La lettre juridique n°383 du 18 février 2010 : Avocats

[Focus] A quand la garde à vue au garde à vous ?

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

La garde à vue est sur le devant de la scène et fait les gros titres de la presse généraliste et spécialisée depuis maintenant plusieurs mois. Et, l'incendie est loin de s'éteindre. La gestion de la crise embarrasse le Gouvernement et Michèle Alliot-Marie profite de chaque occasion pour rassurer l'opinion publique et les (très nombreux) contestataires -dont les avocats, véritablement partis en croisade-. Tout d'abord, le nombre de gardes à vue est préoccupant : presqu'un million, si sont incluses celles prononcées dans le cadre d'infractions routières. Ensuite, les conditions dans lesquelles la procédure se déroule laisseraient franchement à désirer, du moins, par rapport aux exigences posées par la Cour européenne de droits de l'Homme (CEDH) (lire Présence de l'avocat lors de la garde à vue - Questions à Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat, Lexbase Hebdo n° 12 du 17 décembre 2009 - édition professions N° Lexbase : N6068BMP). Les initiatives se multiplient et tous veulent saisir l'occasion de repenser le régime dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, souhaitée par le Président de la République. Les enjeux sont d'autant plus importants, qu'il est prévu de supprimer le juge d'instruction, au profit d'un Parquet tout puissant (du moins, comme certains le craignent).

Et bien entendu, sur un sujet aussi délicat, personne ne s'entend, aussi bien sur la conformité du régime actuel vis-à-vis des exigences européennes (I), que sur le nouveau dispositif à mettre en place (II).

I - Divergences sur la conformité de la procédure aux exigences européennes

Les divergences d'interprétation des arrêts de la CEDH (B) sont si profondes, qu'il est difficile de déterminer objectivement, si le régime actuel de la garde à vue en France est conforme aux exigences posées par le juge européen (A).

A - Bref rappel du régime actuel de la garde à vue et contenu des exigences européennes

Régime actuel. L'article 63 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7288A4P) dispose que "l'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction", ceci, dès l'âge de 13 ans. La mesure a une durée de 24 heures, qui peut être prolongée à 48 heures, voire, exceptionnellement (pour des infractions de crime organisé et de trafic de stupéfiant), à 96 heures et jusqu'à 6 jours pour certaines affaires de terrorisme.

Celui qui fait l'objet de cette procédure doit obligatoirement être informé de ses droits :

- dans les 3 premières heures de la mesure, il est autorisé à faire prévenir un proche de sa situation, sauf dérogation liée aux nécessités de l'enquête ;

- dès les 24 premières heures, il peut, également, demander à être examiné par un médecin ; et

- surtout, dès le début de la garde à vue, il peut demander à s'entretenir avec un avocat pendant 30 minutes au plus.

Mais, si le texte indique quand le mis en cause peut requérir cette assistance, il n'indique pas dans quel délai cet entretien doit voir lieu. L'avocat, en outre, n'assiste pas aux interrogatoires et n'a aucun accès au dossier.

La jurisprudence européenne. Par une jurisprudence constante, encore réaffirmée récemment, la CEDH décide :

- que la combinaison de l'article 6 § 3 c) (droit à l'assistance d'un avocat) et de l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) (N° Lexbase : L7558AIR) exige que l'accès à un avocat, au besoin commis d'office, soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire portant irréversiblement atteinte aux droits de la défense et amoindrissant les chances pour l'accusé d'être jugé équitablement (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02, Salduz c/ Turquie N° Lexbase : A3220EPX et CEDH, 24 septembre 2009, Req. n° 7025/04, Pishchalnikov c/ Russie N° Lexbase : A4246EPX) ; et

- que l'équité d'une procédure requiert que l'accusé, dès qu'il est privé de liberté, puisse obtenir toute la gamme d'interventions propres au conseil, dont l'assistance d'un avocat (CEDH, 1er décembre 2009, Req. 25301/04, Adalmis et Kilic c/ Turquie N° Lexbase : A2901EP7).

B - Les différences d'interprétation des arrêts de la CEDH

Les avocats et la Chancellerie ont adopté des interprétations opposées des arrêts de la CEDH. La jurisprudence, quant à elle, n'a pas encore complètement pris parti.

L'interprétation des avocats. Les avocats, et plus généralement, les opposants au système français de la garde à vue, s'appuient sur les arrêts de la Cour européenne pour dénoncer les défaillances du régime. Ils comprennent de ces décisions que l'avocat doit être présent au tout début de la mesure et tout son long et qu'ils doivent, également, avoir un accès permanent au dossier.

Mais, si la revendication est légitime, elle n'est, toutefois, pas pour autant la résultante des décisions du juge européen, comme nous l'avait souligné Jean-Yves Le Borgne, Vice-Bâtonnier de Paris (1), qui conseillait de "rester prudent et ne pas interpréter trop hâtivement les décisions rendues par la CEDH".

Il faut, en effet, se rappeler que cette décision a été rendue dans un cas extrême, incomparable avec ce que nous connaissons. En outre, si les juges européens imposent l'intervention d'un avocat dès le début de la mesure, ils ne précisent pas que celui -ci doit assister à l'ensemble de celle-ci, ni qu'il doit accéder, à tout moment, au dossier du gardé à vue.

Cette constatation n'aura pas échappé au Gouvernement.

L'interprétation de la Chancellerie. Dans une note diffusée en novembre 2009, intitulée Argumentaire sur l'absence de l'avocat en garde à vue - conséquences procédurales, le ministère de la Justice note que la Cour a conclu à la violation de l'article 6 de la CESDH, dans un cas où l'assistance de l'avocat était exclue, eu égard à la législation turque en vigueur. Ainsi, l'arrêt n'impose, ni une présence continue de ce professionnel, ni un accès au dossier. La note souligne, en outre, qu'en France, l'avocat est, non seulement, autorisé à intervenir dans la procédure, mais, qu'en plus, il peut le faire avant même le premier interrogatoire.

Le Garde des Sceaux insiste aussi sur le fait que la Cour admette l'invocation de "raisons impérieuses" pour justifier l'aménagement de régimes dérogatoires (celui prévu, en l'espèce, pour les infractions les plus graves). Enfin, au regard de la jurisprudence européenne, l'article 6 ne serait pas violé, dès lors que le mis en cause n'est pas condamné sur les seules déclarations qu'il aurait formulées au cours de la garde à vue.

L'interprétation de la jurisprudence. Bien qu'elle semble majoritairement adhérer à la première interprétation, certaines décisions récentes indiquent que la jurisprudence n'a pas encore tranché complètement la question.

Les opposants au dispositif actuel étaient optimistes, à la suite de la décision du juge des libertés et de la détention du TGI de Bobigny du 30 novembre 2009 (TGI Bobigny, 30 novembre 2009, n° 2568/09 N° Lexbase : A4238EPN). Le JLD a annulé une procédure de garde à vue pour défaut d'assistance d'un avocat durant l'interrogatoire, au cours de l'audition, ainsi qu'au début de la privation de liberté, sur le fondement des arrêts de la CEDH, dont certains passages ont été cités in extenso : "il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, lorsque les déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation".

La victoire semblait, ensuite, remportée, eu égard à la décision du tribunal correctionnel de Paris du 28 janvier 2010, qui a annulé cinq gardes à vue, au motif que "cet entretien de trente minutes ne correspond manifestement pas aux exigences européennes, l'avocat ne [pouvant] remplir les différentes tâches qui sont le propre de son métier et dont quelques unes sont rappelées et énumérées par les arrêts de la Cour européenne". Il lui est, notamment, "impossible de 'discuter de l'affaire' dont il ne sait rien [...] et 'd'organiser la défense' dans la mesure où il ignore quels sont les 'raisons plausibles' de soupçons retenus par l'officier de police judiciaire pour décider de la garde à vue". Il serait, ainsi, cantonné au rôle "de spectateur impuissant".

En province, satisfaction était également obtenue. Notamment, le 19 janvier dernier, la cour d'appel de Nancy écartait des débats les procès-verbaux de garde à vue, au motif que les suspects n'avaient pu voir un avocat avant la 72ème heure de leur audition, comme le prévoit le Code de procédure pénale en matière de stupéfiants. La Haute juridiction aura à se prononcer sur l'affaire, le Parquet s'étant pourvu en cassation (CA Nancy, 4ème ch., 19 janvier 2010, n° 09/01766 N° Lexbase : A7916EQA).

Depuis, l'enthousiasme est retombé. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 9 février 2010 et relatif au trafic de stupéfiant (CA Paris, Pôle 7, 5ème ch., 9 février 2010, n° 20100209 N° Lexbase : A8992ERH), a validé une mesure de garde à vue de 72 heures, alors que le mis en cause n'avait pas eu accès à un avocat. Pour motiver leur décision, les juges ont repris les arguments de la Chancellerie pour retenir que l'infraction de trafic de stupéfiant est suffisamment grave pour justifier l'exclusion de l'avocat.

Tant que la Cour de cassation n'aura pas pris position sur la conformité de la procédure de garde à vue avec les exigences européennes, la question ne sera pas tranchée en interne. Néanmoins, tous s'accordent sur la nécessité de réformer le dispositif. Mais là encore, les pistes explorées par chacun sont très différentes.

II - Divergences sur le régime à mettre en place

Alors que les députés et la profession des avocats prêchent pour une totale remise à plat du régime (B), la Chancellerie tablerait, plutôt, sur une réforme partielle (A).

A - Les réflexions du Gouvernement depuis le rapport "Léger"

Le rapport "Léger" rejetait l'idée que l'avocat soit présent tout au long de la garde à vue, pour des raisons d'efficacité de l'enquête. L'accès de l'avocat aux pièces du dossier était, en outre, considéré comme irréalisable en pratique (le dossier ne pouvant être matériellement constitué qu'à l'issue de la garde à vue). La solution préconisée consistait, donc, en une intervention de l'avocat au début de la mesure, pour un entretien d'une demi-heure, et la possibilité pour lui de rencontrer une seconde fois son client à la 12ème heure de la procédure, avec un accès au dossier. En cas de prolongation de la mesure au-delà de 24 heures, l'avocat pourrait être présent aux auditions. Le rapport avançait, enfin, l'idée d'une alternative, récemment exploitée par le Garde des Sceaux.

Le 10 février dernier, Michèle Alliot-Marie a, en effet, proposé, pour les infractions mineures (a priori celles punissables d'une peine d'emprisonnement inférieure à 5 ans), une "retenue judiciaire" de 4 heures, mesure qui devrait réduire le nombre des gardes à vues. Au cours de cette nouvelle procédure, la personne interpellée pourra "être entendue librement", mais sans avocat. Elle pourra, toutefois, préférer être entendue sous le régime de la garde à vue et dans ce cas, bénéficier de tous les droits y afférents, dont celui de recourir à cette assistance. Sur ce point, le ministre de la Justice indique que l'avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux d'audition au fur et à mesure qu'ils seront réalisés et, si la garde à vue est prolongée, qu'il pourra assister aux auditions et poser des questions.

Les avocats et une majorité des députés n'ont, bien entendu, pas été séduits par ces solutions, dont ils voient mal comment elles seraient susceptibles de régler quoique soit. Elles verrouilleraient, au contraire, l'exclusion de l'avocat.

B - Des propositions jugées insuffisantes

Depuis l'origine du débat, les avocats demandent à être présents dès le début de la garde à vue et tout au long de son déroulement (en ce compris, les interrogatoires). Ils revendiquent, également, un accès permanent aux pièces du dossier. Outre ces minimas, le CNB revendique la possibilité pour l'avocat de solliciter des actes pendant la garde à vue (sous le contrôle d'un juge du siège), l'enregistrement audiovisuel de toutes les gardes à vue, ainsi qu'une unification des régimes.

Ces exigences ont été entendues par les députés. Plusieurs propositions de loi ont, déjà, été déposées en ce sens sur le bureau de l'Assemblée nationale, dont celles des députés UMP et avocats Manuel Aeschlimann et Michel Hunault, déposées le 11 décembre 2009 (2), et celle des Verts, présentée par Noël Mamère le 10 février dernier et qui devrait être débattue en avril. Les socialistes ont, quant à eux, annoncé retenir la proposition du député André Vallini, qui devrait être examinée le 24 février prochain et qui comporte un unique article : "toute personne placée en garde à vue doit immédiatement faire l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat", précision faite que la mesure ne sera admise que pour les infractions donnant lieu à des peines de prison de plus de cinq ans.


(1) Lire Révolution intellectuelle au sommet du plus grand Barreau de France - Questions à Maître Jean Castelain, Bâtonnier de l'ordre de la cour d'appel de Paris, et Maître Jean-Yves Leborgne, vice-Bâtonnier, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9369BMX).

(2) Cf. Présence de l'avocat lors de la garde à vue - Questions à Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat, Lexbase Hebdo n° 12 du 17 décembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N6068BMP).

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