La lettre juridique n°542 du 3 octobre 2013

La lettre juridique - Édition n°542

Éditorial

De l'impuissance du législateur face au conflit intergénérationnel rampant

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Comme à chaque jour suffit sa fête, le 1er octobre, nous célébrions la Journée mondiale des personnes âgées. Vous ne le saviez pas, jusqu'à ce que Dominique Baudis, le Défenseur des droits, interpelle sur les discriminations accrues rencontrées par les seniors hexagonaux. Troisième motif des saisines de la rue Saint-Florentin, pour discriminations, c'est environ 12 000 requêtes, sur ce thème, qui ont atterri sur le bureau de Dominique Baudis, en 2012. Dans son entretien accordé au journal La Croix, du 1er octobre, ce dernier évoque des discriminations dans le domaine de l'emploi, de l'accès aux assurances, des crédits ou de la location de logement, outre les maltraitances subies dans les maisons de retraite et les problèmes liés à l'exercice des droits des grands-parents.

Mais à la surdité des personnes âgées face aux discriminations rencontrées par les jeunes générations (accès à l'emploi, accès au logement, accès aux soins) pourrait bien répondre une surdité de ces mêmes jeunes aux mêmes discriminations que leurs aînés peuvent subir. Depuis quelques années maintenant, plusieurs sociologues alertent l'opinion sur "l'égoïsme des baby-boomers" qui ne voudraient rien céder, aujourd'hui, à leurs descendants : la réforme des retraites envisagée en étant l'exemple le plus topique. Selon l'Insee (2008), le niveau de patrimoine des plus de 50 ans excède de plus de 50 % le patrimoine moyen ; et leur revenu disponible net excède de plus de 15 % le revenu moyen. Malgré la crise, l'Etat-Providence demeure généreux avec les personnes âgées et reste impuissant, pour ne pas dire insensible, face à une jeunesse que l'on dit "laissée pour compte", par pudeur. Il paraît même que "le sort des retraités français est l'un des plus enviables des pays de l'OCDE". Alors qu'il y ait par-ci, par-là, quelques "discriminations anti-vieux", il est à craindre que jeunes et, même quadras, y soient hermétiques. Il y dix ans, la canicule avait ému les consciences sur le sort des personnes fragilisées ; dans quelle entreprise respecte-t-on encore la journée de solidarité -journée de travail non obligatoire de l'aveu même du Conseil d'Etat-, plutôt que l'envisager comme une taxe sociale supplémentaire ? La société professionnelle montre combien elle néglige ses seniors, alors qu'elle se sent sacrifiée sur le plan patrimonial, sur celui du logement, sur celui de la mobilité sociale et, finalement, sur celui du "bonheur". Les atermoiements sur la mise en place d'un cinquième pilier social contre le risque de dépendance en sont une illustration. Le sentiment d'inéquité intergénérationnelle est, du même coup, partagé par les deux classes d'âge concernées.

La loi "Mermaz" qui oblige le bailleur à trouver un logement pour son locataire de plus de 70 ans, lorsqu'il entend rompre le bail, est, quoiqu'on en pense, bien plus qu'une simple mesure sociale ; c'est une mesure de solidarité intergénérationnelle de décence envers ceux qui ont loupé le coche des Trente Glorieuses. Mais, les jeunes, sans emploi pour un quart d'entre eux, surdiplômés et, pourtant, convaincus d'être à l'avenir déclassés, ne bénéficient pas de la même protection. La future loi sur le logement prévoit bien une garantie universelle et un encadrement des loyers, quand le problème concerne d'abord l'accès au logement et non le maintien dans le logement ; et quand les seniors urbains des classes moyennes supérieures vivent dans des logements sous-occupés rappelle Louis Chauvel... Selon le Professeur à Science Po, "prise dans le ciseau des salaires et du logement, la capacité [des jeunes générations] à élever leurs enfants est mise en défaut" ; et cette paupérisation menace la démocratie elle-même titre-t-il !

Pourtant, l'on sait qu'une société se juge à la manière dont elle traite à la fois les jeunes générations et les plus anciennes. Force est de constater qu'elle doit avoir du mal à trouver l'estime de soi ; le législateur peinant à éviter de plus en plus le sentiment d'un conflit intergénérationnel, alors que, bien au contraire, ces deux générations tentent d'échapper à la même précarité, aux même discriminations.... avec un net avantage tout de même pour les plus de 60 ans...

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Avocats/Déontologie

[Le point sur...] Déontologie des avocats européens : le rôle du CCBE

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N8773BT4

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 03 Octobre 2013

Le Conseil des barreaux européens (CCBE) représente les barreaux de 32 pays membres et 11 pays associés et observateurs, soit plus d'un million d'avocats européens. Fondé en 1960, le CCBE est reconnu comme le porte-parole de la profession d'avocat en Europe tant par les barreaux nationaux que par les institutions européennes. Parmi les missions les plus importantes du CCBE se trouvent celles de la défense de l'Etat de droit, des droits de l'Homme et des valeurs démocratiques, et plus particulièrement les droits d'accès à la justice et la protection du client en veillant au respect des valeurs essentielles de la profession. Le CCBE représente également ses membres dans leurs relations avec d'autres organisations d'avocat dans le monde, dans le cadre de questions d'intérêt commun à la profession d'avocat telles que la lutte contre le terrorisme et autres crimes graves, ainsi que la capacité des avocats à exercer partout dans le monde leur profession de manière libre, indépendante et sans harcèlement ni entrave. En sa qualité d'organe représentatif officiel des barreaux, le CCBE a arrêté deux textes fondateurs : la Charte des principes essentiels de l'avocat européen, adoptée le 24 novembre 2006, et le Code de déontologie des avocats européens, dans sa version modifiée au 19 mai 2006. La Charte des principes essentiels des avocats européens

La Charte a été élaborée en prenant en compte les règles professionnelles nationales des Etats européens, y compris de ceux qui ne sont pas membres du CCBE ; le Code de déontologie des avocats européens du CCBE ; les principes généraux du Code international de déontologie de l'International Bar Association ; la Recommandation Rec (2000) 21 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur la liberté d'exercice de la profession d'avocat du 25 octobre 20005 ; les jurisprudences de la CEDH et de la CJUE ; les textes fondamentaux (CESDH, DDHC, etc.) ; ou encore la Résolution du Parlement européen sur les professions juridiques et l'intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques du 23 mars 2006. La Charte s'articule autour de neuf principes.

L'indépendance et la liberté d'assurer la défense et le conseil de son client

Ce principe est bien évidemment présent dans la déontologie nationale puisque le RIN le prévoit en son article 1.3 (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6566ETD). Néanmoins il est des Etats européens où cette liberté et cette indépendance ne sont pas nécessairement garanties. Il est donc important pour le CCBE de rappeler que l'avocat doit être indépendant de l'Etat et des sources de pouvoir comme des puissances économiques. Mais il doit également être indépendant de son client. En effet, sans l'indépendance vis-à-vis du client, il ne peut y avoir de garantie de qualité du travail de l'avocat.

Le respect du secret professionnel et de la confidentialité des affaires dont il a la charge

Principe bien évidemment inscrit dans le RIN (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6257ETW), le secret professionnel est fondamental. La Charte souligne la nature duale de ce principe : respecter la confidentialité n'est pas uniquement un devoir de l'avocat, c'est aussi un droit fondamental du client.

La prévention des conflits d'intérêts

Pour l'exercice irréprochable de la profession, l'avocat doit éviter les conflits d'intérêts (RIN, art. ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6260ETZ). Par conséquent, un avocat ne peut agir pour deux clients dans la même affaire s'il y a un conflit ou un risque de conflit entre eux. De même l'avocat doit éviter d'agir pour un nouveau client s'il dispose d'informations confidentielles obtenues auprès d'un autre client, ancien ou actuel.

La dignité, l'honneur et la probité

Pour exercer de manière correcte la profession, l'avocat doit se montrer digne de cette confiance. Celle-ci est confortée par la participation à une profession honorable ; le corollaire est que l'avocat ne doit rien faire non seulement qui porte atteinte à sa réputation, mais aussi à celle de la profession dans son ensemble et à la confiance du public en la profession.

La loyauté à l'égard du client

La loyauté à l'égard du client est l'essence du rôle de l'avocat. Le CCBE insiste sur le fait que certains des aspects les plus sensibles de la déontologie proviennent de l'interaction entre le principe de loyauté envers le client et les principes de dignité, d'honneur et de probité, le respect de la confraternité et, notamment, le respect de l'Etat de droit et la contribution à une bonne administration de la justice.

La délicatesse en matière d'honoraires

Les honoraires demandés par un avocat doivent être entièrement expliqués au client, être justes et raisonnables, dans le respect des droits et des règles professionnelles auxquelles l'avocat est tenu. Bien que les codes professionnels soulignent l'importance d'éviter des conflits d'intérêts entre un avocat et son client, la question des honoraires de l'avocat présente un tel danger. Par conséquent, pour le CCBE, le principe implique la nécessité de règles professionnelles pour veiller à ne pas porter en compte des montants excessifs au client.

La compétence professionnelle

Si l'avocat souhaite remplir efficacement sa mission de conseil et de représentation du client, il est indispensable qu'il dispose d'une formation professionnelle appropriée. Et l'on sait que la formation professionnelle permanente a acquis, depuis quelques années maintenant, une importance croissante en réponse au rythme rapide de changement du droit et de la pratique ainsi que de l'environnement.

Le respect de la confraternité

Pour le CCBE, ce principe représente plus que le rappel de la nécessaire courtoisie. En effet, il est lié au rôle de l'avocat, en tant qu'intermédiaire à qui l'on doit pouvoir faire confiance, de dire la vérité, respecter les règles professionnelles et tenir ses promesses. Le respect mutuel entre confrères facilite la bonne administration de la justice, aide à la résolution de conflits par un accord, et sert l'intérêt du client.

Le respect de l'Etat de droit et la contribution à une bonne administration de la justice

Le CCBE estime important de rappeler qu'un avocat ne doit jamais fournir consciemment aux cours et tribunaux des informations erronées ou induisant en erreur, de même qu'il ne peut pas mentir aux tiers dans le cadre de ses activités professionnelles.

L'autorégulation de sa profession

Il existe essentiellement deux manières possibles de réglementer la profession : soit une réglementation par l'Etat ; soit une autorégulation par la profession. Dans de nombreux cas, l'Etat, reconnaissant l'importance des principes essentiels, utilise la législation pour les étayer, par exemple en fournissant un soutien législatif au secret professionnel ou en octroyant aux barreaux le pouvoir légal de rédiger les règles professionnelles. Le CCBE est convaincu que seul un degré fort d'autorégulation peut garantir l'indépendance professionnelle des avocats à l'égard de l'Etat ; il estime que sans garantie d'indépendance, les avocats ne peuvent pas remplir leur mission professionnelle et légale.

Le Code de déontologie des avocats européens

Adopté lors de la session plénière du CCBE le 28 octobre 1988 et modifié à quelques reprises (dernièrement à la date du 19 mai 2006), le Code est un texte qui s'impose à tous les avocats membres des barreaux des Etats membres, dans leurs activités transfrontalières à l'intérieur de l'Union européenne, de l'Espace économique européen, de la Confédération Helvétique, comme des pays associés et observateurs. Intégré au RIN (N° Lexbase : L4063IP8), aux articles 21 et suivants, le Code de déontologie aborde les principes généraux de l'avocat européen, les rapports avec le client, les rapports avec les magistrats et les rapports entre avocats. L'on renverra le lecteur à la lecture attentive de ces dispositions ; néanmoins certaines précisions peuvent être apportées à la rédaction retenue de ce code.

Préambule (RIN, art. 21.1.1 à 21.1.6)

Le préambule définit, entre autres, la mission de l'avocat et la nature des règles déontologiques. A cet égard, il confirme le contenu de la Déclaration de Pérouse, adoptée par le CCBE, le 16 septembre 1977. En matière de règles déontologiques, il est important de relever que si des règles particulières dépendent de circonstances locales spécifiques, elles reposent néanmoins sur les mêmes valeurs.

Les règles sont destinées à s'appliquer à tous les avocats, tels qu'ils sont définis dans la Directive de 1977 sur la prestation des services (N° Lexbase : L9275AU3) et dans la Directive de 1998 sur l'établissement des avocats (N° Lexbase : L8300AUX), comme aux avocats des membres, associés et observateurs du CCBE. Cette définition inclut les avocats des Etats membres qui ont adhéré ultérieurement aux Directives, et dont les noms ont été ajoutés par voie d'amendement à celles-ci.

Les principes généraux (RIN, art. 21.2.1 à 21.2.8)

Le Code de déontologie liste les principes essentiels qui s'appliquent à l'avocat européen : indépendance, confiance et intégrité morale, secret professionnel, respect de la déontologie des autres barreaux, incompatibilités, publicité, intérêt du client et responsabilité.

Si les trois premiers principes n'appellent pas de remarques particulières, quelques précisions peuvent être apportées quant aux autres.

Tout d'abord, concernant le secret professionnel, le Code réaffirme, dans l'article 21.2.3.1, les principes généraux inclus dans la Déclaration de Pérouse et reconnus par la CJCE dans l'affaire "AM&S" (CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79 N° Lexbase : A5944AUP). Puis, dans les articles 21.2.3.2 à 4, il développe une règle spécifique concernant la protection du secret. L'article 21.2.3.2 énonce l'obligation de base. Cette obligation subsiste quand l'avocat a cessé de s'occuper des intérêts du client. Enfin, l'article 21.2.3.4 confirme que l'obligation ne pèse pas seulement sur l'avocat, mais que celui-ci doit aussi faire respecter le secret par tous ceux qui travaillent dans son cabinet.

Concernant, ensuite, le respect de la déontologie des autres barreaux, l'article 4 de la Directive sur la libre prestation de services confirme les règles qui doivent être observées par un avocat d'un Etat membre qui fournit des services, à titre occasionnel ou temporaire dans un autre Etat membre à savoir :

- les activités relatives à la représentation et à la défense d'un client en justice ou devant des autorités publiques sont exercées dans chaque Etat membre d'accueil dans les conditions prévues pour les avocats établis dans cet Etat, à l'exclusion de toute condition de résidence ou d'inscription à une organisation professionnelle dans ledit Etat ;

- dans l'exercice de ces activités, l'avocat respecte les règles professionnelles de l'Etat membre d'accueil, sans préjudice des obligations qui lui incombent dans l'Etat membre d'origine ;

- lorsque ces activités sont exercées au Royaume-Uni, il faut entendre par "règles professionnelles de l'Etat membre d'accueil", celles des solicitors lorsque ces activités ne sont pas réservées aux barristers ou aux advocates. Dans le cas contraire, les règles professionnelles concernant ces derniers sont applicables. Toutefois, les barristers en provenance d'Irlande sont toujours soumis aux règles professionnelles des barristers ou advocates du Royaume-Uni.

La Directive sur l'établissement des avocats contient les dispositions relatives aux règles à respecter par un avocat d'un Etat membre exerçant à titre permanent dans un autre Etat membre, à savoir :

- indépendamment des règles déontologiques auxquelles il est soumis dans son Etat membre d'origine, l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine est soumis aux mêmes règles déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié de l'Etat membre d'accueil pour toutes les activités qu'il exerce sur le territoire de celui-ci ;

- l'Etat membre d'accueil peut imposer à l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine, soit de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle, soit de s'affilier à un fonds de garantie professionnelle, selon les règles qu'il fixe pour les activités professionnelles exercées sur son territoire ;

- l'avocat inscrit dans l'Etat membre d'accueil sous son titre professionnel d'origine peut exercer en qualité d'avocat salarié d'un autre avocat, d'une association ou société d'avocats, ou d'une entreprise publique ou privée, dans la mesure où l'Etat membre d'accueil le permet pour les avocats inscrits sous le titre professionnel de cet Etat membre.

Dans les hypothèses non prévues par les Directives, l'obligation pour un avocat, selon le droit communautaire, d'observer les règles des autres barreaux relève de l'interprétation de toute autre disposition. L'un des buts majeurs du Code édicté par le CCBE est de réduire, et si possible d'éliminer, les problèmes qui peuvent naître de la "double déontologie", c'est-à-dire de l'application de deux ou plusieurs règles nationales éventuellement discordantes applicables à une situation particulière.

Concernant, enfin, les incompatibilités, le CCBE souligne qu'il existe des différences à la fois à l'intérieur des Etats et entre Etats sur l'étendue des incompatibilités, par exemple en matière d'activités commerciales. La raison générale qui sous-tend les règles concernant les incompatibilités est la protection de l'avocat contre tout ce qui pourrait influencer son indépendance ou son rôle dans l'administration de la justice. Les articles 21.2.5.2 et 3 contiennent des dispositions relatives à certaines circonstances dans lesquelles un avocat d'un Etat membre exerce des activités transfrontalières dans un Etat d'accueil, alors qu'il n'est pas inscrit dans un barreau de cet Etat d'accueil. L'article 21.2.5.2 impose à l'avocat d'observer les règles d'incompatibilités de l'Etat d'accueil lorsqu'il assure la représentation ou la défense d'un client devant la justice ou les autorités publiques. La règle s'applique, que l'avocat soit ou non établi dans l'Etat d'accueil. L'article 21.2.5.3 impose le respect des règles de l'Etat d'accueil sur les incompatibilités dans les autres hypothèses, mais seulement lorsque l'avocat qui est établi dans un Etat membre désire participer directement à des activités commerciales ou autres qui sont sans rapport avec l'exercice du droit.

Les rapports avec les clients (RIN, art. 21.3.1 à 21.3.9)

Le Code de déontologie des avocats européens précise dans cette partie, les obligations afférentes à l'avocat dans ses rapports avec les clients. Sont visés, le début et la fin des relations avec le client, le conflit d'intérêts, le pacte de quota litis, les honoraires, le coût du litige et l'accès à l'aide légale, les fonds des clients, et, enfin, l'assurance en responsabilité professionnelle.

L'article 21.3.1.3 dispose que l'avocat ne doit pas se charger d'une affaire s'il sait qu'il n'a pas les compétences pour la traiter, à moins de coopérer avec un avocat ayant cette compétence. De même l'avocat ne doit pas accepter une affaire s'il est dans l'incapacité de s'en occuper promptement compte tenu de ses autres obligations. Si un avocat a généralement le droit de refuser une affaire dès l'origine, l'article 21.3.1.4 énonce que, dès lors qu'il a accepté cette affaire, il a l'obligation de ne pas cesser de s'en occuper sans s'assurer que les intérêts de son client seront sauvegardés.

En matière de conflit d'intérêts, il n'est pas interdit à l'avocat d'agir pour deux ou plusieurs clients dans une même affaire pourvu que leurs intérêts ne soient pas en fait contradictoires et qu'il n'y ait pas de risque sérieux de la survenance d'un conflit. Un avocat qui agit pour deux ou plusieurs clients doit cesser de s'occuper des affaires de tous les clients concernés, si un conflit d'intérêts surgit ultérieurement ou bien si survient le risque d'une violation du secret ou encore si des circonstances nouvelles risquent d'affecter son indépendance. Néanmoins, il peut exister des cas où, un différend surgissant entre deux ou plusieurs clients ayant le même avocat, il soit convenable que celui-ci tente d'apaiser le conflit par voie de médiation. Ces cas relèvent de la conscience de l'avocat qui peut, s'il l'estime opportun, expliquer la situation aux clients concernés, recueillir leur agrément et tenter comme médiateur de résoudre le différend. Si cette tentative échoue, l'avocat devra cesser d'agir pour tous les clients concernés.

Sur les honoraires, l'article 21.3.4 établit trois obligations : un principe général d'information concernant les honoraires de l'avocat, une règle selon laquelle leur montant doit être équitable et justifié et une obligation de respecter le droit et les règles déontologiques.

Enfin, il est à noter que le pacte de quota litis est interdit dans tous les Etats membres.

Relativement aux fonds des clients, l'article 21. 3.8 reproduit la Recommandation adoptée par le CCBE à Bruxelles en novembre 1985 sur la nécessité d'une réglementation minimale assurant le contrôle et la disposition des fonds de clients détenus par les avocats dans la Communauté. L'article 21.3.8 édicte les dispositions minimales qui doivent être observées, sans interférer dans le détail des systèmes nationaux qui prévoient une protection plus complète ou stricte des fonds de clients. L'avocat détenant des fonds de clients, même dans le cadre d'une activité transfrontalière, doit observer les règles de son barreau d'origine. L'avocat doit être conscient des questions qui surgissent quand les règles applicables relèvent de plus d'un Etat membre, surtout lorsque l'avocat est établi dans un Etat membre d'accueil selon la Directive sur l'établissement des avocats.

Les rapports avec les magistrats (RIN, art. 21.4.1 à 21.4.5)

Le principe, dans les rapports entre avocats et magistrats, est que l'avocat doit se conformer aux règles de la juridiction auprès de laquelle il exerce son activité ou devant laquelle il comparaît. Les débats doivent être contradictoires et l'avocat ne doit pas induire le juge en erreur.

Les rapports entre avocats (RIN, art. 21.5.1 à 21.5.9)

Bien évidemment la règle de la confraternité s'impose dans les rapports entre avocats. Sur les correspondances entre avocats, la confidentialité varie selon les Etats membres. En effet, dans certains Etats membres, les communications entre avocats, qu'elles soient écrites ou orales, sont considérées comme confidentielles. Ceci a pour conséquence que la teneur de ces correspondances ne peut être révélée à d'autres et que, en règle, elle ne peut être transmise aux clients et, en tout cas, produite en justice. Dans d'autres Etats membres, les correspondances ne sont confidentielles que si la mention en est faite sur la lettre. Dans d'autres Etats membres enfin, l'avocat doit tenir son client informé de toute correspondance pertinente émanant d'un confrère agissant pour une autre partie ; la mention du caractère confidentiel de cette lettre signifie seulement que le contenu en est réservé à l'avocat ou à son client et ne peut être invoqué par des tiers. Dans certains Etats, si un avocat souhaite indiquer qu'une lettre est envoyée pour trouver une solution amiable, sans pouvoir être produite en justice, il doit y apposer la mention "sous toutes réserves" ou "sans préjudice". Pour le CCBE, ces situations nationales fort diverses donnent naissance à de nombreux malentendus. C'est pourquoi les avocats doivent se montrer particulièrement prudents dans les échanges de correspondances transfrontalières. Lorsqu'un avocat veut adresser une correspondance confidentielle à un confrère d'un autre Etat membre, ou lorsqu'il souhaite lui écrire "sans préjudice", il doit s'assurer que sa lettre peut être acceptée comme telle. L'avocat qui souhaite que sa correspondance demeure confidentielle doit en exprimer clairement l'intention dans sa communication ou dans une lettre de couverture. L'avocat destinataire d'une telle communication, qui n'est pas en mesure de respecter ou de faire respecter ce caractère confidentiel, doit en aviser aussitôt son confrère afin que la communication ne lui soit pas adressée. S'il l'a déjà reçue, il doit la retourner à son expéditeur sans en révéler le contenu et sans pouvoir en faire état, de quelque manière que ce soit ; si sa législation nationale lui interdit d'agir de la sorte, il doit en aviser immédiatement son confrère.

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Bancaire

[Textes] Séparation et régulation des activités bancaires : commentaire de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013

Réf. : Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase : L9336IX3)

Lecture: 27 min

N8715BTX

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par Karine Rodriguez, Maître de conférences HDR à l'Université de Pau et des pays de l'Adour, Responsable du M2 Droit de la consommation

Le 03 Octobre 2013

L'origine de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 est double. Elle résulte, d'une part, des soixante engagements du Président François Hollande, alors candidat à la présidentielle, qui, pour redresser les finances publiques, avait promis de séparer les activités des banques qui sont utiles à l'investissement et à l'emploi, de leurs opérations spéculatives (1). Elle s'inscrit, d'autre part, dans un mouvement communautaire de réponse à la crise financière de 2008 face à laquelle les autorités furent dans l'incapacité de réagir. Pour ce faire, elle prend en considération les accords de Bâle III (2). C'est d'ailleurs la place de la France dans l'Union européenne qui se joue dans ce contexte. Car plutôt que d'attendre les résultats des travaux européens, la France les devance, sûrement pour être un acteur moteur en la matière, au risque de devoir réformer ses propres textes lorsque les textes européens seront définitivement adoptés.
Sur le fond, la loi s'est enrichie au gré des discussions parlementaires. Il est vrai que les apports principaux de la loi, que sont la séparation des activités bancaires et financières à risque et la résolution bancaire, étaient prévus dés l'élaboration du projet de loi. Mais les discussions qui ont suivi ont permis l'adoption d'autres mesures extrêmement variées. Toutefois, malgré l'ampleur de la réforme, toutes les mesures adoptées ne sont pas d'égale importance. Dans le cadre de cette étude, l'analyse de la réforme sera donc centrée sur les mesures phares de la loi sans, toutefois, prétendre à une parfaite exhaustivité. Ceci étant précisé, les deux volets principaux du texte apparaissent dans l'intitulé même de la loi. Il s'agit de la séparation des activités bancaires (I) et de la régulation des activités bancaires (II). Leur analyse sera suivie de l'étude de différentes autres mesures qui relèvent de manière plus distendue de la régulation bancaire et qui complètent utilement les axes principaux de la réforme (III).

I - La séparation des activités bancaires et financières

Le nouveau texte crée les articles L. 511-47 (N° Lexbase : L5057IXL) à L. 511-50 du Code monétaire et financier, insérés dans une section intitulée "Dispositions prudentielles et contrôle interne", qui procèdent à la séparation des activités bancaire et financière des établissements de crédit. L'objectif est de "garantir la stabilité financière, leur solvabilité à l'égard des déposants, leur absence de conflits d'intérêt avec leurs clients et leur capacité à assurer le financement de l'économie". Plusieurs techniques étaient envisageables pour ce faire. Certaines reposent sur l'interdiction. Notamment, aux Etats-Unis, la "Volcker Rule" interdit aux banques de dépôt bénéficiant d'une garantie fédérale, d'avoir des activités de trading pour compte propre. La France a choisi une voie plus douce, en soumettant à une obligation de filialisation les activités financières risquées (3), conformément à ce que préconisait le rapport "Liikanen" remis le 2 octobre 2012 (4).

Certes, le dispositif de 2013 prévoit certaines interdictions pour les établissements de crédit, celle des opérations de négoce à haute fréquence taxables au titre de l'article 235 ter ZD bis du CGI (N° Lexbase : L4597IS3) et celle des opérations sur instruments financiers à terme dont l'élément sous-jacent est une matière première agricole (C. mon. fin., art. L. 511-48, II N° Lexbase : L5058IXM). Toutefois, il fonde la séparation des activités spéculatives les plus risquées et la banque de détail sur le cantonnement des activités spéculatives des banques non utiles à l'économie dans une filiale séparée. Bien entendu, seuls les établissements de crédit (compagnies financières et compagnies financières holding) dont les activités de négociation sur instruments financiers dépassent des seuils à définir par décret en Conseil d'Etat sont concernés. En revanche, la règle est établie sur une base consolidée qui intègre les éventuelles filiales établies à l'étranger.

Le principe est clair. L'article L. 511-47 du Code monétaire et financier interdit désormais aux établissements de crédit d'effectuer, autrement que par l'intermédiaire de filiales dédiées à ces activités, deux types d'opérations : les activités de négociation sur instruments financiers faisant intervenir leur compte propre et toutes les opérations conclues pour compte propre avec des organismes de placement collectif à effet de levier ou autres véhicules d'investissement similaires, lorsque les établissements ne sont pas garantis par une sûreté.

Toutefois, le texte instaure des exceptions parmi les activités a priori concernées par la filialisation. Il permet aux établissements de crédit d'exercer directement certaines activités, que le législateur prend d'ailleurs la peine de définir, sans avoir recours à la filialisation. Il en est ainsi de :

- la fourniture de services d'investissement, dans le but de répondre aux besoins de couverture, de financement ou d'investissement des clients, dont la rentabilité attendue résulte des revenus tirés des services fournis à la clientèle et de la gestion saine et prudente des risques associés à ces services. Les risques associés doivent répondre au strict besoin de gestion de l'activité, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'Economie ;

- la compensation d'instruments financiers ;

- la couverture des risques de l'établissement de crédit ou du groupe, en se portant partie à des opérations sur des instruments financiers dans le but de réduire ses expositions aux risques de toute nature liés aux activités de crédit et de marché, à condition que ces instruments présentent une relation économique avec les risques identifiés ;

- la tenue de marché. L'établissement peut se porte partie, en tant qu'intermédiaire, à des opérations sur des instruments financiers soit consistant en la communication simultanée de prix d'achat et de vente fermes et concurrentiels pour des volumes de taille comparable, avec pour résultat d'apporter de la liquidité aux marchés sur une base régulière et continue, soit nécessaires, dans le cadre de son activité habituelle, à l'exécution d'ordres d'achat ou de vente de clients ou en réponse à des demandes d'achat ou de vente de leur part.

Les deux dernières exceptions concernent spécifiquement les groupes. Ainsi, n'ont pas à être filialisées :

- les activités liées à la gestion saine et prudente de la trésorerie du groupe et aux opérations financières entre les établissements de crédit et leurs filiales ;

- les activités liées aux opérations d'investissement du groupe (opérations d'achat ou de vente de titres financiers acquis dans l'intention de les conserver durablement ou de titres émis par les entités du groupe).

Ces exceptions sont nombreuses. En particulier, celle concernant la tenue de marché interroge, avec cette crainte qu'elle pourrait mettre à mal le principe de séparation des activités et surtout son efficacité au regard des objectifs poursuivis, c'est-à-dire, la stabilité financière et la protection des clients. C'est d'ailleurs le point de divergence entre la loi française et le rapport "Liikanen" qui préconise la filialisation d'une partie de l'activité de tenue de marché. En France, l'activité de tenue de marché est apparue "consubstantielle aux activités de financement des banques" et "essentielle au bon fonctionnement des marchés" (5). Aussi, parce que cette activité non filialisée reste spéculative, elle doit a minima être contrôlée. C'est pourquoi l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) doit contrôler l'activité de tenue de marché afin de vérifier qu'elle est véritablement distincte de celle qui doit être filialisée. De plus, le ministre de l'Economie pourra décider par arrêté qu'au-delà d'un certain seuil, les activités relatives à la tenue de marché ne bénéficieront plus de cette exception et devront être filialisées. Ce seuil peut viser tous les établissements ou seulement un établissement en particulier, ce qui, dans le second cas, irait à l'encontre de l'égalité de traitement entre les établissements.

L'efficacité du système repose donc sur l'autonomie de la filiale dédiée aux activités risquées. Un régime spécifique applicable aux établissements et à leurs filiales dédiées a été instauré afin de garantir cette autonomie.

En premier lieu, elle résulte de la nécessité d'un agrément. En effet, les filiales dédiées sont agréées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution comme entreprises d'investissement (C. mon. fin., art. L. 511-48, I). Elles peuvent également l'être comme établissements de crédit mais à condition de ne pas recevoir des dépôts garantis au sens de l'article L. 312-4 (N° Lexbase : L5410IXN) et de ne pas fournir des services de paiement aux clients.

En second lieu, l'établissement et la filiale dédiée sont soumis au respect d'un certain nombre de règles qui permettent d'éviter toute confusion (C. mon. fin., art. L. 511-48, I) :

- les filiales dédiées doivent respecter, individuellement ou de manière sous-consolidée, les normes de gestion prévues à l'article L. 511-41 (N° Lexbase : L6868IXN) et, sans préjudice des dispositions de l'article L. 511-41-2 (N° Lexbase : L3609HZP), les établissements qui contrôlent les filiales dédiées sont tenus de respecter ces normes de gestion sur la base de leur situation financière consolidée en excluant de celle-ci les filiales dédiées ;

- pour l'application du ratio de division des risques, les filiales dédiées sont considérées comme un même bénéficiaire, distinct du reste du groupe. Pour l'application du règlement relatif au contrôle des grands risques par les établissements n'appartenant pas au groupe, les filiales et le groupe auquel elles appartiennent sont considérés comme un même bénéficiaire ;

- la souscription par les établissements qui contrôlent les filiales dédiées à une augmentation de capital de ces filiales est soumise à autorisation préalable de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

- les filiales dédiées doivent utiliser des raisons sociales et des noms commerciaux distincts de ceux des établissements de crédit du groupe qui les contrôlent, de manière à n'entretenir aucune confusion dans l'esprit de leurs créanciers et cocontractants ;

- les dirigeants des filiales ne peuvent assurer la direction de l'établissement qui les contrôlent, ou de leurs autres filiales.

En troisième lieu, divers moyens de contrôles sont prévus. L'établissement et sa filiale dédiée imposent aux unités chargées d'opérations sur les instruments financiers des règles d'organisation et de fonctionnement permettant d'assurer le respect du dispositif (C. mon. fin., art. L. 511-49 N° Lexbase : L5059IXN). L'agrément peut leur être refusé si tel n'est pas le cas (C. mon. fin., art. L.511-50 N° Lexbase : L5060IXP). L'établissement et la filiale dédiée doivent également s'assurer que le contrôle du respect des règles est assuré de manière adéquate par le système de contrôle interne. Quant à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, elle s'assure que les règles d'organisation et de fonctionnement comportent des limites de risques fixées aux unités internes réalisant des opérations sur instruments financiers et que les rémunérations des personnels chargés de ces opérations sont fixées de façon cohérente et n'encouragent pas la prise de risque sans lien avec leurs objectifs.

Les établissements ont jusqu'au 1er juillet 2014 pour identifier les activités à transférer à la filiale, le transfert effectif de ces activités intervenant au plus tard le 1er juillet 2015. Il s'agit d'une transmission universelle de patrimoine. Le transfert des biens, droits, obligations et accessoires liés aux activités s'opère de plein droit, sans qu'il soit besoin d'aucune formalité. Tous les contrats en cours d'exécution sont également transférés.

En somme, la filialisation des activités les plus risquées devrait favoriser la stabilité du système, la solvabilité des établissements de crédit et leur capacité à assurer le financement de l'économie. On constate que cette filialisation porte atteinte au modèle désormais classique de la banque universelle posé par la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 (N° Lexbase : L7223AGM) (6), sauf à considérer qu'au contraire, la filialisation constitue un moyen de conserver les avantages de la banque universelle en isolant leurs seules activités spéculatives (7). La démarche est opportune dans le contexte actuel. Il n'est toutefois pas certain qu'elle suffise à assurer la stabilité du système financier. Les parlementaires semblent toutefois prêts à remettre "le pain sur la planche" s'il en était besoin. Pour preuve, le Gouvernement devra remettre avant le 31 décembre 2014 un rapport sur l'impact de la loi sur la compétitivité du secteur bancaire français par rapport aux établissements de crédit américains et européens ainsi que les conséquences sur la taille et la nature des opérations des filiales dédiées, sur les volumes des opérations de négoce à haute fréquence et la spéculation sur les matières premières agricoles au Parlement.

II - La régulation des activités bancaires

La régulation des activités bancaire, entendue au sens strict, s'opère par la mise en place d'un régime de résolution bancaire, par le renforcement des pouvoirs des autorités bancaire, et par l'amélioration de la transparence et de la lutte contre les dérives financières.

A - Mise en place d'un régime de résolution bancaire

Face à l'insuffisance des pouvoirs de l'Autorité de contrôle prudentiel pour redresser des établissements de crédit en difficulté en période de crise (8), un nouveau cadre juridique a été mis en place par le titre IV de la loi, qui s'inspire de la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement la résolution des défaillance des établissements de crédit et d'entreprises d'investissement présenté par la commission le 6 juin 2012 (9). En effet, l'Autorité de contrôle prudentiel "et de résolution" ainsi qu'elle s'appelle désormais (ACPR), est chargée d'élaborer et d'appliquer des mesures de prévention et de résolution des crises bancaires (C. mon. fin. art. L. 612-1 N° Lexbase : L5387IXS et s.).

1° Les mesures de prévention

Les établissements de crédit et les entreprises d'investissement (10) qui dépassent un seuil de bilan fixé par décret et qui ne font pas l'objet d'une surveillance sur une base consolidée, doivent élaborer et communiquer à l'ACPR un plan préventif de rétablissement (C. mon. fin., art. L. 613-31-11 N° Lexbase : L5081IXH). Lorsque ces établissements appartiennent à un groupe dont le total de bilan dépasse un seuil fixé par décret et font l'objet d'une surveillance sur une base consolidée, le plan préventif de rétablissement est élaboré sur une base consolidée. L'ACPR peut également demander un plan préventif de rétablissement aux établissements non concernés mais dont l'activité viendrait à présenter un risque spécifique au regard de la stabilité financière. Sans que la loi en fixe précisément le contenu, il est prévu que ce plan prévoie les mesures à adopter en cas de détérioration significative de la situation financière de l'établissement. En revanche, il ne doit pas envisager de soutien financier de l'Etat ou du fonds de garantie des dépôts et de résolution. Ce plan est actualisé annuellement ainsi qu'après chaque modification significative de l'organisation ou des activités de l'établissement. En cas d'insuffisance, l'ACPR peut en exiger la modification de ce plan.

Par ailleurs, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution établit pour ces établissements un plan préventif de résolution prévoyant les modalités spécifiques d'application des mesures de résolution (C. mon. fin., art. L. 613-31-12 N° Lexbase : L5082IXI). Là encore, la loi n'en détaille pas le contenu mais il semble que ce plan envisage les mesures à adopter si les conditions de déclenchement d'une procédure de résolution venaient à être remplies. Lorsque ces établissements appartiennent à un groupe dont le total de bilan dépasse un seuil fixé par décret et font l'objet d'une surveillance sur une base consolidée, le plan préventif de résolution est élaboré sur une base consolidée et comporte des sections spécifiques pour chacune des entités de taille significative.

Enfin, au regard des plans précédents, l'ACPR contrôle l'organisation et le fonctionnement des établissements de manière à ce qu'ils ne fassent pas obstacle à la mise en oeuvre efficace des mesures de résolution. Le cas échéant, elle peut leur demander de prendre des mesures visant à réduire ou à supprimer ces obstacles et si ces mesures sont insuffisantes, elle peut, après que l'établissement ait présenté ses observations, lui enjoindre de prendre, dans un délai déterminé, les mesures nécessaires, notamment la modification de ses activités ou de sa structure juridique et opérationnelle (C. mon. fin., art. L. 613-31-13 N° Lexbase : L5083IXK).

2° - Les mesures de résolution

Les mesures de résolution visent les établissements de crédit, les compagnies financières, les compagnies financières holding mixtes ou les entreprises d'investissement, à l'exception des sociétés de gestion de portefeuille (C. mon. fin., art. L. 613-31-14 N° Lexbase : L5084IXL). Aucune condition de seuil n'est ici prévue.

Pour déclencher la procédure, l'établissement doit remplir cumulativement deux conditions (C. mon. fin., art. L. 613-31-15 N° Lexbase : L5085IXM).
Il doit, d'abord, être est défaillant. C'est le cas, précise la loi, s'il se trouve ou s'il est susceptible de se trouver, à terme rapproché, dans l'une des situations suivantes : il ne respecte plus les exigences de fonds propres qui conditionnent le maintien de l'agrément ; il n'est pas en mesure d'assurer ses paiements, immédiatement ou à terme rapproché ; il requiert un soutien financier exceptionnel des pouvoirs publics.
Il ne doit, ensuite, exister aucune perspective que cette défaillance puisse être évitée dans un délai raisonnable autrement que par la mise en oeuvre d'une mesure de résolution.

Le gouverneur de la banque de France et le directeur général du Trésor peuvent, dans ce cas, saisir le collège de résolution, seul le second étant d'ailleurs compétent pour le faire si l'état de l'établissement requiert un soutien financier exceptionnel des pouvoirs publics.

Une fois saisi, le collège de résolution de l'ACPR adopte des mesures de résolution. En cas d'urgence, les mesures peuvent être prises à titre provisoire sans procédure contradictoire (C. mon. fin., art. L. 613-31-17, I N° Lexbase : L5087IXP), mais une procédure contradictoire est alors engagée dès que possible aux fins de lever, d'adapter ou de confirmer ces mesures. Sur le fond, ces mesures doivent être proportionnées aux objectifs poursuivis. La loi précise qu'il s'agit de préserver la stabilité financière, d'assurer la continuité des activités, des services et des opérations des établissements dont la défaillance aurait de graves conséquences pour l'économie, de protéger les déposants, d'éviter ou de limiter au maximum le recours au soutien financier public. Pour permettre une telle adaptation, le panel des mesures à la disposition du collège est extrêmement diversifié (C. mon. fin., art. L. 613-31-16 N° Lexbase : L5086IXN). Le collège peut : exiger des informations utiles à la mise en oeuvre de la procédure ; nommer un administrateur provisoire ; révoquer un dirigeant ; transférer tout ou partie d'une ou plusieurs branches d'activité, éventuellement au bénéfice d'un établissement-relais chargé de la recevoir ; faire intervenir le fonds de garantie des dépôts et de résolution, en veillant à ce que cette intervention ne provoque pas de contagion des difficultés aux autres adhérents du fonds ; transférer au fonds de garantie des dépôts et de résolution ou à un établissement-relais les actions et les parts sociales émises par la personne défaillante ; imposer l'émission de nouvelles actions ou parts sociales ou d'autres instruments de fonds propre ; prononcer, l'interdiction de payer tout ou partie des dettes antérieures ; limiter ou interdire temporairement l'exercice de certaines opérations ; limiter ou interdire la distribution d'un dividende ; imposer la réduction du capital, l'annulation des titres de capital ou des éléments de passif ou la conversion des éléments de passif afin d'absorber le montant des dépréciations...

L'observation des mesures de résolution proposées invite à dresser deux constats.

D'une part, le sauvetage de l'établissement de crédit se fait désormais au détriment des créanciers et des actionnaires plutôt que par injection de fonds publics. C'est pourquoi quelques garanties sont formulées en leur faveur : aucun actionnaire, sociétaire ou créancier ne doit subir de pertes plus importantes que celles qu'il aurait subies si la personne avait été liquidée selon la procédure de liquidation judiciaire (C. mon. fin., art. L. 613-31-16, II) ; les valorisations (prix d'émission de titres, taux de conversion, prix de cessions...), qui se doivent d'être "justes et réalistes", sont déterminées selon des méthodes objectives par l'ACPR sur proposition d'un expert indépendant désigné par le premier président de la Cour de cassation, voire seule en cas d'urgence (C. mon. fin., art. L. 613-31-16, III).

D'autre part, le fonds de garantie des dépôts, qui prend désormais le nom de "fonds de garantie des dépôts et de résolution", joue un rôle important dans la procédure de résolution. Plus généralement, l'ACP peut le saisir de la situation d'un établissement défaillant (C. mon. fin., art. L. 312-4 et s.). Elle peut lui demander notamment de reprendre ou poursuivre les activités cédées ou transférées, d'acquérir tout ou partie des titres de l'établissement, de souscrire au capital de l'établissement-relais, de souscrire à une augmentation du capital de l'établissement concerné ou de l'établissement-relais ou encore de consentir des financements à l'établissement concerné ou à l'établissement-relais.

B - Renforcement du pouvoir des autorités bancaires

Les pouvoirs des autorités bancaires ont été élargis et renforcées. Un titre VIII de la loi porte sur le "Renforcement des pouvoirs de l'autorité des marchés financiers et de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution". Les articles 29 et 30 de la loi, sur la "surveillance marcoprudentielle" créent le Haut conseil de stabilité financière qui remplace le Conseil de régulation financière et du risque systémique.

1° - L'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation

L'Autorité de contrôle prudentiel devient l' "Autorité de contrôle prudentiel et de résolution" dès lors que sa mission s'étend désormais à la prévention et à la résolution des défaillances d'établissements (v. supra). Pour cela, un "collège de résolution" est créé à côté du collège de supervision (C. mon. fin., art. L. 612-4 N° Lexbase : L5388IXT). Il est composé de six membres : le gouverneur de la Banque de France ou son représentant qui en est le président ; le directeur général du Trésor ou son représentant ; le président de l'Autorité des marchés financiers ou son représentant ; le sous-gouverneur désigné par le gouverneur de la Banque de France, ou son représentant ; le président de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, ou son représentant ; le président du directoire du fonds de garantie des dépôts et de résolution ou son représentant. Les décisions du collège de résolution sont prises à la majorité des voix, le président ayant voix prépondérante. Toutefois, dans le but de protéger les finances publiques, le directeur général du Trésor ou son représentant dispose d'un droit de veto sur toute décision pouvant entraîner, immédiatement ou à terme, l'appel à des concours publics. Des services sont chargés de préparer les travaux du collège de résolution.

On notera, par ailleurs, que la nouvelle loi permet à l'ACPR de suspendre les dirigeants d'établissements de crédit et d'entreprise d'investissement qui ne remplissent plus les conditions d'honorabilité, de compétence ou d'expérience requises par leur fonction lorsque l'urgence justifie cette mesure en vue d'assurer une gestion saine et prudente (C. mon. fin., art. L. 612-33 N° Lexbase : L5405IXH). De même, lorsque l'activité d'une personne soumise à son contrôle est susceptible de porter atteinte à la stabilité financière ainsi que dans les situations d'urgence, l'ACPR peut décider de limiter ou de suspendre l'exercice de certaines opérations par cette personne (C. mon. fin., art. L. 612-33-1 N° Lexbase : L5061IXQ).

2° L'Autorité des marchés financiers

Outre que le président doit désigner un membre du collège chargé d'assurer sa suppléance en cas de vacance ou d'empêchement, l'Autorité des marchés financiers (AMF) voit ses pouvoirs élargis afin de renforcer l'efficacité de sa mission de contrôle des acteurs bancaires. En premier lieu, son information est améliorée. Notamment, elle peut se faire communiquer par les professionnels qu'elle contrôle tous les documents et informations utiles à l'exercice de sa mission de veille et de surveillance (C. mon. fin., art. L. 621-8-4 N° Lexbase : L5068IXY). Ce faisant, le législateur consacre le droit à l'information général de l'AMF, conformément à ce qu'exige son rôle de surveillance continue mis en avant par les Directives communautaires "MIF", (Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS) "Abus de marché" (Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2002, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché N° Lexbase : L8022BBQ) et "OPCVM IV" (Directive 2009/65 du 13 juillet 2009, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières N° Lexbase : L9148IEK), (11). En second lieu, ses pouvoirs de contrôle et d'enquête sont renforcés. Pour ne prendre que quelques exemples, en cas de services sur internet, les enquêteurs et les contrôleurs peuvent faire usage d'une identité d'emprunt sans en être pénalement responsables (C. mon. fin., art. L. 621-10-1 N° Lexbase : L5069IXZ). Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut autoriser les enquêteurs à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil des explications des personnes sollicitées sur place. Cela n'est pas nouveau. Mais alors que cette possibilité était limitée à la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 (N° Lexbase : L5192IXL) et L. 465-2 (N° Lexbase : L5188IXG), elle est désormais étendue aux faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'AMF.

3° - Le Haut conseil de stabilité financière

La loi du 22 octobre 2010 (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière N° Lexbase : L2090INQ) avait créé le Corefris (le Conseil de régulation financière et du risque systémique (12)). Aujourd'hui, le Corefris devient le Haut conseil de stabilité financière (C. mon. fin., art. L. 631-2 N° Lexbase : L5199IXT), autorité désignée pour exercer un rôle macroprudentiel conformément aux exigences de la Directive CRD IV (13) et des accords de Bâle III (14). Ce changement de dénomination n'est pas anodin puisqu'il s'accompagne d'une modification de son régime.

Le Haut conseil veille à la stabilité du système financier : "le Haut conseil de stabilité financière exerce la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d'en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. A ce titre, il définit la politique macroprudentielle" (C. mon. fin., art. L. 631-2-1 N° Lexbase : L5198IXS). Il bénéficie de l'aide de la Banque de France qui veille, conjointement avec lui, à la stabilité du système financier et contribue à la mise en oeuvre de ses décisions (C. mon. fin., art. L. 141-5-1 N° Lexbase : L5093IXW).

Pour ce faire, le Haut conseil acquiert de nouvelles compétences. Auparavant organe consultatif, il est désormais doté de pouvoirs contraignants, ses décisions étant susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat. En particulier, il peut prendre deux types de décisions sur proposition du gouverneur de la Banque de France (C. mon. fin. art. L.631-2-1, 4° et 5°). Le Haut conseil de stabilité financière peut, d'une part, imposer des obligations en matière de fonds propres plus contraignantes que les normes de gestion arrêtées par le ministre chargé de l'Economie, en vue d'éviter une croissance excessive du crédit ou de prévenir un risque aggravé de déstabilisation du système financier. Il peut, d'autre part, fixer des conditions d'octroi de crédit par les personnes soumises au contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en vue de prévenir l'apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d'un endettement excessif des agents économiques.

Par ailleurs, la nouvelle loi précise le statut des membres du Haut conseil. Elle prévient les conflits d'intérêts des membres qui le composent en soumettant les personnes qualifiées à une obligation de déclaration sur les intérêts qu'ils détiennent ainsi que sur leurs fonctions et mandats (C. mon. fin., art. L. 631-2-3, I N° Lexbase : L5096IXZ) ; elle instaure des cas d'incompatibilité (C. mon. fin., art. L. 631-2-3, I) ; elle soumet les personnes qui participent à sa mission au secret professionnel (C. mon. fin., art. L. 631-2-3, II) et elle organise la parité homme/femme parmi les personnes qualifiées (CMF, art. L.631-2).

C - Amélioration de la transparence et de la lutte contre les dérives financières

Lutte contre les paradis fiscaux. Afin de lutter contre la fraude fiscale, la nouvelle loi renforce les obligations de transparence. Sous la contrôle de l'AMF, les établissements de crédit devront publier dans les 6 mois de la clôture de l'exercice, en annexe à leurs comptes annuels consolidés, des informations sur leurs implantations et leurs activités, incluses dans le périmètre de consolidation, dans chaque Etat ou territoire (nom des implantations et nature d'activité ; produit net bancaire et chiffre d'affaires ; effectifs ; bénéfice ou perte avant impôt ; montant des impôts sur les bénéfices ; subventions publiques reçues). Les sociétés dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires et le nombre de salariés excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat publient ces mêmes informations concernant leurs implantations, incluses dans le périmètre de consolidation dans chaque Etat ou territoire, au plus tard six mois après la clôture de l'exercice ; à défaut, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal compétent statuant en référé d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, à la société concernée de se conformer à ces obligations. Ces informations sont mises à disposition du public. Enfin, la loi prévoit l'instauration d'un débat parlementaire pour déterminer la liste des paradis fiscaux avec objectivité.

Lutte contre le blanchiment des capitaux. La loi élargit les obligations de déclaration à la charge des établissements de crédit. Notamment, la tentative de blanchiment doit désormais faire l'objet d'une déclaration de soupçon (C. mon. fin., art. L. 561-15 N° Lexbase : L5187IXE). De même, la loi élargit les informations que les assujettis doivent transmettre automatiquement à TRACFIN : ce sont "les éléments d'information relatifs aux opérations financières présentant un risque élevé de blanchiment ou de financement du terrorisme en raison du pays ou du territoire d'origine ou de destination des fonds, du type d'opération ou des structures juridiques concernées" (C. mon. fin., art. L. 561-15-1, II). Les mesures de vigilance complémentaires auxquels les établissements sont tenus à l'égard de leur client, et qui concernent les opérations effectuées avec des personnes physiques ou morales établies dans des Etats déterminés, concernent désormais les Etat ou un territoire figurant "sur les listes publiées par le Groupe d'action financière parmi ceux dont la législation ou les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme".

Encadrement du négoce à haute fréquence. Devançant la refonte de la Directive "MIF" (15), la loi encadre le négoce à haute fréquence en renforçant l'obligation d'information des traders, qui doivent se faire connaître de l'AMF et assurer la traçabilité de leurs ordres afin que l'AMF puisse identifier les abus de marché. Par ailleurs, les prestataires de services d'investissement qui fournissent à une autre personne un accès direct à une plate-forme de négociation, doivent signer un accord écrit stipulant que le prestataire garantit la conformité des négociations effectuées par son intermédiaire et doivent mettre en place des systèmes leur permettant de vérifier le respect des engagements de l'accord relatifs à la prévention de toute perturbation du marché ou des abus de marché (C. mon. fin., art. L. 533-10 N° Lexbase : L5191IXK). Enfin, la loi impose aux gérants de plateformes boursières de mettre en place trois types de procédures : des procédures assurant que les systèmes possèdent une capacité suffisante de gestion de volumes élevés d'ordres ; des mécanismes, soumis à des tests, permettant de rejeter les ordres dépassant des seuils de volume et de prix préalablement établis ou des ordres manifestement erronés, de suspendre ou d'annuler des transactions ; des mesure de nature à garantir que les utilisateurs des dispositifs de traitement automatisé ne créent pas des conditions de nature à perturber le bon ordre du marché, notamment par des mesures tarifaires destinées à limiter le nombre d'ordres non exécutés.

Aggravation de la répression des abus de marché (16). La loi retouche les articles L. 465-1 et L. 465-2 du Code monétaire et financier qui prohibent le délit d'initié, de communication d'information privilégiées et de diffusion d'informations inexactes. Notamment, les tentatives de tels délits sont désormais également sanctionnées et ces délits ne concernent plus seulement les titres admis aux négociations sur les marchés réglementés, mais également ceux admis aux négociations sur un système multilatéral de négociation. Le délit de manipulation de cours ne vise plus seulement le fait d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché règlementé, mais également le fait d'entraver le fonctionnement d'un système multilatéral de négociation comme Alternext. Enfin, une nouvelle infraction est créée pour sanctionner les acteurs du marché dont les interventions ont pour effet de fausser l'évolution d'indices de référence pour la fixation des taux de produits financiers (C. mon. fin., art. L. 465-2-1 N° Lexbase : L5064IXT).

III - Les autres mesures

Nous développerons, dans le cadre de cette étude, les trois apports complémentaires qui nous paraissent les plus importants : l'encadrement des conditions d'emprunt des collectivités, l'encadrement des rémunérations des dirigeants d'établissements bancaires et traders et les mesures de protection du consommateur.

A - Encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales

La nouvelle loi crée deux nouveaux articles dans le Code général des collectivités territoriales, les articles L. 1611-3-1 (N° Lexbase : L5062IXR) et L. 1611-3-2 (N° Lexbase : L5066IXW), afin de répondre aux problèmes de financement des collectivités confrontées notamment à la crise des emprunts toxiques qu'elles ont souscrits.

Après avoir posé le principe d'autorisation pour les collectivités d'emprunter auprès des établissements de crédit, l'article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales impose des limites et réserves. D'une part, il prévoit que l'emprunt peut être libellé en euros ou en devises étrangères, mais que dans ce dernier cas, afin d'assurer une couverture intégrale du risque de change, un contrat d'échange de devises contre euros doit être conclu lors de la souscription de l'emprunt pour le montant total et la durée totale de l'emprunt. D'autre part, il précise que le taux d'intérêt peut être fixe ou variable mais il encadre le taux variable. Un décret en Conseil d'Etat doit déterminer les indices et les écarts d'indices autorisés pour les clauses d'indexation des taux d'intérêt variables. De plus, l'indexation doit répondre à des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières des collectivités territoriales. Toutefois, les collectivités peuvent déroger à ces règles lorsque la souscription d'un emprunt ou d'un contrat financier, par la voie d'un avenant ou d'un nouveau contrat, a pour effet de réduire le risque associé à un emprunt ou un contrat financier non conforme aux exigences nouvelles parce que conclu avant l'adoption de la loi. L'objectif, louable, est ici de favoriser le remplacement des emprunts toxiques qui asphyxient de nombreuses collectivités depuis quelques années.

L'article L. 1611-3-2 du Code général des collectivités territoriales permet, par ailleurs, aux collectivités territoriale et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de créer une société publique sous forme de société anonyme au capital entièrement détenu par eux, afin de contribuer, par l'intermédiaire d'une filiale, à leur financement. Le financement sera effectué par la filiale à partir de ressources provenant principalement d'émissions de titres financiers, à l'exclusion de ressources directes de l'Etat ou de ressources garanties par l'Etat. Les collectivités territoriales bénéficient là d'un mode de financement nouveau par la création d'un nouvel acteur dans le financement des collectivités territoriales (17), ce qui leur permet d'échapper à l'emprunt bancaire.

B - Encadrement des rémunérations des dirigeants et des traders

La loi prévoit la consultation des actionnaires concernant la rémunération des dirigeants et traders. Mais l'assemblée ne se prononce que sur une enveloppe globale et n'a aucun pouvoir décisionnel ce qui réduit considérablement son rôle.

La loi prévoit également le plafonnement des rémunérations variables des dirigeants de banque et des traders, à déterminer en fonction de leur rémunération fixe. Ce plafonnement, à fixer par décret, devrait être de une fois la rémunération fixe, voire deux si l'assemblée l'autorise.

C - Mesures protectrices du consommateur

Diverses mesures protectrices du consommateur ont été adoptées.

Inclusion bancaire. Une "Charte d'inclusion bancaire et de prévention du surendettement" doit être adoptée dont l'AMF assurera le respect (C. mon. fin., art. L. 312-1-1 A N° Lexbase : L5099IX7). Son objet est de renforcer l'accès aux services bancaires, notamment aux moyens de paiement pour les consommateurs, et de prévenir le surendettement des particuliers.

Plafonnement des commissions d'intervention. La loi plafonne par mois et par opération les commissions bancaires perçues en cas d'irrégularité de fonctionnement d'un compte non professionnel (C. mon. fin., art. L. 312-1-3, al.1er N° Lexbase : L5235IX8). Elles devraient être de 8 euros par opération et 80 euros par mois, et de 4 euros et 20 euros pour les clients les plus fragiles parce qu'ils bénéficient d'une offre différenciée de services bancaires ou de services bancaires de base.

Offre bancaire différenciée. Les établissements de crédit doivent désormais proposer aux personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels qui se trouvent en situation de fragilité, eu égard notamment au montant de leurs ressources, une offre spécifique qui comprend des moyens de paiement, dont au moins deux chèques de banque par mois, et des services appropriés à leur situation et de nature à limiter les frais supportés en cas d'incident (C. mon. fin., art. L. 312-1-3, al. 2).

Droit au compte. La loi apporte différentes précisions. L'établissement qui refuse d'ouvrir un compte doit transmettre systématiquement et sans délai au demandeur une attestation de refus. L'établissement désigné par la Banque de France pour ouvrir le compte doit le faire dans les trois jours ouvrés à compter de la réception des documents. Le droit au compte bénéficie aux personnes inscrites sur le FNCI et le FICP. La procédure peut désormais être enclenchée par des institutions telles que le département, les CAF, une association...

Information sur les frais bancaire. Le client, personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels, est informé gratuitement, par le biais de son relevé de compte mensuel, du montant et de la dénomination des frais bancaires liés à des irrégularités et incidents que l'établissement entend débiter sur son compte de dépôt (C. mon. fin., art. L. 312-1-5 N° Lexbase : L5098IX4). Ce débit a lieu au minimum quatorze jours après la date d'arrêté du relevé de compte.

Frais funéraires. La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt peut obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur les comptes de paiement du défunt, dans la limite du solde créditeur de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires, auprès des banques teneuses desdits comptes, dans la limite d'un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie (C. mon. fin., art. L. 312-1-4 N° Lexbase : L5252IXS).

Crédit immobilier. Les emprunteurs, personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels, ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise étrangère à l'Union européenne remboursables en monnaie nationale que s'ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n'est pas supporté par l'emprunteur. Ils doivent être informés des risques.

Assurance-emprunteur. La loi a pour objectif de lever les obstacles au choix par l'emprunteur d'assurances autres que celle proposées par le banquier dispensateur d'un crédit immobilier. Dans ce contexte, le banquier ne pourra pas modifier le taux du crédit, les conditions du crédit ni exiger des frais supplémentaires (C. consom., art. L. 312-9 N° Lexbase : L6658IMK). Et lorsqu'une modification de l'offre doit être effectuée, les délais continueront de courir. La loi renforce, par ailleurs, l'information de l'emprunteur dans le cadre d'un crédit immobilier mais aussi d'un crédit à la consommation. Notamment, le prêteur doit l'informer sur le coût de l'assurance (taux effectif annuel de l'assurance, montant total, en euros par mois ou par période).

***

Les réformes opérées par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 sont vastes. Pour autant, certaines sont contestées dans leur utilité et dans leur efficacité. En particulier, la séparation des activités ne fait pas l'unanimité. C'est donc une loi en demi-teinte qui a été adoptée. D'évidence, le législateur a fait preuve de bonne volonté. Mais la réforme adoptée ne bouleverse pas l'existant et ne suffira probablement pas à enrayer les symptômes de la crise.


(1) Engagement n° 7.
(2) V. notamment le projet de Directive européenne sur le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.
(3) On notera l'approche comparable mais inverse du modèle anglais, qui prône la filialisation de la banque de détail (cf. rapport "Vickers", septembre 2011).
(4) V. L. Abadie, LPA, La loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 : paradigme français d'un modèle de séparation bancaire, 2013, n° 194, p.14.
(5) Projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, Etude d'impact, ministère de l'Economie et des finances, décembre 2012, p.14.
(6) En ce sens, v. Th. Bonneau, Séparation et régulation des activités bancaires, JCP éd. E, 2013, 1483.
(7) En ce sens, v. A. Maymont, La séparation des activités bancaires, LPA, 2013, n° 194, p. 7.
(8) Sur les pouvoirs actuels de l'ACP, v. C. mon. fin., art. L. 612-32 (N° Lexbase : L7484IXH) et s.
(9) V. J.-Ph. Kovar, Le nouveau régime de résolution des crises bancaires, LPA, 2013, n° 194, p. 39.
(10) A l'exception des sociétés de gestion de portefeuille.
(11) En ce sens, V. F. Dannenberger, Renforcement des pouvoirs de l'AMF, LPA, 2013, n° 194, p. 67.
(12) Nos obs., Création du Conseil de régulation financière et du risque systémique, LPA, 16 décembre 2010, p.12.
(13) Directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 (N° Lexbase : L0428IWR).
(14) V. Th. De Ravel d'Esclapon, Le Haut Conseil de stabilité financière. Un nouvel acteur de la surveillance macroprudentielle, LPA, 2013, n° 194, p. 44.
(15) V. M. Storck, L'encadrement du négoce à haute fréquence, LPA, 2013, n° 194, p. 29.
(16) V. Mesures boursières de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, BRDA, 17/13, n° 24.
(17) En ce sens, v. G. Eckert, La réforme des conditions d'emprunt des collectivités territoriales, LPA, 2013, n° 194, p. 17.

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Divorce

[Jurisprudence] Les méandres procéduraux des demandes concurrentes en divorce

Réf. : Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 11-26.751, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9608KK3)

Lecture: 9 min

N8756BTH

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par Jérôme Casey, Avocat associé au Barreau de Paris, Mulon & Casey Associés, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux

Le 03 Octobre 2013

C'est un arrêt d'importance que celui ici commenté, et l'attention des avocats et des magistrats doit être clairement attirée sur la solution qu'il consacre, étant de pure procédure et totalement nouvelle. En effet, pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB), la Cour de cassation précise, dans un arrêt en date du 11 septembre 2013, comment s'articulent une demande principale en divorce pour altération du lien conjugal et une demande reconventionnelle en divorce pour faute. Au cas d'espèce, un mari forme une demande en divorce fondée sur l'article 237 du Code civil (N° Lexbase : L2793DZH) (altération définitive du lien conjugal). Son épouse, en réplique, présente une demande reconventionnelle en divorce pour faute aux torts du mari. Ce dernier sollicite alors le prononcé du divorce aux torts partagés des époux, mais sans abandonner pour autant sa demande en altération du lien conjugal. En première instance, le divorce est prononcé aux torts exclusifs du mari. En cause d'appel, celui-ci maintient sa demande de torts partagés, toujours sans abandonner sa demande en altération du lien. La cour d'appel d'Aix-en-Provence confirme le jugement entrepris et rejette la demande de torts partagés du mari, aux motifs que ce dernier n'a pas modifié le fondement de sa demande comme l'article 247-2 du Code civil (N° Lexbase : L2802DZS) le lui permet pourtant, et que l'article 1077, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0230HP9) rend irrecevable toute demande en divorce fondée à titre subsidiaire sur un autre fondement que celui de la demande principale (CA Aix-en-Provence, 19 mai 2011, n° 10/08442 N° Lexbase : A0529HSE).

La décision aixoise est censurée par la Cour de cassation, aux motifs que l'article 247-2 du Code civil ouvre au demandeur la possibilité de solliciter le prononcé du divorce aux torts partagés pour le cas où la demande reconventionnelle en divorce pour faute de son conjoint serait admise, sans le contraindre à renoncer à sa demande principale en divorce pour altération du lien conjugal, pour le cas où cette demande reconventionnelle serait rejetée, de sorte que la demande du mari tendant au prononcé du divorce aux torts partagés ne pouvait être regardée comme une demande formée à titre subsidiaire au sens de l'article 1077, alinéa 1er, du Code de procédure civile. Par conséquent, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 246 (N° Lexbase : L2799DZP) et 247-2 du Code civil, ensemble l'article 1077 du Code de procédure civile.

La grande nouveauté de l'arrêt tient à la lecture que fait la Cour de cassation de l'article 247-2 du Code civil, et à son affirmation selon laquelle le demandeur principal (à l'altération du lien) conserve la faculté de demander un "torts partagés", sans pour autant que cette dernière demande ne constitue une demande subsidiaire. Il faut le dire nettement, telle n'est pas la pratique usuellement suivie par les juges du fond, qui raisonnent dans leur immense majorité comme l'ont fait les conseillers aixois : le demandeur principal (en altération du lien) peut résister à une demande reconventionnelle en faute en invoquant à son tour les fautes de défendeur (devenu le demandeur reconventionnel), mais alors, la volte-face du demandeur principal constitue un changement du fondement de sa demande, spécialement admis par l'article 247-2 du Code civil. Il s'agit là de l'une des trois dérogations que l'article 1077 du Code de procédure civile donne au principe selon lequel le demandeur ne peut substituer un autre cas de divorce au choix qu'il a fait initialement. La jurisprudence du fond est bien fixée en ce sens (v., not., CA Orléans, 5 février 2013, n° 12/00497 N° Lexbase : A0797I7N ; CA Douai, 31 mai 2012, n° 11/05739 N° Lexbase : A0425IN3 ; CA Aix-en-Provence, 19 mai 2011, n° 10/08442, cassée par l'arrêt commenté, préc. ; CA Grenoble, 19 octobre 2010, n° 09/04906 N° Lexbase : A4282GDX ; CA Paris, 29 septembre 2010, n° 09/22187 N° Lexbase : A9331GAT ; CA Paris, 8 septembre 2010, n° 09/20590 N° Lexbase : A9964E8K ; CA Paris, 8 septembre 2010, n° 09/20265 N° Lexbase : A9963E8I ; CA Toulouse, 19 mars 2010, n° 12/00996 N° Lexbase : A1791KAL ; CA Aix-en-Provence, 10 décembre 2009, n° 08/22091 N° Lexbase : A1212GEM ; CA Aix-en-Provence, 25 novembre 2009, n° 08/17330 N° Lexbase : A0899GEZ ; CA Paris, 10 novembre 2009, n° 09/00797 N° Lexbase : A2057EPU).

Par la présente décision, la Cour de cassation modifie ce raisonnement en ouvrant une nouvelle voie, que l'on peut appeler une "voie moyenne" par rapport au régime assez catégorique du Code civil. Il s'agit d'une voie moyenne, car la Cour régulatrice refuse l'absolutisme de l'article 247-2, en estimant que le demandeur principal (en altération) peut défendre sereinement à la demande reconventionnelle en faute, sans devoir modifier le fondement de sa demande en divorce. Tirant argument des dispositions de l'article 246 du Code civil qui impose au juge d'examiner en premier lieu la demande reconventionnelle en faute, les Hauts magistrats ont ainsi créé un système qui permet un débat contradictoire sur le sujet, sans que le demandeur principal ne soit contraint de modifier le fondement de sa demande (et donc d'abandonner l'altération du lien). A partir de là, l'alternative est claire : soit le débat sur les torts conduit à un "torts partagés" (ou au débouté de la demande reconventionnelle, ce que le présent arrêt ne dit pas, mais qui a toujours été admis : v., not., Cass. req., 18 juillet 1892, DP 1893, 1, p. 392 ; Cass. req., 14 mai 1923, D., 1924, 1, p. 76 ; Cass. civ., 2 mai 1945, D., 1946, p. 49, note J. Carbonnier ; Cass. civ. 2, 29 janvier 1975, D., 1975, p. 365), soit le débat sur les torts ne mène à rien et la demande en faute est rejetée. Apparaît alors l'avantage de la présente décision : aucun double débouté n'est à craindre, puisque dans ce second cas, il restera l'altération du lien pour prononcer le divorce.

Faut-il approuver cette décision et la "voie moyenne" ainsi consacrée ? La réponse appelle une analyse nuancée de la question posée.

En faveur de la "voie moyenne" ainsi créée, on dira certainement qu'elle permet un procès plus juste. En effet, l'application stricte des textes, telle que pratiquée par les juges du fond, n'est pas pleinement satisfaisante car le demandeur principal (en altération) se trouve piégé, d'une certaine façon, par la demande reconventionnelle en faute du défendeur. Sa demande en altération devient "secondaire" en raison de l'article 246, et il ne lui reste plus qu'une alternative cruelle : défendre seulement à la faute mais sans en invoquer en retour (c'est un quitte ou double), ou modifier le fondement de sa demande et risquer un double débouté (c'est un pari dangereux). De la sorte, la demande reconventionnelle en faute prend le pas sur la demande principale et la dénature quelque peu. Pire encore, celui qui a joué l'apaisement en se bornant à recourir à l'altération du lien plutôt que d'invoquer une faute contre son conjoint se voit privé (sauf à changer sa demande) d'un débat complet sur la faute si d'aventure l'autre époux présente une demande reconventionnelle en faute. Au contraire, la solution ici consacrée permet l'examen complet et loyal de la demande reconventionnelle en faute. C'est un examen complet et loyal, car le demandeur principal (en altération) n'est pas cantonné à une simple défense sur les torts qui lui sont reprochés : il peut aussi passer à l'offensive et demander un "torts partagés" (ce qui le démange généralement) et ceci sans perdre le bénéfice de l'altération du lien, de sorte que si les torts sont rejetés par le juge, le divorce sera quand même prononcé. Où l'on constate aisément que l'examen préalable de la demande en faute ne réduit pas à néant la demande principale en altération. On peut même soutenir que l'arrêt commenté redonne tout son sens à cette forme de divorce (qui augmente année après année dans les statistiques de la Chancellerie).

En sens inverse, on fera sans doute valoir que l'arrêt commenté constitue une incitation à la discussion des torts respectifs des parties, redonnant à la faute un regain de vigueur que le législateur a pourtant cherché à éviter. On dira encore que l'article 245 du Code civil (N° Lexbase : L2797DZM) permet d'arriver à un résultat semblable à celui ici consacré. En effet, le juge peut très bien retenir des fautes contre le demandeur reconventionnel en faute, conduisant à un divorce aux torts partagés, et ceci quand bien même l'autre époux n'aurait pas conclu sur ce point. C'est là un pouvoir discrétionnaire du juge : il peut l'utiliser mais aucun reproche ne peut lui être adressé s'il n'en use pas (v., not., Cass. civ. 2, 6 mai 1987, n° 86-12.316 N° Lexbase : A7682AAR, Bull. civ. II, 1987, n° 100 ; Cass. civ. 2, 16 janvier 1991, n° 89-19.584 N° Lexbase : A4792AHX, Bull. civ. II, 1991, n° 18). N'est-ce pas aussi bien que le système consacré par l'arrêt sous examen ? Enfin, et peut-être surtout, n'est-il pas un peu exagéré d'affirmer que la demande de torts partagés sollicités par le demandeur principal (en altération) ne constitue pas une demande subsidiaire justiciable de l'alinéa 3 de l'article 247-2 ?

On le voit, les arguments ne manquent pas dans les deux sens. Pourtant, il nous semble que la solution dégagée par la Cour de cassation dans la présente décision doit être approuvée. L'argument sur la nature de la demande de torts partagés (subsidiaire ou non) n'est pas pleinement convaincant. En effet, en présentant une demande de torts partagés, le demandeur principal ne hiérarchise pas ses demandes ab initio. Il ne fait que répondre à la demande reconventionnelle en faute de l'autre époux, que le Code civil impose de traiter en premier. Mais sa demande reste bien une altération du lien. La demande de torts partagés n'est finalement qu'une défense pleine et entière en réaction à la priorité que la loi donne à la demande reconventionnelle en faute. Ce n'est manifestement pas une demande "au cas où" la demande d'altération échouerait (comment le pourrait-elle ?!). De sorte que la solution se trouve dans la notion même de demande reconventionnelle en faute. Par cette demande, celui qui était défendeur au principal devient temporairement demandeur, le temps que le juge statue sur les mérites de sa demande reconventionnelle. En bonne logique, l'autre époux, qui est demandeur au principal (en altération) devient alors défendeur à la demande reconventionnelle. Il est alors parfaitement logique qu'il lui soit permis de présenter une défense complète, et donc qu'il puisse alléguer des griefs et former une demande. C'est une sorte de "demande reconventionnelle sur demande reconventionnelle" si l'on nous pardonne ce barbarisme. Il nous semble donc que c'est l'article 246 qui justifie la solution actuelle : puisque le Code impose de traiter d'abord la demande reconventionnelle, comme une sorte de "procès dans le procès", il faut que ce débat préalable soit loyal. Or, en l'état actuel des textes, cette loyauté des débats est malmenée, puisque le demandeur reconventionnel en faute ne se verra reprocher des fautes que dans le cas où l'autre époux accepte de modifier le fondement de sa demande principale, ce qui est très risqué, ainsi que nous l'avons vu. Quant à l'argument tiré de l'article 245, il nous semble faible. Ce texte est rarement invoqué côté magistrats, sans doute parce que les juges redoutent toujours le grief d'ultra petita (même si cela ne serait pas fondé au cas présent) et rechignent généralement à se lancer dans un débat sur les griefs de leur propre mouvement. Le principe d'indisponibilité du litige, auquel l'article 245 déroge clairement, possède sans doute aussi sa part explicative dans le peu d'usage que les magistrats font de l'article 245. Côté plaideurs, l'invocation de cet article dans le contexte d'une demande principale en altération du lien n'est pas évidente, le risque étant grand que l'article 247-2 soit opposé par l'adversaire pour soutenir que la demande est irrecevable (toujours ce quitte ou double : changer le fondement de sa demande ou se taire sur les torts de l'autre). L'utilisation de l'article 245 n'est donc pas chose évidente. Plus sérieux, quoique non déterminant, est l'argument tiré de la revivification de la faute. Il est certain que cet arrêt va rendre plus denses les discussions sur les griefs, chaque époux pouvant en jeter à la figure de l'autre. Mais comme nous l'avons déjà dit, il n'est pas satisfaisant que celui qui se "contente" de l'altération du lien soit à la merci d'une demande reconventionnelle en faute, à laquelle il ne pourra défendre correctement qu'en modifiant le fondement de sa propre demande. Sans doute aurait-il été plus sage que le législateur déclare irrecevable toute demande en faute une fois l'assignation fondée sur l'altération du lien délivrée, mais c'est là un autre débat...

Toutes ces raisons conduisent à approuver la solution, réellement très novatrice, posée en l'espèce par la Cour de cassation. Reste que les habitudes des juges du fond sont très ancrées, et l'annotateur ne peut s'empêcher de s'inquiéter de l'incertitude que cette jurisprudence va provoquer. Combien de temps faudra-t-il pour que les juges du fond adoptent la solution nouvelle ? La réponse sera donnée ici dans les mois qui viennent...

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Fiscal général

[Projet, proposition, rapport législatif] PLF 2014 : carnet de naissance

Réf. : Projet de loi de finances pour 2014

Lecture: 33 min

N8706BTM

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 12 Octobre 2013

Le 25 septembre 2013, le Gouvernement a présenté le projet de loi de finances pour 2014. Très attendu (à croire que les fiscalistes ont manqué de lois de finances cette année, alors qu'il faut saluer cette anorexie fiscale exceptionnelle), ce projet avait, avant sa naissance, fait courir de nombreuses rumeurs. Ainsi, tel le "royal baby" britannique, notre "fiscal baby" a fait l'objet de toutes les attentions aux derniers jours avant terme, mais sans attirer des foules de fans et sans relancer la croissance, ne serait-ce que temporairement. Cette grossesse a été difficile. Le nouveau-né mesure 78 articles, et pèse 293 pages. Il est clair que le "fiscal baby" va connaître de nombreuses mutations. Au cours de son enfance (premier examen du projet de loi devant l'Assemblée nationale et le Sénat), il va grandir, grossir, atteignant, comme c'est le cas généralement, plus de 100 articles. Les articles originels vont être profondément modifiés, pour certains, laissés intacts, pour d'autres. Les amendements seront nombreux, les débats houleux. Après cette enfance dynamique, le projet de loi de finances pour 2014 connaîtra, en deuxième passage devant les députés et les sénateurs, une adolescence plus calme, faite de compromis incessants, pour parvenir à l'âge adulte, après le vote de la loi, et son entrée dans le monde par la grande porte : celle du Conseil constitutionnel, qui débarrassera le texte de ses éventuels défauts avant de le laisser pénétrer la société. Si la vie du "fiscal baby" promet d'être moins longue que celle du "royal baby" (et c'est ce que nous souhaitons à ce dernier), elle sera probablement tout aussi exposée à la critique, favorable ou défavorable, même si, il faut bien se l'avouer, le grand public devrait se montrer moins avide de tout connaître du quotidien du projet de loi... Peu importe ! Il passionnera tout de même les spécialistes et la presse qui les accompagne. Rencontre avec le projet de loi de finances pour 2014. I - Les mesures frappant les ménages

Premiers destinataires du projet de loi de finances pour 2014, la fiscalité frappant les particuliers ne connaît pas de réforme majeure, mais une multitude de petites mesures qui, tantôt alourdissent l'impôt, mais jamais de manière générale, tantôt l'allègent. Les foyers fiscaux qui souffriront le plus de ce projet de loi sont les familles aisées avec enfants.

A - Les qualités du PLF 2014

Indexation du barème de l'impôt sur le revenu de l'année 2014 et revalorisation exceptionnelle de la décote (article 2)

Le projet de loi de finances pour 2014 revalorise les limites des tranches de revenus du barème de l'impôt sur le revenu en tenant compte de l'évolution de l'indice des prix hors tabac de 2013 par rapport à 2012, soit 0,8 %. Cette mesure, qui avait été suspendue au titre de l'imposition des revenus perçus en 2011 et 2012, revoit donc le jour, au grand soulagement des contribuables, dont certains sont restés ébahis par leur déclaration de revenus reçue, pour les plus chanceux, quelques semaines avant la présentation du projet de loi (les autres devraient avoir la même réaction mi-octobre).

De plus, l'article 2 du texte propose de revaloriser le montant de la décote applicable à l'impôt sur le revenu, en le portant de 480 euros à 508 euros (soit une revalorisation de 5 %, s'ajoutant à l'indexation). Les ménages modestes, dont beaucoup (un million) se sont retrouvés à devoir payer l'impôt, alors qu'ils avaient été exemptés jusqu'ici, faute de revenus imposables suffisants (ce qui concernait, avant cette année, la moitié des foyers fiscaux français !), bénéficient d'une baisse d'impôt de 28 euros supplémentaires. Reste à savoir si cela est suffisant pour effacer le douloureux souvenir de la feuille d'impôt 2013...

Aménagement des droits de mutation par décès en cas de défaut de titre de propriété immobilière (article 8)

Parce qu'il arrive que les droits de propriété sur un immeuble soient incertains (en cas de limite cadastrale imparfaite ou inexistante), le Gouvernement prévoit que la fiscalité doit s'en mêler, et inciter (ce qui est presque devenu inhérent à l'impôt) les héritiers à reconstituer leur droit de propriété. Pour les successions qui seront ouvertes à compter de la date de publication de la loi de finances pour 2014, il est ainsi proposé trois mesures : l'instauration d'un délai de vingt-quatre mois pour le dépôt des déclarations de succession comportant des immeubles ou des droits immobiliers dont la propriété est incertaine, permettant ainsi aux personnes concernées de mener à bien les démarches de reconstitution des titres de propriété ; la déduction de l'actif successoral afférente aux dépenses engagées et supportées par les héritiers d'un immeuble ou de droits immobiliers dont la propriété est incertaine, au titre des opérations de reconstitution des titres de propriété desdits immeubles (dans la limite de la valeur déclarée de ces biens) ; une exonération totale de droits de succession pour les immeubles non bâtis indivis ou les droits immobiliers d'un tel immeuble inclus dans une parcelle d'une valeur totale inférieure à 5 000 euros et dont la propriété est incertaine, sous condition de reconstitution du titre de propriété.

Réforme du régime d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux des particuliers (article 11)

Après les "pigeons" et les "poussins", quel volatile se dressera contre la réforme de l'imposition des plus-values de cessions de titres ?

Si les conséquences exactes de l'application du nouveau régime devraient relever d'une analyse plus poussée, il faut saluer l'effort de simplification du Gouvernement. Dans son optique de taxer les revenus du capital comme les revenus du travail, l'article 11 du projet de loi de finances pour 2014 fait entrer au barème progressif les plus-values mobilières des particuliers. Un système d'abattement est prévu, selon la durée de détention des titres :
- 50 % pour une durée de détention de deux ans à moins de huit ans, puis 65 % à partir de huit ans (il est précisé que les OPC sont éligibles à l'abattement s'ils respectent un quota d'investissement en parts ou actions de sociétés de 75 % au moins) ;
- pour les PME, 50 % pour une durée de détention de un an à moins de quatre ans, 65 % pour une durée de détention de quatre ans à moins de huit ans, puis 85 % à partir de huit ans (ce dispositif est ouvert aux nouvelles sociétés exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ainsi qu'aux holdings animant des groupes constitués de ces sociétés et des cession de titres de dirigeants de PME partant à la retraite, des jeunes entreprises innovantes (JEI) et des cessions intrafamiliales).
En outre, les dirigeants de PME partant à la retraite, bénéficieraient, avant l'application de cet abattement proportionnel, d'un abattement fixe spécifique de 500 000 euros.

Cette mesure, plus simple, plus lisible, et donc plus sécurisante et attractive pour les entrepreneurs, entrerait en vigueur pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2013 (pour une fois que la rétroactivité s'opère dans un sens favorable !), à l'exception des mesures relatives à la suppression des régimes dérogatoires d'exonération partielle ou totale (dirigeants partant à la retraite, JEI et cessions intrafamiliales), qui entreraient en vigueur à compter du 1er janvier 2014.

Les OPCVM, dont le régime d'imposition des plus-values de cession a fait couler tant d'encre d'imprimante (lire, Retenue à la source sur les dividendes de source française versés à des OPCVM étrangers : les juges se prononcent sur un contentieux de masse - Questions à Séverine Lauratet, Laurent Leclercq et Yves Robert, Fidal, Direction internationale, Lexbase Hebdo n° 488 du 6 juin 2012 - édition fiscale N° Lexbase : N2226BTM et cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E4083AEX), entreraient dans le champ de cette réforme, que les porteurs de titres soient des résidents fiscaux français ou non-résidents, particuliers ou professionnels.

Réforme du régime d'imposition des plus-values immobilières (article 18)

La fiscalité immobilière est un tel imbroglio de mesures qu'elle effraie ceux qui n'y connaissent rien et appâte ceux qui s'y connaissent bien. En effet, la superposition des réduction d'impôt, chacune correspondant à une aide précise, la suppression et le remplacement des dispositifs, qui contiennent des conditions toujours plus strictes et toujours plus nombreuses, rendent cette matière compliquée et indigeste.

Néanmoins, le Gouvernement s'efforce de créer un "choc d'offre" (le fameux), encourageant les propriétaires à remettre sur le marché leurs biens et à la réalisation de travaux. Ainsi, s'agissant des cessions de terrains à bâtir, l'abattement pour durée de détention sera supprimé à compter du 1er janvier 2014 pour la détermination des plus-values imposables afférentes à de tels biens. S'agissant des cessions de biens autres que des terrains à bâtir, le projet propose d'appliquer la cadence et le taux de l'abattement pour durée de détention rendus applicables par instruction fiscale dès le 1er septembre (lire N° Lexbase : N8350BTG). La réforme repose sur l'instauration d'un abattement pour durée de détention de 6 % au-delà de la cinquième année de détention, puis un abattement de 4 % au titre de la vingt-deuxième année de détention révolue, conduisant ainsi à une exonération totale des plus-values immobilières à l'impôt sur le revenu au terme de vingt-deux ans de détention (contre ce qui est aujourd'hui prévu à l'article 150 VC du CGI (N° Lexbase : L1168ITG), c'est-à-dire une exonération à compter de 30 ans de détention). Au niveau des cotisations sociales, la réforme aboutit à une exonération au terme de trente ans de détention, avec un rythme d'abattement global constant n'incitant pas à la rétention : il serait appliqué un abattement de 1,65 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième année, puis de 1,60 % au titre de la vingt-deuxième année de détention et enfin de 9 % pour chaque année de détention au-delà de la vingt-deuxième année.

En outre, et afin de créer ce "choc d'offre", un abattement exceptionnel de 25 % est applicable depuis le 1er septembre 2013, et pour une durée d'un an, pour la détermination de l'assiette imposable des plus-values immobilières tant à l'impôt sur le revenu qu'aux prélèvements sociaux. Le dispositif ne porte que sur la cession des immeubles bâtis.

Malgré tous les reproches que l'on peut adresser à la fiscalité immobilière, il faut saluer cette "réforme" (le mot est un peu trop dithyrambique) qui sécurise le droit existant mais dont la source est très contestée (le nouveau régime d'abattement instauré par l'administration fiscale) et, si le mot "choc d'offre" subira les mêmes critiques que le mot "réforme", il faut saluer cet abattement exceptionnel, qui pourra créer des opportunités pour certains. Attention toutefois aux effets d'aubaine que génèrent, la plupart du temps, ce type de mesure ponctuelle.

B - Les défauts du PLF 2014

Abaissement du plafond de l'avantage procuré par le quotient familial (article 3)

Cette mesure frappe les familles, ceux qui ont procréé en France, lui offrant son rang de premier pays d'Europe en termes de taux de natalité, et les frappe durement. Alors que le plafonnement des effets du quotient familial avait déjà été abaissé, passant de 2 336 à 2 000 euros par demi-part, par la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012), il est prévu un nouvel abaissement, encore plus draconien ; le plafonnement passe de 2 000 à 1 500 euros par demi-part. En outre, l'avantage maximum en impôt procuré par la part de quotient familial attachée au premier enfant à charge accordée aux contribuables célibataires ou divorcés vivant seuls ayant des enfants à charge est abaissé du même montant, soit de 4 040 à 3 540 euros.

En revanche, le montant du plafonnement général des effets du quotient familial pour chaque demi-part accordée en application des dispositions particulières liées à la situation du contribuable (anciens combattants, invalides, maintien du quotient conjugal des veufs en cas d'enfant à charge) est inchangé. Pour compenser les effets du plafonnement, l'avantage en impôt procuré par chacune de ces demi-parts additionnelles est maintenu par la majoration des réductions d'impôt complémentaires.

Le gain budgétaire attendu par cette mesure est de 1,03 milliards d'euros. Cette somme, à ajouter dans les caisses de l'Etat, se déduit mathématiquement du pouvoir d'achat. L'Etat semble continuer à croire en la technique de la ponction fiscale pour rétablir les finances publiques, malgré les cris d'alerte de la profession dans sa quasi-totalité, appelant à la dynamisation du budget par l'attraction de capitaux étranger et la relance de la croissance (alimentée par... le pouvoir d'achat).

Suppression de la réduction d'impôt pour frais de scolarité (article 4)

La suppression de la réduction d'impôt sur le revenu pour frais de scolarité dans l'enseignement secondaire et supérieur aura fait plus de bruit que la nouvelle taxe sur l'EBE prévue par le projet de loi de finances (voir infra).

Le Gouvernement considérant que cette dépense est inefficace, et le dispositif redondant avec d'autres dispositifs (majorations de quotient familial attribuées aux enfants à charge ou rattachés lorsqu'il s'agit d'enfants majeurs âgés de moins de 25 ans poursuivant leurs études, majoration des allocations familiales pour enfant de plus de 14 ans, allocation de rentrée scolaire et bourses sur critères sociaux), il a souhaité supprimer cette mesure. Futur feu l'article 199 quater F du CGI (N° Lexbase : L3448HLB) prévoit encore aujourd'hui une réduction de 153 euros par enfant fréquentant un lycée d'enseignement général et technologique ou un lycée professionnel et 183 euros par enfant suivant une formation d'enseignement supérieur. Ces petites réductions d'impôt sont évidemment pénalisantes pour les familles les plus modestes, qui ne peuvent pas payer et l'impôt et les études de leurs enfants.

Suppression de l'exonération fiscale de la participation de l'employeur aux contrats collectifs de complémentaire santé (article 5)

La santé. Il paraîtrait que c'est le plus important pour l'être humain. De plus en plus, cette importance devient lourde à porter, car chère. Pour que tout le monde ait accès à la couverture complémentaire santé, il a fallu baisser ses avantages. C'est la différence entre le luxe et prêt-à-porter : on est obligé de choisir entre qualité et quantité. Le Gouvernement choisit la quantité. Il est tout à fait normal que chacun ait le droit d'être soigné correctement dans un pays comme la France. Seulement voilà : alors que l'impôt ne se prélève pas à la source, l'assurance maladie ponctionne sévèrement les salaires des travailleurs. Ainsi en va-t-il de cette mesure qui prévoit que les avantages fiscaux et sociaux attachés aux contrats complémentaires collectifs obligatoires en santé, auxquels participent les employeurs, entreront désormais dans l'assiette de l'IR.

Nombreux sont les contribuables personnes physiques salariées qui ne comprennent pas pourquoi l'Etat calcule son impôt sur une somme plus élevée que celle réellement touchée par le salarié. C'est ce que l'on appelle les "recettes artificielles", celles qui ne résultant pas d'un impôt, mais de l'abandon d'un avantage fiscal (apparemment, le fait de n'être imposé que sur une somme réellement touchée serait un avantage fiscal...).

Suppression de l'exonération d'impôt sur le revenu des majorations de retraite ou de pension pour charges de famille (article 6)

A compter de l'imposition des revenus de l'année 2013, les majorations de retraite ou de pension pour charges de famille seront soumises à l'impôt sur le revenu. En plein débat sur les retraites, cette mesure ne présage rien de bon. Elle devrait bénéficier au rétablissement des comptes de la branche vieillesse de la Sécurité sociale à hauteur de 1,2 milliards d'euros, argent qui ne sera donc pas touché par les bénéficiaires de ses pensions (à noter que le montant est tout de même extrêmement élevé, plus que la baisse des effets du quotient familial !). Le Gouvernement prévoit une refonte de la majoration elle-même pour la transformer progressivement, à compter des départs à la retraite postérieurs à 2020, en une majoration par enfant à caractère forfaitaire, au bénéfice des femmes dont les pensions sont, en moyenne, moins élevées.

Création d'un régime fiscal favorisant l'investissement institutionnel dans le logement intermédiaire (article 55)

C'est à nouveau un régime de fiscalité immobilière qui est créé... Le projet de loi de finances, en son article 55, veut susciter une offre locative nouvelle de logements sociaux et intermédiaires dans les zones les plus tendues du territoire. Pour réaliser cet objectif, il propose d'introduire, au bénéfice des investisseurs institutionnels, un taux réduit de TVA de 10 % pour la construction de logements intermédiaires réalisés dans le cadre d'opérations de construction mixtes, comprenant la construction d'au moins 25 % de logements sociaux, et d'exonérer temporairement ces logements de taxe foncière sur les propriétés bâties. Autant de petites mesures qui ne devraient pas révolutionner le marché, mais alourdir la compréhension de la fiscalité de l'immobilier en France.

Réforme du crédit d'impôt en faveur du développement durable (CIDD) et aménagement de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) (article 56)

Le 21 mars 2013, le Président de la République a annoncé la mise en oeuvre d'un plan de rénovation énergétique de l'habitat, se traduisant par la rénovation de 500 000 logements par an d'ici à 2017. De nombreuses mesures ont été avancées pour atteindre ce but, dont l'optimisation du crédit d'impôt en faveur du développement durable (CIDD ; CGI, art. 200 quater N° Lexbase : L9914IW4) et de l'éco-prêt à taux zéro ("éco-PTZ" ; CGI, art. 244 quater U N° Lexbase : L7110IRR).

Concernant le CIDD, il est proposé de le simplifier, en substituant aux dix taux actuellement applicables, deux taux selon que la dépense est réalisée en action seule ou dans le cadre d'un "bouquet" de travaux. De plus, le CIDD devrait être réservé aux rénovations lourdes, c'est-à-dire dans le cadre d'un "bouquet" de travaux d'au moins deux actions. Les dépenses modestes des foyers modestes devraient toutefois ouvrir droit au crédit d'impôt (ces ménages représenteraient, selon le Gouvernement, plus de 50 % des ménages déclarant des dépenses éligibles au CIDD). Le CIDD serait, par ailleurs, recentré sur deux composantes : l'isolation thermique de l'habitat et les équipements de production d'énergie utilisant une source d'énergie renouvelable ne bénéficiant pas d'autres formes de soutien public ou peu diffusés. Par conséquent, les dépenses relatives aux équipements de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, les appareils de régulation de chauffage ainsi que les équipements de récupération et de traitement des eaux pluviales seront exclues du dispositif. Le verdissement de la fiscalité fait ici un pas en arrière. Enfin, les propriétaires bailleurs seraient exclus du CIDD.

Il est aussi prévu de faire entrer la composition du foyer fiscal dans le calcul du plafonnement du cumul CIDD/éco-PTZ, qui s'applique aujourd'hui sous condition de ressource.

S'agissant de l'éco-PTZ, la mesure consiste à obliger les entreprises réalisant les travaux à remplir des critères de qualification pour que leurs travaux soient éligibles à l'éco-PTZ. Par ailleurs, afin de faciliter la réalisation de travaux de rénovation lourde dans les copropriétés, il est proposé de porter la durée maximale de réalisation des travaux de deux à trois ans pour les éco-PTZ accordés à des syndicats de copropriétaires. Corrélativement, l'éco-PTZ est prorogé jusqu'au 31 décembre 2015, en cohérence avec l'échéance du CIDD, également fixée à cette date.

Octroi aux départements d'une faculté temporaire de relèvement du taux des droits de mutation à titre onéreux (article 58)

Le projet de loi de finances pour 2014 permet aux conseils généraux de porter de 3,80 % à 4,50 % le plafond maximal du taux de taxe de publicité foncière ou du droit d'enregistrement sur les actes civils et judiciaires translatifs de propriété ou d'usufruit de biens immeubles à titre onéreux (CGI, art. 683 N° Lexbase : L7771HLE) pour les mutations intervenues entre le 1er mars 2014 et le 29 février 2016. Cette mesure est bienvenue pour les départements, mais elle alourdit le poids de la fiscalité des actes de mutation à titre onéreux, alors que la "réforme" de l'immobilier tente de l'alléger...

II - Les mesures frappant les entreprises

A - Les qualités du PLF 2014

Amortissements accélérés des robots acquis par des PME (article 12)

La technologie. L'avenir. Le futur. Les robots. Ces mots, d'abord usés par la science-fiction, et qui deviennent réalité aujourd'hui, prennent, en matière de droit fiscal, des teintes avantageuses. En effet, le Gouvernement prévoit, dans cet article 12 du projet de loi de finances pour 2013, d'accompagner les PME qui investissent entre le 1er octobre 2013 et le 31 décembre 2015 dans le domaine de la robotique industrielle, en leur permettant d'amortir ces immobilisations sur une période de 24 mois. La définition des robots industriels est celle retenue par l'organisation internationale de normalisation, dans la norme ISO 8373.

La mesure serait placée sous l'encadrement prévu par le règlement de minimis, afin d'assurer sa compatibilité avec le droit de l'Union européenne.

Suppression de dépenses fiscales inefficientes ou inutiles (article 17)

Il y a eu des rapports, des articles, des commissions, des voix qui se sont élevés contre les niches fiscales, qui polluent la fiscalité française. Les niches fiscales sont utiles en ce qu'elles encouragent un comportement que l'Etat juge avantageux pour son économie, globale ou (le plus souvent) parcellaire. Le problème, c'est que l'Etat est très inspiré, et que sa création de niche est impressionnante, sans que celles, devenues, par l'effet du temps, obsolètes, ayant rempli leur office, soient libérées du fardeau d'une vie sans but. C'est pourquoi l'article 17 du projet de loi de finances pour 2014 propose d'"euthanasier" ces mesures errantes. Les contribuables qui continuent d'en bénéficier subiront, malheureusement pour eux, la hausse d'impôt correspondante, mais il faut tout de même saluer toute mesure de simplification efficace prise dans ce projet de texte, qui par ailleurs se plaît à alourdir la matière fiscale, déjà très indigeste.

Ainsi, seront supprimés :
- la provision pour risques afférents aux opérations de crédit à moyen et à long terme ainsi qu'aux crédits à moyen terme résultant de ventes ou de travaux effectués à l'étranger (CGI, art. 39, 1, 5°, al. 15 N° Lexbase : L3894IAH) ;
- la provision pour reconstitution des gisements de substances minérales solides (CGI, art. 39 ter B N° Lexbase : L1780HNA) ;
- l'exonération des plus-values résultant de la cession des actions ou des parts de sociétés conventionnées, sous condition de réemploi et d'affectation à l'amortissement de nouvelles participations (CGI, art. 40 quinquies N° Lexbase : L1481HLG) ;
- l'exonération d'impôt sur le revenu du salaire différé de l'héritier de l'exploitant agricole ainsi que les exonérations corrélatives de cotisation sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale (CGI, art. 81, 3° N° Lexbase : L9930IWP et CSS, art. L. 136-2, III, 3° N° Lexbase : L0134IWU) ;
- l'exonération d'impôt sur le revenu de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine (CGI, art. 81, 9° septies et C. act. soc. fam., art. L. 117-3, al. 9 N° Lexbase : L9008IDY) ;
- l'exonération dans la limite de 1 550 euros des rémunérations perçues par l'ancien chef d'entreprise pour la formation du repreneur (CGI, art. 93, 7 N° Lexbase : L5445IR4) ;
- l'exonération d'impôt sur le revenu des intérêts des sommes inscrites sur un livret d'épargne entreprise (CGI, art. 157, 9° quinquies N° Lexbase : L5708IXP) ;
- l'imputation des déficits réalisés par une succursale ou une filiale située à l'étranger par une petite et moyenne entreprise française (CGI, art. 209 C N° Lexbase : L5720IX7 ; nous pouvons regretter la fin de cette mesure) ;
- l'amortissement exceptionnel égal à 50 % du montant des sommes versées pour la souscription au capital des sociétés d'investissement régional et des sociétés d'investissement pour le développement rural (CGI, art. 217 quaterdecies N° Lexbase : L5128IMU).

Par ailleurs, le projet de texte prévoit de recentrer le régime fiscal des monuments historiques régi par l'article 156 du CGI (N° Lexbase : L1164ITB) en réservant le bénéfice des modalités dérogatoires de prise en compte des charges foncières aux charges supportées à raison des seuls immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques ou bénéficiant du label "Fondation du patrimoine".

Mesures de simplification de l'assiette du crédit d'impôt recherche : dépenses relatives aux "jeunes docteurs" et frais afférents aux titres de propriété industrielle (article 54)

Le crédit d'impôt recherche (CIR ; CGI, art. 244 quater B N° Lexbase : L0202IWE) est une mesure très populaire en France. Il pèse fortement sur le budget de l'Etat, et les abus sont nombreux, mais il encourage aussi les entreprises à se lancer dans la recherche, à trouver des solutions aux problèmes rencontrés aujourd'hui, dans tous les domaines ou presque, et cette mesure ne peut pas être remise en cause. Heureusement, ce n'est pas le but du projet de loi de finances pour 2014, qui prévoit au contraire de simplifier l'assiette du CIR.

Ainsi, sera redéfinie, l'une des conditions pour bénéficier d'un doublement d'assiette pour l'embauche d'un jeune docteur, relative au maintien de l'effectif salarié dans l'entreprise (condition prévue aux b et 3 du c du II de l'article 244 quater B). Cette condition est en effet recentrée sur le maintien du personnel de recherche de l'entreprise, afin de ne pas pénaliser les entreprises qui connaîtraient des difficultés sur le plan économique et seraient contraintes de réduire certains de leurs effectifs, mais qui poursuivraient leur effort de recherche et développement (R&D). De plus, les règles de territorialité afférentes aux dépenses de protection des droits de propriété industrielle éligibles au CIR sont simplifiées et harmonisées. En effet, ces règles diffèrent actuellement selon la nature des dépenses exposées (frais de prise et de maintenance ou frais de défense des titres de propriété industrielle) et la nature des opérations réalisées (travaux de recherche ou d'innovation). Un seul et même régime de territorialité pour ces dépenses devrait être créé.

Aménagement de la cotisation foncière des entreprises due par les petites entreprises (article 57)

C'est l'article maudit, celui que l'on retrouve à chaque loi de finances, initiale ou rectificative : celui concernant la CFE.

Cet article crée un nouveau barème de fixation du montant de la base minimum de CFE :
- comprenant six tranches au lieu de trois, afin de distinguer trois sous-catégories dans l'actuelle catégorie des contribuables réalisant moins de 100 000 euros de chiffre d'affaires ou de recettes et de distinguer deux sous-catégories dans l'actuelle catégorie des contribuables réalisant plus de 250 000 euros de chiffre d'affaires ou de recettes ;
- présentant de nouveau seuils ("plafonds") de fixation du montant de la base minimum, qui permet de fixer des montants de base minimum davantage proportionnés aux capacités contributives des redevables.
Le nouveau barème offre aussi aux collectivités la possibilité de prendre en compte la situation particulière des titulaires de BNC, avec la réduction de moitié des limites des six tranches de chiffre d'affaires ou de recettes.
Le nouveau barème serait donc le suivant, étant entendu qu'il appartiendra aux collectivités concernées de mettre en place, par délibération, le barème spécifique aux redevables titulaires de BNC :

Montant du chiffre d'affaires ou des recettes de la généralité des redevables Montant du chiffre d'affaires ou des recettes des redevables titulaires de BNC Montant de la base minimum compris
Moins de 10 000 euros Moins de 5 000 euros Entre 215 et 500 euros
Entre 10 000 et 32 600 euros Entre 5 000 et 16 300 euros Entre 210 et 1 000 euros
Entre 32 600 et 100 000 euros Entre 16 300 et 50 000 euros Entre 210 et 2 100 euros
Entre 100 000 et 250 000 euros Entre 50 000 et 125 000 euros Entre 210 et 3 500 euros
Entre 250 000 et 500 000 euros Entre 125 000 et 250 000 euros Entre 210 et 5 000 euros
Plus de 500 000 euros Plus de 250 000 euros Entre 210 et 6 500 euros

Il s'appliquera à compter de la CFE due au titre de 2014 en cas de délibération prise avant le 21 janvier 2014.

De plus, cet article prévoit la reconduction, pour la CFE 2013, du dispositif de prise en charge par les collectivités d'une partie de la CFE 2012 instauré par l'article 46 de la dernière loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ) : les collectivités qui le souhaitent pourront donc prendre en charge, pour la part leur revenant, tout ou partie des hausses de CFE minimum 2013 consécutives à des hausses de base minimum décidées en 2011 ou en 2012.

En outre, il est prévu que les redevables domiciliés fiscalement au lieu de leur habitation et qui ne disposent d'aucun local soient imposés sur la base minimum, à l'instar de ce qui est prévu pour les domiciliations commerciales (CGI, art. 1647, II N° Lexbase : L0194IW4).

Enfin, il est proposé de supprimer l'exonération temporaire de CFE prévue en faveur des auto-entrepreneurs pour les deux années suivant celle de la création de leur entreprise. Les auto-entrepreneurs seront désormais soumis au même régime de CFE que les autres redevables de taille comparable. Cette mesure rejoint celles prévues dans le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : dispositions relatives à l'auto-entreprise, actuellement en discussion, qui souhaite aligner le régime des auto-entrepreneurs sur le droit commun (lire N° Lexbase : N8441BTS). Toutefois, les auto-entrepreneurs ayant bénéficié, au titre de l'année 2013, de leur première année d'exonération demeureront exonérés de CFE au titre de l'année 2014.

B - Les défauts du PLF 2014

Taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprises (article 9)

L'exception est en train de devenir la règle. En France, on assiste aujourd'hui, et depuis deux ans, à une véritable dichotomie du traitement des grosses entreprises et des PME. Les entreprises dont la taille est jugée importante deviennent la cible d'une multitude mesures fiscales temporaires mais prorogées sans cesse, et de taxes "exceptionnelles". Le projet de loi de finances pour 2014 en prévoit encore une, alors que l'article suivant prône une "réforme" (le pouvoir doit cesser de vider les mots de leur substance, et de réduire à l'état de banalité un terme qui faisait frémir le peuple du temps de la Révolution française) de l'IS en supprimant l'IFA et... en instaurant une nouvelle taxe.

La taxe "exceptionnelle" ainsi instaurée est supportée par les entreprises versant des rémunérations supérieures à un million d'euros à leurs dirigeants et salariés. Elle est assise sur la fraction de la rémunération supérieure à un million d'euros par an versée aux salariés et dirigeants. Son taux est fixé à 50 % (et non à 75 %), et la contribution est plafonnée à 5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise. L'exception viendrait de la ponctualité de la mesure, applicable uniquement aux rémunérations acquises ou attribuées en 2013 et 2014. A noter que les clubs de football seraient concernés par cette mesure (dixit Valérie Fourneyron, ministre des Sports, dans une interview accordé au Figaro et publiée le 30 septembre 2013).

Instauration d'une contribution sur l'excédent brut d'exploitation pour les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (article 10)

L'article 10 du projet de loi de finances pour 2014 est l'article "star" du texte. Le 11 septembre 2013, il avait été annoncé une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, ce qui avait ravi la profession de fiscaliste, et devait s'accompagner de la suppression de diverses petites taxes, réunies en une seule nouvelle taxe, portant, cette fois, non pas sur le chiffre d'affaires (ce qui, économiquement, n'a pas de sens), mais sur l'excédent brut d'exploitation. Qu'est-ce que l'excédent brut d'exploitation ? En vulgarisant, il est possible de l'identifier à la marge bénéficiaire de l'entreprise (valeur ajoutée - frais de personnels et impôts). Il est plus cohérent de taxer l'EBE que le chiffre d'affaires, qui ne fait totalement abstraction des charges de l'entreprise. Toutefois, certains secteurs, à haute valeur ajoutée (et donc à marge plus élevée), sont en colère, notamment les banquiers et les opérateurs.

La nouvelle taxe sur l'EBE, au taux de 1 %, est applicable aux entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (ce qui exclut les PME). L'IFA est supprimée. Toutefois, la baisse de l'IS, qui avait pu créer quelques sentiments d'allégresse chez certains, n'est pas reprise dans le projet de loi. L'allégresse tombe en déception. Cette nouvelle taxe ne permet donc pas au Gouvernement d'effectuer une réforme à recettes constantes, mais d'obtenir des recettes supplémentaires, sans contreparties pour les entreprises, asphyxiées par l'impôt.

Réforme du régime de défiscalisation des investissements productifs et des logements sociaux outre-mer (article 13)

Stations touristiques, points d'ancrage militaire, réserve écologique et de biodiversité, les outremers ont de nombreux atouts, très appréciés, mais qui coûtent cher à l'Etat français. En effet, ces territoires, lointains, exotiques, souvent insulaires, ont du mal à atteindre le niveau économique de la métropole. Cette dernière est donc venue à leur secours, avec une série de mesures dont l'efficacité est parfois contestée, et qui sont, en tout cas, très nombreuses et anciennes. Afin de moderniser ces régimes fiscaux, le projet de loi de finances pour 2014 prévoit d'encadrer les dispositifs existants afin de les rendre plus efficients, en diminuant l'assiette éligible en cas d'investissement de renouvellement, en augmentant le taux de rétrocession minimal légal de l'avantage fiscal, lorsque l'investissement est réalisé par une structure qui le donne en location à l'entreprise exploitante ou encore en prévoyant, pour le logement social, que les acquisitions ou constructions de logements doivent être financées par un montant minimal de subvention publique.

Malheureusement, cet imbroglio juridique est rendu encore plus compliqué avec l'instauration de deux nouveaux dispositifs dont l'objet principal est d'attribuer directement l'avantage fiscal à l'exploitant, ou aux organismes de logements sociaux, ultra-marins. Il s'agit, encore une fois, d'un régime immobilier spécial... Ces nouveaux dispositifs prendraient la forme de deux crédits d'impôt applicables pour l'un aux investissements productifs (CGI, art. 244 quater W, nouveau), pour l'autre aux investissements dans le logement social (CGI, art. 244 quater X, nouveau). Ces crédits d'impôt reprendraient les principales caractéristiques des mécanismes d'aides fiscales à l'investissement outre-mer actuellement applicables, notamment en matière de secteurs éligibles, d'assiette, de fait générateur, d'agrément et de conditions de reprise de l'avantage fiscal, ou, pour le logement social, en ce qui concerne les conditions qui doivent être satisfaites par les logements et les modalités de location auprès des personnes qui les occupent, ou encore en ce qui concerne l'assiette, le fait générateur, l'agrément et les conditions de reprise de l'avantage fiscal. Une répétition donc. Il n'est pas utile d'aller plus avant dans l'examen de ces deux crédits d'impôt, dont la complexité générera sûrement de nombreux amendements et de nombreux débats. Il y a fort à parier que les régimes finaux seront forts différents de ceux proposés dans le projet de texte.

Lutte contre l'optimisation fiscale au titre des produits hybrides et de l'endettement artificiel (article 14)

Les produits hybrides (qui permettent une double exonération) sont la cible de l'OCDE (voir le rapport de mars 2012 de l'Organisation) et des droits nationaux.

Le projet de loi de finances pour 2014 s'intègre dans cette logique en supprimant la déduction des intérêts d'emprunts versés à des sociétés liées lorsque ces mêmes intérêts ne sont pas soumis chez l'entreprise prêteuse à une imposition au moins égale au quart de celle déterminée dans les conditions de droit commun, que cette entité prêteuse soit ou non résidente de France. De plus en plus, cette technique fiscale d'imposition en cas de non-imposition dans l'entreprise partenaire, courante en matière de fiscalité internationale (la plupart des conventions fiscales prévoient que si un revenu n'est pas imposé dans un Etat, il l'est dans l'autre), se répand, et cet article 14 en est un nouvel exemple. Originalité de la mesure : il s'applique aussi en fiscalité interne, puisque l'entreprise partenaire doit être soumise à l'impôt, qu'elle soit ou non résidente de France. Cette mesure ne porte pas le flanc à la critique, l'objectif étant de lutter contre les montages artificiels qui, s'ils sont très pratiques, et relèvent de l'habileté fiscale (et non pas de l'abus de droit), n'e restent pas moins artificiels.

Mesures de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales : prix de transfert (article 15)

Les prix de transfert n'ont pas été mis sur le devant de la scène française depuis quelques temps, les intérêts et la sous-capitalisation ayant eu la part belle de l'attention du législateur pendant de nombreux mois. L'OCDE est restée très active en ce domaine (pour s'en convaincre, lire N° Lexbase : N8694BT8). Dans la lignée des progrès de l'Organisation dans ce domaine, l'article 15 prévoit que lorsque, postérieurement au transfert de fonctions ou de risques à une entreprise liée (opérations dites de "business restructuring"), son excédent brut d'exploitation est réduit d'au moins 20 %, l'entreprise qui procède au transfert sera désormais tenue de démontrer qu'elle a bénéficié d'une juste contrepartie financière. A cet effet, elle fournira toutes les informations relatives aux entités prenant part à ces transactions permettant de justifier le juste niveau de rémunération alloué avant et après le transfert de fonctions ou de risques. C'est donc à nouveau l'arme procédurale qui est brandie : l'obligation d'information gagne du terrain chaque jour, embarrassant les entreprises, et le renversement de la charge de la preuve et cette présomption de culpabilité, qui pèse déjà sur beaucoup d'opérations effectuées avec l'étranger, s'étend, et mine le moral des entrepreneurs. Si les paradis fiscaux sont de moins en moins forts (paraît-il), les enfers fiscaux semblent devenir la norme...

III - Les mesures relatives à la TVA

Baisse du taux de TVA applicable aux entrées dans les salles de cinéma (article 7)

Le 7ème art aurait dû être le plus accessible. Or, le prix des places de cinéma ne justifie plus que l'on n'attende pas pour voir un film, ou qu'on ne le télécharge pas (légalement ou illégalement d'ailleurs). L'article 7 du projet de loi de finances pour 2014 évite la énième hausse du prix du ticket de cinéma, qui aurait dû se produire le 1er janvier 2014, par effet de l'application de l'article 68 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012. En effet, cet article porte le taux de TVA intermédiaire de 7 % à 10 % à compter du 1er janvier 2014. Il abaisse aussi le taux réduit de 5,5 % à 5 %. C'est ce dernier taux qui devrait s'appliquer aux entrées de cinéma, à compter du 1er janvier 2014. Un alignement bienvenu sur le régime de TVA des entrées dans les spectacles vivants (spectacles de théâtres et concerts). Pour autant, cette baisse sera-t-elle répercutée sur le consommateur ? Probablement autant que dans le domaine de la restauration...

Instauration de l'auto-liquidation de la TVA dans le secteur du bâtiment et création d'un mécanisme de réaction rapide en cas de risque de fraude (article 16)

La France a connu l'humiliation d'être réprimandée par la Commission en matière de fraude à la TVA. Notre pays, inventeur de la neutralité de la TVA, fier de cette trouvaille qui le place en exemple pour les autres, serait un mauvais élève. En effet, les Français sont joueurs, souvent mauvais joueurs d'ailleurs, et ne résistent que rarement à la tentation de profiter du système. La TVA offre le genre d'opportunité que seuls offrent les impôts permettant de demander un remboursement à l'Etat. Ainsi, dans une récente étude, la Commission européenne accuse la France de perdre près de 193 milliards d'euros de recettes de TVA en 2011 (lire N° Lexbase : N8623BTK), ce que la France réfute.

L'Etat français reconnaît tout de même qu'il faut endiguer la fraude à la TVA, qui est répandue. C'est ainsi que le projet de loi de finances pour 2014 prévoit l'instauration d'un mécanisme d'auto-liquidation de la TVA dans le secteur du bâtiment, afin de lutter contre la fraude à la TVA réalisée par le biais des nombreuses entreprises sous-traitantes éphémères (qui sera codifié au 2 nonies de l'article 283 du CGI N° Lexbase : L0278IW9).

De plus, un mécanisme de réaction rapide en cas de fraude dite "carrousel" à la TVA (la plus spectaculaire et lucrative ; codifiée au 2 decies de l'article 283 du CGI). Le Gouvernement rappelle que la fraude à la TVA de grande ampleur survenue en Europe en 2008-2009 sur le marché d'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre, puis celle détectée plus récemment en France sur les marchés du gaz naturel, de l'électricité et des services de communications électroniques. Elle a conduit les Etats membres à se doter d'un mécanisme de réaction rapide de lutte contre la fraude à la TVA. Adopté le 22 juillet 2013, ce mécanisme, codifié à l'article 199 ter de la Directive 2006/112/CE, relative au système commun de la TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), autorise un Etat membre à mettre en place dans son droit national un dispositif ciblé d'autoliquidation de TVA, dans un délai resserré d'un mois à compter de la notification de la mesure envisagée à la Commission européenne, pour empêcher une fraude à la TVA soudaine, massive et susceptible d'entraîner des pertes financières considérables et irréparables. Cette mesure a pour objet de donner une base légale aux mesures nationales d'autoliquidation de la TVA que la France pourrait être amenée à prendre dans l'urgence soit pour appliquer la décision de la Commission soit dans un domaine pour lequel la Directive donne la possibilité aux Etats membres d'appliquer sans autorisation préalable cette inversion du redevable. Afin de donner sa pleine portée en France à cette nouvelle procédure communautaire et de permettre une entrée en vigueur rapide de mesures nationales prises en application de celle-ci, l'article 16 permet au ministre chargé du Budget de prévoir, par arrêté, que la taxe est acquittée par l'assujetti destinataire des biens ou preneur des services lorsqu'il existe une urgence impérieuse résultant d'un risque de fraude à la TVA soudaine, massive et susceptible d'entraîner des pertes financières considérables et irréparables.

Abaissement du taux de TVA applicable à la construction et à la rénovation de logements sociaux (article 19)

L'immobilier aura eu la part belle de ce projet de loi de finances pour 2014, avec un nombre de mesures qui dépasse celui réservé aux autres matières du droit fiscal.

C'est ainsi que l'article 19 abaisse de 10 % à 5 %, à compter du 1er janvier 2014, le taux réduit de TVA applicable aux opérations de construction et de rénovation de logements sociaux, et d'accession à la propriété pour les ménages modestes.

Seront donc soumises au taux de 5 % :
- les opérations de livraisons de terrains à bâtir et les livraisons de logements sociaux neufs à usage locatif consenties aux bailleurs sociaux (organismes d'habitation à loyer modéré ou autres) ;
- les livraisons de logements sociaux destinés aux structures d'hébergement temporaire ou d'urgence ainsi que les livraisons de logements sociaux à usage locatif ou de logements à usage locatif situés en zone de rénovation urbaine destinés à l'Association foncière logement ;
- les apports des immeubles sociaux neufs aux sociétés civiles immobilières d'accession progressive à la propriété, certaines cessions de droits immobiliers démembrés de logements sociaux neufs à usage locatif, sous conditions ;
- les livraisons à soi-même d'immeubles dont l'acquisition aurait bénéficié du taux réduit en application de ces dispositions.

Par ailleurs, le bénéfice du taux réduit de 5 % est étendu aux travaux de rénovation dans les logements sociaux dont l'objet est de concourir à la réalisation d'économie d'énergie, à l'amélioration de l'accessibilité aux personnes handicapées, à la mise aux normes des logements et des immeubles, ainsi qu'à la protection des populations et des locataires.

Ces dispositions s'appliquent aux opérations dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2014 avec toutefois, des dispositions d'entrée en vigueur particulières pour certaines opérations d'ores et déjà lancées.

Enfin, concernant le dispositif de reversement de la TVA liée au non assujettissement à la TVA des livraisons d'immeubles dans les cinq ans suivant l'achèvement, réalisées par des particuliers, lorsque ces derniers ont acquis leur logement en l'état futur d'achèvement, la condition de durée de détention du bien, prévue en cas d'acquisition en zone ANRU pour bénéficier du taux réduit de la TVA, est ramené à 10 ans au lieu de 15 ans. De plus, l'abattement d'un dixième accordé par année de détention s'applique dès la première année suivant l'achèvement de l'immeuble et non plus à compter de la cinquième.

Encore un dispositif compliqué, créant des "effets d'aubaine" ponctuels, venant compliquer la fiscalité immobilière, ce qui, contrairement à ce que croient les ministres, a plutôt tendance à faire fuir les investisseurs, qui pâlissent au fur et à mesure de l'énoncé par leur conseil (sans qui ils ne comprendraient rien aux mesures) des conditions à respecter pour obtenir un avantage qui n'est parfois pas en accord avec l'investissement projeté.

IV - Les taxes diverses

Alors que les arbres commencent doucement à perdre leurs feuilles, la matière fiscale voit naître des bourgeons : le verdissement de la fiscalité serait en marche. Concession faite aux écologistes, qui n'en sont d'ailleurs pas satisfaits, dans une période de crise économique qui laisse peu de place à la sauvegarde de la planète, quand la sauvegarde de l'Etat est en jeu, le verdissement ne passera pas par la plantation de nouvelles graines : aucune nouvelle taxe n'est créée. Toutefois, les dispositifs existants sont renforcés, ou réorientés. Au passage, l'Etat récoltera ses fruits.

Aménagement des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (article 20)

Le Gouvernement part de ce constat : les taxes intérieures sur la consommation (TIC) des énergies fossiles constituent aujourd'hui la quatrième recette de l'Etat (13,7 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2013), mais leur tarif tient trop peu compte des émissions carbone liées à la combustion de ces différents produits.

Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit donc une augmentation des taux de TIC progressive et proportionnée au contenu en dioxyde de carbone (CO2) des différents produits énergétiques. La valeur de la tonne carbone, nouvel élément pris en compte dans le calcul de la taxe, sera, par tonne, de 7 euros en 2014, 14,5 euros en 2015 et 22 euros en 2016. Les produits les plus touchés seront le gaz naturel, le fuel lourd et le charbon.

Le rendement attendu de cette mesure est de 340 millions d'euros en 2014, 2,5 milliards d'euros en 2015, puis 4 milliards d'euros en 2016.

Introduction de nouvelles substances donnant lieu à assujettissement à la TGAP Air (article 21)

Cet article 21 étend l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes à sept nouvelles substances : plomb, zinc, chrome, cuivre, nickel, cadmium et vanadium. Cette mesure est prise afin de répondre aux objectifs de la Directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe (N° Lexbase : L9078H3M), en vue de réduire les nuisances liées à l'émission de ces polluants.

Suppression progressive de la défiscalisation des biocarburants et modification du régime de TGAP biocarburants (article 22)

Très simplement, l'article 22 prévoit de défiscaliser progressivement les biocarburants, en les faisant sortir de l'assiette de la taxe intérieure sur la consommation. Cette défiscalisation est progressive, car il s'agit d'abord de réduire la taxe en 2014 et 2015, et de la supprimer à compter de 2016. Par ailleurs, il est prévu de pérenniser la réduction de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) encourageant l'incorporation de biocarburants durables dans le carburant. L'article 266 quindecies du Code des douanes (N° Lexbase : L0369IWL) devrait être simplifié, pour renvoyer la liste des biocarburants éligibles à la minoration de TGAP à un arrêté interministériel de manière à permettre l'inclusion de nouveaux biocarburants, notamment les biocarburants avancés (matières ligno-cellulosiques, micro-organismes marins, etc.) au fur et à mesure de leur développement, sans recourir systématiquement à la loi. Enfin, le projet de loi vise à mettre en conformité le dispositif relatif au double comptage de certains biocarburants avec le droit de l'Union européenne.

Relèvement du taux de la taxe de risque systémique (article 23)

Wall Street, les traders, la spéculation, l'éclatement des bulles... Autant de fantasmes qui ont pu être mesurés à l'épreuve de la réalité : la crise financière a plongé le monde dans l'ambiance morose que nous connaissons depuis plus de cinq ans... Lorsque la crise a commencé, les collectivités locales se sont retrouvées en première ligne, pour avoir voulu jouer dans la cour boursière et avoir perdu. Le déficit de l'Etat a durement subi ces défaites décentralisées. Dans la série de mesures prises pour sauver les collectivités territoriales, l'Etat propose la création d'un fonds de soutien pour les collectivités locales, doté de 100 millions d'euros par an pendant une durée maximale de 15 ans. L'Etat, responsable de ses collectivités, supportera la charge de ce fonds, avec le secteur bancaire, violemment pointé du doigt et tenu pour être la cause de crises dont les fondements échappent à la majorité des gens qui en subissent les conséquences. Ainsi, le secteur bancaire va connaître un relèvement de la taxe de risque systémique (CGI, art. 235 ter ZE N° Lexbase : L9631IXY), dont le taux passerait de 0,50 % à 0,529 %.

En conclusion, le Gouvernement a promis une pause fiscale qui n'existe pas. Tout le monde est concerné par les hausses d'impôt, certains par les baisses. Ces mesures s'ajoutent, en outre, à celles déjà prises antérieurement et qui entreront en vigueur au 1er janvier 2014 (lire, Projet de loi de finances pour 2014 : potins autour de la "pause fiscale", première partie de l'article, Lexbase Hebdo n° 539 du 11 septembre 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N8437BTN). Il n'est pas question de remettre en cause le prélèvement de l'impôt, et l'augmentation ponctuelle de cet impôt en cas de difficultés passagères. Mais le "ras-le-bol" fiscal est une réalité, et l'exode fiscal une conséquence.

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Procédure administrative

[Chronique] Chronique de contentieux administratif - Octobre 2013

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N8704BTK

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 03 Octobre 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un "énième" décret modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative en date du 13 août 2013 pris en catimini pendant l'été pour faire face à l'émergence des nouveaux contentieux de masse devant le juge administratif. L'arbitrage opéré par le Gouvernement fait la part belle à la célérité de la procédure au détriment de l'exercice effectif des droits fondamentaux (décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du Code de justice administrative (partie réglementaire)). La deuxième partie de la chronique traite d'un arrêt du Conseil d'Etat qui détermine les conditions nécessaires à remplir pour que le pourvoi en cassation d'une personne intervenue volontairement en appel, qui n'est donc pas partie principale, soit déclaré recevable. Il faut en l'occurrence que la décision rendue en appel préjudicie bien aux droits de la personne intervenue en appel (CE 4° et 5° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 347089, mentionné aux tables du recueil Lebon). Pour terminer, un arrêt, toujours du Conseil d'Etat, établit pour la première fois une exception à la jurisprudence "Danthony" mettant en place un contrôle concret du juge quant à l'appréciation de l'importance des vices de procédure comme moyen d'annulation. Le Conseil d'Etat annulant automatiquement, en l'espèce, pour défaut de saisine, des dispositions réglementaires dont le projet devait lui être obligatoirement soumis (CE 1° et 6° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 358109, publié au recueil Lebon).
  • Généralisation du juge unique et suppression concomitante des juridictions d'appel : un équilibre très difficile à atteindre entre impératifs budgétaires et garanties des justiciables (décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du Code de justice administrative (partie réglementaire) N° Lexbase : L7180IX9)

La justice, et la justice administrative en particulier, s'estime aujourd'hui plus ou moins engorgée ou saturée par l'ampleur des dossiers en souffrance et l'émergence de nouveaux contentieux de masse. Parmi ceux-ci, on peut citer la vague de recours en partie portée par le DALO (droit au logement opposable) (1), le contentieux du permis de conduire avec l'avalanche de plaintes concernant les points retirés (11 000 affaires en 2011), les contentieux sociaux avec les caisses de Sécurité sociale concernant le versement du RSA ou d'autres droits sociaux, les pensions de retraites (8 500 dossiers en 2011), les contentieux fiscaux liés aux mesures gracieuses à la disposition de l'administration, voire enfin l'accès aux documents administratifs ou le contentieux lié à la situation des étrangers entrés ou voulant entrer en France (2).

Les données du problème sont toujours les mêmes : alors que, parallèlement, la justice administrative s'est engagée à raccourcir les délais de traitement des affaires afin de parvenir à passer sous la barre des un an, elle doit faire face un accroissement des contentieux alors qu'il existe surtout un manque chronique de moyens matériels et humains. Le Gouvernement doit, en l'occurrence, procéder à un arbitrage entre le fait, d'un côté, de favoriser la célérité, la rapidité des procédures et le désengorgement des tribunaux et le fait, de l'autre côté, de ne pas mettre en péril l'exercice effectif des droits fondamentaux des citoyens, au premier rang desquels figure le droit à une justice équitable, impartiale et égale pour tous. Il semble qu'avec le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 (3), les nécessités de l'équilibre budgétaire l'emportent, pour une grande partie, sur les garanties des justiciables. Le décret a, à ce sujet, très tôt fait l'objet de nombreuses polémiques au sujet des remèdes apportés (4), polémiques qui ne sont pas réellement compensées par les nouvelles garanties offertes par le décret.

Le remède essentiel apporté à la réduction des contentieux par le décret tient à la généralisation du juge unique dans certaines procédures afin de faire baisser le nombre des affaires, et à la suppression concomitante des juridictions d'appel pour les contentieux routiers, sociaux et fiscaux. En effet, dans son bilan d'activité 2012 (5), le Conseil d'Etat relève que, pour la justice administrative, si les délais ont fortement baissé s'agissant du délai moyen des affaires (passées de 1 an, 1 mois et 4 jours en 2011 à 11 mois et 14 jours en 2012), la différence avec le délai moyen des affaires ordinaires (2 ans, 18 jours en 2011 à 1 an, 10 mois et 6 jours en 2012) permettant de mesurer le désengorgement des tribunaux, repose, en définitive, quasiment exclusivement sur l'accélération des procédures à juge unique ou par ordonnance par rapport au traitement des dossiers sous forme collégiale.

Les dispositions relatives aux contentieux sociaux, pour commencer, feront désormais l'objet d'un chapitre spécifique au sein du Code de justice administrative (CJA, art. R. 772-5 N° Lexbase : L0819IYY à R. 772-9), les litiges étant définis comme "les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi". Les contentieux sociaux sont ajoutés à la liste des matières qui peuvent être soumises à un magistrat statuant seul (CJA, art. R. 222-13 N° Lexbase : L0863IYM), à celles qui peuvent faire l'objet d'une dispense de conclusions du rapporteur public (CJA, art. R. 732-1-1 N° Lexbase : L0864IYN) et à celles sur lesquelles le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort (CJA, art. R. 811-1 N° Lexbase : L0865IYP).

C'est cette triple dérogation procédurale faite au détriment des populations les plus fragiles qu'ont notamment contesté les syndicats de magistrats administratifs. Les garanties d'instruction (par le rapporteur public) et de délibéré par la formation collégiale ne sont plus offertes au justiciable. Le retrait du second degré de juridiction désengorge effectivement les juridictions d'appel, mais implique pour les plaignants de ne pouvoir porter ensuite leur affaire qu'en cassation devant le Conseil d'État. Plus généralement, porter l'affaire devant le Conseil d'Etat interdit un second jugement sur les faits, celui-ci jugeant uniquement sur le fond du droit dans des contentieux où les circonstances de fait sont pourtant centrales. Par ailleurs, le ministère d'un avocat au Conseil sera alors obligatoire, or il est en pratique beaucoup plus cher qu'un avocat ordinaire. Cela introduit de facto une justice à deux vitesses, en privant d'un second examen de leur cas les personnes les plus fragiles, pour des chances de réussite extrêmement faibles. Mais la priorité est de faire face au risque d'accroissement des contentieux. Les contentieux, sociaux notamment, présentent un risque de croissance très important dans les prochaines années.

En dehors des contentieux sociaux, le décret revoit également les listes des litiges soumis au juge unique et de ceux insusceptibles d'appel. Le magistrat statuant seul devient compétent en matière de permis de conduire et sur le contentieux indemnitaire des refus de concours de la force publique. Dans la liste des litiges insusceptibles d'appel sont ajoutés, outre les contentieux sociaux, celui du permis de conduire, ainsi que les ordonnances de référé-provision portant sur un litige figurant dans la liste. Concernant le contentieux du permis de conduire, avocats et associations de défense dénoncent, tout comme à propos des contentieux sociaux, un traitement discriminatoire visant à faire baisser le nombre de procédures pour retrait de points, invalidation ou suspension de permis de conduire au détriment des droits élémentaires des justiciables. Mais, toujours comme les contentieux sociaux, il faut relever l'augmentation soutenue du nombre de contentieux liés au permis de conduire dont la croissance est directement corrélée au déploiement des radars (près de 11 000 affaires en 2011).

A noter que, de façon assez paradoxale, si dans l'ensemble le décret favorise ou encourage la procédure "accélérée" du juge unique, sans possibilité d'appel, les agents publics, eux, profitent, au contraire, du retour de la collégialité pour l'essentiel du contentieux relatif à la situation individuelle des fonctionnaires et des autres agents publics. Ainsi, l'article R. 222-13 prévoyait que le juge unique était compétent sur les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l'Etat et des autres personnes ou collectivités publiques sauf pour les litiges concernant : l'entrée au service, la discipline, la sortie du service. Désormais et à compter du 1er janvier 2014, le juge unique ne sera plus compétent que pour les litiges relatifs : à la notation ou à l'évaluation professionnelle, aux sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre des fonctionnaires et agents publics qui ne requièrent pas l'intervention d'un organe disciplinaire collégial. Si la distinction entre les différents personnels du service public a été gommée et n'est plus désignée que par le terme de fonctionnaire ou d'agent public en général (englobant une plus grande part des personnels que dans la rédaction antérieure), les nouvelles dispositions réduisent la compétence du juge unique au profit des formations collégiales. Autre nouveauté, le contentieux des pensions de retraite est désormais tranché en premier et dernier ressort par le tribunal administratif, avec suppression de la possibilité d'appel en cas de demande indemnitaire (CJA, art. R. 811-1), alors que l'appel est en revanche étendu à tout le contentieux de la fonction publique (6). Une nouvelle voie de recours est en conséquence ouverte en droit de la fonction publique dans le cadre du simple recours pour excès de pouvoir.

Autre source de polémique, l'attribution des compétences de premier et dernier ressort aux cours administratives d'appel concernant trois matières. Toutes les cours administratives d'appel devraient d'abord connaître des décisions de la Commission nationale d'aménagement commercial (7). Cette disposition rallonge, pour certains, le délai de traitement contentieux des autorisations d'exploitation commerciale en dépit d'une volonté forte et affirmée d'accélérer la réalisation des projets de constructions, notamment par l'encadrement des règles de procédure contentieuses applicables en droit de l'urbanisme et la prévention des contestations dilatoires ou abusives (8). En tout cas, elle revient sur la modification précédente de confier au Conseil d'Etat cette compétence en premier et dernier ressort qui était justement motivée par des objectifs déclarés de raccourcissement des délais contentieux et de sécurisation juridique par l'homogénéité du droit sur l'ensemble du territoire national (9). Enfin, la seule cour administrative d'appel de Paris se voit attribuer les recours contre les arrêtés du ministre du Travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales et contre une partie des décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CJA, art. R. 311-2 N° Lexbase : L1890IUK).

Pour terminer, il existe des dispositions dans le décret qui ne font pas l'objet de polémiques. Par exemple, la refonte des règles d'établissement des tableaux d'experts devant les juridictions administratives rend obligatoire l'établissement d'un tableau auprès de chaque cour administrative d'appel. Le décret fixe les conditions d'inscription des experts aux tableaux et en organise la procédure en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. La Cour de justice avait notamment objecté, à la suite d'une question préjudicielle posée par la Cour de cassation, que les modalités d'établissement des listes d'experts n'étaient pas conformes à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) (10). Jusqu'à présent, un seul article faisait référence à l'établissement des tableaux d'experts par les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs (CJA, art. R. 222-5 N° Lexbase : L2794AL3). Cet article est remplacé par la section 4 du chapitre 1er du titre II du livre II du Code de justice administrative (CJA, art. R. 221-9 N° Lexbase : L0824IY8 à R. 221-21 CJA). Autre disposition à remarquer dans le décret, celle qui modifie la deuxième phrase de l'article R. 751-7 (N° Lexbase : L0880IYA) pour prévoir que les tiers peuvent se faire délivrer une copie simple d'une décision ayant fait l'objet, le cas échéant, d'une anonymisation. La version antérieure ne mentionnait pas l'anonymisation et elle précisait que cette délivrance avait lieu aux frais du tiers. La délivrance d'une copie de jugement à un tiers sera désormais gratuite puisque transmise par voie électronique.

Au final, si on peut dire que l'histoire de la justice administrative se confond avec celle de son encombrement et ainsi, par voie de conséquence, avec celle de son combat contre sa lenteur, la recherche de la célérité et son adaptation au contentieux de masse, si nécessaire soit-elle, ne doit pas faire en sorte que ce soit les justiciables qui en payent le plus lourd tribut. Cela affecte la qualité de la justice rendue et cela se réalise au prix d'une limitation toujours plus importante de l'accès au juge. La canalisation des flux et de l'abondance de recours est certes nécessaire, mais elle doit toujours se réaliser à travers un équilibre avec le strict respect du droit d'accès effectif au juge. Il semble, en ce sens, que le Gouvernement soit allé un peu trop loin, cette fois-ci, pour satisfaire ces impératifs budgétaires.

  • La personne intervenue volontairement en appel ne peut se pourvoir en cassation parce qu'elle ne justifie pas de l'existence d'un droit lésé (CE 4° et 5° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 347089, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0032KKE)

Les arrêts rendus par les cours administratives d'appel et, de manière générale, toutes les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions administratives peuvent être déférées au Conseil d'Etat par la voie du recours en cassation. Le juge de cassation, juge du droit, restreint néanmoins le pourvoi aux seules parties à l'instance. Les parties ou les personnes représentées devant le juge d'appel sont seules recevables à se pourvoir en cassation (11). Toutefois, il existe des procédures qui permettent à un tiers de former une demande qui vient se greffer sur un recours contentieux pendant devant la juridiction administrative et la question se pose des conditions et possibilités de pouvoir faire appel ou se pourvoir en cassation à ce titre.

L'intervention peut-être forcée, c'est-à-dire que l'une des parties au litige (requérant ou défendeur) demande au juge d'ordonner l'intervention d'un tiers. L'intervention peut-être volontaire, lorsque le tiers intervient spontanément dans la procédure engagée, c'est d'ailleurs le cas le plus fréquent. Ce sont les exigences du contradictoire, la nécessité de régler par une même décision toute une série de contentieux annexes au litige principal qui justifient que des personnes extérieures à l'instance puissent prendre part, de leur propre initiative, aux discussions contentieuses. En ce qu'elle contribue à éclairer l'objet du litige, l'intervention est soumise à un régime libéral (12), mais elle ne doit pas conduire le juge à s'écarter de cet objet et est en ce sens strictement bornée.

Depuis 1959, le juge a ouvert la voie de l'appel à la personne qui intervenue en défense ou en demande dans le cadre d'un contentieux d'excès de pouvoir, justifie, dans des conditions définies par le juge, d'un lien avec le procès plus ferme que celui invoqué pour intervenir (13). Dans un arrêt plus récent (14), c'est la voie de la cassation qui est alors offerte à l'intervenant présent en appel, plus précisément à celui s'associant au défendeur. L'exercice de la cassation par l'intervenant en défense devant la cour administrative d'appel est subordonné d'abord à deux conditions classiques : l'intervention en appel doit d'abord avoir été régulière et l'intervenant doit ensuite avoir un intérêt à se pourvoir en cassation, cet intérêt étant clairement déterminé à partir du moment où, comme le précise le Conseil d'Etat, l'arrêt d'appel a été rendu contrairement aux conclusions de l'intervention. La dernière condition, fondamentale, est celle qui permet au juge de distinguer parmi les intervenants ordinaires, ceux qui, en réalité, sont de véritables parties à l'instance, qualité nécessaire pour se pourvoir en cassation. Pour ce qui concerne l'intervenant en défense devant la cour administrative d'appel, cette qualité lui est reconnue lorsqu'il justifie d'un droit auquel préjudicie l'arrêt d'appel soit, selon la formule du Conseil d'Etat, quand l'intervenant aurait eu "qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l'arrêt faisant droit à l'appel". A travers une jurisprudence constante, le Conseil d'Etat, pour qualifier cette situation, s'assure que la décision rendue en appel préjudicie bien au droit de la personne intervenue en appel.

C'est le cas encore dans la décision d'espèce. Il ressort ainsi des éléments du dossier qu'une communauté d'agglomération avait créé une zone d'aménagement concertée et planifié des aménagements afin d'accueillir le supermarché et la galerie marchande prévue par une société. Le tribunal administratif avait annulé la décision d'autorisation de la commission départementale d'équipement commercial et l'appel interjeté par la société, au soutien duquel était intervenue la communauté d'agglomération, avait été rejeté. Saisi d'un pourvoi par la communauté d'agglomération, le Conseil d'Etat rappelle donc tout d'abord sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle : "la personne qui est régulièrement intervenue devant la [cour administrative d'appel] n'est recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu contrairement aux conclusions de son intervention que lorsqu'elle aurait, à défaut d'intervention de sa part, eu qualité pour former tierce opposition contre la décision du juge d'appel". Puis il estime, en l'espèce, que la communauté d'agglomération "ne justifie pas de ce que la décision rendue par le juge d'appel aurait préjudicié à ses droits" et que, dès lors, "elle n'aurait pas eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l'arrêt attaqué et est, par suite, irrecevable à se pourvoir en cassation".

Il y a là application d'une jurisprudence classique dans l'exigence du droit lésé qui s'apprécie comme en matière de tierce opposition ; or cette dernière est rarement reconnue recevable et aboutit encore plus rarement à un nouveau jugement contraire au précédent. L'évolution jurisprudentielle va pourtant dans le sens d'une conception très extensive de la notion de droit lésé. On peut citer, par exemple, le fait que préjudicie aux droits d'une commune l'arrêt du Conseil d'Etat qui annule une déclaration d'utilité publique dont était bénéficiaire cette commune (15). De même, préjudicie aux droits d'un département bénéficiaire de la cession gratuite de terrains prévue par un permis de construire le jugement qui réduit l'étendue de cette obligation (16). Le juge retient encore le fait que préjudicie aux droits de la société devenue propriétaire des terrains d'assiette d'un projet immobilier ayant fait l'objet d'un permis de construire l'arrêt qui annule ce permis (17).

Mais cette évolution n'empêche pas le fait que les hypothèses où l'existence d'un droit lésé n'a pas été retenue sont sans doute plus nombreuses que celles où l'existence d'un droit lésé a été retenue et, si possible, encore plus contingentes et donc inclassables que les hypothèses d'admission. La notion de droit lésé est, en effet, plutôt susceptible d'interprétations contingentes et diverses plutôt que l'objet d'une définition générale. Le juge définit de manière casuistique le "droit lésé". Dans un sens défavorable, on peut citer l'annulation par une décision juridictionnelle d'un certificat d'urbanisme négatif qui ne rend pas le demandeur titulaire d'un certificat positif et ne crée aucun droit à son profit. Une telle annulation ne saurait, dès lors, préjudicier à des droits détenus par les tiers qui, par suite, ne sont pas recevables à former tierce opposition contre elle (18). De même, ne sont pas recevables à former tierce opposition contre une décision du Conseil d'Etat déclarant qu'une portion d'un chemin ne constituait pas une dépendance du domaine public communal, les propriétaires de terrains riverains de la portion du chemin en cause et dont l'accès à leur parcelle ne dépend pas du passage par cette portion (19).

Enfin, pour un cas similaire de non-recevabilité d'un intervenant en appel à se pourvoir en cassation, on peut citer l'exemple d'une association locale spécialisée dans la lutte contre les "gaspillages locaux" qui justifiait d'un intérêt au maintien de l'annulation par le tribunal administratif de la décision de préempter un important domaine foncier et était, ainsi, recevable à intervenir en défense devant la cour administrative d'appel au soutien des acquéreurs évincés. Mais le maintien en appel de la décision de préemption ne faisant obstacle ni à ce qu'elle exerce un droit, ni à ce qu'elle en bénéficie, son pourvoi en cassation est déclaré irrecevable (20).

Au final, l'on peut juger sévère cette jurisprudence du juge dans l'accès au prétoire mais elle permet d'éviter à des personnes faiblement impliquées dans le contentieux de prendre la direction du procès et donc au Conseil d'Etat de déroger au principe de l'immutabilité de l'instance, la tournure du procès échapperait alors aux parties principales à ce stade ultime de la procédure. Le prolongement de l'instance principale en instance en cassation ne peut, en effet, que renforcer l'immutabilité du litige.

  • Le défaut de saisine du Conseil d'Etat entraîne l'illégalité des actes administratifs dont le projet devait lui être obligatoirement soumis (CE 1° et 6° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 358109, publié au recueil Lebon)

Le vice de procédure est l'un des plus anciens cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. Il vise à sanctionner l'administration lorsqu'elle ne respecte pas une formalité préalable à l'adoption d'un acte administratif, formalité destinée à éclairer l'auteur de l'acte ou à apporter des garanties aux administrés. Les annulations pour vices de procédure ont toujours paru exagérément formalistes dans le contentieux administratif. Mais si c'est la conception "objective" du recours pour excès de pouvoir qui commande, en effet, de sanctionner tout écart entre l'acte et la règle de droit, le juge administratif s'est toujours montré assez soucieux de se démarquer de cette image très rigide du contentieux d'excès de pouvoir. Il a, par exemple, fait preuve de pragmatisme en mettant en place, assez tôt, la distinction entre les vices à caractère substantiel et les vices à caractère accessoire, seule l'irrégularité affectant les vices à caractère substantiel étant de nature à entraîner l annulation de l'acte. Il n'y aura lieu à sanctionner l'irrespect de la forme prescrite que si, effectivement, ce manquement retentit, d'une manière ou d'une autre, sur le but en vue duquel ladite forme a été instituée. Dans l'un et l'autre cas, le juge ne se penche ni sur la nature du vice dont la formalité est entachée, ni sur son influence effective sur le sens de la décision. Le juge privilégie la méthode in abstracto consistant à apprécier la formalité par elle-même. En fonction du caractère plus ou moins déterminant du rôle que le juge lui accorde dans le processus de fabrication de l'acte, la formalité est qualifiée de substantielle ou de non substantielle. Cette distinction établie, le juge en tire alors mécaniquement les conséquences.

La distinction entre les deux catégories de vice est essentiellement une question d'espèce qui laisse un pouvoir considérable au juge qui fait souvent ici oeuvre prétorienne et, malgré cette distinction, dans bien des cas, l'annulation des actes administratifs pour non respect d'une formalité substantielle, continue d'apparaître comme exagérément formaliste. De plus, un mode d'appréciation in concreto a coexisté, petit à petit, avec le premier mode d'appréciation. Dans ce cas là, le juge, se dispensant de classification a priori, n'apprécie pas la formalité par elle-même mais le vice, ainsi que ses effets. Cette méthode concrète concernait aussi les formalités obligatoires sans que l'on puisse déterminer ce qui dictait le choix du juge en faveur de l'une ou l'autre méthode. La ligne de partage devenant très floue, le droit positif souffrait d'une indétermination chronique que le législateur a alors tenté de supprimer en faisant un nouveau pas vers plus de pragmatisme à travers la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9) (21), dont l'article 70 dispose dorénavant, dans le domaine particulier des consultations, que "lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision".

L'Assemblée du contentieux a estimé qu'il fallait aller encore plus loin et couvrir un plus large spectre d'hypothèses en dégageant, à travers sa jurisprudence et de façon très déterminée, un principe général : "si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie" (22).

On a vu que la jurisprudence précédente combinait d'une façon assez compliquée deux clivages, respectivement entre formalités obligatoires et facultatives et entre formalités substantielles et non substantielles aux contours particulièrement difficiles à saisir, l'ensemble offrant peu de garanties en matière de sécurité juridique. Le nouveau système met en place un contrôle concret auquel le juge administratif devra maintenant se livrer. Le législateur impose au juge d'examiner, dans chaque cas, la situation qui est portée devant lui et les conséquences réelles qu'a pu avoir l'irrégularité constatée. La distinction qui parfois était faite selon que l'irrégularité concernait une procédure obligatoire ou facultative est abandonnée, quelle que soit l'hypothèse, la règle est désormais la même. Le principe pourra également s'appliquer en cas d'omission d'une procédure obligatoire, "à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet la compétence de l'auteur de l'acte" (ce qui sera le cas, par exemple, des avis conformes).

L'observation de la pratique qui a suivi la jurisprudence "Danthony" (23) a tout de suite pu mettre en avant le champ d'application très large de cette jurisprudence. Comme peuvent le relever Xavier Domino et Aurélie Bretonneau, "c'est ainsi non seulement les consultations préalables qui sont concernées, domaine de prédilection des annulations parfois vilipendées comme inutiles et platoniques, mais également toutes les procédures préalables à l'édiction d'un acte ou d'une prise de décision [...]" (24). Pour autant, il peut exister des exceptions à ce constat de généralité d'application de cette nouvelle jurisprudence, ce dont témoigne l'arrêt d'espèce.

Il ressort des éléments de fait qu'un décret a été pris en application d'une loi relative à l'organisation de la médecine du travail. Ce décret a, notamment, inséré dans le Code du travail des articles relatifs à l'établissement par le médecin du travail d'une fiche d'entreprise ou d'établissement, des articles relatifs au rapport annuel d'activité du médecin du travail, un article relatif au dossier médical en santé au travail et, enfin, un article relatif à la participation du médecin du travail aux recherches, études et enquêtes entrant dans le cadre de ses missions. L'ensemble de ces dispositions ainsi introduites ayant pour objet de préciser les modalités d'action des personnels concourant aux services de santé au travail, elles devaient, par suite, être prises par décret en Conseil d'Etat en application de l'article L. 4624-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8081IQD). Le Conseil d'Etat n'ayant pas été saisi du projet de texte les concernant, les articles sont entachés d'illégalité et, par suite, le syndicat national des professionnels de santé au travail est fondé à demander l'annulation du décret en cause en tant qu'il insère dans le Code du travail les dispositions entachées d'illégalité.

Sanction sans nuance donc pour le Conseil d'Etat : si la loi prévoit un décret en Conseil d'Etat pour ses conditions d'application et si le texte règlementaire est adopté sans saisine de ce dernier, le règlement est illégal. Cette illégalité est même d'ordre public et le juge doit donc, au besoin, la soulever d'office. Cette décision a été prise eu égard au rôle particulier du Conseil d'Etat en matière consultative tel qu'il découle de l'article L. 112-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3836IES) (24) et qui s'analyse comme un rôle actif, qui s'attache à la forme mais aussi au fond du texte adopté à l'issue de la procédure.

Pour autant, l'irrégularité établie suite à cette absence de consultation concernant le Conseil d'Etat se présente comme un refus d'application voire un désaveu de la jurisprudence "Danthony". Le Conseil d'Etat ne réservant pas aux procédures qui le concernent le même sort que les autres. L'application de la jurisprudence "Danthony" s'est pourtant faite depuis deux ans à travers un souci d'acclimatation aux spécificités procédurales très fortes qui marquent certains pans de l'action administrative, témoignant ainsi d'une grande cohérence dans la jurisprudence et d'une volonté de ne laisser échapper aucune irrégularité de procédure.

On peut citer, par exemple, une affaire où un ministre avait omis de publier au Journal officiel son intention d'abroger un arrêté d'extension d'une convention collective. Cette publication a pour objet de permettre aux organisations et personnes intéressées de faire connaître leur observation sur le projet. Avant de sanctionner un manquement de cette nature, le juge administratif vérifie désormais s'il y a eu une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie (26). De même, très tôt après la jurisprudence "Danthony", il a pu être jugé, dans le contentieux fiscal, qu'une irrégularité dans la procédure d'imposition demeure sans conséquence sur le bien fondé de cette dernière s'il est établi que, n'ayant privé le contribuable d'aucune garantie, elle n'a pu avoir d'influence sur la décision de redressement (27). Enfin, une application a également été faite dans le contentieux des "procédures lourdes" liées à une déclaration d'utilité publique concernant les formalités de publicité de l'ouverture de l'enquête publique préalable à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'avis au public doit être publié huit jours avant le début de l'enquête et rappelé dans les huit premiers jours du début de celle-ci dans deux journaux régionaux et locaux. Si ces prescriptions sont méconnues, le juge administratif n'en déduit la nullité de la décision d'expropriation qu'après avoir apprécié les conséquences de cette irrégularité formelle. Il n'y a annulation, précise le Conseil d'Etat, que si le manquement a nui à l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou s'il a exercé une influence sur les résultats de l'enquête et donc sur la décision prise (28).

On peut dire, au final, que la jurisprudence "Danthony", au-delà des querelles et critiques, a permis un contrôle du respect du principe de légalité plus réaliste et moins automatique qu'auparavant tout en apportant plus de cohérence et d'unification à l'office du juge dans ces méthodes d'examen. Il ne faudrait peut-être pas repartir dans les travers de l'ancienne jurisprudence en apportant, à nouveau, trop d'exceptions à une jurisprudence désormais bien établie. Le chemin sur lequel s'engage le juge n'est pas nécessairement facile, mais les principes de grande valeur qui l'ont conduit à s'y engager devraient lui permettre de surmonter, a priori, la plupart des obstacles rencontrés.


(1) Introduit en France par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (N° Lexbase : L5929HU7) (JO, 6 mars 2007, p. 4190). L'observatoire des inégalités dans son rapport annuel sur l'exercice du DALO met en exergue un contentieux administratif à flux tendu : près de 2  831 recours pour excès de pouvoir déposés entre le 1er septembre 2011 et le 1er septembre 2012 et 2 400 jugements rendus dont 88 % rien qu'en Île-de-France, sur la même période.
(2) Voir en ce sens, l'article de Samuel Frédéric Servière, Justice administrative, attention à l'éloignement du justiciable, Ifrap.
(3) Décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire) (JO, 15 août 2013, p.13960).
(4) Tant du côté des avocats (notamment l'Automobile club des avocats), que du côté des organisations syndicales de magistrats administratifs, notamment au travers des représentants du SJA (syndicat de la juridiction administrative) et de l'USMA (l'union syndicale des magistrats administratifs).
(5) Conseil d'Etat, Bilan d'activité 2012, p. 32, Evolution du stock d'affaires traitées et en souffrance.
(6) Précédemment et jusqu'en janvier 2014, la voie de l'appel est ouverte uniquement lorsque la contestation d'une décision est assortie d'une demande indemnitaire au-delà d'un certain seuil.
(7) La cour administrative d'appel compétente étant celle dans le ressort de laquelle siège la commission départementale qui a pris la décision d'origine.
(8) Cf. notamment la loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013, habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction (N° Lexbase : L2703IXE) (JO, 2 juillet 2013, p. 10985).
(9) Décret n° 2011-921 du 1er août 2011, modifiant le Code de justice administrative (partie réglementaire) (N° Lexbase : L8882IQZ) (JO, 3 août 2011, p. 13237).
(10) CJUE, 17 mars 2011, aff jointes C-372/09 et C-373/09 (N° Lexbase : A0093HCG).
(11) CE, 6 février 1931, Syndicat normand de la filature de coton, Rec. CE, p. 154 ; CE, 30 juillet 1949, Faucon, Rec. CE, p. 409 ; CE, 19 février 1951, Delaiville et Association syndicale des biologistes pharmaciens, Rec. CE, p. 99.
(12) L'intervenant est, par exemple, affranchi d'un certain nombre de contraintes, notamment en matière de délais (CE, S., 16 décembre 1994, n° 105798, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4003AS3, Rec. CE, p. 563) et dispose de quelque latitude pour développer son argumentation puisqu'il peut présenter des moyens propres, distincts de ceux produits par les parties principales (CE, Ass., 7 février 1958, Syndicat des propriétaires de forêts de chênes-lièges d'Algérie, Rec. CE, p. 74).
(13) CE, S., 9 janvier 1959, De Harenne, Rec. CE, p. 23.
(14) CE 5° et 7° s-s-r., 3 juillet 2000, n° 196259, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2365B7Q).
(15) CE 10° et 7° s-s-r., 9 février 1994, n° 136530, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9994ARL), Rec. CE, Tables, p. 1154.
(16) CE 2° et 6° s-s-r., 29 décembre 1999, n° 177074, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4880AXZ).
(17) CE 3° et 8° s-s-r., 22 février 2002, n° 190696, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1757AYQ), Rec. CE, p. 62.
(18) CE 9° et 10° s-s-r., 5 avril 2006, n° 275742, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9506DNE), Rec. CE, Tables, p. 1042.
(19) CE, S., 16 décembre 2005, n° 268872, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1046DMP).
(20) CE, S. 26 février 2003, n° 231558, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3418A7Q), DA, 2003, n° 8, comm. n° 178, C. Broyelle.
(21) Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9) (JO, 18 mai 2011, p. 8537).
(22) CE Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M), Rec. CE, p. 649.

(23) CE Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon, préc..
(24) X. Domino et A. Bretonneau, Jurisprudence Danthony : bilan après 18 mois, AJDA, 2013, p. 1733.
(25) La Haute assemblée "participe à la confection des lois et ordonnances". Elle donne son avis sur les projets de texte et "propose les modifications qu'il juge nécessaires".
(26) CE 1° et 6° s-s-r., 19 juin 2013, n° 352898, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2100KHA).
(27) CE, S., 16 avril 2012, n° 320912, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8471IIL).
(28) CE 1° et 6° s-s-r., 3 juin 2013, n° 345174, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3359KGI).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] De la nature de l'avantage résultant d'un usage d'entreprise, modifié avec l'accord des salariés

Réf. : Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-15.328, F-D (N° Lexbase : A4812KLS)

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N8754BTE

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 03 Octobre 2013

Composantes importantes du statut collectif applicable aux salariés, les usages d'entreprise sont assimilés par la Cour de cassation à des engagements unilatéraux de l'employeur. Cette qualification a pour conséquence première d'autoriser ce dernier à supprimer ou modifier l'avantage résultant d'un usage de manière unilatérale, sous réserve d'en avertir les salariés concernés et les représentants du personnel et de respecter un délai de prévenance suffisant. Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rendu le 18 septembre 2013, l'employeur avait, curieusement, recherché un accord avec ses salariés afin de modifier un avantage résultant d'un usage. Condamné pour n'avoir pas respecté de délai de préavis à leur égard, il soutenait que cette obligation ne lui était pas applicable puisque, précisément, il n'avait pas, à proprement parler, modifié unilatéralement l'usage. Cette argumentation n'aura pas convaincu la Cour de cassation, qui affirme "qu'un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification".
Résumé

Un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification. Un tel usage ne peut être dénoncé sans respecter un délai de prévenance.


Observations

I - Qualification et remise en cause de l'usage d'entreprise

La qualification de l'usage d'entreprise. L'usage d'entreprise correspond à une pratique existante dans une entreprise particulière. Toutefois, on sait qu'une telle pratique ne peut être qualifiée d'usage que si elle présente une certaine généralité, une certaine constance et une certaine fixité (1).

Comme ces pratiques sont propres à l'entreprise, elles sont soit des pratiques de l'employeur lui-même, soit des pratiques que l'employeur a laissé s'instaurer. Dans les deux cas, ces pratiques peuvent être imputées à la volonté d'un employeur unique, ce qui explique pourquoi la Cour de cassation considère que leur véritable source est dans la volonté unilatérale de l'employeur. En d'autres termes, malgré la survivance de la terminologie "usage d'entreprise", au sein des décisions de la Cour de cassation, le droit assimile pleinement ces normes à des engagements unilatéraux, leur appliquant un régime juridique identique.

A l'instar des autres engagements unilatéraux de l'employeur, l'usage d'entreprise ne s'incorpore pas au contrat de travail (2). Il en résulte que la remise en cause de l'avantage prévu par un usage ne constitue pas une modification du contrat de travail des salariés concernés. L'employeur n'est tenu ni de solliciter, ni d'obtenir l'accord préalable de ces derniers pour en supprimer le bénéfice ou en modifier les conditions et modalités d'octroi. Cela ne signifie pas pour autant que l'avantage prévu par l'usage ne peut jamais être "contractualisé". Mais, pour qu'il en aille ainsi, il faut pouvoir constater une volonté "claire et non équivoque" des parties au contrat (3). Dans ce cas, l'employeur doit alors se soumettre au régime juridique de la modification du contrat de travail, s'il entend remettre en cause l'avantage résultant initialement d'un usage.

La remise en cause de l'usage d'entreprise. Assimilé à un engagement unilatéral de l'employeur, l'usage d'entreprise peut donc être dénoncé unilatéralement par celui-ci. Trois conditions sont nécessaires pour que cette dénonciation soit valide : la notification aux représentants du personnel, la notification individuelle aux salariés et le respect d'un délai de préavis suffisant pour permettre des négociations (4). Le non-respect de ces exigences rend la dénonciation illicite ; ce qui signifie que les salariés sont en droit de se prévaloir de l'avantage prévu par l'usage irrégulièrement dénoncé (5).

La remise en cause d'un usage d'entreprise peut emprunter une autre voie, résidant dans la conclusion d'une convention ou d'un accord collectif. La Cour de cassation considère, en effet, de longue date, que lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un engagement unilatéral de l'employeur est conclu entre celui-ci et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise, cet accord a pour effet de mettre fin à cet engagement unilatéral, peu important que celui-ci ait été ou non préalablement dénoncé (6). Cette solution s'explique par le caractère supplétif de la volonté unilatérale de l'employeur par rapport à la norme conventionnelle (7).

Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, aucune des deux voies qui viennent d'être évoquées n'avait été empruntée par l'employeur, afin de modifier à la baisse un avantage résultant d'un usage d'entreprise. A cette fin, celui-ci avait recherché un accord avec ses salariés.

II - Remise en cause d'un usage d'entreprise par l'effet d'un accord avec les salariés

L'affaire. En l'espèce, postérieurement à son licenciement, une salariée avait saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir, notamment, le paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné au paiement d'un rappel de salaires et congés payés afférents. A l'appui de son pourvoi, il soutenait qu'un usage d'entreprise résultant d'un engagement unilatéral de l'employeur peut être dénoncé par un accord exprès entre l'employeur et les salariés intéressés, auquel cas la procédure de dénonciation des usages ne trouve pas à s'appliquer. Par suite, en exigeant de la société employeur qu'elle respecte la procédure de dénonciation unilatérale des usages et notamment un délai raisonnable d'attente, sans rechercher si la signature par l'ensemble des salariés, y compris la salariée licenciée, du compte-rendu de réunion du personnel du 28 novembre 2008 ne devait pas être analysée en un accord exprès des salariés pour qu'il soit mis un terme à l'usage d'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, affirme "qu'un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification ; qu'un tel usage ne peut être dénoncé sans respecter un délai de prévenance". Elle décide en conséquence "qu'ayant relevé qu'il existait un usage concernant la garantie minimum de salaire de deux cent vingt heures, que lors d'une réunion de tout le personnel le 28 novembre 2008, la direction avait décidé d'interdire toutes heures supplémentaires au-delà de cent quatre-vingt-dix heures, et ayant constaté que l'employeur avait limité l'usage de la garantie minimum de salaire de deux cent heures à cent quatre-vingt-dix heures dès novembre 2008, la cour d'appel a décidé que la salariée n'avait pas été prévenue dans un délai raisonnable ; qu'elle a par ce seul motif légalement justifié sa décision".

Une solution justifiée. A lire le motif de principe précité, il apparaît clairement qu'aucun délai de prévenance n'avait été respecté lors de la remise en cause de l'usage d'entreprise, en méconnaissance des exigences prétoriennes évoquées précédemment. Mais, précisément, l'employeur soutenait que ces exigences ne sont applicables que lorsque l'usage est unilatéralement dénoncé. Or, tel n'était pas le cas en l'espèce puisque l'employeur avait sollicité et, visiblement obtenu, l'accord de ses salariés pour modifier l'avantage résultant de l'usage.

On admettra que la voie ainsi empruntée est fort curieuse puisque, nous l'avons vu, l'employeur peut, plus simplement, modifier l'usage de façon unilatérale. Mais il est vrai que cela ne lui interdit pas de rechercher l'accord de ses salariés pour parvenir à la même fin ; ce que, au demeurant, la Cour de cassation n'exclut nullement. En revanche, cette façon de procéder ne saurait changer la nature de l'usage qui, fondamentalement, procède d'un engagement unilatéral.

Le dénouement de l'affaire aurait été certainement différent si l'avantage en cause avait été contractualisé. Mais, nous l'avons indiqué précédemment, l'intégration de l'avantage au contrat de travail n'est admise qu'en présence d'une volonté "claire et non équivoque" des parties au contrat. Or, tel n'est certainement pas le cas lorsque l'employeur se borne à rechercher l'accord des salariés pour modifier l'avantage issu d'un usage (8). N'ayant pas été contractualisé, l'avantage conserve donc nécessairement une source unilatérale. Partant, si une modification de l'avantage intervient, elle reste nécessairement unilatérale, alors même que les salariés ont manifesté leur accord à ce propos.

Trouvent en conséquence à s'appliquer les trois conditions auxquelles est subordonnée la validité de la dénonciation et, singulièrement, le respect d'un préavis suffisant. L'arrêt commenté confirme, par ailleurs, que ce délai de prévenance doit s'apprécier tant à l'égard des salariés auquel l'avantage profite qu'à l'égard des institutions représentatives du personnel (9).

Au final, l'arrêt sous examen démontre que la remise en cause d'un avantage résultant d'un usage, à l'exclusion de toute contractualisation, ne peut emprunter que deux voies : soit la dénonciation unilatérale, soit la conclusion d'un accord collectif ayant le même objet. Il est certes loisible à l'employeur de chercher l'accord de ses salariés pour parvenir au même objectif. Mais il n'y a pas là une "troisième voie".


(1) V. par ex., Cass. soc., 4 avril 2007, n° 05-44.104, F-D (N° Lexbase : A9396DWW) ; RDT 2007, p. 505, note G. Pignarre.
(2) Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-19.466, publié (N° Lexbase : A0051ACU) ; Dr. soc., 1997, p. 102, note Ph. Waquet.
(3)Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-44.950, FS-D (N° Lexbase : A1740ETM) ; Dr. soc., 2010, p. 1097, obs. M. Véricel.
(4) Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, publié (N° Lexbase : A1751ABH) ; Cass. soc., 13 février 1996, n° 93-42.309, publié (N° Lexbase : A2068AAT) ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-47.343, F-P+B (N° Lexbase : A3009DRU).
(5) La Cour de cassation fait ici preuve de rigueur. Ainsi, l'oubli d'une partie des salariés rend la dénonciation nulle pour l'ensemble des salariés, y compris pour ceux qui ont reçu cette notification : Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D).
(6) V. en dernier lieu, Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-44.950, FS-D (N° Lexbase : A1740ETM) ; Dr. soc., 2010, p. 1097, obs. M. Véricel.
(7) L'accord collectif peut ainsi modifier à la baisse l'avantage résultant de l'usage ou le supprimer purement et simplement.
(8) La solution retenue est ainsi en cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Gageons qu'elle aurait été différente si cette dernière avait admis la possibilité d'une contractualisation "tacite".
(9) V. déjà en ce sens, Cass. soc., 3 mai 2012, n° 10-20.738, F-D ([LXB=A6691IKZ ]).

Décision

Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-15.328, F-D (N° Lexbase : A4812KLS)

Rejet, CA Rouen, 10 janvier 2012, n° 11/02871 (N° Lexbase : A0813IAD)

Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots clés : usage, modification, accord des salariés, changement de nature (non), respect d'un délai de prévenance.

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