La lettre juridique n°427 du 10 février 2011 : Droit financier

[Questions à...] 2011 : année du renforcement des obligations mises à la charge des sociétés cotées ? - Questions à Maître Julia Noir, avocat au barreau de Paris, associée fondatrice du cabinet Noir & Associés

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[Questions à...] 2011 : année du renforcement des obligations mises à la charge des sociétés cotées ? - Questions à Maître Julia Noir, avocat au barreau de Paris, associée fondatrice du cabinet Noir & Associés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3900454-questions-a-2011-annee-du-renforcement-des-obligations-mises-a-la-charge-des-societes-cotees-questio
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 15 Février 2011

L'année 2010 et le début de l'année 2011 auront été, à n'en pas douter, une période riche pour le droit des sociétés cotées. Les interventions législatives et réglementaires en la matière dont le leitmotiv est assurément "toujours plus de transparence", tout comme les nombreuses recommandations et instructions de l'Autorité des marchés financiers confortent le sentiment selon lequel le droit des sociétés cotées tend toujours plus à devenir un droit de l'information financière. Le domaine d'intervention est complexe, les textes épars, et l'accumulation des normes, même si elle a pour objectif d'assurer la sécurité des marchés et des acteurs, ne rend certainement pas la matière plus accessible ni plus intelligible. Les principaux derniers textes publiés et qui seront applicables au cours de l'année 2011 imposent-ils aux sociétés cotées un véritable renforcement des obligations qui sont mises à leur charge ? Pour tenter de répondre à cette question, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré une praticienne spécialiste de la matière, Maître Julia Noir, avocat au barreau de Paris, associée fondatrice du cabinet Noir & Associés (1), qui a accepté de répondre à nos questions.




Lexbase : Quelles sont les nouvelles obligations qui s'appliqueront en 2011 aux sociétés cotées et que ces dernières doivent impérativement prendre en compte ?

Julia Noir : L'essentiel des nouvelles obligations résident dans les mesures en faveur des droits des actionnaires (décret n° 2010-684 du 23 juin 2010, relatif aux droits des actionnaires de sociétés cotées N° Lexbase : L6202IMN ; ordonnance n° 2010-1511 du 9 décembre 2010, portant transposition de la Directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant l'exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées N° Lexbase : L8793INY et décret n° 2010-1619 du 23 décembre 2010, relatif aux droits des actionnaires de sociétés cotées N° Lexbase : L9907INA), qui sont applicables dès les assemblées générales de 2011. Les principales nouveautés sont les suivantes.

D'abord, le texte crée la possibilité, pour tout actionnaire, de faire inscrire des points à l'ordre du jour de l'assemblée, même s'ils n'impliquent pas le vote de résolutions mais simplement des explications (C. com., art. L. 225-105 N° Lexbase : L8827INA). Ce changement est radical et primordial pour les actionnaires de sociétés cotées. L'actionnaire peut donc désormais imposer à l'assemblée d'aborder certains sujets, même sans liens avec l'ordre du jour initial fixé par le conseil d'administration. Afin d'éviter tout abus, le texte soumet cette possibilité à des conditions de détention d'un nombre minimum d'actions et impose que les demandes soient motivées ; il frappe cependant de nullité les décisions prises en violation de ces dispositions. Enfin, les points mis à l'ordre du jour par les actionnaires doivent être publiés sur le site internet de l'émetteur, accompagnés de l'avis (ou de la réponse) du conseil d'administration (C. com., art. R. 225-73-1 N° Lexbase : L9873INY).

Ensuite, le contenu de l'avis de réunion et de l'avis de convocation pour les sociétés cotées sur Euronext et Alternext ont été modifiés (C. com., art. R. 225-73 N° Lexbase : L9872INX). Le texte prévoit de nouveaux contenus pour ces avis, il est donc important pour les sociétés de ne pas réutiliser l'avis de l'année précédente, mais de reprendre mot à mot le nouveau texte pour compléter et modifier ces avis de réunion et de convocation pour l'AGOA 2011. Cette réforme est, par ailleurs, intéressante car elle tend à imposer de nouveau la distinction entre "avis de réunion" et "avis de convocation". Jusque-là, la pratique voulait que l'on utilise un "avis de réunion valant convocation". Le nouveau texte énonce clairement que l'avis de convocation doit être précédé de l'avis de convocation. Il semble donc que la pratique de l'"avis de réunion valant convocation" ne puisse être perdurée pour les AGOA 2011, dans l'attente d'une précision sur l'interprétation de ce texte pour les assemblées ultérieures.

En outre, l'article L. 225-109 du Code de commerce (N° Lexbase : L5980AIC) impose la mise au nominatif des actions détenues par les mandataires sociaux et les cadres disposant d'un accès à l'information privilégiée. Le texte vise également les conjoints non séparés de corps et enfants mineurs de ces personnes et couvre non seulement les titres de l'émetteur, mais également de toutes ses filiales. La mise au nominatif doit intervenir dans le mois suivant la prise de fonction ou, en cas d'acquisition de nouvelles actions, dans les 20 jours de l'entrée en possession des titres. L'obligation est sanctionnée par une amende de 9 000 euros.

Le texte réaffirme, par ailleurs, l'obligation, pour chaque émetteur, d'avoir un site internet et de l'actualiser régulièrement (C. com., art. R. 210-20 N° Lexbase : L6264IMX).

Enfin, il est a noté que de nouvelles conditions pour l'exercice des mandats sont prévues. En effet, désormais, un actionnaire peut donner mandat à toute personne de son choix, les textes précisant les obligations qui pèsent sur les personnes faisant "appel public à mandat" (C. com., art. L. 225-106 N° Lexbase : L8828INB et s. et C. com., art. R. 225-82-1 N° Lexbase : L9857INE et s.).

Il convient également de ne pas oublier les recommandations AMF, publiées en 2010, qu'il est fortement conseillé de suivre, même si elles n'ont pas un caractère contraignant. Je pense notamment à la recommandation du 3 novembre 2010, relative aux manquements d'initiés imputables aux dirigeants de sociétés cotées.

Cette recommandation s'adresse aux sociétés cotées sur les marchés Euronext et Alternext. Elle détermine précisément les personnes concernées par la notion d'initié et dresse un catalogue de mesures à mettre en place afin de prévenir les manquements d'initiés :
- obligation de déclaration des dirigeants pour toute opération sur les titres de l'émetteur au-delà de 5 000 euros par année civile ;
- mise en place de procédures destinées à limiter l'accès à l'information privilégiée ("need to know policy") ;
- définition, au sein de chaque émetteur, des règles de confidentialité applicables aux informations privilégiées et information des salariés concernés ;
- et, enfin, nomination d'un déontologue dans chaque société cotée.

Par ailleurs, le texte demande aux émetteurs, en complément des obligations légales d'abstention, de définir des fenêtres négatives, périodes pendant lesquelles les cadres et dirigeants de l'entreprise doivent s'abstenir de toute transaction sur les titres de la société ou encore de mettre en place des mandats de gestion encadrés pour les titres des dirigeants. Ces mandats permettent une gestion indépendante des titres et assurent que le dirigeant ne pourra utiliser l'information qu'il détient pour acheter ou vendre des actions de la société tout au long de son mandat. La mise en place de ces mandats doit être rendue publique.

Lexbase : Vous avez réalisé et publié un calendrier des principales obligations planifiables pour les sociétés cotées sur Euronext ou Alternext. Ce calendrier permet une étude comparative des obligations découlant de la cotation sur l'un ou l'autre de ces marchés. Quelles sont les principales différences ?

Julia Noir : Les principales différences relatives aux obligations planifiables, mais cette liste n'est pas exhaustive, sont les suivantes. Pour les sociétés cotées sur le marché régulé (Alternext) et contrairement à celles cotées sur le marché réglementé (Euronext) :
- pas de publication relative à l'information financière trimestrielle ;
- pas de publication mensuelle des droits de vote ;
- pas de rapport financier ;
- pas de rapport sur le contrôle interne et la préparation et l'organisation des travaux du conseil d'administration ;
- pas de communiqué financier sur les comptes annuels et diffusion du rapport financier annuel ;
- pas de communiqué sur les honoraires des commissaires aux comptes ;
- aucune obligation relative au document de référence;
- pas de document d'information annuelle (liste des informations publiées dans les 12 derniers mois) ;
- pas d'obligation relative aux comptes semestriels (arrêté, dépôt, diffusion), les entreprises répondant à certains critères de taille (plus de 300 salariés, filiales comprises, ou chiffre d'affaires supérieur à 18 millions d'euros) devant cependant se réunir pour effectuer une évaluation de l'actif réalisable et disponible (valeurs d'exploitation exclues), une évaluation du passif exigible et une réévaluation du compte de résultat provisionnel ;
- et, enfin, sauf contrat de liquidité, pas de programme de rachat d'actions.

Lexbase : La "LRBF" (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière N° Lexbase : L2090INQ (2)) puis l'arrêté du 31 janvier 2011, portant modification du règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L3435IPW) ont aménagé le régime des offres publiques. Quel regard portez-vous sur ces modifications et notamment sur le remplacement de l'ancien mécanisme de garantie de cours par l'offre publique obligatoire sur les marchés non-réglementés ?

Julia Noir : Ces modifications font partie de l'alignement de la réglementation française sur la norme européenne. La garantie de cours restait une particularité française permettant à des actionnaires minoritaires de se faire racheter leurs titres par un actionnaire venant d'acquérir la majorité, en titres ou en droits de vote, en garantissant un prix aligné sur le celui du bloc majoritaire cédé.
Aujourd'hui, l'offre publique d'achat devient obligatoire dès lors qu'un changement de contrôle affecte la société. Le seuil est donc fixé à 50 % en titres ou en droits de vote, versus 30 % sur le marché règlementé. Quelques cas de dérogation sont prévus et très encadrés.
Le texte permet également de tenir compte des prises de contrôle indirectes ou de concert, ce qui n'était pas le cas avant avec la garantie de cours. En ce sens, l'introduction du système OPO, OPR, OR permet de mieux garantir les droits des minoritaires.
Cependant, ces modifications tendent à aligner le marché Alternext sur la réglementation applicable à Euronext. Or il ne faut pas perdre de vue que l'attractivité du marché Alternext réside essentiellement dans l'existence de règles plus souples par rapport à celles imposées sur le marché réglementé. Un alignement trop strict des réglementations ferait perdre tout attrait à ce marché qui est aujourd'hui une source importante et très intéressante de financement pour les belles PME.

Lexbase : La mise en conformité du droit français avec la Directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, concernant l'exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées (N° Lexbase : L9363HX3) a été opérée par plusieurs textes (décret du 23 juin 2010, ordonnance du 9 décembre 2010 et décret du 31 décembre 2010). Sur quelles obligations issues de ces textes l'attention des sociétés cotées doit-elle être particulièrement attirée ? Leur mise en oeuvre pratique recèle-t-elle des difficultés que vous auriez identifiées ?

Julia Noir : L'année 2010 a été particulièrement riche et un article ne suffira pas pour reprendre l'intégralité des réformes intervenues ! Nous avons évoqué ci-dessus les principaux aspects.

Nous pourrions ajouter que désormais, l'exercice des mandats de vote, y compris par le président, peut être sanctionné par une interdiction de prendre des mandats pour une durée de trois ans ; ou encore que les mandats, s'ils sont reçus via internet (pour les sociétés cotées sur Euronext), doivent impérativement être signés et distinguer s'ils sont donnés au président (dans ce cas le vote doit être conforme à la position du conseil d'administration) ou au nom du président (mention de son patronyme). Dans ce dernier cas, le président est alors libre d'exprimer un vote différent de la position du conseil.

Les textes de 2010 ont également mis en oeuvre le "Grenelle de l'environnement" qui impose, désormais, la rédaction d'un rapport dédié aux informations sociales, environnementales et sociétales (loi n° 2010-788, 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement [LXB= L7066IMN] ; C. com., art. L. 225-102-1 N° Lexbase : L3637IPE)

Par ailleurs, nous suggérons de saisir l'occasion de l'AGOA 2011 pour lisser les statuts afin de les mettre en conformité avec toutes ces nouvelles règles et répondre aux nouvelles exigences en matière de composition du conseil d'administration, notamment relatives à la présence des femmes et d'administrateurs indépendants.

Lexbase : Justement, quel est votre avis de praticien, mais aussi de femme, sur la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 N° Lexbase : L2793IP7) (3) ?

Julia Noir : Il était temps ! Ce qui est malheureux c'est que l'on soit obligé d'imposer cela par la loi. Aujourd'hui encore les hommes se cooptent entre eux sur le simple fondement de la relation sociale, et ne conçoivent pas de faire de même pour une femme ou, pis en encore, qu'une femme puisse être compétente ! On voit ça et là des "listes de femmes" être constituées par certaines associations qui apposent une sorte de pedigree. Ceci me choque profondément. Les conseils d'administration étaient jusqu'ici des petits clubs à l'anglaise, réservés aux hommes. Ces messieurs sont perdus à l'idée de devoir admettre des femmes et lorsqu'ils en nomment une, ils l'exhibent comme un trophée et attendent d'elle surtout, qu'elle ne fasse que (nous soulignons) remplir le quota ! Que va-t-il se passer lorsqu'ils découvriront qu'elles ont aussi la parole ?

Plus sérieusement, nous assistons à une réforme en profondeur du concept de gouvernance de l'entreprise. Sous l'influence de l'Europe, elle-même très empreinte du système anglo-saxon, le rôle du conseil d'administration ou de surveillance se renforce et l'on attend aujourd'hui des administrateurs qu'ils exercent un véritable contre-pouvoir, critique et indépendant. Ceci s'impose dans les textes, mais aussi dans la jurisprudence où l'on a vu en fin d'année quelques arrêts de la Cour de cassation relatifs à la responsabilité des administrateurs qui imposent une prise de position claire de chacun sur les décisions du conseil et rappellent que la responsabilité personnelle des administrateurs est engagée par les décisions du conseil.

Lexbase : En quelques mots quelle conclusion tirez-vous de ces nouvelles obligations à la charge des sociétés cotées ?

Julia Noir : Les modifications apportées sont dans l'ensemble très positives et vont vers un renforcement de la transparence. Cependant la réalité des sociétés cotées est diverses et très souvent, ce qui est un critère applicable ou nécessaire pour une très grosse société (compartiment A ou B), devient un véritable casse-tête pour une VaMPs. Il faut donc être prudent et que les autorités soient vigilantes à ne pas faire de la réglementation boursière une sorte de jungle hostile faisant fuir les petites et moyennes valeurs. Plus que jamais l'outil boursier est la solution de financement pérenne des entreprises de taille moyenne et il faut soutenir les demandes de Small Business Act à la française mises en oeuvre par certaines associations telles que Middle Next.


(1) Cf. le site internet du cabinet Noir & Associés.
(2) Lire, not., J.-B. Lenhof, Brèves réflexions sur les nouveaux mécanismes boursiers issus de la loi de régulation bancaire et financière, Lexbase Hebdo n° 228 du 18 novembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N5750BQZ).
(3) Cf., D. Gibirila, La loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, Lexbase Hebdo n° 238 du 10 février 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N3511BRH).

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