La lettre juridique n°370 du 5 novembre 2009 : Avocats

[Jurisprudence] Les conditions d'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un avocat

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 29 septembre 2009, n° 09/08231(N° Lexbase : A7105ELQ)

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N1861BMU

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et de science politique, Université Toulouse 1 Capitole

le 07 Octobre 2010

Comme tout "faillitiste" le sait, la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) a permis l'accession aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire, des "personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé" (1).

Cette innovation est heureuse dans la mesure où les professionnels libéraux étaient exclus des procédures collectives applicables aux commerçants, artisans et agriculteurs. Ils le sont à l'heure actuelle en raison de leur statut, non seulement de la procédure de surendettement prévue aux articles L. 330-1 (N° Lexbase : L2360IBZ) et suivants du Code de la consommation qui ne couvrent que les dettes non professionnelles (2), mais encore de la procédure de rétablissement personnel instaurée par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3558BLD).

La mise en oeuvre des nouvelles dispositions légales ne va, cependant, pas sans difficultés auxquelles les tribunaux apportent progressivement des solutions sous l'oeil attentif de la doctrine qui ne manque pas de les commenter.

Ainsi a-t-il fallu, entre autres, non seulement cerner les notions de personnes physiques, de professions indépendantes, mais encore soumettre au même régime de la sauvegarde des entreprises des professions indépendantes aussi différentes les unes des autres, telles que celle d'avocat ou de pharmacien qui est la fois un professionnel libéral et un commerçant (3).

S'agissant des avocats, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 29 septembre 2009, constitue une nouvelle pierre apportée à l'édifice jurisprudentiel relatif à l'application des procédures collectives aux membres des professions libérales.
1 - Le principal protagoniste de l'affaire a exercé la profession d'avocat au barreau de Seine Saint-Denis, au sein d'une Selarl unipersonnelle immatriculée au RCS de Bobigny. Il en a été le gérant depuis le 14 janvier 2003.

Le 6 octobre 2008, il a régularisé au greffe du tribunal de grande instance de Meaux une déclaration de cessation des paiements et sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Sur réquisitions conformes du procureur de la République, cette juridiction l'a débouté de sa demande pour ne pas avoir justifié d'une activité professionnelle indépendante qui ne soit pas accessoire à celle de la profession d'avocat dont les prestations seraient facturées et comptabilisées indépendamment et dont les seuls revenus permettraient d'envisager un plan de redressement, afin de rembourser le passif déclaré le 6 octobre 2008 à titre personnel.

L'intéressé exerce un recours auprès de la cour d'appel de Paris, en sollicitant que soit réformé le jugement rendu en première instance et, par conséquent, l'ouverture à son égard de la période d'observation d'une procédure de redressement judiciaire, la désignation d'un mandataire judiciaire qu'il lui plaira, la fixation de la date de cessation des paiements et le renvoi de l'affaire devant une juridiction autre que le tribunal de grande instance de Meaux.

Pour tenter d'emporter la conviction des juges de seconde instance, l'appelant fait état de plusieurs éléments :

- la procédure de sauvegarde dont a fait l'objet la Selarl unipersonnelle au sein de laquelle il exerce la profession d'avocat ;

- la déclaration par lui de la cessation des paiements de la Selarl ;

- ses diligences au greffe du tribunal de commerce pour que l'extrait Kbis de la société mentionne que celle-ci est sans activité à la date du 30 juin 2009 ;

- son courrier adressé à l'ordre des avocats l'informant que dorénavant il exercerait son activité professionnelle à titre individuel ;

- l'appel qu'il a interjeté à l'encontre de la décision de conversion en liquidation judiciaire de la sauvegarde prononcée par jugement du 30 juin 2009 à la demande du mandataire faite le 22 juin de cette année ;

- sa décision du 10 juillet 2009 de prononcer la dissolution anticipée de la Selarl et de se désigner comme liquidateur.

Peine perdue ; sa demande est repoussée par la cour d'appel de Paris.

2 - Se pose la question de savoir si l'avocat en cause dans le présent litige peut bénéficier ou non d'une procédure de redressement judiciaire en qualité de professionnel libéral. Pour y répondre, il convient de se demander si l'intéressé remplit bien les conditions posées par l'article L. 631-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3325IC7) qui cite les personnes susceptibles de connaître une procédure collective.

Si le caractère d'activité libérale d'un avocat n'est pas discuté, il faut toutefois distinguer d'une part, l'avocat exerçant à titre individuel et la société d'exercice libéral qui répondent tout à fait aux conditions édictées par le texte précité ; d'autre part, l'avocat associé d'une société d'exercice libéral, d'une société civile professionnelle, ou membre d'un groupement d'intérêt économique et, a fortiori, l'avocat collaborateur ou salarié qui échappent aux procédures collectives.

En effet, le professionnel indépendant ou le membre de profession libérale, tel que l'avocat, associé unique et gérant d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl), ne peut faire l'objet d'une procédure collective s'il n'exploite pas pour son propre compte une entreprise libérale, mais exerce ses fonctions au nom de la dite Selarl (4). La solution se justifie par l'autonomie de l'entreprise par rapport à celui qui la dirige (5).

C'est également le cas du gérant majoritaire d'une SARL. Bien que relevant du statut fiscal et social des travailleurs indépendants qui est d'ordre public, il ne saurait être mis en redressement judiciaire. En effet, il n'exerce pas une activité professionnelle indépendante visée par les procédures collectives, car il agit au nom de la société qu'il représente, et non en son nom personnel (6).

En l'espèce, au regard de cette tendance jurisprudentielle, seule la Selarl est exposée à une procédure collective. Elle a, d'ailleurs, été l'objet d'une liquidation judiciaire issue de la conversion de la procédure de sauvegarde initiale.

C'est en ce sens que statue ici la cour d'appel de Paris. Elle exclut d'autant plus l'avocat de l'application de la procédure de redressement judiciaire, que le Conseil de l'ordre dont il dit avoir informé de l'exercice individuel de la profession d'avocat n'a pris aucune nouvelle délibération pour modifier les modalités de l'exercice professionnel et inscrire l'intéressé à titre individuel et indépendant. De surcroît, dans une audience du 21 septembre 2009, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) a demandé son omission du tableau. Aussi, au jour de l'actuelle décision de justice, l'intéressé ne justifie pas de la qualité permettant sa mise en redressement judiciaire.

Cette décision de justice, conforme à l'orientation jurisprudentielle imprimée par la Cour de cassation, est logique. Elle traduit une des conséquences de l'interposition d'une personne morale dans l'exercice d'une activité libérale, mettant ainsi les membres de la société à l'abri d'une procédure collective seule applicable à celle-ci.

Il faut tout de même constater en la matière, l'inconstance de certains juges du fond, y compris la cour d'appel de Paris. Cette dernière a, certes, considéré que tout associé de Selarl ne saurait être mis en liquidation judiciaire "faute d'exploiter pour son propre compte une entreprise libérale" (7). Mais, elle a, également, estimé que l'exercice de la profession libérale et indépendante d'avocat au sein d'une société d'exercice libéral n'est qu'une modalité, si bien que l'avocat assigné en redressement ou en liquidation judiciaire ne peut opposer la cessation d'activité depuis plus d'un an prévue par les articles L. 631-5 (N° Lexbase : L3429ICY) et L. 640-5 (N° Lexbase : L3335ICI) du Code de commerce (8). Elle a, par la suite, précisé que "la loi du 26 juillet 2005 ne subordonne pas son application aux personnes physiques exerçant une profession indépendante à la condition qu'elles n'exercent pas en société" (9).

De son côté, la cour d'appel de Montpellier a accueilli la demande d'ouverture par le trésor public et le comptable des impôts de la procédure collective d'une avocate exerçant dans le cadre d'une société civile professionnelle (10). Cette incertitude jurisprudentielle incline à penser que le débat relatif à la mise en procédure collective d'un avocat exerçant dans le cadre d'une société n'est peut-être pas clos.


(1) C. com., art. L. 620-2 (N° Lexbase : L3445ICL), L. 631-2 (N° Lexbase : L3325IC7) et L. 640-2 (N° Lexbase : L3393ICN). Parmi les études les plus récentes : V. Thomas, Notaire associé et procédures collectives, D., 2008, Point de vue, p. 1632 ; C. Lebel, Problématique de l'ouverture d'une procédure à l'égard d'un professionnel libéral, Rev. proc. coll., 2008, n° 3, p. 4 ; A. Cerati-Gauthier, Application de la loi de sauvegarde des entreprises aux professions libérales, JCP éd. E, 2008, n° 48, 2436.
(2) Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-15.446, Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthophistes "CARPIMKO", FS-P+B (N° Lexbase : A5875EAT), BRDA, 20/2008, n° 7 ; Defrénois 2009, p. 1394, obs. D. Gibirila ; Gaz. proc. coll., 2009, n° 1, p. 25, obs. C. Lebel, à propos d'un masseur kinésithérapeute.
(3) Ph. Reigné, L'application aux professions libérales des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, LPA, 10 juin 2004, n° 116, p. 10, spéc. n° 9.
(4) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 novembre 2007, n° 07/03359 (N° Lexbase : A8583D3B), Defrénois, 2008, p. 1229, obs. D. Gibirila ; JCP éd. G, 2008, I, 123, obs. R. Martin ; JCP éd. E, 2008, n° 2, 1045, note C. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 210, note N. Tagliarino-Vignal ; LPA, 28 mars 2008, n° 64, p. 14, note G. Chabot. V. aussi, CA Chambéry, 14 mai 2007 et CA Versailles, 21 juin 2007 : Gaz. proc. coll. 2007, n° 3, p. 21, obs. P.-M. Le Corre ; Bull. Sociétés Joly 2007, p. 1234, note G. Auzero. CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826 (N° Lexbase : A7122D7W), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 784, note B. Saintourens ; Rev. sociétés, 2008, p. 677, note I. Urbain-Parléani.
(5) A. Brunet, De la distinction de l'homme et de l'entreprise, Etudes dédiées à R. Roblot, p. 470, LGDJ, 1984.
(6) Cass. com., 12 nocembre 2008, n° 07-16.998, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de La Savoie, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2091EB3), Defrénois, 2009, p. 1397, obs. D. Gibirila ; JCP éd. E, 2009, n° 2, 1023, note C. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 278, note P.-M. Le Corre, rejetant le pourvoi contre CA Chambéry, 14 mai 2007, préc. Sur ces arrêts, J.-L. Vallens, Le travailleur indépendant n'est pas un professionnel indépendant, RLDA, janvier 2009, n° 2033. V. aussi, C. Lebel, Le cotisant est-il un débiteur ?, Gaz. pal., 23-24 janvier 2008, p. 19.
(7) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 novembre 2007, n° 07/03359, préc. ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826, préc..
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 juin 2008, n° 07/18805 (N° Lexbase : A4585D9P), Gaz. Pal., 14-16 septembre 2008, p. 19, note F. Iacovelli.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 18 septembre 2008, n° 07/17034 (N° Lexbase : A8183EAC), D. 2008, act. jur. p. 2666.
(10) CA Montpellier, 20 mai 2008, Dr. sociétés, mars 2009, n° 59, obs. J.-P. Legros.

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