La lettre juridique n°536 du 18 juillet 2013 : Avocats/Champ de compétence

[Pratique professionnelle] Comment marier les usages des agents avec les règles des avocats ? Les réponses de la déontologie - Compte-rendu de la réunion de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris du 5 juin 2013

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[Pratique professionnelle] Comment marier les usages des agents avec les règles des avocats ? Les réponses de la déontologie - Compte-rendu de la réunion de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris du 5 juin 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8900022-pratique-professionnelle-comment-marier-les-usages-des-agents-avec-les-regles-des-avocats-les-repons
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par Anne-Lise Lonné Clément, Rédactrice en chef

le 27 Mars 2014

La Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs tenait, le 5 juin 2013, sous la co-responsabilité de Basile Ader, Virginie Lapp, et Bruno Illouz, avocats, une réunion sur le thème "Comment marier les usages des agents avec les règles des avocats ? Les réponses de la déontologie", à laquelle intervenaient également Christophe Thévenet, membre du conseil de l'Ordre, secrétaire de la Commission de la déontologie, Guillaume Le Foyer de Costil, membre du CNB et ancien membre du conseil de l'Ordre, Alexandra Clert, ancien avocat, scénariste et écrivain, Elisabeth Tanner, Présidente du syndicat national des agents artistes et littéraires, et Jean Ennochi, avocat à la cour. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion. 1. Les réponses de la déontologie

A titre introductif, Basile Ader, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris, a rappelé les difficultés récentes rencontrées par les avocats face au ministère de la Culture quant à leur inscription sur la liste des agents d'artistes. Il semble qu'un refus soit actuellement opposé de manière systématique aux avocats, sur le fondement de l'article L. 7121-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3118H9D), aux termes duquel "l'activité d'agent artistique présente un caractère commercial au sens des dispositions du Code de commerce", dès lors que le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), prévoit l'incompatibilité de la profession d'avocat avec toutes les activités à caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée. Il indique qu'un recours est envisagé, rappelant que, sur le terrain de la déontologie, il appartient aux avocats eux-mêmes de fixer leurs règles et les sanctions applicables, que ce soit au sein des Ordres ou par le CNB, et que la lecture des dispositions du décret de 1991 a évolué au regard des nouvelles activités d'avocats.

C'est ainsi qu'un certain nombre de questions ont été soumises à la Commission de déontologie du barreau de Paris, sur le périmètre déontologique de l'avocat mandataire d'artistes et d'auteurs, sur lesquelles la Commission a rendu un avis, présenté par Christophe Thévenet, membre du conseil de l'Ordre, secrétaire de la Commission de la déontologie.

L'Ordre n'a pas pour vocation d'empêcher l'avocat de développer son activité. Sa mission est de vérifier que, quelle que soit l'activité de l'avocat, elle est bien compatible avec les règles déontologiques.

Les questions soulevées par l'activité d'agent d'artistes se posent, en premier lieu, au niveau de la rédaction des contrats. Sans grande difficulté, l'avocat doit ici simplement veiller à l'efficience des actes qu'il rédige, ainsi qu'au respect des règles de la confidentialité dans les échanges précontractuels lorsqu'il est confronté à un autre avocat.

La rémunération de l'avocat agent d'artistes constitue une deuxième difficulté. En effet, la perception par les agents des fameux "10 %" sur les cachets de l'artiste, apparaît comme une forme de commission et se heurte à l'interdiction du pacte de quota litis. Mais il faut savoir que le pacte de quota litis, comme son nom l'indique, correspond à un pourcentage du litige. Si les honoraires de 10 % sont effectivement perçus en cas de résultat, à savoir mener à bien les négociations jusqu'à l'obtention du placement de son client, ils ne sont pas basés sur une activité de litige. Il s'agit donc d'une rémunération qui n'est pas un honoraire de résultat issue d'un procès. C'est ainsi que la Commission de déontologie a estimé que la pratique d'une rémunération sous forme de commission, ou pourcentage fixé à 10 %, était parfaitement compatible avec une activité d'avocat conseil. Il s'agit d'honoraires facturés sur du papier à en-tête d'avocat, et qui sont soumis à cotisations sociales comme l'ensemble de ses honoraires, ainsi qu'à TVA.

S'agissant de l'activité de placement de l'artiste, elle consiste à représenter l'artiste et à tenter de lui faire signer des contrats. Cette activité non juridique, de négociation, n'est pas naturelle pour l'avocat. On peut se demander dans quelle mesure elle ne serait pas une forme de démarchage, étant rappelé que le démarchage est autorisé pour l'avocat, pour autant qu'il respecte les principes essentiels, à savoir la dignité et la délicatesse. La Commission a donc estimé que l'activité de placement n'était pas incompatible pour autant que l'avocat respecte ces principes essentiels.

Quant au problème de l'exclusivité, Christophe Thévenet a rappelé, en effet, que, traditionnellement, l'agent d'artiste conclut un contrat à durée déterminée qui emporte l'exclusivité dans ses relations avec l'artiste. Cette pratique se heurte ici avec le principe de la liberté absolue de choix du client. Pour contourner cette difficulté, la seule solution consiste à conclure un contrat à durée indéterminée ; il faut alors prévoir que le contrat peut être rompu à tout moment, sans pénalité, en respectant un préavis d'une durée relativement courte (un à deux mois). Ce type de contrat représenterait d'ailleurs un avantage concurrentiel à faire valoir par l'avocat, par rapport aux agents classiques.

Enfin, une dernière question peut se poser concernant la communication de l'avocat sur sa qualité d'agent d'artiste. En l'état actuel du RIN, il n'est pas permis aux avocats de faire mention de cette qualité d'agent d'artiste sur le papier à en-tête et sur les cartes de visite ; cela est possible, en revanche, sur le site internet. Mais l'on peut espérer, prochainement, une évolution du RIN à cet égard, afin d'assurer un développement convenable de l'activité. Quoi qu'il en soit, dans l'attente de cette évolution, Christophe Thévenet indique que rien n'empêche l'avocat dans son courrier à en-tête, de mentionner en première ligne "Je vous écris, par la présente, en ma qualité d'avocat agent d'artiste mandataire de M. X".

Quant à Guillaume Le Foyer de Costil, membre du CNB et ancien membre du conseil de l'Ordre, il a signalé, tout d'abord, que la Commission "Règles et usages" du CNB étudiait une modification de l'article 10 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) sur la publicité de l'avocat, proposant notamment d'en extraire les restrictions relatives au papier à lettres, confirmant ainsi une évolution prochaine à cet égard.

S'agissant des dispositions de l'article 6 du RIN relatives au mandat, l'intervenant relève que, objectivement, rien n'empêche l'avocat de recevoir un mandat.

Sur la question du démarchage, il ajoute que l'interdiction de démarchage ne concerne, en tout état de cause, que le démarchage de clients, ce qui n'est donc nullement incompatible avec le démarchage, par l'avocat agent d'artistes, des producteurs pour le placement de l'artiste.

De la même façon que le CNB a publié un vade mecum de l'avocat agent immobilier, il est envisagé une publication similaire d'ici un an, concernant l'avocat agent d'artiste.

2. Les interrogations pragmatiques

Alexandra Clert, ancien avocat, scénariste et écrivain, s'est intéressée, non à la question de la compatibilité de l'activité d'agent d'artiste avec la profession d'avocat, mais à celle de savoir si l'exercice d'une telle activité est bien réaliste. La réponse, selon elle, est très clairement négative.

Il faut savoir que ce qu'attend l'auteur, en l'occurrence scénariste, de son agent est qu'il le situe parmi les autres auteurs, ce qui suppose une connaissance totale du milieu, et de tous les projets en cours. L'agent doit être totalement implanté dans l'univers de la production et de la culture pour pouvoir réussir ; il doit entretenir des liens avec des directeurs littéraires, des producteurs, et surtout les chargés de programmes ; cela nécessite un temps considérable qui, selon Alexandra Clert, est inconciliable avec le métier d'avocat, sauf à ce que cela se fasse au détriment de ce dernier. Cette même question se retrouve du point de vue de la rémunération, dans la mesure où l'agent doit suivre énormément d'auteurs pour se rémunérer correctement, ce qui suppose donc une activité à temps plein, donc totalement incompatible avec l'exercice en parallèle du métier d'avocat.

Elle ajoute que l'avocat peut également être associé à un risque de contentieux, ce qui peut desservir l'auteur.

Elisabeth Tanner, Présidente du syndicat national des agents artistes et littéraires, a rappelé qu'une activité d'"accompagnement d'artiste" a effectivement toujours été pratiquée par certains avocats, pour le compte d'artistes très autonomes, sur un plan sociologique et psychologique, et qui ne nécessitent qu'un accompagnement lors de la négociation et la conclusion d'actes.

Mais elle a insisté sur l'étendue de la mission de l'agent, qui s'avère extrêmement large et ne consiste donc pas uniquement, contrairement à ce que l'on pourrait croire, en une mission de placement, laquelle n'est qu'une infime part de son activité.

Elle relève, à l'instar d'Alexandra Clert, que l'exercice de l'activité d'agent par un avocat pose effectivement un problème de principe quant à la réalité du métier.

Si l'accompagnement d'un artiste par un avocat ne pose aucun problème, la pratique à part entière du métier d'agent artistique, qui nécessite une véritable ingénierie propre à ce métier, à savoir une connaissance parfaite du milieu lui permettant d'avoir un point de vue sur les choix de carrière de l'artiste, semble incompatible dans la pratique, compte tenu du temps que cela nécessite.

Rejoignant Elisabeth Tanner, Jean Ennochi, avocat à la cour, s'est interrogé sur la crédibilité de l'avocat à conseiller l'artiste sur le plan artistique. Le caractère artistique est-il compatible avec le métier d'avocat ? Est-ce le talent de l'avocat d'être conseil artistique ?

De même, selon l'avocat, l'agent artistique est réellement au service de son artiste, et l'on peut se demander si l'avocat est vraiment à même d'assurer un tel service.

Quant à la rémunération, l'intervenant s'est interrogé, déontologiquement, sur le problème de la rémunération proportionnelle qui est versée à l'agent ou à l'avocat durant toute la durée de la protection de l'oeuvre.

Bruno Illouz, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris et créateur de l'Association des avocats mandataires d'artistes et d'auteurs, estime, pour sa part, que les avocats ont, selon lui, objectivement, toutes les capacités pour aborder la profession d'agent artistique.

Il a insisté sur le fait que l'inscription au registre national des agents tenu par le ministère de la Culture est un préalable indispensable, puisqu'il est prévu que le défaut d'inscription fait encourir une contravention de la cinquième classe. Revenant sur les questions déontologiques, il a rappelé que l'activité d'agent étant une activité de services, elle bénéficie à ce titre des piliers du droit communautaire, à savoir la liberté d'établissement, la libre prestation de services, sauf restriction justifiée par un intérêt particulier. Le principe est donc celui de la liberté, et l'exception la restriction. Le problème du refus du ministère de la Culture d'inscrire les avocats sur le registre devrait donc être résolu très prochainement.

3. Etude comparée des pratiques à l'étranger

Virginie Lapp, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris, a enfin proposé un éclairage sur les pratiques à l'étranger s'agissant des règles déontologiques et usages des agents d'artistes.

Force est de constater qu'il existe un besoin de plus en plus important des jeunes artistes en matière juridique, notamment lors de leur premier contrat qui s'avère d'une complexité remarquable, ce qui légitime la place de l'avocat.

Virginie Lapp est revenue, tout d'abord, sur une étude réalisée au Québec, en 2002, sous l'égide du ministère de la Culture intitulée "Etude des besoins en formation artistique, Représentation d'artistes (agentes, agents, gérantes et gérants)". Cette étude avait été commandée car il a été constaté que beaucoup d'artistes choisissaient de s'autogérer.

Il en est ressorti que le choix de l'autogestion par les artistes s'expliquait au regard : de la pénurie d'agents dans ce domaine ; d'une expertise inexistante ; d'une expérience insuffisante ; du coût trop élevé des agents ; de l'évolution des besoins personnels ; d'un manque d'honnêteté et d'efficacité ; de l'illégalité des contrats.

Il faut déduire de cela que les agents doivent présenter une offre organisée, structurée, lisible et dans un rapport économique compréhensible.

En Allemagne, le droit n'interdit pas en principe à l'avocat d'exercer en tant qu'agent d'artiste ou d'auteur ; néanmoins, cette légalité de principe est assortie de trois restrictions : l'activité d'agent ne doit pas être susceptible de créer un conflit d'intérêts ; elle ne doit pas empêcher l'avocat qui exerce la mission d'agent d'artistes d'exercer réellement sa profession d'avocat (problème du caractère chronophage de l'activité d'agent) ; l'avocat ne peut exercer en qualité d'agent pour un artiste pour lequel il serait intervenu antérieurement en qualité d'avocat.

Quant au droit anglais, il permet aux avocats d'exercer en tant qu'agent artistique, sachant toutefois que le Code de déontologie réglemente le cumul des deux activités en énonçant un certain nombre de règles qui garantissent la pratique indépendante de ces deux professions. Autrement dit, contrairement au droit français, lorsqu'il intervient en qualité de mandataire d'artiste ou d'auteur, il doit veiller à informer son client qu'il n'est pas réglementé par la law society et que son activité revêt un caractère distinct de celle de solicitor ; inversement il doit veiller à ne pas empiéter sur son activité de solicitor et il doit prendre le soin de conserver de manière distinctive tout document se rapportant à l'une ou l'autre des activités. Il ne peut pas percevoir de rémunération, lorsqu'il intervient en qualité d'agent, sur le compte de son cabinet ; il doit donc disposer d'un compte spécifique susceptible de recevoir les rémunérations perçues dans le cadre de ses activités d'agent artistique.

Enfin, en droit américain, l'entertainment lawyer est totalement identifiable et visible, et sa compétence va bien au-delà d'une spécialisation. Dès son cursus universitaire, il se dirige dans cette voie, puisqu'il possède des diplômes spécifiques en entertainment law ; il existe même aux Etats-Unis un classement des meilleures écoles de droit en la matière. Dès l'université, les étudiants rencontrent les professionnels et développent un réseau. L'entertainment lawyer intervient comme un agent et comme un avocat, c'est-à-dire que, outre le conseil juridique, il gère totalement la carrière de l'artiste et l'accompagne dans toutes les facettes de son activité professionnelle. Il en résulte qu'il gère un nombre restreint d'artistes, compte tenu de l'expertise et du temps qui doit être consacré à cette activité.

Virginie Lapp a conclu en indiquant que, selon elle, si l'avocat souhaite exercer l'activité d'agent d'artiste, il doit être totalement spécialisé dans son domaine.

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