La lettre juridique n°798 du 10 octobre 2019 : Responsabilité

[Chronique] Chronique de droit du dommage corporel (avril - septembre 2019)

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par Clément Cousin, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université catholique de l’ouest | Nantes, Chercheur associé à l’institut de l’ouest : droit, Europe, UMR 6262, CNRS-Rennes1, Ancien juriste assistant à la Cour d’appel de Bordeaux, 5e ch. correctionnelle sur intérêts civils

le 10 Octobre 2019

Cette chronique a pour objet les conséquences juridiques d’un dommage corporel. Les normes visées sont celles ayant trait à la réparation des dommages causés par une lésion corporelle ou un décès.

Il s’agira donc de connaître à la fois les règles substantielles et procédurales permettant la réparation des préjudices découlant de ces dommages.

Cette chronique couvre la période d’avril à septembre 2019 inclus. 

I - Normes légales

Aucune norme légale à signaler.

II - Normes réglementaires (décret n° 2019-912 du 30 août 2019 N° Lexbase : L8794LR7)

Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le Code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8794LR7) est venu insérer un article R. 211-4-I au Code de l’organisation judiciaire au terme duquel certains tribunaux seront spécialisés et connaîtront d’un contentieux étranger à leur ressort. En matière de préjudice corporel, il faut noter que cela concerne les actions en responsabilité médicale, les réparations de dommages causées par un véhicule autre que terrestre ainsi que, au pénal, les délits et contraventions du Code du travail et du Code de la Sécurité sociale.

III - Normes prétoriennes

A - Généralités

1 - Le monopole des professions juridiques réglementées : valable pour la période non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire (Cass. QPC, 25 septembre 2019, n° 19-13.413, FS-P+B+I N° Lexbase : A0374ZQW)

Une société intitulée «centre de défense des assurés» a formé, devant la Cour de cassation, une demande de transmission d’une QPC sur la réglementation en matière de conseil juridique. Très concrètement, cette société souhaitait, manifestement, proposer des conseils juridiques aux victimes et l’ordre des avocats au barreau de Lyon a logiquement réagi sur le fondement de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

La Cour de cassation a décidé de ne pas transmettre la question au Conseil Constitutionnel, d’abord, au motif que la question n’est pas nouvelle et, ensuite, en ce que la réglementation n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif de protection des droits de la défense.

2 - Application de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique aux manœuvres obstétricales (Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-20.883, FS-P+B+I N° Lexbase : A7775ZEP, Gaz. Pal., 30 juillet 2019, n° GPL358m3, p. 25, note C. Cousin)

Dans un arrêt du 19 juin 2019, deux questions étaient posées à la Cour de cassation à la suite d’une manœuvre obstétricale conduisant à une dystocie des épaules ayant causé une paralysie à un enfant. La première était relative à l’exigence d’anormalité exigées par l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). La question appelle une précision plus qu’une révolution. La Cour de cassation confirme l’évidence que cette anormalité doit s’entendre du risque statistique entre le dommage dont on sollicite l’indemnisation et l’acte lui-même. Les défendeurs plaidaient pour une comparaison statistique entre l’acte litigieux et l’existence d’une lésion (l’élongation du plexus), peu important que cette lésion provoque le dommage dont l’indemnisation est sollicitée : la paralysie du plexus brachial. Ça n’est donc pas le fond de la décision qui retiendra l’attention, mais bien la motivation. La Cour exerce ici un contrôle lourd qui signale une attention particulière.

L’autre point abordé par cet arrêt est la conséquence de l’exigence d’un «acte» pour la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). Cette exigence permet donc l’indemnisation des conséquences d’une manœuvre tout en prohibant l’indemnisation des conséquences dommageables de l’accouchement sans manœuvre. L’interprétation du texte par la Cour est des plus rigoureuses. Néanmoins, exclure, du champ de la solidarité nationale, les conséquences dommageables des accouchements est critiquable. Dès lors, nous plaidons pour une évolution du texte.

3 - CIVI : autonomie ! (Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-13.853, FS-P+B+I N° Lexbase : A7570ZHT)

La question n’est pas nouvelle (lire, en ce sens, Cass. civ. 2, 18 juin 1986, n° 84-17.283 N° Lexbase : A4840AAI et Cass. civ. 2, 9 juin 1993, n° 91-18.677 N° Lexbase : A5848AB9) et l’arrêt, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 19 juin 2019 (Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-20.883, FS-P+B+I N° Lexbase : A7775ZEP), n’a que le mérite d’être une piqure de rappel : la CIVI est un mode parallèle d’indemnisation. Ainsi, un juge ne peut, au motif que les préjudices ont été intégralement réparés par une autre juridiction, juger irrecevable la demande d’indemnisation formée par la victime d’une infraction pénale.

4 - Aggravation (CE, 5° et 6° ch.-r., 13 mai 2019, n° 420825, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1611ZBB)

L’aggravation peut donner lieu à une nouvelle instance nécessitant une seconde expertise. Dans ce cas, le Conseil d’Etat indique, qu’en plus de solliciter l’indemnisation de préjudices non indemnisés au titre de la première action (ce qui implique que l’action ne se focalise pas sur l’aggravation uniquement), il est possible que la demande en aggravation ne fasse référence qu’à des préjudices non indemnisés lors de la première instance.

B - Postes de préjudices

1 - Préjudice sexuel (Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-13.704, F-D N° Lexbase : A3316Y8C)

La nomenclature dite «Dintilhac» définit largement le préjudice sexuel comme englobant les préjudices touchant la sphère sexuelle dont la «perte de capacité physique de réaliser l’acte» sexuel. Il est donc tout à fait logique que la Cour de cassation, très attachée à cette nomenclature, ait jugé qu’une «gène positionnelle», intégrait ce préjudice et devait donc, même si elle était «simple», faire l’objet d’une indemnisation.

2 - L’incidence professionnelle réparée (mais délocalisée) (Cass. civ. 2, 23 mai 2019, n° 18-17.560, F-P+B+I N° Lexbase : A1913ZCT ; Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-81.035, F-D N° Lexbase : A1070ZDY)

La doctrine (cf. en ce sens, C. Cousin, l’incidence professionnelle amputée, JCP éd. G, n° 43, 22 octobre 2018, p. 1109 et G. Hilger, Gaz. Pal., 23 octobre 2018, n°332z1, p. 21) avait dénoncé une solution très discutable adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 septembre 2018 (Cass. civ. 2, 13 septembre 2018, n° 17-26.011, F-P+B N° Lexbase : A7683X4C). Cet arrêt refusait à la victime, inapte à tout travail, le bénéfice de l’incidence professionnelle au motif que celle-ci suppose une activité professionnelle. Il s’agissait d’une lecture formelle de la nomenclature dite «Dintilhac», celle-ci visant à compenser l’exercice professionnel plus difficile à caractériser.

Les critiques semblent avoir porté leurs fruits puisque la deuxième chambre a fait évoluer sa position sur ce point, suivie de près par la Chambre criminelle.

L’expression de l’évolution de sa position par la deuxième chambre civile est marquée de manière claire et nette dans un arrêt de rejet du 23 mai 2019 publié au bulletin. Dans les faits, la victime ne pouvait plus travailler à l’issue d’un accident de la route et le mémoire en demande avait bien saisi l’opportunité de l’arrêt du 13 septembre 2018, plaidant que l’incidence professionnelle ne peut être accordée que si la personne peut toujours travailler. La deuxième chambre juge, alors, que le retour à l’emploi de la victime est très aléatoire, ce qui n’empêche pas, néanmoins, de réparer la perte de chance de bénéficier d’une promotion professionnelle sur le fondement de l’incidence professionnelle. Le revirement est donc consommé, la deuxième chambre acceptant d’indemniser un aspect non financier ayant trait à l’activité professionnelle pour une victime inapte au travail sur le fondement de l’incidence professionnelle. Elle le fait de la manière la plus simple en autorisant à nouveau l’usage de l’incidence professionnelle.

Tel n’a pas été le choix de la Chambre criminelle qui, cinq jours plus tard, soit le 28 mai 2019, est saisie d’une affaire de blessures involontaires, un cycliste ayant été renversé par une camionnette. L’auteur a été reconnu coupable et, par un arrêt du 12 janvier 2018-soit avant l’arrêt du 13 septembre- sur intérêts civils, la Chambre correctionnelle de la cour d’appel de Metz rejette la demande de la victime formée au titre de l’incidence professionnelle au motif que la victime ne peut plus poursuivre d’activité professionnelle. De manière assez inattendue, la chambre criminelle opte, non pour le rattachement à l’incidence professionnelle, ce qui aurait été logique dans un contexte de limitation des postes de préjudices indemnisés, mais pour la reconnaissance d’un «préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et découlant de la situation d'anomalie sociale dans laquelle il se trouvait du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi». En somme, ce que vient indemniser ce poste est, non la dégradation des conditions de travail, mais les conséquences sociales qu’aura la perte de la capacité de pouvoir s’insérer dans la société par le travail. Cette solution a pour elle la rigueur : l’incidence professionnelle n’était pas, à l’origine, conçue pour indemniser l’absence de travail. Néanmoins, on peut regretter la création d’un poste de préjudice supplémentaire, obscurcissant une matière d’ores et déjà complexe, ajoutant, de plus, une nuance entre les deux voies de réparations, civile et pénale.

3 - Interdiction de la forfaitisation de l’incidence professionnelle (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-17.571, F-D N° Lexbase : A5798ZEH)

Des juges d’appel avaient été saisi d’une demande d’indemnisation d’une incidence professionnelle. Selon toutes vraisemblances, la victime avait essayé de chiffrer l’accroissement de pénibilité que les séquelles de l’accident faisaient peser sur lui à l’occasion de sa profession. Néanmoins, les juges d’appel jugeaient non étayé le taux proposé et retenaient le forfait proposé par l’assureur. La sanction des juges du droit est sans appel : il est impossible d’apprécier forfaitairement l’incidence professionnelle et la cassation intervient pour violation du principe de la réparation intégrale.

La solution a pour elle la rigueur juridique : toute indemnisation doit être casuelle. Néanmoins, l’on achoppe ici à un écueil classique de l’indemnisation corporelle : comment évaluer en argent ce qui ne donne pas lieu à une rémunération ? L’incidence professionnelle fait donc l’objet de «tarifs», qu’on s’en défende ou non. Si celle-ci n’a pas sa place dans le référentiel, il est évident qu’aucune détermination «scientifique» ne saurait être possible, la seule technique restant acquise par l’expérience et un sens de la justice pour composer entre offre et demande. Néanmoins, les paramètres doivent être exposés et il est nécessaire que le juge argumente le choix de son quantum.

4 - PGPF (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-15.671, F-P+B+I N° Lexbase : A5721ZEM ; Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-14.839, F-D N° Lexbase : A0766ZBY)

a - Fixation du quantum des PGPF : les juges du fonds souverains

La chose est classique : les juges du fonds disposent d’un pouvoir souverain dans l’appréciation des préjudices patrimoniaux en cas de décès de la victime directe (Cass. civ. 2, 28 juin 2007, n° 06-11.773, F-D N° Lexbase : A9423DWW). La position a été rappelée, sans ambiguïtés par la deuxième chambre civile, dans un arrêt en date du 13 juin 2019, pour le poste de gains professionnels futurs. Néanmoins, les juges du fond sont sous la surveillance de la Cour de cassation.

En effet, au stade du calcul, les juges du fond ne peuvent imputer, sur les PGPF, un revenu hypothétique dès lors que la victime ne travaille pas, comme l’indique la Cour de cassation dans un arrêt du 9 mai 2019. La position est conforme au principe d’indemnisation intégrale : seule la perte de chance est indemnisable ce qui signifie que le juge doit indiquer d’abord que la personne, si elle ne travaille pas, peut bénéficier d’un revenu et que ce revenu représentera une certaine somme. Il doit néanmoins affecter cette somme d’un coefficient représentant le risque de ne pouvoir trouver ce travail.

b - Appréciation de l’inaptitude (Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-82.877, F-D N° Lexbase : A0971ZDC)

Le principe de l’indemnisation de la perte de gains professionnels s’apprécie in abstracto. Il s’agit ainsi de savoir d’abord si, au moment du fait générateur de la créance d’indemnisation, la personne pouvait travailler. Ensuite, si la personne ne travaillait pas, deux options étaient envisageables. La première option, et c’était celle choisie par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 6 avril 2017, n° 15/11363 N° Lexbase : A4413UXQ), consiste à considérer que les revenus futurs, du fait de l’absence d’emploi au jour de la décision, sont hypothétiques. La solution néglige cependant un fait : si la personne ne travaillait pas avant l’audience, elle en avait, néanmoins, la possibilité après l’audience. Rien ne s’opposait, en effet, à ce que la personne puisse travailler, celle-ci ayant cessé, peut-être, temporairement. Néanmoins, ce qui est certain est que, du fait de l’accident, elle verra son aptitude au travail réduite ou anéantie. Dès lors, et il s'agit de la deuxième option, la seule solution est d’indemniser la perte de chance de pouvoir bénéficier de nouveau d’un revenu. C’est cette position qui est rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 mai 2019.

5 - Tierce personne : uniquement lorsque la victime n’est pas hébergée dans un centre (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-19.682, F-D N° Lexbase : A5826ZEI)

La question, qui a fait l’objet d’un arrêt le 13 juin 2019, s’était déjà posée en des termes presque similaires en 2016 (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-14.068, F-P+B N° Lexbase : A5444RTS, note C. Cousin, Les nomenclatures des préjudices corporels : comment ressusciter l’esprit du rapport Dintilhac ?, Revue Lamy droit civil, avril 2017, n° 147, p. 18.) et le refus de la cour d’appel de Paris est tout à fait justifié au regard de cette jurisprudence. Il lui était demandé d’indemniser l’intégralité du poste de préjudice de tierce personne alors même que la victime était accueillie à temps partiel dans un centre d’hébergement spécialisé. Dès lors que ce centre supporte une partie des gestes qui auraient pu être effectués par la tierce personne, il faut retenir, au moins pour la période échue, uniquement les durées de présence effective en famille et donc hors du centre.

6 - Précisions sur le préjudice d’établissement : absence d’incidence de l’existence d’enfants (Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-19.592, F-D N° Lexbase : A2968ZIR)

Le préjudice d’établissement englobe-t-il le «ré-établissement» ? C’était la question posée à la deuxième chambre civile par un pourvoi contre un arrêt de la cour d’appel de Rennes. Dans cet arrêt rendu le 4 juillet 2019, la demanderesse en cassation avait été reconnue victime de traite d’êtres humains et de proxénétisme aggravé. Devant une CIVI, elle sollicitait l’indemnisation de ses préjudices dont le préjudice d’établissement. Le pourvoi motivait dans deux sens. D’une part, il précisait que, si la victime avait des enfants, elle n’avait plus de contacts avec eux du fait de l’impossibilité pour elle de revenir dans son pays d’origine. La Cour de cassation ne répond pas à cette branche et se penche uniquement sur la seconde. Celle-ci précise, d’autre part, que la victime est veuve et que, du fait des infractions dont elle était victime, elle ne peut plus réaliser de nouveau projet familial. L’argument des juges d’appel était qu’il est impossible de solliciter l’indemnisation d’un préjudice d’établissement alors même que l’on a déjà fondé une famille.

A l’heure de la diversification des parcours familiaux, l’argument est daté. Le remariage des veufs et veuves est une réalité (en statistique, la question est connue depuis un article de 1956 : Pressat Roland, Le remariage des veufs et des veuves. InPopulation, 11ᵉ année, n°1, 1956. pp. 47-58. DOI : 10.2307/1525711 www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1956_num_11_1_4735). Si la probabilité d’un remariage (ou, à tout le moins d’une vie familiale sans mariage) est plus faible pour une veuve ayant des enfants d’un premier mariage que pour une célibataire sans enfant, elle n’en est pas pour autant inexistante, ce qui fonde la cassation.

La Cour de cassation, toujours dans son arrêt en date du 4 juillet 2019, en profite pour édicter un attendu de principe en la matière : «le préjudice d'établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un tel projet de vie familiale».

7 - Frais de logement adaptés : la location n’est pas un principe indérogeable (Cass. civ. 2, 23 mai 2019, n° 18-16.651, F-D N° Lexbase : A5917ZC7 ; Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-15.786, F-D N° Lexbase : A0781ZBK).

La réparation du préjudice nécessitant un logement adéquat peut se faire de deux manières. D’une part, par la location d’un logement adapté, d’autre part, par l’adaptation du logement existant ou par l’acquisition d’un logement adapté. Dans les deux cas, il en résulte un surcoût pour la victime et c’est ce surcoût qui fait l’objet du poste de préjudice de frais de logement adapté.

La question s’est à nouveau (voir ainsi Cass. civ. 2, 2 février 2017, n° 15-29.527, F-D N° Lexbase : A4316TBH) posée à la Cour de cassation à la suite d’un accident de moto. La victime sollicitait non le prix de la location capitalisé mais un capital représentant la somme qu’il doit débourser pour acquérir un logement adapté. En principe, l’indemnité devant être servie doit être celle qui répare le préjudice. La différence entre la location et l’acquisition est que le premier mode est précaire tandis que le second est, du fait du lien réel, plus stable. Néanmoins, en théorie, économiquement, les deux solutions doivent se valoir, notamment lorsque l’on capitalise les sommes dues au titre de la location. Ce ne devait pas être le cas ici, si bien que les plaideurs durent mobiliser deux arguments supplémentaires. D’une part, ils sollicitaient l’achat et non la location parce que les travaux à entreprendre étaient importants dans le logement actuellement loué. Le preneur ne pouvait, en effet, modifier à sa guise le bien loué. D’autre part, ils avancaient le caractère précaire de la situation de preneur et plaidaient pour une solution pérenne.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mai 2019, censure au visa du principe de la réparation intégrale et pour défaut de base légale. Elle reproche, ainsi, aux juges du fond de ne pas avoir recherché si, pour la victime, la réparation intégrale ne supposait pas d’indemniser l’acquisition plutôt que l’adaptation d’un logement loué. Et sur ce point, la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation, ce qu’elle confirme, dans un arrêt en date du 9 mai 2019, en exigeant une motivation expresse du refus d’indemniser les frais d’acquisition plutôt que les frais d’adaptation du logement existant.

8 - Choix du barème de capitalisation  (Cass. civ. 2, 12 septembre 2019, n° 18-13.791, F-P+B+I N° Lexbase : A0800ZNX)

La Cour de cassation le rappelle : le juge du fond est souverain dans le choix du barème de capitalisation. Dans un arrêt du 12 septembre 2019, la Cour applique une position classique : le barème est choisi souverainement par les juges du fond (par ex : Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-18.196, F-D N° Lexbase : A0894RQ8). Néanmoins, la Cour précise ici que ce choix n’a pas à être soumis au débat contradictoire. Très concrètement, le juge n’a pas à solliciter, des parties, qu’elles se prononcent sur ce point ni à rouvrir les débats si celui-ci n’a pas été abordé. En pratique, les juges s’orientent massivement vers le barème publié par la Gazette du palais 2018.

9 - Préjudice d’angoisse de mort imminente : après l’accident et avec un état de conscience (Cass. crim., 14 mai 2019, n° 18-85.616, F-D N° Lexbase : A8523ZBB ; Cass. crim., 25 juin 2019, n° 18-82.655, F-D N° Lexbase : A3089ZHU)

On pensait les questions relatives au préjudice d’angoisse de mort imminente closes. Et pourtant, par deux arrêts, la Cour de cassation est venue préciser un point qui, jusque-là, était négligé. Les faits de l’espèce de l’arrêt du 14 mai 2019 s’y prêtaient bien : la victime avait vu la voiture lui foncer dessus de sorte qu’elle a saisi le caractère probablement inéluctable de sa mort avant l’impact. Il s’agissait alors de savoir si le préjudice d’angoisse de mort imminente pouvait être qualifié pour une angoisse précédant l’accident. Réponse négative de la Cour de cassation qui rappelle, dans le second arrêt, du 25 juin 2019, que l’indemnisation suppose aussi la conscience de la victime.

C - Liquidation du préjudice

1 - Actualisation de l’indemnité (Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-81.035, F-D N° Lexbase : A1070ZDY)

Un euro d’aujourd’hui n’est pas un euro d’hier. L’inflation (ou la déflation) aidant, la valeur de l’argent varie dans le temps. L’Insee met à disposition un moteur de conversion de la monnaie. Ainsi, 1000 euros en 2000 équivalent à 1290,24 euros en 2018.

L’arithmétique est simple quand on connaît le site de l’Insee. Néanmoins, se posait la question de savoir si le juge est obligé d’actualiser l’indemnité pour le cas où cela imposerait un calcul plus fastidieux. Dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 28 mai 2019, la victime percevait des salaires au Luxembourg et sollicitait une indemnité devant une juridiction française.

La Cour de cassation n’est pas clémente avec les juges puisqu’elle rappelle, dans cet arrêt, aux visas des articles 120 du Code civil (N° Lexbase : L1220ABS), 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) et du principe de l’indemnisation intégrale que, «l'actualisation de l'indemnité allouée en réparation du préjudice est de droit lorsqu'elle est demandée».

Ce principe est classique maintenant. On peut remonter à un arrêt de 1992 (Cass. crim., 13 mai 1992, n° 90-87.633 N° Lexbase : A5186CSU) dans lequel le juge a, par un obiter dicta, glissé ce droit pour les parties. Ce droit se fonde sur le principe de l’indemnisation intégrale, celle-ci supposant d’allouer à la victime l’équivalent monétaire en vigueur au moment du jugement. Dès lors que la valeur de l’argent évolue, il est nécessaire de faire évoluer la valeur de l’indemnité.

2 - Imputation des créances des tiers payeurs (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-18.951, F-D N° Lexbase : A5700ZET)

Posée devant une CIVI, la question était de savoir si, dans le cas de l’imputation d’une rente d’invalidité conditionnée à l’état de santé de la victime, il était possible de limiter l’imputation de cette rente aux arrérages échus. La question n’est pas sans logique : dès lors qu’une incertitude existe, ici liée au fait que la rente est conditionnée à l’état de santé de la personne, il serait normal que l’on ne prenne cette rente que partiellement en compte dans le calcul de l’indemnité à verser.

Néanmoins, deux éléments ont fait pencher la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 juin 2019, vers l’exigence d’une prise en compte intégrale de la rente. D’une part, l’état de la santé de la victime était consolidé, ce qui, par définition, et réserve faite d’une aggravation, laisse penser que son état de santé ne va pas s’améliorer. D’autre part, l’article 706-9 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4091AZK) est strict et vise les indemnités tant reçues qu’à recevoir. Dès lors qu’une indemnité est certaine (ce qui est le cas ici du fait de la consolidation), elle rentre alors dans la catégorie des indemnités à recevoir et doit, alors, être imputée.

D - Procédures

1 - Eléments procéduraux spécifiques à la réparation du préjudice corporel 

a - Caisse de Sécurité sociale non appelée : nullité encourue, mais pas devant la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-15.671, F-P+B+I N° Lexbase : A5721ZEM)

L’article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8870LHY) impose, pour permettre le recours des caisses contre les tiers, que celles-ci soient appelées en déclaration de jugement commun. La question (pas nouvelle : Cass. civ. 2, 9 janvier 1991, n° 89-13575 N° Lexbase : A4422AHA) était de savoir si cette action peut être portée directement à l’occasion d’un pourvoi en cassation. Les juges du droit, par un arrêt rendu le 13 juin 2019, rejettent l’action en nullité au motif que celle-ci ne peut être directement portée devant eux. En effet, ceux-ci n’ont que la possibilité de contrôler l’arrêt attaqué au regard des mémoires et ne peuvent connaître du fond, ici de la réalité d’un appel en déclaration de jugement commun.

b - Prescription de l’action (CE, 5° et 6° ch.-r., 17 juin 2019,  n° 413097, Publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6638ZEL ; Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-19.604, FS-D N° Lexbase : A5817ZE8)

L’autonomie du droit de la responsabilité médicale n’en a pas fini de perturber les autres branches du droit. En général, en droit administratif, l’action se prescrit par deux mois (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L2809LPQ) ou, à défaut de notification de ce délai dans la décision, dans le délai d’un an (CJA, art. R. 421-5 N° Lexbase : L3025ALM). La question posée au Conseil d’Etat était de savoir si l’action présentée au-delà de ce second délai était forclose.

Les juges du fond, dont la position est confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 17 juin 2019, admettent l’action et le Conseil rappelle, d’une part, que la règle du délai d’un an ne s’applique pas en matière de réparation de préjudices causés par les personnes publiques avant de préciser, d’autre part, que le délai de prescription applicable est à trouver, soit dans la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances des personnes publiques (loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics N° Lexbase : L6499BH8), soit, pour les dommages corporels, à l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2945LC3), ce qui est le cas en l’espèce.

Voilà une application d’un principe classique en matière de sources : lex spécialia generalibus derogant. Pour être parfaitement exhaustif, le Conseil aurait dû indiquer que le droit commun en la matière est à trouver à l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) et que l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique n’est qu’une des trois exceptions à cette règle. Ainsi, cet article L. 1142-28  s’impose aux dispositions réglementaires du Code de justice administrative.

L’autre apport de cet arrêt est la non-opposabilité de la décision de rejet de la réclamation préalable lorsqu’elle ne mentionne que «le délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif serait interrompu en cas de saisine, dans ce délai, de la commission de conciliation et d'indemnisation».

Toujours en matière de prescription, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt en date du 13 juin 2019, que les dispositions relatives à la prescription des actions liées à l’amiante issue des lois de financement de la Sécurité sociale de 2011 sont bien dérogatoires à la loi du 31 décembre 1968 qui ne trouve donc pas à s’appliquer. Dès lors, en matière d’interruption de la prescription, c’est le droit commun qui s’applique, soit les articles 2240 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L7225IAT). Lex specialia toujours.

2 - Procédure pénale (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-15.738, F-D N° Lexbase : A9194ZDU)

On l’a vu, (C. Cousin, La constitution de partie civile n’est pas réductible à l’action civile, Lexbase, éd. priv. n° 766, 2018 N° Lexbase : N6865BXK), l’action civile peut parfaitement être intentée devant les juridictions civiles. En somme, l’article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU), fondant la compétence du tribunal correctionnel pour connaître des questions relatives à l’action civile en cas de relaxe, ne peut s’interpréter comme imposant cette compétence.

La question s’est encore récemment posée et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que la concentration des moyens ne concerne pas l’option garantie à la victime entre procédure civile et procédure pénale pour solliciter l’indemnisation de son préjudice.

3 - Procédure civile d’appel (Cass. civ. 2, 18 avril 2019, n° 17-23.306, F-D N° Lexbase : A6046Y9S)

La question est maintenant classique concernant les demandes nouvelles et ne doit pas être négligée lors du choix de l’option entre procédure pénale et civile. En effet, la deuxième chambre civile, comme en témoigne l'arrêt rendu le 18 avril 2019, «globalise» la demande en considérant que la demande initiale porte sur l’intégralité de l’indemnisation du préjudice ce qui permet l’adjonction de demandes complémentaires. Il en va tout autrement de la Chambre criminelle qui analyse les demandes par postes de préjudices, ce qui interdit d’accepter des demandes complémentaires (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.917, F-D N° Lexbase : A9645IQB)

IV - Petites sources (Une étude statistique majeure : Christophe Quézel-Ambrunaz, Vincent Rivollier, Laurence Clerc-Renaud, Lola Wrembicki-Giely. De la responsabilité civile à la socialisation des risques : études statistiques, [Travaux universitaires] Université Savoie Mont Blanc, 2018. 〈halshs-01893954〉)

Une étude statistique importante a été menée sous la direction du Professeur Quézel-Ambrunaz. Son idée générale est d’interroger la responsabilité civile pour prendre en compte notamment les barèmes d’indemnisation. L’étude statistique est suivie d’une étude plus classique de la jurisprudence.

Ce qui est intéressant dans cette étude est qu’en plus de son caractère descriptif, elle se double d’une analyse prospective.

L’étude commence par faire le point sur l’utilisation et l’évolution de l’utilisation de la nomenclature dite «Dintilhac». Il est d’abord démontré que les non spécialistes de dommage corporels utilisent un peu moins la nomenclature dite «Dintilhac» et ont une petite tendance à regrouper deux postes de préjudices, ce qui ne surprendra pas. Ce constat est suivi d’une interrogation prospective : quels préjudices rajouter à la nomenclature. Sur ce point, il est noté que l’insertion des préjudices d’anxiété ou des souffrances endurées après consolidations sont souhaitées par les avocats mais pas par les magistrats. On y apprend aussi, chose peu étonnante, que les juristes sont partagés sur l’adoption d’une nomenclature non limitative par voie réglementaire, ce qui n’est pas le cas concernant le barème médical unique par voie réglementaire.

Concernant les barèmes médicaux, on apprend que les magistrats des deux ordres ne remettent quasiment jamais en cause le taux d’AIPP proposé par l’expert, peu important qu’ils soient ou non spécialistes du dommage corporel.

En général, les répondants sont à 66 % favorables à l’adoption de barèmes pour certains postes de préjudices. On le sait, certains avocats sont vent debout contre cette proposition et cela se confirme dans la ventilation par professions des répondants : les avocats spécialistes sont plutôt contre, les avocats non spécialistes plutôt pour, la même répartition se retrouve selon qu’ils défendent les intérêts des victimes (contre) ou des débiteurs (pour). Inversement, les magistrats sont à une écrasante majorité pour, peu important qu’ils soient ou non spécialistes. Sont principalement concernés les quantums de tierce personne, de souffrances endurées, de DFP, de préjudice esthétique.

Concernant les barèmes actuels (référentiel indicatif, barème de l’ONIAM ou du FGTI), les auteurs notent que, de manière surprenante, les magistrats spécialisés l’utilisent systématiquement tandis que le comportement est inverse pour les avocats spécialisés. On retrouve concernant la proposition d’un référentiel indicatif adopté par voie réglementaire les mêmes avis que pour la barémisation des postes de préjudices.

Concernant les tables de capitalisation, c’est sans conteste le barème de la Gazette du Palais qui l’emporte, avec quelques surprises sur la version appliquée. L’enquête a été menée en 2017 et certains juristes appliquaient encore celle de 2004. On note que le barème de l’université Savoie Mont Blanc (produite à l’initiative du porteur de l’étude) est largement négligé par les juges et les avocats.

L’étude s’intéresse, ensuite, à la socialisation des risques. Cela commence par une proposition relative à la capitalisation des indemnités. Il est proposé de verser le capital à un organisme qui servira ensuite une rente à la victime. Les avocats sont globalement contre. Concernant l’adoption d’une table de capitalisation à valeur réglementaire, les avocats sont plutôt contre tandis que les magistrats sont très largement pour. L’étude poursuit en testant plusieurs propositions provenant notamment de droits étrangers.

La seconde partie est intéressante en ce qu’elle délivre un certain nombre de données statistiques (plus de 2000 décisions traitées) et poste par poste. On y apprend par exemple que les hommes sont moins bien indemnisés que les femmes au titre des souffrances endurées ou que, toujours pour ce poste, les cours administratives d’appel indemnisent moins bien que les cours d’appel. Inversement, les femmes sont moins bien indemnisées au titre du préjudice sexuel et du préjudice d’établissement.

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