La lettre juridique n°427 du 10 février 2011 : Éditorial

Inavouables motifs du renvoi de la QPC sur la motivation des arrêts d'assises : l'arroseur arrosé

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Inavouables motifs du renvoi de la QPC sur la motivation des arrêts d'assises : l'arroseur arrosé. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3604288-inavouables-motifs-du-renvoi-de-la-qpc-sur-la-motivation-des-arrets-dassises-i-larroseur-arrose-i-
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Si, dans la mythologie cinématographique, la question prioritaire de constitutionalité relative à la garde à vue peut être comparée à l'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, en qualité de premier vrai succès judiciaire de l'ère post-QPC et eu égard à la peur suscitée sur les bancs gouvernementaux par l'effondrement du régime policier, la question de la motivation des arrêts d'assises risque bien d'avoir comme sous-titre tout aussi célèbre : l'arroseur arrosé.

En 52 secondes, l'arrivée d'un train en gare de La Ciotat contient toute la grammaire du cinéma : on y trouve un plan d'ensemble, une superbe profondeur de champ, mais aussi un plan américain, un plan rapproché, un gros plan et même un très gros plan. En quelques lignes, la décision du 30 juillet 2010 contient toute l'essence de la réforme constitutionnelle de 2008, la confrontation d'une mesure séculaire aux droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité, une condamnation du régime de la garde à vue de droit commun, des prescriptions utiles au Gouvernement pour revoir, enfin, sa copie ; le tout orchestrant une bombe médiatique, une révolution juridique et, en l'espèce, pénale, comme le court-métrage de 1895 avait pu le faire au sujet de l'avènement de l'ère cinématographique.

Pour autant, la question de la conformité de l'absence de motivation des arrêts d'assises à la Constitution, enfin renvoyée devant le Conseil constitutionnel, par deux arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 19 janvier 2011, ne devrait pas être en reste de notoriété et emprunte beaucoup à ce jardinier de La Ciotat -lieu de villégiature des frères Lumière- dont un jeune chenapan se joue.

Accusée, par le Gouvernement, d'obstruction en juillet 2010, pour ne pas renvoyer suffisamment de questions prioritaires et jouant de son rôle de filtre avec un peu trop de zèle aux yeux du Conseil constitutionnel, lui-même ; pire, adressant une question préjudicielle sur la conformité du dispositif de la QPC avec les règles communautaires et le contrôle de conventionnalité européen ; les pendules du Quai de l'Horloge une fois mises à l'heure, la Haute juridiction aura bien retenu la leçon et sacrifié au bon déroulement de la procédure, jusqu'à ce revirement des plus spectaculaires sur la question de la motivation.

En effet, le 9 juillet 2010, la Cour de cassation n'avait pas souhaité renvoyer cette question devant les Sages du Palais Royal, estimant que, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, elle n'était pas nouvelle. Six mois plus tard, la question fréquemment invoquée devant la Cour de cassation et portant sur la constitutionnalité des dispositions des 349, 350, 353 et 357 du Code de procédure pénale dont il se déduit l'absence de motivation des arrêts de cour d'assises statuant, avec ou sans jury, sur l'action publique, présente un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine...

Mais, quels sont donc, dès lors, les véritables motifs de ce revirement sur la question de la motivation, outre les voix strasbougeoises de plus en plus opressantes, à la faveur de cet arrêt du 16 novembre 2010, intimant peu ou prou une motivation des arrêts en matière pénale ? Disons que la Cour de cassation a beau être insulaire, elle n'en est pas moins informée des dernières lubies présidentielles. Et, lorsque le Président de la République annonce, à l'automne 2010, qu'il souhaite introduire des jurés populaires en correctionnelle en sus des assises, le sang de nombre de professionnels du droit, magistrats et avocats en tête, n'a fait qu'un tour. Et, le calendrier de la réforme semble s'accélérer, puisque le 3 février 2011, le Président de la République prévoyait la mise en place de ces jurys pour la fin de l'année, haranguant la foule, lors d'un déplacement à Orléans, avec le réalisme qu'on lui connaît : "Imaginez qu'avant la fin de l'année, certains parmi vous seront tirés au sort pour siéger une semaine durant au sein du tribunal correctionnel de votre département". "C'est vous qui donnerez votre avis sur le quantum des peines à appliquer à tel ou tel délinquant".

Et, c'est là que le bât blesse ! Au secours des magistrats et des avocats opposés à une telle réforme, les articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, relatifs au droit à une procédure juste et équitable, à l'égalité devant la loi et à l'égalité devant la justice pourraient sonner le glas des jurés populaires. Car, avec la motivation obligatoire des arrêts d'assises, et par extension des arrêts rendus en correctionnelle si la réforme aboutissait, c'est toute l'économie du dispositif qui tombe à l'eau, rayant de la carte judiciaire l'intime conviction de ces jurés populaires chargés de se prononcer sur la culpabilité d'un prévenu et sur l'adéquation de la peine aux actes condamnés, mais en aucun cas d'expliciter les raisons ayant conduit à leur décision. Et, l'on ne peut pas dire que le serment de l'article 304 du Code de procédure pénale rassure les coeurs et, surtout, assure le respect des droits de la défense.

Le devoir d'attention, le devoir d'impartialité et l'interdiction de manifester son opinion, l'interdiction de communiquer, le secret des délibérations, le droit à l'information, le droit de poser des questions et le droit de prendre des notes : tout cela sert incontestablement à juger selon une intime conviction, mais en aucun cas à juger en droit, comme le ferait un magistrat professionnel.

Remarquons que la manoeuvre est coutumière : introduit sous la Révolution française, en l'an II, les jurys populaires adjoints aux magistrats professionnels permettaient de placer la justice sous le contrôle direct du Peuple, le pouvoir se montrant méfiant face à ces cadres de la justice issus, pour bon nombre, de l'Ancien régime, aux offices parlementaires pas toujours conformes aux aspirations révolutionnaires de l'époque. Et, chacun de pouvoir jouer les Fouquier-Tinville, avec la démagogie que l'on pouvait prêter à l'accusateur public... Remarquons, encore, que l'annonce de cette réforme, alors que l'on évoquait, au contraire, courant 2009, la disparition des jurés populaires au sein des assises, intervient dans un climat tendu entre le Gouvernement et la magistrature, à la suite d'une réforme de la carte judiciaire décriée et de multiples provocations, dont la réaction présidentielle à l'affaire "Laetitia" constitue le dernier mouvement en date. Les mêmes causes provoquant souvent les mêmes effets... l'introduction des jurés populaires en matière correctionnelle semble marquer le pas d'une méfiance persistante entre les politiques et la magistrature.

"Mettre en place des jurés populaires, c'est faire en sorte que nos concitoyens s'approprient la justice, la comprennent. [...] Il y a une complémentarité entre le magistrat et le citoyen" disait Michel Mercier (le nouveau Garde des Sceaux), lors de l'audience solennelle de rentrée de la promotion 2011 de l'ENM, le 1er février 2011. Mais, cette appropriation est-elle synonyme d'une meilleure justice ? Assure-t-elle plus de droit ? Où a-t-on vu que l'intime conviction, puisqu'une vulgarisation juridique dans un monde complexe et global est hors de question, est synonyme de contradictoire, de respect des droits de la défense ? Où a-t-on vu que le droit n'était pas l'affaire de professionnels aguerris malgré l'adage "nemo censitur ignorare legem" ?

Alors, les magistrats, au coeur du jeu de la société, s'adonnant, parfois, aux échecs avec le Gouvernement, n'auront pas brillé par la complexité de leur attaque ; mais un "coup du berger" peut être plus fatal qu'un "gambit de dame néo-orthodoxe" ! Autrement dit, quel plus sûr moyen de confondre cette réforme des jurés populaires en correctionnel aux oubliettes, que de provoquer l'inconstitutionnalité même du système. Le déplacement des pièces sur l'échiquier est à prévoir : si le Conseil constitutionnel déclare l'absence de motivation contraire aux droits et libertés, celle-ci deviendra obligatoire en assises, comme pour toute autre décision de justice. Or, demander aux jurés de motiver leurs décisions, c'est vouloir faire d'eux en trois semaines, ce qu'une carrière entière, après l'ENM, peut accomplir : de bons magistrats jugeant en droit, dans le respect des droits de la défense et du contradictoire, pour l'administration d'une justice indépendante et impartiale... Gageure que tout cela.

Cela ne suffisait pas que les magistrats jugent au nom du Peuple français ; encore fallait-il que ce Peuple fasse acte de présence au sein des tribunaux en matière pénale, après avoir envahi les prétoires de proximité, avec le succès qualitatif que l'on sait. Si le sauvetage des jurés populaires passe par une liste de questions posées si précises, et donc si techniques, qu'elles conviennent à satisfaire la motivation tant attendue, quel intérêt de conserver un dispositif révolutionnaire aux aspirations plus dogmatiques qu'efficaces ? Mais l'on n'en serait pas à un premier dogme qui perdure malgré son inefficacité ; l'heure du "bouclier populaire" comme pour se dédouaner d'une justice sous-alimentée aura peut-être sonné...

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