Le Quotidien du 29 janvier 2020 : Procédure pénale

[Brèves] Saisie de domaines viticoles bordelais acquis par un groupe financier chinois : qualité à agir de la société exploitante, mise à disposition des pièces de la procédure et proportionnalité de la mesure

Réf. : Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.891, F-P+B+I (N° Lexbase : A17503BG)

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[Brèves] Saisie de domaines viticoles bordelais acquis par un groupe financier chinois : qualité à agir de la société exploitante, mise à disposition des pièces de la procédure et proportionnalité de la mesure. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56165328-cite-dans-la-rubrique-bprocedure-penale-b-titre-nbsp-isaisie-de-domaines-viticoles-bordelais-acquis
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par June Perot

le 24 Janvier 2020

► A l’occasion d’un arrêt du 15 janvier 2020, la Chambre criminelle a pu se prononcer, dans une affaire de saisie d’une exploitation viticole, sur plusieurs problématiques : la Cour de cassation estime tout d’abord que la société exploitante d'un domaine viticole saisi, qui n'en est pas la propriétaire, est irrecevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie dès lors qu'elle ne démontre pas en quoi la saisie, qui ne remet pas en cause son statut et n'a pas interdit l'exploitation du bien, aurait causé un trouble de jouissance pour elle ;

► elle rappelle ensuite que la restriction apportée à la mise à disposition des pièces du dossier ne méconnaît pas les dispositions de l’article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), en ce qu’elle garantit un juste équilibre entre les droits de la personne concernée par la saisie et la nécessité de préserver le secret de l’enquête et de l’instruction, la jurisprudence de la Cour de cassation favorisant le maintien de cet équilibre ;

► enfin, selon la Chambre criminelle, la juridiction d'instruction a le devoir d'apprécier et de vérifier, sur la base des indices dont elle dispose, la nature de produit de l'infraction du bien saisi chaque fois qu'elle statue sur cette mesure ou sur une demande de restitution ; la solution implique la possibilité, au fur et à mesure des investigations, d'affiner ce montant, éventuellement en procédant à des restitutions partielles (Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.891, F-P+B+I N° Lexbase : A17503BG).

Résumé des faits. L’affaire concernait un conglomérat chinois (groupe Haichang) soupçonné d’avoir usé de montages financiers frauduleux pour acquérir la propriété de domaines viticoles français situés dans le bordelais. Le PNF avait ouvert une enquête préliminaire des chefs de blanchiment en bande organisée, fraude fiscale aggravée, blanchiment de fraude fiscale aggravée, escroquerie et blanchiment d’escroqueries, à la suite d’un article de presse faisant état des investissements chinois dans le vignoble bordelais et d’un rapport de la Cour des comptes chinoise (NAO) relatant des détournements de fonds publics, à hauteur de 32 millions d’euros, en vue de ces acquisitions. Le juge des libertés et de la détention avait alors autorisé la saisie de la propriété viticole dénommée « Château Sogeant ».

Les sociétés Major Cheer Limited et Lamont financière, respectivement propriétaire et exploitante de la propriété saisie ont interjeté appel de cette décision.

En cause d’appel. Pour déclarer l’appel de la société Lamont financière irrecevable, l’arrêt attaqué énonce que celle-ci n’est pas propriétaire du bien objet de la saisie immobilière mais seulement l’exploitante, que la qualité à agir ne se présume pas du seul fait de l’appel et que l’ordonnance de saisie du juge des libertés et de la détention est une mesure provisoire qui a pour seul effet l’interdiction d’aliéner ou de donner en garantie ledit bien, prérogatives appartenant au seul propriétaire. Les juges ajoutent que la saisie pénale immobilière ne porte aucunement atteinte au droit de jouissance et encore moins aux droits d’exploitation du locataire. Ils concluent qu’à défaut de qualité à agir, l’appel de la société Lamont financière doit être déclaré irrecevable.

Sur la question de la mise à disposition des pièces de la procédure, la chambre de l’instruction énonce qu’en application de l’article 706-150 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7454LPR), en cas de recours contre une décision de saisie pénale immobilière prise dans le cadre d’une enquête préliminaire, le propriétaire appelant ne peut prétendre qu’à la mise à la disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste, l’accès limité à certaines pièces de la procédure, en l’espèce les pièces se rapportant à la saisie, conciliant de façon satisfaisante le respect du droit de propriété et des exigences liées à la manifestation de la vérité avec l’efficacité des enquêtes pénales. En application de l’article 6 de la CESDH et l’article préliminaire du Code de procédure pénale, il incombe à la juridiction saisie de veiller au respect du principe du procès équitable qui implique le respect du contradictoire et que l’appelant ait connaissance des pièces susceptibles d’avoir une influence prépondérante sur sa décision et donc d’avoir une incidence sur l’issue du seul litige dont elle est saisie. Les juges ajoutent que figurent au dossier de la procédure, outre l’ordonnance appelée, la requête du procureur national financier et la décision de saisie de ce dernier, diverses autres pièces relatives à la saisie contestée qu’ils énumèrent de façon détaillée avant de souligner que les pièces auxquelles peut prétendre la partie intéressée appelante d’une autorisation de saisie pénale immobilière ordonnée en enquête préliminaire sont complètes et suffisantes et se rapportent directement à la décision contestée.

Enfin, l’ordonnance de saisie pénale immobilière est confirmée par les juges d’appel au regard de la proportionnalité. Les juges relèvent qu’il est suffisamment établi que cet immeuble a été financé avec le produit des infractions, objet de l’enquête préliminaire. Selon eux, le principe de proportionnalité ne peut s’appliquer à la saisie provisoire aux fins de garantir la confiscation d’un bien qui, dans sa totalité, est le produit ou l’objet des infractions d’escroquerie, de blanchiment et d’abus de biens sociaux objet de la poursuite.

Un pourvoi a été formé.

Irrecevabilité de l’appel de la société exploitante. La Haute juridiction considère que la société Lamont financière est irrecevable et son pourvoi également. En effet, il découle de l’article 706-150 du Code de procédure pénale qui régit les modalités de la saisie immobilière que seuls peuvent interjeter appel d’une décision de saisie, soit le propriétaire de celui-ci, soit les tiers ayant des droits sur ce bien. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-84.256, F-D N° Lexbase : A5856ZEM) que l’occupant d’un appartement, objet d’une saisie pénale, est sans intérêt à exercer un recours en son nom personnel contre une telle décision dès lors que la saisie du bien est sans incidence sur son statut et qu’il n’est pas démontré, ni même allégué, que cette mesure serait la cause d’un trouble de jouissance.

En l’espèce, la société Lamont financière, qui n’est pas propriétaire de la propriété viticole saisie, mais seulement l’exploitante, ne démontre pas en quoi la saisie, qui ne remet pas en cause son statut et n’a pas interdit l’exploitation dudit bien, aurait causé un trouble de jouissance pour elle.

Mise à disposition des pièces de la procédure. La Chambre criminelle retient que la restriction apportée à la mise à disposition des pièces du dossier ne méconnaît pas les dispositions de l’article 6 de la CESDH, en ce qu’elle garantit un juste équilibre entre les droits de la personne concernée par la saisie et la nécessité de préserver le secret de l’enquête et de l’instruction, la jurisprudence de la Cour de cassation favorisant le maintien de cet équilibre. D’une part, sont considérées comme les pièces de la procédure se rapportant à la saisie, la requête du ministère public aux fins de saisie ainsi que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention et, antérieurement à la loi n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l’organisation des juridictions, la décision de saisie du ministère public (N° Lexbase : L6739LPB). D’autre part, la chambre de l’instruction, saisie d’un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 (N° Lexbase : L7245IMB) à 706-158 du Code de procédure pénale, qui, pour justifier d’une telle mesure, s’appuie, dans ses motifs décisoires, sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure est tenue de s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante.

Par ailleurs, si la jurisprudence de la CEDH est exigeante au regard du respect des droits de la défense, il en découle également que le droit à une divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu en présence d’intérêts concurrents, et notamment la nécessité de garder secrètes les investigations policières, les mesures restreignant les droits de la défense devant être absolument nécessaires (CEDH, 23 avril 1997, Req. 21363/93, Van Mechelen et autres c/ Pays-Bas N° Lexbase : A0349NDB, § 58) et suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (CEDH, 26 mars 1996, Req. 54/1994/501/583, Doorson c/ Pays-Bas N° Lexbase : A8388AWL, § 72 ; CEDH, Van Mechelen et autres c/ Pays-Bas, 23 avril 1997, § 54).

Proportionnalité de la mesure. La Chambre criminelle considère qu’en prononçant ainsi, et dès lors que la juridiction d’instruction doit apprécier et vérifier, sur la base des indices dont elle dispose, la nature de produit de l’infraction du bien saisi chaque fois qu’elle statue sur cette mesure ou sur une demande de restitution, la chambre de l’instruction a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

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