La lettre juridique n°978 du 21 mars 2024 : Fiscalité des entreprises

[Conclusions] Report d’imposition des plus-values réalisées lors d’opérations d’apport de titres et réinvestissement – Conclusions de la Rapporteure publique

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 16 février 2024, n° 472835, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A72812MM

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[Conclusions] Report d’imposition des plus-values réalisées lors d’opérations d’apport de titres et réinvestissement – Conclusions de la Rapporteure publique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/105728133-conclusions-report-dimposition-des-plusvalues-realisees-lors-doperations-dapport-de-titres-et-reinve
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par Karin Ciavaldini, Rapporteure publique au Conseil d’État

le 20 Mars 2024

Mots-clés : fiscalité • plus-values mobilières • apport de titres • report d’imposition • sociétés

Le Conseil d’État devait trancher un litige relatif aux conditions permettant le maintien du report d’imposition de la plus-value d’apport.

Lexbase Fiscal vous propose cette semaine les conclusions de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini sur cette affaire.


 

1. La Compagnie française des Établissements Gaillard, créée en 1909, s’est spécialisée dans les années 1950 dans la fourniture de bois de mine pour Charbonnages de France puis pour d’autres usages industriels. Elle a cédé en 2006 son patrimoine d’immeubles bâtis à une autre société, le reste de son activité, principalement exercée au travers de deux groupements forestiers et d’une société de magasins généraux, étant transféré à une nouvelle société, la société anonyme Gaillard, dont les actionnaires, tout comme pour la Compagnie française des Établissements Gaillard, étaient constitués par les quatre branches familiales issues des quatre enfants du fondateur, dont Mme Gabrielle G, épouse de C.

Entre juillet et octobre 2016, Mme de C a abandonné les 42 % du capital de la société Gaillard qu’elle détenait contre 50,2 % du capital du plus important des deux groupements forestiers détenus par cette société, le Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon. Cette opération s’est réalisée en trois étapes, entre juillet et octobre 2016 :

  • Le 28 juillet 2016, Mme de C a constitué, avec ses enfants, la société par actions simplifiée GA7, à laquelle elle a apporté ses 6 451 actions de la société Gaillard. Elle a reçu en contrepartie 2 741 675 actions de la société GA7, d’une valeur nominale d’un euro.
  • Le 26 septembre 2016, la société Gaillard a procédé à une réduction de capital par rachat puis annulation de titres, notamment ceux détenus par la société GA7.
  • Enfin, le 27 octobre 2016, la société GA7 a réinvesti une partie du produit de la cession de ces titres dans l’acquisition de parts de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon.

L’opération initiale d’apport de titres à la société GA7 a entraîné la constatation d’une plus-value, que M. et Mme de C ont déclarée au titre de l’année 2016. Toutefois, ils ont ensuite présenté une réclamation afin d’obtenir le dégrèvement intégral de l’imposition de cette plus-value, qu’ils souhaitaient voir placée en report d’imposition sur le fondement des dispositions de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts N° Lexbase : L0705MLP.

L’administration a rejeté cette réclamation, pour les raisons suivantes.

L’administration ne contestait pas que les conditions posées à l’article 150-0 B ter du CGI, dans sa rédaction applicable à la date de réalisation de la plus-value, pour le placement de  celle-ci en report d’imposition étaient satisfaites (l’apport devait être réalisé en France ou dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ; la société bénéficiaire de l’apport devait être contrôlée par le contribuable).

Mais le rachat et l’annulation des titres apportés, dans un délai de trois ans à compter de l’apport, correspond à l’un des événements susceptibles de mettre fin au report d’imposition de la plus-value d’apport. Cet événement est intervenu le 26 septembre 2016. Le texte prévoit toutefois qu’il n’est pas mis fin au report d’imposition lorsque la société bénéficiaire de l’apport, qui cède les titres, prend l’engagement d’investir le produit de leur cession, dans un délai de deux ans à compter de la date de la cession et à hauteur d’au moins 50 % du montant de ce produit, dans le financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, ou dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité, sous la même exception, et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter.

La société GA7 a investi plus de 50 % du prix de cession des titres de la société Gaillard en procédant, le 27 octobre 2016, à l’acquisition de 291 parts sociales de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, qui exerce l’une des activités mentionnées ci-dessus. À l’issue de cette opération, la société GA7 détenait le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter du CGI. Mais l’administration fiscale a estimé que la condition pour que le bénéfice du report d’imposition soit maintenu n’était pas satisfaite, dès lors que la société GA7 détenait selon elle déjà le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter, à l’issue de l’opération d’apport [1] et ne l’avait perdu qu’à la suite du rachat en vue de leur annulation, le 26 septembre 2016, des titres de la société Gaillard qui lui avaient été précédemment apportés.

M. et Mme de C ont contesté devant le tribunal administratif de Montpellier l’imposition de la plus-value litigieuse maintenue par l’administration. Celui-ci a rejeté leur demande mais la cour administrative d’appel de Toulouse leur a donné raison [2]. Elle s’est placée à la date de l’investissement réalisé le 27 octobre 2016 par la société GA7 et a regardé comme sans incidence la circonstance qu’à l’issue de l’opération d’apport ayant généré la plus-value litigieuse, la société GA7 aurait déjà détenue le contrôle de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon, même si elle l’avait perdu ensuite (cette absence de contrôle, juste avant l’opération d’investissement, n’est pas contestée par le ministre).

2. Le ministre se pourvoit en cassation pour faire trancher cette question de droit inédite.

Il soutient que l’opération de réinvestissement ne peut être envisagée séparément, dès lors que l’article 150-0 B ter du CGI vise à régir l’opération d’apport-cession dans son ensemble. « Conférer le contrôle » signifie donc, selon lui, qu’il ne devait y avoir un tel contrôle ni à la date de l’apport des titres, ni à aucun moment ensuite jusqu’à la prise de contrôle résultant de l’opération de réinvestissement.

L’article 150-0 B ter du CGI, applicable dans le cadre d’apports de titres à des sociétés contrôlées par l’apporteur, a été créé par l’article 18 de la loi n° 2012-1510, du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ. Il a eu pour objectif de mettre un terme aux schémas d’apport-cession abusifs, qui s’éloignaient de l’intention du législateur consistant à faciliter les restructurations d’entreprises. Ces schémas abusifs pouvaient auparavant être sanctionnés par la voie de la répression des abus de droit. Vous aviez en effet estimé qu’une opération de report d’imposition, dont l’intérêt fiscal était de différer l’imposition, entrait dans le champ d’application de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dès lors qu’elle avait nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable (cf. CE 3° et 8° ssr., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD [3]). L’objectif économique poursuivi par le législateur était regardé comme rempli lorsque le produit de la cession était réinvesti dans une activité économique, pour une part significative [4] et à bref délai, ce délai étant toutefois apprécié en tenant compte des démarches préalables impliquées par la nature et l’importance de ce réinvestissement [5].

L’article 150-0 B ter du CGI rompt avec la logique anti-abus pour fixer des conditions précises à respecter pour bénéficier et conserver le bénéfice du report d’imposition. L’objectif du législateur reste de « favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échange de titres en évitant que l’imposition immédiate de la plus-value constatée à l’occasion d’une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d’acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation [6] ».

Le texte ne nous paraît pas se prêter à la lecture que souhaite en faire le ministre.

Tout d’abord, le texte impose que l’opération d’investissement ait pour effet de conférer le contrôle de la société dans laquelle il est investi, ce qui signifie que l’opération permet d’acquérir un tel contrôle (tel qu’il est défini au 2° du III de l’article 150-0 B ter du CGI). Il n’y a pas de débat sur ce point et le texte nous semble clair.

Il faut bien ensuite constater que le texte ne fixe aucune autre condition et n’exclut notamment pas qu’un tel contrôle ait pu être détenu antérieurement, puis perdu. Quant à la date à laquelle la condition du contrôle est appréciée, il nous semble qu’elle ne peut être que celle du réinvestissement. Le texte laisse en effet un délai de deux ans pour procéder à cette opération et, en cas de non-respect de la condition de réinvestissement, le report d’imposition prend fin au titre de l’année au cours de laquelle ce délai de deux ans expire. Si la société bénéficiaire de l’apport doit prendre l’engagement d’investir le produit de la cession des titres conformément aux prescriptions du texte, cet engagement reste d’ordre général et ne vise bien sûr pas un investissement précis, que la société a deux ans pour choisir. La lettre claire du texte nous semble donc conduire à la solution retenue par la cour de Toulouse.

La voie de l’abus de droit reste bien sûr ouverte pour sanctionner des opérations pouvant être regardées comme des montages artificiels dépourvus de toute justification économique et élaborés dans un but exclusivement fiscal.

PCMNC :

  • au rejet du pourvoi du ministre ;
  • à ce que l’État verse à M. et Mme de C la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.
 

[1] Elle possédait alors 42 % des titres de la société Gaillard, qui possédait elle-même 97,5 % des parts du capital de la société Groupement Forestier de la Forêt de Bauzon.

[2] CAA Toulouse, 23 février 2023, n° 21TL00748 N° Lexbase : A97649DY, RJF, 8-9/23, n° 637.

[3] Aux T., RJF, 12/10, n° 1205, cl. L. Olléon, BDCF, 12/10, n° 132.

[4] CE 9° et 10° ssr., 24 août 2011, n° 316928, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3490HXK (RJF, 11/11, n° 1186, cl. J. Boucher, BDCF, 11/11, n° 129).

[5] Voir CE 9° et 10° ch.-r., 22 septembre 2017, n° 412408, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7392WSL (aux T., RJF, 12/17, n° 1227, cl. A. Bretonneau au C 1227) ainsi que la décision n° 313139 (CE 3° et 8° ssr., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD).

[6] Cf. notamment : CE 3° et 8° ch.-r., 20 décembre 2017, n° 414935, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4799W9M (aux T. sur un autre point, RJF, 3/18, n° 297, cl. B. Bohnert au C 297) ; CE 3° et 8° ch.-r., 31 mai 2022, n° 454288, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61847YP (aux T., RJF, 8-9/22, n° 736, cl. R. Victor, C 735 et 736).

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