Le Quotidien du 1 septembre 2025 : Responsabilité des constructeurs

[Dépêches] Le dommage futur : début d'un hiatus entre les juges administratif et judiciaire ?

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 22 juillet 2025, n° 491997, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B0808AZX

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 03 Septembre 2025

Les dommages apparus dans le délai décennal, de gravité décennale, sont réparables sur le fondement de la garantie décennale, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

La solution n’est pas nouvelle mais elle n’est pas strictement identique avec celle retenue par le juge judiciaire. Le Conseil d’État avait déjà pu admettre que le désordre prévisible, dès lors qu’il présente une gravité suffisante, puisse entraîner la responsabilité des constructeurs même si cette gravité n’apparaît pas dans le délai décennal (CE, 31 mai 2010, n° 317006 N° Lexbase : A2042EYB). Deux conditions doivent être remplies :

  • d’une part, les dommages à venir doivent être de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ;
  • d’autre part, ils doivent intervenir dans un délai prévisible.

La solution avait pu être confirmée par la suite (pour exemple, CE 11 décembre 2013, n° 364311 N° Lexbase : A3726KRG et encore récemment CE, 11 février 2025, n° 483654 N° Lexbase : A58786UA) rompant ainsi avec la jurisprudence, plus restrictive, du juge judiciaire, imposant la preuve de la réalisation du critère de gravité décennale dans le délai d’épreuve et d’action décennal.

Par deux arrêts rendus les 28 février 2018 (Cass. civ. 3, 28 février 2018, n° 17-12.460, FS-P+B N° Lexbase : A0412XGD) et 15 mars 2018 (Cass. civ. 3, 15 mars 2018, n° 17-12.751 N° Lexbase : A2137XHM), la Cour de cassation a encore rappelé sa position concernant l’indemnisation du désordre futur par l’assureur RC décennale, en ce sens qu’il n’est pas seulement exigé la démonstration du caractère certain de la survenance du désordre, mais également sa survenue avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

La position de la Cour de cassation n’a pas toujours été aussi restrictive, lorsqu’elle considérait que la responsabilité de l’assureur RC décennale pouvait être recherchée, dès lors que la réparation des désordres avait été demandée au cours de la période de garantie (Cass. civ. 3, 6 mai 1998, n° 96-18.298 N° Lexbase : A5401CND).

En cohérence avec l’esprit de la loi, la Cour de cassation n’a pas tardé à réviser sa jurisprudence, afin d’exiger que la preuve soit également rapportée du caractère certain de l’apparition du dommage de nature décennale avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

Après avoir confirmé sa position dans un arrêt du 16 avril 2013 (Cass. civ. 3, 16 avril 2013, n° 12-17.449 N° Lexbase : A4113KCC) et par deux arrêts rendus en 2014 (Cass. civ. 3, 12 novembre 2014, n° 13-11.886 N° Lexbase : A2944M3G et Cass. civ. 3, 24 septembre 2014, n° 13-20.912 N° Lexbase : A3400MX9), puis en cassant un arrêt de la cour d’appel d’Angers, dans une décision en date du 18 mai 2017 (Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-16.006 N° Lexbase : A4861WDE), réitérant ainsi que la perte de l’ouvrage doit nécessairement intervenir avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, la Cour de cassation confirme dans ses arrêts du 28 février 2018 et 15 mars 2018 une analyse plus rigoureuse et conforme à l’esprit de la loi.

Il est donc à regretter que cette position ne soit pas encore partagée par la jurisprudence administrative, dès lors que le Conseil d’État persiste à indemniser sur le fondement du désordre futur des dommages survenus dans toute leur ampleur postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, dès lors que l’action en réparation a été engagée avant le délai de forclusion, comme le souligne l’arrêt rapporté :

« En premier lieu, il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables ».

La réitération de cette position en l’espèce laisse entrevoir un effet d’aubaine pour les plaideurs, en fonction du tribunal compétent.

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