La lettre juridique n°239 du 7 décembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Validité des licenciements préventifs pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 05-40.656, M. Michel Baraud, FS-P+B (N° Lexbase : A5396DSN)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Reprenant à son compte l'adage populaire selon lequel "Mieux vaut prévenir que guérir", la Cour de cassation précise, dans un arrêt en date du 21 novembre 2006, les modalités d'application de sa jurisprudence "Pages jaunes" et l'articulation entre la GPEC et la possibilité reconnue aux entreprises de procéder à des licenciements préventifs (1) et admet le bien-fondé, dans cette affaire, de près de 400 suppressions d'emplois (2).

Résumé

L'évolution du marché des pneumatiques, la baisse des prix de ces produits et l'augmentation du coût des matières premières plaçaient l'entreprise dans l'impossibilité de réaliser les investissements qui étaient nécessaires pour remédier à la faible dimension des sites de production par rapport à ceux des concurrents et à la diversification excessive des fabrications, cette situation lui imposant de se réorganiser pour pouvoir affronter la concurrence.

La nouvelle organisation mise en place procédait d'une gestion prévisionnelle des emplois, destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi, et était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et du secteur d'activité du groupe dont elle relevait.

Décision

Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 05-40.656, M. Michel Baraud, FS-P+B (N° Lexbase : A5396DSN)

Rejet (CA Riom, 4ème chambre civile, 30 novembre 2004)

Textes concernés : C. trav., art. L. 121-7 (N° Lexbase : L5449ACS) ; C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) ; C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K).

Mots-clefs : licenciement pour motif économique ; sauvegarde de la compétitivité ; reclassement ; ordre des licenciements.

Lien base :

Faits

1. Envisageant la mise en place d'une nouvelle organisation de ses productions, qui affectait, notamment, son établissement de Montluçon, la société Dunlop France, dépendant du groupe Sumitomo industries Ltd, a mis en place, au cours de l'année 2000, un projet de licenciement économique qui impliquait la suppression de 391 emplois dans cet établissement. Elle a établi à cet effet un plan social, présenté aux représentants du personnel.

2. Des salariés ensuite licenciés pour motif économique ont saisi le juge prud'homal de demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, violation de l'ordre des licenciements et violation de la priorité de réembauchage.

3. La cour d'appel de Riom les a déboutés de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Solution

1. "La cour d'appel, appréciant souverainement l'ensemble des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que l'évolution du marché des pneumatiques, la baisse des prix de ces produits et l'augmentation du coût des matières premières, plaçaient l'entreprise dans l'impossibilité de réaliser les investissements qui étaient nécessaires pour remédier à la faible dimension des sites de production par rapport à ceux des concurrents et à la diversification excessive des fabrications, et que cette situation lui imposait de se réorganiser pour pouvoir affronter la concurrence ; qu'elle a ainsi fait ressortir que la nouvelle organisation mise en place qui procédait d'une gestion prévisionnelle des emplois destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et du secteur d'activité du groupe dont elle relevait".

2. "La cour d'appel a constaté que la société Dunlop France avait recherché et proposé aux intéressés toutes les possibilités de reclassement qui existaient dans l'entreprise et dans le groupe ; que les 'offres valables d'emplois' (OVE) prévues dans le plan n'étant destinées qu'à assurer la reconversion professionnelle des salariés, hors de l'entreprise et hors du groupe, après leur licenciement, l'inobservation de ce dispositif par l'employeur n'était pas de nature à caractériser un manquement à son obligation de reclassement, préalable aux licenciements, de sorte qu'il n'y avait pas lieu, pour se prononcer sur la cause des licenciements, de vérifier si cet engagement avait été tenu".

3. "Si la méconnaissance par l'employeur de son obligation d'informer préalablement les salariés des techniques et méthodes d'évaluation qu'il met en oeuvre à leur égard peut justifier l'allocation de dommages-intérêts, elle n'est pas de nature à caractériser à sa charge une inobservation des critères d'ordre des licenciements, dès lors que l'appréciation des qualités professionnelles repose sur des éléments objectifs et vérifiables ; que la cour d'appel, qui a retenu que l'employeur avait défini et appliqué un ordre des licenciements prenant en compte l'ensemble des critères et reposant sur des bases objectives, dont elle a vérifié les conditions d'application, a légalement justifié sa décision".

4. Rejet

Commentaire

1. La confirmation des principes dégagés dans les arrêts "Pages Jaunes"

  • La réorganisation rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité

La définition souple du licenciement économique, retenue dans l'article L. 321-1 du Code du travail, permet de retenir comme motif économique d'autres causes que les difficultés économiques ou les mutations technologiques à l'origine de la suppression ou transformation d'emploi, ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail.

C'est ainsi qu'à partir de 1995, la Cour de cassation a admis que "lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3 ; RJS 1995, n° 496 et p. 321 et s., concl. Y. Chauvy ; SSL n° 740 du 18 avril 1995, rapp. B. Boubli ; D. 1995, jurispr. p. 503, note M. Keller ; JCP éd. G, 1995, II, 22443, note G. Picca ; Dr. ouvrier 1995, p. 281, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 1995, p. 489, chron. G. Lyon-Caen).

A partir de 2002, la Haute juridiction a affirmé l'autonomie de ce motif économique par rapport aux difficultés économiques ou aux mutations technologiques (Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-44.007, FS-P sur le premier moyen N° Lexbase : A4873AZI ; Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 02-47.629, F-D N° Lexbase : A9130DIY ; Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-41.076, Société Omnium de gestion et de financement (OGF) c/ M. Didier Bedin, F-D N° Lexbase : A7454DPR ; Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 04-41.083, Mme Gloria Naulet, F-D N° Lexbase : A9592DRP), avant de la confirmer, et d'en tirer les conséquences logiques, dans les arrêts "Pages jaunes" du 11 janvier 2006, où la Cour a précisé que ce motif n'était logiquement pas subordonné à la preuve de difficultés économiques contemporaines de la réorganisation (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3500DML ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3522DME ; lire nos obs., Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3341AKX).

  • Les incertitudes postérieures aux arrêts "Pages Jaunes"

Dans ces affaires, Pages Jaunes n'avait toutefois pas envisagé de suppressions d'emplois mais simplement la modification du contrat de travail de près d'un millier de salariés, de telle sorte que l'on pouvait se demander si cette circonstance n'était pas de nature à justifier la solution finalement retenue par la Cour dans cette affaire (en ce sens, notre commentaire préc.), même si, dans un certain nombre d'hypothèses, le refus de ces modifications avait conduit l'entreprise à licencier, pour motif économique, les salariés réfractaires.

Dans des décisions ultérieures, la Cour de cassation, suivie d'ailleurs en cela par de nombreuses juridictions du fond tant dans d'autres volets du contentieux "Pages Jaunes" (refusant ainsi la justification avancée : CA Lyon, 5ème ch., 11 janvier 2006, n° 04/00816, M. David Brunet c/ Brunet N° Lexbase : A8963DRE, mais l'admettant CA Versailles, 17ème ch., 27 octobre 2005, M. J.-M. Caillens c/ SA Pages Jaunes, RG n° 04/00310) que dans d'autres contentieux (CA Chambéry, 21 mars 2006, n° 05/01362, Madame Michelle Aubry et autres c/ SA Fromageries Piconca N° Lexbase : A3286DPE), avait d'ailleurs bien montré son désir de ne pas admettre trop largement des mesures affectant l'emploi et justifiées par la nécessité de prévenir les difficultés économiques.

Dans un arrêt en date du 31 mai 2006, la Cour avait, en effet, considéré que des motifs d'ordre général étaient impropres à caractériser l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont relevait l'entreprise (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376, F-P N° Lexbase : A7525DPE), puis avait rappelé que la seule volonté d'améliorer "des marges qui étaient positives, ne justifiaient pas d'une telle nécessité" (Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 05-41.665, F-D N° Lexbase : A0358DRP ; également, Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-47.724, F-P N° Lexbase : A4461DQB).

La Cour avait, également, considéré qu'une "réorganisation de l'entreprise liée aux prescriptions d'une autorité de tutelle ne constitue pas une cause économique de licenciement en l'absence de difficultés économiques ou de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise" (Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 04-43.201, F-D N° Lexbase : A9597DRU).

Le Conseil d'Etat, qui avait à son tour, quoique tardivement, admis le motif tiré de la volonté de sauvegarder la compétitivité, avait considéré, dans la même affaire, qu'un simple "tassement de l'activité d'une des branches d'une société" ne peut justifier le licenciement pour motif économique (CE 4° et 5° s-s-r., 8 mars 2006, n° 270857, Mme Moranzoni N° Lexbase : A4876DNW ; Dr. soc. 2006, p. 857, concl. R. Keller).

2. La confirmation des arrêts "Pages Jaunes" en présence de licenciements préventifs

  • La légitimité des licenciements préventifs

On attendait donc que la Cour de cassation confirme véritablement cette jurisprudence "Pages Jaunes" et en fasse application dans une affaire où des licenciements étaient envisagés, dès le départ, par l'entreprise.

Dans cette affaire qui concernait la société Dunlop, 391 emplois devaient être supprimés dans le cadre d'un plan de réorganisation de l'activité pour faire face aux défis de la concurrence à l'échelle planétaire.

La cour d'appel avait considéré ces licenciements comme justifiés, ce que contestaient les salariés, notamment au regard de l'absence de difficultés économiques contemporaines de la décision et de nature à justifier les licenciements envisagés.

Or, la Cour de cassation donne, ici, raison aux juges du fond et relève, avec ces derniers, les arguments économiques qui justifiaient ces licenciements. Pour la Cour, en effet, "appréciant souverainement l'ensemble des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, [la cour d'appel] a retenu que l'évolution du marché des pneumatiques, la baisse des prix de ces produits et l'augmentation du coût des matières premières, plaçaient l'entreprise dans l'impossibilité de réaliser les investissements qui étaient nécessaires pour remédier à la faible dimension des sites de production par rapport à ceux des concurrents et à la diversification excessive des fabrications, et que cette situation lui imposait de se réorganiser pour pouvoir affronter la concurrence". Or, "la nouvelle organisation mise en place qui procédait d'une gestion prévisionnelle des emplois destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et du secteur d'activité du groupe dont elle relevait".

En d'autres termes, le nombre des suppressions d'emplois et des licenciements consécutifs était limité compte tenu des enjeux. Bref, mieux valait licencier un peu tout de suite que beaucoup plus tard.

  • L'articulation de la GPEC et du droit du licenciement économique

La solution est particulièrement intéressante dans la mesure où la Cour de cassation vise expressément, ici, la gestion prévisionnelle des emplois de l'entreprise.

Or, la lecture du rapport 2005 avait bien montré que la Cour était particulièrement sensible à l'articulation entre GPEC et licenciement économique. Pour reprendre les termes mêmes de l'auteur du rapport 2005, concernant les arrêts "Pages Jaunes", "on peut d'ailleurs se demander si dans les entreprises où l'article L. 320-2 du Code du travail s'applique, la nouvelle obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences et les mesures d'accompagnement susceptibles d'y être associées ainsi que sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi et les salaires, ne devrait pas conduire à une approche plus rigoureuse des mesures de licenciement économique qui interviendraient par la suite, notamment lorsque la gestion prévisionnelle aura été défaillante" (voir notre commentaire, La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social général (1ère partie) N° Lexbase : N9294AKG ; La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social général (2ème partie) N° Lexbase : N9327AKN, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale).

Bien avant la loi du 18 janvier 2005 et l'introduction dans le Code du travail de l'articulation entre GPEC et licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 320-2 N° Lexbase : L8919G7H et C. trav., art. L. 320-3 N° Lexbase : L8920G7I), la Cour de cassation avait, d'ailleurs, manifesté son intérêt pour la prévention des licenciements économiques.

En 1999, déjà, elle avait exonéré l'entreprise qui procède à des mesures de "gestion prévisionnelle du personnel" de la mise en place d'un plan social tant que des licenciements n'avaient pas été envisagés, dérogeant ainsi à sa jurisprudence "Framatome" et "Majorette" (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 97-12.962, Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT et autres c/ Compagnie IBM France, publié N° Lexbase : A4682AGI ; Dr. soc. 1999, p. 297, obs. F. Favennec-Héry ; Cass. soc., 23 octobre 2002, n° 00-41.996, F-D N° Lexbase : A3390A3X solution a contrario visant, cette fois-ci, la notion de "gestion prévisionnelle des emplois" ; Cass. soc., 12 juillet 2004, n° 02-19.175, F-D N° Lexbase : A1037DDR ; Cass. soc., 4 avril 2006, n° 04-48.055, F-D N° Lexbase : A9739DNZ).

Dans toutes ces hypothèses, ces mesures de GPE ne s'étaient, toutefois, pas traduites par des licenciements, ce qui avait également été le cas dans les affaires "Pages Jaunes".

Le pas est, cette fois-ci, franchi puisque l'entreprise avait tout de même supprimé près de 400 emplois, mais pour en sauver un plus grand nombre à l'échelle européenne et mondiale.

Cette solution appelle logiquement de notre part la même approbation que précédemment (notre chron. préc. sous les arrêts "Pages jaunes"), dès lors que la Cour de cassation demeurera vigilante pour que tout, et n'importe quoi, ne soit pas admis, au titre de la sauvegarde de la compétitivité.

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