La lettre juridique n°369 du 29 octobre 2009 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La Convention fiscale franco-monégasque ou le temps de la maturité : la convention à l'épreuve du droit commun des règles de mise en oeuvre des conventions fiscales internationales

Réf. : CAA Marseille, 4ème ch., 1er septembre 2009, n° 06MA02917, M. Sébastien X, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A4155ELH)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

La cour administrative d'appel de Marseille, dans une décision du 1er septembre 2009, a jugé que les dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 (N° Lexbase : L6726BHL), en matière d'impôt sur le revenu, ne sont applicables qu'aux personnes qui ont procédé au transfert de leur domicile à Monaco. Le requérant, M. B., qui a toujours été domicilié à Monaco et qui n'y a jamais transféré son domicile au sens de la Convention n'entre pas dans le champ d'application de l'article 7-1 ; la cour administrative d'appel de Marseille constate, alors, l'absence de revenus de source française au sens de l'article 4 A du CGI (N° Lexbase : L1009HLX), avant de décharger M. B.. Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. Sébastien B. est né en 1976 à Monaco. De par sa naissance, il possède la double nationalité, française et italienne. Il a été assujetti en France à l'impôt sur le revenu au titre des années 1998 à 2000, en application de l'article 7 de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 sur l'ensemble de ses revenus. Il a fait l'objet d'une taxation d'office à défaut d'avoir souscrit ses déclarations malgré une mise en demeure. Il a contesté les impositions mises à sa charge. Par un jugement en date du 30 mai 2006, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande et M. B. a fait appel du jugement.

La décision "Boffa" de la cour administrative d'appel de Marseille juge que l'article 7 de la convention n'est pas applicable aux enfants nés à Monaco "d'exilés fiscaux" qui ne peuvent être soumis à l'impôt sur le revenu en France du seul fait de leur nationalité. La cour prolonge la décision "Mme Mori-Bodin" (CE Contentieux, 5 octobre 2007, n° 292388, Minefi c/ Mme Mori-Bodin, Publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A6691DYH), qui soulignait le caractère autonome des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque au regard des autres stipulations de cette Convention. La cour administrative d'appel de Marseille articule, toutefois, l'application des dispositions de l'article 7-1 avec celles de l'article 4 A du CGI : la Convention franco-monégasque se voit appliquer les règles jurisprudentielles retenues par le Conseil d'Etat pour la mise en oeuvre des conventions fiscales internationales bilatérales destinées à éviter les doubles impositions. Dès lors, lorsque les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque sont sans portée utile pour fixer le domicile fiscal d'un français résidant à Monaco, l'impôt est assis par les dispositions des articles 4 A et 4 B (N° Lexbase : L1010HLY) du CGI.

1. Les dispositions relatives aux personnes de nationalité française ne pouvant justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco, à la date du 13 octobre 1962, ne s'appliquent qu'aux Français qui avaient transféré leur résidence à Monaco à la date de signature de la convention

La résidence sur le territoire de la principauté de Monaco n'a pas à être démontrée lorsque l'on y est né et que l'on n'y a pas transporté son domicile ou sa résidence et, cela, alors même qu'un ascendant l'aurait fait auparavant : les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, qui fixent en France le domicile fiscal des Français résidant à Monaco, sont alors sans portée utile.

1.1. Les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque soumettent à l'impôt sur le revenu les français installés à Monaco après le 13 octobre 1957

La décision de la cour administrative d'appel de Marseille apporte un éclairage supplémentaire à la lecture et à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque de 1963. L'article 7-1 concerne tous les Français, quel que soit le pays dans lequel ils résidaient avant de s'installer à Monaco, alors que les Français établis hors de France n'étaient pas concernés par les Conventions franco-monégasques de 1945 et de 1951. La Convention, s'agissant des français résidant déjà à Monaco à la date de son entrée en vigueur, précise qu'échappent à l'impôt sur le revenu ceux qui peuvent justifier de cinq années au moins de résidence habituelle à Monaco au 13 octobre 1962. La Convention reconnaît, donc, aux Français qui prouvent qu'ils se sont établis, au plus tard, à Monaco, le 13 octobre 1957, le droit d'échapper à l'impôt sur le revenu en France. Le Conseil d'Etat est alors venu, dans son arrêt du 5 octobre 2007, juger que les ressortissants français résidant à Monaco peuvent, afin de justifier qu'ils résidaient dans la Principauté depuis le 13 octobre 1957 au plus tard, produire tous éléments de preuve sans être obligés de fournir le certificat de domicile auquel font référence les dispositions de l'article 22-3 de la Convention franco-monégasque en date du 18 mai 1963.

La cour administrative d'appel de Marseille avait à se prononcer, en l'espèce, sur la situation de fait d'une personne qui, de par sa naissance, possède la double nationalité, française et italienne. La cour, dans sa décision du 1er septembre 2009, juge que M. B., qui a été assujetti en France à l'IR au titre des années 1998 à 2000 n'entre tout simplement pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 7 de la Convention franco-monégasque. Les difficultés d'interprétation de cet article viennent de son champ particulièrement large, ce qu'avait souligné le commissaire du Gouvernement, Laurent Olléon, sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 octobre 2007.

La décision de la cour administrative d'appel de Marseille montre que le temps qui passe efface, tout simplement, la pertinence et l'intérêt de la mise en oeuvre de dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque de 1963, autrefois édictées pour encadrer une réalité de fait, le départ de Français quittant la France pour s'installer dans la principauté pour des raisons purement fiscales. Si cette réalité ne demeure pas sans contenu aujourd'hui, il est loisible de se demander jusqu'à quel moment et au regard de quels liens familiaux il faut faire supporter aux descendants les conséquences d'un exil autrefois initié dans un but essentiellement fiscal. Il faut avoir à l'esprit, ainsi que le rappelle le Rapporteur public de la cour administrative d'appel de Marseille, Olivier Emmanuelli que "les rédacteurs de l'article 7 de la Convention franco-monégasque souhaitaient, en 1963, tarir le flux des personnes de nationalité française qui étaient tentées de s'établir dans la Principauté pour des raisons fiscales".

La cour administrative d'appel de Marseille juge que cet article 7-1, toujours en vigueur, ne doit pas s'appliquer aux descendants des personnes qui ont transporté à Monaco leur domicile ou leur résidence. Pour que les dispositions de l'article 7-1 soient applicables, il faut qu'il y ait transfert de domicile à Monaco. Or, une personne qui a toujours été domiciliée à Monaco, n'y a jamais transféré son domicile et n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, ces dispositions ne fixent, donc, pas le lieu de sa résidence. Le transport du domicile ou de la résidence au regard de la situation de fait d'une personne née à Monaco et qui n'a pas transporté ailleurs son domicile recouvre une "interrogation sans contenu", alors même qu'un ascendant se serait établi dans la principauté pour des raisons fiscales.

1.2. Les enfants nés à Monaco "d'exilés fiscaux" ne peuvent être soumis à l'impôt sur le revenu en France du seul fait de leur nationalité

La cour administrative d'appel de Marseille, dans sa décision "Boffa" fait aussi une application littérale de la Convention. Si les dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque vise les personnes physiques de nationalité française, c'est à la condition qu'elles transportent à Monaco leur domicile ou leur résidence ou que ces personnes ne puissent justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962. La nationalité qui, certes, traduit l'appartenance juridique à la population constitutive d'un Etat et conditionne pour chaque individu l'étendue de ses droits, ne saurait, au regard de la lettre des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque, suffire à assujettir en France à l'IR un résident monégasque, s'il ne justifie pas de cinq années de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962.

L'absence de transport du domicile ou de la résidence suffit à écarter l'exigence ou la nécessité de prouver une durée de résidence, dès lors, tout simplement, que la lettre de la disposition de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque ne prévoit pas qu'un tel élément de preuve doive être apporté. M. B., en l'espèce, n'entre tout simplement pas dans le champ d'application de l'article 7 de la Convention franco-monégasque sur lequel s'est fondée l'administration fiscale pour l'assujettir à l'IR. Les dispositions des conventions fiscales sont d'interprétation stricte (CE contentieux, 6 mai 1996, n° 154217 Ministre c/ SA Quartz d'Alsace N° Lexbase : A9123AN9 : arrêt à propos duquel, le commissaire du Gouvernement Bachelier soulignait que "comme il est de règle en matière d'interprétation des conventions, ces dispositions [celles de la convention fiscale] sont d'interprétation stricte"). La cour administrative d'appel de Marseille, dans le droit fil de la mise en oeuvre de cette règle, interprète les stipulations des articles 7-1 de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963, conformément au principe général d'interprétation littérale de telles conventions qu'il s'agisse de sa lettre, de son contexte, de son objet ou de son but. Ce principe de l'application littérale est, par exemple, illustré dans un arrêt du Conseil d'Etat du 16 février 1990 (CE, 16 février 1990, n° 68627 et n° 68628, SAS France N° Lexbase : A4700AQ7) ou dans un arrêt du 30 décembre 1996 (CE, 30 décembre 1996, n° 128611, Ministre c/ Benmiloud N° Lexbase : A2104APM).

Le principe d'interprétation littérale des conventions, ainsi appliqué à la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963, la place dans le droit commun de la mise en oeuvre des conventions fiscales internationales classiques, c'est-à-dire des conventions fiscales bilatérales destinées à éviter les doubles impositions.

Au-delà, de la mise en oeuvre de ce "principe général" d'application littérale, la cour administrative d'appel de Marseille a fondé sa décision en comblant le silence des dispositions de l'article 7-1 par une référence à l'article 4 A du CGI.

2. Les dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque, si elles sont autonomes par rapport aux stipulations de l'article 22-3 de la même convention, ne le sont pas vis-à-vis des dispositions des articles 4 A et 4 B du CGI

La décision de la cour administrative d'appel de Marseille vient atténuer la spécificité de la Convention fiscale franco-monégasque en dépit du fait qu'elle ne vise pas à supprimer les doubles impositions mais à prévenir l'évasion fiscale. Si l'article 7-1 désigne, par dérogation, la résidence, ce sont les règles du CGI qui fixent la base imposable.

2.1. Une atténuation de la spécificité de la Convention franco-monégasque

La Convention franco-monégasque a essentiellement pour objet de prévoir l'institution à Monaco d'un impôt sur les bénéfices, de définir le régime applicable en matière d'IR aux Français installés à Monaco et de fixer les règles d'assistance administrative entre les deux pays. La Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 est donc différente, dans son objet, des autres conventions fiscales conclues par la France. Elle n'est pas destinée à éviter les doubles impositions entre les deux pays mais à régler des problèmes de voisinages liés à la différence des régimes fiscaux. Ce qu'elle vise à prévenir, ce ne sont pas des situations de doubles impositions mais de double absence d'imposition.

Ce qui était vrai pour la plupart des conventions fiscales internationales pouvait ne pas l'être pour la Convention fiscale franco-monégasque. Les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963 disjoignent, contrairement à toute autre convention fiscale internationale, le droit et le fait. En effet, dans le cadre des conventions classiques de lutte contre les doubles impositions, une personne résidant dans un Etat contractant ne peut qu'être domiciliée fiscalement dans cet Etat au titre de son "foyer permanent d'habitation". La cour administrative d'appel de Marseille, en refusant de disjoindre le droit et le fait, s'agissant d'un contribuable né à Monaco, et qui y a toujours résidé, retrouve et fait application du droit commun des règles de mise en oeuvre des conventions fiscales internationales de lutte contre les doubles impositions. C'est la référence au domicile fiscal qui justifie l'assujettissement à l'IR. Ces dispositions ne précisent, toutefois, pas comment déterminer le domicile fiscal.

La cour administrative d'appel de Marseille refuse, alors, de le faire en s'appuyant seulement sur la lettre de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque et de retenir, par exemple, la nationalité française de M. B.. La cour renvoie, dans le silence des stipulations de l'article 7-1 de la Convention de 1963, aux dispositions de l'article 4 A du CGI.

2.2. Lorsque les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque sont sans portée pour fixer le domicile fiscal d'un Français résidant à Monaco, l'impôt est assis par les dispositions des articles 4 A et 4 B du CGI

En l'absence de définition de la résidence fiscale par les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, et en l'absence de toute disposition qui fasse explicitement obstacle à la notion de domicile fiscal au sens des article 4 A et 4 B du CGI, les dispositions de l'article 7-1 ne peuvent, à elles seules, être regardées comme permettant la détermination du domicile fiscal de M. B.. Ce qui est repris ici, c'est le principe selon lequel une convention fiscale ne peut fonder une imposition (CE, 17 mars 1993, n° 85894, Memmi N° Lexbase : A8711AML). L'article 7-1 de la Convention de 1963, comme le soulignait la motivation de l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 octobre 2007, désigne en France le domicile fiscal des Français résidant à Monaco, mais ce sont les dispositions des articles 4 A et 4 B qui fondent l'impôt et cela d'autant plus que la lettre de l'article 7-1 de la Convention de 1963 n'est d'aucun secours. Ce n'est, toutefois, que pour le seul impôt sur le revenu que la convention rend applicable les articles 4 A et 4 B du CGI. S'agissant de la notion de résidence, le système actuel qui vaut en droit français est issu d'une réforme réalisée par la loi n° 76-1234 du 20 décembre 1976 (N° Lexbase : L8856IEQ), le droit français ne faisant référence qu'aux notions de domicile fiscal et de source de revenu, les critères de résidence habituelle et de nationalité ayant été abandonnés. Le domicile fiscal est donc indépendant de son domicile civil ou de son domicile ordinaire.

En l'espèce, la décision de la cour administrative d'appel de Marseille se réfère explicitement au seul article 4 A du CGI et juge que, ni les dispositions de l'article 4 A du CGI, en l'absence de revenus de source française, ni aucune autre disposition du CGI, ne permettent l'assujettissement de M. B. à l'impôt sur le revenu en France. La cour fonde, donc, l'imposition sur les dispositions de l'article 4 A du CGI, confirmant, ainsi, le fait que les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque ne constituent pas une base légale d'imposition des résidants à Monaco. Sur le terrain de l'article 4 B du CGI, il eût, alors, aussi été possible de dire que M. B. avait tout à la fois son foyer et le lieu de son séjour principal à Monaco, les critères retenus par l'arrêt de section "Larcher" (CE, 3 novembre 1995, n° 126513 N° Lexbase : A6488ANM), pouvant réduire encore ce qui demeure de la spécificité de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 qui rentre progressivement dans le droit commun des conventions de double imposition.

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