La lettre juridique n°414 du 28 octobre 2010

La lettre juridique - Édition n°414

Éditorial

La loi face à la QPC : de l'Etat de droit à l'Etat de foi, il n'y a qu'un pas

Lecture: 7 min

N4390BQN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404390
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Et bien Mesdames (vous êtes quelques unes), Messieurs les Parlementaires, vous êtes priés de revoir quelque peu la manière dont vous légiférez, car le tiers de votre production n'est pas conforme au bloc de constitutionnalité, si l'on extrapole le résultat du sondage de facto réalisé par la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité à votre entière production législative, loi de la statistique oblige. Il est des rapports d'information qui auraient dû en faire bondir plus d'un, et non consentir à la seule autosatisfaction de la réussite d'une réforme constitutionnelle, surtout lorsqu'il vous annonce, le plus prosaïquement du monde, que vous n'évoluez plus dans un Etat de droit.

Pour mémoire, l'Assemblée nationale a publié, le 5 octobre 2010, un rapport d'information sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il indique qu'un nombre relativement important de décisions du Conseil constitutionnel sur les questions transmises par les juridictions suprêmes de chaque ordre ont validé les dispositions législatives contestées : 50 % de conformité, 30 % de non-conformité partielle et 20 % de non-lieu (ce qui ne veut pas dire que la disposition contestée soit régulière, mais juste que la question soulevée n'était pas sérieuse ou avait déjà fait l'objet d'une analyse de la part du Conseil). Mais, "les statistiques, c'est comme le bikini. Ce qu'elles révèlent est suggestif. Ce qu'elles dissimulent est essentiel" nous rappelle, quelque peu provocateur, le statisticien Aaron Levenstein.

Et, si nous nous permettons de porter l'accent sur le taux de non-conformité partielle des dispositions ainsi contestées, c'est, bien évidement, parce que ce taux de 30 % constitue l'élément bloquant que craignaient les juristes et théoriciens de la souveraineté populaire absolue hostiles au contrôle de constitutionnalité a posteriori... En clair : le "Gouvernement des juges", tout constitutionnel soient-ils. C'était assez que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat reconnaissent l'inféodation de la loi aux Conventions et Traités internationaux, tempérant ainsi la souveraineté législative bien que ces mêmes Conventions et Traités internationaux aient fait l'objet d'une approbation référendaire ou parlementaire préalable, pour que l'on se contente d'un contrôle a priori de la loi, avant promulgation, pour être bien certain que la norme suprême a été respectée dans son entièreté, c'est-à-dire depuis 1972 en bloc, pour reprendre l'expression du doyen Favoreu. Et, c'était assez que de conformer la Constitution elle-même à une norme inférieure, Convention ou Traité international, parce qu'il était plus facile de réunir le Congrès à Versailles, que les partenaires multilatéraux d'une Convention autour d'une table de négociation.

Aussi, à force de rechigner à intégrer pleinement la théorie de la hiérarchie des normes, le rechtsstaat de Kelsen, à savoir un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée, toute norme ne respectant pas un principe supérieur étant, dès lors, susceptibles d'encourir une sanction juridique : la nullité pour irrégularité ab initio, l'écart démocratique tendait inexorablement à se creuser avec le modèle contemporain américain et notre partenaire allemand -et néanmoins modèle, s'il l'on en juge les récentes déclarations de nos responsables politiques-. Depuis, chacun sait que le normativisme et le positivisme juridique imposent un contrôle de constitutionnalité au-delà de la saisine parlementaire -on exclura la saisine de l'exécutif, ce dernier étant peu enclin à faire invalider un texte dont il est, dans 80 % des cas, l'initiateur-. La pyramide des normes doit être parfaite, si l'on veut un Etat de droit objectif, logico-transcendantal et non fondé sur une souveraineté morale d'inspiration naturelle ou divine.

Seulement voilà : les faits sont têtus. Et, s'il est plus facile de s'arranger avec les statistiques, celles révélées par le rapport d'information présenté par le député Jean-Luc Warsmann nous paraissent quelque peu alarmantes... ou pour le moins instructives à plus d'un titre.

D'abord, histoire de ne pas voir le verre à moitié vide, 70 % des dispositions contestées -et ayant fait l'objet d'un examen par les Sages de la rue de Montpensier dans le cadre d'une QPC- sont régulières, soit parce que conformes à la Constitution, soit parce qu'incontestables d'un point de vue procédural. Et, compte tenu de la tardiveté de l'introduction d'un contrôle constitutionnel en France, en 1958, même a priori, voire de sa quasi-confidentialité jusqu'en 1974 et l'ouverture de la saisine aux parlementaires, comparée à son instauration aux Etats-Unis en 1803 par la jurisprudence "Marbury vs Madison", dans la Constitution autrichienne de 1920 et dans celle de l'Allemagne en 1951, un tel résultat était, finalement, loin d'aller de soi, malgré les fourches caudines du Conseil d'Etat et de son travail législatif préparatoire.

Ensuite, comme l'a indiqué Jean-Marc Sauvé, vice-Président du Conseil d'Etat, au 26 août 2010, les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel avaient enregistré 507 questions de constitutionnalité, dont 71 transmises au Conseil d'Etat, ce dernier ayant, par ailleurs, été saisi directement de 104 autres questions prioritaires de constitutionnalité. Devant les juridictions judiciaires, Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, a cité les chiffres de 127 questions transmises à la Cour de cassation, 233 questions prioritaires de constitutionnalité ayant, par ailleurs, été directement soulevées devant elle. Dans le cas du Conseil d'Etat, 33 des 130 questions examinées ont donc été transmises au Conseil constitutionnel. Pour la Cour de cassation, ce sont 99 des 256 questions examinées qui ont été renvoyées au Conseil constitutionnel. Alors, établir une statistique globale à partir des seules 132 questions transmises au Conseil constitutionnel, pour en dégager une photographie de l'Etat de droit et du respect de la hiérarchie de normes, semble pour le moins spécieux, pourrait-on dire.

Pourtant, si "la statistique est la première des sciences inexactes" nous enseignent les frères Goncourt, elle nous alerte sur la méthode et, en l'occurrence, sur celle à travers laquelle on fait la loi, en France. Mettons les pieds dans le plat : il ne serait pas étonnant que l'inflation législative doublée d'une certaine précipitation à légiférer, la plupart des textes d'importance étant déclarée d'urgence, en sus d'une production législative à l'initiative quasi-exclusive de l'exécutif, ne confirme la statistique de ces trois premiers mois de mise en oeuvre de la QPC. Et se pose, dès lors, la question de la légitimité de la loi et, à travers elle, rien de moins que le respect de la souveraineté nationale, du suffrage universel et de la séparation des pouvoirs. D'abord, nous l'avons déjà dit, la loi est, le plus souvent, l'expression du Gouvernement qui n'hésite pas à engager sa responsabilité devant sa majorité, faisant planer le risque de l'instabilité politique et gouvernementale pour limiter le droit d'amendement, et non l'expression de la volonté initiale du Parlement. Ensuite, la loi est, nous le savons, dans ses aspects techniques, le fruit du travail collaboratif des cadres de l'administration publique et du Conseil d'Etat, dont la délégation de souveraineté populaire n'est pas encore avérée. Par ailleurs, il convient de se souvenir que cette loi est, pour une grande part désormais, soit la transposition d'une Directive européenne, soit le fruit d'une convergence économique ou normative internationale. Enfin, s'inscrit désormais le contrôle du juge constitutionnel qui de "juge aiguilleur", c'est-à-dire qui, par ses censures a priori et ses réserves interprétatives, éclaire l'activité législative aux feux du bloc de constitutionalité et des droits et libertés qu'il garantit, devient "juge censeur", les dispositions déclarées non-conformes a posteriori étant écartées illico, sauf exception notable de la loi sur la garde à vue. Par conséquent, non seulement le Parlement, Chambre de la souveraineté nationale déléguée, légifère peu -au sens pratique des choses, la loi étant toujours votée par le Parlement quoiqu'il en soit-, mais le produit de son activité, la loi, peut être écarté d'un revers de QPC, par des juges... nommés et inamovibles... -à l'exception notable des lois référendaires, et pour cause-.

Et l'on en arrive à la contradiction suprême au terme de laquelle, pour assurer un Etat de droit, il convient d'assumer pleinement la pyramide des normes et le contrôle de constitutionnalité ; mais, à la lumière de la production normative, on s'aperçoit que la majorité des lois n'est pas d'essence parlementaire et que le contrôle de constitutionnalité met en exergue un taux non négligeable (30 %) de loi non conformes, même partiellement, au bloc de constitutionnalité. Autant dire que l'Etat de droit, en bonne Nation férue de souveraineté populaire même indirecte, est loin d'être l'évidence...

D'autant que, à y regarder de plus près, le contrôle de constitutionnalité commande d'analyser les lois du XXIème siècle à la lumière, principalement, de la Constitution de 1958, du Préambule de la Constitution de 1946 et de la Déclaration des droits de l'Homme de... 1789... S'il ne s'agit, évidemment pas, de remettre en cause la hiérarchie des normes et la légitimité du bloc de constitutionnalité adopté par nos aïeux, encore faut-il relever que le fondement de ces textes est pour le moins trouble si l'on veut qu'ils soient applicables, sans contestation de souveraineté possible, aux lois actuelles. Or, le positivisme juridique déniant tout fondement moral à l'ordre juridique pyramidal de nos sociétés modernes, quid du fondement même de l'application erga omnes, en tout lieu et tout temps, des textes de références constitutionnels ? La "norme hypothétique fondamentale" ou Grundnorm nous dit Hans Kelsen... la belle affaire, lorsqu'il s'agit d'expliquer aux modernes que la souveraineté populaire des anciens doit encore prévaloir sur la leur... Restent alors Hobbes, Locke et Rousseau qui, à la lumière de l'école de Salamanque, nous expliquent le droit naturel, c'est-à-dire l'ensemble des normes prenant en considération la nature de l'Homme et sa finalité dans le monde. Autrement dit, les droits et libertés de l'Homme pour subjectifs qu'ils soient sont intemporels et universels par ce qu'ils émanent d'un contrat social établi à moment donné et qu'il ne convient pas de les remettre en cause, sauf à bouleverser l'ordre mondial et le système de valeurs occidental.... Pour être plus clair, il s'agit de protéger la foi dans une morale laïque occidentale qui s'exprime à travers son bras normatif à travers la défense des droits de l'Homme.

newsid:404390

Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Octobre 2010

Lecture: 12 min

N4372BQY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404372
Copier

par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 24 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous invite, cette semaine, à retrouver la chronique d'actualité en matière de fiscalité locale réalisée par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne. Dans la chronique de ce mois, il sera examiné l'une des premières questions prioritaires de constitutionalité (QPC) en matière d'impôts locaux, relative aux conditions d'octroi de dégrèvement de la taxe foncière pour vacance d'immeuble. Cette décision n'intéresse pas seulement ce point précis, elle permet aussi d'aborder la procédure de la QPC, dans une perspective plus large (CE 3° et 8° s-s-r., 10 septembre 2010, n° 341063, mentionné au recueil Lebon). L'évaluation de la valeur locative génère, toujours, un contentieux important, un arrêt du 9 juillet 2010 vient apporter de nouvelles précisions sur l'office du juge en la matière (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2010, n° 307961, mentionné au recueil Lebon). Enfin, une troisième décision, relative à la taxe locale d'équipement (TLE), permet de s'intéresser à une imposition essentielle dans le cadre de la fiscalité de l'urbanisme (CE 9° et 10° s-s-r. 9 juillet 2010, n° 308976, mentionné au recueil Lebon).
  • QPC : l'article 1389 du CGI non déféré au Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s -r., 10 septembre 2010, n° 341063, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A9699E8Q)

Depuis le 1er mars 2010, les justiciables peuvent, en cours d'instance soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cette procédure comporte un double filtrage, le premier est exercé par les juges du fond qui statuent sur la transmission de la QPC à l'une des juridictions suprêmes : Conseil d'Etat ou Cour de cassation. Ensuite, le second est effectué par l'une des Hautes juridictions. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance modifiée du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3), le juge vérifie si les conditions d'un renvoi de la QPC devant le Conseil constitutionnel sont réunies. Elles sont au nombre de trois : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites, elle ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et, enfin, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.

Dans la décision, objet du présent commentaire, la QPC portait sur la conformité à la Constitution du dégrèvement de taxe foncière (TF) pour vacance de maison prévue au I de l'articles 1389 du CGI (N° Lexbase : L9892HLX). Cette QPC reposait sur trois moyens dont deux présentent un intérêt certain relatif, d'une part, à la définition des "droits et libertés que la Constitution garantit" (A) et, d'autre part, au caractère sérieux de la QPC (B). Quant au premier moyen invoqué, il était fondé sur le droit de propriété énoncé par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la DDHC. Cependant il a été jugé irrecevable en l'espèce car présenté, pour la première fois, devant le Conseil d'Etat.

A - Le contribuable à l'appui de sa demande de renvoi de sa question devant le Conseil constitutionnel invoquait la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Cet objectif a été reconnu par une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 décembre 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 N° Lexbase : A8784ACC). Les objectifs de valeur constitutionnelle n'énoncent pas des droits mais un but dont le législateur doit tenir compte. "Il s'agit d'impératifs liés à la vie en société qui doivent guider l'action normative. [...] Ils ne s'adressent pas aux individus mais au législateur pour lequel ils constituent des obligations de moyens et non de résultats" (1).

La difficulté étant de savoir si ces objectifs peuvent être considérés comme les "droits et libertés que la Constitution garantit" et, en conséquence, être invoqués utilement dans le cadre de la QPC. A notre connaissance, il s'agit de la première décision se prononçant sur ce point. Antérieurement, certains auteurs avaient abordé cette problématique. Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel, évoquait la possibilité d'une réponse au cas par cas selon les objectifs en précisant néanmoins qu'il était "probable que l'accessibilité et l'intelligibilité du droit ne constitue pas un droit' ou une liberté' au sens de l'article 61-1 de la Constitution" (N° Lexbase : L5160IBQ) (2). Quant à la position du Conseil d'Etat, Vincent Daumas, Maître des requêtes, estimait que tous les objectifs à valeur constitutionnelle ne seraient pas nécessairement compris par la Haute juridiction dans la catégorie "des droits et libertés" (3).

Le considérant au terme duquel le Conseil d'Etat énonce que la méconnaissance de cet objectif ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC est extrêmement bref et ne semble préjuger en rien que tous les objectifs à valeur constitutionnelle puissent être traités sur le même mode. Plus précisément, s'agissant de l'accessibilité et l'intelligibilité du droit, il semble que, par cet arrêt, le Conseil d'Etat pose une borne importante aux limites de la notion "des droits et libertés que la Constitution garantit".

B - Dans un troisième considérant, la Haute juridiction a examiné le "caractère sérieux" de la QPC. Elle a rejeté le grief portant sur l'article 1389 du CGI. Cette disposition subordonne le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel à trois conditions. La première est que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, la deuxième est que la vacance soit d'une durée d'au moins trois mois et la dernière est que cette vacance ou cette inexploitation affecte tout ou partie de l'immeuble.

La question portait uniquement sur la première de ces conditions, c'est-à-dire le fait que la situation soit indépendante de la volonté du propriétaire. Selon le contribuable, il existait une différence de traitement entre le propriétaire qui ne peut louer le bien du fait de son caractère impropre à la location et le propriétaire, dont le bien présente les mêmes caractéristiques, mais qui a entrepris les démarches pour mettre fin à cet état rendant le bien impropre à la location. Cette différence de traitement viendrait en contradiction avec le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la DDHC (N° Lexbase : L1360A9A).

Sur ce point, il existe une jurisprudence relativement abondante qui a permis au Conseil d'Etat de développer une perspective stricte quant à l'appréciation de l'indépendance de la volonté du contribuable (4). Selon la Haute juridiction, l'octroi du dégrèvement ne peut être justifié par le fait que le bien soit impropre à la location, ou très difficilement louable. Le propriétaire doit démontrer qu'il n'a pu, malgré les démarches entreprises, surmonter le caractère impropre à la location de son bien. Dès lors où le contribuable n'a pas entrepris de telles démarches, il fait le choix de conserver son immeuble en état, c'est-à-dire impropre à la location, il ne peut donc demander le dégrèvement qui est subordonné à la condition que la vacance soit indépendante de sa volonté.

La décision commentée se situe dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. Le Conseil d'Etat opère une distinction très nette entre le contribuable qui constate l'impossibilité de louer son bien et celui qui ne peut le louer malgré les efforts entrepris. Il s'agit de deux situations différentes, en conséquence il n'y a pas de rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.

Le caractère sérieux ou non de la QPC est "au coeur du rôle de filtrage dévolu aux cours suprêmes" (5). Pour apprécier ce caractère sérieux, il apparaît à l'examen des premières décisions rendues sur ce point que le Conseil d'Etat estime disposer d'un pouvoir d'appréciation étendu quant à l'interprétation de la disposition, objet de la QPC. La présente décision vient valider cette constatation.

  • Taxe professionnelle : détermination de la valeur locative des immobilisations par comparaison et détermination de l'office du juge (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2010, n° 307961, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A9269E7G)

Le présent arrêt est relatif à la détermination de la valeur locative dans le cadre de la taxe professionnelle. Bien que cette imposition ait été supprimée à compter du 1er janvier 2010, cette décision est toujours d'actualité car la valeur locative sert d'assiette à l'ensemble des impôts locaux.

La valeur locative est déterminée par application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Pour rappel, le mécanisme de cette disposition prévoit que la valeur locative est évaluée en prenant en compte le loyer (CGI, art. 1498, 1°), à défaut elle est déterminée par comparaison (CGI, art. 1498, 2°), enfin, si aucunes des deux méthodes précédentes n'est applicable, cette valeur sera établie par appréciation directe (CGI, art. 1498, 3°). Or, depuis 1970, il n'y a eu aucune révision des valeurs locatives, dès lors cette méthode est devenue d'une application extrêmement rare, l'évaluation par référence au loyer qui était la règle est devenue l'exception (6). Dans le même temps, si la méthode d'évaluation par comparaison s'est généralisée, elle nourrit cependant un contentieux important dont l'arrêt commenté fait partie.

La société L. avait demandé réduction de sa cotisation de taxe au titre de l'année 2003 à raison de l'ensemble immobilier qu'elle exploitait au motif que la procédure d'évaluation de l'immeuble exploité était irrégulière ; en conséquence la valeur locative était aussi irrégulière.

Devant le tribunal administratif d'Amiens, la société L. soutenait que l'administration aurait fait une application erronée du 2° de l'article 1498 du CGI. La base d'évaluation ne résultait pas, selon la société demanderesse, de l'application de la valeur au m² d'un bâtiment précisément identifié mais d'une valeur locative moyenne. Les juges du fond, dans un jugement en date du 9 juin 2005 (TA Amiens, 9 juin 2005, n° 0500089 N° Lexbase : A9390E7W), n'ont pas accueilli cette demande au motif que la valeur locative n'était pas déterminée par une moyenne mais au regard des caractéristiques propres des immeubles.

Cependant, la cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 3ème ch., 30 mai 2007, n° 05DA00996 N° Lexbase : A2516DXH) a infirmé la décision du tribunal. En effet, elle a procédé à un supplément d'instruction afin que l'administration établisse les éléments justifiant la valeur du local-type. Or, par appréciation souveraine, elle a jugé que l'administration n'établissait pas que le local-type comportait des caractéristiques similaires aux locaux objets de l'imposition. En conséquence, les termes de comparaison utilisés en vue d'appliquer le 2° de l'article 1498 du CGI n'étaient pas pertinents.

La décision des juges d'appel a été soumise au Conseil d'Etat qui l'a infirmée. Cette décision d'annulation est fondée sur la méconnaissance de son office par le juge d'appel. En effet, la cour administrative d'appel de Douai a écarté le terme de comparaison apporté par l'administration au motif qu'il n'était pas pertinent et en a déduit que la société L. devait être déchargée de la cotisation de taxe professionnelle au titre de 2003. Or, elle n'a pu prendre cette décision sans méconnaître l'étendue de son office. Dès lors où la cour administrative d'appel écartait un terme de comparaison proposé par les parties, elle aurait dû rechercher un terme de comparaison pertinent soit en demandant un supplément d'instruction, soit au vu des éléments qui était en sa possession. A défaut de terme de comparaison pertinent, elle devait appliquer la méthode d'appréciation directe (CGI, art. 1498, 3°).

Le Conseil d'Etat prend soin de préciser que l'estimation de la pertinence ou non d'un terme de comparaison relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Faisant application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil règle directement l'affaire au fond.

Cette décision, à notre connaissance, est la première à se prononcer sur cet aspect du contentieux né de l'application de l'article 1498 du CGI. Cependant, on peut la situer dans la ligne jurisprudentielle développée par le Haut conseil à la fois quant aux modalités d'application de l'article 1498 du CGI et s'agissant du rôle du juge dans la détermination des éléments à prendre en compte pour évaluer la valeur locative.

Comme il est indiqué dans cette décision, le juge -à défaut de terme de comparaison pertinent- doit appliquer la méthode d'évaluation par appréciation directe. Dans une décision en date du 25 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 mai 2007, n° 264323 N° Lexbase : A8911DXC) (7), le Conseil d'Etat jugeait qu'il résultait des termes même de l'article 1498 que la méthode d'appréciation directe s'appliquait qu'à défaut soit de pouvoir retenir la valeur locative sur le fondement du 1° de cette disposition, soit de trouver des termes de comparaison pertinents. Pour autant si l'administration ne peut appliquer des termes de comparaison qui ne sont pas pertinents, elle doit procéder à l'évaluation par appréciation directe. De même le juge ne peut décharger un contribuable de sa cotisation de taxe au motif que les parties n'ont pas fourni des termes de comparaison pertinents ; dans cette hypothèse comme dans la précédente il doit être fait application du 3° de l'article 1498 du CGI.

Cette décision rejoint aussi un arrêt du 5 mai 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 272706 N° Lexbase : A2376DPP) d'où il ressortait que le juge de l'impôt ne peut pas donner raison à l'administration faute d'alternative. De même dans la présente décision, il est jugé que le juge d'appel ne pouvait accorder de décharge au contribuable faute de termes de comparaison pertinents apportés par l'administration. Cette solution résulte du régime de la preuve objective applicable en matière de contentieux relatif à la fiscalité locale. Le juge forge sa conviction en fonction des éléments de l'instruction (8). Cette solution est ancienne : "lorsque la valeur locative est fixée par la méthode de comparaison, l'Administration doit, en cas de contestation de la part du contribuable, porter à sa connaissance les éléments sur lesquels elle entend s'appuyer, le contribuable pouvant le cas échéant, fournir d'autres éléments de comparaison afin de donner au juge les éléments pour trancher le litige" (9). Faute que les parties fournissent les éléments utiles, le juge de l'impôt devra ordonner un supplément d'instruction.

Cet arrêt vient s'ajouter à une série de décisions qui est venue préciser les modalités du débat sur le choix des termes de comparaison entre l'administration et le contribuable afin "d'organiser les conditions d'un dialogue plus efficace" (10). Néanmoins, quelle que soit la qualité du travail jurisprudentiel, il n'en reste pas moins que le silence du législateur devient extrêmement problématique, car il ne peut résoudre le déséquilibre de plus en plus flagrant entre les méthodes d'évaluation de l'article 1498 du CGI.

  • Taxe locale d'équipement (TLE) : exclusion du champ d'application d'un immeuble destiné à l'hébergement des personnes âgées (CE 9° et 10° s-s-r. 9 juillet 2010, n° 308976, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A9272E7K)

Cette taxe a instituée par la loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967, elle constitue une imposition générale et forfaitaire venant grever les opérations de constructions. Elle est affectée au financement des dépenses générales d'urbanisation de la commune. La jurisprudence relative à cette imposition est assez peu fournie, d'où l'intérêt du présent arrêt commenté.

L'office public départemental de l'habitat des Hauts de Seine (OPDH), établissement public administratif, a obtenu le 20 décembre 2002 un permis pour construire un immeuble destiné à accueillir un établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD). A ce titre l'OPDH a été assujetti à la taxe locale d'équipement ainsi qu'au versement pour dépassement du plafond légal de densité. Le tribunal administratif de Versailles, par un jugement en date du 10 mai 2007, a rejeté sa demande de décharge pour les cotisations de TLE et du versement pour dépassement du plafond légal de densité.

S'agissant du bien-fondé de la cotisation due au titre du versement pour dépassement du plafond légal de densité, le Conseil d'Etat a considéré que le contribuable n'était pas fondé à demander l'annulation du jugement des juges du fond. En revanche pour la cotisation de TLE, par application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le juge de cassation a annulé la décision du tribunal administratif et déchargée de toute cotisation l'OPDH.

Aux termes de l'article 1585 C du CGI (N° Lexbase : L0227IKM), les constructions destinées à être affectées à un service public ou d'utilité publique sont exclues du champ d'application de la TLE, si ils figurent sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat et indiquée au 2° de l'article 317 bis de l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L2718IEE). Cette liste comprend, notamment, "les constructions destinées à recevoir affectation d'assistance, de bienfaisance, de santé, d'enseignement ou culturelle, scientifique ou sportive lorsque ces constructions sont édifiées par des établissements publics n'ayant pas un caractère industriel ou commercial".

En dépit d'éléments factuels allant dans le sens de l'exclusion de cette construction du champ d'application de la TLE : gestion assurée par un organisme à but non lucratif et 75 % des places réservées à des personnes de condition modeste, le tribunal avait jugé que ces éléments étaient sans incidence quant à l'affectation de la construction et, qu'en conséquence, la TLE était due. Le Conseil d'Etat a jugé que les juges du fond avaient commis une erreur de droit et que la prise en compte de ces éléments autorisait l'exclusion de la construction du champ de la TLE. Ainsi l'OPDH était déchargé de sa cotisation de TLE au titre de cette construction.

Cette décision n'est pas fondamentale au plan des principes, mais elle apporte une précision importante quant au champ d'application de la TLE.


(1) Marc Guillaume, La question prioritaire de constitutionnalité, Justice et cassation, 2010, p. 7.
(2) Op. cit..
(3) Procédure de question prioritaire de constitutionnalité : rapide tour du nouvel horizon, RJF, 7/10, p. 533.
(4) Frédéric Dieu, note sous CE, 29 août 2008, n° 300444 (N° Lexbase : A0643EA3), DF, 2008, n° 47, comm. 586
(5) Vincent Daumas, op. cit., p. 537.
(6) Yohann Benard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/06, p. 100.
(7) Conclusions L. Olléon, BDCF, 2/06, n° 19.
(8) Note sous CE, 5 mai 2006, n° 272706 (N° Lexbase : A2376DPP), DF, 2007, n° 14, comm. 380.
(9) CE, 23 juillet 1976, n° 1390 (N° Lexbase : A6155B8H), RJF, 11/1976, n° 493, cité par Christophe de La Mardière, La preuve en droit fiscal, Litec fiscal, 2009, 327 pages, p. 159.
(10) Yohann Benard, Valeur locative foncières : panorama de la jurisprudence 2006, RJF, 2/07, p. 98.

newsid:404372

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La mise en oeuvre des Conventions fiscales internationales franco-allemande et franco-italienne est régie par les seules stipulations qu'elles énoncent

Réf. : TA Montreuil, 14 janvier 2010, n° 0811669 (N° Lexbase : A0427E8C) et 27 mai 2010, n° 0905910 (N° Lexbase : A3366GAW)

Lecture: 7 min

N4373BQZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404373
Copier

par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 04 Janvier 2011

Le tribunal administratif de Montreuil, par deux jugements des 14 janvier et 27 mai 2010, a jugé, d'une part, qu'une société allemande bénéficiant de distributions de dividendes de deux sociétés françaises, les SA U. et T., est exclue à tort par l'administration fiscale du bénéfice des dispositions de la Convention franco-allemande du 21 juillet 1959 modifiée (N° Lexbase : L6660BH7), la circonstance que la société allemande serait totalement exonérée d'impôt en Allemagne ne pouvant fonder le refus du bénéfice du taux réduit d'imposition de 15 % sur les distributions perçues par la société prévu par les stipulations de l'article 9 de la Convention franco-allemande ; d'autre part, le tribunal a jugé qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 220 du CGI (N° Lexbase : L4097HLC) et de l'article 24 de la Convention franco-italienne du 5 octobre 1989 (N° Lexbase : A3366GAW), qu'un contribuable ayant acquitté en Italie la retenue à la source sur les dividendes perçus dans cet Etat est en droit d'imputer sur l'impôt sur les sociétés dû par lui en France un crédit d'impôt qui, dans la limite du montant de l'impôt français correspondant à ces revenus, soit égal au montant de la retenue à la source perçu au profit du Trésor public italien, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de stipulation spéciale de la convention applicable, d'opérer sur le crédit d'impôt à imputer une réfaction destinée à tenir compte de la charge financière effectivement supportée par le contribuable en application de la convention de prêt-emprunt de titre conclue avec la société italienne. Les faits dans ces deux affaires étaient les suivants. Dans la première affaire (n° 0811669), une société, dont le siège est à Hanovre, en Allemagne, était une société de droit public allemand, sous tutelle des autorités administratives du Land où elle se situe et qui avait pour activité de fournir à ses membres des garanties de prévoyance et de retraite. La société avait bénéficié de distributions de dividendes les 16 octobre et 21 décembre 2006 de la part de deux SA françaises, d'une part, la SA U. et, d'autre part, de la SA T.. La société allemande détenait moins de 5 % du capital social des sociétés françaises. Les distributions d'un montant global de 25 000 euros avaient donné lieu à l'application de la retenue à la source prévue, au cas où le bénéficiaire n'est pas fiscalement domicilié en France, par les dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L3387IGK), calculée au taux de 25 % fixé à l'article 187 du même code (N° Lexbase : L3235IGW).

Dans la seconde affaire (n° 0905910), la SA C. était la société mère d'un groupe ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale prévu aux articles 223 A (N° Lexbase : L4827IGU) et suivants du CGI, dont faisait notamment partie la société A. avant d'être absorbée, le 31 décembre 2007 par la société S. ultérieurement devenue la société C. Est. Antérieurement à cette absorption, la société A. avait fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003. Postérieurement à ce contrôle, le service avait remis en cause le bénéfice de crédits d'impôts initialement déclarés par la société A. sur le fondement des dispositions combinées de l'article 220 du CGI et de l'article 24 de la Convention franco-italienne du 5 octobre 1989 et correspondant au montant des retenues à la source acquittées en Italie sur les dividendes perçus par ladite société en qualité d'emprunteur de titres de sociétés italiennes.

Les deux jugements du tribunal administratif de Montreuil du 27 mai et 14 janvier 2010 rappellent que, en présence d'une Convention internationale, il faut se référer exclusivement à ses clauses ; il en va ainsi, lorsque la Convention fiscale précise la notion de résident d'un Etat contractant (Convention franco-allemande de 1959, art. 4), l'application de la Convention internationale qui vise à prévenir les doubles impositions n'étant pas subordonnée à la condition d'une double imposition effective du contribuable ou s'agissant de l'imputation d'un crédit d'impôt conventionnel (Convention franco-italienne, art. 24, dans l'affaire "SA C." ; le tribunal administratif de Montreuil se place, alors, dans le prolongement de l'arrêt de la CAA Lyon, 10 juillet 1992, n° 90LY00183 N° Lexbase : A2792A8W).

I - La mise en oeuvre des stipulations d'une Convention fiscale internationale n'est pas subordonnée à l'existence d'une double imposition effective de celui qui s'en prévaut

L'application d'une Convention internationale est exclusivement définie par les règles et leurs modalités de mise en oeuvre qu'elle prévoit, s'agissant notamment de la notion de résident d'un Etat contractant.

A - Les Conventions en vigueur dans les Etats européens prévoient l'application aux dividendes d'un taux réduit maximum de 15 % de la retenue à la source

Les revenus attribués par une société française à des non résidents font, en principe, l'objet d'une retenue à la source sur le fondement des dispositions de l'article 119 bis 2 du CGI. La plupart des Conventions internationales prévoient, alors, pour les revenus distribués par une société française à des résidents de l'Etat contractant, soit l'application d'un taux réduit de la retenue à la source, soit la suppression de cette retenue. Dans l'affaire jugée par le tribunal administratif de Montreuil le 14 janvier 2010, la société allemande, qui n'établissait pas la réalité d'une gestion désintéressée à l'égal des caisses de retraite ou de prévoyance établies en France dont elle détenait au moins 5 % du capital, demandait que soit toutefois appliqué aux dividendes qui lui avaient été distribués le taux préférentiel de 15 % prévu par les stipulations de l'article 9 § 2 de la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 modifiée.

L'administration faisait valoir pour refuser le taux conventionnel à la société de droit public allemand qu'étant exonérée d'impôt sur les sociétés en Allemagne, elle ne pouvait être regardée comme résidente de cet Etat, dès lors qu'elle n'était pas susceptible de supporter une double imposition de la nature de celle que visait à éviter la Convention. Ce faisant l'administration fiscale proposait une mise en oeuvre des dispositions de la Convention fondée sur un constat factuel de la situation de la société de droit allemand.

B - Alors même qu'elle est exonérée du paiement de l'impôt sur les sociétés en Allemagne, la société allemande est bien résident d'un Etat contractant au sens des dispositions de l'article 4 la Convention franco-allemande

L'article 4 de la Convention franco allemande de 1959 regarde comme "résident d'un Etat contractant" à titre principal toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat y est "assujettie" à l'impôt.

En l'espèce, la société allemande entrait dans le champ d'application de l'impôt sur les sociétés, et cela n'était pas contesté. Elle pouvait, donc, se prévaloir des dispositions conventionnelles alors même qu'elle est exonérée du paiement de l'impôt sur les sociétés allemand et bénéficie par suite d'une exonération la dispensant d'une imposition effective. La société allemande qui établissait qu'elle était assujettie à l'impôt sur les sociétés en Allemagne, mais qui était regardée comme non imposable pouvait se prévaloir des dispositions conventionnelles prévenant les doubles impositions (a contrario, CAA Versailles, 3ème ch., 4 avril 2006 N° Lexbase : A0943DPM et CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 285583 N° Lexbase : A8674D7E, s'agissant de la Convention franco-belge (N° Lexbase : L6668BHG pourtant non conforme au modèle OCDE ; et aussi CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 301266 N° Lexbase : A1270EKA).

L'assujettissement à l'impôt sur les sociétés (IS) doit s'apprécier du seul point de vue juridique et le résident peut ne pas avoir été effectivement soumis à l'impôt. Même exonéré d'IS il est placé dans le périmètre d'imposition et relève des conditions d'application des dispositions de la Convention et peu importe qu'il ne paie pas l'impôt du point de vue factuel. Le juge de l'impôt examine donc si la Convention fiscale bilatérale peut bénéficier au contribuable qui s'en prévaut sans s'interroger sur une éventuelle imposition de ce dernier dans l'Etat partie à la Convention (a contrario, CAA Paris, 29 mai 1990, n° 89PA00475 N° Lexbase : A0375A9R et n° 89PA00476 N° Lexbase : A0376A9S).

II - Le crédit d'impôt conventionnel de l'article 24 de la Convention fiscale franco-italienne reste acquis au contribuable quel que soit l'emploi des sommes distribuées sur lesquelles il s'impute

Les stipulations de l'article 24 de la Convention franco-italienne ne permettent pas de tenir compte, pour l'application de la règle du butoir qu'elles prévoient, de l'incidence éventuelle, sur le montant global de l'impôt français, de l'emploi ultérieur des sommes distribuées.

A - Le crédit d'impôt conventionnel prévu par l'article 24 de la Convention fiscale franco-italienne ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus

En vertu des dispositions de l'article 220 du CGI, les contribuables assujettis à l'impôt sur les sociétés qui perçoivent des dividendes de sociétés établies à l'étranger sont en droit d'imputer sur le montant de cette cotisation un crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger sur la distribution en cause, dans les conditions prévues par les Conventions fiscales internationales. La Convention fiscale franco-italienne stipule, ainsi, dans son article 24 que les résidents français percevant des dividendes de sociétés italiennes ont droit, lorsque cette distribution a été imposée en Italie, à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus ont été compris.

Dans notre espèce, en exécution des conventions d'emprunt de titres de sociétés italiennes, la société C. avait perçue des dividendes attachés à ces titres, mais elle était contractuellement tenue, en rémunération de l'emprunt, de rétrocéder une somme d'égal montant aux sociétés prêteuses. Le principe de l'application du crédit d'impôt conventionnel n'avait pas été remis en cause par l'administration fiscale. Toutefois, le service avait ensuite estimé que le montant global de l'impôt français réellement acquitté par la société A., compte tenu tout à la fois des dividendes perçus et de la rétrocession intégrale de leur montant aux prêteurs, était nul, les crédits d'impôt n'étant alors pas justifiés en application de la règle du butoir de l'article 24 de la Convention franco-italienne.

B - Le crédit d'impôt conventionnel prévu par l'article 24 de la Convention fiscale franco-italienne est indépendant de l'emploi ultérieur des sommes distribuées

Dans l'affaire "SA C.", les distributions permettant l'imputation du crédit d'impôt n'avaient existé d'une certaine manière, pour le service, qu'un instant de raison, disparaissant à peine versées en étant rétrocédées ce qui remettait en question l'existence même du crédit d'impôt conventionnel qui ne pouvait être imputé. Comme dans l'affaire précédente, le juge de l'impôt s'appuie sur une lecture stricte des stipulations conventionnelles. Or, en vertu de la loi fiscale française à laquelle renvoyait la Convention franco-italienne, l'impôt français est assis sur le montant brut des revenus de valeurs mobilières de source étrangère perçus, sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine. Les stipulations de l'article 24 de la Convention franco-italienne ne permettaient donc pas de tenir compte pour l'établissement du crédit d'impôt conventionnel de l'emploi ultérieur des sommes distribuées. En l'espèce, le montant de l'impôt français correspondant aux dividendes perçus par la société A. était supérieur ou égal à celui de la retenue à la source à laquelle ces distributions avaient donné lieu en Italie.

Le service ne peut donc imposer ou remettre en cause un avantage fiscal qu'en se référant explicitement aux stipulations conventionnelles des Conventions fiscales internationales, lesquelles définissent leurs propres modalités de mise en oeuvre ; le service ne peut s'en écarter, y compris en s'affranchissant du respect des stipulations conventionnelles, pour privilégier une approche plus factuelle.

newsid:404373

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'organisation d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'une augmentation des effectifs de l'entreprise : principe et mise en oeuvre

Réf. : Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8668GBN)

Lecture: 8 min

N4366BQR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404366
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

L'arrêt rendu le 13 octobre 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R N° Lexbase : A8668GBN), qui aura les honneurs de son rapport annuel, vient répondre à une question relative aux élections professionnelles qui était, jusqu'à présent, restée dans l'ombre. Il s'agissait de savoir si des élections complémentaires de représentants du personnel peuvent être organisées dans le cas d'augmentation des effectifs de l'entreprise, afin d'élire des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours et pour la durée des mandats restant à courir. La Cour de cassation apporte une réponse positive à cette interrogation, tout en la soumettant à de strictes exigences. De telles élections ne peuvent en effet être organisées qu'à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif, signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise. Si cette solution doit être pleinement approuvée s'agissant de la faculté ainsi reconnue, elle peut laisser dubitatif quant aux conditions posées.
Résumé

Si la loi ne prévoit pas d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation d'effectifs de l'entreprise, de telles élections tendant à désigner des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours, et pour la durée des mandats restant à courir, peuvent néanmoins être organisées à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise.

Observations

I - La faculté d'organiser des élections complémentaires en cas d'accroissement des effectifs

Une situation non envisagée par les textes

Dès lors qu'une entreprise ou un établissement occupe plus de onze ou de cinquante salariés, l'employeur doit y organiser les élections des délégués du personnel ou de la représentation des salariés au comité d'entreprise. Pour une première élection, l'effectif exigé doit avoir été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes (C. trav., art. L. 2312-2 N° Lexbase : L2535H9R et L. 2322-2 N° Lexbase : L2705H93). Dans l'hypothèse d'un renouvellement de l'institution, le calcul de l'effectif doit se faire à la date de l'élection. Important pour ce qui est de la mise en place initiale des institutions représentatives du personnel, le calcul précis des effectifs l'est également pour la détermination du nombre de représentants à élire (1).

On sait que ces représentants sont, en principe, élus pour quatre ans. Par voie de conséquence, pendant cette durée, la variation des effectifs, qu'elle soit à la hausse ou à la baisse, n'a aucune incidence sur les mandats, qui doivent aller à leur terme (2). La diminution des effectifs peut, toutefois, en application de la loi, avoir des conséquences sur le renouvellement de l'institution à l'expiration des mandats en cours (3). En revanche, le législateur n'a nullement envisagé la situation dans laquelle les effectifs de l'entreprise ou de l'établissement augmentant en cours de mandat, les parties intéressées envisagent de procéder à des élections complémentaires afin d'adjoindre des représentants du personnel à ceux déjà mis en place. Tel était précisément le cas dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté.

L'affaire

En l'espèce, il avait été procédé à l'élection d'un délégué du personnel, titulaire, et d'un délégué du personnel, suppléant, au sein d'une association en octobre 2007. Le 30 mars 2009, sur requête d'un syndicat et sur la base d'un protocole préélectoral conclu avec lui, l'employeur avait organisé une élection complémentaire en vue d'élire un délégué titulaire et un délégué suppléant en plus de ceux déjà mis en place au motif que l'effectif de l'entreprise, de vingt-quatre, en octobre 2007, était alors passé à vingt-six salariés.

Pour débouter l'Union départementale FO du Jura, de sa demande en annulation de l'élection du 30 mars 2009, le jugement attaqué avait retenu que l'employeur avait pu procéder à une élection complémentaire après avoir régulièrement invité l'ensemble des organisations syndicales à venir négocier le protocole préélectoral et répondre par la même à la volonté légitime du personnel de voir améliorer sa représentation dans l'entreprise.

Ce jugement est censuré au visa des articles L. 2314-2 (N° Lexbase : L2579H9E), L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB), L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ) et L. 2312-6 (N° Lexbase : L2543H93) du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "si la loi ne prévoit pas d'élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation d'effectifs de l'entreprise, de telles élections tendant à désigner des délégués en plus de ceux dont le mandat est en cours, et pour la durée des mandats restant à courir, peuvent néanmoins être organisées à la condition qu'elles soient prévues par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise". Par voie de conséquence, en statuant comme ils l'ont fait, sans constater que cette condition était remplie, les juges du fond ont violé les textes susvisés.

Une reconnaissance de principe par la Cour de cassation

Le premier et principal apport de l'arrêt réside dans la faculté reconnue par la Cour de cassation d'organiser des élections complémentaires de représentants du personnel dans le cas d'augmentation des effectifs de l'entreprise, afin de désigner des délégués en plus de ceux déjà élus et pour la durée des mandats restant à courir.

Cette solution, qui nous paraît pleinement justifiée, doit être bien comprise. Les élections complémentaires en cause ne sauraient avoir pour effet de mettre un terme aux mandats des délégués du personnel en place qui doivent rester en fonction jusqu'au terme de ceux-ci. Mais il est possible de leur adjoindre des représentants du personnel supplémentaires afin de tenir compte de l'augmentation des effectifs, sans attendre le renouvellement de l'institution (4).

Ainsi que le laisse entendre le visa de l'arrêt, cette possibilité trouve son fondement dans les dispositions de l'article L. 2312-6 du Code du travail, au terme duquel, "les dispositions du présent titre ne font pas obstacle aux clauses plus favorables résultant de conventions ou d'accords et relatives à la désignation et aux attributions des délégués du personnel". Il est difficile de nier que l'accord permettant l'organisation d'élections complémentaires est plus favorable que la loi. Alors que celle-ci n'impose de tenir compte de l'augmentation des effectifs que lors du renouvellement des représentants du personnel, l'accord permet de l'anticiper en permettant l'élection de représentants supplémentaires, pour la durée des mandats restant à courir et sans pour autant porter atteinte à ces derniers.

Un accord collectif étant nécessaire en application de la loi, la faculté reconnue par l'arrêt commenté ne saurait donc être mise en oeuvre par une décision unilatérale de l'employeur. Mais, cet accord collectif est soumis par la Cour de cassation à de strictes conditions de validité.

II - La mise en oeuvre de la faculté d'organiser des élections complémentaires en cours de mandat

La validité de l'accord

Selon la Cour de cassation, l'organisation d'élections complémentaires tendant à désigner des délégués du personnel supplémentaire en cas d'augmentation des effectifs n'est possible que si elle est prévue "par un accord collectif signé par tous les syndicats présents dans l'entreprise".

En exigeant que l'accord soit signé par "tous" les syndicats, la Cour de cassation fait sortir celui-ci de la catégorie des accords collectifs que l'on qualifiera de droit commun. La validité de ces derniers est, on le sait, subordonnée à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières professionnelles et à l'absence d'opposition d'un ou de plusieurs syndicats ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections (C. trav., art. L. 2232-12 N° Lexbase : L3770IBA). Ce texte ne pose donc aucune exigence d'unanimité, pourtant requise en l'espèce par la Cour de cassation.

En visant les articles L. 2314-3 et L. 2314-3-1, la Cour de cassation signifie que l'accord en cause doit entrer dans la catégorie des accords préélectoraux. Cela est, au demeurant, parfaitement justifié dès lors que cet accord a pour objet d'organiser des élections. En revanche, ce que l'on s'explique mal, c'est l'exigence d'unanimité. En effet, depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008, la validité des accords préélectoraux est soumise à une double condition de majorité et non à l'unanimité (5). Sans doute, celle-ci subsiste-t-elle ici et là, notamment pour la suppression du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2322-7 N° Lexbase : L2717H9I) ou du mandat de délégué syndical (C. trav., art. L. 2143-11 N° Lexbase : L3750IBI) et, surtout, pour la fixation du nombre et de la composition des collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314-10 N° Lexbase : L2601H99 et L. 2324-12 N° Lexbase : L9753H8Q). Mais, précisément, cette unanimité est prévue par un texte spécial. Or, rien de tel en la matière, puisque ces élections complémentaires ne sont pas envisagées par le Code du travail.

Tout au plus est-il légitime que l'unanimité soit requise si l'accord porte sur des questions pour lesquelles la loi l'impose. Mais, la Cour de cassation n'opère aucune distinction de cette sorte, soumettant, de façon générale, la validité de l'accord à sa signature par tous les syndicats et, plus précisément, ceux "présents dans l'entreprise".

Il y a là une autre difficulté d'interprétation de la solution retenue et il faut se demander ce que la Cour de cassation entend par là. On pourrait avancer que sont ainsi visés les syndicats représentés dans l'entreprise. Cette idée doit certainement être écartée, pour cette seule raison qu'il est rare que les syndicats soient représentés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, même s'ils ont, en théorie, le droit d'y désigner un délégué du personnel en qualité de délégué syndical ou de représentant de la section syndicale.

Un éclaircissement peut être à nouveau tiré du visa de l'arrêt et, singulièrement, de l'article L. 2314-3 du Code du travail. Cette disposition vise les organisations syndicales qui doivent être invitées à la négociation du protocole d'accord préélectoral. Outre que ne sont plus uniquement visés les syndicats représentatifs, ne sont pas seulement concernés ceux qui sont représentés dans l'entreprise. Partant, en évoquant les syndicats "présents dans l'entreprise", on peut considérer que la Cour de cassation se réfère aux syndicats présents lors de la négociation de l'accord organisant les élections complémentaires. Mais, l'incertitude reste ici de mise et il aurait été souhaitable que la Cour de cassation nous donne ici plus de précisions.

Les effets sur la mesure de la représentativité

La solution retenue dans l'arrêt sous examen fait naître une dernière interrogation quant à ses conséquences sur la mesure de la représentativité syndicale. Il n'est, en effet, guère besoin de s'étendre sur le fait que celle-ci dépend notamment, depuis la loi du 20 août 2008 (Loi n° 2008-789 (N° Lexbase : L7392IAZ), de l'audience électorale des syndicats.

Partant, il convient de se demander si les résultats de ces élections complémentaires peuvent être pris en compte pour l'appréciation de la représentativité. On ne voit pas ce qui pourrait s'y opposer dès lors que l'ensemble des salariés de l'établissement ou de l'entreprise est une nouvelle fois appelé à voter. Mais, il faut alors se rendre à l'évidence et admettre que des syndicats qui n'avaient pas obtenu 10 % des suffrages lors des premières élections pourraient devenir représentatifs. Il est, non moins certains, que les syndicats qui avaient obtenu le nombre de suffrages nécessaires lors des premières élections resteront représentatifs, alors même qu'ils n'auraient pas présenté de liste de candidats ou n'auraient pas atteint cette fois-ci le seuil de 10 %. Il n'est pas interdit de penser que ces syndicats ne verront pas nécessairement d'un très bon oeil cette concurrence nouvelle. On en vient alors à se demander si, en fait, ce n'est pas là qu'il convient de rechercher la cause de la subordination de la validité de l'accord à l'exigence d'unanimité...


(1) V. C. trav., art. R. 2314-1 (N° Lexbase : L0483IA7) et R. 2324-1 (N° Lexbase : L0276IAH).
(2) C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation, affirmant que la durée du mandat des délégués du personnel d'un établissement ne peut être remise en cause par l'accroissement des effectifs (Cass. soc., 18 février 1998, n° 97-60.017, N° Lexbase : A2908CWM) ; V. aussi, à propos de la baisse des effectifs : Cass. soc., 3 février 1998, n° 96-60.207 (N° Lexbase : A2907ACN).
(3) La loi envisage différemment à cet égard la situation des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2312-3 N° Lexbase : L2537H9T) et de la représentation du personnel au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2322-7 N° Lexbase : L2717H9I).
(4) Rappelons à ce propos que l'article R. 2314-1 (N° Lexbase : L0483IA7) impose l'élection d'un titulaire et d'un suppléant lorsque l'effectif est compris entre 11 et 25 salariés et de deux titulaires et de deux suppléants lorsque ce même effectif est compris entre 26 et 74 salariés. En l'espèce, les effectifs étaient passés de 24 à 26 salariés. Lors du renouvellement de l'institution, ce sont donc bien deux titulaires et deux suppléants qui auraient dû être élus. Les parties n'ont fait qu'anticiper cela.
(5) V. à cet égard, C. trav., art. L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ).
(6) Soit parce qu'ils n'avaient pas présenté de liste de candidats, soit parce que, l'ayant fait, ils n'avaient pas atteint le seuil fatidique de 10 %.

Décision

Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-60.206, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8668GBN)

Cassation de TI Dole, 21 avril 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 2314-2 (N° Lexbase : L2579H9E), L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB), L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ) et L. 2312-6 (N° Lexbase : L2543H93)

Mots-clefs : délégués du personnel, élections complémentaires en cours de mandat, possibilité, nécessité d'un accord, exigence d'unanimité.

Liens base : (N° Lexbase : E1726ET4)

newsid:404366

Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Octobre 2010

Lecture: 10 min

N4371BQX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404371
Copier

par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt rendu le 6 octobre 2010 par la Cour de cassation par lequel celle-ci, relativement à un litige dans lequel une commune avait confié l'aménagement et l'équipement d'une ZAC à une société qui avait fait réaliser un bassin à vocation portuaire par un groupement d'entreprises constitué par trois autres sociétés, énonce que la seule circonstance que les équipements publics devaient revenir gratuitement à la commune après leur réception suffisait à justifier l'incompétence des juridictions judiciaires (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-15.448, F-P+B+I). L'on reviendra ensuite sur la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services, qui permet désormais aux établissements consulaires de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la restauration, de la réparation ou de la mise en valeur de leur domaine public ou privé. Enfin, dans la dernière décision étudiée, le Conseil d'Etat précise que seul le juge du contrat est habilité à déclarer nul ou à annuler le contrat, sur saisine des parties ou d'un concurrent évincé, et qu'un tiers au contrat n'est pas recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l'administration de saisir le juge du contrat afin qu'il constate la nullité du contrat (CE 7° s-s., 23 juillet 2010, n° 328710, inédit au recueil Lebon).
  • Contrat administratif conclu entre deux personnes privées : l'application de la jurisprudence "Société d'équipement de la région Montpelliéraine" par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-15.448, F-P+B+I N° Lexbase : A2213GBL)

La qualification des contrats conclus par l'administration obéit à des règles bien établies dont la mise en oeuvre ne manque jamais d'intérêt, surtout lorsqu'elle est le fait du juge judiciaire, comme c'était le cas dans l'affaire jugée le 6 octobre 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation. En l'absence de qualification opérée par un texte (1), c'est en vertu des critères jurisprudentiels organique et matériel que la nature juridique des contrats passés par les personnes publiques est déterminée. Pour qu'un contrat puisse être qualifié d'administratif, il faut qu'il soit conclu par au moins une personne publique et que son objet se rapporte à une mission de service public ou de travaux publics, ou qu'il comporte des clauses exorbitantes du droit privé, ou encore qu'il soit soumis à un régime juridique dérogatoire au droit commun.

C'est précisément le critère organique qui était en cause dans la présente espèce, puisque le contrat litigieux avait été conclu par deux personnes privées, une société concessionnaire de l'aménagement d'une zone d'aménagement concerté (ZAC), et un groupement d'entreprises au sujet de la réalisation d'un bassin à vocation portuaire. Or, l'on sait qu'en vertu d'une règle qualifiée de législative par le Tribunal des conflits (2), les contrats passés entre deux personnes privées sont, en principe, de droit privé. Même si elle est contestée, surtout lorsqu'elle est mise en parallèle avec la jurisprudence admettant qu'une personne privée puisse édicter un acte administratif unilatéral, cette solution demeure un principe cardinal de la théorie générale du contrat administratif. Cela ne signifie pas qu'il ne supporte aucune exception ou aménagement. Il existe, en premier lieu, des contrats administratifs conclus entre personnes privées par détermination de la loi (certaines concessions de travaux (3), par exemple, ou encore les contrats d'occupation du domaine public conclus par les concessionnaires privés de service public (4)), ou par indication de la loi (contrats d'achat d'électricité conclus entre EDF et certains producteurs autonomes, sur le fondement de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 (5)). La jurisprudence n'hésite pas, en deuxième lieu, à requalifier les contrats conclus par les personnes privées transparentes exactement comme s'ils avaient été conclus par l'administration (6). La notion de mandat permet encore de qualifier d'administratifs certains contrats liant deux personnes privées dont l'une agit en réalité au nom et pour le compte, ou seulement pour le compte, d'une personne publique. L'expression "au nom et pour le compte de" est réservée, en règle générale, aux hypothèses dans lesquelles l'une des personnes privées contractantes est titulaire d'un contrat de mandat signé avec une personne publique dans les conditions fixées par les articles 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et suivants du Code civil (mandat civil). Plus originale est l'hypothèse dans laquelle l'un des contractants privés agit "pour le compte" d'une personne publique, soit en raison de l'objet du contrat, soit en raison de la présence d'un certain nombre d'indices révélateurs des liens étroits unissant la personne privée à l'administration. La première situation correspond au courant jurisprudentiel initié par la décision "Société entreprise Peyrot" du 8 juillet 1963, dans laquelle le Tribunal des conflits a considéré que les travaux de construction d'autoroutes relevaient par nature de l'Etat, et que les contrats s'y rapportant conclus par une société concessionnaire d'autoroutes devaient donc être considérés comme conclus "pour le compte de l'Etat" (7).

La seconde situation correspond à la jurisprudence "Société d'équipement de la région Montpelliéraine" du 30 mai 1975 (8). Dans cette dernière affaire, le Conseil d'Etat avait accepté de connaître d'un contrat par lequel une société, concessionnaire de l'aménagement d'une zone à urbaniser en priorité, avait confié à une entreprise la construction des voies publiques traversant cette zone, en arguant du fait que la première "agissait non pas pour son propre compte, mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises". Cette solution fut ensuite confirmée, quelques semaines plus tard, par le Tribunal des conflits, dans une décision elle aussi remarquée (9). Les indices utilisés par le juge pour identifier une action "pour le compte" de l'administration sont nombreux et variés. L'objet du contrat occupe une place centrale mais non décisive, contrairement à ce qu'il en est dans le cadre de la jurisprudence "Société entreprise Peyrot". Le contrat peut porter, par exemple, sur la construction de voies publiques, sur la réalisation d'un réseau d'assainissement et d'un réseau de distribution d'eau potable, sur la réalisation de travaux d'infrastructures, sur des travaux de rénovation urbaine, etc.. A ce premier indice s'ajoute l'indice tiré du mode de financement de l'opération prévue au contrat. Un financement public, partiel et a fortiori total, est, en effet, un signe fort de la présence en arrière-plan de l'administration. L'exercice d'un contrôle public sur l'opération prévue au contrat est, également, pris en compte par la jurisprudence (travaux exécutés, par exemple, sous le contrôle de l'administration, substitution de la personne publique à l'un des contractants privés en matière de responsabilité décennale, etc.).

L'affaire jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation s'inscrit assurément dans ce courant jurisprudentiel qui identifie un mandat administratif ou, à tout le moins, une action pour le compte d'une personne publique à partir d'indices révélant la relation entre l'un des contractants privés et l'administration. En l'espèce, la cour d'appel avait rejeté l'exception d'incompétence des juridictions judiciaires en invoquant plusieurs éléments. Elle avait souligné que les travaux de construction du bassin à vocation portuaire concernaient l'édification d'un ouvrage immobilier sur un terrain appartenant à une personne privée, que la convention litigieuse ne faisait référence à aucune autre convention conclue avec une personne publique, qu'elle ne comportait aucune clause exorbitante du droit commun, et ne se référait à aucune norme de droit public. Plus encore, le juge d'appel avait considéré que la circonstance que le bassin portuaire devait être cédé à la commune concédante après leur réception était indifférente, dès lors que la propriété de celui-ci devait être appréciée au moment de la conclusion et de l'exécution des contrats de construction. Enfin, le juge judiciaire avait relevé que l'ouvrage en cause n'était pas affecté à une mission de service public et que la société concessionnaire de la ZAC n'avait reçu ni subvention publique, ni rémunération directe de la commune, et qu'elle n'avait pas agi en vertu d'un mandat implicite de celle-ci qui n'a exercé aucun contrôle sur les travaux.

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel en des termes rigoureux. Pour la Haute cour, la seule circonstance que les équipements publics devaient revenir gratuitement à la commune après leur réception suffisait à justifier l'incompétence des juridictions judiciaires. Si la thèse du mandat administratif n'est pas explicitement validée, la Cour de cassation se fonde clairement sur l'un des indices consacrés par la jurisprudence "Société d'équipement de la région Montpelliéraine". La remise des ouvrages à la collectivité témoigne, en effet, de ce que celle-ci est nécessairement présente, même si c'est d'une façon indirecte dans le contrat conclu entre la société concessionnaire et le constructeur du bassin portuaire.

  • La création d'un nouveau bail emphytéotique administratif : le BEA "valorisation du patrimoine immobilier" (loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services N° Lexbase : L8265IM3, JO du 24 juillet 2010, p. 13650)

La loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services, introduit un nouveau titre IV intitulé "Valorisation du patrimoine immobilier" dans le livre III de la deuxième partie du Code général de la propriété des personnes publiques (10). Ce nouveau titre permet aux établissements consulaires (chambres de commerce et d'industrie, chambres des métiers et de l'artisanat et chambres d'agricultures, ainsi que les groupements interconsulaires) de conclure un bail emphytéotique administratif (BEA) en vue de la restauration, de la réparation ou de la mise en valeur de leur domaine public ou privé. Cette extension des possibilités de recours aux BEA n'est pas nouvelle. Elle rejoint, en effet, les dispositifs spécifiques ou sectoriels qui ont permis la création d'un BEA "sécurité" (loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 (11), d'un BEA "hospitalier" (ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 (12)), d'un BEA "SDIS" (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 (13)), d'un BEA "cultuel" (ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 (14)), sportif (loi n° 2009-179 du 17 février 2009 (15)) ou encore d'un BEA "logement social" (16) (lequel présente la particularité, pour la première fois, de pouvoir être conclu par l'Etat, alors que le recours au BEA était auparavant réservé aux collectivités territoriales et à leurs groupements).

La doctrine (17) a déjà souligné combien cette extension, compréhensible sur le fond, était contestable dans ses modalités de mise en oeuvre. Plus précisément, il a été relevé que se posait un "problème de méthode" (18), dès lors que l'extension du BEA s'opérait parfois en dehors du Code général de la propriété des personnes publiques (ce qui était le cas du BEA "logement social"), alors que l'on était parvenu (enfin !) à codifier le droit des propriétés publiques. La loi du 23 juillet 2010 ne tombe pas dans ce travers consistant à compléter le droit des propriétés publiques en dehors du Code général de la propriété des personnes publiques. Elle s'efforce de recodifier le droit des propriétés publiques en insérant le nouveau BEA "valorisation du patrimoine immobilier" dans ce code. Sur le fond, ce nouveau dispositif s'inspire largement de ses prédécesseurs et n'évite pas, sur ce point, un écueil principal. Il n'évoque pas, en effet, la question de la mise en concurrence relative à la passation des baux emphytéotiques administratifs. Cela ne signifie pas pour autant que la liberté des personnes publiques est totale car de tels contrats constitueront au regard du droit de l'union européenne, soit des marchés publics de travaux, soit des concessions de travaux publics.

  • La situation du sous-traitant souhaitant que la nullité du contrat principal soit constatée : l'impossibilité de saisir le juge de la contestation de la validité du contrat et l'impossibilité de saisir le juge de l'excès de pouvoir d'un recours en annulation dirigé contre le refus de l'administration de saisir le juge de pleine juridiction (CE 7° s-s., 23 juillet 2010, n° 328710, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9951E4C)

L'hypothèse en cause dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 23 juillet 2010 est d'un classicisme certain et illustre à merveille les complications contentieuses générées par une chaîne de contrats, en l'occurrence un marché public principal et un contrat de sous-traitance. Un établissement public avait, en effet, passé un marché public avec une société en vue de la mise en oeuvre d'un système d'irrigation collective, ladite société ayant ensuite conclu un contrat de sous-traitance avec une seconde société. L'entrepreneur principal ayant notifié la résiliation du sous-contrat au sous-traitant, celui-ci a alors saisi l'établissement public d'une demande tendant à constater la nullité du marché principal. Le refus implicite de la personne publique fut ensuite attaqué par le sous-traitant devant le tribunal administratif puis devant la cour administrative d'appel, en vain. Saisi en cassation, le Conseil d'Etat rejette, également, le recours formé par l'entreprise sous-traitante. Sa décision est intéressante à un double titre.

Le Conseil d'Etat précise, en premier lieu, que seul le juge du contrat est habilité à déclarer nul ou à annuler le contrat, et cela sur saisine des parties ou d'un concurrent évincé. S'agissant de cette première précision, deux observations s'imposent. La première a trait à la distinction entre déclaration de nullité et annulation. De l'arrêt "Commune de Béziers" du 28 décembre 2009 (19), l'on avait cru pouvoir déduire que cette distinction avait disparu au profit du concept d'annulation. Le présent arrêt entretient cependant le doute (et la confusion) en continuant à employer les deux notions et à raisonner comme si elles avaient une signification différente, ce qui n'est absolument pas évident. La seconde observation qu'il faut formuler a trait à l'accès au juge du contrat. La jurisprudence dite "Tropic" (20) a ouvert l'accès au juge du contrat aux seuls concurrents évincés. Le présent arrêt vient clairement indiquer qu'un sous-traitant n'appartient pas à cette catégorie et qu'il n'est donc pas fondé à saisir le juge de plein contentieux d'une action en validité du contrat.

Reste à savoir quelles sont les voies de recours alternatives que lui propose le droit positif. C'est précisément sur ce point que se situe le second apport de l'arrêt du 23 juillet 2010. La Haute assemblée y indique, en effet qu'un tiers au contrat n'est pas recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre le refus de l'administration de saisir le juge du contrat afin qu'il constate la nullité du contrat (ou qu'il prononce son annulation si l'on considère que la distinction demeure d'actualité). Le Conseil d'Etat confirme, sur ce point, sa jurisprudence "Association pour la protection de l'environnement du Lunnellois" (21), aux termes de laquelle un tel refus n'est pas détachable du contrat. La seule solution pour le sous-traitant consisterait donc au final à saisir l'administration d'une demande de résiliation du contrat principal et a attaquer, le cas échéant, son refus devant le juge de l'excès de pouvoir, car un tel refus est alors considéré comme détachable.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) Lesquelles sont aujourd'hui très nombreuses et gouvernent des contrats aussi importants que les marchés publics, contrats d'occupation du domaine public, ou encore les contrats de partenariat.
(2) T. confl., 26 juin 1989, n° 2569 (N° Lexbase : A7197GCK), Dr. adm., 1989, comm. 439.
(3) Ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, relative aux concessions de travaux publics, art. 1er (N° Lexbase : L4656IE8), JO du 16 juillet 2009, p.11853.
(4) C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2331-1 (N° Lexbase : L2125INZ).
(5) Loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N).
(6) Par exemple, CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2007, n° 281796 (N° Lexbase : A7298DUT), Contrats Marchés publ., 2007, comm. 137, note G. Eckert, CP-ACCP, 2007, n° 68, p. 58, note F. Brenet.
(7) T. confl., 8 juillet 1963, n° 01804 (N° Lexbase : A8175BD7), Rec. CE, p. 787, AJDA, 1963, p. 463, chron. M. Gentot et J. Fourré, D., 1963, p. 543, concl. C. Lasry, note P.-L. Josse, JCP éd. G, 1963, II, 13375, note J.-M. Auby, RDP, 1963, p. 766, concl. C. Lasry : "Considérant que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l'Etat ; qu'elle est traditionnellement exécutée en régie directe ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public ; Considérant qu'il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour la construction d'autoroutes dans les conditions prévues par la loi du 18 avril 1955 (Loi n° 55-435, portant statut des autoroutes N° Lexbase : L2106INC), sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l'Etat, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l'Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d'économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d'une telle société ; qu'ainsi, quelles que soient les modalités adoptées pour la construction d'une autoroute, les marchés passés avec les entrepreneurs par l'administration ou par son concessionnaire ont le caractère de marchés de travaux publics ; que, par suite, les contestations relatives à l'exécution de ces marchés sont au nombre de celles visées par les dispositions de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse de l'an VIII ; que, dès lors, l'action sus-analysée engagée par l'Entreprise Peyrot contre la Société de l'Autoroute Estérel-Côte-d'Azur relève de la compétence de la juridiction administrative".
(8) CE, S, 30 mai 1975, n° 86738 (N° Lexbase : A4597A4Z), Rec. CE, p. 326, AJDA, 1975, p. 345, chron. M. Franc et M. Boyon, D., 1976, p. 3, note F. Moderne, RDP, 1976, p. 1730.
(9) T. confl., 7 juillet 1975, n° 02013 ([LXB=A8157BDH ]), Rec. CE, p. 798, D., 1977, p. 8, note C. Bettinger, JCP éd. G, 1975, II, 18171, note F. Moderne.
(10) Voir C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2341-1 (N° Lexbase : L2126IN3).
(11) Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002, d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L6285A4K).
(12) Ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003, portant simplification de l'organisation et du fonctionnement du système de santé, ainsi que des procédures de création d'établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux soumis à autorisation (N° Lexbase : L4482DIT).
(13) Loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU).
(14) Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3736HI9).
(15) Loi n° 2009-179 du 17 février 2009, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés (N° Lexbase : L9450ICY).
(16) Loi n° 2009-179 du 17 février 2009, préc..
(17) P. Yolka, Le BEA nouveau est arrivé, JCP éd. A, 2009, act. 254.
(18) P. Yolka, Le BEA nouveau est arrivé, préc..
(19) CE, Ass, n° 304802, 28 décembre 2009 (N° Lexbase : A0493EQC), AJDA, 2010, p. 142, S.-J. Liéber et D. Botteghi, Complément territorial, mai 2010, p. 10, note F. Brenet, Contrats Marchés publ., 2010, repère 2, F. Llorens et P. Soler-Couteaux, comm. 85, note P. Rees, JCP éd. A, 2010, 2072, comm. F. Linditch, RFDA, 2010, p. 506, concl. E. Glaser; p. 519, note D. Pouyaud, etc..
(20) CE, Ass, 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW), Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas, AJDA, 2007, p. 1577, chron. C. Landais et F. Lénica, etc..
(21) CE 2° et 7° s-s-r., 17 décembre 2008 (N° Lexbase : A8807EBS), LPA, 19 mai 2009, p. 13, note F. Brenet.

newsid:404371

Mesures en faveur des PME

[Questions à...] Loi du 15 octobre 2010 : la réforme de la représentativité syndicale continue - Questions à Catherine Davico-Hoarau, Avocate à la cour, Coblence & Associés

Réf. : Loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 (N° Lexbase : L1846INP)

Lecture: 5 min

N4379BQA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404379
Copier

par Sophia Pillet, SGR - Droit social

Le 04 Janvier 2011

La loi du 15 octobre 2010, complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ), est le dernier volet législatif de la réforme de la représentativité syndicale en France. Cette loi garantit la constitutionnalité de la loi du 20 août 2008 en permettant de prendre en compte la voix des 4 millions de salariés des très petites entreprises pour la mesure de l'audience des organisations syndicales sur le plan national. Pour faire le point sur ses différents enjeux et plus généralement sur la question de la réforme de la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré, cette semaine, Maitre Catherine Davico-Hoarau, Avocate à la cour, Coblence & Associés. Lexbase : Que pensez vous de la loi du 15 octobre 2010 (1) destinée à renforcer le dialogue social au sein des très petites entreprises (TPE) ?

Catherine Davico-Hoarau : La loi du 15 octobre 2010 représente le dernier pan de la réforme de la représentativité syndicale mise en place par la loi du 20 août 2008 (2), portant rénovation de la démocratie sociale, qui a cet avantage de vouloir légitimer les organisations syndicales.

En effet, avant cette loi, de nombreuses critiques s'élevaient contre les organisations syndicales, considérées comme représentatives de plein droit alors même qu'elles n'étaient que faiblement représentées... Il était donc permis de s'interroger sur la légitimité de ces organisations syndicales à signer des accords d'entreprise qui s'imposaient à la collectivité de travail, alors même qu'elles ne les représentaient pas à l'issue du scrutin.

La mesure de l'audience syndicale devrait s'achever le 20 août 2013. Dorénavant, la voix des salariés des TPE va être prise en considération dans la détermination de l'audience des organisations syndicales au niveau des branches et au niveau interprofessionnel. Le principe est de faire voter les salariés des TPE, pour déterminer l'audience réelle des organisations syndicales sur le territoire national, selon un vote, par voie électronique ou par correspondance, organisé au niveau régional.

Lexbase : On constate que les demandes, notamment de la CGPME et de l'UPA, ont été entendues puisque les commissions paritaires locales, qui devaient être à l'origine obligatoires, sont désormais facultatives. Est-ce que l'inégalité entre branches ne risque pas de s'accroître avec cette disposition ?

Catherine Davico-Hoarau : En effet, les inégalités entre branches vont persister, les branches historiques resteront toujours plus fortes.

Cependant, dorénavant rien ne sera plus gelé ! En effet, avec la loi du 20 août 2008 et celle du 15 octobre 2010, tous les 4 ans, s'organisera un nouveau scrutin électoral. Il s'agit d'un élément extrêmement positif et moteur. Les organisations syndicales devront continuellement se remettre en question et justifier de leurs actions.

En contrepartie, cette réforme crée beaucoup de désordre dans les entreprises. Le contentieux a considérablement augmenté car on assiste à une véritable "guerre" entre organisations syndicales. Il y a donc un enjeu extrêmement important pour les employeurs comme pour les organisations syndicales.

Lexbase : Constatez-vous une recrudescence du contentieux électoral ?

Catherine Davico-Hoarau : En effet, les contentieux électoraux qui avaient quasiment disparu réapparaissent. Le contentieux relatif au protocole préélectoral est très important ainsi que celui en annulation des élections, et ce à l'initiative des organisations syndicales dès qu'elles n'ont pas les résultats escomptés.

Il y a donc en pratique une recrudescence de contentieux électoraux venant majoritairement d'organisations syndicales ! On sent une réelle crispation des organisations syndicales ! Il y a tout un jeu interne, un jeu stratégique, de ces dernières dans l'entreprise par rapport au nombre de mandats qu'elles espèrent obtenir.

Lexbase : Pensez-vous que cette loi est un bon compromis pour les employeurs ?

Catherine Davico-Hoarau : Oui, tout à fait. Le mode de scrutin prévu est très bien organisé. Les employeurs ont peu de contraintes.

Ce sont les caisses de Sécurité sociale qui communiqueront les données nécessaires relatives aux entreprises employant moins de 11 salariés ainsi que les données relatives aux salariés.

Finalement, la seule obligation des employeurs est de laisser le temps nécessaire à leurs salariés pour aller voter, soit sur leur lieu de travail.

Les conditions du déroulement du scrutin seront déterminées par décret.

Lexbase : Est-ce que, selon vous, les employeurs des TPE vont inciter les salariés à aller voter ?

Catherine Davico-Hoarau : Je crains malheureusement que non, ce qui est très dommageable. En revanche, il appartiendra aux organisations syndicales et organisations patronales de faire comprendre aux salariés que leur vote a un impact aussi bien sur leur avenir, que sur leur vie sociale et professionnelle.

Nous constatons un désintérêt des salariés lors des élections professionnelles et prud'homales.

Lexbase : La loi du 15 octobre 2010 prévoit de proroger de deux ans le mandat actuel des conseillers prud'homaux, notamment pour permettre au Gouvernement de poursuivre sa réflexion sur la réforme des élections prud'homales. Avez-vous des pistes à suivre pour cette réforme ?

Catherine Davico-Hoarau : Tout d'abord, je suis pour le maintien des conseils de prud'hommes !

Le problème des juges professionnels, en matière sociale, est leur méconnaissance de la vie de l'entreprise.

Je suis même favorable à l'échevinage au niveau de la cour d'appel, c'est-à-dire à une juridiction composée de magistrats professionnels, et de salariés et d'employeurs.

S'il est exact que le taux d'abstention a augmenté lors des dernières élections tant pour le collège salariés que pour le collège employeurs, ce phénomène est plus général et se constate à chaque élection, qu'il s'agisse d'un scrutin national, régional.

Cette augmentation de l'abstention est regrettable car les conseils de prud'hommes font un énorme travail. Il s'agit de magistrats très investis dans leur mission. Peut être que la solution serait d'obliger les gens à aller voter...

Lexbase : Concernant les nouvelles règles de validité des accords collectifs mises en place par la loi du 20 août 2008, voyez-vous, en pratique, une évolution ?

Catherine Davico-Hoarau : En pratique, pour les entreprises, il y a un enjeu majeur. Pour signer un accord collectif, l'entreprise doit, désormais, obtenir la signature d'organisations syndicales ayant obtenu au moins 30 % des suffrages lors des dernières élections. C'est un vrai problème car sans les 30 % il n'y a pas d'accord. C'est un enjeu important !

Les entreprises ont donc tout intérêt à avoir des organisations syndicales qui ont une certaine légitimité.

En contrepartie de la majorité de 30 % requise, le droit d'opposition ne peut être exercé que par des organisations syndicales ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections. Il est donc plus difficile d'exercer le droit d'opposition. Je trouve que ces dispositions sont assez équilibrées.

Notre principal souci, durant la période transitoire, concerne le cas d'entreprises qui n'avaient pas dépouillé les scrutins lors du premier tour des dernières élections professionnelles et où donc on ne pouvait pas apprécier l'audience syndicale (3).

Lexbase : A terme que pensez-vous d'une majorité qui passerait à 50 % ?

Catherine Davico-Hoarau : Cela sera plus difficile. C'est un seuil très élevé. Je pense que l'on manque actuellement de recul et de statistiques pour d'ores et déjà voir quels accords ont été signés et avec quelle audience syndicale. Dans certaines entreprises, on assiste aujourd'hui à de grosses surprises concernant des organisations syndicales phares. Par exemple, la CGT, en perte d'audience, n'est plus forcément représentative dans certaines entreprises. Nous nous apercevons également que la CFTC est en perte de vitesse.

Certains syndicats comme SUD et UNSA gagnent, au contraire, des voix.

La loi du 20 août 2008 et désormais la loi du 15 octobre 2010 donnent une légitimité aux organisations syndicales et encadrent plus strictement les conditions de désignation d'un délégué syndical, il faut que ce soit un candidat ayant obtenu au moins 10 % des votes. Avant, la désignation n'était pas forcément légitime et les organisations syndicales désignaient n'importe quel salarié. Cela donne également une rigueur au fonctionnement des organisations syndicales.


(1) Loi n° 2010-1215, du 15 octobre 2010, complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L1846INP).
(2) Loi n° 2008-789, du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).
(3) Sur cette question, C. trav., art. L. 2232-12 (N° Lexbase : L3770IBA) ; V. la jurisprudence antérieure, Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-60.345, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1160DT7) et les obs. de G. Auzero, Impossibilité de déterminer les syndicats majoritaires en l'absence de quorum au premier tour des élections professionnelles, Lexbase Hebdo, n° 243 du 11 janvier 2007- édition sociale (N° Lexbase : N7208A9T).

Pour mieux comprendre l'enjeu de la loi du 15 octobre 2010, relative au dialogue social au sein des TPE, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose un récapitulatif des principales dispositions apportées.

Mesures relatives à... Anciennes dispositions Nouvelles dispositions
Mesure de l'audience au niveau des branches C. trav., art. L. 2122-5 :

Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui :

1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ;

2° Disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ;

3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau de la branche, d'une part, des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, additionnés au niveau de la branche. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans.

C. trav., art. L. 2122-5 (N° Lexbase : L1857IN4) :

Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui :

1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ;

2° Disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ;

3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau de la branche, d'une part, des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, et, d'autre part, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans.

Mesure de l'audience au niveau national et interprofessionnel C. trav., art. L. 2122-9 :

Sont représentatives au niveau national et interprofessionnel les organisations syndicales qui :

1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ;

2° Sont représentatives à la fois dans des branches de l'industrie, de la construction, du commerce et des services ;

3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, additionnés au niveau de la branche. Sont également pris en compte les résultats de la mesure de l'audience prévue à l'article L. 2122-6, s'ils sont disponibles. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans.

C. trav., art. L. 2122-9 (N° Lexbase : L1859IN8) :

Sont représentatives au niveau national et interprofessionnel les organisations syndicales qui :

1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ;

2° Sont représentatives à la fois dans des branches de l'industrie, de la construction, du commerce et des services ;

3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau national et interprofessionnel des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau national et interprofessionnel des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants ainsi que des suffrages exprimés aux élections des membres représentant les salariés aux chambres départementales d'agriculture dans les conditions prévues à l'article L. 2122-6. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans.

Electorat Aucune disposition C. trav., art. L. 2122-10-2 (N° Lexbase : L1871INM) :

Sont électeurs les salariés des entreprises qui emploient moins de onze salariés au 31 décembre de l'année précédant le scrutin, titulaires d'un contrat de travail au cours de ce mois de décembre, âgés de seize ans révolus et ne faisant l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques.

C. trav., art. L. 2122-10-4 (N° Lexbase : L1869INK) :

La liste électorale est établie par l'autorité compétente de l'Etat. Les électeurs sont inscrits dans deux collèges, d'une part un collège "cadres , d'autre part un collège "non cadres , en fonction des informations relatives à l'affiliation à une institution de retraite complémentaire portées sur les déclarations sociales des entreprises, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Eligibilité Aucune disposition C. trav., art. L. 2122-10-6 (N° Lexbase : L1867INH) :

Les organisations syndicales de salariés qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans et auxquelles les statuts donnent vocation à être présentes dans le champ géographique concerné, ainsi que les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel se déclarent candidats auprès des services du ministre chargé du travail dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.

Scrutin Aucune disposition C. trav., art. L. 2122-10-7 (N° Lexbase : L1866ING) :

Le scrutin a lieu par voie électronique et par correspondance. Lorsqu'il n'en dispose pas, l'employeur n'a pas l'obligation de mettre à la disposition des salariés le matériel informatique permettant le vote par voie électronique.

C. trav., art. L. 2122-10-1 (N° Lexbase : L1872INN) :

En vue de mesurer l'audience des organisations syndicales auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés, à l'exception de ceux relevant des branches mentionnées à l'article L. 2122-6, un scrutin est organisé au niveau régional tous les quatre ans. Ce scrutin a lieu au cours d'une période fixée par décret.

Contentieux Aucune disposition C. trav., art. L. 2122-10-11 (N° Lexbase : L1862INB) :

Les contestations relatives au déroulement des opérations électorales sont de la compétence du juge judiciaire dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

newsid:404379

Droit de la famille

[Jurisprudence] De la constitutionnalité de l'article 365 du Code civil

Réf. : Cons. const., 6 octobre 2010, n° 2010-39 QPC (N° Lexbase : A9923GAR)

Lecture: 8 min

N4414BQK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404414
Copier

par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut Rochelais de Formation Juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Dans la bataille les opposant aux pouvoirs publics, les partisans de l'adoption au sein du couple homosexuel viennent de subir une défaite cuisante.
En effet, le Conseil constitutionnel, saisi le 9 juillet 2010 par la Cour de cassation (1) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mmes Isabelle D. et Isabelle B., à l'occasion d'un pourvoi en cassation formé contre un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 1er octobre 2009 (2), a solennellement déclaré que l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L2884ABG) était conforme à la Constitution.
Plus précisément, le Conseil a considéré que l'interprétation jurisprudentielle de cet article, en ce qu'elle a pour effet d'interdire, en principe, l'adoption de l'enfant mineur du partenaire pacsé ou du concubin, n'est contraire ni au droit de mener une vie familiale normale, qui n'implique pas le droit à l'établissement d'une filiation adoptive, ni au principe d'égalité, le maintien par le législateur d'une différence de traitement entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas étant justifié.
A n'en pas douter, cette décision fera couler beaucoup d'encre. Certains diront qu'elle est empreinte de sagesse car la législation familiale est ainsi préservée des assauts répétés de la communauté homosexuelle ; d'autres y verront le signe d'un certain conservatisme à l'heure où la Cour européenne de droits de l'Homme se montre plus clémente envers une minorité en quête d'égalité (3). Loin de nous l'idée de rentrer dans ce débat stérile puisque les points de vue sont radicalement opposés, pour ne pas dire inconciliables. Cependant, chacun saluera la sauvegarde des prérogatives du Parlement dès lors que le Conseil constitutionnel reconnaît qu'il n'est pas compétent pour trancher une question de société qui, par nature, est éminemment politique. Qu'il soit permis d'en juger en examinant successivement le contexte (I) et le contenu (II) de la décision du 6 octobre 2010.

I - Le contexte de la décision

Afin de mieux comprendre la décision du Conseil constitutionnel, il convient de rappeler le contexte légal (A) et jurisprudentiel (B) en vigueur.

A - Le contexte légal

La lettre de l'article 365 du Code civil. Issu de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966, portant réforme de l'adoption, entrée en vigueur le 1er novembre 1966, l'article 365 du Code civil n'a été modifié qu'une seule fois avec l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002, relative à l'autorité parentale (N° Lexbase : L4320A4R). Ce texte opère un transfert de tous les droits d'autorité parentale au profit de l'adoptant. C'est lui, notamment, qui consent au mariage de l'adopté. Les parents biologiques sont donc privés de toute prérogative en la matière. Par exemple, ils ne peuvent pas contester les décisions prises par l'adoptant relativement à l'éducation du mineur (4). Toutefois, si l'adoptant est le conjoint du père ou de la mère de l'adopté, il dispose de l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe aux fins d'un exercice en commun.

La portée de l'article 365 du Code civil. L'article 365 n'a donc pas pour objet d'interdire l'adoption de l'enfant du partenaire ou du concubin, qu'il soit ou non de même sexe. La preuve en est que l'adoption de l'enfant du concubin, qu'il soit de même sexe ou non, ne rencontre pas l'obstacle de ce texte lorsque l'enfant adopté est majeur. Cependant, l'article 365 du Code civil a cet effet lorsque l'adopté est mineur, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation quant à l'intérêt de l'enfant.

B - Le contexte jurisprudentiel

L'hostilité des juridictions du fond. Fortement attachées à la conception traditionnelle de la famille, les juridictions du fond sont généralement peu enclines à valider les adoptions simples prononcées au sein de couples homosexuels.
Les juridictions administratives décident, de manière constante, que malgré les qualités humaines, psychologiques et éducatives des candidats homosexuels à l'adoption, leurs conditions de vie faisaient obstacle à la délivrance d'agrément (5). Le Conseil d'Etat précise, cependant, que refuser l'agrément à une personne qui souhaite adopter au seul motif qu'elle est homosexuelle est illicite car constitutif d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle du requérant. En effet, le juge administratif sanctionne les positions de principe hostiles aux homosexuels (6) : ce n'est pas le "choix de vie" qui doit être pris en compte mais les "conditions de vie" du demandeur, étant entendu que le fait d'être homosexuel n'est pas un "choix de vie" à proprement parler !

Quant aux juridictions judiciaires, elles ont pu adopter des positions diamétralement opposées sur des faits similaires. Ainsi, selon la cour d'appel de Bourges, l'adoption de la partenaire de la mère naturelle est conforme à l'intérêt de l'enfant, car les deux femmes l'élèvent dans des conditions matérielles et morales propices à son épanouissement (7). A l'inverse, selon la cour d'appel de Paris, l'adoption simple, qui a pour effet de priver la mère biologique de ses droits d'autorité parentale, doit être rejetée comme contraire à l'intérêt des enfants (8).

La fermeté de la Cour de cassation. La Cour de cassation refuse la création d'un lien de filiation par adoption simple entre l'enfant et le partenaire homosexuel de son parent biologique. Cette position de principe remonte à un arrêt du 20 février 2007 : "l'adoption simple réalisant un transfert des droits d'autorité parentale à l'adoptante, elle n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant dès lors que la mère biologique entend continuer à élever cet enfant" (9). Il en résulte que l'adoption d'un enfant mineur au sein du couple n'est possible que si le couple est marié.

Selon une réponse ministérielle du 12 octobre 2010 (10), cette solution n'a pas été remise en cause par les deux arrêts rendus le 8 juillet 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation (11). D'un côté, il s'agissait d'une demande de délégation avec partage de l'autorité parentale, distincte de l'adoption ; de l'autre, la Cour de cassation "a fait une stricte application des règles du droit international privé en reconnaissant une décision judiciaire étrangère prononcée conformément au droit interne du pays concerné qui 'ne heurte pas les principes essentiels du droit français'", de sorte que "l'exequatur de cette décision n'emporte aucune modification du droit interne français". Autant dire que l'intérêt supérieur de l'enfant continue de supplanter le désir profond d'enfant, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi !

II - Le contenu de la décision

Même si l'article 365 du Code civil s'oppose à l'adoption de l'enfant mineur du partenaire ou du concubin, le Conseil constitutionnel juge qu'il est conforme à la Constitution (A). Faut-il en conclure que les jeux sont faits ? Rien n'est moins sûr (B).

A - La conformité à la Constitution

Selon les requérantes, l'article 365 du Code civil méconnaît non seulement le principe d'égalité devant la loi mais également le droit à une vie familiale normale dans la mesure où elle fait obstacle à la "reconnaissance juridique d'un lien social de filiation qui préexiste". Ces deux arguments sont balayés par le Conseil constitutionnel.

Le respect du droit à mener une vie familiale normale. Le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 365 du Code civil, en ce qu'il a pour effet d'interdire en principe l'adoption de l'enfant mineur du partenaire ou du concubin, ne porte pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale qui n'implique pas le droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive. Son raisonnement procède en deux temps. D'une part, le Conseil a estimé que l'article 365 ne faisait pas obstacle à la liberté de vivre avec la personne de son choix et qu'elle ne faisait pas davantage obstacle à ce que le parent biologique associe son concubin ou son partenaire à la vie de l'enfant. D'autre part, le Conseil a considéré que l'existence des liens tissés par la vie commune ne crée pas un droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive. L'adoption est une possibilité justifiée par l'intérêt de l'enfant, non un droit. Ainsi, le droit de mener une vie familiale n'implique pas qu'une personne, parce qu'elle a participé à l'éducation d'un enfant et qu'elle s'est liée à lui par des liens d'affection, si forts soient-ils, ait le droit de voir établir un lien de filiation adoptif.

Le respect du principe d'égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel a relevé que, dans l'exercice de sa compétence pour définir les règles du droit de la famille, le législateur avait estimé que la différence de situation entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas pouvait justifier, dans l'intérêt de l'enfant, une différence de traitement quant à l'établissement de la filiation adoptive à l'égard des enfants mineurs. Or, selon la jurisprudence constante du Conseil, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (12).

Cela étant, les Sages rappellent qu'il ne leur appartient pas de substituer leur appréciation à celle du Parlement. Juger si, oui ou non, il existe un motif d'intérêt général pour interdire l'établissement d'un double lien de filiation de même sexe à l'égard d'un mineur ou juger si, oui ou non, la différence de situation entre couple de même sexe et couple de sexe différent, que nul ne conteste, est en lien direct avec l'intérêt de l'enfant, et peut justifier une différence de traitement appliquée à l'établissement du lien de filiation à l'égard de l'enfant mineur, consiste à prendre position dans un débat éthique, scientifique et, en définitive, politique sur l'homoparentalité. Et c'est précisément ce terrain que le Conseil constitutionnel entend éviter afin de ne pas empiéter sur les prérogatives du Parlement.

Mais en renvoyant la balle au législateur, le Conseil ne met-il pas fin aux espoirs de dizaines de milliers de familles homoparentales ? Seul l'avenir nous le dira....

B - Les perspectives d'évolution

Une évolution législative improbable. La question de l'homoparentalité constitue l'archétype de la question de société dont la réponse, en France, appartient au législateur. Or, ce dernier a toujours maintenu l'article 365 du Code civil. Il est vrai que, lors de son adoption en 1966, le mariage était considéré comme le modèle et la forme quasi exclusive de la vie familiale. Moins de 5 % des enfants naissaient hors mariage et la question du statut juridique des couples non mariés élevant des enfants ne se posait pas encore.

Les tentatives tendant à modifier la disposition législative litigieuse ont toutes échoué. Sous les XIIème et XIIIéme législatures, des amendements visant un partage de l'autorité parentale lors d'une adoption au sein de couples non mariés ont été déposés, sans succès, à l'occasion de projets de loi touchant au droit de la famille (13). Des propositions de loi similaires ont également été rejetées (14). Seul un changement de majorité parlementaire ou un référendum pourrait inverser cette tendance...

Une réponse européenne incertaine. Dans un arrêt du 31 août dernier (15), la Cour européenne des droits de l'Homme à jugé recevable la requête de deux Françaises qui avaient saisi les juges strasbourgeois d'une violation des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la Convention pour un refus d'adoption simple de l'enfant, par le second parent de même sexe. Les requérantes ont fait valoir que les personnes homosexuelles, qui ne peuvent se marier, n'ont aucun moyen d'échapper à la rigueur du texte de l'article 365 du Code civil. Ainsi, un enfant élevé par un couple homosexuel ne pourra jamais être adopté par son parent de fait, même s'il vit avec lui depuis des années. Elles ont ajouté qu'une délégation d'autorité parentale, seule possibilité offerte aux couples homosexuels, n'établit aucun lien de filiation et ne permet donc aucune transmission du nom, ni du patrimoine.

Sensibles à ces arguments, la Cour a déclaré que les griefs des requérantes posaient de sérieuses questions de fait et de droit et nécessitaient un examen au fond. Même si cette décision ne préjuge en rien de la solution à venir, il va s'en dire qu'une condamnation de la France obligerait le législateur à toiletter un texte vieux de près de quarante-cinq ans, pour le mettre en adéquation avec son temps.


(1) Cass. QPC, 8 juillet 2010, n° 10-10.385, F-P+B (N° Lexbase : A2176E4D).
(2) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 1er octobre 2009, n° 08/21072 (N° Lexbase : A3553ESE).
(3) CEDH, 22 janvier 2008, Req. 43546/02 (N° Lexbase : A8864D3P), et les obs. d'A. Gouttenoire, Adoption par une personne célibataire homosexuelle : la sévérité de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard de la France, Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0427BEK).
(4) Cass. civ. 1, 11 mai 1977, n° 74-15.104, publié (N° Lexbase : A0356CHN), Bull. civ. I, n° 223.
(5) CE 1° et 2° s-s-r., 5 juin 2002, n° 230533 (N° Lexbase : A8690AYI), RTDCiv., 2002, p. 611, obs. R. Libchaber.
(6) CE Contentieux, 12 février 1997, n° 161454 (N° Lexbase : A8466ADW), AJDA, 1999, p. 1033, note A. Bézard.
(7) CA Bourges, 13 avril 2006 ; dans le même sens, CA Amiens, 14 février 2007, n° 06/03761 (N° Lexbase : A7706DUX) ; TGI Paris, 27 juin 2001, D., 2001, p. 1941, obs. J.-J. Lemouland.
(8) CA Paris, 6 mai 2004 ; dans le même sens, CA Riom, 27 juin 2006.
(9) Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 06-15.647, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2676DUN), Bull. civ. I, n° 71, N. Baillon-Wirtz, Le couple homosexuel et l'homoparentalité à l'épreuve de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 254 du 29 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3857BA4) ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2007, n° 06-21.369, FS-P+B (N° Lexbase : A1286D3Z), Bull. civ. I, n° 392 : "Le partage de l'autorité parentale n'est prévu que dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint ; en l'état de la législation française, les conjoints sont des personnes unies par les liens du mariage", sur lequel lire les obs. de N. Baillon-Wirtz, L'adoption simple de l'enfant du partenaire pacsé, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N5928BDW).
(10) QE n° 84473 de Mme Marie-George Buffet, JOANQ 20 juillet 2010 p. 8035, réponse publ. 12 octobre 2010 p. 11207, 13ème législature (N° Lexbase : L2117INQ).
(11) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, deux arrêts, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I) et n° 09-12.623, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1240E4P), lire A. Gouttenoire, Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance...., Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N6436BP3), et v., également, Exequatur d'un jugement étranger prononçant l'adoption d'un enfant par un couple homoparental - Questions à Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille, Lexbase Hebdo n° 403 du 15 juillet 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N6302BP4).
(12) Cons. const., décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6284EXZ).
(13) Amendement n° 222, projet de loi relatif à la protection de l'enfant (n° 3184), Assemblée nationale, 1ère lecture ; amendement n° 18, projet de loi portant réforme de l'adoption (n° 2231), Assemblée nationale, 1ère lecture.
(14) Proposition de loi visant à aménager les conditions d'exercice de la parentalité, Assemblée nationale, XIIIème législature, n° 585, 23 janvier 2008 ; proposition de loi autorisant le partage de l'autorité parentale dans le cas de l'adoption simple de l'enfant du concubin ou du partenaire de pacte civil de solidarité, Sénat, session ordinaire 2009-2010, n° 96, 12 novembre 2009.
(15) CEDH, 31 août 2010, Req. 25951/07 (N° Lexbase : A5948E98).

newsid:404414

Avocats

[Jurisprudence] La protection de la confidentialité des communications entre un avocat interne et l'entreprise

Réf. : CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne (N° Lexbase : A1978E97)

Lecture: 7 min

N4382BQD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404382
Copier

par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut Rochelais de Formation Juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Un échange interne de vues et d'informations entre la direction d'une société et un avocat interne employé par cette dernière relève-t-il du "Legal professional privilege" (1) reconnu par le droit de l'Union européenne ? Telle est, en substance, la question posée à la CJUE dans un arrêt du 14 septembre 2010. Nonobstant la modernisation des règles de procédure en matière d'ententes opérée par le Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité (N° Lexbase : L9655A84), son importance pratique aux fins de l'application et de la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence ne saurait être sous-estimée. En effet, l'étendue des pouvoirs de vérification reconnus à la Commission dans le cadre de procédures en matière d'ententes par l'article 14 du Règlement n° 17/62 (N° Lexbase : L0186AWS) dépend de la solution retenue par la Cour. En l'espèce, la Commission européenne, en tant qu'autorité de concurrence, a ordonné à la société Akzo Nobel Chemicals et à sa filiale Akcros Chemicals de se soumettre à des vérifications visant à rechercher les preuves d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Durant l'examen des documents saisis, dans les locaux d'Akzo Nobel et d'Akcros au Royaume-Uni, un différend est survenu à propos, notamment, de deux copies écrites de courriers électroniques, échangées entre les dirigeants et un avocat interne. La Commission a considéré, en effet, que ces échanges n'étaient pas protégés par la confidentialité des communications entre avocats et clients. Par la suite, elle a rejeté la demande faite par les deux entreprises visant à obtenir la protection des documents litigieux au titre du "Legal professional privilege". Azco Nobel et Akcros ont introduit des recours à l'encontre de ces deux décisions devant le Tribunal de première instance, qui ont été rejetés par ce dernier dans son arrêt du 17 septembre 2007 (TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-125/03 N° Lexbase : A2206DYD). Les entreprises ont alors formé un pourvoi devant la CJUE contre cet arrêt, pourvoi qui a été finalement rejeté. De manière solennelle, la Cour a déclaré que, dans le domaine du droit de la concurrence, les échanges au sein d'une entreprise avec un avocat interne ne bénéficiaient pas de la confidentialité des communications entre clients et avocats.

Afin de comprendre cette solution pour le moins restrictive, il convient d'examiner successivement la protection de la confidentialité des échanges entre avocats et clients (I) et la négation de la confidentialité des communications entre l'avocat interne et son entreprise (II).

I - La protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients

Si elle reconnaît depuis de nombreuses années la confidentialité des échanges entre avocats et clients (A), la CJUE entend lui donner un champ d'application limité (B).

A - Le contenu de la protection

Une protection affirmée. La protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients constitue, en droit de l'Union, un principe général de droit ayant valeur de droit fondamental. Cela résulte, d'une part, des principes communs aux droits des Etats membres (2) : la confidentialité des communications entre avocats et clients est actuellement reconnue dans l'ensemble des 27 Etats membres de l'Union européenne. Si, parfois, sa protection résulte uniquement de la jurisprudence (3), elle est consacrée le plus souvent au niveau législatif, voire au niveau constitutionnel (4). La protection de la confidentialité entre avocats et clients est, d'autre part, également susceptible d'être tirée des articles 8, paragraphe 1 (N° Lexbase : L4798AQR ; respect de la correspondance), 6, paragraphes 1 et 3, sous c) (N° Lexbase : L7558AIR ; droit à un procès équitable), de la CESDH (5), ainsi que des articles 7 (6) (respect des communications) 47, paragraphes 1 et 2, deuxième phrase, et 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX).

Une protection justifiée. Le principe de confidentialité a pour fonction de protéger les échanges entre un client et son avocat indépendant. Il constitue, d'une part, un complément nécessaire au respect des droits de la défense reconnus au client (7) et procède, d'autre part, du rôle de l'avocat, considéré comme "collaborateur de la justice" (8), qui est appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin (9). Si l'avocat, dans le cadre d'une procédure judiciaire ou de sa préparation, était obligé de coopérer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations obtenues lors des consultations juridiques ayant eu lieu dans le cadre d'une telle procédure, celui-ci ne serait pas en mesure d'assurer sa mission de conseil, de défense et de représentation de son client de manière adéquate, et ce dernier serait par conséquent privé des droits qui lui sont conférés par l'article 6 de la CESDH, ainsi que par les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux (10).

En l'espèce, aucune partie ne contestait sérieusement l'existence elle-même du principe de confidentialité. La portée de la protection qui découle de la confidentialité des communications entre avocats et clients était, en revanche, âprement débattue.

B - L'étendue de la protection

Une protection conditionnée. Dans un célèbre arrêt "AM & S" (11), la CJCE s'est prononcée sur l'étendue de la protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients en la subordonnant à deux conditions cumulatives. D'une part, l'échange avec l'avocat doit être lié à l'exercice du "droit de la défense du client" et, d'autre part, il doit s'agir d'un échange émanant "d'avocats indépendants", c'est-à-dire "d'avocats non liés au client par un rapport d'emploi".

S'agissant de cette seconde condition, la Cour, dans son arrêt du 14 septembre 2010, observe que l'exigence relative à la qualité de l'avocat indépendant procède d'une conception du rôle de ce dernier, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de celle-ci, l'assistance légale dont le client a besoin. Il en découle que l'exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client, si bien que la protection au titre du principe de la confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes.

Une protection refusée. Pour limiter la portée du principe de confidentialité, la CJUE développe une argumentation convaincante, bien qu'à contrepied des préconisations du rapport "Darrois" de mars 2009. En dépit du fait qu'il soit inscrit au barreau et soumis aux règles professionnelles, l'avocat interne ne jouit pas à l'égard de son employeur du même degré d'indépendance qu'un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe. Nonobstant le régime professionnel applicable, l'avocat interne ne saurait, quelles qu'en soient les garanties dont il dispose dans l'exercice de sa profession, être assimilé à un avocat externe du fait de la situation de salariat dans laquelle il se trouve, situation qui par sa nature même, ne lui permet pas de s'écarter des stratégies commerciales poursuivies par son employeur et met ainsi en cause sa capacité à agir dans une indépendance professionnelle. Par ailleurs, l'avocat interne peut être appelé à exercer d'autres tâches, à savoir, comme en l'espèce, celle de coordinateur pour le droit de la concurrence, qui peuvent avoir une incidence sur la politique commerciale de l'entreprise. Or, de telles fonctions ne peuvent que renforcer les liens étroits de l'avocat avec son employeur.

Dans ces conditions, la Cour juge que, du fait tant de la dépendance économique de l'avocat interne que des liens étroits avec son employeur, il ne jouit pas d'une indépendance professionnelle comparable à celle d'un avocat externe (12). Il s'ensuit que le Tribunal de première instance n'a pas commis d'erreur de droit quant à la seconde condition du principe de la confidentialité énoncée dans l'arrêt "AM & S".

Par ailleurs, la CJUE, répondant à l'argument d'Akzo Nobel Chemicals et de sa filiale selon lequel les droits nationaux auraient évolué en la matière, affirme qu'aucune tendance prépondérante en faveur d'une protection de la confidentialité des communications au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes ne peut être dégagée en ce qui concerne les ordres juridiques des Etats membres. En conséquence, elle décide que la situation juridique actuelle au sein des Etats membres ne justifie pas d'envisager un développement de la jurisprudence dans le sens d'une reconnaissance, aux avocats internes, du bénéfice de la protection de la confidentialité. De même, il est précisé que l'évolution de l'ordre juridique de l'Union et la modification des règles de procédure en matière de droit de la concurrence par le Règlement CE n° 1/2003 du 16 décembre 2002, ne saurait justifier un revirement de la jurisprudence de la Cour établie par l'arrêt "AM & S".

Cela étant, il reste à déterminer les conséquences juridiques de la négation de la confidentialité des échanges entres l'avocat interne et son entreprise.

II - La négation de la confidentialité des communications entre avocats internes et entreprises

Selon la CJUE, la correspondance échangée entre une entreprise et des avocats internes, employés par ladite entreprise ou le groupe auquel elle appartient, ne relève pas de la protection conférée par le principe de confidentialité. Cette solution ne viole ni le principe d'égalité de traitement (A), ni le principe de la sécurité juridique (B).

A - Une négation compatible avec le principe d'égalité

La consécration du principe. Le principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination constitue un principe général du droit de l'Union (13), désormais consacré aux articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux. Ce même principe figure également à l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) ainsi que dans le protocole additionnel n° 12 à la CESDH, cité à titre complémentaire par certaines parties à la procédure.

Selon une jurisprudence constante, le principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (14). Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l'objet et du but de l'acte qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l'acte en cause (15).

La préservation du principe. Dans notre affaire, la CJUE tient compte du statut professionnel de l'avocat, en tant que juriste d'entreprise, pour dénier toute violation du principe d'égalité de traitement. Il faut dire que le degré respectif d'indépendance d'un avocat exerçant à titre indépendant et/ou au sein d'un cabinet, d'une part, et d'un avocat interne, d'autre part, diffère sensiblement en matière de conseil juridique ou de représentation contentieuse. Du fait de son indépendance nettement moindre, l'avocat interne rencontre davantage de difficultés pour remédier efficacement à un conflit d'intérêts entre ses obligations professionnelles et les objectifs et souhaits de son entreprise. En d'autres termes, la Cour juge que son interprétation ne viole pas le principe d'égalité de traitement dans la mesure où l'avocat interne se trouve dans une situation fondamentalement différente de celle d'un avocat externe.

B - Une négation compatible avec le principe de sécurité

La signification du principe. Le principe de sécurité juridique constitue un principe général et fondamental du droit de l'Union (16). Ce principe exige, en particulier, qu'une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l'égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables (17). Autrement dit, les particuliers doivent pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations, et prendre leurs dispositions en conséquence (18). Transposé aux circonstances du cas d'espèce, cela signifie que les entreprises dont les locaux font l'objet d'une perquisition à l'initiative d'une autorité de concurrence, dans le cadre d'une enquête en matière d'ententes, doivent être en mesure de savoir si elles sont en droit d'invoquer ou non la protection de la confidentialité des communications entre avocats internes et leur entreprise ou une entreprise du même groupe.

La préservation du principe. Dans l'arrêt commenté, la Cour considère que le principe de sécurité juridique n'impose pas de recourir, pour les procédures d'enquête au niveau national et celles menées par la Commission, à des critères identiques en ce qui concerne la confidentialité des communications entre avocats et clients. Par conséquent, le fait que, dans le cadre d'une vérification menée par la Commission, la protection est limitée aux échanges avec les avocats externes ne porte aucune atteinte à ce principe.


(1) Cette expression anglo-saxonne renvoie à la confidentialité des communications entre avocats et clients.
(2) V. TPICE, 4 avril 1990, aff. T-30/89, Hilti Aktiengesellschaft c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2587AWQ), points 13 et 14.
(3) Tel est le cas au Royaume-Uni et en Irlande, où les systèmes juridiques sont inspirés du "common law".
(4) La protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients a valeur constitutionnelle, notamment, en Bulgarie (article 30, paragraphe 5, de la Constitution bulgare) et en Espagne (article 24, paragraphe 2, de la Constitution espagnole) ; elle est rattachée à des dispositions légales ayant valeur constitutionnelle, en particulier, en Italie, au Portugal, en Roumanie, ainsi qu'en Suède.
(5) La Cour européenne des droits de l'Homme ne se réfère toutefois, dans sa jurisprudence, généralement qu'au seul article 8 de la CESDH. Voir, par exemple, CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, A. et autre c/ France (N° Lexbase : A8281D9L).
(6) V. CJCE, 27 juin 2006, aff. C-540/03, Parlement européen c/ Conseil de l'Union européenne (N° Lexbase : A0119DQH), point 38.
(7) V. CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes, quest. préj. (N° Lexbase : A5944AUP), points 20 et 23.
(8) L'expression "Mitgestalter der Rechtspflege" (collaborateur de la justice) est utilisée par la Cour dans l'arrêt "AM & S".
(9) V. CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396, N. c/ Allemagne (N° Lexbase : A6532AWT), § 37.
(10) V. CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone c/ Conseil des ministres (N° Lexbase : A9284DWR), point 32.
(11) V. CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, préc..
(12) Il en va différemment si un avocat salarié exerce des activités pour des clients externes, qui ne sont pas liés à son employeur, en sus de celles au sein du service juridique d'une entreprise ou d'un groupe. Les échanges avec de tels clients externes bénéficient de la protection de la confidentialité, puisque l'avocat salarié est indépendant à leur égard.
(13) CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-334/03, Commission des Communautés européennes c/ République portugaise (N° Lexbase : A9687DKY), point 24.
(14) CJCE, 7 juillet 2009, aff. C-558/07, S.P.C.M. SA c/ Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs (N° Lexbase : A6210EIT), point 74.
(15) CJCE, 16 décembre 2008, aff. C-127/07, Société Arcelor Atlantique et Lorraine e. a. c/ Premier ministre (N° Lexbase : A8256EBE), point 26.
(16) CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-201/08, Plantanol GmbH & Co. KG c/ Hauptzollamt Darmstadt (N° Lexbase : A8886EKC), points 43 et 44.
(17) CJCE, 14 janvier 2010, aff. C-226/08, Stadt Papenburg c/ Bundesrepublik Deutschland (N° Lexbase : A2661EQM), point 45.
(18) CJCE, 10 mars 2009, aff. C-345/06, Gottfried Heinrich (N° Lexbase : A6523EDX), point 44.

newsid:404382

Sociétés

[Questions à...] Quand la cour d'appel de Versailles renforce l'efficacité des pactes d'actionnaires - Questions à Maître Bruno Cavalié, Avocat associé, Cabinet Racine, et Antoine Hontebeyrie, Avocat associé, Cabinet Racine, Professeur agrégé des facultés de droit

Réf. : CA Versailles, 14ème ch., 27 juillet 2010, n° 10/00559 (N° Lexbase : A4674E7A)

Lecture: 7 min

N4362BQM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3211250-edition-n-414-du-28102010#article-404362
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 04 Janvier 2011

Si les statuts de sociétés sont assurément le lieu privilégié de l'organisation des rapports entre associés, ils n'en ont pas le monopole. Souvent, et ce essentiellement dans les sociétés par actions, certains actionnaires concluent entre eux un pacte afin d'organiser la gestion de la société ou la détention de son capital. Ces pactes d'actionnaires ont, la plupart du temps, pour objectif d'assurer la protection des intérêts convergents de leurs signataires ou le respect d'un certain équilibre. Aujourd'hui largement utilisées, ces conventions, au contenu le plus divers, présentent les avantages indéniables de la discrétion et de la souplesse inhérente à la liberté contractuelle qui les anime. La validité des pactes extrastatutaires ne fait aucun doute, encore qu'il faille qu'ils respectent les règles impératives aux droits des sociétés et le principe de primauté des statuts. Toutefois, leur régime n'est pas si limpide qu'il y paraît ; comme tout contrat, l'interprétation des clauses qu'ils contiennent peut s'avérer être un exercice ardu, de même la sanction attachée à leur inexécution peut être source d'interrogation juridique. En témoigne un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 27 juillet 2010, relatif à un pacte de non-acquisition et dans lequel les juges versaillais rendent une décision très intéressante concernant notamment la sanction de la violation. Pour faire le point sur cet arrêt Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Bruno Cavalié, Avocat associé, Cabinet Racine, et Maître Antoine Hontebeyrie, Avocat associé, Cabinet Racine, Professeur agrégé des facultés de droit.

Lexbase : La cour d'appel de Versailles a rendu, le 27 juillet 2010, un arrêt intéressant les pactes d'actionnaires. Le litige, qui opposait deux sociétés, S. E. et S. F., à une société V., portait notamment sur la sanction susceptible d'être prononcée en cas de violation d'un tel pacte. Le Cabinet Racine défendait les sociétés S. E. et S. F.. Pouvez-vous nous exposer les termes du litige ?

Antoine Hontebeyrie et Bruno Cavalié : Oui. A titre liminaire, cependant, nous devons vous préciser que la société V. a formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Les propos qui vont suivre s'entendent donc, évidemment, avec toutes les réserves qu'impose l'instance actuellement pendante et le respect qui est dû à la Haute juridiction.

A la fin des années soixante, les sociétés S. et V. entrent à parité dans le capital de la société E. ayant pour activité le traitement des déchets industriels et ménagers dans le nord de la France, marché dans lequel elle jouait -et joue encore- un rôle stratégique. Ayant progressivement augmenté leurs participations, toujours à parité, pour devenir les principaux actionnaires, ces deux sociétés sont détentrices, en 1992, chacune de 45 % environ du capital.
Toujours en 1992, intervient un pacte aux termes duquel les deux sociétés, S. et V., promettent à M. X, minoritaire, de lui acquérir ses titres.
Ces mêmes sociétés concluent, en 1994, un protocole formalisant la gouvernance paritaire de la société E. telle qu'elle existait déjà depuis longtemps.
Quelques années plus tard, en 1999, un avenant à ce protocole d'accord intervient, qui rappelle le principe historique de parité, précise que M. X est titulaire de 10 % des actions, et ajoute que les parties s'interdisent réciproquement d'acquérir seules les actions de ce dernier, ce dans le but de maintenir la parité capitalistique.

Postérieurement, la société S. cède sa participation moins une action dans le capital de la société E. à la société S. F., la cédante étant par ailleurs absorbée quelques années plus tard par la société S. E..
En 2009, la société S. F. apprend que la société V. a acquis auprès des autres actionnaires la quasi totalité des actions restantes, portant sa participation à 54 % environ.

Un litige s'ensuit, dans lequel se posent, notamment, les trois questions de droit suivante :
- la recevabilité de l'action en justice de la société S. F., puisque la société V. soutenait que, non signataire du pacte, elle ne pouvait s'en prévaloir ;
- la portée du pacte de non-acquisition, la société V. estimant qu'il ne visait que les actions détenues par le fondateur et non par les autres minoritaires ;
- la sanction de la violation du pacte de non-acquisition, la société S. F. sollicitant la rétrocession de la moitié des titres acquis par V..

Lexbase : La cour d'appel de Versailles, comme le tribunal de commerce de Nanterre (1) en première instance, a retenu la recevabilité de l'action de la société S. F.. Sur quel fondement ?

Antoine Hontebeyrie et Bruno Cavalié : Comme nous vous le rappelions précédemment, la société S. F. n'est pas signataire du pacte, puisque le protocole d'accord et son avenant ont été signés entre la société S. et la société V.. La société V. en déduisait que l'action en justice de S. F. était irrecevable.

S. F. objectait que, s'étant vu transmettre la quasi-totalité des actions de E., elle avait nécessairement recueilli les actes qui en étaient l'accessoire, dont l'avenant. C'est la théorie dite de l'"intuitu rei" : les droits et actions attachés à une chose déterminée (en l'occurrence les actions) doivent suivre cette chose lorsqu'elle vient à être transmise.

Il s'agit d'un mécanisme comparable à celui qui joue dans le domaine de la garantie des vices cachés : le sous-acquéreur est recevable à exercer l'action en garantie des vices cachés contre le vendeur originaire (cf., Cass. civ. 3, 7 mars 1990, n° 88-15.668 N° Lexbase : A3787AHQ).

S. E. est néanmoins intervenue dans le procès dès la première instance, à toutes fins utiles.

L'arrêt de la cour d'appel de Versailles, confirmant la décision du tribunal, s'est situé dans la logique de l'"intuitu rei" pour déclarer recevable l'action de S. F., retenant notamment que le signataire du pacte avait "nécessairement cédé [à la société cessionnaire] le contenu de l'accord sur les modalités de gouvernance [...] qui constituent l'accessoire de ladite cession d'actions".

Lexbase : Comme vous nous l'exposiez précédemment, la société V. soutenait que le pacte ne pouvait s'appliquer qu'aux actions du fondateur. Pourtant la cour d'appel en a décidé autrement.

Antoine Hontebeyrie et Bruno Cavalié : En effet. L'avenant stipulait que les parties s'interdisaient d'acquérir seules les actions de M. X, lequel était présenté comme détenteur de 10 % du capital. Or, dans les faits, M. X détenait un peu moins de 10 %. La société V. en déduisait qu'en tout état de cause, seules les actions de M. X. pouvaient être concernées par l'interdiction. De son côté, S. F. et S. E. soutenaient qu'il s'induisait nécessairement de la référence exprès de l'avenant à une participation de 10 % et du but poursuivi par les parties, à savoir le maintien de la parité capitalistique, que l'interdiction portait sur les 10 % eux-mêmes, peu important qu'une partie de ces 10 % soit détenue par d'autres personnes. S'ajoutaient d'autres arguments d'ordre factuel tenant, notamment, au fait qu'historiquement, le nom "X" avait toujours été considéré par les parties comme mentionnant l'ensemble des minoritaires.

L'arrêt de la cour d'appel s'est également situé dans cette logique, retenant, comme le tribunal, que l'avenant portait sur les 10 % minoritaires et non sur les titres de M. X individuellement considéré. Dès lors qu'une ambiguïté existait quant au périmètre de l'interdiction (10 % ou les titres de M. X), la cour a fait usage de son pouvoir d'interprétation. Elle a alors jugé qu'au regard du but poursuivi par les parties (maintenir la parité capitalistique) et de divers éléments de fait qui éclairaient leur intention, ladite interdiction portait bien sur les 10 % dans leur ensemble.

Lexbase : Comment les juges ont-il sanctionné la violation du pacte ?

Antoine Hontebeyrie et Bruno Cavalié : La société V. soutenait que, quand bien même la société S. F. pourrait se prévaloir du pacte de non-acquisition et quand bien même il porterait sur les 10 %, ce pacte devrait en tout état de cause se résoudre en dommages-intérêts, c'est-à-dire par l'attribution d'une indemnité au bénéfice de S. F.. Elle invoquait notamment en ce sens l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), aux termes duquel l'obligation de faire se résout en dommages-intérêts. Elle pointait également une clause de l'avenant stipulant qu'une acquisition faite en violation de l'interdiction serait sanctionnée par la nullité. Elle faisait par ailleurs valoir que l'attribution de la moitié des actions aurait pour effet de porter la participation de S. F. à un quantum plus élevé que celui qui était le sien initialement, ce qui, selon elle, contrevenait aux principes de la responsabilité civile imposant un retour au statu quo ante.

De son côté, S. F. soutenait que la violation du pacte devait se résoudre en nature, par le partage des actions acquises par V., donc par la rétrocession de la moitié de ces actions. Selon elle, cette obligation de rétrocession s'évinçait nécessairement de l'avenant lui-même. En s'interdisant d'acquérir seules pour maintenir la parité, les parties sont implicitement mais nécessairement convenues que, dans l'hypothèse où l'une d'elles acquerrait seule des actions, elle devrait en rétrocéder la moitié à l'autre partie. Elle ajoutait que la clause prévoyant la nullité corroborait cette obligation puisqu'attestant la volonté des parties maintenir la parité capitalistique en toute hypothèse, étant précisé que cette nullité ne pouvait être prononcée qu'en cas de mauvaise foi des cédants, laquelle n'était pas établie. En outre, S. F. faisait valoir qu'en tout état de cause, la rétrocession s'imposait au regard des principes gouvernant la responsabilité civile en matière de réparation en nature, et notamment de l'article 1143 du Code civil (N° Lexbase : L1243ABN) aux termes duquel le créancier d'une obligation de ne pas faire a le droit de demander la destruction de ce qui a été fait par contravention à l'engagement. Elle observait, enfin, que le retour au statu quo ante imposait précisément, en l'occurrence, de rétablir la parité, ce qui ne pouvait se faire qu'avec la rétrocession de la moitié des actions.

L'arrêt de la cour d'appel s'est également situé sur ce terrain, relevant, en substance, que l'obligation de rétrocession s'évinçait nécessairement du pacte et résultait au demeurant de l'article 1143 du Code civil ; elle a donc condamné la société V. sous astreinte à rétrocéder la moitié des actions litigieuses.

Lexbase : Quel est selon vous l'apport de cet arrêt ?

Antoine Hontebeyrie et Bruno Cavalié : La solution retenue par la cour d'appel de Versailles revêt, à notre sens, un intérêt à la fois théorique et pratique.

D'abord, en ce qui concerne le droit des contrats et de la responsabilité, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur la question de savoir si un cocontractant victime d'une inexécution doit se contenter de dommages-intérêts ou peut au contraire exiger une exécution ou une réparation en nature. L'arrêt opte, dans la présente affaire, pour la seconde solution. Cette décision est donc à replacer dans le débat "exécution ou réparation en nature versus article 1142 du Code civil". Il vient conforter le sentiment que l'exécution en nature a "le vent en poupe", comme en témoignent plusieurs décisions de jurisprudence rendues récemment, ainsi que les perspectives de réforme du droit des contrats actuellement en gestation.

Mais l'arrêt présente l'intérêt supplémentaire de faire application de cette solution à un pacte d'actionnaires. Les exemples en sont rares. Et, à notre connaissance, c'est la première fois qu'une cour d'appel se prononce en ce sens s'agissant d'un pacte de non-acquisition. L'efficacité des pactes d'actionnaires s'en trouve incontestablement consolidée. Sur un plan plus général, cette solution renforce, nous semble-t-il, la foi que les cocontractants peuvent accorder à la parole donnée, y compris dans le monde des affaires où la prévisibilité compte peut-être plus que tout.


(1) T. com. Nanterre, 22 janvier 2010, aff. n° 2009F03289 (N° Lexbase : A4804E4P).

newsid:404362

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.