Le Quotidien du 1 septembre 2025 : Rel. collectives de travail

[Questions à...] Quelles sont les obligations de l’employeur dans la gestion des alertes individuelles dans l’entreprise ? - Questions à Katia Chebbah, avocate au barreau de Paris

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[Questions à...] Quelles sont les obligations de l’employeur dans la gestion des alertes individuelles dans l’entreprise ? - Questions à Katia Chebbah, avocate au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/123279852-questions-a-quelles-sont-les-obligations-de-lemployeur-dans-la-gestion-des-alertes-individuelles-dan
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le 26 Août 2025

Mots clés : relations de travail • employeurs • lanceurs d'alerte • bien-être en entreprise • protection des salariés

L’employeur est en première ligne quant à la gestion du bien-être de ses employés, facteur déterminant de la compétitivité et de la performance de l’entreprise. Il doit réagir promptement face aux alertes lancées en interne par les salariés, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Lexbase a interrogé à ce sujet Katia Chebbah, avocate au barreau de Paris*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de la gestion des alertes en entreprise ?

Katia Chebbah : Dans le cadre de l’entreprise et du point de vue du droit du travail, les alertes peuvent prendre deux types de formes.

L’alerte collective d’abord, exercée par un ou plusieurs représentants du personnel dans le cadre de leurs fonctions représentatives. Le champ de l’alerte collective est relativement large : atteinte aux droits des personnes, danger grave et imminent, santé publique et environnement, etc. L’exercice du droit d’alerte collective est encadré par le Code du travail et ses conditions dépendent de l’objet de l’alerte.

L’alerte individuelle exercée par un travailleur à titre personnel, ensuite, issue d’un corpus législatif et règlementaire qui a été construit et affiné au cours des 20 dernières années, notamment avec :

  • la loi dite « Sapin II » du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi n° 2016-1691 N° Lexbase : L6340MSM) ;
  • la loi dite « Wasermann » du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, qui a élargi le champ des alertes et simplifié leur réalisation (loi n° 2022-401 N° Lexbase : L6205MSM) ;
  • le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022, relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d'alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte N° Lexbase : L0277MYW.

En synthèse, dans les grandes lignes, s’agissant de l’alerte individuelle, il est notamment important de comprendre plusieurs choses.

Quel peut être l’objet de l’alerte ?

L’alerte peut porter sur des informations relatives à « un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement » (article 1er de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte N° Lexbase : L6205MSM).

À titre d’exemples, peuvent faire l’objet d’une alerte :

  • des situations de harcèlement moral ou sexuel ou de violence physique ou morale au travail, dans lesquelles un salarié peut dénoncer, selon la procédure légale, les méthodes de management insoutenables de la direction qui ont engendré une succession d’arrêts maladie ou conduit, comme dans l’affaire « Orange », à des suicides ;
  • la dangerosité ou la nocivité d’un produit commercialisé (comme dans l’affaire du Médiator, par exemple).

Quelle peut être la forme de l’alerte ?

Le lanceur d’alerte peut réaliser son alerte via :

  • le canal interne à l’entreprise : usage de la procédure interne de recueil des signalements mise en place par l’entreprise ;
  • un canal externe, le lanceur d’alerte pouvant adresser son alerte à différentes entités externes à l’entreprise, en fonction du domaine de l’alerte (Défenseur des droits, Direction générale du travail, CNIL, etc.) ;
  • un canal public (médias, internet, ONG, etc.), mais en cas de divulgation publique, le lanceur d’alerte ne sera protégé que dans certains cas précis prévus par les textes (danger grave ou imminent ou encore sécurité nationale, par exemple).

L’effectivité d’une procédure interne de recueil et de traitement des signalements a toute son importance pour (i) assurer une prise en charge efficace et sécurisée de l’alerte et (ii) maîtriser le risque réputationnel lié à une potentielle divulgation extérieure ou publique de l’alerte.

Lexbase : Quelles sont les obligations légales incombant aux employeurs en la matière ?

Katia Chebbah : En premier lieu, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de mettre en place un dispositif interne de recueil des alertes. Ce seuil de 50 salariés s’apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs. Cette procédure peut être mise en place soit par un accord collectif soit par le biais d’une décision unilatérale de l’employeur.

L’existence de ce dispositif doit être mentionnée dans le règlement intérieur de l’entreprise et doit obligatoirement garantir :

  • la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte ;
  • la sécurité du canal de signalement ;
  • l’absence de représailles.

En second lieu, la mise en place de la procédure obéit aux principes suivants.

La procédure interne doit tout d’abord instaurer un canal de réception des signalements, permettant au lanceur d’alerte d’adresser un signalement, par écrit et/ou par oral.

Si le recueil prévoit la possibilité d’effectuer un signalement oral, le recueil précise comment l’alerte est consignée (par exemple, sous forme d’enregistrement vocal ou d’un procès-verbal réalisé à l’issue du signalement).

Ce canal doit permettre de transmettre et recevoir tout élément, quel que soit sa forme ou son support, de nature à étayer le signalement de faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire.

La procédure doit identifier le référent susceptible de recueillir et traiter les signalements. Ce dernier dispose, par son positionnement, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de ses missions.

La procédure garantit l’intégrité et la confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers qui y est mentionné ;

Lorsque le canal interne est utilisé, l’employeur doit :

  • vérifier que le lanceur d’alerte remplit effectivement les conditions du bénéfice de la protection ;
  • l’informer par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception ;
  • le cas échéant, l’informer des raisons pour lesquelles l’entité estime que son signalement ne respecte pas les conditions légales ou réglementaires ;

Lorsque les conditions sont remplies, l’entité assure le traitement du signalement. Elle peut demander tout complément d’information à l’auteur du signalement et, lorsque les allégations paraissent avérées, l’entité met en œuvre les moyens à sa disposition pour remédier à l’objet du signalement.

La procédure prévoit que l'entité communique par écrit à l'auteur du signalement, dans un délai raisonnable n'excédant pas trois mois à compter de l'accusé de réception du signalement ou, à défaut d'accusé de réception, trois mois à compter de l'expiration d'une période de sept jours ouvrés suivant le signalement, des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l'exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l'objet du signalement.

Une fois que cette procédure de recueil et de traitement des signalements internes aura été établie, l’employeur devra :

  • mettre à jour le règlement intérieur pour y faire référence ;
  • informer et consulter le CSE, préalablement à son entrée en vigueur [1] ;
  • procéder à l’information des salariés sur la procédure de recueil des signalements qu’il a établie par tout moyen, dans des conditions propres à la rendre accessible à tous : notification, affichage, publication sur le site internet, ou par voie électronique ;
  • inscrire le dispositif de signalement et de traitement des alertes dans le registre des activités de traitement, conformément aux dispositions du RGPD.

Lexbase : Quelles sont les bonnes pratiques à adopter en matière de mise en place et de déroulement d’une procédure d’alerte ?

Katia Chebbah : La loi « Wasermann » ayant supprimé l’obligation d’un signalement en interne, préalable à toute divulgation externe, la procédure de recueil et traitement des signalements doit instaurer des garanties de qualité, d’objectivité et d’efficacité dans le traitement des alertes, afin d’inciter les salariés à privilégier le canal interne.

Afin d’établir une procédure efficace, celle-ci peut reposer sur les caractéristiques suivantes.

Simplicité et accessibilité : mobiliser des termes compréhensibles et faciliter la réalisation d’un signalement, par exemple, en admettant les alertes réalisées par simple courriel.

Réactivité : respecter les délais de traitement prévus par la loi.

Transparence : identifier clairement les acteurs en charge du recueil et du traitement de l’alerte et en limiter le nombre et préciser en détail les conditions du bénéfice de la protection des lanceurs d’alerte.

Confidentialité : assurer le respect d’une stricte confidentialité de l’auteur, des tiers et des informations.

Protection : exprimer fermement la prohibition de toutes représailles.

Engagement : garantir la qualité, la diligence et l’impartialité des enquêtes internes.

Lexbase : Quelle protection pour le lanceur d’alerte ?

Katia Chebbah : En premier lieu, il convient de rappeler qu’un lanceur d’alerte peut être un :

  • ancien et actuel membre du personnel ;
  • candidat à un emploi, lorsque les informations donnant lieu à l’alerte ont été obtenues dans le cadre de cette candidature ;
  • actionnaire, associé et titulaire de droit de vote au sein de l’assemblée générale de l’entité ;
  • membre de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance ;
  • collaborateur extérieur ou occasionnel ;
  • cocontractant de l’entité concerné, sous-traitants ou, lorsqu’il s’agit de personnes morales, des membres de leur organe d’administration, de direction ou de surveillance.

Bénéficient d’une protection à ce titre, à condition d’avoir eu connaissance des faits dans le cadre de leur activité professionnelle et d’agir sans contrepartie financière et de bonne foi, non seulement les lanceurs d’alerte, mais également :

  • les facilitateurs (personnes physiques ou morales qui aident un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation),
  • les personnes physiques en lien avec le lanceur d’alerte qui risquent de faire l’objet de représailles de la part de leur employeur, de leur client ou du destinataire de leurs services ;
  • les entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte ou avec lesquels il est en lien dans un contexte professionnel.

La protection susvisée emporte :

  • une irresponsabilité pénale, pour certaines infractions relatives au respect d’un secret ou au détournement ou la conservation de documents, à condition que le signalement ne concerne pas une information protégée par la loi (secret défense, par exemple) et ne soit pas effectué de mauvaise foi ;
  • une irresponsabilité civile, en cas de signalement de bonne foi : Ils ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’ils avaient des motifs raisonnables de croire, que ce signalement ou cette divulgation publique était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ;
  • des mesures de protection du lanceur d’alerte (protection contre les représailles dans l’entreprise, interdiction de refuser de louer un logement en raison de la qualité de lanceur d’alerte).

Lexbase : Quels risques en cas de non-conformité ?

Katia Chebbah : L’absence d’un tel dispositif n’est pas à proprement parler sanctionnée par la loi ou les règlements.

La violation de l’obligation de sécurité de l’employeur pourrait probablement être caractérisée dans l’hypothèse où un tel signalement venait à intervenir et que, en raison de l’absence de procédure interne de signalement, le lanceur d’alerte affirmait n’avoir pu mener à bien son signalement ou avoir été insuffisamment protégé par l’entreprise.

Le cas échéant, les conséquences de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité envers ses salariés pourraient être multiples (dommages-intérêts, résiliation judiciaire du contrat de travail ou prise d’acte de la rupture du contrat de travail, risques de poursuites pénales relatives aux faits signalés, etc.).

De plus, en l’absence de procédure interne de signalement, le lanceur d’alerte sera tenté d’effectuer son alerte auprès d’autorités externes à l’entreprise voire de la rendre publique, ce qui pourrait entraîner des conséquences réputationnelles non négligeables pour l’entreprise.

Il est donc préconisé de mettre en place une procédure interne de signalement qui puisse mettre en confiance le lanceur d’alerte.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] CE, avis, 4 novembre 2021, nº 404001, § 18.

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