La lettre juridique n°370 du 5 novembre 2009 : Rémunération

[Jurisprudence] La privation de stock-options devient une sanction pécuniaire prohibée

Réf. : Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 08-42.026, Mme Delphine Nebon Carle, FS-P+B (N° Lexbase : A2748EMQ)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Les stock-options parfois accordées aux salariés dans les entreprises sont considérées comme des accessoires au contrat de travail. Si la qualification de rémunération ne leur est pas expressément accordée, leur régime juridique s'y apparente pourtant en de nombreux points. Il reste que, jusqu'ici, la Cour de cassation refusait de considérer que la caducité des stock-options, prévue par le plan de stock-options en cas de licenciement pour faute grave, puisse constituer une sanction pécuniaire prohibée. C'est désormais chose faite puisqu'un arrêt de la Chambre sociale, rendu le 21 octobre 2009, juge que la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de stock-options. Cette incompatibilité désormais reconnue entre faute grave et droit au bénéfice de stock-options (I) doit être saluée tant elle est justifiée et que ses effets sont précautionneusement pondérés (II).

Résumé

La privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de stock-options.

I - L'incompatibilité reconnue entre faute grave et privation du droit de bénéficier de stock-options

  • Le principe de la prohibition des sanctions pécuniaires

La rémunération est un élément fondamental de la relation de travail. Elément qualifiant permettant de distinguer le contrat de travail du bénévolat, elle est surtout la contrepartie de la prestation de travail et constitue la véritable cause de l'engagement contractuel du salarié. La rémunération est tellement essentielle à la relation de travail qu'elle fait l'objet d'un soin tout particulier de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui ne permet aucune entorse au principe selon lequel la rémunération du salarié ne peut être modifiée sans son accord.

Cette protection toute particulière de la rémunération du salarié trouve une illustration législative tout à fait topique dans la prohibition des sanctions pécuniaires.

L'article L. 1331-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1860H9R) dispose, en effet, que "les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites" et ajoute que "toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite". Si l'employeur dispose d'un large panel de sanctions pouvant être prononcées à l'encontre d'un salarié fautif, de l'avertissement jusqu'au licenciement pour faute, il lui est formellement interdit d'opérer des retenues sur salaire. Cette interdiction est jugée à ce point fondamentale qu'elle fait l'objet d'une infraction pénale prévue par l'article L. 1334-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1876H9D).

  • Illustrations de sanctions pécuniaires prohibées

Au titre de la prohibition des sanctions pécuniaires, de nombreux procédés ont été jugés illicites par la Cour de cassation.

Il est évidemment interdit à l'employeur de refuser le versement d'une prime à un salarié en raison d'une faute (1), quand bien même la possibilité d'une telle privation serait prévue par la convention collective (2). La suppression d'un avantage en nature en raison d'un comportement fautif n'est pas plus tolérée par le juge (3). La prohibition s'applique encore lorsque la mesure prise par l'employeur a pour effet de modifier la structure de la rémunération et donc, indirectement, de diminuer la rémunération du salarié (4).

  • La privation de stock-options au titre d'une sanction

La prohibition des sanctions pécuniaires trouve-t-elle à s'appliquer lorsque le salarié est privé de la faculté de bénéficier de stock-options ? La question est d'importance car de nombreux plans de stock-options prévoient expressément que le salarié est déchu de son droit d'option s'il quitte l'entreprise (5). Cette mesure est adoptée dans l'idée de fidéliser les salariés à qui sont attribuées ces options (6).

La Cour de cassation juge que "la subordination du maintien des stock-options à la présence du salarié dans l'entreprise n'est pas, en soi, constitutive d'une atteinte aux libertés et droits fondamentaux de celui-ci" (7). Elle considère donc que ces clauses sont valables, à la condition, toutefois, d'être rendues opposables au salarié (8).

Dans une décision datant de 2004, la Chambre sociale de la Cour de cassation, interrogée sur la compatibilité de telles clauses avec la prohibition des sanctions pécuniaires avait estimé "qu'aucune plus-value n'étant réalisée au jour de la rupture du contrat [du salarié], la perte du droit de lever l'option ne [pouvait] s'analyser, à cette date, en une mesure affectant la rémunération du salarié" (9). La Chambre sociale de la Cour de cassation semble aujourd'hui revenir sur cette interprétation.

  • En l'espèce : revirement de jurisprudence

Les faits de l'affaire commentée sont relativement simples. Une salariée était licenciée pour une faute grave dont la qualification était confirmée par les juges d'appel. La cour d'appel débouta en outre la salariée de sa demande en paiement au titre des stock-options en se basant sur le plan d'achat d'action qui prévoyait la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire pour faute grave.

Alors que la salariée n'avait pas renouvelé cette présentation devant la Cour de cassation, la Chambre sociale relève d'office le moyen tiré de la violation de la prohibition des sanctions pécuniaires. Au visa de l'article L. 1331-2 du Code du travail, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel sur ce point en jugeant "que la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de 'stock-options'".

II - L'incompatibilité justifiée entre faute grave et privation du droit de bénéficier de stock-options

S'il s'agit incontestablement d'un changement de cap opéré par la Chambre sociale, il doit être remarqué, d'abord, que cette évolution paraît plutôt bienvenue et, ensuite, qu'elle ne devrait pas avoir une portée trop importante.

  • Le rattachement implicite des stock-options à la rémunération du salarié

Cette solution est bienvenue car la perte du droit d'option constitue, au moins potentiellement, une perte de rémunération pour les salariés concernés.

Le bénéfice de stock-options n'est pas à proprement parler qualifié de rémunération par les juges du travail. Pour autant, ils estiment généralement que les stock-options figurent au rang des accessoires au contrat de travail (11). Or, on connaît d'autres conventions accessoires au contrat de travail, qui sont parfois qualifiées de rémunération : tel est, par exemple, le cas d'un contrat de bail conclu à des conditions avantageuses entre un employeur et son salarié ; tel est, encore, le cas d'un contrat de prêt dont l'objet est le prêt d'un véhicule de l'entreprise à titre gracieux. Dès lors, pourquoi ne pas voir dans les stock-options ce qu'elles sont, c'est-à-dire un complément de rémunération accessoire accordé au salarié (12) ?

Si la qualification de rémunération peut être retenue, elle ne suffit pas à conclure que la privation de l'option constitue une sanction pécuniaire prohibée. Il faut encore démontrer que la mesure a été prise en raison d'une faute du salarié et qu'elle mène concrètement à une perte de rémunération pour celui-ci.

  • La privation d'un élément de rémunération en raison d'une faute

S'agissant de l'existence de la faute, elle ne fait aucun doute en l'espèce puisque le plan d'achat d'option de l'entreprise limitait expressément la perte des options aux salariés licenciés pour faute grave. Comme le rappellent certains auteurs, "la qualification de sanction tient à la cause de la mesure" (13). Si la privation des options pour toute cause de rupture du contrat de travail n'aurait pu être qualifiée de sanction pécuniaire prohibée, la limitation de la déchéance des options au cas de faute grave est, sans équivoque, une sanction.

  • L'indifférence du caractère aléatoire de la rémunération dont le salarié est privé

S'agissant de la perte effective de rémunération, c'est certainement là que la qualification faisait le plus difficulté. C'est d'ailleurs cet argument qui avait jusqu'ici incliné la Cour de cassation à refuser la qualification de sanction pécuniaire prohibée, faute de plus-value réalisée au jour de la rupture du contrat.

Cependant, toute difficulté n'est pas insurmontable et le caractère éventuel des gains du salarié ne nous paraît pas devoir faire obstacle à la qualification de sanction pécuniaire prohibée. En effet, il arrive régulièrement que le droit prenne en compte l'aléa pour considérer que, malgré le caractère éventuel du droit auquel cet aléa s'attache, il existait une éventualité de gain qui doit être prise en compte.

Cela est, notamment, le cas dans le cadre de la responsabilité civile délictuelle depuis que la Cour de cassation accepte que soient réparés les préjudices dits de "perte de chance". De la même manière, le fait que le contrat d'assurance repose par nature sur un aléa ne prive pas l'assureur du droit de réclamer le paiement de la police quand bien même aucun sinistre ne se serait produit.

  • Une solution strictement limitée au cas de faute commise par le salarié

Il convient enfin de remarquer que la solution rendue par la Cour de cassation devrait se limiter à certains plans d'actions qui distinguent selon le motif de la rupture du contrat de travail.

En effet, la formule adoptée par la Cour de cassation en 2004 paraît toujours d'actualité : une clause du plan prévoyant la caducité des options lorsque le salarié quitte l'entreprise n'est pas "en soi" constitutive d'une atteinte à ses libertés et droits fondamentaux. A contrario, seules certaines clauses peuvent constituer une telle atteinte. A condition de considérer que la prohibition des sanctions pécuniaires relève d'un droit fondamental du salarié, la clause du plan limitant la privation d'option aux salariés licenciés pour faute grave n'est pas valable.

C'est d'ailleurs expressément parce que la clause du plan limitait, en l'espèce, la perte des options aux salariés licenciés pour faute grave que la Cour de cassation considère qu'elle "ne pouvait être prévue par le plan de stock-options".

On peut également imaginer que la solution de la Cour de cassation serait la même si la clause du plan de stock-options prévoyait que toute faute du salarié justifiant un licenciement permet la privation des options. En revanche, il nous semble qu'il en aurait été différemment si le plan avait prévu la perte des options en cas de rupture du contrat de travail, quand bien même le contrat aurait été rompu pour licenciement reposant sur une faute grave.

Concrètement, il suffira donc, à l'avenir, aux organes dirigeants des sociétés de rédiger ces clauses de manière suffisamment générale pour que tout salarié dont le contrat de travail est résilié soit privé de stock-options. Ces clauses seront alors valables, exactement comme le sont les clauses conventionnelles qui réduisent le montant d'une prime d'assiduité pour les salariés sans distinction de la cause de leur absence, qu'elle soit fautive ou non.


(1) Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 95-44.309, Société Ciapem c/ M. Metral et autres (N° Lexbase : A2144ACE).
(2) Cass. soc., 11 février 2009, n° 07-42.584, M. Grégory Benoît, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1264ED8) et les obs. de G. Auzero, Une sanction pécuniaire prohibée ne peut faire l'objet d'une stipulation conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 339 du 25 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5753BIW).
(3) Sur la suppression d'un avantage constitué par la mise à disposition d'un véhicule de fonction, v. Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.760, M. Portanguen c/ Société Cecorev (N° Lexbase : A1160AIS), Dr. soc., 2001, p. 195, obs. A. Mazeaud.
(4) Sur la retenue opérée en application d'une "clause de malus" prévoyant une diminution des commissions acquises d'un pourcentage correspondant au taux d'annulation des ventes, une telle retenue ayant pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur des ventes effectivement réalisées, v. Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.160, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0951DXI).
(5) C'est le conseil d'administration ou le directoire qui fixe, dans le cadre de l'autorisation qui lui a été accordée par l'assemblée générale extraordinaire, les conditions dans lesquelles seront consenties les options de souscription ou d'achat (C. com., art. L. 225-177 et s. N° Lexbase : L8278GQN).
(6) Cela permet également d'éviter que les actions ne deviennent trop rapidement la propriété d'actionnaires extérieurs à l'entreprise. V. R. Vatinet, La nature juridique des stock-options précisée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, JCP éd. S, 2005, 1417.
(7) Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-41.860, M. Ariel Beresniak c/ Société Glaxosmithkline, FS-D (N° Lexbase : A6432DDL) et les obs. de G. Auzero, Opposabilité aux salariés du règlement du plan de stocks-options et perte du droit de lever les options, Lexbase Hebdo n° 141 du 3 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3335AB7).
(8) Sur les difficultés d'interprétation de ce caractère "opposable", v. Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 99-45.979, M. Jean-Noël Navarro c/ Société Go sport, FS-P (N° Lexbase : A8113AXR), Bull. civ. V, n° 12, Bull. Joly, 2002, p. 633, note H. Le Nabasque.
(9) Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-41.860, préc..
(10) Un premier moyen soulevé par le salarié consistait à contester la qualification de faute grave et à reprocher aux juges d'appel un inversement de la charge de la preuve. La Cour de cassation rejette le pourvoi sur ce moyen que nous n'examinerons pas plus avant.
(11) Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-45.479, Société Unilog c/ Mme Caroline Quelquejay, FS-P+B (N° Lexbase : A8041DIN), JCP éd. S, 2005, 1183, note B. Boubli.
(12) Dans ce sens, v. J.-B. Lenhof, Variations sur la notion d'accessoire du contrat de travail et compétence du juge face au salarié actionnaire, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3864BHL).
(13) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 24ème éd., 2008, avec la coll. de G. Auzero, p. 807.


Décision

Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 08-42.026, Mme Delphine Nebon Carle, FS-P+B (N° Lexbase : A2748EMQ)

Cassation partielle, CA Lyon, ch. soc., 4 mars 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1331-2 (N° Lexbase : L1860H9R)

Mots-clés : stock-options ; sanction pécuniaire prohibée

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