La lettre juridique n°284 du 6 décembre 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'expertise biologique est de droit en matière de filiation

Réf. : Ass. plén., 23 novembre 2007, n° 06-10.039, M. Bernard Romero c/ M. Bernard Trouillet, P+B+R+I (N° Lexbase : A9299DZG)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Nul n'ignore que, en matière de filiation, deux vérités sont concevables. La première vérité est, bien sûr, la vérité biologique qui renvoie au lien existant entre l'enfant et son géniteur : c'est la vérité du sang, la vérité scientifique. Elle présente la caractéristique, du point de vue du fond, d'être unique (le lien de sang ne relie l'enfant qu'à un seul homme et à une seule femme) et immuable (en ce sens que ce lien est définitif). Du point de vue de la preuve, alors qu'il a longtemps été beaucoup plus facile d'établir ce lien à l'égard de la mère qu'à l'égard du père, la maternité présentant des signes extérieurs visibles, les empreintes biologiques et génétiques permettent aujourd'hui, on le verra, de révéler, également, le lien du sang à l'égard du père comme à l'égard de la mère. A côté de cette vérité biologique, froide, une autre vérité doit être prise en compte : la vérité sociologique, affective, celle du coeur, qui renvoie, elle, au lien existant entre l'enfant et celui qui l'élève. Contrairement à la vérité biologique, la vérité sociologique peut être plurielle et changeante et, du point de vue de la preuve, paraît aujourd'hui plus difficile à établir qu'auparavant dans une société urbaine, individualiste et mobile. Le droit de la filiation accueille ces deux vérités, la prise en compte de la possession d'état permettant de faire une place à la vérité sociologique ou affective. Hormis l'hypothèse dans laquelle la mère exigerait que les secrets de son accouchement et de son identité soient conservés et, donc, choisirait, comme le lui permet l'article 341-1 du Code civil (N° Lexbase : L2838ABQ), d'accoucher "sous X", la preuve de la maternité ne suscite guère de difficultés particulières, la grossesse et l'accouchement désignant la mère avec certitude : "mater semper certa est" disaient déjà les Romains (1). La question s'avère, en revanche, plus délicate s'agissant de la paternité. Le Code civil, pour organiser la preuve du lien biologique, avait posé des présomptions intéressant la conception de l'enfant (présomptions relatives à la période de la conception, d'une part, à la date de la conception, d'autre part). Les progrès scientifiques ont permis l'essor de moyens plus modernes et plus performants de preuve de ce lien, que la jurisprudence a entendu favoriser, comme en témoigne un récent arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 23 novembre dernier.

En l'espèce, M. X avait assigné M. Y en recherche de paternité et avait demandé, subsidiairement, l'organisation d'une expertise biologique. La cour d'appel l'avait débouté en énonçant que "la demande tendant à voir ordonner une expertise biologique n'est recevable que s'il a été recueilli au préalable des indices ou présomptions de paternité, que M. X n'a pas fourni de telles présomptions ou indices et que celui-ci ignorant l'adresse actuelle de M. Y, sa demande apparaît vaine". La Haute juridiction casse l'arrêt et rappelle, au visa des articles 340 (N° Lexbase : L2830ABG) et 311-12 (N° Lexbase : L4747ABD) du Code civil, dans leur rédaction applicable à l'espèce, ensemble, l'article 146 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2261AD4), que "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder".

Il faut, au moins, rapidement redire que les progrès de la science ont conduit, depuis quelques décennies, à étoffer la question de la preuve, la preuve de la paternité pouvant aujourd'hui être obtenue grâce aux analyses sanguines et aux empreintes génétiques avec une probabilité voisine de la certitude (plus de 99 %). C'est l'une des lois bioéthiques du 29 juillet 1994 (loi n° 94-653, relative au respect du corps humain N° Lexbase : L3102AIQ) qui a, ainsi, réglementé le recours aux empreintes génétiques. L'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M), qui en est issu, prévoit dans son alinéa 1er, que l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentées lors d'une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique ainsi que, depuis une loi du 24 mars 2005 (loi n° 2005-270, portant statut général des militaires N° Lexbase : L1292G8D), d'identification d'un militaire décédé à l'occasion d'une opération conduite par les forces armées ou les formations rattachées. Il est, en outre, précisé que, "en matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides", étant entendu que, en tout état de cause, "le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli". Il faut, du reste, préciser que, à la faveur de la loi du 6 août 2004, relative à la bioéthique (loi n° 2004-800 N° Lexbase : L0721GTU), l'alinéa 2 de l'article 16-11 du Code civil, qui en est issu, interdit l'identification post mortem par empreintes génétiques, "sauf accord exprès du vivant de la personne" (2). Par où il apparaît que le recours aux empreintes génétiques est assez strictement encadré, et ce afin de ne pas les favoriser de façon excessive.

En revanche, dans le silence de la loi, l'on s'était demandé si le recours aux expertises sanguines était limité comme l'est le recours aux empreintes génétiques : autrement dit, les règles légales, qui viennent d'être rappelées et qui concernent les empreintes génétiques, devaient-elles être transposées au cas du recours aux expertises sanguines ? Alors que l'on pouvait penser que devait ici s'appliquer le droit commun des mesures d'instructions, la décision étant laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation ne l'a pas décidé ainsi et a considéré, après revirement, que "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder" (3). C'est cette solution que répète aujourd'hui l'Assemblée plénière. Le juge peut déduire du refus de se soumettre à une telle expertise toutes les conséquences qui s'imposent (NCPC, art. 11 N° Lexbase : L3203ADY). Ainsi a-t-il été jugé qu'une cour d'appel a pu souverainement déduire du refus du mari et de l'ex-épouse de se soumettre à l'examen comparé des sangs et des autres indices ou présomptions retenus la vraisemblance de la paternité du concubin de l'ex-épouse (4). L'on se doute que, dorénavant, la discussion portera sur cette obscure notion de "motif légitime". En tout état de cause, un tel motif existe certainement dans l'hypothèse où il y aurait des présomptions graves, précises et concordantes en faveur de la filiation établie ou, au contraire, revendiquée ou, plus largement, de l'une des deux filiations en conflit (durée, possession d'état, etc.), ce qui justifierait alors, effectivement, de faire l'économie d'une expertise. L'existence d'un motif légitime de ne pas procéder à une expertise sanguine pourra encore résulter, de façon non moins certaine, de la stérilité avérée du père prétendu, stérilité rendant, par hypothèse, superflue l'expertise sanguine et justifiant le refus opposé par l'intéressé de s'y soumettre. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 avril 2007 a encore retenu, rendant impossible l'expertise biologique, d'une part, le fait que la preuve de la conservation d'un échantillon de sang nécessaire à un examen sérologique comparé n'était pas rapportée, et, d'autre part, le fait que l'administrateur ad hoc de l'enfant s'opposait à une exhumation du corps du défunt (5). Une autre hypothèse apparaît, en revanche, plus délicate et renvoie aux situations dans lesquelles l'un des deux parents, dont la filiation est contestée, refuse l'expertise sanguine en sachant certes qu'il n'est pas le parent biologique, mais au motif qu'il estime avoir des droits sur un autre plan, notamment parce qu'il élève l'enfant depuis longtemps. A vrai dire, en pareil cas, et comme a justement pu le faire observer un auteur, le refus d'expertise paraîtra bien discutable, "sauf à retenir une conception très large du 'motif légitime' conduisant en fait à revoir les fondements mêmes de notre droit de la filiation" (6).


(1) Encore faut-il sans doute remarquer que, jusqu'à une époque récente, la seule indication du nom de la mère dans l'acte de naissance d'un enfant naturel ne suffisait pas à établir la filiation à son égard, une reconnaissance expresse étant alors nécessaire. L'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759 N° Lexbase : L8392G9P) ayant réformé le droit de la filiation a fait évoluer cette solution discutable : le nouvel article 311-25 du Code civil (N° Lexbase : L8813G9B) dispose, en effet, désormais, que "la filiation est établie à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance".
(2) Voir, antérieurement, dans l'affaire "Yves Montand", CA Paris, 1ère ch., sect. C, 6 novembre 1997, n° 94/27539, Madame Amiel Carole c/ Madame Allegret Catherine (N° Lexbase : A2697DDA), D. 1998, p. 122, note Malaurie, jugeant que le consentement propre du défunt ne pouvant plus être recherché et ses ayants droit ayant fait connaître qu'ils ne s'y opposaient pas, il convient, alors qu'il est de l'intérêt essentiel des parties d'aboutir à une certitude biologique, d'ordonner un complément d'expertise à l'effet de procéder après exhumation du corps à l'identification génétique du défunt pour déterminer s'il peut, ou non, être le père de l'enfant ; comp. Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, n° 00-10.254, Mme Gisèle Duperon c/ Mme Florence Beauruel (N° Lexbase : A1104AUG), Bull. civ. I, n° 203, décidant qu'il ne peut être reproché à une cour d'appel d'avoir déclaré judiciairement la paternité naturelle au moyen d'une analyse génétique effectuée après le décès du défendeur dès lors qu'il n'existait aucun doute sur la réalité du consentement donné par les héritiers du défunt aux prélèvements nécessaires.
(3) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M. Y (N° Lexbase : A8717AHC), Bull. civ. I, n° 103, D. 2000, p. 731, note Garé, JCP éd. G, 2000, II, 10409, concl. Petit, note Monsallier-Saint Mleux, Rép. Defrénois 2000, p. 769, obs. Massip, RTDCiv. 2000, p. 304, obs. Hauser ; Cass. civ. 1, 30 mai 2000, n° 98-16.059, M. X... c/ Mme Y..., divorcée Z..., inédit (N° Lexbase : A4558C7X), JCP éd. G, 2000, II, 10410, note Garé ; Cass. civ. 1, 12 juin 2001, n° 98-21.796, M. Herculano Fernandes c/ Mme Luisa Moreira-Marinho (N° Lexbase : A5816ATL), Bull. civ. I, n° 169 ; Cass. civ. 1, 17 septembre 2003, n° 01-03.408, M. Abdellah Baik c/ M. Jean-Marc Deswel, F-D (N° Lexbase : A5309C9I), RTDCiv. 2004, p. 73, obs. Hauser ; Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 02-10.097, M. Saïd Oihdi c/ Mme Marie-Christine Boukef, épouse Oihdi, F-D (N° Lexbase : A4311DAW), Rép. Defrénois 2004, p. 596, obs. Massip.
(4) Cass. civ. 1, 6 mars 1996, n° 94-11.108, Mme X c/ M. Y et autre (N° Lexbase : A9620ABW), D. 1996, p. 529, note Lemouland.
(5) Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8) et les observations de Nathalie Baillon-Wirtz, Le motif légitime de ne pas recourir à une expertise biologique destinée à contester une reconnaissance de paternité, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N1639BBC).
(6) Hauser, obs. RTDCiv. 2004, p. 74.

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