La lettre juridique n°414 du 28 octobre 2010 : Éditorial

La loi face à la QPC : de l'Etat de droit à l'Etat de foi, il n'y a qu'un pas

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La loi face à la QPC : de l'Etat de droit à l'Etat de foi, il n'y a qu'un pas. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211254-la-loi-face-a-la-qpc-de-letat-de-droit-a-letat-de-foi-il-ny-a-quun-pas
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Et bien Mesdames (vous êtes quelques unes), Messieurs les Parlementaires, vous êtes priés de revoir quelque peu la manière dont vous légiférez, car le tiers de votre production n'est pas conforme au bloc de constitutionnalité, si l'on extrapole le résultat du sondage de facto réalisé par la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité à votre entière production législative, loi de la statistique oblige. Il est des rapports d'information qui auraient dû en faire bondir plus d'un, et non consentir à la seule autosatisfaction de la réussite d'une réforme constitutionnelle, surtout lorsqu'il vous annonce, le plus prosaïquement du monde, que vous n'évoluez plus dans un Etat de droit.

Pour mémoire, l'Assemblée nationale a publié, le 5 octobre 2010, un rapport d'information sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il indique qu'un nombre relativement important de décisions du Conseil constitutionnel sur les questions transmises par les juridictions suprêmes de chaque ordre ont validé les dispositions législatives contestées : 50 % de conformité, 30 % de non-conformité partielle et 20 % de non-lieu (ce qui ne veut pas dire que la disposition contestée soit régulière, mais juste que la question soulevée n'était pas sérieuse ou avait déjà fait l'objet d'une analyse de la part du Conseil). Mais, "les statistiques, c'est comme le bikini. Ce qu'elles révèlent est suggestif. Ce qu'elles dissimulent est essentiel" nous rappelle, quelque peu provocateur, le statisticien Aaron Levenstein.

Et, si nous nous permettons de porter l'accent sur le taux de non-conformité partielle des dispositions ainsi contestées, c'est, bien évidement, parce que ce taux de 30 % constitue l'élément bloquant que craignaient les juristes et théoriciens de la souveraineté populaire absolue hostiles au contrôle de constitutionnalité a posteriori... En clair : le "Gouvernement des juges", tout constitutionnel soient-ils. C'était assez que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat reconnaissent l'inféodation de la loi aux Conventions et Traités internationaux, tempérant ainsi la souveraineté législative bien que ces mêmes Conventions et Traités internationaux aient fait l'objet d'une approbation référendaire ou parlementaire préalable, pour que l'on se contente d'un contrôle a priori de la loi, avant promulgation, pour être bien certain que la norme suprême a été respectée dans son entièreté, c'est-à-dire depuis 1972 en bloc, pour reprendre l'expression du doyen Favoreu. Et, c'était assez que de conformer la Constitution elle-même à une norme inférieure, Convention ou Traité international, parce qu'il était plus facile de réunir le Congrès à Versailles, que les partenaires multilatéraux d'une Convention autour d'une table de négociation.

Aussi, à force de rechigner à intégrer pleinement la théorie de la hiérarchie des normes, le rechtsstaat de Kelsen, à savoir un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée, toute norme ne respectant pas un principe supérieur étant, dès lors, susceptibles d'encourir une sanction juridique : la nullité pour irrégularité ab initio, l'écart démocratique tendait inexorablement à se creuser avec le modèle contemporain américain et notre partenaire allemand -et néanmoins modèle, s'il l'on en juge les récentes déclarations de nos responsables politiques-. Depuis, chacun sait que le normativisme et le positivisme juridique imposent un contrôle de constitutionnalité au-delà de la saisine parlementaire -on exclura la saisine de l'exécutif, ce dernier étant peu enclin à faire invalider un texte dont il est, dans 80 % des cas, l'initiateur-. La pyramide des normes doit être parfaite, si l'on veut un Etat de droit objectif, logico-transcendantal et non fondé sur une souveraineté morale d'inspiration naturelle ou divine.

Seulement voilà : les faits sont têtus. Et, s'il est plus facile de s'arranger avec les statistiques, celles révélées par le rapport d'information présenté par le député Jean-Luc Warsmann nous paraissent quelque peu alarmantes... ou pour le moins instructives à plus d'un titre.

D'abord, histoire de ne pas voir le verre à moitié vide, 70 % des dispositions contestées -et ayant fait l'objet d'un examen par les Sages de la rue de Montpensier dans le cadre d'une QPC- sont régulières, soit parce que conformes à la Constitution, soit parce qu'incontestables d'un point de vue procédural. Et, compte tenu de la tardiveté de l'introduction d'un contrôle constitutionnel en France, en 1958, même a priori, voire de sa quasi-confidentialité jusqu'en 1974 et l'ouverture de la saisine aux parlementaires, comparée à son instauration aux Etats-Unis en 1803 par la jurisprudence "Marbury vs Madison", dans la Constitution autrichienne de 1920 et dans celle de l'Allemagne en 1951, un tel résultat était, finalement, loin d'aller de soi, malgré les fourches caudines du Conseil d'Etat et de son travail législatif préparatoire.

Ensuite, comme l'a indiqué Jean-Marc Sauvé, vice-Président du Conseil d'Etat, au 26 août 2010, les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel avaient enregistré 507 questions de constitutionnalité, dont 71 transmises au Conseil d'Etat, ce dernier ayant, par ailleurs, été saisi directement de 104 autres questions prioritaires de constitutionnalité. Devant les juridictions judiciaires, Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, a cité les chiffres de 127 questions transmises à la Cour de cassation, 233 questions prioritaires de constitutionnalité ayant, par ailleurs, été directement soulevées devant elle. Dans le cas du Conseil d'Etat, 33 des 130 questions examinées ont donc été transmises au Conseil constitutionnel. Pour la Cour de cassation, ce sont 99 des 256 questions examinées qui ont été renvoyées au Conseil constitutionnel. Alors, établir une statistique globale à partir des seules 132 questions transmises au Conseil constitutionnel, pour en dégager une photographie de l'Etat de droit et du respect de la hiérarchie de normes, semble pour le moins spécieux, pourrait-on dire.

Pourtant, si "la statistique est la première des sciences inexactes" nous enseignent les frères Goncourt, elle nous alerte sur la méthode et, en l'occurrence, sur celle à travers laquelle on fait la loi, en France. Mettons les pieds dans le plat : il ne serait pas étonnant que l'inflation législative doublée d'une certaine précipitation à légiférer, la plupart des textes d'importance étant déclarée d'urgence, en sus d'une production législative à l'initiative quasi-exclusive de l'exécutif, ne confirme la statistique de ces trois premiers mois de mise en oeuvre de la QPC. Et se pose, dès lors, la question de la légitimité de la loi et, à travers elle, rien de moins que le respect de la souveraineté nationale, du suffrage universel et de la séparation des pouvoirs. D'abord, nous l'avons déjà dit, la loi est, le plus souvent, l'expression du Gouvernement qui n'hésite pas à engager sa responsabilité devant sa majorité, faisant planer le risque de l'instabilité politique et gouvernementale pour limiter le droit d'amendement, et non l'expression de la volonté initiale du Parlement. Ensuite, la loi est, nous le savons, dans ses aspects techniques, le fruit du travail collaboratif des cadres de l'administration publique et du Conseil d'Etat, dont la délégation de souveraineté populaire n'est pas encore avérée. Par ailleurs, il convient de se souvenir que cette loi est, pour une grande part désormais, soit la transposition d'une Directive européenne, soit le fruit d'une convergence économique ou normative internationale. Enfin, s'inscrit désormais le contrôle du juge constitutionnel qui de "juge aiguilleur", c'est-à-dire qui, par ses censures a priori et ses réserves interprétatives, éclaire l'activité législative aux feux du bloc de constitutionalité et des droits et libertés qu'il garantit, devient "juge censeur", les dispositions déclarées non-conformes a posteriori étant écartées illico, sauf exception notable de la loi sur la garde à vue. Par conséquent, non seulement le Parlement, Chambre de la souveraineté nationale déléguée, légifère peu -au sens pratique des choses, la loi étant toujours votée par le Parlement quoiqu'il en soit-, mais le produit de son activité, la loi, peut être écarté d'un revers de QPC, par des juges... nommés et inamovibles... -à l'exception notable des lois référendaires, et pour cause-.

Et l'on en arrive à la contradiction suprême au terme de laquelle, pour assurer un Etat de droit, il convient d'assumer pleinement la pyramide des normes et le contrôle de constitutionnalité ; mais, à la lumière de la production normative, on s'aperçoit que la majorité des lois n'est pas d'essence parlementaire et que le contrôle de constitutionnalité met en exergue un taux non négligeable (30 %) de loi non conformes, même partiellement, au bloc de constitutionnalité. Autant dire que l'Etat de droit, en bonne Nation férue de souveraineté populaire même indirecte, est loin d'être l'évidence...

D'autant que, à y regarder de plus près, le contrôle de constitutionnalité commande d'analyser les lois du XXIème siècle à la lumière, principalement, de la Constitution de 1958, du Préambule de la Constitution de 1946 et de la Déclaration des droits de l'Homme de... 1789... S'il ne s'agit, évidemment pas, de remettre en cause la hiérarchie des normes et la légitimité du bloc de constitutionnalité adopté par nos aïeux, encore faut-il relever que le fondement de ces textes est pour le moins trouble si l'on veut qu'ils soient applicables, sans contestation de souveraineté possible, aux lois actuelles. Or, le positivisme juridique déniant tout fondement moral à l'ordre juridique pyramidal de nos sociétés modernes, quid du fondement même de l'application erga omnes, en tout lieu et tout temps, des textes de références constitutionnels ? La "norme hypothétique fondamentale" ou Grundnorm nous dit Hans Kelsen... la belle affaire, lorsqu'il s'agit d'expliquer aux modernes que la souveraineté populaire des anciens doit encore prévaloir sur la leur... Restent alors Hobbes, Locke et Rousseau qui, à la lumière de l'école de Salamanque, nous expliquent le droit naturel, c'est-à-dire l'ensemble des normes prenant en considération la nature de l'Homme et sa finalité dans le monde. Autrement dit, les droits et libertés de l'Homme pour subjectifs qu'ils soient sont intemporels et universels par ce qu'ils émanent d'un contrat social établi à moment donné et qu'il ne convient pas de les remettre en cause, sauf à bouleverser l'ordre mondial et le système de valeurs occidental.... Pour être plus clair, il s'agit de protéger la foi dans une morale laïque occidentale qui s'exprime à travers son bras normatif à travers la défense des droits de l'Homme.

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