La lettre juridique n°418 du 25 novembre 2010 : Droit de la famille

[Questions à...] La question du mariage homosexuel soumise au Conseil constitutionnel - Questions à Maître Caroline Mécary, avocat au barreau de Paris

Lecture: 3 min

N6906BQT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] La question du mariage homosexuel soumise au Conseil constitutionnel - Questions à Maître Caroline Mécary, avocat au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211344-questions-a-la-question-du-mariage-homosexuel-soumise-au-conseil-constitutionnel-questions-a-b-maitr
Copier

par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 04 Janvier 2011

Par une décision rendue le 16 novembre 2010, la Cour de cassation a décidé de soumettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'impossibilité en droit français de se marier avec une personne de même sexe (Cass. QPC, 16 novembre 2010, n° 10-40.042, FP-D N° Lexbase : A1739GIA) (1). Précisément, deux questions prioritaires de constitutionnalité ont été transmises aux Sages, formulées selon les termes suivants : "1°/ Les articles 144 (N° Lexbase : L1380HIX) et 75, dernier alinéa (N° Lexbase : L3236ABH), du Code civil sont-ils contraires, dans leur application, au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 en ce qu'ils limitent la liberté individuelle d'un citoyen français de contracter mariage avec une personne du même sexe ? 2°/ Les articles 144 et 75 du Code civil sont-ils contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L0895AHM) en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser de contracter mariage entre personnes du même sexe ?". Pour décider du renvoi, la Cour de cassation a estimé que les questions posées faisaient aujourd'hui l'objet d'un large débat dans la société, en raison, notamment, de l'évolution des moeurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers. Comme telles, elles présentent un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine. Pour faire le point sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit de la famille, et qui travaille en particulier sur les questions relatives aux nouvelles familles.

Lexbase : Les arguments tirés de l'inconstitutionnalité de l'interdiction du mariage homosexuel sont-ils fondés selon vous ?

Caroline Mécary : Les arguments qui ont été soulevés pour contester la conformité des articles 144 (N° Lexbase : L1380HIX) et 75 (N° Lexbase : L3236ABH) du Code civil à la Constitution me paraissent tout à fait pertinents. Ils sont à la fois fondés sur une atteinte à la liberté de choix conjugal et à la liberté du droit de se marier qui a été considérée par le Conseil constitutionnel comme étant une liberté fondamentale, et par ailleurs, ils reposent sur l'idée qu'il existe une rupture d'égalité entre les citoyens en raison de l'orientation sexuelle, ce qui constitue une discrimination, car il faut des raisons objectives et très sérieuses pour admettre une discrimination à raison de l'orientation sexuelle pour refuser l'exercice d'un droit.

Donc sur le plan juridique, l'argumentaire qui est soutenu est parfaitement valide. Mais il est évident que sur un tel sujet, à savoir l'ouverture d'un mariage civil aux couples homosexuels, l'appréhension par le Conseil constitutionnel ne peut être uniquement juridique, quoi qu'il en dise. Il y a évidemment, sur ce sujet, une dimension politique importante, car il s'agit d'une question de choix de société, qui implique de s'interroger sur le point suivant : qu'est ce qui justifie aujourd'hui, en 2010, que l'orientation sexuelle puisse encore être un critère pour refuser l'accès au mariage civil ?

Lexbase : Quelle peut être l'influence de la décision de la décision de la CEDH rendue le 24 juin dernier (CEDH, 24 juin 2010, Req. 30141/04 N° Lexbase : A2744E3Z) ?

Caroline Mécary : A la différence des questions relatives à la garde à vue où le Conseil constitutionnel a dû reconnaître que les règles relatives à la garde à vue n'étaient pas conformes à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P), car de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme (2) avaient condamné différents Etats au regard de l'absence de garanties existantes dans le cadre de la procédure de garde à vue, il est exact que la CEDH n'a jamais condamné un Etat membre au motif que son droit définirait le mariage comme étant uniquement l'union d'un homme et d'une femme.

Mais il ne faut pas oublier que l'arrêt de la CEDH du 24 juin 2010 a été rendu au regard d'un contexte de faits particuliers. En effet, l'Autriche a introduit dans son droit positif, à compter du 1er janvier 2010, un contrat de partenariat qui offre les mêmes droits et les mêmes devoirs que le mariage, ce qui explique le sens de cette décision.

Par ailleurs, cet arrêt de la CEDH est également important en ce qu'il reconnaît aux couples homosexuels le droit à une vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Mais il est vrai que le Conseil constitutionnel, qui arbore les apparences d'une Cour suprême, n'en est toujours pas une. Par voie de conséquence, il n'est pas exclu de penser que le Conseil constitutionnel agira comme il l'a fait dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'adoption simple au sein d'un couple de femmes (3) et qu'il prétendra que cette question doit être renvoyée au législateur.

Lexbase : Compte tenu de l'extension du nombre de pays européens ayant décidé de légaliser le mariage homosexuel, cette QPC représente-t-elle l'opportunité d'introduire un changement législatif ?

Caroline Mécary : Compte tenu du sens probable de la décision, il est clair qu'il appartiendra à la classe politique de s'en saisir. Mais compte tenu du positionnement de la majorité présidentielle et du récent voyage du Président de la République au Vatican, où le Pape l'a encore entretenu de la nécessité de ne pas ouvrir le mariage aux homosexuels, il y a peu à attendre des pouvoirs publics en place. Il faudra attendre une alternance, en 2012, car tous les partis de gauche, et au premier chef Europe écologie-Les Verts, se sont engagés à ouvrir le mariage civil à tous les couples.


(1) Sur cet arrêt, lire également les obs. de Adeline Gouttenoire, Mariage homosexuel : en route pour le Conseil constitutionnel !, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6910BQY).
(2) CEDH, 27 novembre 2008, Req. n° 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX) ; CEDH, 13 octobre 2009, Req. n° 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY).
(3) Cons. const., 6 octobre 2010, n° 2010-39 QPC (N° Lexbase : A9923GAR).

newsid:406906

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.