La lettre juridique n°383 du 18 février 2010 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Précision sur le caractère perpétuel de l'exception de nullité en matière de révision de loyer

Réf. : Cass. civ. 3, 3 février 2010, n° 08-21.333, Mme Raymonde Michèle Delsol, FS-P+B (N° Lexbase : A6044ERB)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 07 Octobre 2010

Le preneur qui a assigné en nullité d'un commandement et d'une clause contraire aux règles légales de la révision du loyer du bail commercial n'agit pas par voie d'exception mais par voie d'action et il ne peut, en conséquence, se prévaloir du principe selon lequel l'exception de nullité est perpétuelle. Telle est la solution énoncée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 février 2010. En l'espèce, un local à usage commercial avait été donné à bail par acte sous seing privé du 2 octobre 2003 comprenant la clause suivante : "le présent contrat est fait moyennant, par année, la somme de 46 000 euros de loyer net de toutes charges actuelles, plus le remboursement de la totalité de la contribution sur les revenus locatifs prévue à l'article 234 nonies du CGI (N° Lexbase : L9224IDY) [...]. En cas de suppression de tout ou partie des impôts ou taxes mis à la charge du preneur selon les stipulations ci-dessus, une somme égale au montant de la part remboursée par celui-ci sera ajoutée au loyer de plein droit ou immédiatement". La loi de finance pour 2006, adoptée le 30 décembre 2005 (loi n° 2005-1719 N° Lexbase : L6429HET), a supprimé la contribution sur les revenus locatifs à compter du 1er janvier 2006 pour les bailleurs personnes physiques et certaines sociétés de personnes. Le 8 août 2006, le bailleur avait fait délivrer au preneur un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire, à hauteur d'une somme représentant ce que le bailleur estimait dû au titre du remboursement de la contribution sur les revenus locatifs qu'il réclamait désormais en tant que composante du loyer. Le preneur a alors assigné son cocontractant en formant opposition au commandement.

Le locataire invoquait à cette fin la nullité de la clause sur le fondement de laquelle le bailleur avait appelé, au titre des loyers, les montants correspondants à la contribution sur les revenus locatifs supprimée, au motif que cette clause serait contraire aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux relative à la révision du loyer (I). Se posait toutefois la question de la recevabilité de cette demande compte tenu de la prescription biennale qui régit les "actions" exercées sur le fondement d'une disposition du statut des baux commerciaux (II).

I - La nullité de la clause prévoyant la modification du loyer en dehors des règles légales relatives à la révision : principe et tempéraments

Alors que les règles relatives à la fixation du loyer en renouvellement (C. com., art. L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9 et L. 145-34 N° Lexbase : L2271IBQ) n'ont pas été jugées d'ordre public (1), il en va autrement en matière de règles relatives à la révision du loyer en cours de bail.

En effet, la révision du loyer du bail commercial est régie par les articles L. 145-37 (N° Lexbase : L5765AID), L. 145-38 (N° Lexbase : L2344IBG) (révision triennale) et L. 145-39 (N° Lexbase : L5767AIG) (révision en cas de variation importante du loyer par l'effet d'une clause d'indexation) du Code de commerce. Ces dispositions sont expressément qualifiées d'ordre public (C. com., art. L. 145-15 N° Lexbase : L5743AIK) ce qui interdit aux parties d'y déroger, à tout le moins lors de la conclusion du bail.

Le loyer d'un bail commercial n'est pourtant pas totalement intangible jusqu'à son renouvellement. En effet, ces règles ne font pas obstacle à ce que les parties modifient d'un commun accord le montant du loyer en cours de bail (2), ni à la stipulation d'une clause d'indexation, la faculté de révision spéciale pour le cas où le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile (C. com., art. L. 145-39) impliquant nécessairement la validité de principe d'une telle clause (3).

Le loyer d'un bail comportant une clause-recettes variera également en cours de contrat selon des règles différentes de celles prévues par le statut des baux commerciaux, étant en outre précisé que la révision d'un tel loyer échappe totalement aux dispositions légales relatives à la révision et n'est régie que par la convention des parties (4)

En dehors de ces hypothèses, les modifications du prix de loyer, fixé à l'avance par les parties au bail, risquent d'être jugées contraires aux dispositions d'ordre public relatives à la révision du loyer. Ainsi, il a été jugé que la demande de révision du preneur en révision du loyer ne saurait être écartée, en présence d'un bail stipulant un loyer pour les dix-huit premières années puis un autre loyer pour le temps restant à courir après l'expiration de cette durée, au motif que les parties aurait valablement pu décider de fixer par avance et forfaitairement le prix du bail, excluant toute révision triennale (5).

En l'espèce, il pouvait donc être soutenu que la clause imposant la réintégration dans le montant du loyer d'un impôt ou d'une taxe à la charge du preneur aux termes du bail et qui viendrait à être supprimé, contrevenait à l'interdiction de déroger aux règles légales de la révision en ce qu'elle avait pour effet d'entraîner une modification du montant du loyer non prévue par les règles légales de révision et stipulée dès l'origine.

Les juges du fond avaient, sur ce fondement, prononcé la nullité de cette clause (6).

La Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de confirmer cette nullité. Se posait, en effet, au préalable la question de la prescription de la demande de nullité. Alors que les juges du fond avaient rejeté la fin de non-recevoir sur ce fondement de la demande du locataire, la Cour de cassation ne s'est prononcée que sur cet aspect en censurant l'arrêt qui lui était déféré.

II - La prescription de l'action en nullité

Aux termes de l'article L. 145-60 du Code de commerce, "toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre [chapitre V : Du bail commercial] se prescrivent par deux ans".

Il ne fait guère de doute qu'une action tendant à voir prononcer la nullité d'une clause contraire aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-39 du Code de commerce est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 de ce code, dans la mesure où elle se fonde sur la violation des dispositions visées par ce dernier texte (7).

En revanche, et logiquement, l'action en nullité d'une clause d'indexation en raison de l'illicéité des indices retenus, qui est fondée sur l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2260IBC), n'entre pas dans le champ d'application de la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce (8).

L'action en nullité d'une clause d'un bail commercial contraire aux dispositions du statut des baux commerciaux semble devoir courir à compter de la date de la signature du contrat (9) ou de l'avenant comportant la clause incriminée (10). Toutefois, la question a été posée à la suite de deux arrêts de 2007 et 2008 (11) de savoir si la date de conclusion du contrat devait encore être retenue comme point de départ de l'action en nullité de l'une de ses clauses (12).

Dans l'arrêt rapporté, et si la date de conclusion du contrat devait être retenue, à savoir le 2 octobre 2003, l'action en nullité de la clause litigieuse devrait être considérée comme prescrite dans la mesure où la demande a été formée le 6 septembre 2006.

Cependant, le preneur tentait d'échapper à la prescription en invoquant l'adage, visé par la Cour de cassation dans la décision commentée, selon lequel "l'exception de nullité est perpétuelle" (Quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipendium).

Les juges du fond avaient considéré qu'en faisant opposition au commandement pour faire échec à l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire mise en oeuvre par ce commandement, le locataire avait agi, non par voie d'action, mais par voie d'exception, et que l'exception de nullité étant perpétuelle, il n'était pas concerné par la prescription soulevée à son encontre.

Si la Cour de cassation reconnaît la validité du "principe" de l'exception perpétuelle, elle considère, toutefois, qu'il ne pouvait s'appliquer en l'espèce dans la mesure où le preneur avait assigné en nullité du commandement et de la clause litigieuse du bail.

Elle se prononce, en conséquence, sur la qualité de défendeur à l'action, position procédurale nécessaire pour que puisse être opposé le caractère perpétuel de l'exception. Dans l'arrêt rapporté, le preneur qui invoquait la nullité de la clause litigieuse était initialement demandeur à l'instance qu'il avait introduite à la suite de la délivrance du commandement. Toutefois, il pouvait être soutenu qu'il soulevait néanmoins la nullité en défense, pour s'opposer au commandement. Il a, en effet, été jugé que "en matière d'exécution forcée, l'instance est virtuellement engagée par l'acte d'exécution, même si la partie contre laquelle cet acte est dirigée saisit le juge d'une action qui constitue une réponse à l'attaque du poursuivant et par conséquence une exception" (13). Certes, un commandement visant la clause résolutoire ne peut pas tout à fait être analysé en une mesure d'exécution forcée. Or, on pouvait envisager qu'un tel acte engagerait une "instance" entendue de manière très large. En tout état de cause, la Haute cour est revenue sur cette assimilation de la notion d'instance et de celle de procédure d'exécution (14).

En matière de bail commercial, la Cour de cassation avait également jugé qu'un preneur agissait non par voie d'action mais par voie d'exception en contestant l'application d'une clause excluant le paiement d'une indemnité d'éviction invoquée par le bailleur qui lui avait donné congé avec refus de renouvellement du bail (15). La solution pourrait s'expliquer par le fait que le congé ouvrirait en quelque sorte une instance dans laquelle le preneur, même s'il avait saisi le tribunal d'une demande en nullité de la clause sur le fondement de laquelle le congé avait été donné, était défendeur. Dans une espèce similaire, et quelques mois plus tard, cette approche a été condamnée, au motif que le preneur n'était pas défendeur puisqu'il avait assigné en nullité de la clause et qu'il ne pouvait en conséquence être considéré qu'il avait agi par voie d'exception (16). La divergence de solutions entre ces deux arrêts pourrait toutefois s'expliquer également par le fait que dans celui du 24 novembre 1999, le preneur n'avait pas seulement assigné en paiement d'une indemnité d'éviction, mais également en nullité de la clause contraire (17). Cependant, la demande de paiement de l'indemnité d'éviction impliquait cette nullité et à ce titre conduire à rejeter l'exception de nullité (18).

L'arrêt rapporté se situe dans la droite ligne de la solution énoncée dans l'arrêt du 24 novembre 1999 : l'acte extrajudiciaire préalable que l'action initiée a pour objet de contester ne place pas celui qui invoque la nullité dans la position de défendeur lui permettant d'échapper à la prescription de son action. Cette conception de la notion d'exception doit être rapprochée de celle retenue, en dehors de la délivrance d'un acte préalable, en matière d'action en révision du loyer sur le fondement des dispositions légales alors que le bail stipulerait une clause contradictoire avec ces dernières. En effet, il a été jugé que la partie qui demande la révision du loyer n'est pas défendeur lorsqu'elle oppose la nullité d'une telle clause, son action impliquant cette nullité (19).

Enfin, il doit être rappelé, toujours dans un sens restrictif de la possibilité d'invoquer me caractère perpétuel de l'exception de nullité, que cette dernière peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté (20).


(1) Cass. civ. 3, 10 mars 2004, n° 02-14.998, Société Sud Loire distribution c/ Société Jardiflor, F-P+B+I (N° Lexbase : A4884DBI) ; Cass. civ. 3, 27 octobre 2004, n° 03-15.769, Société Thalacap c/ SCI Thalamed, FS-P+B (N° Lexbase : A7412DDU), voir nos obs., Liberté contractuelle et renouvellement du bail commercial, Rev. loyers., 2004, n° 852.
(2) Cass. civ. 3, 7 mars 2001, n° 99-18.368, Consorts Cassan c/ Banque nationale de Paris (BNP) (N° Lexbase : A4715AR3).
(3) Cass. civ. 3, 2 juin 1977, n° 76-13.199, Dame Girardot c/ Jullien (N° Lexbase : A7212AG9).
(4) Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 89-20.847, Société pour la location du centre commercial de la Bourse à c/ Société Vincara (N° Lexbase : A4677AC9).
(5) Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-15.202, Société civile immobilière (SCI) du Centre commercial Croix Dampierre c/ Société Centre automobile Croix Dampierre (CACD), FS-P+B (N° Lexbase : A8981AXW).
(6) CA Paris, 16ème ch., sect. B, 2 octobre 2008, n° 08/01151, Mme Raymonde Michèle Delsol c/ SAS Naturalia France (N° Lexbase : A9250EAT).
(7) Cass. civ. 3, 1er février 1978, n° 75-15.295, SA Clinique le Rosaire c/ SCI Albazur (N° Lexbase : A7188AGC).
(8) Cass. com., 2 février 2010, n° 09-11.293, M. Jean-Pierre Subra, F-D (N° Lexbase : A7819ERZ).
(9) Cass. civ. 3, 1er février 1983, n° 81-10.317, Société des Bazars du Var c/ Société d'exploitation et de gestion industrielle et commerciale SEGIC (N° Lexbase : A7550AGQ).
(10) Cass. civ. 3, 16 janvier 1991, n° 89-14.633, SA Bys c/ Société UII (N° Lexbase : A8345AG8).
(11) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-16.758, société Optic Lachal, FS-P+B (N° Lexbase : A9412DZM) et Cass. civ. 3, 23 janvier 2008, n° 06-19.129, société Bistro Elysées BV et compagnie, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0926D43), sur lequel lire nos obs. in Chronique de l'actualité des baux commerciaux, Lexbase Hebdo n° 304 du 15 mai 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N9061BEC).
(12) Cf. F. Auque, Réforme de la prescription, AJDI 2009, p. 346.
(13) Cass. civ. 3, 30 avril 1974, n° 72-13373, SCI Dingsheim c/ C/ Epoux Wittmann (N° Lexbase : A5415CKR).
(14) Voir, par exemple, Cass. civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-11.230, Mme Solange Connet, FS-P+B (N° Lexbase : A0273DRK).
(15) Cass. civ. 3, 2 juin 1999, n° 97-19.324, Epoux Simon c/ Epoux Toutain (N° Lexbase : A4870AUW).
(16) Cass. civ. 3, 24 novembre 1999, n° 98-12.694, Epoux Simon c/ Epoux Deiber (N° Lexbase : A8710AH3).
(17) Cf. J.-P. Blatter, AJDI, 2000, p. 312.
(18) Cass. civ. 3, 1er février 1983, n° 81-10.317, Société des Bazars du Var c/ Sté d'Exploitation et de Gestion Industrielle et Commerciale SEGIC (N° Lexbase : A7550AGQ) ; Cass. civ. 3, 19 juillet 1984, n° 83-12.355, Compagnie d'Assurances La Populaire c/ Société Primistères (N° Lexbase : A7648AGD).
(19) Cass. civ. 3, 1er février 1983, n° 81-10.317, préc. ; Cass. civ. 3, 19 juillet 1984, n° 83-12.355, préc..
(20) Voir, notamment, Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 05-18.097, Société International Real Returns France (IRRF), FS-P+B (N° Lexbase : A2104DUH), RTDCiv., 2007, p. 585, note P.-Y. Gautier ; Cass. civ. 3, 14 mai 2003, n° 02-10.984, Société civile immobiliere (SCI) Enghien c/ Société Anshindo Paris, FS-P+B (N° Lexbase : A0301B7B).

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