La lettre juridique n°446 du 30 juin 2011 : Sociétés

[Jurisprudence] La perte immédiate de la qualité d'associé d'une SEL consécutive à l'exclusion de celui-ci

Réf. : Cass. civ. 1, 26 mai 2011, n° 10-16.894, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4820HSC)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

le 30 Juin 2011


Le droit des sociétés, comme les autres branches du droit, est régi par le principe fondamental qui s'oppose à ce qu'un associé demeure prisonnier de ses droits sociaux. Celui-ci doit pouvoir sortir de la société aussi librement qu'il y est entré (1). Corrélativement, il a le droit de demeurer aussi longtemps qu'il le désire au sein de la société à laquelle il appartient. C'est dire qu'il ne peut être exclu contre son gré. La doctrine soutient fermement cette idée (2). Mais ce droit n'est pas absolu ; il a pour contrepartie l'obligation de l'associé de sortir de la société, lorsque les textes, ce qui est assez rare, les statuts, ce qui est plus courant, ou les circonstances, ce qui arrive parfois, l'imposent. Reste à déterminer la date à laquelle l'associé retiré ou exclu perd effectivement sa qualité (3). A ce sujet, autant les tribunaux statuent assez souvent sur le retrait d'un associé, autant ils sont moins directement sollicités pour l'exclusion d'un associé, sinon à l'occasion du remboursement des parts de l'associé évincé, par analogie avec la jurisprudence relative au retrait dans les sociétés civiles, ou à l'accord passé entre la société et l'associé sur le nombre de parts à rembourser et leur évaluation, notamment par le recours amiable ou judiciaire à l'expert de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD).


I - La question fort délicate et importante de la date de perte de la qualité d'associé est débattue dans l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 mai 2011. Le cadre du litige est une société d'exercice libéral exploitant un laboratoire d'analyses de biologie médicale. Au cours d'une assemblée générale tenue le 17 avril 2009 à 19h30, un associé co-gérant n'a pu exercer son droit de vote car, lors d'une précédente assemblée générale tenue à 19h, il a fait l'objet d'une exclusion avec effet immédiat, pour non-respect des règles de fonctionnement de la société.

La cour d'appel de Caen, statuant le 30 mars 2010, a annulé l'assemblée de 19h30 à laquelle aurait participé l'associé exclu, si son éviction, bien que non contestée, n'avait pas immédiatement pris effet (4). Pour justifier sa position, la juridiction de seconde instance avait estimé qu'il ne pouvait se déduire de l'article R. 6212-86 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5718HBE), auquel renvoie l'article R. 6212-87 (N° Lexbase : L5719HBG), et repris à l'article 12 des statuts, que la perte de la qualité d'associé était effective dès la décision d'exclusion, pareille interprétation étant contraire, d'une part, au souhait du législateur, les mentions de l'article R. 6212-86 devant avoir pour but, selon l'article 21 de la loi du 31 décembre 1990, relative aux sociétés d'exercice libéral (N° Lexbase : L3046AIN), de préciser les garanties morales, procédurales et patrimoniales de l'associé exclu ; d'autre part, au droit commun des sociétés.

La décision de la cour d'appel est censurée par la juridiction suprême, au visa des articles 21 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, R. 6212-86 et R. 6212-87 du Code de la santé publique. Selon cette dernière, si conformément à l'alinéa 2 de l'article R. 6212-86, l'atteinte portée aux règles de fonctionnement de la société par un associé emporte la perte immédiate de la qualité d'associé et des droits qui s'y attachent, il faut faire exception jusqu'au remboursement des droits sociaux, de la rétribution des apports en capital.

II - La solution, bien qu'inédite, vient utilement compléter la jurisprudence traditionnellement appliquée en matière de perte de la qualité d'associé dans les sociétés d'exercice d'une activité professionnelle, lesquelles sont régies par des textes spécifiques, qu'il s'agisse des sociétés civiles professionnelles (5) ou, comme en l'espèce, des sociétés d'exercice libéral. Elle revêt une particularité en ce qu'elle confère un effet immédiat à l'exclusion de l'intéressé qui perd à cet instant sa qualité d'associé et toutes les prérogatives qui y sont attachées.

Habituellement, en l'absence de texte spécifique ou en cas de mutisme du texte applicable, ce qui est le cas de l'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7), les tribunaux décident que l'associé retiré ne perd sa qualité de membre de la société qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux (6). Cela n'empêche cependant pas que le texte en vigueur, en particulier l'article 1860 du Code civil (N° Lexbase : L2057ABS), énonce expressément que le remboursement des droits sociaux doit précéder la perte de la qualité d'associé en cas d'exclusion liée à la déconfiture, à la faillite personnelle, à la sauvegarde, au redressement ou à la liquidation judiciaire atteignant l'intéressé.

En toute hypothèse, quand un texte particulier détermine clairement la date de perte de la qualité d'associé consécutive à un retrait ou à une exclusion, il s'applique impérativement et rend inefficace la solution prétorienne. C'est particulièrement le cas des sociétés civiles professionnelles à propos desquelles le retrait d'un associé traduit une volonté qu'il exerce discrétionnairement, c'est-à-dire quand il le désire (7), et son exclusion s'impose à lui à titre de sanction, notamment s'il se rend coupable d'une faute qui le prive des conditions exigées pour conserver cette qualité ; elle s'assimile parfois à un retrait forcé.

S'agissant précisément de l'exclusion, objet de notre propos, selon l'article 24, alinéa 3, de la loi du 29 novembre 1966, un associé d'une société civile professionnelle (loi n° 66-879 N° Lexbase : L3146AID) définitivement interdit d'exercer la profession perd sa qualité au jour de cette sanction. Néanmoins, il résulte de la combinaison de cette disposition légale et des articles 32 et 58 du décret du 2 octobre 1967, pris pour son application à la profession de notaire (N° Lexbase : L1983DY4), qu'un tel associé perd son statut de membre de la SCP à dater de la cession de ses parts sociales dans le délai de six mois, et non à compter de la mesure dont il est l'objet (8). Seule donc cette cession le prive de sa qualité d'associé, alors que la destitution devenue définitive l'empêche simplement d'exercer son activité professionnelle.

Ce principe est transposable par identité textuelle aux avocats (9), aux huissiers de justice (10), aux avoués (11), aux commissaires-priseurs (12) et aux commissaires aux comptes (13).

III - Faute d'indication textuelle expresse, la situation paraît incertaine en l'espèce relative à une société d'exercice libéral exploitant un laboratoire de biologie médicale. Les textes applicables en la matière, plus précisément les articles R. 6212-86 et R. 6212-87 du Code de la santé publique, ne soufflent mot sur la date de perte de la qualité de membre de la société par l'associé retrayant ou exclu. Cela explique probablement les positions antagoniques de la Cour de cassation et de la cour d'appel de Caen.

L'article R. 6212-86 se contente de citer les causes d'exclusion d'un associé de société d'exercice libéral mentionnée à l'article R. 6212-72 (N° Lexbase : L5704HBU mesure disciplinaire entraînant une interdiction d'exercice ou du droit de donner des soins aux assurés sociaux, égale ou supérieure à trois mois, atteinte aux règles de fonctionnement de la société) ; la procédure d'exclusion d'un associé (majorité requise, convocation de l'intéressé par l'assemblée 15 jours au moins avant la date prévue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, présentation de sa défense sur les faits précis qui lui sont reprochés) ; les conséquences de l'exclusion (rachat par un acquéreur agréé par les associés subsistants ou par la société, des parts ou actions de l'associé évincé, évaluation de celles-ci conformément à l'article 1843-4 du Code civil).

L'article R. 6212-87 énonce simplement la conservation par l'associé exclu de ses droits et obligations, exception faite de la rémunération liée à l'exercice de son activité professionnelle.

Ces textes, bien que muets sur la question controversée, ne sont pas dépourvus d'utilité pour la résolution du présent litige. En effet, la première chambre civile procède à leur rapprochement (c'est le mot qu'elle emploie ici) pour censurer l'arrêt de la cour d'appel de Caen et renvoyer la cause ainsi que les parties, dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, pour y être fait droit devant la cour d'appel de Rouen. Elle décide que le membre exclu perd immédiatement sa qualité d'associé et les droits qui s'y rapportent, sauf la rétribution des apports en capital, jusqu'au remboursement des droits sociaux. En effet, si conformément à l'article R. 6212-87 du Code de la santé publique, l'intéressé évincé ne conserve pas, autrement dit se trouve privé, de ses droits et obligations d'associé, il perd également sa qualité ; d'où l'invalidation des résolutions d'assemblées postérieures auxquelles il aurait pris part, alors qu'il ne disposait déjà plus des droits attachés à la qualité d'associé, en particulier du droit de vote.

S'agissant de la rémunération inhérente à l'activité professionnelle qu'énonce l'article R. 6212-87, la Cour de cassation la qualifie de "rétribution des apports en capital", expression assez semblable à celle de "rémunérations afférentes à ses apports en capital" utilisée par les décrets relatifs aux sociétés civiles professionnelles, notamment l'article 31, alinéa 2, du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 (14). Un courant doctrinal majoritaire (15) perçoit dans cette désignation la rémunération à la charge de la société de la créance de quote-part d'actif net, c'est-à-dire l'actif réalisable diminué du passif dû aux tiers, tandis qu'un auteur le conçoit comme un droit aux bénéfices (16). La présente interprétation de la Cour de cassation semble conforter la première approche doctrinale.

Est-il besoin de le rappeler ? La Cour de cassation signale les articles précités du Code de la santé publique dans le visa de censure de l'arrêt d'appel, à côté de l'article 21 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relatif aux sociétés d'exercice libéral. L'alinéa 2 de ce dernier article dispose que les décrets d'application peuvent édicter des hypothèses d'exclusion d'un associé de la société en mentionnant les garanties morales, procédurales et patrimoniales qui lui sont accordées en ces circonstances.

Contrairement à l'affirmation de la juridiction d'appel de Caen, la disposition textuelle ne vise pas à définir de façon abstraite (à préciser par le juge), le voeu du législateur de protéger l'associé évincé. Elle a pour objet de conférer aux décrets en Conseil d'Etat la faculté de réglementer l'exclusion dont le principe est dégagé par la seule loi.


(1) C. Lapoyade Deschamps, La liberté de se retirer d'une société, D., 1978, chron. p. 123.
(2) J.-P. Storck, La continuation d'une société par l'élimination d'un associé, Rev. sociétés, 1982, p. 242.
(3) M. Laroche, Perte de la qualité d'associé : quelle date retenir ?, D., 2009, p. 1772.
(4) CA Caen, 30 mars 2010 ; Dr. sociétés, mai 2011, n° 90, obs. D. Gallois-Cochet.
(5) Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, n° 08-19.895, FS-P+B (N° Lexbase : A7136EPY) ; nos obs., Le défaut de qualité et l'intérêt de l'associé retiré d'une SCP de notaires à agir en nullité d'une assemblée générale postérieure à son départ, Lexbase Hebdo n° 379 du 21 janvier 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N9595BMC), D., 2010, AJ p. 90, obs. A. Lienhard, D., 2010, jur. p. 745, note M. Laroche, JCP éd. E, 2010, n° 5, 1121, note H. Hovasse, Defrénois, 2010, p. 741, note B. Thullier ; Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-68.720, F-D (N° Lexbase : A5912E9T), Dr. sociétés, décembre 2010, n° 224, obs. H. Hovasse, Bull. Joly Société, 2011, p. 306, note J.-P. Garçon, Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-68.135,F-P+B+I (N° Lexbase : A7998GC9), D., 2010, AJ p. 2577, obs. A. Lienhard, Bull. Joly Sociétés, 2011, p. 21, note D. Gallois-Cochet, Defrénois 2011, p. 357, note B. Thullier.
(6) Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E), RLDA, novembre 2008, n° 1915, nos obs. ; J.-B. Lenhof, Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6457BGA) ; D., 2008, AJ p. 1818, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 965, note F.-X. Lucas ; JCP éd. G, 2008, II, 10169 et JCP éd. N, 2008, n° 41, 1306, notes C. Lebel, au sujet d'une SCI et d'un GAEC. V., à propos d'un associé d'une SCI autorisé à se retirer par un jugement désignant un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil pour évaluer ses parts sociales, Cass. com., 27 avril 2011, n° 10-17.778, F-D (N° Lexbase : A5316HPL), BRDA, 10/2011, n° 2.
(7) Loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, art. 21 (N° Lexbase : L3119AID), à rapprocher de C. com., art. L. 231-6, al. 1er (N° Lexbase : L6278AID), relatif aux sociétés à capital variable : "chaque associé peut se retirer de la société lorsqu'il le juge convenable [...]".
(8) Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.193, F-P+B (N° Lexbase : A5223DWD), Bull. civ. IV, n° 139 ; BRDA, 19/2007, n° 4 ; Bull. Joly Sociétés 2007, p. 1065, note J.-J. Daigre.
(9) Décret n° 92-680, 20 juillet 1992, art. 54 (N° Lexbase : L7112AZG).
(10) Décret n° 69-1274, 31 décembre 1969, art. 58 (N° Lexbase : L7056AZD).
(11) Décret n° 69-1057, 20 novembre 1969, art. 58 (N° Lexbase : L5214G7A).
(12) Décret n° 69-763, 24 juillet 1969, art. 58 (N° Lexbase : L5215G7B).
(13) C. com., art. R. 822-101 (N° Lexbase : L2252HZG).
(14) "L'associé titulaire de parts sociales perd, à compter de la publication de l'arrêté constatant son retrait, les droits attachés à sa qualité d'associé, à l'exception toutefois des rémunérations afférentes à ses apports en capital".
(15) B. Thullier, H. Hovasse, notes sous Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, préc., note 5.
(16) D. Gallois-Cochet, note sous Cass. com., 28 octobre 2010, préc., note 5.

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