La lettre juridique n°168 du 19 mai 2005 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Contenu de l'assignation du créancier tendant à l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 1er mars 2005, n° 03-12.425, Mme Nunzia Maranta, gérante de la société à responsabilité limitée Metalme France c/ M. Pascal Guigon, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9497DGT)

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N4223AIA

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

le 07 Octobre 2010


La législation du 25 janvier 1985 a instauré une procédure de redressement de l'entreprise -c'est d'ailleurs le titre de la loi-. Il ne s'agit plus d'une procédure collective de paiement, ayant pour but premier la volonté de payer les créanciers. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la saisine aux fins d'ouverture de cette procédure ne soit pas attitrée aux créanciers, mais qu'elle puisse être, aussi, l'oeuvre du débiteur, du tribunal d'office et du procureur de la République, et demain, avec le projet de réforme de sauvegarde des entreprises, du ministère public, ce qui englobe le Parquet général. Lorsque la saisine est l'oeuvre du créancier, des contraintes pèsent sur ce dernier. L'une d'elles est bien connue : le créancier ne peut assigner en redressement judiciaire et, subsidiairement, en paiement, pas plus qu'il ne pourrait, inversement, assigner à titre principal en paiement et subsidiairement en redressement judiciaire. Cette technique, qui, sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) était chère aux URSSAF, a été clairement interdite par le décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (art. 7, al. 3 N° Lexbase : L5363A4E). C'est la prohibition de l'assignation-pression, ce qui fait transparaître l'idée que la procédure de redressement judiciaire n'est pas une procédure collective de paiement. L'article 7, alinéa 1er, de ce même décret institue une autre règle : l'obligation pour le créancier de préciser, dans son assignation, les procédures ou voies d'exécution engagées pour le recouvrement de sa créance. Cette question n'a pas été le siège d'un contentieux important. D'autant plus intéressante apparaît, dans ce contexte, la décision de principe rendue par la Cour de cassation en cette matière.

En l'espèce, un créancier assigne son débiteur aux fins d'ouverture d'une procédure collective. En cours de procédure, le débiteur soulève l'irrecevabilité de l'assignation pour défaut d'indication des procédures ou voies d'exécution engagées pour le recouvrement de sa créance. Le tribunal et, à sa suite, la cour d'appel, rejettent la prétention du débiteur et font droit à la demande du créancier. Le débiteur a formé un pourvoi. La question qui se posait était de déterminer la sanction à attacher à l'omission, par le créancier, dans son assignation en redressement judiciaire des procédures ou voies d'exécution entreprises pour obtenir le recouvrement de sa créance. S'agissait-il d'une irrégularité de forme, laquelle nécessitait la démonstration d'un grief ? Fallait-il plutôt y voir une nullité de fond, indépendante de tout grief ? A cette question, la Cour de cassation va clairement, dans cet arrêt de principe appelé à une publication au Bulletin, opter pour la seconde branche de l'alternative, en cassant l'arrêt d'appel : "l'assignation d'un créancier contient, à peine d'irrecevabilité de la demande qui doit être soulevée d'office, l'indication des procédures ou voies d'exécution engagées pour le recouvrement de la créance" (Cass. com., 1er mars 2005, n° 03-12.425, précité ; D. 2005, AJ p. 712 , note A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2005/6, n° 63, note crit. C. Régnaut-Moutier).

Ainsi, le principe prescrit à l'article 7, alinéa 1er, du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, qui oblige le créancier à préciser, dans une assignation tendant à l'ouverture d'une procédure collective, les procédures ou voies d'exécution entreprises pour obtenir le recouvrement de sa créance, doit être respecté à peine de nullité de l'assignation. La Cour de cassation a, donc, ici, opté pour le régime des nullités de fond.

La solution ne peut, certes, se recommander de l'article 117 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2008ADQ), qui énonce limitativement les trois cas de nullité de fond des actes de procédure : défaut de capacité d'ester en justice, défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant, soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice, et défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. Mais comme le relève la doctrine, il subsiste un espace pour d'autres causes de nullités. "L'article 117 du NCPC n'exclut pas que d'autres textes puissent prévoir des contraintes particulières et propres à certaines procédures, et en sanctionner la méconnaissance par la nullité" (Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2002/2003, n° 1635).

Cette cause de nullité entache l'assignation d'irrecevabilité. Il s'agit, techniquement, d'une fin de non-recevoir. Intervenant dans la matière des procédures collectives, qui résulte d'une réglementation d'ordre public, la fin de non-recevoir doit, comme l'énonce, ici, la Cour de cassation, être relevée d'office par le tribunal.

La décision doit être pleinement approuvée. Le législateur a entendu éviter les assignations-pressions. C'est pourquoi, ainsi qu'il a été indiqué, le créancier qui assigne en redressement ou en liquidation judiciaire doit le faire, à l'exclusion de toute autre demande, spécialement d'une demande subsidiaire en paiement. C'est pour cette même raison qu'il est exigé du créancier qu'il procède préalablement à des tentatives de recouvrement de sa créance. Ce n'est donc pas par "coquetterie" que l'assignation doit mentionner les procédures ou voies d'exécution préalablement engagées. Il s'agit, par là, d'obliger le créancier à procéder ainsi, avant d'engager une assignation en procédure collective. C'est donc bien une question de fond, non une simple règle de preuve.

Cette exigence se comprend, d'ailleurs, d'autant mieux, lorsque l'on fait l'exégèse de l'article 7, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985. Sous l'empire du décret du 27 décembre 1985, dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait que la demande contenait "éventuellement" l'indication des procédures ou voies d'exécution engagées. Il en résultait que l'assignation en redressement judiciaire pouvait intervenir, nonobstant l'absence de procédures ou voies d'exécution engagées pour le recouvrement de la créance (Cass. com., 13 mars 1990, n° 88-17.458, Société Le Réveil du Bugey et du Dauphiné c/ M. Bermond, ès qualités de syndic du règlement judiciaire N° Lexbase : A4151AGT, Bull. civ. IV, n° 79 ; JCP éd. E 1991, I, 44, n° 2, obs. P. Pétel ; RD bancaire et bourse 1990, 172, obs. M. J. Campana et Calendini ; Rev. proc. coll. 1990, 126, obs. L. Cadiet) et que l'assignation n'était pas entachée d'irrecevabilité, au prétexte que l'indication de ces procédures ou voies d'exécution n'avait pas été portée dans l'assignation (CA Paris, 22 janvier 1987, D. 1987, IR p. 42). L'adverbe "éventuellement" a été supprimé par le décret du 21 octobre 1994. Il fallait en déduire, même si la solution n'était pas suivie majoritairement par les juridictions du fond (CA Toulouse, 29 mai 1997, Rev. proc. coll. 1998, 226, n° 4, obs. M. Cadiou ; Rev. proc. coll. 1999, 97, obs. P. Canet ; Rev. proc. coll. 2002, p. 52, n° 2, obs. J. M. Deleneuville ; CA Montpellier, 2e ch., 2e sect., 24 novembre 1998, Rev. proc. coll. 2002, p. 52, n° 2, obs. J. M. Deleneuville ; CA Rennes, 2e ch., 1er mars 2000, Rev. proc. coll . 2002, p. 52, n° 2, obs. J. M. Deleneuville ; CA Nancy, 2ème ch., 26 novembre 2003, RD banc. et fin. 2004/4, p. 252, n° 169, obs. approb. F.-X. Lucas. Adde, Y. Chaput, Droit des entreprises en difficulté et faillite personnelle, PUF, "Droit fondamental", 1996, n° 266), que l'assignation en redressement ou en liquidation judiciaire présuppose le préalable de l'exercice d'une procédure ou d'une voie d'exécution (CA Amiens, ch. com., 16 novembre 2000, Rev. proc. coll. 2002, p. 52, n° 2, obs. J. M. Deleneuville ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 28 janv. 2005, RG n° 04/01781    N° Lexbase : A5884DGZ ; F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 6e éd., 2003, n° 127 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2003/2004, n° 23.24).

Une difficulté d'interprétation reste à signaler. La notion de "procédures" engagées est ambiguë. Faut-il comprendre qu'il s'agit d'une "procédure d'exécution", telle la procédure de paiement direct, ou suffit-il d'une poursuite en paiement ? La logique du texte, qui interdit les assignations-pressions, nous semble autoriser la deuxième solution. Il n'est, dès lors, pas nécessaire que le créancier ait obtenu un titre exécutoire (E. Scholastique, Titre exécutoire et procédures collectives, Dr. et procédures 2005/1, p. 7 s., sp. p. 8, n° 4). Ainsi apparaît-il nécessaire, mais aussi, suffisant, d'avoir engagé des poursuites. Dès lors, si la créance ne résulte pas d'un titre exécutoire, tel un acte notarié, le créancier devra, d'abord, assigner en paiement ou avoir pratiqué des mesures conservatoires. Il faut, donc, admettre que l'assignation en redressement judiciaire par le créancier, faisant suite à une assignation en paiement, est parfaitement recevable.

Précisons, pour terminer, que l'alinéa 2 de l'article 7 du décret du 27 décembre 1985 prévoit, en outre, que, si la demande tend à l'ouverture d'une liquidation judiciaire, le créancier devra l'accompagner des pièces établissant la cessation d'activité de l'entreprise ou l'impossibilité manifeste de son redressement.

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