Lexbase Fiscal n°624 du 10 septembre 2015 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Secret professionnel et opposition au contrôle fiscal

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2015, n° 367288, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0111NM3)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international

le 10 Septembre 2015

Lorsque respect du secret professionnel et opposition à un contrôle de comptabilité informatisé se conjuguent, nul doute qu'une décision du Conseil d'Etat mérite intérêt (CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2015, n° 367288, publié au recueil Lebon). Le juge administratif regarde la procédure viciée lorsque survient la divulgation d'une information à caractère secret au cours d'un contrôle fiscal. Quant à l'opposition à un contrôle de comptabilité informatisé, elle est caractérisée seulement lorsque les suppressions de données rendent le contrôle fiscal impossible nonobstant les diligences normales réalisées par le vérificateur. Posant une jurisprudence protectrice des droits des contribuables, le Conseil d'Etat opère une lecture élargie de la notion de secret professionnel, et une lecture restrictive de la notion d'opposition à un contrôle fiscal. En l'espèce, une SNC avait obtenu du tribunal administratif (TA Toulouse, 6 septembre 2011, n° 0703490) la décharge des rappels de TVA (et des pénalités correspondantes) relatives à des "ventes supprimées". La cour administrative d'appel (CAA Bordeaux, 31 janvier 2013, n° 11BX03427 N° Lexbase : A9578I7U) avait infirmé le jugement, faisant droit aux prétentions de l'administration fiscale. Se pourvoyant en cassation, la SNC obtient du Conseil d'Etat une salutaire décision. A l'occasion d'un contrôle fiscal, le secret professionnel doit être entendu de manière ductile : la révélation d'une information à caractère secret vicie la procédure et entraîne la décharge de l'imposition contestée (I). L'opposition au contrôle doit être entendue de manière stricte : elle est constituée seulement si les suppressions de comptabilité effectuées l'ont été en vue de l'imminence du contrôle (II). I - Secret professionnel et contrôle fiscal

A l'occasion du contrôle fiscal subi par la SNC requérante, les vérificateurs avaient exigé un historique des achats et des ventes d'un produit. L'objectif était de les rapprocher des ventes faites à un client porteur du n° 97184 dont l'administration ignorait l'identité. Le nom et le prénom de ce client étaient ensuite malencontreusement apparus sur un écran, ce qui ne manqua pas de poser souci eu égard aux obligations de la SNC à raison de sa qualité de pharmacie.

Quid des dispositions textuelles en présence ? En vertu de l'article R. 4235-5 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9603GTT), les pharmaciens sont tenus au secret professionnel (1) dans les conditions établies par la loi. En vertu de l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG), est sanctionnée d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la révélation d'une information à caractère secret réalisée par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire. Ardue était la confrontation normative puisqu'il fallait relier le Code pénal et le Code de la santé publique au Livre des procédures fiscales, en son article L. 13-0 A (N° Lexbase : L2551DAQ). Sur le fondement de celui-ci, les agents de l'administration des impôts peuvent se tourner vers les personnes dépositaires du secret professionnel aux fins d'obtenir toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature.

Quid alors des pouvoirs d'investigation de l'administration et des pouvoirs du juge de l'impôt ? Quand bien même les agents de l'administration fiscale sont eux aussi tenus au secret professionnel, il ne saurait être dérogé (sauf disposition législative expresse) au principe découlant de l'application de l'article 226-13 du Code pénal. La protection issue du droit pénal ne saurait fléchir à raison des obligations auxquelles sont astreints les agents en matière de secret professionnel. Quant au juge de l'impôt, il ne saurait adopter une conception minimaliste de son office. Certes, le juge répressif est naturellement compétent pour sanctionner les infractions découlant du non-respect de l'article 226-13 du Code pénal. Pour autant, au juge de l'impôt revient la charge d'examiner la régularité de la procédure d'imposition lorsqu'un contribuable, astreint au secret professionnel, estime qu'elle a emporté violation de ce secret.

A quelles conditions y a-t-il violation du secret professionnel et dans quelles conditions la violation du secret professionnel vicie-t-elle la procédure d'imposition ? Pour le Conseil d'Etat (en une lapidaire formule de principe), "la révélation d'une information à caractère secret vicie la procédure d'imposition et entraîne la décharge de l'imposition contestée". L'atteinte au secret professionnel est caractérisée : soit lorsque la divulgation d'une information à caractère secret a été demandée par le vérificateur en méconnaissance des dispositions de l'article L. 13-0 A du LPF, soit lorsque la divulgation fonde tout ou partie de la rectification alors même qu'elle ne serait imputable qu'au seul contribuable. La tâche du vérificateur s'en trouve compliquée, ou plutôt renforcée en ses exigences. Le vérificateur devient, dans le cadre du contrôle fiscal par lui réalisé, un garant du secret professionnel, à charge pour lui de faire montre de vigilance. Dans le cas contraire, et en présence d'une divulgation irrégulière, le vice de la procédure adviendra.

Quid de la conception de la notion de secret professionnel retenue par le juge ? Il s'agit d'une conception large. Pour qu'une information nominative enregistrée (lors d'un achat) dans le système informatique de l'officine de pharmacie présente un caractère secret, il suffit qu'elle se rapporte à un médicament, produit ou objet "dont la vente est réservée aux pharmaciens" (2). La portée de la protection instituée par le Conseil d'Etat peut se comprendre aisément à l'aune du raisonnement (différent et censuré, censuré car différent) adopté par la cour administrative d'appel. Pour cette dernière, la SNC n'était point fondée à soutenir qu'il avait été porté atteinte au secret professionnel lors de la vérification de comptabilité car les ventes en questions "ne faisaient suite à aucune prescription médicale et ne comportaient aucune référence à un médecin ou à un numéro de sécurité sociale". Dès lors, aucune information couverte par le secret médical n'avait été révélée à cette occasion aux yeux du juge d'appel. C'est cela même que le Conseil d'Etat censure : la cour a commis une erreur de droit car elle aurait dû rechercher si les informations nominatives du client revêtaient un caractère secret (3). L'absence de contrôle jurisprudentiel était carentielle puisqu'il était impossible de savoir si les prescriptions des articles 226-13 du Code pénal et R. 4235-5 du Code de la santé publique avaient été respectées (prohibition de la révélation d'un secret professionnel par une personne qui en est dépositaire). Pour le Conseil d'Etat, le critère central est l'activité du professionnel concerné en ce qu'il possède l'exclusivité de vente de certains médicaments, produits ou objets. Par la négative, il n'est pas exigé que ceux-ci appartiennent à la catégorie des médicaments, produits ou objets nécessitant une prescription médicale. Cette jurisprudence intéresse les différentes corporations dépositaires du secret professionnel ; il sera évidement fort intéressant de savoir comment sera déclinée, en fonction des professions concernées, cette conception ductile de la notion de secret professionnel.

II - Comptabilité informatisée, opposition au contrôle fiscal et évaluation d'office des bases d'imposition

Une autre question n'a pas manqué de poindre puisque la SNC, utilisant un progiciel spécifique, avait effacé certaines écritures comptables. Quid de l'obligation de présentation des documents comptables lorsqu'est supprimée une partie des documents informatiques sur lesquels portait le contrôle ? L'administration est-elle en droit de considérer que l'entreprise s'oppose au contrôle fiscal et de procéder à une évaluation d'office des bases d'imposition ? La réponse n'est pas de peu dans la mesure où elle intéresse toute entité usitant un logiciel de gestion des stocks ; la réponse n'est pas de peu en raison des peines correctionnelles encourues, de l'intérêt de retard et de la majoration de 100 % en cas d'opposition avérée au contrôle.

Dans notre espèce, l'administration avait constaté l'effacement, après réception par la SNC de l'avis de vérification avec mention de l'assistance d'une brigade informatique, d'une importante quantité d'enregistrements au sein des fichiers "historique clients" et "produits vendus". L'administration arguait que les opérations de purge étaient nécessairement le fait des responsables de la SNC en raison de l'obligation d'utiliser un profil utilisateur et un mot de passe associé. De ce double constat (suppression des fichiers nécessaires au contrôle fiscal, responsabilité présumée des dirigeants), l'administration tirait profit pour procéder à l'évaluation d'office des bases d'imposition de la requérante. Le Conseil d'Etat rejette de telles prétentions et une telle interprétation fiscale. Certes, concède le juge, les données du progiciel concourent bien à la formation des résultats comptables et relèvent bien du contrôle de l'article L. 47 du LPF (N° Lexbase : L3907ALB) ; pour autant, l'administration ne saurait tirer les conclusions auxquelles elle a abouti.

En raison de la clarté de son propos, il est préférable de citer longuement le juge : "la seule circonstance que des suppressions régulières et programmées de ces données aient empêché le vérificateur de mettre en oeuvre les traitements informatiques qui auraient pu être réalisés sur le fondement de cet article ne suffit pas à caractériser une opposition à contrôle fiscal au sens de l'article L. 74 du LPF (N° Lexbase : L0428IYI), dès lors qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'elles aient été effectuées en vue de l'imminence de ce contrôle". Le tacle jurisprudentiel est sévère. Le Conseil d'Etat annihile salutairement le raisonnement déterministe de l'administration soucieuse de poser l'équation suivante : la suppression des documents comptables est-elle égale à l'opposition à contrôle fiscal par défaut de production de fichiers et donc égale à l'évaluation d'office des bases d'imposition ? Il n'existe pas (espère-t-on) de présomption de culpabilité en droit français, y compris en droit fiscal français (4). L'administration ne peut se contenter d'alléguer la disparition de documents, fussent-ils nécessaires à l'accomplissement de sa tâche. Encore faut-il que le contrôleur insatisfait établisse (voire même allègue ajoute le Conseil d'Etat avec, peut être, une forme d'ironie) que les suppressions ont été effectuées à raison de l'imminence d'une opération de contrôle. Truisme : la charge de la preuve échoit au demandeur.

C'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a accordé à la SNC la décharge des rappels de TVA correspondant aux "ventes supprimées". Et c'est à mauvais doit que la cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé qu'il existait une volonté délibérée d'empêcher l'administration de procéder à la vérification de la comptabilité. Ce que censure le Conseil d'Etat n'est rien de moins qu'une politique doctrinale et jurisprudentielle de suspicion. Lorsque l'administration a eu accès à tous les fichiers de nature comptable de la SNC, le fait de ne pas conserver des données informatisées n'est pas, en soi, constitutif d'une opposition à contrôle fiscal.

L'arrêt du Conseil d'Etat vient quelque peu tempérer la notion d'opposition à contrôle fiscal (visée à l'article L. 74 du LPF) telle que lue par l'administration et parfois adoubée par le juge. Quelques formules au BOFIP (BOI-CF-IOR-40-20120912 N° Lexbase : X7157ALN) ne manquent pas de laisser pantois. Il n'est pas nécessaire (cf. le n° 40) que l'agent ait épuisé tous les moyens dont il dispose pour mener à bien sa tâche ; il suffit, même si les documents comptables ont été mis à sa disposition, que le contrôle ne se déroule pas "dans des conditions normales", formule à tout le moins vague. Le lecteur fiscaliste attend avec impatience une saine définition de la normalité fiscale. Quant au procès-verbal d'infraction, aucune règle "spéciale" (sic) n'est établie pour l'établissement de cet acte (n° 80) qui possède valeur légale sitôt dressé par un agent.

Avec l'arrêt présentement commenté, le Conseil d'Etat opère une réduction salutaire du domaine d'application de l'article L. 74 du LPF et borne les velléités de l'administration quant à la constatation d'une opposition à contrôle fiscal.


(1) La notion de secret professionnel a toujours été source d'un abondant contentieux. Le Conseil d'Etat avait posé que le nom des patients était couvert par le secret médical (CE ass., 12 mars 1982, n° 11099, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9316AKA). Le législateur est intervenu avec la loi du 29 décembre 1982 (loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982, de finances pour 1983 N° Lexbase : L1095G83) (codifiée à l'article 1649 quater G, alinéa 2 du CGI N° Lexbase : L1829HMP) afin de lever le secret médical protégeant l'identité des patients pour la tenue des documents comptables des praticiens par des associations de gestion agrée. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 7 juillet 2004 (CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2004, n° 253711, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1359DDP), a précisé les conditions d'application de la loi, notamment quant à la nature des documents visés. Le principe de la non-divulgation d'indications (même sommaires voire codées) relatives à la nature des prestations médicales a été sanctuarisé.
(2) C. santé pub., art. L. 4211-1 (N° Lexbase : L7824IZS).
(3) Dans un arrêt du 21 mars 2012, le Conseil d'Etat estime l'administration fiscale ne peut avoir accès (respect du secret professionnel oblige) au livre journal d'un dentiste mentionnant les actes dispensés sous forme de référence à la nomenclature des actes professionnels (CE 9° et 10° s-s-r., 21 mars 2012, n° 343986, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4386IGK).
(4) Sauf relations fiscales avec un Etat ou Territoire non coopératif.

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