La lettre juridique n°610 du 23 avril 2015 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Présomption de contribution aux charges du mariage en régime de séparation : retour à la liberté contractuelle comme fondement de la sécurité juridique

Réf. : Cass. civ. 1, 1er avril 2015, n° 14-14.349, F-P+B (N° Lexbase : A1036NGH)

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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille

le 23 Avril 2015

Après des péripéties bien inutiles, la Cour de cassation paraît revenir à une solution plus raisonnable de la question relative à la portée de la présomption de contribution aux charges du mariage en régime de séparation de biens ; il reste à espérer qu'elle s'y tienne ! Dans un arrêt du 1er avril 2015 (1), la première chambre civile vient, en effet, de confirmer une solution qu'elle avait déjà retenue dans un arrêt du 25 septembre 2013 (2), avec toutefois une précision supplémentaire qui renforce la portée et étend le domaine de la solution. Le problème juridique posé à la Cour de cassation était celui de la portée de la clause, fréquente dans les contrats de séparation de biens, aux termes de laquelle "chacun des époux sera réputé s'être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage". S'agit-il d'une présomption simple, dispensant simplement les époux de prouver la part des charges du mariage supportée par chacun d'eux, ou d'une présomption irréfragable interdisant de prouver que l'un des époux ne s'était pas acquitté de sa contribution aux charges du mariage ? La question est évidemment essentielle car, selon la réponse qui y est apportée, celui des époux qui a supporté au-delà de ses facultés contributives les charges du mariage pourra ou non faire valoir, lors de la liquidation, une créance à son bénéfice. Tel était le cas en l'espèce. Deux époux s'étaient mariés sous le régime de la séparation de biens en incluant dans leur contrat de mariage une telle clause réputant remplie "jour par jour" la contribution de chacun aux charges du mariage. Mais, lors de la liquidation du régime dans le cadre d'une instance en divorce, le mari, faisant valoir qu'il avait financé seul l'acquisition d'un immeuble indivis, réclama le paiement d'une indemnité. La cour d'appel de Rennes, dans un arrêt du 17 décembre 2013 (CA Rennes, 17 décembre 2013, n° 12/06964 N° Lexbase : A9479KSU), refusa de faire droit à cette demande et le pourvoi formé par le mari fut rejeté par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er avril 2015 aux motifs que, "après avoir relevé que les époux étaient convenus, par une clause de leur contrat de mariage, que chacun d'entre eux serait réputé s'être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage, et en avoir déterminé la portée, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a souverainement estimé qu'il ressortait de la volonté des époux que cette présomption interdisait de prouver que l'un ou l'autre des conjoints ne s'était pas acquitté de son obligation".

La Cour de cassation reprend ici, en substance, la formulation de son arrêt du 25 septembre 2013 en précisant, toutefois, qu'il appartient aux juges du fond de déterminer la portée de la clause litigieuse et, surtout, en faisant application de cette solution à une clause rédigée dans des termes beaucoup moins précis que celle ayant donné lieu à l'arrêt de 2013. En affirmant de la sorte, d'une part, qu'il appartient aux juges du fond de déterminer la portée de la clause de contribution aux charges du mariage insérée dans un contrat de séparation de biens, la Cour de cassation précise le régime de la présomption (I) instituée par cette clause. En admettant, d'autre part, que cette présomption "interdisait de prouver que l'un ou l'autre des conjoints ne s'était pas acquitté de son obligation", l'arrêt du 1er avril 2015 prend position sur le caractère de la présomption (II).

I - Le régime de la présomption

La présomption de contribution "au jour le jour" par chacun des époux aux charges du mariage découle de la clause insérée à cet effet dans leur contrat de mariage. C'est donc une présomption de l'homme, au sens de l'article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1017ABB), et non une présomption légale. Dès lors, l'appréciation de la portée de la présomption relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, à qui il appartient d'interpréter la volonté des parties. Dans la mesure où la présomption découle de cette volonté (puisqu'elle ne résulte pas de la loi mais du contrat de mariage), il est naturel que les juges du fond soient souverains pour en déterminer la portée. C'est ce qu'énonce l'arrêt du 1er avril 2015, qui consacre le pouvoir souverain des juges du fond pour déterminer la portée de la présomption en recherchant la volonté des parties.

Cette solution, qui reprend celle déjà retenue dans l'arrêt du 25 septembre 2013, s'écarte, en revanche, heureusement de la position qu'avait adoptée la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010 (3) qui avait admis, de manière générale, que si, par l'effet de la clause insérée dans leur contrat de mariage, chacun des époux était réputé avoir contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés, la preuve contraire était néanmoins toujours possible, indépendamment de la portée que les parties avaient entendu donner à la clause de leur contrat. Cette position, qui ne tirait pas les conséquences nécessaires de la nature de la présomption, est manifestement abandonnée ; on ne peut que s'en réjouir car elle aboutissait à "des appréciations casuistiques, subjectives et imprévisibles" favorisant "le développement du contentieux" (4). A l'opposé, l'arrêt du 1er avril 2015, en permettant aux époux de conférer un caractère irréfragable à la présomption de contribution aux charges du mariage, leur permet par là même de prévenir un tel contentieux.

II -Le caractère de la présomption

Contrairement à la position qu'elle avait adoptée en 2010, qui faisait de la présomption de contribution aux charges du mariage découlant de la convention des époux une présomption simple, la Cour de cassation admet désormais que, si telle est la volonté des parties souverainement interprétée par les juges du fond, la présomption résultant du contrat de mariage peut se voir reconnaître un caractère irréfragable et interdire "de prouver que l'un ou l'autre des conjoints ne s'était pas acquitté de son obligation" (5).

La signification du revirement ainsi confirmé par rapport à l'arrêt du 3 mars 2010 mérite d'être précisée. Les termes de l'arrêt pourraient, en effet, laisser penser que, selon la volonté des parties, la présomption prévue par le contrat de mariage pourrait être qualifiée de simple ou d'irréfragable. Mais, en réalité, la volonté des parties apparaît davantage comme le fondement du caractère, de fait, irréfragable de la présomption. Déjà, les commentateurs de l'arrêt du 25 septembre 2013 ne s'y étaient pas trompés : "bien que se retranchant derrière la souveraine appréciation des juges du fond", la Cour de cassation "soutient le caractère irréfragable de la présomption de contribution" (6). Cela est encore plus vrai dans l'arrêt du 1er avril 2015 car la clause du contrat de mariage était apparemment rédigée, dans cette espèce, dans des termes qui auraient pu justifier de n'y voir qu'une présomption simple. En effet, dans l'arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation, s'appuyant sur les constatations des juges du fond, relève que "les époux étaient convenus [...] qu'ils contribueraient aux charges du mariage dans la proportion de leurs facultés respectives et que chacun d'eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive en sorte [...] qu'ils n'auraient pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature". En revanche, dans l'arrêt du 1er avril 2015, il n'est fait mention que d'une clause se contentant d'affirmer que chacun des époux "serait réputé s'être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage", sans préciser que cette présomption interdisait tout recours entre époux. Or, comme cela avait été justement relevé à propos de l'arrêt du 25 septembre 2013, la seule mention que chacun des époux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, si elle impose un renversement de la charge de la preuve, n'interdit nullement de combattre la présomption par la preuve contraire (7). C'est uniquement l'ajout, à la fin de la clause, que les époux n'auraient pas de recours l'un contre l'autre qui empêche la preuve contraire et confère un caractère irréfragable à la présomption. Or, dans l'arrêt du 1er avril 2015, la Cour de cassation admet ce caractère irréfragable alors même que la clause du contrat de mariage n'exclut pas expressément tout recours entre époux. Il semble donc que la seule mention, dans le contrat de mariage, d'une clause aux termes de laquelle chaque époux est réputé avoir contribué au jour le jour aux charges du mariage, suffise désormais à conférer un caractère irréfragable à la présomption.

Cette position mérite d'être approuvée car si les époux se sont accordés pour réputer remplie leur obligation respective de contribuer aux charges du mariage, ils ont, par là même, renoncé par anticipation à toute preuve contraire. Certes, en fondant le caractère irréfragable de la présomption tirée des termes du contrat de mariage sur la volonté commune des parties, la Cour de cassation n'exclut pas absolument la possibilité pour les juges du fond d'interpréter la volonté des époux dans le sens d'une présomption simple mais, en pratique, une telle interprétation paraît difficile sans dénaturer les termes du contrat (8). On peut espérer que cela empêchera la prolifération d'un contentieux inutile, tout en préservant l'entière liberté des époux dans la rédaction de leur contrat de mariage. Cette jurisprudence doit, en effet, inciter les futurs époux à user de cette liberté en indiquant clairement, dans leur contrat de mariage, la portée qu'ils entendent donner à la présomption de contribution aux charges du mariage (9).


(1) Arrêt commenté in Defrénois, 15 avril 2015, p. 367, note G. Champenois et N. Couzigou-Suhas.
(2) Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-21.892, F-P+B (N° Lexbase : A9497KLC), D., 2013, 2682, note A. Molière ; RJPF, 2013, 12, note J. Vassaux ; Droit de la famille, 2014, comm. 38, note B. Beignier.
(3) Cass. civ. 1, 3 mars 2010, n° 09-11.005, F-P+B (N° Lexbase : A6550ESE), AJ. Famille, 2010, 188, note F. Chénedé ; RTDciv., 2010, 305, obs. J. Hauser et 363, obs. B. Vareille ; Defrénois, 2010, p. 1336, note D. Autem ; D., 2011, 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau.
(4) J. Vassaux, op. cit..
(5) L'arrêt du 1er avril 2015 renoue ainsi avec la solution retenue dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 1er octobre 1996 (Cass. civ. 1, 1 octobre 1996, n° 94-19625 N° Lexbase : A8638ABK).
(6) J. Vassaux, op. cit. ; dans le même sens, A. Molière, op. cit., D., 2013, p. 2683.
(7) A. Molière, op. cit., p. 2683.
(8) En ce sens, A. Molière, op. cit., p. 2684.
(9) V., en ce sens, les clauses proposées par G. Champenois et N. Couzigou-Suhas, op. cit., Defrénois, 15 avril 2015, p. 367.

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