Lexbase Avocats n°311 du 4 février 2021 : Avocats

[Actes de colloques] La profession d’avocat : les risques de l’exercice (colloque du 25 septembre 2020 à Amiens) - Prévention des risques par la formation de l’avocat (Le point de vue d’un Bâtonnier)

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[Actes de colloques] La profession d’avocat : les risques de l’exercice (colloque du 25 septembre 2020 à Amiens) - Prévention des risques par la formation de l’avocat (Le point de vue d’un Bâtonnier). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64882745-actes-de-colloques-la-profession-davocat-les-risques-de-lexercice-colloque-du-25-septembre-2020-a-am
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par Maître Fabrice Bertolotti, Président du Conseil Régional de Discipline des Avocats du ressort de la cour d'appel d’Amiens

le 03 Février 2021

Le 25 septembre 2020, s'est tenu à Faculté de droit d'Amiens un colloque sur le thème « La profession d'avocat : les risques de l'exercice », sous la direction scientifique de Rodolphe Bigot et François Viney. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N6281BYB).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


Merci de me donner la parole.

Comme disait Monsieur le Bâtonnier Yves Avril lors de son intervention, « Il y a des clients paranoïaques » mais il y a aussi sans doute des avocats schizophrènes.

En me demandant de donner mon point de vue en qualité de Président du Conseil Régional de Discipline sur ce sujet, compte tenu de sa nature, j’ai moi-même redouté un instant de tomber dans une attitude schizophrénique.

En effet, je me suis interrogé sur le point de savoir si j’étais le plus qualifié pour m’exprimer sur la prévention, quant à la formation disciplinaire on associe plutôt le mot « répression », nos fonctions s’exerçant par essence lorsque la prévention a échoué.

J’essaierai donc modestement d’apporter ma contribution « thérapeutique » en lien évidemment avec celle du contentieux disciplinaire qui, à sa façon, constitue une photographie, un marqueur de ce que la formation n’a peut-être pas toujours su apporter.

Les décisions disciplinaires agissent, il est vrai, comme des témoins de nos activités.

Sans faire une étude épistémologique de celle-ci, l’on doit sans doute tirer les conséquences de certains phénomènes et faits rencontrés afin de s‘interroger sur les orientations de la formation.

Une formation pour quel avocat ?

Former l’avocat à être un avocat, et j’ajouterai à demeurer un avocat.

Le Code de la route a bien évolué depuis que l’on a passé notre permis de conduire et je ne suis pas certain de ne pas échouer aujourd’hui l’examen du code.

Notre Code de déontologie, notre déontologie elle-même a beaucoup évolué et pourtant, combien d’entre nous, combien de nos confrères ont suivi un enseignement de déontologie, une formation au-delà des premières années ?

Sans doute faudrait-il s’interroger sur le fait de rendre obligatoire un certain volume d’enseignement déontologique par an pour l’avocat ou de réfléchir sur l’actualisation de la connaissance de nos règles.

Ces observations liminaires effectuées, pour comprendre les enjeux de la formation, je ferai un bref détour par l’Histoire.

Ce sera l’occasion une nouvelle fois pour moi de parler de Compiègne, ma ville d’exercice.

Quand on parle de Compiègne, on pense à Napoléon mais l’on doit aussi penser à l’impératrice Marie-Louise, sans laquelle peut-être le barreau lui-même n’aurait pas été rétabli.

Vous connaissez l’histoire.

Il pleut à torrents comme à Saint-Brieuc, le mardi 27 mars 1810, lorsque Marie-Louise y rencontre Napoléon venu au-devant d’elle dans un petit village à Braine à la sortie de la forêt de Compiègne.

Vous connaissez la suite, après leur séjour à Compiègne et un voyage de noces, presqu’une campagne, quelques mois plus tard, le 12 novembre 1810, l’Empereur informera le Sénat de la grossesse de l’Impératrice.

Un mois plus tard, sans doute encore tout ardent, bouillonnant, ou enthousiaste de cette nouvelle, il rétablira les avocats par la loi du 22 ventôse en 12 et le tableau des avocats en justifiant celle-ci dans son préambule :

« Comme un des moyens les plus propres à maintenir la probité, la délicatesse, le désintéressement, le désir de la conciliation, l’amour de la vérité et de la Justice, un zèle éclairé pour les faibles et les opprimés, bases essentielles de leur état.

En retraçant aujourd’hui les règles de cette discipline salutaire dont les avocats se montrèrent si jaloux dans les beaux jours du barreau, il convient d’assurer en même temps à la magistrature la surveillance qui doit naturellement lui appartenir sur une profession qui a de si intimes rapports avec elle ; nous aurons ainsi garanti la liberté et la noblesse de la profession d’avocat, en posant les bornes qui doivent la séparer de la licence et de l’insubordination ».

Et l’article 23 de donner à l’équivalent du conseil de l’Ordre de l’époque une orientation sur la personne des avocats et leur formation avec un attachement aux mœurs :

« 23. Le conseil de discipline sera chargé,

De veiller à la conservation de l’honneur de l’Ordre des avocats ;

De maintenir les principes de probité et de délicatesse qui font la base de leur profession ;

De réprimer ou de faire punir, par voie de discipline, les infractions et les fautes, sans préjudice de l’action des tribunaux, s’il y a lieu.

Il portera une attention particulière sur les mœurs et la conduite des jeunes avocats qui feront leur stage ; il pourra dans le cas d’inexactitude habituelle ou d’inconduite notoire prolonger d’une année la durée de leur stage ou même refuser l’admission au tableau ».

Quelles mœurs ? Quelle conduite ? Quelle formation aujourd’hui pour quels avocats ?

La manière de voir l’avocat, la représentation de l’avocat, le paradigme de celui-ci du 19ème n’est pas le même qu’au 20ème et encore moins celui du 21ème siècle à l’heure de la justice prédictive, de l’intelligence artificielle, de WhatsApp, TikTok,… etc.

Et pourtant nos principes qui doivent nous guider, sont intangibles.

Rappelons à cet égard que l’avocat n’est pas placé dans la même situation que les autres professionnels du droit.

C’est presque le « surhomme » de Nietzche « l’idéal de l’humanité ».

On doit former quelqu’un, un « sur-être » juridique parmi les professions judiciaires et c’est tout l’enjeu de la formation.

Ce n’est pas moi qui dessine les contours de celui-ci mais la jurisprudence et la loi elle-même.

Si les magistrats sont dépositaires de la Justice, les avocats sont les auxiliaires de la Justice.

Je vous invite à relire la motivation de la décision du Conseil Constitutionnel du 11 octobre 2018 à la suite de la saisie par la Cour de cassation d’une QPC sur l’absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats.

Je vous rappelle que les notaires, les huissiers, connaissent une prescription en matière disciplinaire que ne connaissent pas les avocats.

Cette décision déclare précisément conforme à la Constitution l’absence de prescription des poursuites disciplinaires chez les avocats, notamment car, et c’est important, « la profession d’avocat n’est pas placée au regard du droit disciplinaire dans la même situation que les autres professions juridiques ou judiciaires réglementées.

Dès lors, la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées entre les avocats et les membres des professions judiciaires ou juridiques règlementées dont le régime disciplinaire est soumis à des règles de prescription repose sur une différence de situation.

En outre, elle est en rapport avec l’objet de la loi.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté ».

L’avocat n’est pas placé dans la même situation que les autres professions judiciaires.

Notre formation doit être à la mesure de ces exigences.

Comme disait Maurice Garcon, dans son ouvrage, L’avocat et la morale, « il ne doit pas se contenter d’être honnête, il doit pousser le scrupule jusqu’à l’excès ».

C’est que la loi elle-même habille l’avocat d’un état singulier.

Les mots ont un sens. L’article 5 de la loi du 31.12.1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) énonce que les avocats « exercent leur ministère (…) ».

Je n’ai pas dit un ministère, même l’actualité récente et la nomination d’un de mes confrères a pu crisper…

L’article 10 du décret du 12.07.2005 (N° Lexbase : L6025IGA) rappelle également que l’avocat a une mission.

Mission, ministère, on voit bien qu’il y a autre chose dans les qualités attendues de l’avocat qui vont au-delà des connaissances juridiques ou techniques.

On doit mettre en perspective l’obligation de formation avec notre déontologie, et les obligations principales qui sont autant de devoirs, vertus ou qualités morales que doit respecter chaque avocat. 

On dénombre ainsi pas moins de vingt obligations, deux ayant été nouvellement rajoutées en 2019, qui constituent autant de principes et essentiels dont le manquement est susceptible de poursuites disciplinaires :

L’indépendance, la dignité, la conscience, la probité, l’humanité, l’honneur, la délicatesse, le respect du secret professionnel, la compétence, le dévouement, la diligence, la prudence, la modération, le désintéressement, l’évitement du conflit d’intérêt, la loyauté, la confraternité, la courtoisie, la non-discrimination et l’égalité, ces deux derniers principes ayant en effet été ajoutés en 2019.

Ils doivent guider l’avocat aux termes de l’article 1er du décret du 12.07.2005 (N° Lexbase : L6025IGA), en toute circonstance.

Ces éléments de contexte rappelés, ils renvoient à mon sens à deux objectifs de la formation :

La nécessité de former l’avocat aux savoirs et l’impérieuse nécessité également de former l’avocat aux humanités.

On s’est trop longtemps focalisés sur le premier terme pour oublier le second.

Le rapport de mon confrère Kami Haeri de 2017 au Garde des Sceaux de l’époque, fait le constat d’une formation inadaptée aux enjeux de la profession.

« La formation du jeune avocat concentre toutes les espérances et les frustrations de la profession.

Etape essentielle sur le plan de l’apprentissage, comme sur celui de l’intégration, de la création d’un sentiment d’appartenance, la formation du jeune avocat fabrique un étrange paradoxe : jamais une profession aussi désirée et respectée par celles et ceux qui souhaitent la rejoindre n’a été précédée d’un espace-temps de formation aussi décrié.

Les élèves avocats semblent majoritairement attendre avec résignation que leur formation initiale s’achève...

La formation est perçue assez unanimement comme une suite d’enseignements trop variés pour permettre de dégager une stratégie d’apprentissage et dont le contenu est de qualité très inégale ».

Un virage récent a été opéré de ne pas refaire ce que l’on avait fait souvent mieux d’ailleurs ou ce que l’on était censé avoir fait à l’Université.

La décision du Conseil National des Barreaux 2020-001 définit les nouveaux programmes de formation.

Prévenir les risques suppose de mieux former avec un enseignement renouvelé et adapté alors que jamais la profession n’a été confrontée à de tels changements, dans un contexte technique, technologique radicalement nouveau et même de Co-vid, qui impose de nouveaux modèles.

Toutes les écoles d’avocats ont entamé leur évolution.

Je cite pour extrait le livret d’accueil de l’EFB de Paris pour la rentrée 2020 : les objectifs des enseignements : « la période d’enseignement n’est pas une redite de l’Université…».

En témoigne également l’IXAD, l’Ecole des Avocats du Nord-Ouest, qui met en place des parcours dynamiques.

Exemple des parcours : oralité, digital numérique, sans oublier la déontologie.

C’est le rôle des écoles d’avocats de former les avocats aux savoirs et aux humanités.

C’est le rôle également de l’avocat de se former lui-même pendant toute sa vie professionnelle.

Il existe bien entendu l’obligation de formation continue et les 20 heures par année civile ou 40 heures annuelles prévues à l’article 14-2 de la Loi de 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) qui rappellent qu’elle est obligatoire.

La sanction du non-respect de l’obligation de formation continue n’a pas été formellement prévue par les textes, mais l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) expose de manière générale que tout avocat qui contrevient aux lois et aux règlements, ou qui commet une infraction aux règles professionnelles est soumis à des sanctions disciplinaires.

Plusieurs jurisprudences ont condamné des avocats n’ayant pas respecté leur obligation de formation continue à des sanctions disciplinaires.

Ils sont pourtant rares les Bâtonniers qui prennent l’initiative de poursuites sur ce seul fondement.

Souvent d’ailleurs, ce manquement, dans les décisions des conseils régionaux de discipline, coexiste avec d’autres.

Il rejoint également souvent le manquement au devoir de compétence dont le non-respect commence aussi à donner lieu à des poursuites disciplinaires autonomes.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les statistiques de l’assureur sur les sinistres et leur nombre annuel sur l’ensemble de la population des avocats.

Il manque une donnée, celle des statistiques par avocat car nous savons, les Bâtonniers le savent, que certains vont avoir une sinistralité plus forte.

Je conclurai par cette formule d’Einstein « L’école devrait toujours avoir pour but de donner à ses élèves une personnalité harmonieuse et non de les former en spécialistes » tout en vous disant que je ne la partage pas.

Car à l’instar du Bâtonnier Yves Avril, j’ai l’espoir, oui j’ai l’espoir d’avocats à la personnalité harmonieuse et spécialistes.

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