La lettre juridique n°439 du 12 mai 2011 : Contrat de travail

[Jurisprudence] L'incohérence du décompte de la période d'essai en jours calendaires

Réf. : Cass. soc., deux arrêts, 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9) et n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA)

Lecture: 10 min

N1508BSN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L'incohérence du décompte de la période d'essai en jours calendaires. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4416316-jurisprudence-lincoherence-du-decompte-de-la-periode-dessai-en-jours-calendaires
Copier

par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 12 Mai 2011

La durée de la période d'essai constitue l'un des éléments les plus fondamentaux de son régime juridique. Par essence temporaire, l'essai est enserré dans des limites de temps maximales établies par le législateur, tant pour le contrat à durée déterminée que pour le contrat à durée indéterminée. Or, comme toujours lorsqu'il s'agit de décompter un délai, la computation de celui-ci est d'une importance pratique fondamentale afin de déterminer quand prend fin l'essai et, par conséquent, son régime dérogatoire excluant le droit commun de la rupture du contrat de travail. C'est sur cette question essentielle que revient la Chambre sociale de la Cour de cassation par deux arrêts rendus le 28 avril 2011 qui concernent, plus particulièrement, la période d'essai du contrat à durée déterminée (I). L'étude de l'argumentation de la Chambre sociale ne permet pas de dissiper le sentiment selon lequel la règle ainsi posée demeure très contestable (II).
Résumé

Au sens de l'article L. 1242-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1442H9B), et sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires.

Commentaire

I - Le décompte maintenu de la période d'essai en jours calendaires

  • La durée de la période d'essai

La durée de la période d'essai du contrat de travail fut l'un des objets centraux de la réforme de l'essai, intervenue à l'occasion de la loi du 25 juin 2008 (1). En effet, s'agissant du contrat de travail à durée indéterminée, la loi a introduit pour la première fois au Code du travail des durées maximales d'essai, que cela concerne la période initiale ou son renouvellement (2).

La mesure nouvelle ne l'était pas complètement, dans l'absolu, puisque certaines durées maximales d'essai avaient déjà été envisagées pour certaines professions ou pour certains contrats. Au titre des professions particulières, on trouve par exemple le cas des assistants maternels pour lesquels la loi imposait déjà une durée de trois mois d'essai (3). Au titre des contrats spécifiques figurait, de longue date, le contrat d'apprentissage (4) et, depuis la loi "Auroux" de 1982, la durée de la période d'essai du contrat de travail à durée déterminée (5).

En effet, l'article L. 1242-10, alinéa 2, du Code du travail dispose que, "sauf si des usages ou des stipulations conventionnelles prévoient des durées moindres, cette période d'essai ne peut excéder une durée calculée à raison d'un jour par semaine, dans la limite de deux semaines lorsque la durée initialement prévue au contrat est au plus égale à six mois et d'un mois dans les autres cas". La durée de la période d'essai du contrat à durée déterminée est donc proportionnelle à la durée du contrat lui-même, comme cela est d'ailleurs le cas s'agissant du contrat de mission (6).

Comme toujours lorsqu'il s'agit d'un délai, des interrogations ont très tôt été soulevées s'agissant de la computation de celui-ci.

  • Le décompte de la durée de l'essai

Longtemps, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le décompte de la période d'essai du contrat de travail à durée indéterminée devait s'effectuer en jours ouvrés (7), position relayée par l'administration du travail dans les années 1990 (8). Une position similaire était adoptée s'agissant de la période d'essai du contrat à durée déterminée (9).

Cependant, par un important arrêt rendu le 29 juin 2005, la Chambre sociale a nettement changé d'optique en jugeant que "toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires" (10). La formule, par sa généralité, semblait concerner tout aussi bien la période d'essai du contrat à durée déterminée que celle du contrat à durée indéterminée. C'est donc l'application de cette règle au contrat à durée déterminée qui est clairement précisée en l'espèce.

  • Première espèce

Un salarié avait été engagé par contrat à durée déterminée s'étalant du 27 décembre 2005 au 31 mars 2006, le contrat stipulant une période d'essai de huit jours. L'employeur rompit la période d'essai le 6 janvier 2006, ce qui inclina le salarié à saisir le juge prud'homal d'une demande d'indemnité compensatrice de salaire et d'une indemnité de fin de contrat. La cour d'appel de Dijon débouta le salarié de ses demandes au motif que la période d'essai aurait dû se décompter en jours travaillés, si bien que la rupture du contrat était intervenue avant que la période d'essai ne prenne fin.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 1242-10 du Code du travail et motive sa décision sur le fondement de ce texte. Elle juge, en effet, que "sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires".

  • Seconde espèce

Dans cette seconde affaire, un salarié avait été engagé par contrat d'accompagnement vers l'emploi à durée déterminée de six mois à compter du 23 juillet 2007 en qualité de technicien informatique. Le contrat stipulait une période d'essai d'un mois, ce qui permit à l'employeur de mettre fin au contrat de travail le 6 août 2007 en s'affranchissant des règles du licenciement. Le salarié saisit pourtant la juridiction prud'homale pour faire juger que la rupture, intervenue après l'issue de la période d'essai, était abusive. Le raisonnement du salarié tenait logiquement à ce que la période d'essai du contrat de travail à durée déterminée ne pouvait en principe, par application de l'article L. 1242-10 du Code du travail, excéder deux semaines. La cour d'appel de Douai débouta pourtant le salarié de ses demandes. En effet, si elle confirma le raisonnement du salarié selon lequel la période d'essai devait être ramenée d'un mois à deux semaines, elle jugea en revanche que la période d'essai devait être calculée en jours travaillés si bien qu'au moment de la rupture, le contrat de travail avait pris fin.

La Chambre sociale, par un visa et une argumentation en tous points identiques au premier arrêt, casse la décision des juges d'appel, la période d'essai devant être calculée en jours calendaires.

A première vue, il ne s'agit donc que de reprendre la règle déjà posée en 2005 par la même Chambre sociale. Cependant, différents apports s'élèvent de l'analyse de ces deux arrêts. Ils apportent, d'abord, la confirmation que la règle s'applique tout aussi bien au contrat à durée indéterminée qu'au contrat à durée déterminée. Ils précisent, ensuite, que la règle n'est pas impérative et que le contrat ou la convention collective de travail peut l'aménager. A la réflexion, ces deux apports sont sérieusement contestables.

II - Le décompte contestable de la période d'essai en jours calendaires

  • La transposition de la computation du délai à la période d'essai du contrat à durée déterminée

La transposition de la règle applicable au contrat à durée indéterminée au contrat à durée déterminée paraît logique, à la fois parce qu'elle était pressentie dans l'arrêt de 2005 ("toute période d'essai"), mais aussi parce qu'il n'existe pas de différence de nature juridique entre la période d'essai de chacun de ces deux contrats (11).

Le visa de l'article L. 1242-10 est parfaitement logique puisque ce texte comporte les dispositions spécifiques à la durée de la période d'essai du contrat à durée déterminée. Nul besoin, donc, de se référer aux règles plus générales applicables à la période d'essai du contrat à durée indéterminée. On ne s'étonnera pas non plus de l'absence de l'article 642 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6803H74) au visa qui, pourtant, règle la question du décompte en jours ouvrés d'un délai de procédure (12). En effet, la Chambre sociale en fait une application pour le moins cavalière, si bien qu'il serait pour le moins curieux de rappeler cette règle...

Que penser de ce mode de décompte appliqué à la période d'essai du contrat à durée déterminée ?

  • L'inadéquation du mode de décompte avec les finalités de l'essai

A la vérité, il est bien difficile de trouver une justification à la solution adoptée ici par la Chambre sociale.

Passons sur l'argument textuel tiré de l'article 642 du Code de procédure civile car, après tout, il est loin d'être certain que le délai d'essai constitue bien un délai de procédure. Il n'en reste pas moins que l'application de la règle énoncée par la Chambre sociale, pour les contrats à durée indéterminée comme pour les contrats à durée déterminée, va clairement à l'encontre de la finalité même de la période d'essai. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, la définition de l'essai est la même. Cette définition a, en tous les cas, été précisée par le législateur pour le contrat à durée indéterminée à l'article L. 1221-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9174IAZ) qui dispose que "la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent" (13). Comment apprécier les qualités du salarié les jours où celui-ci ne travaille pas ? Le décompte de la période d'essai ainsi opéré ôte toute utilité à au moins deux septièmes de la durée de l'essai, cela sans compter les éventuels jours fériés.

La position adoptée par la Chambre sociale ne se concilie d'ailleurs que difficilement avec une autre règle relative, elle aussi, au délai d'essai. En effet, en cas de suspension de la période d'essai, par exemple en cas de maladie du salarié, le délai de la période d'essai est suspendu afin, justement, de maintenir l'utilité de l'essai (14).

Pourquoi une telle logique n'est-elle pas transposée au décompte de la durée de l'essai ? L'argument le plus pertinent, mais qui on l'aura compris, ne convainc pas, est celui de la faveur faite au salarié par ce mode de calcul. En effet, ce décompte raccourcit, de fait, la durée de l'essai dont le caractère dérogatoire et défavorable au salarié a été démontré (15). Du moins pourrait-on le croire... En effet, une autre règle insidieusement énoncée par l'arrêt remet clairement en cause cette interprétation.

  • L'absence de caractère impératif des règles de décompte : une dérogation incohérente

Par une incise aux allures d'obiter dictum, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonce que le décompte de la durée de l'essai s'opère par jours calendaires, "sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire".

En somme, si le décompte de la période d'essai doit s'opérer, en principe, en jours calendaires, cette règle n'est pas impérative et peut être écartée par les parties au contrat de travail ou par les partenaires sociaux. Plus précisément encore, on pourrait donc être tenté de conclure que le mode de décompte de la période d'essai n'est pas d'ordre public absolu puisqu'il peut être aménagé.

De prime abord, rien ne s'oppose à ce que cette règle ne soit pas d'ordre public. Créée de toute pièce par la Chambre sociale, en opposition même avec le Code de procédure civile, il aurait été surprenant que la règle soit classée au rang de celles auxquelles on ne peut pas du tout déroger. Pour autant, l'incise de la Chambre sociale étonne. En effet, la dérogation aux règles légales, conventionnelles ou même jurisprudentielles, en droit du travail, est autorisée par principe à condition que la dérogation soit plus favorable au salarié. C'est là l'essence même de l'ordre public social, ordre public particulier qui prédomine en droit du travail. Or, en permettant aux parties de déroger à la règle de computation qu'elle établit, la Chambre sociale ne permet, en réalité, que de dégrader le régime juridique de l'essai en défaveur du salarié.

En effet, l'aménagement contractuel ou conventionnel sous entendu par la Chambre sociale tient, évidemment, à écarter la règle du décompte en jours calendaires pour appliquer un décompte en jours ouvrables ou en jours ouvrés. Or, une telle dérogation est clairement moins favorable au salarié qui verra, là encore de facto, la durée de son essai prolongé dans le temps par rapport au mode de calcul prévu par principe.

Ce dernier argument démontre que la solution adoptée par la Chambre sociale est non seulement peu convaincante quant aux finalités de l'essai mais, plus encore, qu'elle est incohérente quant à l'éventuelle volonté de protéger le salarié contre le caractère dérogatoire de l'essai. Nous l'avions déjà soutenu, mais nous le répétons, espérant un jour être entendu : le mode de calcul de la période en jours calendaires est donc particulièrement inadapté (16).


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B). Voir les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(2) C. trav., art. L. 1221-19 (N° Lexbase : L8751IAD) et L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3).
(3) CASF, art. L. 423-9 (N° Lexbase : L4179H8B).
(4) Quoique le législateur n'ait pas expressément qualifié la période de deux mois initiant le contrat d'apprentissage de "période d'essai", v. C. trav., art. L. 6222-18, al. 1er (N° Lexbase : L9755IEZ).
(5) C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B).
(6) C. trav., art. L. 1251-14 (N° Lexbase : L1544H93).
(7) Cass. soc., 25 janvier 1989, n° 86-40.668 (N° Lexbase : A3389AB7).
(8) Circulaire DRT n° 90/18, 30 octobre 1990 (N° Lexbase : L2859AIQ), BO trav. n° 24, 18 décembre 1990.
(9) Cass. soc., 4 février 1993, n° 89-43.421 (N° Lexbase : A1867AAE).
(10) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 02-45.701 (N° Lexbase : A8387DIH) ; Dr. soc., 2005, p. 1036, obs. J. Savatier.
(11) Quand bien même les règles des articles L. 1221-20 (N° Lexbase : L9174IAZ) et suivants du Code du travail ne concernent, stricto sensu, que la période d'essai du contrat à durée indéterminée alors que la seule disposition relative à la période d'essai du contrat à durée déterminée figure à l'article L. 1242-10 du même code (N° Lexbase : L1442H9B). Sur l'unité de la notion d'essai, v. notre ouvrage, L'essai en droit privé - Contribution à l'étude de l'influence du droit du travail sur le droit privé, LGDJ, Bibl. de droit social, 2011.
(12) La troisième chambre civile juge, pour sa part, que ce texte est applicable à d'autres délais que les délais de procédure, position qui n'est donc plus partagée par la Chambre sociale. V. Cass. civ. 3, 18 février 2004, n° 02-17.976 (N° Lexbase : A3076DBK) ; JCP éd. G, 2004, II, 10095, note A. Billemont.
(13) Déjà la jurisprudence.
(14) Cass. soc., 4 février 1988, n° 85-41.134 (N° Lexbase : A6731AAK). De la même manière, s'agissant des congés annuels, v. Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.314 (N° Lexbase : A2967DHD).
(15) L'essai en droit privé - Contribution à l'étude de l'influence du droit du travail sur le droit privé, préc., pp. 249 et s..
(16) Ibid, p. 342.

Décisions

1 - Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9)

Cassation partielle, CA Dijon, ch. soc., 7 mai 2008.

Textes visés : C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B)

Mots-clés : période d'essai, contrat à durée déterminée, décompte, jours calendaires.

Liens base : (N° Lexbase : E7779ESW)

2 - Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA)

Cassation, CA Douai, ch. soc., 31 mars 2009, n° 08/01800 (N° Lexbase : A0588ETX)

Textes visés : C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B)

Mots-clés : période d'essai, contrat à durée déterminée, décompte, jours calendaires.

Liens base : (N° Lexbase : E7779ESW)

newsid:421508

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.