territorialité de la TVA sont "complexes car inabouties" (49). Bien que le marché européen soit censé fonctionner comme un marché unique, pour le moment, cela n'est toujours pas le cas et le régime transitoire est appelé à perdurer (50).

L'affaire présentement commentée est intéressante car elle permet de s'interroger sur des éléments essentiels de la TVA intracommunautaire, les notions d'acquisitions et de livraisons intracommunautaires de biens. Pour rappel, l'entreprise assujettie bénéficie d'une exonération de TVA à raison des livraisons de biens effectuée sur le territoire d'un autre Etat membre. Réciproquement, sera considérée comme une acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel, expédié ou transporté en France par le vendeur, l'acquéreur ou pour leur compte à partir d'un autre Etat membre.

Les faits sont les suivants. Une société, sise en Italie, a fabriqué des pièces métalliques dans cet Etat qu'elle a vendu à une entreprise française. Ces pièces ont fait l'objet de travaux à façon de peinture par une autre entreprise française. Le prix de ces travaux à façon -TVA comprise- a été inclus dans le prix de vente facturé à la première société française. La société de peinture a envoyé directement les pièces métalliques à la société française. Donc, les biens reçus par cette dernière ne provenaient pas -directement- d'un autre Etat membre, mais de la société elle-même située en France qui avaient effectué des travaux de peinture sur lesdits biens. Selon la société défenderesse, la livraison des biens entre elle, société italienne vendeuse, et une entreprise française acquéreuse s'analyse pour une livraison intracommunautaire pour la société italienne et une acquisition intracommunautaire pour la société française. A ce titre, elle s'estime en droit de pouvoir réclamer le remboursement de la TVA qu'elle a réglé pour les travaux de peinture réalisés par la société en France.

En revanche, l'administration fiscale considère qu'au moment de leur expédition vers la société française, les biens en cause se trouvaient sur le territoire français, donc il ne s'agissait pas d'une opération intracommunautaire mais d'une opération interne. En conséquence, l'administration n'a pas répondu favorablement à cette demande de remboursement de la société italienne. La société italienne a saisi le tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande par une décision en date du 3 juillet 2008 (51) ; la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision des juges du fond (52). Les juges du tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont considéré que les biens en cause ont été livrés à la société française pour le compte du vendeur -la société italienne- par l'intermédiaire de l'autre société située en France ; en conséquence le lieu de livraison des biens doit être regardé comme situé en France, dès lors la demande de remboursement n'est pas justifiée

La Haute juridiction administrative a décidé de surseoir à statuer en adressant une question préjudicielle aux juges de Bruxelles. Aux termes des dispositions du droit de l'UE, doit-on considérer que la livraison d'un bien par une société à un client situé dans un autre Etat membre, après transformation du bien subie dans l'établissement d'une autre société sise dans l'Etat membre du client, est une livraison de bien entre le pays du vendeur (Italie) et le pays du destinataire final (France) ou une livraison de bien au sein du même Etat membre (France) du destinataire final à partir de l'établissement de transformation (France) ?

Pour rappel, le travail à façon est une opération qui implique que le façonnier ne devient pas propriétaire des biens que lui a confié le donneur d'ouvrage (53), dès lors le façonnier ne réalise pas une acquisition intracommunautaire ; en revanche, il réalise une prestation de service pour le compte du fabricant. En se gardant bien d'anticiper sur la possible solution que pourrait donner la CJUE à ce litige, il paraît intéressant de revenir à l'application de règles essentielles quant à la notion de transfert de propriété. Aux termes du II, 1° de l'article 256 du CGI (N° Lexbase : L0374IWR) "est considéré comme livraison d'un bien, le transfert de pouvoir disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire". Or, il ne semble pas que l'on puisse considérer la remise des pièces métalliques par la société italienne à la société française de peinture afin qu'elle puisse effectuer un travail à façon comme le "transfert de pouvoir disposer d'un bien meuble comme un propriétaire". La société de peinture n'est pas devenue propriétaire desdits biens et a seulement effectué une prestation de services sur ces biens avant de les réexpédier à l'acquéreur, l'autre société française.


(1) CGI, art. 260 B (N° Lexbase : L7107IGC).
(2) Disposition reprise à l'identique par l'article 173-1 de la Directive du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ).
(3) Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de la TVA : assiette uniforme, art. 19 (Directive 77/388 du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9).
(4) Directive du Conseil du 17 mai 1977, op. cit..
(5) Directive du Conseil du 28 novembre 2006, op. cit..
(6) Décret n° 2007-566 du 16 avril 2007, relatif aux modalités de déduction de la TVA et modifiant l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L0074HWN). Ce décret a été commenté par l'instruction du 9 mai 2007 (BOI 3 D-1-07 N° Lexbase : X8574ADW), DF, 2007, n° 24, instr. 13728.
(7) CGI Ann. II, art. 206-III (N° Lexbase : L4430IQ7).
(8) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ?, concl. sous CE, Plén., 11 juillet 2011, n° 301849, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0224HW9), RJF, 10/11, pp. 917-929, p. 917.
(9) J.-C. Bouchard, O. Courjon, Le prorata et le principe de neutralité, DF, 2006, n° 48, pp. 2058-2063, p. 2063.
(10) On peut noter que l'administration fiscale avait aussi redressé la société pour le même motif quant à l'inscription du même élément au dénominateur du rapport déterminant l'assujettissement à la taxe sur les salaires.
(11) TA Paris, 5 octobre 2004, n° 9815466/1.
(12) CAA Paris, 2ème ch., 8 décembre 2006, n° 04PA03905, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4319DT7).
(13) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ? Concl. sous CE, 11 juillet 2011, n° 301849, publié au recueil Lebon, op. cit..
(14) CE, Plén., 9 janvier 1981, n° 10145, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5641AK7), DF, 1981, n° 23, comm. 1237.
(15) CE 9° et 10° s-s-r., 29 juin 2001, n° 176105, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4795AU7), DF, 2001, n° 46, comm. 1056, concl. G. Goulard.
(16) Cette solution était identique à celle dégagée par une décision du 9 janvier 1981 : CE, Plén., n° 10145, op. cit..
(17) Concl. G. Goulard sous CE, 29 juin 2001, n° 176105, op. cit..
(18) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, (N° Lexbase : A6395DN8), RJF, 2006, n° 806. Pour un commentaire de cette décision cf. : M. Gunichard et W. Stemmer, Prestations intra-entreprises et TVA, DF, 2007, n° 11, Etudes 273, pp. 9-13.
(19) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, op. cit..
(20) Outre les articles déjà cités : C. Amand et V. Lenoir, Prorata de déduction de la TVA par les intermédiaires financiers : le chiffre d'affaires des opérations de crédit est-il constitué par les intérêts bruts ou la marge brute ?, Banque et droit, 2005, n° 101, p. 10 ; Prorata mondial : entre le marteau et l'enclume !, DF, 2011, n° 30, act. 241 ; C. Sniadower, Faut-il craindre la mondialisation ? A propos de la décision Sté Crédit Lyonnais sur le calcul du prorata de déduction de la TVA, DF, 2011, n° 44, comm. 573.
(21) V. Gundt et R. Hamacher, Le prorata de déduction de TVA par les organismes financiers en Allemagne, DF, 2007, n° 15, Etude 404.
(22) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ? Concl. sous CE, Plén., 11 juillet 2011, n° 301849, op. cit..
(23) Point 21.
(24) Point 30.
(25) CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-244/08 (N° Lexbase : A9696EIX), DF, 2009, n° 30-35, act., 256.
(26) Point 34.
(27) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, op. cit..
(28) Point 40. Conclusions de l'avocat général, M. P. Cruz Villalon, présentées le 13 février 2013.
(29) Point 51. Conclusions de l'avocat général, M. P. Cruz Villalon, présentées le 13 février 2013, op. cit..
(30) CJUE, 19 juillet 2012, aff. C-44/11(N° Lexbase : A0045IR4).
(31) Point 43.
(32) Point 50.
(33) BOI-TVA-BASE-10-10-30-20120912, § 220 (N° Lexbase : X6525ALA).
(34) Gestion de la TVA, Dossiers pratiques Francis Lefebvre, 2002, 665 pages, § 11260.
(35) BOI-TVA-BASE-10-10-30-20120912, § 230, op. cit..
(36) Classe 4.
(37) Gestion de la TVA, op. cit., § 11267.
(38) Gestion de la TVA, op. cit., § 11270.
(39) TA Strasbourg, 22 juillet 2011, n° 00900245.
(40) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, 36ème édition, 2012, 871 pages, § 1172.
(41) CE 9° et 8° s-s-r., 3 mai 1993, n° 116269, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9448AMU), RJF 6/1993, n° 774.
(42) T. Lambert, Procédures fiscales, Montchrestien, coll. Domat droit public, 2013, 658 pages, § 595.
(43) T. Lambert, Procédures fiscales, op. cit., § 595.
(44) CE 7° et 8° s-s-r., 24 novembre 1976, n° 94105, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6876B88), DF, 1976, comm. 1888.
(45) Pour exemple : CE, 27 juillet 2001, n° 2113143, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5040AU9) et n° 211314 (N° Lexbase : A5041AUA) et n° 211315 (N° Lexbase : A5042AUB), inédits au recueil Lebon, DF, 2001, n° 50, comm. 1156, concl. G. Goulard.
(46) CE 8° et 3° s-s-r., 8 février 2012, n° 336125, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3385ICD), RJF, 5/12, n° 480.
(47) La bonne foi du contribuable est toujours présumée, c'est donc sur l'administration que pèse la charge de la preuve ; CE 9° et 7° s-s-r., 16 avril 1982, n° 17218, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1670ALG), RJF, 6/1982, n° 568.
(48) CAA Paris, 2ème ch., 11 mai 2011, n° 09PA00372, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3861HSS).
(49) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, op. cit., § 1348.
(50) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, op. cit., § 1348.
(51) TA Paris, 3 juillet 2008, n° 0206926/2.
(52) CAA Paris, 5ème ch., 21 octobre 2010, n° 08PA04741, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8115GKR).
(53) Gestion de la TVA, S 4952, op. cit..

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