La lettre juridique n°269 du 19 juillet 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La nullité de l'accord collectif excluant du temps de travail effectif les périodes de formation visant à l'adaptation du salarié à son emploi

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-11.164, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2966DX7)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Si le droit de la formation professionnelle a beaucoup évolué ces dernières années, il n'en demeure pas moins que certains litiges, s'élevant sous l'empire de la loi ancienne, posent encore, aujourd'hui, des difficultés importantes à résoudre pour les juges. Ainsi en va-t-il de la question de la qualification du temps passé en formation par le salarié. C'est sur ce problème que la Chambre sociale devait prendre position par un arrêt rendu le 11 juillet 2007. Si la loi accorde bien une faculté aux partenaires sociaux d'exclure certaines périodes de formation de la qualification de temps de travail effectif (1), la Cour de cassation n'entend pas laisser ce pouvoir aller au-delà des limites posées, même de façon imprécise, par le législateur (2).


Résumé

Les actions de prévention et les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances, telles qu'envisagées par l'article L. 900-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4254HWH), tendent à favoriser ou à permettre l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois au sens de l'article L. 932-2 du même Code (N° Lexbase : L6946ACA). Le temps consacré à ces formations constitue, en conséquence, du temps de travail effectif, si bien que les dispositions d'un accord collectif plaçant ces périodes de formation hors du temps de travail sont nulles.

1. La faculté accordée à l'accord collectif d'exclure des périodes de formation du temps de travail effectif

  • Une faculté conditionnée au type de formation dispensé

L'article L. 900-2 du Code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, prévoyait six types différents d'actions de formation entrant dans le champ de la formation professionnelle continue. Parmi ces actions, on trouvait, notamment, au 4°, les actions de prévention ayant "pour objet de réduire les risques d'inadaptation de qualification à l'évolution des techniques et des structures des entreprises, en préparant les travailleurs dont l'emploi est menacé à une mutation d'activité" et, au 6°, les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances ayant pour objet "d'offrir aux travailleurs, dans le cadre de l'éducation permanente, les moyens d'accéder à la culture, de maintenir ou de parfaire leur qualification et leur niveau culturel ainsi que d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative".

Malheureusement, les distinctions entre les différentes actions n'avaient pas été reprises par l'article L. 932-2 du Code du travail lorsqu'il s'était agi de déterminer dans quel cas un accord collectif de branche ou d'entreprise pouvait exclure ces périodes de formation du décompte du temps de travail effectif du salarié. Si l'imprécision du législateur a, depuis, été en partie refoulée, elle pose, encore aujourd'hui, quelques difficultés lorsque les juges doivent s'interroger sur la licéité d'accords conclus sous l'empire de la loi ancienne (1).

C'était, en l'espèce, le cas puisque la CGT avait contesté la licéité de l'accord national du 28 juillet 1998, sur l'organisation du travail dans la métallurgie , modifié par avenant du 29 janvier 2000, conclu avant l'entrée en application de la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (loi n° 2004-391 N° Lexbase : L1877DY8).

  • Une faculté liée au but de l'action de formation

L'article L. 932-2 du Code du travail distinguait, alors, entre deux sortes de finalités que pouvait recouvrir la formation professionnelle continue des salariés. Ainsi, selon l'alinéa 1er de ce texte, le temps nécessaire à toute action de formation, destinée à permettre à l'employeur d'assumer son obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois, constituait nécessairement un temps de travail effectif.

En revanche, dans l'hypothèse d'actions de formation ayant pour finalité de permettre aux salariés le développement de leurs compétences, les partenaires sociaux, au niveau de la branche ou de l'entreprise, avaient la possibilité d'exclure ce temps de formation du temps de travail effectif, à la condition, toutefois, que ces formations "soient utilisables à l'initiative du salarié et reçoivent son accord écrit".

Le pouvoir de dérogation à la règle selon laquelle le temps destiné à la formation professionnelle doit être qualifié de temps de travail effectif, plusieurs fois réitérée par la jurisprudence, ne dépendait donc pas du type d'action de formation, mais bien des finalités conférées à celles-ci (2). Une telle dérogation comporte des conséquences importantes pour le bénéficiaire des actions de formation.

  • Une faculté aux conséquences significatives

La qualification de temps de travail effectif de la période consacrée à la formation professionnelle comporte, pour le salarié, des conséquences loin d'être négligeables.

En effet, lorsque les partenaires sociaux ne sont pas en mesure d'exclure le temps de formation du temps de travail effectif, le salarié bénéficie de deux effets favorables de cette restriction. Tout d'abord, le temps consacré à la formation lui sera intégralement rémunéré comme s'il n'avait pas quitté son poste de travail pour suivre son stage de formation. L'incidence sur la rémunération est la conséquence principale de l'assimilation de la formation à du temps de travail effectif. A défaut, le salarié sera considéré comme poursuivant sa formation durant son temps de repos et ne percevra, en conséquence, aucune rémunération. La situation de ces salariés bénéficiant de formations en dehors du temps de travail était, d'ailleurs, bien moins favorable au moment de la conclusion de l'accord litigieux qu'aujourd'hui, puisque l'article L. 932-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097HIK) prévoit, désormais, que les heures de formation en dehors du temps de travail donnent lieu au versement, par l'entreprise, d'une allocation de formation dont le montant s'élève à 50 % de la rémunération nette de référence du salarié concerné. Auparavant, seules les dispositions convenues par les partenaires sociaux dans l'accord pouvaient permettre d'indemniser le salarié. A titre d'exemple, relevons, ainsi, que l'accord litigieux du 28 juillet 1998 ne prévoyait que le versement du salaire de référence au salarié concerné lorsque la durée de la formation excédait 50 heures par an, ou 10 jours par an, dans le cas d'un salarié soumis à une convention de forfait en jours.

A côté de cette influence exercée sur la rémunération, cette qualification a, également, des conséquences sur le temps consacré par le salarié à sa profession. Si le temps de formation constitue du travail effectif, le temps global consacré par le salarié à son emploi n'est pas modifié, la formation se substituant au temps destiné à effectuer la prestation de travail. Au contraire, si la formation se déroule durant les temps de repos, le salarié devra cumuler son temps de travail effectif avec les heures nécessaires au suivi des enseignements dispensés. S'il ne s'agit pas de temps de travail effectif, on peut, néanmoins, envisager une qualification neutre de temps professionnel puisque l'on ne peut pas sérieusement considérer que le fait de suivre une formation soit constitutif d'un repos ou d'un loisir.

Face à ces conséquences majeures pour le salarié, la Chambre sociale de la Cour de cassation se devait d'apporter des clarifications et de poser plus nettement les limites dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent intervenir.

2. Les limites du pouvoir de l'accord collectif d'exclure des périodes de formation du temps de travail effectif

  • L'exclusion des actions de prévention et des actions d'acquisition, d'entretien et de perfectionnement des connaissances du champ de la dérogation

Etaient en cause, dans la convention litigieuse, deux types d'actions de formation. Tout d'abord, des actions de prévention, ayant pour principal objet de réduire le risque d'inadaptation de la qualification du salarié à l'évolution des techniques et des structures de l'entreprise. Ensuite, des actions de formation portant sur l'acquisition, l'entretien ou le perfectionnement des connaissances des salariés. L'accord de branche avait rangé ces deux types d'action dans le cadre d'actions de formation "ayant pour objet le développement des compétences du salarié" afin de pouvoir bénéficier de la dérogation ouverte par l'alinéa 2 de l'article L. 932-2 du Code du travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide de rejeter le pourvoi, confirmant ainsi la position des juges du fond qui avaient estimé que le classement de ces différentes actions de formation dans la catégorie de celles destinées à promouvoir les compétences du salarié n'était pas respectueux de la combinaison entre les articles L. 900-2 et L. 932-2 du Code du travail.

  • Les difficultés de fixation des limites au champ de la négociation collective : un problème de définition

La grande difficulté induite des textes relatifs à la formation professionnelle provient de ce que le législateur a utilisé deux classifications différentes, d'une part, pour établir les types d'actions de formation et, d'autre part, pour délimiter le champ dans lequel les partenaires sociaux peuvent intervenir aux fins d'exclure le temps de formation du temps de travail effectif.

Fallait-il considérer que ces actions de prévention et ces actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés avaient pour seul objet le développement de leurs compétences ou, au contraire, fallait-il estimer qu'il s'agissait-là de mesures destinées à assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois ? Si la réponse à cette question est, de prime abord, peu évidente, c'est principalement parce que le législateur n'a donné aucune définition de ce qu'il entendait par ces différentes finalités. L'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois peut, en réalité, être envisagée sous deux angles différents.

Stricto sensu, il ne faudrait y voir que les actions de formation destinées à permettre au salarié de conserver son emploi malgré l'évolution de celui-ci. Si le cas des actions de prévention semblent entrer dans cette hypothèse, ne serait-ce que parce que l'article L. 900-2 les définit comme des moyens de lutter contre tout risque d'inadaptation du salarié, les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés cadrent moins bien avec cet objectif. En effet, "l'éducation permanente", "les moyens d'accéder à la culture" ou "d'assumer des responsabilités accrues dans la vie associative" semblent répondre bien moins à une faculté d'adaptation du salarié à l'évolution de l'entreprise qu'à son propre enrichissement personnel.

Cependant, le 6° de l'article L. 900-2 évoque, dans le cadre de ces actions, le maintien ou la perfection par les salariés de "leurs qualifications". De retour sur un terrain plus strictement professionnel, ces quelques mots peuvent justifier, à eux seuls, le classement de ces actions dans le cadre de celles visant à permettre l'adaptation du salarié.

Lato sensu, on pourrait considérer que toute formation, quelle qu'en soit la nature, même destinée à apporter une meilleure culture au salarié, puisse être utile au salarié en vue de s'adapter aux changements de son poste de travail. S'ouvrir à de nouveaux horizons, même s'il n'existe pas de lien au fond avec son emploi, n'est-il pas la marque d'une volonté et, surtout, d'une capacité d'adaptation du salarié ?

Le code ne donne pas, non plus, de définition de ce qu'il faut entendre par les actions destinées au développement des compétences du salarié. Là encore, l'acquisition de connaissances envisagée par le 6° de l'article L. 900-2 du Code du travail paraît mieux correspondre à cet objectif, encore qu'il faille demeurer très réservé à l'égard du maintien ou du perfectionnement des qualifications du salarié car, à dire vrai, cet objectif peut très bien correspondre à l'une comme à l'autre des finalités attribuées à la formation professionnelle.

  • Le reflet des ambiguïtés législatives

La solution apportée par la Chambre sociale semble donc, finalement, assez rationnelle.

La décision est logique lorsqu'il s'agit de considérer que les actions de prévention s'inscrivent bien dans l'objectif de permettre au salarié de s'adapter à des évolutions futures de son emploi. Elle est, peut-être, un peu moins cohérente lorsqu'il s'agit de classer les actions d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances des salariés dans cette même catégorie de formations destinées à faciliter cette adaptation. Pour autant, elle reste fidèle au texte qui entretient l'ambiguïté, laissant à penser que ce type de formations puisse appartenir tant à l'une qu'à l'autre des deux catégories.

La Cour de cassation laisse donc le législateur seul face à ses responsabilités, le Livre IX du Code du travail relatif à la formation professionnelle faisant figure de jungle législative dans laquelle il est finalement bien difficile de ne pas se perdre.


(1) L'actuel article L. 932-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097HIK) met en place une distinction plus claire entre, tout d'abord, les actions visant à assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail, ensuite celles ayant pour objet l'évolution des emplois ou le maintien du salarié dans l'emploi et, enfin, celles ayant pour objet le développement des compétences du salarié. Néanmoins, l'allongement sensible des différentes actions de formation possible dans l'article L. 900-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4254HWH) amenuise cet effort de classification.
(2) La Chambre sociale de la Cour de cassation, comme les juges du fond, estiment que, par principe, le temps consacré à la formation professionnelle constitue du temps de travail effectif. V. Cass. soc., 6 mai 1997, n° 93-41.581, Mme Dominique Kurtkowiak c/ Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées (CREAI) (N° Lexbase : A8611AGZ) ; TGI Paris, 28 septembre 1999, Fédération française des syndicats Banques Sociétés financières c/ AFB et autre, RJS 11/99, n° 1381, p. 846.
Décision

Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-11.164, Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), FS-P+B+R (N° Lexbase : A2966DX7)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 24 novembre 2005, n° 03/17320, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT c/ Union des industries métallurgiques et minières N° Lexbase : A4596DPW)

Textes visés, cités ou concernés : C. trav., art. L. 900-2 (N° Lexbase : L0880DCL) et C. trav., art. L. 932-2 (N° Lexbase : L6946ACA), dans leur rédaction en vigueur au moment des faits. Accord national du 28 juillet 1998, sur l'organisation du travail dans la métallurgie modifié par avenant du 29 janvier 2000

Mots-clés : accord collectif ; formation professionnelle ; adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois ; temps de travail effectif.

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