La lettre juridique n°685 du 26 janvier 2017 : Bancaire

[Jurisprudence] Le taux effectif global erroné pour n'avoir pas pris en compte les intérêts intercalaires

Réf. : Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 15-26.306, P+B (N° Lexbase : A2297SXD)

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par Alexandre Bordenave, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 26 Janvier 2017

Si elle fait parfois, et de plus en plus, place à des innovations consolantes (1), la moisson jurisprudentielle en matière de taux effectif global (TEG) sait aussi se faire plus sage, ce qui n'exclut pas qu'elle puisse être analysée à frais nouveaux.
Le 8 novembre 2007, une banque (le prêteur) avait consenti à des époux (les emprunteurs) un prêt immobilier prévoyant une phase de préfinancement assortie d'intérêts dits "intercalaires" (sur lesquels nous reviendrons). Quelques années plus tard, les emprunteurs introduisirent une action devant les tribunaux demandant la nullité de la stipulation d'intérêts et la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel à la date du prêt considéré. Cette action fut couronnée de succès, le tribunal relevant que le TEG indiqué par le prêteur ne prenait pas en compte les intérêts dits "intercalaires" dont le contrat de prêt prévoyait le paiement. En cela, le tribunal vit son jugement confirmé par la cour d'appel de Nîmes le 3 septembre 2015 (2). Le prêteur se pourvut alors en cassation arguant de deux moyens que l'on peut résumer ainsi : en premier lieu, les intérêts intercalaires susmentionnés ne devaient pas entrer dans le calcul du TEG ; en second lieu, l'inexactitude du TEG ne pouvait être sanctionnée par substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel à la date du prêt.
Dans son arrêt du 14 décembre 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation devait donc répondre à la question suivante : l'absence de prise en compte dans le calcul du TEG des intérêts intercalaires doit-elle être sanctionnée par la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel à la date du prêt ? La réponse est négative et, en cela, se trouve maintenue la jurisprudence de la haute juridiction. Nous nous proposons d'étudier cette solution en commençant par le sort réservé aux intérêts intercalaires dans le calcul du TEG (I) avant de nous arrêter sur la sanction admise par la première chambre civile (II).

I - L'inclusion des intérêts intercalaires dans le calcul du TEG

L'arrêt du 14 décembre 2016 confirme un enseignement éprouvé : les intérêts dits "intercalaires", technique usuelle des financements immobiliers (A), doivent être inclus dans le TEG (B).

A - Le mécanisme des intérêts intercalaires

Ne prolongeons pas le suspense plus longtemps et essayons-nous à une définition des intérêts intercalaires. Le plus souvent, ces intérêts sont dus au titre d'une phase initiale de la vie d'un prêt que l'on désigne comme la phase de préfinancement. Celle-ci recouvre la période comprise entre la date de déblocage des fonds (3) par le prêteur et la date de début du remboursement du prêt. Il s'agit donc d'une phase de différé d'amortissement (4) au cours de laquelle l'emprunteur ne rembourse pas le capital emprunté. En matière de financements immobiliers, cela lui permet, par exemple, de financer la construction d'un bien immobilier qui lui tiendra lieu de résidence principale et de ne rembourser le financement qu'une fois le bien achevé.

En termes financiers, cette période se traduit mécaniquement par un surcoût d'intérêts à la charge de l'emprunteur. En effet, puisque, pendant la phase de préfinancement, le principal du prêt ne varie pas à la baisse, faute de remboursement, les intérêts dus au titre de cette période sont plus élevés qu'ils ne l'auraient été si le prêt s'était amorti au cours de celle-ci. Ce surcoût d'intérêts (5) correspond à ce que l'on appelle les intérêts intercalaires. Le mystère est résolu.

B - L'inclusion nécessaire dans le TEG

L'article L. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6649IM9), applicable au moment des faits de l'arrêt étudié (6), dispose que "pour la détermination du taux effectif global du prêt [...], sont ajoutés aux intérêts les [...] commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l'emprunteur". Or, il est difficile de contester que les intérêts intercalaires sont une rémunération directe du prêt que supporte l'emprunteur et qu'ils sont, au surplus, liés à l'octroi du prêt. Le seul argument à la disposition du prêteur ayant, comme dans l'arrêt étudié, négligé de les prendre en compte dans le calcul du TEG, est leur caractère indéterminé à la date du prêt. Il est exact que l'article L. 313-1 du Code de la consommation précise que ne sont à considérer pour calculer le TEG que les éléments dont "le montant peut être déterminé" à la date du prêt (7). En l'espèce, c'était la ligne de défense du prêteur qui avait négligé d'inclure les intérêts intercalaires dans le calcul du TEG applicable au prêt.

Pour que l'argument fasse mouche, reste à savoir si les intérêts intercalaires sont déterminés ou au moins déterminables à la date de conclusion du contrat de prêt. Il y a tout lieu de penser que c'est bien le cas. Dès lors que le taux d'intérêt applicable est bien stipulé, quand bien même la durée de la phase de préfinancement (au cours de laquelle les intérêts intercalaires sont dus) serait laissée à la main de l'emprunteur (8), par exemple s'il dispose d'une faculté contractuelle d'y mettre fin par anticipation, il demeure possible de déterminer le montant des intérêts intercalaires en faisant l'hypothèse que la période de préfinancement aura la durée maximale prévue par le contrat de prêt. Cette solution avait déjà été retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 juin 2015 (9). L'arrêt du 14 décembre 2016 ne fait que s'inscrire dans cette ligne, insistant particulièrement, à notre sens, sur le caractère déterminable des intérêts intercalaires. En les excluant de son calcul, le prêteur a donc minoré le TEG.

Concluant au caractère erroné du TEG du prêt, la Cour de cassation fait sienne la solution des juges du fond et les rallie aussi quant à la sanction applicable en conséquence.

II - La sanction d'un TEG n'incluant pas les intérêts intercalaires

Une fois encore, l'arrêt étudié ne brille pas par son originalité en sanctionnant le TEG erroné par la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel (A). L'actualité impose d'observer cette solution à la lumière de développements récents en matière de TEG qui semblent s'attacher plus qu'auparavant aux griefs subis par l'emprunteur (B).

A - La réduction au taux d'intérêt légal en guise de sanction

Suivant les juges du fond, la Cour de cassation considère que c'est à bon droit que ces derniers ont retenu "que l'inexactitude de la mention du TEG dans l'acte de prêt était sanctionnée par la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel depuis la signature du contrat". Cette sanction civile, aux origines prétoriennes, régulièrement appliquée (10) comme en atteste notre affaire, est particulièrement redoutée des prêteurs dans un contexte où les taux d'intérêt légaux réels sont quasi nuls (11) et où la casuistique jurisprudentielle tend à rendre diabolique le calcul du TEG (12).

Cette sanction a quelque chose de consternant. D'une part, sanctionnant la violation une règle empêtrée dans son formalisme (13), elle ne sert pas l'impératif de justice. D'autre part, et ainsi qu'en excipait le pourvoi en cassation, elle est très largement disproportionnée ce qui a amené certains à s'essayer, sans succès jusqu'à présent, à dénoncer cette disproportion (14) en faisant appel aux libertés du droit de l'Union européenne et au Protocole n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (15).

B - La justification de la sanction au nom des griefs subis par l'emprunteur

Fort heureusement, un vent de raison semble désormais parcourir les prétoires saisis de contentieux relatifs au TEG. En ce sens, ainsi que nous le remarquions récemment, la première chambre civile considère qu'un TEG erroné à la hausse n'est, par principe (16), pas susceptible de sanction car porteur d'une erreur ne venant pas au détriment de l'emprunteur. De façon encore plus intéressante, il convient de relever l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 9 novembre 2016 (17). Dans cette décision, les juges européens ont notamment estimé que le droit européen ne s'oppose pas à ce qu'un Etat membre sanctionne l'absence de TEG par l'absence d'intérêts et de frais pour le prêteur "pour autant qu'il s'agisse d'un élément dont l'absence est susceptible de mettre en cause la possibilité pour le consommateur d'apprécier la portée de son engagement".

C'est donc avec une pointe de soulagement (18) que l'on constate que l'arrêt commenté est conforme à la position de la Cour de justice : il applique une sanction consistant en la déchéance du droit aux intérêts contractuels dans un cas où le TEG avait été minoré par le prêteur, ne permettant en conséquence pas aux emprunteurs de réaliser qu'ils contractaient à un coût supérieur à celui affiché. Il ne révolutionne rien à l'affaire, mais a au moins le mérite de ne pas entraver une marche entamée aux plus hauts niveaux vers une application mesurée des règles concernant le TEG.


(1) A titre d'exemple, celle résultant de Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, 15-25.034, F-P+B (N° Lexbase : A9572R7N), que nous avions commenté : nos obs., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 486 (N° Lexbase : N5033BWC).
(2) CA Nîmes, 3 septembre 2015, n° 14/00375 (N° Lexbase : A4025NNE)
(3) Ou les dates de déblocage, si le contrat prévoit une mise à disposition du prêt en plusieurs fois.
(4) On peut aussi dire de franchise de remboursement.
(5) Dont l'emprunteur s'acquitte soit à des dates convenues au cours de la phase de préfinancement soit à son issue (donc à la première date de remboursement en plus de l'échéance normale).
(6) L'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A), comme son décret d'application n° 2016-884 du 29 juin 2016 (N° Lexbase : L0525K9C), a renuméroté le Code de la consommation, remplaçant les articles L. 313-1 et suivants par les articles L. 314-1 (N° Lexbase : L3335K7N) et suivants.
(7) Ou de son éventuelle renégociation.
(8) Ce qui n'est jamais le cas, à tout le moins pas sans limite.
(9) Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-14.326, F-P+B (N° Lexbase : A5272NLT), RDBF, n° 6, novembre 2015, comm. 182, F.-J. Crédot et Th. Samin ; D., 2015, Actualité, 10 juillet 2015, V. Avena-Robardet. A cette occasion, la Cour de cassation neutralisa une clause excluant du calcul du TEG les intérêts intercalaires.
(10) P. ex. Cass. civ. 1, 21 janvier 1992, n° 90-18.120 (N° Lexbase : A5454AHH) ; plus récemment : Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14 18.053, F-D (N° Lexbase : A5463NMB).
(11) A cette date, 0,90 % lorsque le créancier est un professionnel.
(12) L'ensemble des frais de dossier (Cass. crim., 10 septembre 2003, n° 02-85.188, F-D N° Lexbase : A9109C9A), les frais de renégociation de l'offre (CA Paris, 15ème chambre, section B, 17 novembre 2005), les frais de préfinancement (Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-17.738, F-D N° Lexbase : A9344NG8)...
(13) Pour ne pas dire purement formelle.
(14) D'ailleurs critiquée par la Cour de justice de l'Union européenne : CJUE, 27 mars 2016, aff. C-565/12 (N° Lexbase : A9833MHN).
(15) Nos obs. préc. note 1.
(16) Nos obs. préc. note 1.
(17) CJUE, 9 novembre 2016, aff. C-42/15 (N° Lexbase : A0602SGE).
(18) Il faut bien se réjouir de quelque chose...

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