La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Famille et personnes

[Questions à...] Affaire "Zoé Renault" : droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce - Questions à David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, Cabinet 28 octobre

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[Questions à...] Affaire "Zoé Renault" : droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce - Questions à David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, Cabinet 28 octobre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235242-questions-a-affaire-zoe-renault-droits-et-libertes-fondamentaux-i-versus-i-liberte-du-commerce-quest
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 04 Janvier 2011

Zoé, c'est ainsi que Renault a choisi de prénommer sa future petite berline, voiture électrique destinée au grand public, qui devrait être commercialisée mi-2012. C'est aussi le prénom de deux fillettes dont les parents, de patronyme Renault, sont bel et bien décidés à interdire le fabricant de voitures à user dudit prénom à titre de marque commerciale, afin d'éviter que leurs enfants ne soient l'objet de moqueries constantes. Le 10 novembre 2010, le juge des référés du TGI de Paris les a déboutés de leur requête en référé (TGI Paris, 10 novembre 2010, n° 10/59262 N° Lexbase : A1816GNL). Une première défaite, mais le début d'un combat pour ces familles et l'Association pour la défense de nos prénoms (ADNP), ainsi que leurs avocats Maîtres David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, du Cabinet 28 octobre, que nous avons rencontrés et qui ont accepté de répondre à nos questions. Droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce, tel est l'enjeu du débat. Lexbase : Juridiquement, au regard de la législation française aujourd'hui en vigueur, Renault soutient que rien ne fait interdiction à une entreprise d'utiliser un prénom, à titre de marque commerciale. Est-ce exact ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : La société Renault se fonde, en effet, sur l'appréhension jurisprudentielle, relativement restrictive, qui est faite de l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8991G9U), laquelle subordonne l'interdiction d'un dépôt de marque fondée sur les droits de la personnalité d'un tiers à la preuve d'un risque de confusion pour le public. Et, selon la société Renault, la démonstration d'un tel risque de confusion serait impossible car un prénom est partagé par de nombreuses personnes et n'identifierait, par conséquent, aucune d'entre elles en particulier.

S'il n'est pas douteux que le prénom, accessoire du nom patronymique, bénéficie de la protection accordée par l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, lequel prévoit une liste non exhaustive des droits de la personnalité ("notamment"), il demeure que la jurisprudence n'accorde, il est vrai, une telle protection au prénom que lorsque, par son originalité et par sa rareté, il ne peut être considéré comme d'un usage courant en France et que la personne qui le porte est connue du public principalement sous son prénom (TGI de la Seine, 1ère ch., 9 octobre 1963, à propos du prénom Soraya).

C'est forte de ce constat que la société Renault exploite des prénoms pour dénommer des voitures, à des fins strictement commerciales, comme "Logan", "Mégane" ou encore "Clio", et donc demain "Zoé", si rien n'est fait.

Les 6 000 personnes membres du groupe Facebook "Zoé n'est pas une voiture" et nous-mêmes pensons que cette utilisation abusive d'un prénom à des fins mercantiles et commerciales, n'est pas admissible dès lors qu'elle s'avère préjudiciable à ceux qui ont eu le malheur de le porter.

L'argumentation de la société Renault emprunte beaucoup au droit des marques, alors même que ce n'est pas le terrain sur lequel nous avons initié ce débat. Cela reviendrait à dire, "rien n'interdit à Renault, en droit de la copropriété, d'utiliser un prénom pour nommer une voiture". Soit. La question se pose donc au-delà du simple droit des marques pour concerner plus largement les droits et libertés fondamentaux.

Lexbase : Il convient donc de se placer sur un terrain supralégislatif. Vous vous placez sur celui de la CESDH. Pouvez-vous nous préciser comment vous caractérisez l'atteinte portée aux droits de la personnalité ? Au droit au respect de la vie privée ? Au droit au respect de la dignité humaine ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : La problématique vient heurter des principes fondamentaux de notre droit et parmi eux, notamment, les droits de la personnalité, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit au respect de la dignité humaine.

En premier lieu, il faut rappeler que les droits de la personnalité s'entendent des droits extrapatrimoniaux, lesquels se caractérisent par le fait qu'ils sont attachés à la personne de leur titulaire et qu'ils sont à la fois perpétuels, inaliénables et imprescriptibles.

A cet égard, il est significatif de constater que le nom bénéficie d'une protection toute particulière. C'est ainsi que le tribunal civil de la Seine a pu juger, le 9 octobre 1963, que "toute personne est maîtresse de l'usage de son nom et peut s'opposer à ce que ce nom soit utilisé pour la vente d'un produit dans le commerce ou comme titre d'une oeuvre" (Gaz. Pal., 1964, 1, p. 73). Le tribunal de grande instance de Nancy considérait, également, dans un jugement en date du 15 octobre 1976, "qu'il est de jurisprudence constante que l'image est un prolongement de la personnalité, toute personne a sur elle ainsi que sur son nom, un droit absolu et imprescriptible". Le tribunal de grande instance de Paris avait aussi jugé, le 12 juin 1992, que "le nom constitue un élément de la personnalité qui ne peut être exploitée à une fin lucrative sans l'autorisation de son titulaire". Plus spécifiquement, le tribunal de grande instance de Nanterre a eu à statuer à propos d'une campagne de publicité mettant en scène un personnage ridicule, appelé "Leneuf", qui avait engendré un véritable harcèlement téléphonique des familles portant le nom "Leneuf". Par ordonnance de référé en date du 15 mai 2000, le tribunal a retenu la responsabilité de l'opérateur en considérant qu'il avait manifestement excédé les limites de sa liberté d'expression au détriment des droits de la personnalité des tiers (TGI Nanterre, ord. réf., 15 mai 2000, D., 2001, somm., p. 2081, obs. crit. Lepage A., Dict. perm. dr. aff., Bull. 539, p. 8525). Ainsi, la publicité en cause était "de nature à troubler les porteurs d'un patronyme dans leur vie quotidienne, par une modification dévalorisante de leur image, favorisant la persécution dont ils se plaignent".

L'utilisation du nom d'autrui à des fins publicitaires ou commerciales ne doit, dès lors, pas avoir pour effet de porter préjudice aux personnes porteuses de ce nom, sauf à méconnaître le droit de la personnalité. Cet état du droit doit, selon nous, par analogie, être étendu et appliqué au prénom ("pré-nom" ou encore appelé nom particulier par distinction du nom patronymique) qui mérite la même protection juridique dans la mesure où il poursuit les mêmes finalités, celles du développement, de l'identification et de l'épanouissement tant social que familial et personnel.

Autrement dit, une interprétation téléologique de la jurisprudence applicable au nom et de la protection qui lui est accordée doit conduire à prohiber l'usage abusif, comme il est le cas pour l'exploitation du prénom "Zoé" par Renault, d'un prénom lorsqu'il est guidé par des choix publicitaires et commerciaux et qu'il est de nature à produire des effets préjudiciables à autrui.

En deuxième lieu, le droit au respect de la vie privée, qui dispose d'une valeur supra-législative en ce qu'il est reconnu et protégé par l'article 8 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), est également méconnu lorsque la société Renault exploite un prénom pour dénommer un véhicule automobile.

La Cour européenne des droits de l'Homme le souligne avec une grande clarté, considérant que le nom de famille et le prénom sont :

- un "droit pour l'individu de nouer et développer des relations avec ses semblables" (CEDH, 22 février 1994, aff. 49/1992/394/472 N° Lexbase : A2337AIE)

- un "moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille" ; "le prénom d'une personne, comme son patronyme, concerne sa vie privée et familiale. De surcroît, le choix du prénom de l'enfant par ses parents revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers" (CEDH, 24 octobre 1996, Req. 52/1995/558/644 N° Lexbase : A8339AWR ; CEDH, 17 juin 2003, Req. 63056/00 N° Lexbase : A7829C8H).

La contradiction entre la pratique commerciale de la société Renault et les fonctions attribuées au prénom est évidente. C'est, en ce sens, que nous avons pu soutenir que le droit au respect de la vie privée avait été violé.

Et ce d'autant que le prestataire de Renault, ayant jugé opportun d'utiliser des prénoms, a clairement déclaré au média ECO89 que l'utilisation d'un prénom pour un véhicule visait l'objectif de "leur donner un côté sympathique pour compenser certaines performances réduites".

L'atteinte me paraît caractérisée par l'objectif poursuivi : avec le prénom des enfants (plus de 4 000 Zoé naissent par an), on va donner un côté sympathique à un véhicule pour compenser certaines performances réduites.

Enfin, le fondement du droit au respect de la dignité humaine, quoique surprenant de prime abord, nous a semblé à l'analyse tout à fait opportun. Personne n'ignore que ce principe est fondamental, universel, matriciel et indérogeable. Il trouve à s'imposer en tous domaines et dès lors même en matière publicitaire et commerciale.

Nous n'avons pas bien saisi en quoi le Code de commerce prévaudrait sur le Code civil. Nous allons expliquer cela à Renault.

A cet effet, les recommandations de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité sont fort explicites :

- "la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l'enfant portant atteinte à sa dignité ou à la décence. La publicité ne doit pas mettre en scène l'enfant dans des situations susceptibles de le dévaloriser ou de porter atteinte à son intégrité physique ou morale. La publicité ne doit pas être de nature à susciter chez l'enfant un sentiment d'angoisse ou de malaise. Lorsque la publicité fait référence à la nudité enfantine, il convient de veiller à ce que le comportement de l'enfant corresponde aux attitudes qu'il est susceptible d'adopter habituellement dans son environnement quotidien" (Recommandation du 14 mars 2002 de l'ARPP, disponible sur le site http://www.arpp-pub.org/) ;

- "le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel", de sorte que "la publicité doit éviter toute dévalorisation ainsi que toute exploitation abusive de la personne humaine et de son image", "le respect de ces principes doit s'apprécier selon la sensibilité du corps social à un moment donné, le public exposé à la publicité, le contexte social ou culturel et son évolution, l'actualité" (Recommandation d'octobre 2001 consacrée à l'image de la personne humaine).

Il ressort encore de la Recommandation du 6 septembre 2001, consacrée à l'image de la personne humaine que :

- "la publicité doit éviter toute dévalorisation ainsi que toute exploitation abusive de la personne humaine et de son image" ;

-"la communication de marketing doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur [...], le sexe".

Par ailleurs, l'article 4 (responsabilité sociale) du Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing prévoit que "la communication de marketing doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l'origine nationale, la religion, le sexe, l'âge, le handicap ou l'orientation sexuelle".

Enfin, la recommandation du 14 mars 2002 de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) fait valoir que "la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l'enfant portant atteinte à sa dignité".

Or, nous regrettons la tendance actuelle et croissante qui tend à utiliser des prénoms pour désigner des produits, au mépris de l'humain. Dans le cas de Renault, la problématique est assez spécifique car, contrairement aux autres marques, le constructeur commercialise bien des Clio, des Logan, des Mégane et demain peut-être des Zoé, c'est assez peu répandu dans la mesure où d'autre marques comme Alice, Francine, Nicolas... ne vendent pas des Alice, Francine...

La voiture "Zoé" est dénommée ainsi afin d'être sympathique, rigolote, mignonne, féminine, miniature, à l'image d'une petite fille prénommée "Zoé", pleine de vie. Et cette assimilation d'une petite fille pleine de vie et prénommée "Zoé" à un moyen de locomotion qui peut donner la mort, qui terminera à la casse, qui va générer des remarques désobligeantes n'est pas compatible avec le principe de la dignité humaine.

Nous croyons que Renault n'ignore rien de cela puisque sa Direction de la commercialisation écrivait, en 2005, "nous tenons à vous rassurer... Nous pouvons comprendre votre réaction... Zoé n'est qu'un concept car qui n'est pas destiné à être commercialisé et que vous ne verrez donc pas dans la rue...".

J'imagine que Renault a simplement misé sur le fait que les justiciables (qui se trouvent également être leurs clients) ne se fédèreraient pas.

C'est raté.

Lexbase : Quel est, aujourd'hui, le degré de protection du prénom ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Comme on vient de l'indiquer, la protection juridique du prénom par le droit national français apparaît insuffisante, de sorte qu'il convient de se fonder sur des principes fondamentaux.

Pour autant, il n'est pas inutile de préciser les fonctions attribuées au prénom, pour mieux comprendre le sens de notre action.

Le dictionnaire Le petit Robert définit le "prénom", comme le "nom particulier joint au nom patronymique et servant à distinguer les différentes personnes d'une même famille".

C'est ainsi que le nom patronymique poursuit une fonction sociale en ce qu'il s'analyse comme un instrument de police civile, permettant l'identification d'une personne au sein de la société. C'est ainsi également que l'Etat doit pouvoir distinguer les individus entre eux. Le nom permet alors de révéler l'appartenance d'un individu et de le rattacher à une famille ou plus anciennement une tribu.

Le nom patronymique détient également une fonction individuelle permettant d'individualiser la personne au sein de la société.

En complément du nom, chaque individu doit pouvoir se distinguer au sein de sa famille et être reconnu comme entité à part entière. C'est précisément la fonction accordée au prénom, qui, précédant le nom ("pré-nom"), s'érige en quelque sorte en nom personnel, attribut indissociable de la personne.

Le prénom permet alors de distinguer les membres d'une famille ou des homonymes portant le même nom. Plus encore, il est un facteur de développement et de cohésion sociale et le signe de l'appartenance à un groupe.

Il faut donc conclure que le prénom constituant un outil social symbolique et indispensable, vecteur d'intégration et d'épanouissement personnel, mérite à ce titre une protection juridique équivalente à celle accordée au nom patronymique.

Lexbase : Le juge des référés a estimé que les familles n'avaient pas su démontrer "le préjudice certain, direct et actuel" subi par les jeunes enfants. Pour obtenir l'interdiction d'utilisation du prénom, n'y a-t-il pas un problème quant à la preuve de la réalité du préjudice ou de l'atteinte subi, qui est forcément inexistant tant que le produit n'est pas commercialisé ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : C'est une équation de dupe et il a bien fallu que la magistrate saisie motive sa décision.

Nous nous attendions à ce que la preuve d'un préjudice certain, direct et actuel soit un obstacle à notre action. Toutefois, nous avons tenté de mettre en exergue dans notre argumentation les effets préjudiciables inévitables et imminents de l'usage du prénom "Zoé" pour dénommer un véhicule automobile.

Pendant ce temps, Renault plaidait que ZOE n'était pas un prénom car il n'y avait pas d'accent...

Le sens de notre raisonnement était le suivant. Aux termes de l'article 57 du Code civil (N° Lexbase : L8839G9A) et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, il apparaît que le choix des prénoms de l'enfant n'appartient qu'aux seuls parents, relevant de la vie privée et de l'intime, et ne supporte une ingérence étatique que dans la mesure où l'intérêt de l'enfant est mis à mal (CA Reims, 6 mai 2004), ou qu'aucun prénom n'est attribué dans le délai légalement imparti pour ce faire. C'est ainsi qu'il a pu être jugé que le prénom "Zébulon" ne porte pas atteinte à l'intérêt de l'enfant (CA Besançon, 18 novembre 1999). Il en va de même du prénom "Tokalie", considéré comme disposant d'une sonorité harmonieuse et agréable à entendre et comme n'ayant aucune consonance ridicule péjorative (CA Caen, 30 avril 1998). A contrario, la cour d'appel de Rennes, dans une décision du 4 novembre 1996, a pu juger, comme contraire à l'intérêt de l'enfant, le prénom "Folavril".

Le prénom "Zoé" doit, selon nous, être considéré comme contraire à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'assimilé à une automobile, l'enfant sera évidemment victime de moqueries et de jeux de mots douteux, de nature à faire obstacle à son épanouissement personnel et social. A ce titre, il est intéressant d'observer la jurisprudence rendue en la matière, la société Renault ayant déjà eu recours à des prénoms pour nommer des véhicules automobiles.

C'était notamment le cas des parents, portant le nom de famille "Renaud", qui souhaitaient prénommer leur fille "Mégane". Porté sur l'acte de naissance de l'enfant, l'officier d'état civil avait saisi le procureur de la République de Nantes, sur le fondement de l'article 57 du Code civil, au motif que l'association du prénom "Mégane" et du nom patronymique "Renaud" serait sujette à moqueries. Le procureur a alors saisi le juge des affaires familiales aux fins de suppression du prénom. Ce dernier n'a pas suivi la position du procureur de la République, lequel interjeta appel de cette décision. Et la cour d'appel de Rennes, dans son arrêt du 4 mai 2000, énonça que "dès lors que les jeunes enfants ne sont jamais appelés par leur nom de famille, l'on peut raisonnablement estimer que pendant sa petite enfance et jusqu'à l'entrée à l'école primaire seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture ; [...] il y a tout lieu de supposer qu'ils s'abstiendront de s'en moquer ; [...] que par la suite il est vraisemblable que le modèle aura disparu de la circulation ; [...] le risque que le prénom soit contraire à l'intérêt de l'enfant lorsqu'elle aura six ans et plus n'est donc pas établi ; [...] en revanche que la suppression de son prénom entraînerait inévitablement pour l'enfant, qui le connaît nécessairement et y répond, une grande perturbation dans la construction de sa personnalité [...] ; [...] en conséquence qu'en présence d'un trouble certain en cas de changement de prénom alors que son maintien n'apparaît qu'hypothétiquement contraire à l'intérêt de l'enfant, la cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté le ministère public de sa demande de suppression du prénom Mégane".

Ce n'est donc que sur ce dernier argument que la petite fille concernée a pu se prénommer Mégane. A l'étude de la présente solution rendue par la cour d'appel, il est à noter que le raisonnement juridique ainsi suivi devrait nécessairement aboutir à l'interdiction de l'assimilation du prénom "Zoé" avec le nom "Renault", dès après la sortie du véhicule. On croit rêver. Et quid des petites filles s'appelant déjà Zoé et se nommant, a fortiori Renault comme c'est le cas de certaines de nos clientes.

En effet, pour refuser la suppression du prénom "Mégane" associé au nom familial "Renaud", les juges du fond ont pu considérer que "seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture". Il est donc reconnu clairement que l'association du prénom "Mégane" au nom "Renaud" est comique pour la référence qu'elle renvoie à un modèle de véhicule. Par analogie, il devra en être jugé de même pour l'association du prénom "Zoé" avec le nom "Renault".

Toutefois, le postulat de la cour d'appel pris en ce que "seuls des adultes pourront avoir conscience du caractère éventuellement comique de l'association du prénom et du nom évoquant phonétiquement un modèle de voiture" apparaît, en plus de renvoyer à des motifs hypothétiques et dubitatifs, quelque peu critiquable puisque, à supposer même que seuls les adultes pourront avoir conscience du caractère comique (et ridicule) de l'association, le préjudice existe bel et bien.

La cour d'appel avait également fondé sa décision en considérant comme vraisemblable que, par la suite, "le modèle aura disparu de la circulation". Ce type d'affirmation ne se vérifie pas dans la réalité pour la Renault Zoé qui s'apparente en un modèle phare de la nouvelle gamme Renault, la gamme ZE (pour zéro émission) de voitures électriques. Il suffit d'ailleurs de regarder si les modèles Clio et Mégane ont disparu à ce jour, après 20 ans de commercialisation.

Par ailleurs, dans une autre affaire, Monsieur Glinkowski avait saisi le tribunal de grande instance de Lille d'une demande de changement de prénom de sa fille Clio Glinkowski, en sa qualité de représentant légal, "en raison de la publicité importante faite en ce qui concerne la Renault Clio dont l'annonce de sortie date de mars 1990" et "en raison des réflexions quotidiennes ainsi que de la souffrance des parents et de celle de l'enfant lorsque celle-ci ira à l'école".

Le 9 avril 1992, le tribunal de grande instance de Lille a fait droit à sa demande considérant qu'il existait un intérêt légitime, permettant de considérer que le seul port d'un prénom, exploité à grande échelle à des fins commerciales, est de nature à créer un préjudice suffisamment grave pour justifier d'un intérêt légitime à en changer.

Il avait d'ailleurs été indiqué à ce Monsieur par la société Renault que plus jamais une Renault ne porterait de prénom. On voit ce qu'il en est.

Et il est important de souligner que, dans le jugement envisagé, il n'était pas question d'une association du prénom "Clio" avec un nom familial qui phonétiquement rappellerait la marque "Renault", mais seulement du port du prénom "Clio".

C'est dire toute l'étendue du préjudice, et en cela, nous considérions que la preuve du préjudice était rapportée.

Pour preuve encore de ce préjudice inévitable, il suffit de constater la chute spectaculaire de l'emploi des prénoms d'ores et déjà exploités par la société Renault, comme "Mégane" ou "Clio". Pour le prénom "Mégane", 2 601 enfants ont été prénommés ainsi en 1995, 1 001 en 1996 et 431 en 1997 et quasiment plus aujourd'hui. Or, le véhicule Renault Mégane a été commercialisé en 1996... Il en va de même pour le prénom "Clio", à compter de la commercialisation du véhicule du même nom.

Le sens de notre action est, donc, d'éviter que le prénom "Zoé" connaisse le même destin funeste ainsi que pour tous ceux qui suivront, au gré de l'imagination sans bornes de la société Renault et de ses prestataires. Renault qui vous explique aujourd'hui "on n'a pas spécialement pensé au prénom, ce n'est d'ailleurs pas utilisé comme un prénom sur nos voitures" et dans le même temps, la pièce communiquée sous le numéro 28 par Renault, dans le cadre du référé est un sondage (commandé par Renault) dont le titre est "réaction des français face à la polémique de l'utilisation du prénom Zoé par Renault".

Cela se passe de commentaire.

Lexbase : Envisagez-vous une action fondée sur le droit commun de la responsabilité civile ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle n'est pas inenvisageable à ce stade. Nous nous heurtons pour l'instant à la preuve d'un préjudice certain, mais plus encore à la preuve d'une faute civile de la société Renault.

C'est plus que tout une action de principe qu'il faut viser, dès lors que les porteurs de ce prénom et leurs familles perçoivent (tout autant que Renault, nous pensons) le caractère déplacé d'une telle pratique. Une société où les enfants s'appellent comme des enfants et où les voitures s'appellent comme des voitures nous paraît préférable.

Lexbase : En cas d'échec devant les juridictions nationales, envisagez-vous de porter le litige jusque devant la CEDH ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Dès lors que le droit au respect de la vie privée, garanti et protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est violé par cette pratique commerciale, nous n'excluons absolument pas d'interroger la Cour européenne des droits de l'Homme et de porter le litige devant elle.

Plus largement, nous ne laisserons pas tomber et conduirons toutes les procédures envisageables pour faire échec à cette pratique trop souvent répétée par Renault alors que ses effets sur les personnes concernées sont maintenant connus.

Lexbase : Attendez-vous une évolution de la législation par l'adoption d'une loi qui interdirait l'utilisation d'un prénom usuel à des fins strictement commerciales ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Il résulte de tout ce qui précède qu'il nous semble que l'état du droit positif est à même d'interdire la pratique abusive et dommageable qui consiste à utiliser un prénom à des fins purement commerciales. Toutefois, une intervention du législateur serait sans doute bénéfique eu égard à l'actuelle frilosité de la jurisprudence et permettrait de conférer un écho plus important à une telle interdiction. Cette interdiction doit être assortie de réserves et ne doit être applicable que pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes rapprochés de certains parlementaires, qui ont prêté une attention certaine à notre action.

Lexbase : Et en dehors de toute utilisation commerciale ? L'utilisation d'un prénom à un titre non lucratif vous semble-t-elle aussi de nature à porter atteinte à la personne ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le critère qui nous apparaît décisif est celui du préjudice que les personnes porteuses du prénom vont subir. C'est précisément au juge qu'il appartient de se livrer à une casuistique et d'apprécier si l'usage qui est fait du prénom est de nature à porter une atteinte à la personne.

Lexbase : Vous êtes à l'origine de la création d'un collectif d'avocats "Avocats de combat" qui a pour vocation de rassembler des avocats sur un même combat lorsqu'un intérêt supérieur les unit. Comment ce collectif va-t-il vous aider sur cette affaire "Zoé Renault" ?

David Koubbi et Julien Dami Le Coz : Le principe de fonctionnement d'"Avocats de combat" est extrêmement simple. Nous avons proposé à d'anciens adversaires ou à des amis également, de nous rejoindre et de travailler ensemble sur des dossiers que nous traitons gratuitement ou qu'ils traitent gratuitement dès lors que ces dossiers impliquent la défense d'un intérêt supérieur qui aurait été bafoué. Nous croyons que c'est là le rôle des avocats. Dès à présent, sur ce dossier, nous avons reçu des soutiens de confrères assez inattendus et nous partageons des réflexions stratégiques et de la documentation. "Avocats de combat" sera également utilisé pour conduire plusieurs procédures simultanément sur le territoire français contre un même adversaire dès lors que celui-ci persiste dans une voie qu'il sait dommageable.

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