Lexbase Fiscal n°877 du 16 septembre 2021 : Procédures fiscales

[Focus] Responsabilité de l’État en matière fiscale : quelles sont les conditions d’application de la responsabilité ? Quelles sont les procédures du recours en indemnité ?

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

le 15 Septembre 2021


Mots-clés : contentieux fiscal • responsabilité de l’État 

Le principe de responsabilité de l’État fut clairement plus long à s’imposer en droit fiscal que dans d’autres pans du droit administratif.


 

C’est avec la décision « Bourgeois » du 27 juillet 1990 [1], que s’est inauguré le mouvement jurisprudentiel ayant conduit à une disparition progressive de l’exigence d’une faute lourde.

Dans cette décision, le Conseil d’État a choisi de substituer la faute simple à la faute lourde comme fondement de cette responsabilité lorsque l’administration fiscale commet des erreurs dans des opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt qui ne comportent pas de difficultés particulières. Ce faisant, la Haute juridiction a fait montre de pragmatisme en adaptant le régime de la faute à la difficulté de l’opération au cas par cas. La faute lourde demeurait toutefois indispensable en cas de difficultés rencontrées par l’administration fiscale.

Les bastions qui subordonnaient encore la reconnaissance de la responsabilité de l’État à l’existence d’une faute lourde sont tombés les uns après les autres (services hospitaliers, police administrative, secours en mer, lutte contre l’incendie, internement d’office, services pénitentiaires…). En 2010, la faute lourde était encore requise pour l’exécution des actes de police, l’activité juridictionnelle de la justice administrative, les activités de tutelle et les opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt.

En 2011, le Conseil d’État a finalement jugé dans l’arrêt « Krupa »[2] que toute faute de l’administration fiscale en matière d’assiette comme de recouvrement est susceptible d’engager la responsabilité de cette dernière, quelles que soient les difficultés d’appréciation d’une situation fiscale. Le Conseil d’État a ainsi définitivement abandonné, une décennie après l’arrêt Bourgeois, le régime de la faute lourde en droit fiscal.

I. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État

L’engagement de la responsabilité de l’État implique la réunion de trois éléments :

  • une faute de l’État ;
  • un préjudice pour le contribuable ou le tiers ;
  • un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

A. La caractérisation d’une faute de l’État

La faute de l’État peut se produire dans le cadre de ses activités fiscales comme extrafiscales.

Les opérations fiscales visées sont les suivantes :

  • les opérations d’assiette de l’impôt ;
  • les opérations de contrôles et les rappels qui peuvent en résulter ;
  • les opérations liées au recouvrement.

La faute de nature à engager la responsabilité de l’État peut résulter :

  • d’erreurs purement matérielles ;
  • d’erreurs dans l’application de la législation fiscale.

Les activités extrafiscales sont notamment les suivantes :

  • la mission de renseignements ;
  • la fourniture de renseignements erronés.

B. L’existence d’un préjudice

Le contribuable doit tout d’abord établir que son préjudice présente un caractère certain. Les préjudices futurs et éventuels, à l’instar de la perte de chance, ne sont pas indemnisables.

Le contribuable doit fournir les pièces justificatives établissant la réalité du préjudice qu’il estime avoir subi et en chiffrer le quantum de manière objective, étant précisé que ledit préjudice ne peut pas résulter du seul paiement de l’impôt [3] dès lors que le préjudice lié au paiement de l’impôt qui s’avère indu est réparé par les intérêts moratoires.

Les préjudices peuvent notamment être les suivants :

  • la liquidation d’une entreprise ;
  • la perte d’un fonds de commerce ;
  • la perte de salaires et de droits à la retraite ;
  • l’atteinte à la réputation ou à l’honneur ;
  • la santé dégradée ;
  • les troubles dans les conditions d’existence ;
  • la vente forcée d’un bien immobilier ;
  • les frais liés à des mesures de recouvrement ;
  • la baisse du chiffre d’affaires ;
  • la dépréciation d’un bien ayant fait l’objet d’une mesure de saisie ;
  • les intérêts d’emprunt ;
  • la perte d’un client ou d’un fournisseur.

Les préjudices indemnisables ne peuvent pas être les suivants :

  • la perte de trésorerie procédant de l’indisponibilité des sommes payées pour un impôt finalement dégrevé n’est pas davantage indemnisable dès lors qu’il ne constitue pas un préjudice distinct de celui qui est susceptible d’être réparé par les intérêts moratoires [4] ;
  • les frais de conseil engagés par les demandeurs pour obtenir le dégrèvement des impositions, intégralement réparés par la décision que le juge prend en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) ou de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).

C. L’existence d’un lien de causalité

Pour donner lieu à réparation, le préjudice doit être directement imputable à l’administration fiscale [5]. À été considéré comme tel :

  • le préjudice résultant de la perte des rémunérations qu’aurait continué à percevoir un dirigeant d’une société jusqu’à sa cession si les agissements de l’administration fiscale, ayant entraîné la liquidation judiciaire de la société, n’y avaient fait obstacle ;
  • le préjudice résultant des troubles graves de toute nature apportés par l’administration fiscale aux conditions d’existence d’un dirigeant de société, en particulier la dégradation de son état de santé [6].

À l’inverse, n’a pas été considéré comme tel :

  • le préjudice résultant de la délivrance, par la conservation des hypothèques, d’un certificat inexact [7] ;
  • le préjudice d’une société créancière d’une autre société fondée sur le comportement de l’administration fiscale à l’égard de cette dernière société [8].
  • le préjudice résultant de l’interprétation illégale de textes par l’administration fiscale qui a dissuadé un contribuable de solliciter un agrément dès lors qu’il n’avait pas de chances sérieuses de l’obtenir [9] ;
  • le préjudice résultant d’irrégularité de procédure, d’erreur de base légale ou d’appréciation incomplète ou imparfaite des faits.

Par ailleurs, le préjudice ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l’administration fiscale lorsqu’elle établit qu’elle aurait pris la même décision d’imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu’elle avait omis de prendre en compte, ou encore qu’une autre base légale que celle initialement retenue justifie l’imposition [10].

II. Les causes d’exonération et de partage de responsabilité

Les juridictions peuvent admettre une atténuation de la responsabilité de l’administration fiscale avec un partage de responsabilité, voire une exonération lorsque celle-ci peut invoquer le fait du contribuable ou, s’il n’est pas le contribuable, du demandeur de l’indemnité comme cause d’atténuation ou d’exonération de sa responsabilité [11].

Pour qu’un tel partage de responsabilité soit reconnu, l’administration fiscale doit démontrer que le demandeur de l’indemnité a :

  • fait preuve d’un comportement qui a pu gêner son action et, ainsi, contribuer à son erreur. Il en sera ainsi en cas de production tardive de justificatifs ou à la suite d’erreurs déclaratives du contribuable lui-même ;
  • eu un comportement répréhensible : participation à un schéma de fraude ou d’évasion fiscale, organisation d’insolvabilité ou de manœuvres faisant obstacle au recouvrement, opposition à contrôle fiscal, malice ou malveillance, manœuvres dolosives, attitude menaçante ou de nature à faire pression sur le vérificateur, comportement déloyal, absence ou manque de coopération ou de disponibilité, rétention de documents, explications confuses ou tardives, présentation imparfaite, etc.

III. Les procédures du recours en indemnité

Les procédures du recours en indemnité sont différentes selon que la demande est portée devant le juge administratif ou le juge judiciaire. Il en est naturellement de même pour les voies de recours.

 

A. Devant le juge administratif

La procédure applicable est celle prévue par le code de justice administrative.

Le recours en indemnité devant le juge administratif doit ainsi être précédé d’une décision administrative dite « décision préalable » implicite ou explicite [12]. Le contribuable doit adresser au ministre chargé du budget une demande d’indemnité sur papier libre, dans laquelle il expose ses griefs, motive et chiffre ses prétentions.

La demande de dommages et intérêts résultant de la faute commise dans la détermination de l’assiette, le contrôle et le recouvrement de l’impôt ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l’existence de la créance a été révélée au demandeur [13].

À peine d’irrecevabilité, les requêtes et les mémoires indemnitaires adressées au tribunal administratif doivent être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation [14].

Le délai d’introduction du recours en dommages et intérêts devant le tribunal administratif est de deux mois (délai franc) à partir de la notification de la décision expresse de rejet [15]. La décision implicite de rejet fait également courir le délai du recours contentieux, sous réserve que la demande indemnitaire ait fait l’objet d’un accusé de réception mentionnant les délais et voies de recours applicables.

Les requêtes en dommages et intérêts doivent contenir l’exposé des faits et moyens et être accompagnées, selon les circonstances, de la réponse de rejet ou d’une pièce justifiant de la date du dépôt de la demande.

Les contribuables déboutés en première instance peuvent interjeter appel devant les CAA dans un délai de deux mois à compter de la notification jugement du TA, sous réserve que l'indemnité demandée n'excède pas 10 000 euros.

Les jugements rendus en premier et dernier ressort et les arrêts des CAA peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant le Conseil d’État dans les conditions prévues au code de justice administrative.

B. Devant le juge judiciaire

C’est la procédure de droit commun, prévue au code de procédure civile et au code des procédures civiles d’exécution, qui s’applique. Il n’y a donc pas besoin de faire une réclamation préalable.

L’administration doit recourir au ministère d’avocat pour les actions de cette nature.

Les conclusions indemnitaires peuvent être jointes à une requête dont l’objet relève au principal du juge de l’impôt ou du juge de l’exécution.

Les décisions rendues en première instance sont, le cas échéant, susceptibles d'appel. Les décisions rendues en premier et dernier ressort et les arrêts des CA peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation.


[1] CE Contentieux, 27 juillet 1990, n° 44676 (N° Lexbase : A4648AQ9) : RJF, 8-9/90, n° 1102, concl. N. Chahid-Nouraï p. 548, GAJF 5ème éd. th n° 61.

[2] CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 306225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5714HIH).

[3] CE Contenieux, 21 mars 2011, n° 306225, publié au recueil Lebon précité.

[4] LPF, art. 208 (N° Lexbase : L7618HEU).

[5] CE 8° et 9° ssr., 26 juin 1992, n° 75558 (N° Lexbase : A6947ARQ).

[6] CE Contentieux, 16 juin 1999, n° 177075 (N° Lexbase : A4881AX3).

[7] CE 6° et 2° ssr., 23 février 1977, n° 03495 (N° Lexbase : A5788B8U).

[8] CE 8° et 7° ssr., 8 août 1990, n° 54500 (N° Lexbase : A4772AQS).

[9] CE 3° et 5° ssr., 20 février 1974, n° 84722 (N° Lexbase : A3567B8M).

[10] CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 306225, publié au recueil Lebon, précité.

[11] CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 30622, publié au recueil Lebon, précité.

[12] CJA, art. R. 421-1 (N° Lexbase : L4139LUT) ; CE 9° et 8° ssr., 23. octobre 1991, n° 76839 (N° Lexbase : A9661AQU).

[13] LPF, art. L. 190 A (N° Lexbase : L3311LCM).

[14] CJA, art. R. 431-2 (N° Lexbase : L9938LAC).

[15] CJA, art. R. 421-1 (N° Lexbase : L4139LUT).

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