Lexbase Social n°530 du 6 juin 2013 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Confirmation du cumul de l'indemnité de travail dissimulé avec toute indemnité due au titre de la rupture du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-22.396, FS-P+B (N° Lexbase : A5211KDD)

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N7334BTS

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 06 Juin 2013

En l'espace de deux ans, les règles applicables à l'indemnisation forfaitaire du salarié victime de travail dissimulé ont été sensiblement remodelées. Après que le Conseil constitutionnel a jugé que l'indemnité forfaitaire imposée par le Code du travail n'était pas une sanction au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P), la Chambre sociale de la Cour de cassation a permis le cumul de cette indemnité avec toute indemnité servie au salarié au titre de la rupture de son contrat de travail (I). Compte tenu de sa généralité et de son autorité, il était donc fort peu probable que la Chambre sociale aménage une exception à cette règle s'agissant de l'indemnité de mise à la retraite, intuition qui se vérifie à l'analyse d'une décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 mai 2013 qui étend fort logiquement le cumul des indemnités à cette hypothèse et permet de penser qu'aucune autre exception ne sera désormais admise (II).
Résumé

Au regard de la nature de sanction civile de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé les dispositions de l'article L. 8223-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3616H9S) ne font pas obstacle au cumul de cette indemnité avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail.

Commentaire

I - La généralisation du paiement de l'indemnité pour travail dissimulé

  • Travail dissimulé et action civile

Aux termes de l'article L. 8221-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5108IQA), l'infraction pénale de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié peut être consommée dans différentes situations : soustraction intentionnelle à l'obligation d'établir la déclaration préalable d'embauche d'un salarié, soustraction intentionnelle aux obligations de déclaration relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des cotisation sociales ou de l'administration fiscale ou, enfin, soustraction intentionnelle à l'obligation de délivrer un bulletin de salaire ou mention d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui véritablement réalisé sur celui-ci.

La reconnaissance du délit de travail dissimulé en cas de mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures inférieur à celui véritablement réalisé est déjà ancienne mais continue de donner parfois lieu à contentieux, par exemple s'agissant de l'interprétation de l'exception établie par le texte en cas d'application d'"une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail" (1). La règle est donc aujourd'hui relativement classique.

Comme pour toute infraction pénale, une action civile peut être intentée et, d'ailleurs, être présentée devant le juge prud'homal sans qu'une action publique ait été engagée (2). Le délit de travail dissimulé ne fait pas exception à cette règle et, plus encore, le Code du travail encadre les conséquences de cette action civile.

En effet, l'article L. 8223-1 du Code du travail prévoit qu'en cas de rupture du contrat de travail alors que l'employeur a commis un délit de travail dissimulé dont le salarié est la victime, le salarié "a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire".

  • Indemnisation forfaitaire du salarié victime de travail dissimulé

Comme l'a énoncé le Conseil constitutionnel à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation (3), cette somme forfaitaire de six mois de salaire ne constitue pas une punition mais bien une indemnisation destinée à compenser un préjudice spécifique, celui découlant de la difficulté pour le salarié de démontrer en cas de dissimulation d'emploi le nombre d'heures de travail véritablement effectué (4).

L'essentiel du régime juridique de cette indemnisation a, pour le reste, été établi par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Parmi les règles posées, certaines méritent d'être ici rappelées. Ainsi, depuis 2004, la Cour de cassation admet le versement de l'indemnité forfaitaire "quelle que soit la qualification de la rupture" (5).

Surtout, la Chambre sociale a évolué sur la question du cumul de l'indemnité forfaitaire avec d'autres indemnités auxquelles le salarié pouvait prétendre au titre de la rupture. Si, dans un premier temps, elle a refusé le cumul de ces indemnités (6), elle a par la suite assoupli cette règle en acceptant le cumul de toutes les indemnités à l'exception de l'indemnité conventionnelle ou légale de licenciement (7). Pour cette dernière indemnité, seule l'indemnité la plus favorable au salarié devait être servie.

Cette dernière exception a très récemment été remise en cause par la Chambre sociale qui énonce désormais, de la façon la plus générale qu'il soit, qu'en raison de la nature civile de l'indemnité (8), les dispositions du Code du travail "ne font pas obstacle au cumul de l'indemnité forfaitaire qu'elles prévoient avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail" (9). Cette évolution est en parfaite harmonie avec la solution du Conseil constitutionnel : l'indemnité pour travail dissimulé, quoique versée en cas de rupture, n'est pas destinée à compenser le préjudice subi du fait de la rupture mais bien le préjudice subi du fait de la dissimulation d'emploi salarié. A peine peut-on considérer que, puisque le versement de cette indemnité est soumis à l'existence d'une rupture du contrat de travail, le préjudice subi du fait de la commission du délit est en quelque sorte présumé être plus important qu'en l'absence de rupture du contrat de travail.

Compte tenu de la généralité de la règle de cumul, il n'était guère difficile de prévoir ce qu'il se produirait en cas de versement d'une indemnité compensant un autre type de rupture comme, par exemple, en cas de départ ou de mise à la retraite.

  • L'espèce

L'exposé des faits et des motifs de la décision étant relativement succinct il convient, pour en comprendre les enjeux, se reprendre la décision rendue par la cour d'appel d'Orléans (10).

Après quarante années de services dans une société coopérative agricole, une salariée est mise à la retraite en 2008. Après avoir quitté l'entreprise, elle saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes pour contester la rupture du contrat, voir reconnaître l'existence d'un harcèlement moral et de manquements de l'employeur à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de façon loyale. Surtout, elle demande des rappels de salaire pour des heures supplémentaires non rémunérées et, parallèlement, la condamnation sur le plan civil de l'employeur pour travail dissimulé.

Toutes les demandes relatives à la rupture, au harcèlement et à l'exécution déloyale du contrat de travail sont repoussées par la cour d'appel. En revanche, les juges du second degré infirment la décision prud'homale sur le moyen tiré des heures supplémentaires et condamnent l'employeur à verser la somme de 28 000 euros de rappel de salaire pour heures supplémentaires. Quant au travail dissimulé, la cour d'appel juge cependant qu'il est inutile d'"examiner le bien-fondé de la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé dès lors que cette indemnité ne se cumule pas avec celle payée à l'occasion de la rupture du contrat, qu'il s'agisse de l'indemnité de licenciement ou de l'indemnité de mise à la retraite d'un montant supérieur".

La salariée forme pourvoi en cassation. Ses prétentions sont à nouveau refoulées s'agissant du harcèlement et de la rupture du contrat de travail. Cependant, par un arrêt rendu le 15 mai 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse partiellement la décision d'appel au visa de l'article L. 8223-1 du Code du travail s'agissant de l'indemnisation pour travail dissimulé. La Cour de cassation juge qu'"au regard de la nature de sanction civile de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé les dispositions de l'article L. 8223-1 du Code du travail ne font pas obstacle au cumul de cette indemnité avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail".

II - L'application de la règle de cumul à l'indemnité de départ à la retraite

  • La sanction civile cumulable avec les indemnités de toute nature

La généralité de la formule utilisée au mois de février dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation laissait clairement présager la solution adoptée : si toute indemnité à laquelle le salarié a droit au titre de la rupture est cumulable avec l'indemnité pour travail dissimulé, l'indemnité de mise à la retraite doit l'être elle aussi. Cette position poursuit la tendance, parfaitement décrite par le Professeur Christophe Willmann, de durcissement de la lutte contre le travail dissimulé et, plus largement, contre toute forme de fraude sociale (11).

Sur un plan plus technique, la solution là encore semble logique. On se souviendra, en effet, que l'article L. 1237-7 du Code du travail (N° Lexbase : L1403H9T) ouvre au salarié mis à la retraite le droit à une indemnité calculée par référence à l'indemnité de licenciement de l'article L. 1234-9 du même code (N° Lexbase : L8135IAK). Si l'indemnité de mise à la retraite n'a donc pas exactement la même nature que l'indemnité conventionnelle ou légale de licenciement, elle s'en rapproche tout de même suffisamment pour qu'il semble raisonnable de traiter les deux indemnités de la même manière.

En définitive, la raison d'être du pourvoi réside bien davantage dans une problématique de chronologie qu'elle ne s'appuie sur une question de droit qui demeurerait incertaine. La solution rendue par la cour d'appel d'Orléans est intervenue quelques semaines seulement après la décision du Conseil constitutionnel qui ne tranchait pas encore de manière définitive la question du cumul des indemnités. Le revirement de la Chambre sociale, posant la règle générale de cumul, n'est intervenu qu'au mois de février dernier. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'une belle illustration d'un changement de jurisprudence en cours de procédure qui modifie l'attente que les parties -l'employeur dans ce cas- pouvaient avoir lors de l'engagement de leur action.

  • Quelles limites à l'indemnisation pour travail dissimulé ?

Deux questions peuvent prolonger la décision sous examen. D'abord, d'autres indemnités pourraient-elles être concernées par l'extension des règles de cumul ? Ensuite, demeure-t-il des hypothèses dans lesquelles l'employeur pourrait échapper à l'indemnisation forfaitaire tirée de l'article L. 8223-1 du Code du travail ?

La première question appelle une réponse aussi générale que la motivation de la Chambre sociale : toute indemnité pourra être perçue en sus de l'indemnité forfaitaire. Il ne fait ainsi quasiment aucun doute que l'indemnité servie au salarié en cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ou l'indemnité servie en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur seront cumulables avec l'indemnité forfaitaire. La nature de la rupture étant elle aussi indifférente, les indemnités versées en cas de départ volontaire à la retraite servies par application de l'article L. 1237-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1407H9Y) ne devraient pas faire exception à la règle.

La seconde question est d'apparence plus délicate même si, à bien y regarder, la règle désormais posée ne laisse guère place à la nuance. Si l'indemnité forfaitaire constitue une sanction civile réparant le préjudice subi du fait de la commission du délit, pourrait-on imaginer que l'employeur puisse démontrer que le salarié n'a subi aucun préjudice particulier par exemple en démontrant qu'il a parfaitement été en mesure de démontrer le nombre d'heures de travail dissimulées et que celles-ci ont été intégralement rémunérées suite à l'intervention du juge prud'homal ? Il s'agirait alors, d'une certaine manière, de pouvoir renverser la présomption posée par le législateur selon laquelle le salarié subi nécessairement un préjudice du fait de la commission de l'infraction.

Une telle issue paraît fort peu probable pour la simple raison que le législateur ne donne aucune latitude au juge en la matière. Le caractère forfaitaire de l'indemnisation à hauteur de six mois de salaire prive le juge de toute appréciation de l'intensité du préjudice, dans un sens comme dans l'autre. Le seul espoir de l'employeur pour éviter cette indemnisation passe donc par la démonstration de l'absence de dissimulation d'emploi. Indubitablement, l'effort mené contre le travail dissimulé est donc accru, sous l'effet cumulé d'évolutions législatives et de l'interprétation conforme qui en sont faites par la Cour de cassation.

Les solutions rendues par la Cour de cassation comme la lutte accrue contre le travail dissimulé pourront bien, à l'occasion, paraître bien injuste en particulier lorsqu'il existera une véritable connivence entre le salarié et l'employeur sur la volonté d'éluder les obligations sociales et fiscales. Cette situation exceptionnelle n'a jamais permis de nuancer la sévérité de la législation contre le travail dissimulé, cela pour au moins deux raisons. D'abord parce que l'une des deux parties tire un avantage nettement plus substantiel que celui octroyé à l'autre partie dans cette situation et, ensuite, parce qu'aujourd'hui comme hier, le travailleur doit être protégé dans la relation de travail des abus patronaux mais aussi, comme le consommateur, être protégé contre lui-même.


(1) Cass. soc., 16 avril 2013, n° 12-81.767, FS-P+B (N° Lexbase : A4051KCZ).
(2) Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-45.082, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2557A34) et les obs. de G. Auzero, Travail dissimulé : le criminel ne tient pas toujours le civil en l'état..., Lexbase Hebdo n° 45 du 31 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4537AAB), Dr . soc., 2002, p. 1145, obs. F. Duquesne ; JCP éd. E, 2003, p. 475, note Th. Aubert -Monpeyssen.
(3) Cass. QPC, 5 janvier 2011, n° 10-40.049, FS-D (N° Lexbase : A7358GNT).
(4) Cons. const., 25 mars 2011, n° 2011-111 QPC (N° Lexbase : A3848HHY) et les obs. de Ch. Willmann, L'indemnité légale pour travail dissimulé n'est pas une peine ayant le caractère de punition, Lexbase Hebdo n° 437 du 28 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0660BSA).
(5) En l'espèce, il s'agissait d'une démission, v. Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 02-44.666, FS-P+B (N° Lexbase : A6084DDP), v. les obs. de Ch. Alour, Démission d'un travail dissimulé : l'indemnité forfaitaire est due, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3380ABS).
(6) Par ex. Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.504, F-P (N° Lexbase : A0390DDS).
(7) Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 04-43.105, FP-P+B+R+I, v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Cumul de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1 du Code du travail avec les indemnités de rupture : généralisation et clarification, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3592AKA). Le cumul avec l'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse était en revanche admis dans cette affaire.
(8) La formule de "sanction civile" étonne puisque le Conseil constitutionnel y voyait une forme d'indemnisation, si bien que le vocable de réparation civile aurait pu paraître plus adapté.
(9) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-23.738, FP-P+B (N° Lexbase : A6342I7Z) et les obs. de Ch. Willmann, Travail dissimulé : la Cour de cassation consacre le principe d'un cumul de sanctions, Lexbase Hebdo n° 517 du 21 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5925BTM).
(10) CA Orléans, 7 juin 2011, n° 10/02378 (N° Lexbase : A9605HTW).
(11) Ch. Willmann, Travail dissimulé : la Cour de cassation consacre le principe d'un cumul de sanctions, préc..

Décision

Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-22.396, FS-P+B (N° Lexbase : A5211KDD)

Cassation partielle, CA Orléans, 7 juin 2011, n° 10/02378 (N° Lexbase : A9605HTW)

Textes visés : C. trav., art. L. 8223-1 (N° Lexbase : L3616H9S)

Mots-clés : travail dissimulé, indemnisation, cumul, indemnités de mise à la retraite

Liens base : (N° Lexbase : E7324ES3)

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