La lettre juridique n°460 du 3 novembre 2011 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2011

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 08 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique met à l'honneur le droit de la propriété industrielle, et plus précisément la question de la rémunération d'une concession de licence de marque et de savoir-faire par l'octroi de dividendes et la valorisation potentielle des actifs. Le Conseil d'Etat précise, ainsi, quel mode de rémunération peut être considéré comme une véritable contrepartie, faisant échapper l'opération à la théorie de l'acte anormal de gestion (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 328762, mentionné aux tables du recueil Lebon). Puis, le juge judiciaire prend position quant à l'effet rétroactif d'un acte d'apport en société nouvellement créée dans le cadre des dispositions de l'article 238 quaterdecies du CGI qui exonère d'impôt les plus-values dégagées à la suite de l'apport en SEL opéré par un chirurgien-dentiste (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D). Enfin, le Conseil d'Etat vient de rendre une décision importante relative à la qualification d'avantages ou de distributions occultes en matière de management package. En effet, selon la Haute juridiction, l'objectif de motivation et de responsabilisation de dirigeants et de salariés ne permet pas, pour l'entreprise, de caractériser la poursuite de son intérêt propre (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 327782, inédit au recueil Lebon).
  • Concession de licences : l'octroi de dividendes et la valorisation potentielle des actifs constituent-ils un mode normal de rémunération ? (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 328762, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1509HYK)

Les faits de l'espèce rapportent qu'une SARL était concessionnaire de droits de propriété industrielle relatifs à une marque de boulangerie. Afin d'étendre le réseau de production et de distribution de pain traditionnel, deux contrats ont été conclus le 10 octobre 1996 avec ses deux filiales ; chacune alors se voyant attribuer un champ d'activité géographique. Les conventions prévoyaient également un mode de rémunération des sous-licences : pour l'une des filiales, la SARL A, il était prévu une présentation à la SARL mère de candidats à la sous-licence ainsi que le règlement, par la filiale à la société mère, de la moitié des droits d'entrée. Pour l'autre filiale en revanche, la SARL B, cette dernière avait la possibilité de concéder elle-même des sous-licences de marque et de savoir-faire tout en percevant alors les droits d'entrée sans les reverser à la société mère. L'administration a remis en cause l'abstention de la société mère de percevoir une rémunération à raison de ces sous-concessions.

C'est donc sur le terrain de la théorie de l'acte anormal de gestion que l'administration fiscale a contesté de telles conventions. Initié par le juge de l'impôt, l'acte anormal de gestion (1) constitue une borne au principe de liberté de gestion des entreprises (2). Toutefois, l'administration fiscale n'est pas juge de l'opportunité quant à la gestion d'une entreprise, et si elle peut apporter la preuve, dans le principe et dans le montant, qu'il existe bien une ou plusieurs contreparties au contrat, il appartiendra au service de démontrer que ces contreparties sont en réalité inexistantes, dépourvues d'intérêt ou encore insuffisantes.

Les arguments opposés en appel (CAA Marseille, 4ème ch., 7 avril 2009, n° 06MA02708, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9319EHM) par la SARL mère tiennent à l'octroi de dividendes importants servis par la société filiale B et qui se sont élevés à 4 297 000 francs (655 073 euros) entre 1998 et 2002. La société opposait également d'autres arguments tendant à l'existence de contreparties telles que la réduction de ses propres charges, notamment de personnel, découlant de cette organisation ; la valorisation très importante de la marque entre 1996 et 1999 portée de 8 648 969 francs (1 318 527 euros) à 30 288 462 francs (4 617 446 euros) ; et l'augmentation substantielle du nombre de magasins ouverts sous licence (3). Si les juges d'appel ont bien relevé, au terme de l'instruction obligatoire du dossier (CJA, art. R. 611-19 N° Lexbase : L5722ICW), l'exactitude matérielle de ces arguments, le ministre opposait le caractère indifférent des dividendes dont le montant, au surplus, était aléatoire.

Devant le Conseil d'Etat, l'arrêt de la cour administrative d'appel sera censuré pour erreur de droit : la Haute juridiction administrative règle l'affaire au fond, dès lors que le versement de dividendes et le bénéfice d'un accroissement de la valeur des actifs de la filiale ne peuvent être considérés comme un mode de rémunération normale d'une concession de licence, même prévue au contrat. Pour les juges du Palais-Royal, "le fait de renoncer à obtenir une contrepartie financière lors de la signature d'une concession de licences de marque et de savoir-faire ne relève pas en règle générale d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt". Dans l'esprit de la société mère, les dividendes constituaient la rémunération de la licence, sans préciser quelle part de ces dividendes aurait pu constituer la rémunération du capital et celle prévue pour les droits de propriété industrielle concédés à la filiale. Mais cette distinction est superflue dès lors que, sous la plume du juge de l'impôt, la généralité du considérant l'exclut. En effet, le dividende, "part de bénéfices que la société distribue à chacun de ses actionnaires" (P. Merle et A. Fauchon, Droit des sociétés, Dalloz, coll. Précis, 14ème édition, 2010, p. 356) a la nature de fruit et ne peut avoir d'existence juridique "avant l'approbation des comptes de l'exercice de l'assemblée générale" (4) : lors de la signature de la concession de licence, le principe même d'un versement de dividendes en rémunération ne pouvant être acquis a priori, il était inenvisageable d'opter pour ce mode de rémunération arrêté entre cocontractants alors que la distribution de dividendes est une prérogative n'appartenant qu'aux seuls associés qui ont une qualité juridique distincte des cocontractants. Peut-être y a-t-il eu une confusion entre ces deux dernières qualités, confusion que l'on rencontre régulièrement au sein des petites et moyennes entreprises : une même personne supportant plusieurs casquettes juridiques différentes, sans véritablement en appréhender les distinctions et les effets, et tentée de faire de la rédaction d'actes en recopiant un "modèle" (5) glané sur internet. Il y a également eu élaboration d'un moyen juridique pour les besoins de la cause, une fois le redressement émis, car il est peu probable qu'un fiscaliste ait été sollicité lors de la rédaction de la convention litigieuse sur les conséquences d'une concession de licence sans rétrocession de redevances à la société mère. On remarquera, de plus, que le redressement concernait l'exercice 1998, mais également 1997, pour lequel il n'est pas rapporté l'existence d'un versement de dividendes ou une valorisation des actifs de la société dans un laps de temps aussi court (6).

Si le juge de cassation censure le raisonnement de la juridiction d'appel quant au mode normal de rémunération d'une concession de licence, le Conseil d'Etat prononce, pour une toute autre raison, la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % pour les exercices considérés. En effet, l'administration fiscale a arrêté, au titre des redressements émis pour 1997 et 1998, les mêmes modalités de calcul des redevances sans opérer de distinction entre les deux filiales A et B alors que la première n'était qu'agent commercial, les charges de la société B étant plus importantes que celles supportées par la société soeur et leurs obligations juridiques n'étant pas similaires.

"Happy end" pour la contribuable. A suivre pour les rédacteurs d'actes...

  • Pour être reprise par une société en cours de formation, une opération ne peut pas rétroagir antérieurement à la date du début de l'exercice fiscal de la société nouvellement immatriculée (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D N° Lexbase : A9582HX8)

Le législateur est intervenu, au moyen de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 (N° Lexbase : L0814GTC), afin de soutenir la consommation et l'investissement, et plus précisément "favoriser le maintien des activités de proximité, notamment dans les centres villes ou les zones rurales, en levant un obstacle fiscal aux transferts et reprises des petites entreprises" (Instruction du 25 février 2005, BOI 4 B-1-05 N° Lexbase : X9107ACB). Il était alors prévu une exonération des plus-values professionnelles pour les cessions intervenues entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005. Codifié à l'article 238 quaterdecies du CGI (N° Lexbase : L4932HLA), ce texte, modifié en décembre 2004 (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB), est l'ancêtre des dispositions de l'actuel article 238 quindecies du CGI (N° Lexbase : L3104HNB), en vigueur depuis le 1er janvier 2006.

Le dispositif d'exonération prévue par l'article 238 quaterdecies du CGI portait sur l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, et exonérait les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale lors d'une cession à titre onéreux et portant sur une branche complète d'activité, dont la valeur n'excède pas 300 000 euros. Bien entendu, des conditions cumulatives étaient imposées : le cédant devait être une entreprise dont les résultats étaient soumis à l'impôt sur le revenu ou un organisme sans but lucratif ; ou bien une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale, ou l'un de leurs établissements publics ; ou une société dont le capital était entièrement libéré et détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques, ou par des sociétés dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques.

Précisons que, s'agissant du champ d'application matériel de l'article 238 quaterdecies du CGI, par principe : "les professionnels libéraux exerçant à titre individuel ou les structures dans lesquelles ils exercent, peuvent, notamment, bénéficier de l'exonération d'impôts sur les bénéfices des plus-values professionnelles" (QE n° 51223 de Mme Pavy Béatrice, JOAN 16 novembre 2004, p. 8939, réponse publ. le 26 avril 2005, p. 4268, 12ème législature N° Lexbase : L4187G8L). Mais "les cessions ayant pour objet un refinancement d'activité ne peuvent bénéficier de l'exonération des plus-values de cession d'une branche complète d'activité" (QE n° 56287 de M. Léonard Gérard, JOAN 25 janvier 2005, p. 671, réponse publ. le 7 juin 2005, p. 5856, 12ème législature N° Lexbase : L5621G93).

La vigilance est donc de mise d'autant que l'article 238 quaterdecies, aussi appelé "exonération Sarkozy", avait fait l'objet d'une instruction dans laquelle l'administration menaçait tout contribuable y recourant des foudres de l'abus de droit (7) dans l'hypothèse où il ne se conformerait pas aux objectifs de la loi (instruction précitée § 57 ; LPF art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU ; M. Cozian, Vente à soi-même d'un cabinet médical et exonération "Sarkozy" : abus de droit ou effet d'aubaine ?, Dr. fisc., ét. 204, 13 mars 2008) : la doctrine administrative est également un outil de dissuasion (notre thèse, L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Paris XIII, 2009, § 19).

Redressement promis, redressement dû : la jurisprudence la plus récente témoigne de la vigilance des agents de l'administration fiscale à l'encontre des contribuables qui se prévalent de ce régime d'exception (CAA Nancy, 2ème ch., 13 janvier 2011, n° 09NC01491, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4959GQQ ; avec un avis défavorable -fait rarissime méritant d'être souligné- rendu par la Commission des infractions fiscales quant à l'opportunité d'engager des poursuites pénales à l'encontre du contribuable, notaire de son état : CAA Nancy, 2ème ch., 8 septembre 2011, n° 10NC00856, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7343HXA ; pour une indemnité versée à un agent général d'assurances : CAA Nancy, 2ème ch., 24 mars 2011, n° 09NC00766, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8321HIZ ; pour un exemple de mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit lorsqu'un chirurgien-dentiste se prévaut des dispositions de l'article 238 quaterdecies : CAA Nantes, 1ère ch., 25 novembre 2010, n° 09NT01298, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4388GP9 ; ou encore pour un expert-comptable, pour lequel la juridiction d'appel prononce le rétablissement de la majoration de 80 % pour abus de droit, alors même qu'une mention expresse (8) était jointe à la déclaration de revenus des contribuables : CAA Nantes, 1ère ch., 31 mai 2010, n° 09NT00211, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5838E3M).

Au cas particulier, ce sont les droits d'enregistrement qui étaient discutés devant l'ordre judiciaire : un chirurgien-dentiste apporte à une société d'exercice libéral, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 juin 2005 (9), les éléments incorporels et corporels de son entreprise individuelle, pour une somme totale de 250 000 euros. Cette convention, datée du 13 mai 2005 et enregistrée le 1er juin 2005, prévoyait une entrée en jouissance et la prise de possession des lieux fixée rétroactivement au 1er juillet 2004, ainsi que le transfert des contrats de travail à la même date.

L'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a remis en cause l'exonération des droits de mutation dont la société d'exercice libéral avait bénéficié. La société contribuable entendait opposer l'effet rétroactif attaché à la convention conclue entre elle et le chirurgien-dentiste puisque, d'une part, la vérification de comptabilité diligentée à son encontre englobait une période courant du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005 ; d'autre part, la jurisprudence du juge de l'impôt admet, par principe, une rétroactivité des actes à la date d'ouverture de l'exercice au cours duquel ils ont été conclus. Mais les deux juges -judiciaire et administratif- ne sont pas tenus d'aligner leurs jurisprudences respectives et il existe de nombreuses hypothèses témoignant de leurs divergences. Il en est ainsi quant à l'irrégularité d'une procédure de vérification de comptabilité, dont la durée a excédé trois mois (LPF art. L. 52 N° Lexbase : L3356IGE) : pour le juge administratif, seule l'imposition établie à la suite des opérations de vérification excédant le délai légal est irrégulière (CE 9° et 8° s-s-r., 23 juin 1993, n° 96477, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0139ANH), alors que le juge judiciaire prononcera la nullité de l'ensemble de la procédure (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-18.309, FS-P+B+R N° Lexbase : A6432DM8).

La doctrine administrative admet l'effet rétroactif attaché à un acte. Il en est ainsi des actes d'apports lors d'une restructuration d'entreprises : "dès lors que les traités de fusion, de scission ou d'apport comportent expressément une clause de rétroactivité, cette obligation contractuelle s'impose aux parties comme à l'administration en matière d'impôt sur les sociétés dès lors que le fait générateur de l'imposition des résultats des exercices en cours n'est pas intervenu (date de clôture de l'exercice ou, à défaut, le 31 décembre)" (10). Les parties à une telle opération de restructuration d'entreprises ont la possibilité de l'affecter d'une rétroactivité au jour de l'arrêté des comptes : dès lors, les opérations effectuées durant la période intercalaire sont réputées l'avoir été au nom de la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif. Le principe de la prévalence des stipulations contractuelles est accueilli favorablement par la jurisprudence, sous réserve du respect du principe de l'annualité de l'impôt et de la spécialité comptable, interdisant de modifier les résultats d'un exercice déjà clos (CE Section, 12 juillet 1974, n° 81753, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7621AYW ; CE 8° et 9° s-s-r., 26 mai 1993, n° 78156, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9478AMY ; instruction du 3 août 2000, 4 I-2-00 n° 93 et 94 N° Lexbase : X6075AAA).

S'agissant d'une société nouvellement créée, la doctrine administrative considère que l'effet rétroactif ne pouvait être antérieur à sa date d'immatriculation (instruction du 3 août 2000, BOI 4 I-2-00 (11)). Mais dans une décision récente (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juin 2011, n° 317212, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5580HU9), le juge de l'impôt a admis une rétroactivité d'une convention d'apport, sans que la loi commerciale y fasse obstacle, "à une date antérieure à celle à laquelle la personnalité de la société nouvelle est acquise", si toutefois les principes d'annualité de l'impôt et de spécialité des exercices sont respectés. Au cas particulier, la Cour de cassation oppose ces mêmes principes d'annualité et de spécialité à la société contribuable (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-21.664, F-D N° Lexbase : A9582HX8), confirmant ainsi l'arrêt de la cour d'appel (CA Bordeaux, 20 mai 2010, n° 09/04170 N° Lexbase : A8914HQ9).

  • Avantages et distributions occultes : l'objectif de motivation et de responsabilisation de dirigeants et de salariés, par l'octroi de droits pour l'achat de titres d'une filiale, ne caractérise pas la poursuite d'un intérêt propre par l'entreprise qui consent cet avantage (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2011, n° 327782, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1508HYI)

Les entreprises sont amenées à favoriser la motivation et la responsabilisation de leurs cadres et dirigeants dans le but de les fidéliser et de permettre d'assurer leur développement ainsi que leur pérennité. Dans cette optique, elles peuvent choisir de mettre en place un régime de management package qui "désigne les systèmes de rémunération des dirigeants en particulier dans les opérations de LBO [Leveraged Buy-Out]. Le management investit directement une partie de son patrimoine dans l'entreprise par le biais de BSA [bon de souscription d'action], d'obligations convertibles ou d'actions" (P. Vernimmen, P. Quiry, Y. Le Fur, Finance d'entreprise, Dalloz, coll., Dalloz Gestion, 10ème édition, 2011 ; v. également L. Julienne et A. Katchourine, Le management package : outils d'intéressement au capital des salariés et dirigeants, Lamy, coll. Axe Droit, 2010).

Dans le cadre d'une vérification de comptabilité, le service a estimé qu'une société ayant abandonné sans contrepartie des droits préférentiels de souscription au profit de nouveaux associés -dont le dirigeant de l'entreprise- avait commis un acte anormal de gestion. L'administration fiscale a alors considéré que la valeur des droits préférentiels de souscription devait être qualifiée de revenu distribué au profit de son dirigeant (CGI, art. 109-1 N° Lexbase : L2060HLU et art. 111 c N° Lexbase : L2065HL3), entraînant son assujettissement à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus et capitaux mobiliers. La très nombreuse jurisprudence relative, d'une manière générale, aux avantages et distributions occultes, démontre l'extrême vigilance de l'administration fiscale servie par un législateur converti sans trop de difficultés aux sirènes du réalisme fiscal (voir, à titre d'exemples, salaires versés à un contribuable sans aucune contrepartie effective : CAA Nancy, 2ème ch., 1er avril 2004, n° 00NC00513, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8136DBX ; acquisition d'un bien par la société à un prix majoré ou vente à un prix minoré sans que l'écart de prix comporte de contrepartie : CE Section, 28 février 2001, n° 199295, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0777ATX).

Les premiers juges ayant prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes (TA Melun, 28 septembre 2006, n° 0401645 N° Lexbase : A8814EGK), le ministre a alors interjeté appel du jugement (CAA Paris, 9ème ch., 5 mars 2009, n° 07PA00655, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8507EG8), mais sa thèse n'a pas trouvé d'écho favorable devant la juridiction d'appel. En effet, il a été considéré que le ministre ne démontrait pas que la renonciation à l'exercice des droits préférentiels de souscription était excessive au regard de la contrepartie opposée par le contribuable. Ce n'est pas la première fois que des opérations relatives à des titres sociaux sont qualifiées d'avantages ou de distributions occultes : la question du traitement fiscal d'une cession d'actions à un prix majoré par rapport à leur valeur vénale (CE 3° et 8° s-s-r., 26 mars 2008, n° 284374, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5933D7U), ainsi qu'une indemnité versée du fait du rachat de stock-options, alors que le bénéficiaire était dirigeant salarié de la société (CAA Paris, 2ème ch., 27 septembre 2006, n° 03PA02687, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2309DSC), s'est déjà posée. La jurisprudence a eu également à connaître des conséquences, pour une association, d'une renonciation à son droit préférentiel de souscription lors d'augmentations de capital d'une filiale (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2000, n° 196129, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9363AGU), entraînant un cataclysme fiscal pour l'association assujettie rétroactivement à l'impôt sur les sociétés et pour les personnes physiques parties prenantes à cette opération financière (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2000, n° 196130, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6520ATN).

Compte tenu de l'importance pratique des données de l'espèce, un pourvoi fut initié par le ministre et s'est soldé par une cassation de l'arrêt d'appel, ainsi qu'un renvoi devant les juges du fond, au motif d'une inexacte qualification juridique des faits de la cause : le Conseil d'Etat énonce, en premier lieu, un considérant de principe (cf. arrêt du 28 février 2001, précité) déjà bien connu des juges du fond (CAA Nancy, 2ème ch., 3 juin 2009, n° 08NC00646, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9168EHZ ; CAA Nantes, 1ère ch., 12 mai 2004, n° 00NT00448, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3414DDS ; CAA Versailles, 3ème ch., 26 juin 2007, n° 06VE00014, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6553DXY ; CAA Paris, 2ème ch., 12 mars 2002, n° 99PA01519, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5691AZS), selon lequel "en cas de vente par une société à un prix que les parties ont délibérément minoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices, au sens des dispositions de l'article 111 c du CGI ; [...] que la preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer et, pour le cocontractant, de recevoir une libéralité du fait des conditions de cession". La question de la contrepartie est donc essentielle dans ce type de litige et le Conseil d'Etat rejette, pour la première fois à notre connaissance, une argumentation opposée par le contribuable tenant seulement à la motivation et à la responsabilisation des dirigeants et des salariés de l'entreprise. La Haute juridiction administrative précise bien que à elle seule, cette motivation ne peut caractériser la poursuite d'un intérêt propre par l'entreprise qui consent cet avantage.

Les rédacteurs des outils d'intéressement au capital des cadres et dirigeants ne manqueront pas de tirer les conséquences de cet arrêt en adoptant une rhétorique écrite visant à prévenir l'incendie initié par la décision commentée.


(1) Afin de mieux cerner la nature de la théorie de l'acte anormal de gestion, le commissaire du Gouvernement Pierre-François Racine a effectué une comparaison avec le concept juridique d'intérêt social pour les sociétés : "une entreprise, surtout lorsqu'elle est constituée sous forme de société, a pour objet la recherche et le partage de bénéfices. Tout acte qu'elle accomplit, pour réaliser cet objet, est présumé effectué dans son intérêt propre. Toutefois, à cet intérêt social, l'une des notions fondamentales du droit des sociétés, certains actes ou opérations peuvent apparaître contraires. Il est, alors, possible à ceux qui prétendent, ainsi, s'immiscer dans la gestion de l'entreprise de demander au juge commercial la nullité de ces actes et, le cas échéant, au juge pénal d'en réprimer l'auteur si l'acte anormal de gestion peut être qualifié de délit, ce qui est le cas, par exemple, pour l'abus de biens sociaux. En droit fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l'administration entend écarter comme étrangère ou contraire aux intérêts de l'entreprise [...]. En résumé sur ce premier point, le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social, mais avec deux différences de taille : seule l'administration peut l'invoquer et elle peut agir d'office", CE 7° 8° et 9° s-s-r., 27 juillet 1984, n° 34588, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7122ALD) ; RJF octobre 1984 n° 1233, concl. p. 562.
(2) CE 7 juillet 1958 n° 35977 ; Dr. fisc., 1958, comm. 938.
(3) De 8 en 1996 à 42 magasins en 1999.
(4) Cette solution étant valable quelle que soit la forme de la société commerciale.
(5) Les juristes parlent plus volontiers d'une "formule" constituant un point de départ dans leur réflexion juridique, alors que le "modèle" est recopié servilement par des non-juristes : c'est alors une fin en soi.
(6) La convention a été conclue en octobre 1996.
(7) "Le régime prévu à l'article 238 quaterdecies ne saurait autoriser la réalisation, en franchise d'impôt, d'opérations de refinancement dans lesquelles l'activité serait poursuivie, en fait, par le même exploitant après la transmission à titre onéreux dans des conditions financières détériorées, notamment du fait du recours à l'emprunt. De telles opérations pourraient, le cas échéant, entrer dans les prévisions de l'article L. 64 du LPF".
(8) La mention expresse permet d'éviter l'application de l'intérêt de retard pourvu toutefois qu'elle soit suffisamment explicite (CGI art. 1727 N° Lexbase : L1536IPL). Au cas particulier, si les contribuables avaient mentionné sur leur déclaration d'impôt sur le revenu : "exonération des plus et moins-values professionnelles article 238 CGI, cessation d'activité suite à vente de clientèle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés et détenue à plus de 75 % par des personnes physiques, montant de la cession inférieure à 300 000 euros acte de cession du 31 décembre 2004, engagement de maintenir l'activité pendant au moins 5 ans, plus-value à long terme exonérée : 256 000 euros", la cour administrative d'appel de Nantes a relevé qu'il n'y avait pas, notamment, d'indication quant à l'identité de la société cessionnaire.
(9) Avec un début d'activité fixé au 1er juillet 2005.
(10) Instruction du 3 août 2000, BOI 4-I-2-00, § 87.
(11) "L'article 372-2 de la loi du 24 juillet 1966 [aujourd'hui : C. com., art. L. 236-4 N° Lexbase : L6354AI8], modifiée, sur les sociétés commerciales, prévoit qu'en cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, la fusion ou la scission prend effet à la date d'immatriculation de la nouvelle société ou de la dernière d'entre elles au registre du commerce et des sociétés. En conséquence, la date retenue sur le plan fiscal ne saurait être antérieure à celle prévue sur le plan juridique".

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