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N2784B3I
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le 26 Août 2025
Mots clés : relations de travail • employeurs • lanceurs d'alerte • bien-être en entreprise • protection des salariés
L’employeur est en première ligne quant à la gestion du bien-être de ses employés, facteur déterminant de la compétitivité et de la performance de l’entreprise. Il doit réagir promptement face aux alertes lancées en interne par les salariés, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Lexbase a interrogé à ce sujet Katia Chebbah, avocate au barreau de Paris*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de la gestion des alertes en entreprise ?
Katia Chebbah : Dans le cadre de l’entreprise et du point de vue du droit du travail, les alertes peuvent prendre deux types de formes.
L’alerte collective d’abord, exercée par un ou plusieurs représentants du personnel dans le cadre de leurs fonctions représentatives. Le champ de l’alerte collective est relativement large : atteinte aux droits des personnes, danger grave et imminent, santé publique et environnement, etc. L’exercice du droit d’alerte collective est encadré par le Code du travail et ses conditions dépendent de l’objet de l’alerte.
L’alerte individuelle exercée par un travailleur à titre personnel, ensuite, issue d’un corpus législatif et règlementaire qui a été construit et affiné au cours des 20 dernières années, notamment avec :
En synthèse, dans les grandes lignes, s’agissant de l’alerte individuelle, il est notamment important de comprendre plusieurs choses.
Quel peut être l’objet de l’alerte ?
L’alerte peut porter sur des informations relatives à « un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement » (article 1er de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte N° Lexbase : L6205MSM).
À titre d’exemples, peuvent faire l’objet d’une alerte :
Quelle peut être la forme de l’alerte ?
Le lanceur d’alerte peut réaliser son alerte via :
L’effectivité d’une procédure interne de recueil et de traitement des signalements a toute son importance pour (i) assurer une prise en charge efficace et sécurisée de l’alerte et (ii) maîtriser le risque réputationnel lié à une potentielle divulgation extérieure ou publique de l’alerte.
Lexbase : Quelles sont les obligations légales incombant aux employeurs en la matière ?
Katia Chebbah : En premier lieu, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de mettre en place un dispositif interne de recueil des alertes. Ce seuil de 50 salariés s’apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs. Cette procédure peut être mise en place soit par un accord collectif soit par le biais d’une décision unilatérale de l’employeur.
L’existence de ce dispositif doit être mentionnée dans le règlement intérieur de l’entreprise et doit obligatoirement garantir :
En second lieu, la mise en place de la procédure obéit aux principes suivants.
La procédure interne doit tout d’abord instaurer un canal de réception des signalements, permettant au lanceur d’alerte d’adresser un signalement, par écrit et/ou par oral.
Si le recueil prévoit la possibilité d’effectuer un signalement oral, le recueil précise comment l’alerte est consignée (par exemple, sous forme d’enregistrement vocal ou d’un procès-verbal réalisé à l’issue du signalement).
Ce canal doit permettre de transmettre et recevoir tout élément, quel que soit sa forme ou son support, de nature à étayer le signalement de faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire.
La procédure doit identifier le référent susceptible de recueillir et traiter les signalements. Ce dernier dispose, par son positionnement, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de ses missions.
La procédure garantit l’intégrité et la confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers qui y est mentionné ;
Lorsque le canal interne est utilisé, l’employeur doit :
Lorsque les conditions sont remplies, l’entité assure le traitement du signalement. Elle peut demander tout complément d’information à l’auteur du signalement et, lorsque les allégations paraissent avérées, l’entité met en œuvre les moyens à sa disposition pour remédier à l’objet du signalement.
La procédure prévoit que l'entité communique par écrit à l'auteur du signalement, dans un délai raisonnable n'excédant pas trois mois à compter de l'accusé de réception du signalement ou, à défaut d'accusé de réception, trois mois à compter de l'expiration d'une période de sept jours ouvrés suivant le signalement, des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l'exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l'objet du signalement.
Une fois que cette procédure de recueil et de traitement des signalements internes aura été établie, l’employeur devra :
Lexbase : Quelles sont les bonnes pratiques à adopter en matière de mise en place et de déroulement d’une procédure d’alerte ?
Katia Chebbah : La loi « Wasermann » ayant supprimé l’obligation d’un signalement en interne, préalable à toute divulgation externe, la procédure de recueil et traitement des signalements doit instaurer des garanties de qualité, d’objectivité et d’efficacité dans le traitement des alertes, afin d’inciter les salariés à privilégier le canal interne.
Afin d’établir une procédure efficace, celle-ci peut reposer sur les caractéristiques suivantes.
Simplicité et accessibilité : mobiliser des termes compréhensibles et faciliter la réalisation d’un signalement, par exemple, en admettant les alertes réalisées par simple courriel.
Réactivité : respecter les délais de traitement prévus par la loi.
Transparence : identifier clairement les acteurs en charge du recueil et du traitement de l’alerte et en limiter le nombre et préciser en détail les conditions du bénéfice de la protection des lanceurs d’alerte.
Confidentialité : assurer le respect d’une stricte confidentialité de l’auteur, des tiers et des informations.
Protection : exprimer fermement la prohibition de toutes représailles.
Engagement : garantir la qualité, la diligence et l’impartialité des enquêtes internes.
Lexbase : Quelle protection pour le lanceur d’alerte ?
Katia Chebbah : En premier lieu, il convient de rappeler qu’un lanceur d’alerte peut être un :
Bénéficient d’une protection à ce titre, à condition d’avoir eu connaissance des faits dans le cadre de leur activité professionnelle et d’agir sans contrepartie financière et de bonne foi, non seulement les lanceurs d’alerte, mais également :
La protection susvisée emporte :
Lexbase : Quels risques en cas de non-conformité ?
Katia Chebbah : L’absence d’un tel dispositif n’est pas à proprement parler sanctionnée par la loi ou les règlements.
La violation de l’obligation de sécurité de l’employeur pourrait probablement être caractérisée dans l’hypothèse où un tel signalement venait à intervenir et que, en raison de l’absence de procédure interne de signalement, le lanceur d’alerte affirmait n’avoir pu mener à bien son signalement ou avoir été insuffisamment protégé par l’entreprise.
Le cas échéant, les conséquences de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité envers ses salariés pourraient être multiples (dommages-intérêts, résiliation judiciaire du contrat de travail ou prise d’acte de la rupture du contrat de travail, risques de poursuites pénales relatives aux faits signalés, etc.).
De plus, en l’absence de procédure interne de signalement, le lanceur d’alerte sera tenté d’effectuer son alerte auprès d’autorités externes à l’entreprise voire de la rendre publique, ce qui pourrait entraîner des conséquences réputationnelles non négligeables pour l’entreprise.
Il est donc préconisé de mettre en place une procédure interne de signalement qui puisse mettre en confiance le lanceur d’alerte.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
[1] CE, avis, 4 novembre 2021, nº 404001, § 18.
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