Le Quotidien du 15 août 2023

Le Quotidien

Commissaires de justice

[Point de vue...] La « fauxtographie » et le constat

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Expert près l’UIHJ

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : commissaire de justice • preuve • photographie • fauxtographie

À l’ère de l’intelligence artificielle, ChatGPT et Dall-E, survient le spectre du « grand remplacement » des intellectuels. Sans verser dans ce débat, les lignes qui suivent interrogent le juriste sur son rapport à la preuve par l’image, et sa connaissance de la « fauxtographie », c’est-à-dire la photographie frauduleuse en ce qu’elle ne représente pas exactement la réalité. Plus largement, la photographie intelligente doit-elle convaincre de tout, bénéficiant d’une force probante inégalable ? La réponse est négative comme les développements suivants l’expliquent, démontrant que le garant contre la « fauxtographie » juridique est le commissaire de justice.


 

                                                          

Le pape en doudoune ? « Je n’en crois pas mes yeux! ».

Lexclamation signifiait auparavant un ahurissement devant la réalité, mais tend à devenir aujourdhui l’expression d’un véritable doute de la réalité, lit du complotisme.

Cependant, au sens premier du terme, lexpression signifie bien que les yeux sont censés donner une réalité devant simposer à la raison, ce qui explique en un sens la place de limage aujourdhui, laquelle tend même à remplacer l’écriture par une simple émoticône.

Hélas, l’époque où la photographie représentait la vérité de la réalité est révolue, puisque l’image peut aujourdhui être altérée, par le photographe ou à l’insu de celui-ci.

D’abord, l’image peut être manipulée par le photographe, lorsquil maîtrise les logiciels de retouche (manipulation a posteriori) et les techniques de prise de vue (manipulation a priori).

Ensuite, l’image peut être manipulée à linsu du photographe, lorsque lappareil quil utilise est pourvu dun logiciel dont la destinée est doptimiser limage capturée par l’obturateur du smartphone par exemple. C’est ainsi qu’il est possible de voir fleurir sur les façades des monuments des publicités glorifiant des smartphones et leurs photographies nocturnes ou en mode macro, montrant le plus infime et intime détail en pixels. Tout utilisateur de smartphone en a dailleurs fait lexpérience : qui na pas été impressionné par sa photographie basse luminosité montrant des éléments quil ne peut même pas voir lui-même ? Qui n’a pas été déçu après avoir visité un studio tout petit, loin de limage grand angle qui illustrait lannonce immobilière ?

Cest donc un fait : la photographie par smartphone a pour objectif doffrir de belles images, améliorées et optimisées à linsu du consommateur lambda, et non la réalité. Le canon est esthétique, quitte à déformer la réalité. Qu’importe la réalité, pourvu que sa représentation séduise le regard et flirte avec l’art ! L’image est donc aujourd’hui libérée de la réalité, et peut tromper la confiance traditionnellement placée en elle.

Le concept de « fauxtographie » n’est pas récent, et son histoire est presque aussi ancienne que les photographes de presse. Intimement lié à l’éthique de ces professionnels, Le Monde y avait notamment consacré un article fort intéressant [1], soulignant que la tentation du trucage a toujours existé, mais est aujourd’hui accessible très facilement grâce à la technologie, voire utilisé à l’insu du photographe comme il a été précédemment exposé.

Bien que le commissaire de justice constatant réalise mensuellement des milliers de photographies, il est plus un artiste de la preuve que de l’image, et son souci est davantage de représenter ses constatations que de faire de son procès-verbal une œuvre d’art ou un article de la presse… Ainsi, son acte est traditionnellement qualifié d’œil du juge.

Au-delà de s’interroger sur la défiance que peut inspirer la photographie, la question qui se pose réellement est de savoir si cette méfiance peut entamer la confiance du juge dans le constat de commissaire de justice.

Parce que le procès-verbal de constat de commissaire de justice doit être le réceptacle juridique dune vérité factuelle, et que limage désormais si accessible y acquiert une place croissante au point quelle peut devenir elle-même constatation [2], il apparaît légitime de sinterroger sur lutilisation raisonnée et conditionnée de lutilisation de la photographie par le constatant. 

Pour répondre à cette interrogation, il convient d’analyser les causes de la « fauxtographie » (I) et en comprendre les conséquences (II).

I. Les causes de la « fauxtographie »

Si la « fauxtogaphie » peut être rencontrée dans un constat de commissaire de justice, cela s’explique davantage par une cause technologique (B) que morale (A).

A. L’exclusion de la cause morale

Il est dérangeant d’imaginer que la « fauxtographie » puisse apparaître dans le constat du commissaire de justice, car cela revient à penser à une remise en cause de la neutralité de cet officier public et ministériel. Le raccourci est cependant à exclure puisque la « fauxtographie » peut être traditionnellement réalisée de trois manières, que la probité du commissaire de justice exclut sous peine de sévères sanctions.

La première méthode de « fauxtographie » est la retouche d'image. Les logiciels de retouche permettent d'altérer les couleurs, les formes, la texture, etc., créant ainsi des images qui ne reflètent pas fidèlement la réalité.

La deuxième méthode de « fauxtographie » est le montage photographique qui permet, en fusionnant plusieurs images ou en superposant des éléments, de créer des scènes totalement fictives, trompant ainsi le spectateur. Au montage photographique, il est possible d’associer aujourd’hui les générateurs d’images par intelligence artificielle tels que Midjourney, Dall-E, Bing Image Creator, NightCafe ou Text to image, qui permettent de créer de fausses photographies, promettant de « matérialiser » les pensées de l’utilisateur.

La troisième et dernière méthode de « fauxtographie » est l’altération contextuelle. En changeant le contexte d'une photographie, il est possible de lui donner une signification différente ou manipuler l'opinion du spectateur. Les techniques de prise de vue s’assimilent à cette altération textuelle, plaçant la photographie sous un angle de vue ignoré par le spectateur, dont l’imagination peut s’enflammer ou être orientée.

Il faut se féliciter que la stricte déontologie du commissaire de justice lui interdit de recourir à ces trois méthodes de « fauxtographie » sans le mentionner expressément. Son procès-verbal contextualise la photographie, explique l’angle de prise de vue et précise la correspondance entre l’image par lui réalisée (et qu’il certifie souvent par l’apposition de son sceau) et ses constatations.

Pour autant, les trois méthodes de « fauxtographie » précédemment évoquées évoquent la création ou la manipulation a posteriori d’images par l’auteur, et n’envisagent pas la cause technologique, à l’insu du photographe.

B. L’admission de la cause technologique

La réalité d’une scène peut être altérée à l’insu du photographe lorsqu’il utilise son smartphone. Si le commissaire de justice n’est pas vigilant, cela peut expliquer qu’une « fauxtographie » puisse se trouver dans son procès-verbal, contredisant parfois ses constatations écrites. Il en sera ainsi s’il précise qu’une pièce n’est pas éclairée lors de ses constatations, mais que la photographie du smartphone a été réalisée en mode nuit !

Pour comprendre que la « fauxtographie » puisse naître à l’insu de l’utilisateur d’un smartphone, il convient de comprendre le mécanisme de la prise de photographie sur un « téléphone intelligent ». La photographie y est rendue possible grâce à une combinaison de matériels et de logiciels spécialement conçus pour offrir une expérience de prise de vue intuitive et de haute qualité. Cela fonctionne généralement ainsi :

  • caméra : les smartphones sont souvent équipés de caméras haute résolution et de qualité supérieure. Les modèles récents peuvent comporter plusieurs objectifs, tels qu'un grand angle, un téléobjectif et un objectif ultra grand angle, ce qui permet une plus grande polyvalence dans la prise de vue ;
  • appareil photo natif : chaque smartphone est livré avec une application d'appareil photo intégrée qui offre diverses fonctionnalités et modes de prise de vue. L'application fournit une interface utilisateur conviviale, permettant aux utilisateurs de contrôler des paramètres tels que l'exposition, la mise au point, le mode HDR, le flash et bien d'autres encore… ;
  • traitement d'image : les smartphones utilisent un puissant processeur d'image pour capturer et traiter les photos. Ce processeur permet d'améliorer automatiquement les images en ajustant les couleurs, la luminosité, le contraste et d'autres paramètres afin d'obtenir un résultat optimisé ;
  • intelligence artificielle : les smartphones intègrent également diverses technologies avancées pour améliorer la qualité des photos. Parmi elles, se trouvent la stabilisation optique de l'image (OIS), la réduction du bruit, la détection des visages, la capture en mode rafale, la mise au point automatique, la détection de scène…

En déclenchant une photographie, c’est donc une véritable machine qui se met en branle pour offrir à l’œil du photographe la plus belle image possible, flattant tant son ego que celui du sujet de l’image.

Appartient-il au commissaire de justice de bannir sans distinction toute photographie réalisée par un smartphone ?

Une réponse négative s’impose, puisque le commissaire de justice s’assure de la correspondance de l’image avec la réalité au moment de la rédaction de son procès-verbal. C’est pour cela que la loi prévoit en plusieurs hypothèses le recours à la photographie par le commissaire de justice [3].

Plus encore, la « fauxtographie » peut constituer une alliée de cet urgentiste du droit, à condition qu’il sache utiliser cet outil. Il sera ainsi de la photographie 360° qui permet la naissance du constat immersif [4], du constat par drone qui permet au commissaire de justice d’offrir un point de vue inédit, ou de la maîtrise de prise de vue permettant la mise en exergue d’un point précis (floutage de l’arrière-plan ou de données personnelles par exemple, utilisation d’un objectif grand angle qui a tendance à déformer les bords d’image).

La « fauxtographie » n’en demeure pas moins dangereuse dans ses conséquences si elle n’est pas contrôlée, comme il sera exposé dans les développements suivants.

II. Les conséquences de la « fauxtographie »

La falsification des photographies est un défi majeur à l'ère numérique. Elle remet en question la perception de la réalité et peut avoir des conséquences néfastes sur la confiance du justiciable, surtout si elle est censée constituer une preuve, mot dérivé du latin probus qui signifie bon, honnête...

L’existence de la « fauxtographie » présente de réels défis juridiques (A) aux réelles conséquences pour le justiciable tenté de recourir à des technologies de certification de photographies (B).

A. Conséquences juridiques

La conséquence de la « fauxtographie » est la perte de foi en l’image-preuve, et son incapacité à prouver, c’est-à-dire convaincre de la vraisemblance d’un fait. Une banalisation de la « fauxtographie » aurait de graves conséquences juridiques, tant pour le demandeur, le défendeur que le magistrat.

Pour le demandeur, la conséquence juridique de la « fauxtographie » est l’impossibilité de purger de soupçon la preuve qu’il produit, au risque de l’empêcher de prouver et obtenir gain de cause.

Pour le défendeur, la conséquence juridique de « fauxtographie » est la nécessité de rapporter la preuve contraire, ce qui peut s’avérer extrêmement onéreux.

Pour le magistrat, la conséquence juridique de la « fauxtographie » est le risque d’instrumentalisation de son office, notamment lorsque la procédure est non contradictoire comme en matière de mesures d’instruction in futurum.

Plus encore, et parce que le doute profite à l’accusé comme le commande l’adage in dubio pro reo, le prétexte de la « fauxtographie » peut être invoqué par une partie pour s’exonérer de sa responsabilité. Cette situation n’est pas théorique puisque l’argument du deepfake [5] a déjà été soulevé en justice en septembre 2022 [6]. Ainsi, renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y répondre du délit d’injure publique à caractère racial, à la suite d’une vidéo mise en ligne sur son site, un célèbre « humoriste » contestait en être l’auteur, soutenant que la personne qui y apparaissait présentait une apparence et une voix différentes des siennes, et que la vidéo litigieuse était en réalité un « deepfake ». Le tribunal réfuta son argumentation en s’appuyant sur différents faits, dont une expertise du département « Signal Image et Parole » de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale qui a écarté le recours à la technique du deepfake.

En définitive, la conséquence juridique de l’existence de la « fauxtographie » est l’impossibilité de produire une photographie en justice sans être en mesure de la resituer dans son contexte spatial (lieu de l’image), temporel (date et heure de l’image), juridique (image réalisée loyalement ou non ?) et, surtout, de garantir sa fidélité à la réalité. Il s’agit des critères cumulatifs de conditions de réalisation et de production de l’image, tels que nous l’avons démontré par le passé [7], qui conditionnent sa force probante.

B. Conséquences technologiques

Les thuriféraires de la technologie, ou plutôt de la fortune qu’elle permet de faire, promeuvent des solutions innovantes de certifications de photographies, reléguant la figure du commissaire de justice comme un vestige de l’Ancien Monde [8], oubliant par là même que toute technologie est éphémère, elle-même vouée à la désuétude, même si elle est réputée infaillible [9].

Séduit par le discours commercial sur les métadonnées [10] (constatées ou « certifiées » (sic) par commissaire de justice, ou ancrées dans des blockchains) des photographies, le justiciable/consommateur peu regardant peut se laisser tromper et accorder trop de foi dans une application dont il ne maîtrise pas le fonctionnement. En effet, les métadonnées peuvent être modifiées ou supprimées à l'aide d'outils spécifiques, tels que des éditeurs d'images ou des logiciels de manipulation de métadonnées. Il convient cependant de noter que bien que les métadonnées puissent être modifiées, cela ne signifie pas automatiquement que la photographie elle-même a été altérée. Les métadonnées peuvent être modifiées pour des raisons légitimes, telles que la correction d'une date ou la rotation de l'image. En d’autres termes, les métadonnées ne peuvent constituer au mieux que des indices, mais nullement des preuves juridiquement fiables.

Les métadonnées, qu’elles soient exactes ou non, présentent en outre un défaut majeur : elles sont incapables d’attester des conditions juridiques de la réalisation d’une photographie. Celle-ci peut donc être attentatoire à la vie privée, tomber sous le coup de l’article 226-1 du Code pénal N° Lexbase : L8546LXS, réalisée de manière déloyale, et donc impossible à exploiter devant un juge civil ou commercial, même si ses métadonnées ont été « déposées » ou « certifiées » par un commissaire de justice. Les dépôts ou autres « certifications » [11] n’ont de vertu que de prouver l’existence d’un document à une date donnée, sans en garantir l’authenticité, l’auteur et la conformité à la réalité. En d’autres termes, une « fauxtographie », même « déposée » ou « certifiée » chez un commissaire de justice, conserve ses vices.

À défaut de pouvoir être assimilée à un constat de commissaire de justice, une attestation de dépôt (document attestant du dépôt d’un fichier numérique chez un commissaire de justice) peut-elle se targuer de constituer un « début de preuve solide » pour reprendre la rhétorique de certaines applications de dépôt de photographies ? Le problème est que, même si un fait juridique se prouve par tout moyen, aucun dictionnaire ou ouvrage juridique ne définit ce qu’est une « preuve solide », l’analyse de la jurisprudence et l’usage de l’expression par la doctrine tendant à laisser penser qu’il s’agit d’une preuve rendant vraisemblable une allégation grâce à la conjonction de plusieurs éléments. En tout état de cause, il est possible que l’expression « début de preuve solide » soit un euphémisme commercial pour désigner une preuve faible.

La preuve n’est pas la métadonnée, mais l’image. Or, comment attester de sa conformité à la réalité autrement que par son auteur qui, seul, connaît la vérité ? Pour ce motif, il convient de sensibiliser les justiciables et juristes à la facilité de possibilité de déformer ou d’inventer une réalité, qu’ils soient « fauxtographies », deepfake ou deepvoice, et à la nécessité de vérifier l’authenticité du document qui leur est opposé.

Parce que le commissaire de justice est le professionnel de la preuve du fait juridique, il est le seul à constituer un rempart contre l’instrumentalisation du juge par la « fauxtographie ». Il constitue une source sûre, publique, crédible de vérification des faits. Les textes garantissent cela aujourd’hui plus qu’hier puisque l’article 5 du décret n° 2021-1625, du 10 décembre 2021, relatif aux compétences des commissaires de justice N° Lexbase : Z76267TP prévoit que « Le commissaire de justice (…) effectue lui-même les constatations (…). Il se rend personnellement sur les lieux du constat ».

Si saint Appronien est son patron, force est de constater que le commissaire de justice s’apparente à saint Thomas : il ne croit et ne rapporte que ce qu’il voit, que ce qu’il a personnellement expérimenté. Ainsi, tant qu’il ne l’a pas lui-même vu et touché, un commissaire de justice ne se laissera pas berner par l’image du pape en doudoune.[12]


[1] C. Guillot, Guerre du Liban et "fauxtographies", Le Monde, septembre 2006 [en ligne].

[2] S. Dorol, L’image dans le constat, Procédures, 2015, ét. 11, p.9.

[4] Procès-verbal de constat utilisant une technologie d’acquisition d’images à 360°, dans l’esprit des logiciels de cartographie comme Google Street View.

[5] Technique de synthèse multimédia reposant sur l'intelligence artificielle et permettant de créer des vidéos en remplaçant des personnages dans des scènes.

[6] TJ Paris, 17e ch., 15 septembre 2022, Rachel K. et a. c/Dieudonné M.

[7] S.Dorol, L’image dans le constat, Procédures, 2015, ét. 11, p.9.

[8] Pour illustrer un monde où l’huissier est remplacé par un robot.

[9] En témoigne l’attaque brute fondée sur le paradoxe des anniversaires qui décrédibilise dès 2005 l’algorithme SHA-1, ainsi que toute blockchain fondée dessus.

[10] Les métadonnées sont des informations intégrées à un fichier image qui fournissent des détails sur l'appareil photo utilisé, les paramètres de prise de vue, la date et l'heure de la capture, ainsi que d'autres informations pertinentes.

[11] L’auteur utilise sciemment des guillemets car il ignore la force probante des certifications par commissaire de justice, le législateur ne donnant force probante qu’aux constatations. Aucun texte des commissaires de justice ne donne compétence à ce professionnel du droit pour établir des certificats, or en matière de saisie-attribution (certificat de non-contestation ») et irrécouvrabilité. Ces deux certificats portent sur des actions qu’il a lui-même menées et l’autorisent à en tirer des conséquences juridiques.

[12] L'auteur a utilisé l'application "Dawn AI" pour les photographies illustrant cette contribution et "ChatGPT" en partie pour les recherches.

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Fiscal général

[Focus] Une voie juridique pour interdire la « Puff » ?

Lecture: 11 min

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par Thomas Gallice, Elève-Avocat au sein du cabinet Sand Avocats

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : puff • cigarettes électroniques • taxe dissuasive

Si la « taxe dissuasive » votée le 8 novembre 2022, par les sénateurs sur les cigarettes électroniques jetables n’a pas été reprise au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 adopté par voie de 49-3 (loi n° 2022-1616, du 23 décembre 2022, de financement de la sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L3789MGG), une seconde voie semble aujourd’hui envisageable pour faire interdire ces nouveaux produits particulièrement prisés par les jeunes.


 

Qu’est-ce que la « puff » ?

Depuis plus d’un an, difficile de passer à côté du phénomène, la « puff », signifiant « bouffées » en anglais, fait un tabac auprès des adolescents et fleurit aux abords des collèges et lycées. Cette nouvelle tendance venue d’outre-Atlantique et de Chine consiste en une cigarette électronique jetable, à l’aspect et aux goûts particulièrement attirants.

Ces vapoteuses, popularisées par les influenceurs sur les réseaux sociaux dont Tik-tok et Instagram, disposent de coloris fluo et de « saveurs récréatives » telles qu’ice-cream banane, limonade, cola ice, barbe à papa, noisette-chocolat ou encore milk-shake.

Existant sous une vingtaine de marques, ces cigarettes électroniques aux goûts sucrés et fruités et pourtant interdites à la vente aux mineurs sont ainsi très prisées des jeunes comme le démontrent les chiffres d’un sondage réalisé par la Fédération d'associations de lutte contre le tabagisme avec l'institut de sondage BVA.

Plus de 13 % des adolescents âgés de 13 à 16 ans l'auraient déjà consommée, 20 % pour ceux ayant un parent fumeur et 29 % si les deux parents sont fumeurs tandis que 9 % en auraient déjà achetée.

Des produits plus dangereux qu’une cigarette

Sous une apparence inoffensive, ces produits sont en réalité de véritables bombes à retardement.

Augmentant les risques de développer une inflammation des voies respiratoires et pouvant contenir jusqu'à 20 mg/ml de nicotine, l’absorption de cette substance hautement addictive se fait de manière plus insidieuse qu’avec le tabac classique.

Plus « fun » qu’une cigarette, ne produisant ni cendre ni résidu, ne nécessitant ni briquet ni chargeur, avec une odeur parfumée qui ne colle ni à la peau ni aux vêtements, ces e-cigarettes n'apparaissent pas réellement auprès des jeunes comme des dérivés du tabac et peuvent facilement se cacher aux parents grâce à leur apparence colorée comme un fluo.

Un marketing ciblé vers les jeunes

Couleurs et motifs chatoyants à base de smileys et de fruits, goûts ludiques, facilité d’utilisation… Interdite aux mineurs, c’est pourtant la clientèle cible de ces « puffs ».

En effet, contrairement aux vapoteuses classiques, celles-ci ne nécessitent aucun entretien : pas besoin de les charger, pas besoin de changer la résistance, pas besoin de les recharger en liquide, il suffit de les sortir de leur emballage et de tirer des bouffées dedans pour qu’elles se mettent en fonctionnement.

Et un danger bien réel

Les défenseurs de ces nouveaux produits arguent que le véritable problème est l’addiction à la nicotine mais surtout le tabac qui tue et que l’effet passerelle vers ce dernier a été démenti. C’est cependant omettre que l’existence de ces « puffs » sous une forme dénuée de toute nicotine est d’autant plus perverse que cela créer un faux sentiment de « vapoteuse à goût, inoffensive » destinée aux non-fumeurs.

Il ne faut en effet pas en sous-estimer le pouvoir addictif : création d’une habitude et initiation au geste qui sont souvent aussi addictifs que la nicotine en elle-même. Précision enfin qu’en plus de perturber le bon développement du cerveau de l’adolescent, il est d’autant plus difficile de se sevrer lorsqu’on a commencé tôt.

Comme le rappelle le Sénat le 8 novembre dernier, ces cigarettes électroniques à usage unique sont à différencier des cigarettes électroniques habituelles en ce qu’elles ne sont pas un outil de sortie de la cigarette, mais se révèlent être un produit d’initiation pour des non-fumeurs et particulièrement pour de jeunes mineurs.

L'Alliance contre le tabac donne à ce titre des chiffres éloquents : « parmi les adolescents utilisant la « puff », 28 % d'entre eux ont commencé leur initiation à la nicotine à travers ce produit et 17 % d'entre eux se sont ensuite tournés vers une autre forme de produit de la nicotine ou du tabac ».

Ces produits d’initiation au tabac sont également particulièrement accessibles en termes de prix : moins cher qu’un paquet de cigarettes ou qu’une cigarette électronique rechargeable, elles coutent entre 6 à 10 euros pour 600 bouffées et sont ainsi à portée des adolescents.

Une tentative de fiscalisation… …puis d’interdiction

Alors qu’il est très facile pour un mineur de s’en procurer que ce soit chez un buraliste ou sur internet, le Sénat avait voté un amendement au sein du projet de loi du financement de la sécurité sociale visant à la mise en place d’une accise sur les liquides de ces « puffs » [en ligne].

Cet amendement ciblait précisément les liquides des cigarettes électroniques à usage unique et visait à instaurer une accise à hauteur de 6 euros par millilitre de produit ce qui revenait à porter le prix d’une « puff » aux alentours de 20 euros ce qui aurait pu se montrer dissuasif pour les adolescents.

La formulation de ce texte définissait la cigarette électronique jetable comme étant : « un dispositif électronique permettant de vaporiser un liquide contenant ou non de la nicotine, et qui n’est pas rechargeable en liquide, que ce soit avec un flacon de recharge dans un réservoir ou par le remplacement de cartouches contenant du liquide ».

Ainsi et bien que louable, cet amendement laissait la possibilité d’une mise sur le marché de cigarettes électroniques jetable dotée de plus grosses batteries non rechargeables et permettant de remplacer les cartouches de liquides scellées et préremplies par comme il en existe déjà sur le marché américain.

Le gouvernement avait cependant émis un avis défavorable, préférant attendre une révision de la Directive européenne de 2011 sur les produits du tabac.

Quelques jours plus tard et alors que cette taxe n’a pas été conservée au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, une proposition de loi visant l’interdiction des « puffs » est enregistrée à l’Assemblée nationale [en ligne].

Portée par une députée Europe Écologie Les Verts, ce texte bien plus sévère à l’encontre de ces dispositif jetables et polluants ne sera pas adopté à l’issu des débats.

Une telle initiative, bien qu’intéressante, serait cependant plus efficace si elle était adoptée à l’échelle européenne, permettant ainsi une harmonisation et une disparition sur le sol européen de ces « puffs » dont de nombreux jeunes font l’achat par le biais d’internet.

Un angle mort législatif

Les deux initiatives parlementaires ayant échouées, il convient d’élargir le débat et de voir comment sont aujourd’hui encadrés ces produits.

Sur le plan national, les « puffs » sont pour l’instant parfaitement légales.

Au niveau européen, plusieurs directives sont intéressantes à étudier :

  • La Directive 2010/13/UE, sur les Services de Médias Audiovisuels (SMA) n’encadre que la publicité alimentaire à destination des enfants et laisse le champ libre à la publicité ciblée envers les enfants pour les autres types de produits. De même, elle n’encadre pas l’ensemble des supports marketing ou le packaging, ce dernier étant pourtant l’un des nombreux atouts de la « puff » (Directive (UE) n° 2010/13 du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels N° Lexbase : L9705IGK) ;
  • La Directive 2001/95/CE, relative à la sécurité générale des produits vise uniquement à assurer que les produits mis sur le marché européen sont sûrs, c’est-à-dire ne présentant aucun risque dans des conditions d’utilisation normales ou raisonnablement prévisibles conformément à la règlementation nationale. Les « puffs » semblant respecter les prescriptions nationales en la matière, elles seraient ainsi considérées comme des produits sûrs aux yeux de cette Directive (Directive (CE) n° 2001/95 du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001, relative à la sécurité générale des produits N° Lexbase : L1146AXQ).
  • La Directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes encadre plus précisément ces cigarettes électroniques jetables et notamment l’interdiction de la publicité ainsi que la teneur en nicotine maximale, mais ne s’aventure pas sur le terrain du packaging (Directive (UE) n° 2014/40 du Parlement européen et du Conseil, 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes N° Lexbase : L1190I3H).
  • La Directive 2019/904/UE relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, célèbre pour avoir interdit les pailles et les cotons-tiges en plastique, ne fait quant à elle référence qu’aux « produits du tabac » à usage unique, excluant de facto les cigarettes électroniques jetables puisque ces dernières ne contiennent pas de tabac (Directive (UE) n° 2019/904 du Parlement européen et du Conseil, 5 juin 2019, relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement N° Lexbase : L4638LQT).
  • La Directive 2011/64/UE concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés ne vise pas non plus les « puffs » pour les mêmes raisons puisqu’elle ne se concentre que sur le tabac manufacturé (Directive (UE) n° 2011/64 du Conseil, 21 juin 2011, concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés N° Lexbase : L1920ITB).

facile à combler

Alors que François Braun, ministre de la Santé se dit « favorable à l’interdiction » et si aucune législation n’existe aujourd’hui pour interdire les cigarettes électroniques jetables, il serait tout à fait possible de légiférer sur le sujet.

À l’heure où la préoccupation environnementale devient la priorité, il semble aberrant qu’une cigarette électronique jetable, composée de plastique et d’une batterie au lithium non rechargeable (et très polluante) puisse continuer à être commercialisée.

La première mesure pouvant être prise pourrait ainsi consister à introduire ces produits au sein de l’annexe de la Directive 2019/904/UE, relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, ce qui entrainerait l’interdiction de leur commercialisation sur le territoire européen.

Mais si l’interdiction pure et simple peut sembler brutale et occasionner de nombreux recours intentés par les fabricants, il serait possible de se tourner alors vers la même législation sur le packaging qui fut mise en place pour les paquets de tabac classique.

Ainsi et selon Santé publique France, l'obligation d'un emballage neutre pour la distribution des produits du tabac, instaurée depuis le 1er janvier 2017, a sensiblement modifié la perception qu'ont les fumeurs de l'aspect extérieur de leur paquet de cigarettes.

Ce nouveau conditionnement est moins apprécié par les fumeurs et l'Agence nationale de santé publique a souligné l’importante baisse du nombre de fumeurs qui perçoivent positivement leur paquet : alors qu'en 2016, plus de la moitié (52,5 %) d'entre eux le trouvait attractif, cette proportion est tombée à 15,7 % depuis la réforme.

Dans le cas de la « puff », le paquet, la cigarette électronique en elle-même et leurs couleurs ou logos sont des outils de marketing très puissants sur les plus jeunes, particulièrement sensibles à ce type de publicité attrayante et pouvant plus facilement entrainer une confusion sur la dangerosité réelle de ces produits.

Ainsi, un conditionnement standardisé et des emballages neutres portant la même couleur, étant dénués de logos et affichant des avertissements sanitaires visuels mettant en avant leur dangerosité pourrait être une bonne mesure.

Une dernière mesure intéressante consisterait à règlementer les arômes caractérisant comme ce fut le cas lors de l’interdiction des cigarettes au menthol, à la vanille, aux fruits ou au chocolat. Il serait ainsi possible de restreindre les parfums disponibles pour ce type de produits, de manière à baisser leur attractivité pour les non-fumeurs.

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie, collectivité française au statut particulier disposant du pouvoir de voter ses propres lois, est particulièrement éloquent à cet égard.

Après avoir, le 27 décembre 2021, interdit la vente de liquides et de matériel de vapotage aux mineurs, le gouvernement calédonien a pris le 27 avril 2022, la décision suivante : « au regard de l’attractivité et de l’ampleur de la commercialisation de la cigarette électronique jetable en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement, qui est compétent en matière de santé publique, vient d’adopter un arrêté interdisant son importation sur le territoire calédonien ».

Il serait ainsi tout à fait possible de prendre la même législation sur le territoire métropolitain, voire même européen, la possibilité juridique existe, c’est avant tout une question de courage et de volonté politique.

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Retraite

[Brèves] Retraite anticipée pour carrière longue : une circulaire de la CNAV reprend l’intégralité des dispositions applicables à compter du 1er septembre 2023

Réf. : Circ. CNAV, n° 2023-14, du 10 juillet 2023, Retraite anticipée pour carrière longue à compter du 1er septembre 2023

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par Laïla Bedja

Le 02 Août 2023

► La Caisse nationale d’assurance vieillesse a publié, le 10 juillet 2023, une circulaire relative à la retraite anticipée pour carrière longue à compter du 1er septembre 2023.

Elle reprend dans un seul support l’ensemble des dispositions relatives à la retraite anticipée pour carrière longue en tenant compte de la dernière réforme des retraites (loi n° 2023-270, du 14 avril 2023, de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L4410MHS). La circulaire tient compte notamment les travailleurs indépendants intégrés au régime général depuis le 1er  janvier 2020.

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Protection sociale

[Brèves] Cumul de revenus avec la pension d’invalidité : relèvement du plafonnement à 1,5 PASS

Réf. : Décret n° 2023-684, du 28 juillet 2023, portant relèvement du plafonnement du salaire de comparaison en cas de cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus N° Lexbase : L3092MID

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N6540BZA

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par Laïla Bedja

Le 13 Septembre 2023

► Publié au Journal officiel du 29 juillet 2023, le décret du 28 juillet 2023 relève le plafonnement du salaire de comparaison en cas de cumul de la pension d’invalidité avec d’autres revenus.

Il aménage le plafond de revenus au-delà duquel la pension d'invalidité est réduite en cas de reprise ou de poursuite d'une activité professionnelle, en le relevant à 1,5 fois le montant du plafond annuel de la Sécurité sociale en vigueur (CSS, art. R. 341-17 N° Lexbase : L6273MBX).

Le texte entre en vigueur à compter du 30 juillet 2023.

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