La lettre juridique n°421 du 16 décembre 2010 : Environnement

[Questions à...] Etat du contentieux de la construction d'éoliennes - Questions à Aurélie Benech, avocat au barreau de Paris, cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil

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[Questions à...] Etat du contentieux de la construction d'éoliennes - Questions à Aurélie Benech, avocat au barreau de Paris, cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235240-questions-a-etat-du-contentieux-de-la-construction-deoliennes-questions-a-b-aurelie-benech-avocat-au
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 04 Janvier 2011

L'éolienne, nouveau mode de production d'électricité considéré comme plus "éco-compatible" que l'énergie nucléaire, suscite, néanmoins un contentieux important alimenté par l'inquiétude des riverains face à l'édification de ce type d'ouvrage d'une ampleur souvent imposante. D'un côté, les pouvoirs publics durcissent leurs conditions de construction en intégrant les projets éoliens dans le champ d'application de la législation sur les installations classées, et imposent leur éloignement des habitations, ainsi que des garanties financières accrues pour le démantèlement et la remise en état des sites après exploitation. De l'autre, le juge administratif apporte sa pierre à la lutte contre le dérèglement climatique en oeuvrant en faveur de l'implantation des éoliennes. En effet, dans une décision rendue le 16 juin 2010, le Conseil d'Etat a jugé que l'implantation des éoliennes en zone de montagne peut déroger au principe d'urbanisation en continuité dès lors qu'elles constituent des installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Pour faire le point sur ce contentieux en plein ébullition, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Aurélie Benech, avocat au barreau de Paris, cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le régime juridique actuel des éoliennes ?

Aurélie Benech : Les éoliennes sont, tant que la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN), dite loi "Grenelle 2", n'est pas encore entrée en vigueur, considérées comme de simples constructions au même titre que les installations photovoltaïques. A ce jour, un projet éolien ne peut être réalisé sans l'obtention préalable d'une autorisation d'urbanisme et la conclusion de diverses conventions avec le gestionnaire du réseau pour raccordement de l'éolienne à celui-ci et avec EDF en vue de l'achat de l'électricité produite.

Sont dispensées de toute formalité, au titre du Code de l'urbanisme, les éoliennes dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est inférieure à 12 mètres (C. urb., art. R. 421-2 N° Lexbase : L7450HZX). En revanche, pour les éoliennes d'une hauteur supérieure ou égale à 12 mètres, l'obtention d'un permis de construire est indispensable. Par ailleurs, une étude d'impact est requise en vue de la délivrance du permis de construire pour les travaux d'installation et de modernisation des ouvrages dont la hauteur du mât est supérieure à 50 mètres (C. envir., art. L. 553-2 N° Lexbase : L8835IM8, R. 122-5, 20° N° Lexbase : L9887IDK et R. 122-8, 15° N° Lexbase : L5109IM8).

Pour les travaux d'installation des ouvrages de production d'énergie éolienne dont la hauteur du mât est inférieure ou égale à 50 mètres, une notice d'impact indiquant leurs incidences éventuelles sur l'environnement et les conditions dans lesquelles l'opération projetée satisfait aux préoccupations d'environnement est, quant à elle, requise (C. envir., art. L. 553-2 N° Lexbase : L8835IM8 et R. 122-9, 13° N° Lexbase : L9894IDS). Même avant d'être considérées comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ci-après ICPE), les éoliennes devaient donc déjà prendre en compte leur incidence sur l'environnement au travers de la notice ou de l'étude d'impact.

Par ailleurs, l'information du public est, également, d'ores et déjà organisée dès lors que, dans le cadre de la délivrance du permis de construire, l'organisation d'une enquête publique pour les travaux d'installation des ouvrages de production d'énergie éolienne dont la hauteur du mât dépasse 50 mètres est exigée (C. envir., art. R. 123-1, annexe 1, 34° N° Lexbase : L4775HBH). Les riverains ont donc déjà la possibilité de consulter le dossier entier et, notamment, l'étude d'impact, et de formuler des observations auprès d'un commissaire enquêteur indépendant, nommé à cet effet.

Il convient, également, de souligner que les exploitants d'éoliennes situées sur le domaine public maritime doivent constituer des garanties financières relatives au démantèlement des installations dès le début de leur construction, et pas uniquement au cours de l'exploitation comme pour les autres éoliennes (C. envir., art. L. 553-3 N° Lexbase : L8837IMA). La modification profonde instituée par la loi "Grenelle 2" n'est donc pas réellement une révolution, du moins en ce qui concerne la prise en compte de l'environnement.

Lexbase : Qu'en est-il du contenu nécessaire du dossier de l'enquête publique et de l'étude d'impact ?

Aurélie Benech : L'organisation d'une enquête publique avant la délivrance d'un permis de construire pour les travaux d'installation d'éoliennes dont la hauteur du mât dépasse 50 mètres est obligatoire (C. envir., art. R. 123-1, annexe 1, 34°, précité). A ce titre, l'ensemble du dossier de permis de construire, les avis qui ont pu être émis sur cette demande, la notice ou l'étude d'impact, ainsi que la mention des textes qui régissent l'enquête publique et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative doivent être soumis à enquête publique (C. envir., art. R. 123-6 N° Lexbase : L5268HNG).

S'agissant du contenu de l'étude d'impact, celui-ci est régi par un principe général de proportionnalité entre, d'une part, la nature et l'importance du projet et, d'autre part, la sensibilité du site. En effet, l'article R. 122-3, I du Code de l'environnement (N° Lexbase : L4799HBD) énonce que "le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement". En fonction de la fragilité du milieu, l'étude d'impact devra être plus ou moins précise.

On doit, cependant, retrouver dans celle-ci une analyse de l'état initial du site et de son environnement, l'analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement, les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, le projet a été retenu, ainsi que les mesures compensatoires envisagées et leur estimation (C. envir., art. R. 122-3, précité). Il est évident que, pour les éoliennes, l'étude d'impact devra faire une place beaucoup plus grande aux sites et paysages que s'agissant d'une installation de stockage de déchets où l'un des éléments fondamentaux sera la qualité du sol et sa capacité à préserver de la qualité de l'eau.

Lexbase : Quels sont les critères pouvant justifier une annulation d'un permis de construire concernant un projet d'éoliennes ?

Aurélie Benech : Tout d'abord, il me paraît utile de souligner que d'assez nombreux refus de permis de construire sont opposés en matière de projets éoliens. Une grande partie du contentieux dont sont actuellement saisies les juridictions administratives est constituée de recours contre des refus de permis de construire ou des retraits de permis tacites. Et même lorsqu'un permis de construire est délivré, il peut encore faire l'objet d'un recours en annulation de la part de riverains.

Sur la forme, le juge administratif peut estimer que le dossier de demande de permis de construire n'est pas suffisant et que certains éléments font défaut. Si certains plans ou documents exigés par le Code de l'urbanisme ne sont pas joints à la demande, il peut estimer que l'administration n'a pas été véritablement mise à même de se prononcer sur ce projet. En matière d'éoliennes, le juge se montre, bien évidemment, particulièrement exigeant en ce qui concerne l'intégration paysagère du projet.

Un motif très souvent retenu est lié à l'application de l'article R. 111-21 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7387HZM) qui prévoit la possibilité de refuser la délivrance d'un permis de construire "si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales". Ainsi, la cour administrative d'appel de Marseille a récemment annulé un arrêté de permis de construire relatif à l'implantation de huit aérogénérateurs sur les contreforts du plateau de l'Aubrac sur ce fondement (1).

Le juge administratif a, en effet, estimé que l'édification sur une ligne de plus d'un kilomètre de huit aérogénérateurs d'une hauteur de plus de 50 mètres constitue "une rupture notable dans les perspectives de ce paysage et altère la qualité des lieux avoisinants le projet". Les risques pour la sécurité publique ont pu également être pris en compte par le juge administratif au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (2). Il peut aussi prendre en compte, le cas échéant, les règles d'urbanisme applicables à la zone -essentiellement le plan local d'urbanisme ou le plan d'occupation des sols- ces règles étant propres à chaque commune.

Lexbase : Quels bouleversements sont induits par le classement en ICPE des éoliennes de la loi "Grenelle 2" ? Ceci risque-t-il de mettre en péril le développement de ce secteur ?

Aurélie Benech : Les modifications opérées par la loi "Grenelle 2" concernent la phase de mise en oeuvre du projet, ainsi que la phase d'exploitation de l'installation. S'agissant de la phase d'instruction du projet, une demande d'autorisation d'exploiter au titre des ICPE devra être obtenue pour les parcs éoliens comprenant 5 éoliennes dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres. Une instruction supplémentaire de la part des services de l'Etat va donc être nécessaire. Par ailleurs, le fait de classer en ICPE les éoliennes va ouvrir une possibilité contentieuse supplémentaire aux opposants à ce type de projets qui pourront non seulement contester le permis de construire, mais aussi l'autorisation d'exploiter.

A ce titre, il est utile de souligner que le délai de recours contre une autorisation d'exploiter est de six mois pour les tiers à compter de la publication ou de l'affichage de l'autorisation (C. envir., art. L. 553-4 N° Lexbase : L8838IMB), ce qui est plus long que le délai de deux mois applicable en matière de permis de construire. Cette voie de recours est d'autant plus intéressante que le juge administratif est un juge du plein contentieux et qu'il dispose, à ce titre, de pouvoirs relativement larges.

Toutefois, à mon sens, le véritable apport de la soumission des éoliennes au régime des ICPE réside dans le suivi et le contrôle qui va pouvoir être opéré par la police des ICPE tout au long de l'exploitation de ces installations. Les inspecteurs des ICPE vont pouvoir contrôler le respect de l'autorisation d'exploiter et sanctionner, le cas échéant, le non-respect des prescriptions, et ce, jusqu'à au démantèlement des éoliennes.

Lexbase : Le Conseil d'Etat a rendu une décision particulièrement importante le 16 juin 2010 concernant l'implantation des éoliennes en zone de montagne. Quelles conséquences concrètes cet arrêt implique-t-il ?

Aurélie Benech : Le Conseil d'Etat a, en effet, affirmé, dans cet arrêt (3), que la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne (N° Lexbase : L7612AGZ), dite "loi montagne" et, notamment, l'article L. 145-3, III du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5826HD7), est opposable à des projets d'éoliennes. Le juge considère donc que l'implantation d'éoliennes est bien une opération d'urbanisation au sens des dispositions de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme.

Toutefois, dès lors qu'il s'agit de projets importants, on peut considérer qu'il s'agit d'"installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage en zone habitées" au sens de l'article L. 145-3, III du Code de l'urbanisme. Il en résulte que les éoliennes peuvent être implantées, en zone de montagne, en discontinuité avec les bourgs, villages, hameaux, et groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.


(1) CAA Marseille, 1ère ch., 15 janvier 2010, n° 07MA00898 (N° Lexbase : A2088ERR).
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 281072 (N° Lexbase : A2892DSW), Rec. Lebon, p. 1104 ; CAA Lyon, 1ère ch., 5 avril 2005, n° 04LY00431 (N° Lexbase : A3018DKY).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 16 juin 2010, n° 311840, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9801EZZ) et lire la chronique de Frédéric Dieu, Actualités de droit interne de droit de l'urbanisme, Lexbase Hebdo n° 164 du 13 juillet 2010 - édition publique (N° Lexbase : N6333BPA).

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