La lettre juridique n°909 du 9 juin 2022

La lettre juridique - Édition n°909

Autorité parentale

[Brèves] Soustraction de mineur par ascendant : condamnation de la mère, unique titulaire de la garde de l’enfant... mais en vertu d’une décision étrangère non exequaturée

Réf. : Cass. crim., 1er juin 2022, n° 21-81.813, F-B N° Lexbase : A58497YB

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N1796BZK

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 09 Juin 2022

► La cour a pu valablement déclarer la mère coupable de soustraction de mineur par ascendant hors du territoire national, bien qu’elle était l'unique titulaire de l'autorité parentale et du droit de garde sur son fils, mais dès lors qu’elle tenait ce droit en vertu de décisions juridictionnelles étrangères qui n’avaient pas, à la date des faits, été exequaturées.

Faits et procédure. En l’espèce, le père, de nationalité française et turque, et la mère, de nationalité turque, s’étaient mariés en Turquie, où était né leur enfant en 2009. Le père avait quitté la Turquie pour la France en décembre 2012 et emmené son fils avec lui.

Par arrêt du 25 juin 2013, la cour d'appel de Bordeaux, saisie par la mère en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, a reconnu le caractère illicite du déplacement de l'enfant mais rejeté sa demande de retour immédiat, en application de l'article 13 de ladite Convention. Le 13 janvier 2014, le tribunal de la famille d'Istanbul a rendu une décision assimilable à une ordonnance de non-conciliation, qui a fixé provisoirement chez sa mère le domicile de l’enfant. Saisi entre-temps par le père, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux s'est dessaisi au profit du juge d'Istanbul en accueillant une exception de litispendance.

Le 9 octobre 2015, le tribunal d'Istanbul a prononcé le divorce des époux et accordé la garde de l'enfant à cette dernière. Le père a relevé appel de ce jugement.

Le 9 mars 2016, la disparition de l'enfant a été signalée. La mère, qui l'avait emmené avec elle, a été interpellée en Allemagne et remise aux autorités françaises après délivrance d'un mandat d'arrêt européen. Elle a été condamnée du chef de soustraction de mineur par ascendant, aggravée par la circonstance que le mineur a été retenu indûment hors du territoire de la République, par jugement du 26 juin 2019. La mère, le ministère public, le père et l'association agissant en qualité d'administrateur ad hoc de l’enfant ont relevé appel de cette décision. En vain.

Pourvoi. Un pourvoi a été formé, soutenant que les jugements rendus à l'étranger en matière d'autorité parentale et de garde d'enfant sont efficaces et peuvent être invoqués en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur ; or, au cas d'espèce, la mère faisait valoir qu'au jour des faits qui lui étaient reprochés, elle était l'unique titulaire de l'autorité parentale et du droit de garde sur son fils en vertu de deux décisions de juridictions stambouliotes des 13 janvier 2014 et 9 octobre 2015, ce qui excluait qu'elle puisse être déclarée coupable de soustraction de mineur pour avoir uniquement pris en charge son fils alors qu'il se trouvait avec son père lequel, corrélativement n'avait ni droit de garde ni autorité parentale à l'égard de l'enfant.

Rejet. L’argument est écarté par la Cour suprême qui approuve le raisonnement suivi par la cour d’appel de Paris. Pour dire établi le délit de soustraction de mineur, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris énonçait que la mère ne pouvait ignorer le sens de la décision rendue par la juridiction bordelaise, qui avait refusé d'ordonner le retour de l'enfant en Turquie.

Les juges avaient relevé qu'à la date des faits, alors que le juge aux affaires familiales avait admis la compétence du juge turc, aucune décision française n'avait reconnu à la mère l'autorité parentale sur l'enfant. Ils ajoutaient que, depuis la fuite de Turquie de son père, en décembre 2012, son fils mineur résidait chez ce dernier. Ils avaient conclu que les éléments constitutifs de l'infraction, consistant à soustraire l'enfant mineur des mains de son père chez qui il avait sa résidence habituelle, étaient caractérisés, ainsi que la circonstance aggravante.

En l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision.

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Avocats/Honoraires

[Focus] Une société peut-elle payer les frais d'avocat de son dirigeant ?

Lecture: 10 min

N1719BZP

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par Gaëlle Deharo, Full Professor - ESCE international Business School, Centre de recherche sur la justice et le procès - OMNES Education research center

Le 05 Août 2022

Mots-clés : focus • avocat • honoraires • frais • société 


 

La question de la rémunération de l’avocat s’inscrit dans un cadre normatif défini par l’article 10 de loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, les articles 174 et suivants du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, les articles 10 et suivants du décret 2005-790, du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA et l’article 11 du Règlement Intérieur National N° Lexbase : L4063IP8. Si ces dispositions envisagent la détermination du montant des honoraires, l’organisation du contentieux portant sur ceux-ci et les modalités de recouvrement, la matière n’en recèle pas moins un contentieux abondant tenant, notamment, à l’évolution [1] et à la diversité des relations entre l’avocat et son client.

Plus spécifiquement, la question ici posée est la suivante : une société peut-elle payer les frais d'avocat de son dirigeant ?  

Il est courant de relever que la question des honoraires d’avocat est au confluent du droit des contrats et du droit spécial applicable aux avocats, mais la question ici posée interroge l’articulation du droit des contrats, du droit spécial applicable aux avocats et du droit des sociétés. Plus précisément, la question renvoie à l’hypothèse dans laquelle la société s’engage à prendre en charge les honoraires de l’avocat intervenant pour la défense des intérêts du dirigeant au bénéfice duquel la prestation de l’avocat est effectuée. L’opération que représente la défense des intérêts du dirigeant concerne alors trois parties distinctes unies par une convention indivisible [2] : l’avocat, le dirigeant et la société. La jurisprudence a précisé que la convention d’honoraires conclue dans ce cadre n’est pas une convention réglementée [3], mais sa validité doit néanmoins être appréciée sous l’éclairage des dispositions applicables à la profession d’avocat, du droit des contrats et du droit des sociétés. 

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions applicables à la profession d’avocat

Il n’existe pas de dispositions spéciales relatives à la prise en charge des honoraires par une société. Il convient cependant de souligner que le dirigeant peut solliciter l’avocat en son nom personnel, en sa qualité de dirigeant ou en qualité de représentant de la société. Toute la difficulté est alors de déterminer selon quelle qualité il a fait appel à l’avocat : l’hypothèse renvoie alors à la détermination du débiteur. La jurisprudence a précisé que celle-ci ne relève pas de la procédure spéciale de contestation des honoraires d’avocats. Aussi, le juge de l’honoraire saisi d’une contestation relative à l’identité du débiteur des honoraires doit surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction compétente pour en connaitre [4]. Sous cet éclairage, le droit spécial de la profession d’avocat ne permet donc pas d’apporter une réponse univoque à la question de la prise en charge des frais d’avocat par la société.

La question doit encore être appréciée à l’aune des obligations déontologiques de l’avocat ; exerçant sa mission en toute indépendance, l’avocat ne saurait se trouver placé dans une situation de dépendance économique [5] à l’égard de la société.

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions du droit des contrats

Selon l’article 1128 du Code civil N° Lexbase : L1228AB4, trois conditions sont essentielles pour la validité de la convention : le consentement de la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter et un objet certain qui forme la matière de l’engagement. Ces différentes conditions s’imposent non seulement à la convention d’honoraires déterminant la rémunération de l’avocat, mais également à la clause prévoyant que la société prend en charge les honoraires de l’avocat. Il convient de préciser ici que la société peut fixer un plafond des honoraires pris en charge [6].

L’obligation de paiement mise à la charge de la société doit être appréciée sous l’éclairage du droit des sociétés : d’une part, la société doit avoir régulièrement accepté la prise en charge des honoraires, d’autre elle doit disposer de la capacité juridique et son représentant doit disposer du pouvoir d’agir dans ce cadre, enfin l’objet de la convention ne doit pas contrevenir à l’intérêt social.

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions du droit des sociétés

Au risque d’une tautologie, il convient de rappeler que la société, personne morale, est apte à être titulaire de droits propres qu’elle exerce par l’intermédiaire d’un organe de direction agissant en son nom et pour son compte. Dans ce cadre, le dirigeant accomplit sa mission dans le respect des lois et règlements en vigueur, avec diligence et compétence, et doit rendre compte des fautes commises dans sa gestion. De façon générale, le principe se dégage que le dirigeant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans le respect de l’objet social de cette dernière.

Application : l’intérêt social

En principe, il n’appartient pas à une société de prendre en charge les honoraires d'avocat exposés pour la seule défense des intérêts de ses associés ou dirigeants dans un procès dans lequel elle n'est pas partie. Nonobstant l’apparente simplicité de ce principe, les solutions dégagées par la jurisprudence sont très contrastées.

La Cour de cassation a dégagé une jurisprudence complexe en matière sociale ; au terme de celle-ci, l’employeur doit prendre en charge les frais d’avocat de ses salariés lorsque le contentieux est lié à l’exercice de la mission de ceux-ci  [7]. À l’opposé, lorsque ce qui est reproché au salarié est détachable de sa mission, l’employeur n’est pas tenu de prendre en charge les frais exposés [8]. Cette jurisprudence a largement inspiré les solutions consacrées plus spécifiquement à l’hypothèse de la prise en charge par la société des frais d’avocat du dirigeant : dans les deux cas, c’est l’intérêt social qui préside à la possibilité pour une société de prendre en charge les frais d’avocat [9].

Plus spécifiquement, c’est l’existence d’un lien entre ce qui est reproché au dirigeant (et contre quoi il doit se défendre) et l’activité de la société qui détermine si les honoraires de l’avocat peuvent être mis à la charge de la société : 

  • s’il existe un lien quelconque, entre ce qui est reproché au dirigeant et la société, son exploitation ou son activité, les frais d’avocat ne sont pas engagés dans le seul intérêt personnel du dirigeant [10]. Ainsi, la société peut prendre en charge les frais d’avocat de son dirigeant lorsqu’il existe une contrepartie des frais exposés [11] ;
  • S’il n’existe pas de lien entre ce qui est reproché au dirigeant et l’exploitation de la société, les honoraires de l’avocat ne doivent pas être imputés à la société. Dans une telle hypothèse, la société qui supporterait les frais d’un contentieux personnel au dirigeant pourrait être considérée comme ayant accordé une libéralité à celui-ci. La jurisprudence a jugé qu’en cas de violation des statuts ou de faute de gestion, par exemple, la société n’a pas à prendre en charge les frais d’avocat et peut même en demander le remboursement [12].

Si le critère semble clair, la grande diversité des hypothèses dans lesquelles le dirigeant peut être mis en cause implique une distinction très nuancée des différentes situations. Ainsi, la question de la faute non-intentionnelle du dirigeant constitue une question complexe qui reste soumise à la détermination de l’existence d’un lien entre les faits reprochés et la mission du dirigeant qui peut n’être déterminée qu’a posteriori par la décision prononcée par la juridiction.

Sanctions

Les frais d’avocat exposés pour la défense des intérêts personnels du dirigeant, sans lien avec ses fonctions, constituent des frais personnels qui n’ont pas lieu d’être payés par la société. Aussi, différentes conséquences doivent être envisagées :

  • la question se pose du statut de la somme exposée. À cet égard, la jurisprudence a précisé qu’à défaut d’intérêt pour la société, la prise en charge des honoraires d’avocat exposés pour la défense des intérêts d’un dirigeant, agissant en son nom personnel et non en sa qualité de dirigeant, constitue un revenu distribué imposable entre les mains de ce dirigeant [13] ;
  • les honoraires versés à des tiers constituent des frais généraux déductibles s’ils sont justifiés par l’intérêt direct de l’entreprise et non par l’intérêt personnel du dirigeant [14] ;
  • le paiement par la société des honoraires d’avocat au bénéfice du seul dirigeant constitue un acte anormal de gestion susceptible d’engager la responsabilité civile et pénale de son auteur ;
  • du point de vue civil, la question est assez classique dès lors que le paiement indu des honoraires d’avocat constitue un préjudice pour la société directement causé par l’acte anormal de gestion ;
  • du point de vue pénal, le fait de mettre à la charge de la société des frais d’avocat sans lien avec la fonction de dirigeant constitue un usage des biens de la société à des fins personnelles et contraires à l’intérêt de la société qui, s’il est accompli de mauvaise foi, dans une société à responsabilité limitée, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros [15].

Au demeurant, l’avocat doit prendre garde à ne pas être considéré comme complice de cette infraction.

À retenir

La grande diversité des hypothèses dans lesquelles un dirigeant peut engager sa responsabilité invite à questionner la possibilité pour la société de prendre en charge les frais exposés pour sa défense.

Il n’existe pas de texte organisant ou interdisant la prise en charge des frais d’avocat du dirigeant par la société et il ne s’agit pas davantage d’une convention réglementée.

La jurisprudence en la matière est contrastée.

C’est l’intérêt social qui constitue la pierre angulaire de la prise en charge des honoraires d’avocat par la société.

Les sanctions en la matière sont lourdes et intéressent les matières civiles, pénales et fiscales.

 

[1] G. Deharo, Rupture de la relation entre l’avocat et son client : quand les questions commerciales s’invitent dans le contentieux de la profession d’avocat, Lexbase Avocats, janvier 2022 N° Lexbase : N9898BYA.

[2] CA Paris, 18 juin 2020, n° 16/00608 N° Lexbase : A96123NC.

[3] CA Paris, 18 juin 2020, n° 16/00608 N° Lexbase : A96123NC.

[4] Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-17.493, F-P+B N° Lexbase : A2712KB3.

[5] Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B N° Lexbase : A48147EZ.

[6] M. Le Guerroué, L’administration refuse de payer les factures de l’avocat : qui est compétent pour régler le contentieux ?, Lexbase Avocats, octobre 2021 N° Lexbase : N8967BYR.

[7] E. Daoud, B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ Pénal, 2014, 348.

[8] Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9633DR9.

[9] E. Daoud, B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ Pénal, 2014, 348.

[10] CAA Paris, 9 juin 2021, n° 20PA01202 N° Lexbase : A10624WA.

[11] Cass. com., 7 octobre 2020 n° 19-12.996 N° Lexbase : A32863XY.

[12] CA Montpellier, 26 mars 2013, n° 11/08719 N° Lexbase : A9489KAP.

[13] CAA Versailles, 1er juin 2017, n° 15VE01815 et n° 15VE01816 N° Lexbase : A2889WG4.

[14] CAA Paris, 9 juin 2021, n° 20PA01202 N° Lexbase : A10624WA.

[15] C. com., art. L. 241-3, 4° N° Lexbase : L9516IY4.

newsid:481719

Baux commerciaux

[Brèves] Manquement du bailleur à son obligation de délivrance et location d'un local affecté d’un défaut de permis de construire

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2022, n° 21-11.602, FS-B N° Lexbase : A58527YE

Lecture: 2 min

N1730BZ4

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par Vincent Téchené

Le 08 Juin 2022

► Manque à son obligation de délivrance le bailleur louant un local commercial affecté d'un défaut de permis de construire.

Faits et procédure. Des propriétaires ont donné à bail commercial à une société un local édifié sans permis de construire. La locataire a assigné les bailleurs en résolution du bail à leurs torts et en réparation de ses préjudices.

La cour d’appel de Papeete (CA Papeete, 30 janvier 2020, n° 19/00028 N° Lexbase : A14723EA ayant rejeté ses demandes, la locataire a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation accueille favorablement le pourvoi et censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1719 du Code civil N° Lexbase : L8079IDL, relatif à l’obligation de délivrance.

Pour rappel, selon ce texte, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

La Cour de cassation constate alors que pour rejeter la demande de la locataire en résolution du bail, l'arrêt retient qu'elle exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers.

Il retient, encore, que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les propriétaire ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

Par conséquent, en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte visé.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Les obligations du bailleur du bail commercial, L'étendue de l'obligation de délivrance : la possibilité d'exercer l'activité stipulée au bail, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E3489ERN ;
  • v. le commentaire de l’arrêt par Marie-Laure Besson in Lexbase Affaires n° 722 à paraître le 23 juin 2022.

 

newsid:481730

Copropriété

[Brèves] Aliénation de parties communes spéciales à un copropriétaire : qui peut voter ?

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2022, n° 21-16.232, FS-B N° Lexbase : A58557YI

Lecture: 4 min

N1795BZI

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 08 Juin 2022

► Lors de l'assemblée générale des copropriétaires, appelée à se prononcer sur la cession de parties communes spéciales, seuls les copropriétaires, propriétaires de celles-ci, peuvent décider de leur aliénation.

La solution ainsi posée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 1er juin 2022, n’a rien de surprenant ; elle s’inscrit dans la lignée d’une décision, rendue le 19 novembre 2014 par la Cour suprême, qui avait permis de préciser que « le règlement de copropriété qui prévoit des parties communes spéciales à chaque bâtiment, crée une propriété indivise entre les copropriétaires de chaque bâtiment, en sorte que les autres copropriétaires n'ont aucun droit de propriété indivis sur les parties d'immeuble concernées » (Cass. civ. 3, 19 novembre 2014, n° 13-18.925, FS-P+B N° Lexbase : A9404M3P).

Faits et procédure. En l’espèce, dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, l'assemblée générale de tous les copropriétaires avait, le 5 juillet 2016, autorisé la cession à l'un d'entre eux d'une surface déterminée des parties communes spéciales d’un bâtiment H correspondant à une partie du couloir située au droit de son appartement.

Les propriétaires de lots situés dans ce bâtiment avaient assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence et son syndic, en annulation de la résolution autorisant cette cession, et de la résolution subséquente, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts.

Décision CA. Pour rejeter la demande d'annulation des résolutions, la cour d’appel avait retenu que la cession de la partie du couloir commun, qui avait été votée à la condition préalable de l'adoption d'un projet modificatif de l'état descriptif de division et du règlement de copropriété, emportait création d'un lot auquel étaient nécessairement affectées une quote-part des parties communes spéciales et une quote-part des parties communes générales, en sorte que la modification du règlement de copropriété et de l'état descriptif de division qu'elle impliquait relevait de l'approbation de l'ensemble de la collectivité.

La cour ajoutait que la distinction entre la cession relevant des seuls copropriétaires du bâtiment concerné et la modification de l'état descriptif de division relevant de la copropriété toute entière consisterait à confier à une assemblée restreinte le principe de la cession et ses conséquences à l'assemblée générale, alors que cette distinction, qui ne résultait d'aucune disposition légale ou réglementaire, faisait dépendre le vote de l'assemblée générale de la décision de l'assemblée restreinte.

Elle en avait déduit que la cession des parties communes spéciales devait être soumise à l'approbation de l'ensemble des copropriétaires.

Cassation. La Cour suprême ne suit pas ce raisonnement et censure la décision, énonçant très clairement que « seuls les propriétaires des parties communes spéciales peuvent décider de l'aliénation de celles-ci », au visa des articles 3 N° Lexbase : L4836AHL et 4 N° Lexbase : L4846AHX de la loi n° 65-557, du 10 juillet 1965, qui disposent, pour le premier, que « sont communes les parties des bâtiments et des terrains affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux » et pour le second, qu’« elles sont l'objet d'une propriété indivise entre l'ensemble des copropriétaires ou certains d'entre eux seulement ».

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE Les parties communes et les parties privatives, spéc. Les parties communes spéciales, in Droit de la copropriété (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E4686ETQ ;
  • le présent arrêt fera l’objet d’un commentaire approfondi par Florence Jammes, à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé.

newsid:481795

Domaine public

[Brèves] Ouvrage immobilier irrégulièrement implanté sur le domaine public maritime : en avoir la garde équivaut à être propriétaire !

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 31 mai 2022, n° 457886, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61967Y7

Lecture: 3 min

N1740BZH

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par Yann Le Foll

Le 08 Juin 2022

La personne ayant la garde d'un ouvrage immobilier irrégulièrement implanté sur le domaine public maritime, dès lors qu’elle en a la maîtrise effective, se comporte comme son propriétaire.

Principe. L'article L. 2132-3 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4572IQE tend à assurer, au moyen de l'action domaniale qu'il institue, la remise du domaine public maritime naturel dans un état conforme à son affectation publique en permettant aux autorités chargées de sa protection, notamment, d'ordonner à celui qui l'a édifié ou, à défaut, à la personne qui en a la garde, la démolition d'un ouvrage immobilier irrégulièrement implanté sur ce domaine.

Rappel. Il a déjà été jugé que le seul fait d'avoir installé un dispositif d'éclairage à l'extrémité de pontons et d'avoir sollicité une autorisation d'occupation du domaine public pour régulariser l'implantation de ces pontons sur le domaine public maritime ne permet pas de regarder une personne qui n'en est ni propriétaire ni constructeur, comme ayant la garde de ces ouvrages, établis depuis plusieurs dizaines d'années (CE 3° et 8° s-s-r., 31 décembre 2008, n° 301378, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0544EIY).

Dans le cas d'un tel ouvrage, le gardien est celui qui, en ayant la maîtrise effective, se comporte comme s'il en était le propriétaire (voir, pour une solution proche, le propriétaire d'un véhicule volé, dès lors qu'il n'a plus la garde de ce véhicule, ne peut par suite être tenu pour l'auteur de la contravention de grande voirie causée par ce véhicule, CE, 5 juillet 2000, n° 207526 N° Lexbase : A3763B7I). 

Faits. Une société a acquis une villa en bord de mer sur le territoire de la commune d'Èze-sur-Mer (Alpes-Maritimes) le 17 septembre 2007. Le 17 mai 2016, elle a demandé au préfet des Alpes-Maritimes l'autorisation d'occuper une dépendance du domaine public maritime située au droit de sa propriété, sur laquelle se trouvaient édifiées plusieurs installations, dont une plate-forme en béton dallée, trois bollards, un plongeoir et une rampe double d'escaliers. Le 6 octobre 2016, le directeur départemental des finances publiques a émis un ordre de versement mettant à sa charge des indemnités pour l'occupation sans titre de cette dépendance, à titre de régularisation, pour les années 2013, 2014 et 2015.

Par une décision du 15 décembre 2016, le préfet, d'une part, a rejeté sa demande d'autorisation d'occupation temporaire, d'autre part, lui a enjoint de démolir toutes les installations en faisant l'objet et de remettre les lieux dans leur état naturel dans un délai de quatre mois, en précisant qu'à défaut d'exécution, une contravention de grande voirie serait dressée à son encontre. La demande d’annulation de cette décision a été rejetée en première instance et en appel.

Faits (suite). La société qui a la jouissance d'installations situées en contrebas de sa propriété en a l'usage exclusif. Des panneaux interdisant l'accès aux piétons étaient apposés à proximité du seul cheminement permettant au public d'y accéder.

La société a, comme l'ancien propriétaire de la villa, demandé à occuper la dépendance sur laquelle elles sont construites, et s'est elle-même acquittée d'indemnités pour occupation sans droit ni titre de cette dépendance.

Décision. C’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel (CAA Marseille, 7e ch., 25 juin 2021, n° 19MA03393 N° Lexbase : A66784XM) a jugé qu’elle se comporte à l'égard des installations en cause comme leur propriétaire, et en a dès lors la garde.

newsid:481740

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Le Conseil d’État se prononce de nouveau sur la (délicate) méthode d’évaluation de cessions d’usufruit temporaire de parts sociales

Réf. : CE 9°-10° ch. réunies, 20 mai 2022, n° 449385, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A91437XW

Lecture: 5 min

N1754BZY

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par Marie-Claire Sgarra

Le 08 Juin 2022

Le Conseil d’État est venu compléter sa jurisprudence relative à l’évaluation de la valeur d’usufruit des titres d’une société non cotée.

Les faits :

  • une société civile qui a pour activité l'exploitation et la gestion de biens viticoles dans la Marne, a été créée par M. D. et Mme D. à parts égales ;
  • Mme D. a cédé à la société civile l'usufruit temporaire des parts sociales qu'elle détenait dans le capital d’une société civile d'exploitation viticole pour une période de dix ou dix-sept ans selon les parts ;
  • à la suite d'une vérification de comptabilité de la société civile, l'administration a réévalué la valeur des cessions d'usufruit temporaire réalisées en 2009 et a réintégré la différence dans l'actif net de la société ;
  • elle a également requalifié le montant de la cession des parts sociales de Mme D. en plus-values professionnelles ;
  • par deux jugements le TA de Châlons-en-Champagne a partiellement fait droit aux demandes de décharge de la société civile et de M. et Mme D. ;
  • la CAA de Nancy a rejeté leurs appels formés contre ces jugements en tant qu'ils ont rejeté le surplus de leurs demandes (CAA Nancy, 3 décembre 2020, n° 19NC00530-19NC00543 N° Lexbase : A0869393).

Méthode d'évaluation mise en œuvre par le vérificateur. Le vérificateur a déterminé la valeur attendue de l'usufruit des parts de la SCEV en effectuant la moyenne arithmétique des valeurs obtenues à l'aide, d'une part, de la méthode de la valeur actualisée des flux de revenus futurs, en capitalisant le montant du dividende moyen distribué les trois années précédant la cession en litige, à partir d'un taux de rendement et d'un taux de croissance des dividendes sur la durée de l'usufruit, et d'autre part de la méthode de la valeur en pleine propriété des titres, l'usufruit étant déterminé à partir du taux de rendement des titres sur la durée de l'usufruit.

► En appel, la cour a relevé que la valeur de l'usufruit des titres en litige ainsi obtenue était supérieure de 69 % à la valeur déclarée par les contribuables s'agissant des titres démembrés durant une période de dix ans et de 114 % pour ceux portant sur une durée de dix-sept ans.

Méthode alternative d'évaluation de l'usufruit proposée par les contribuables. La société civile proposait, dans le dernier état de ses écritures d'appel, une méthode alternative d'évaluation de l'usufruit des titres de la SCEV fondée sur le solde actualisé de la trésorerie disponible correspondant à la différence entre l'excédent brut d'exploitation et le besoin en fonds de roulement, les annuités d'autofinancement des investissements et la rémunération des associés, sans justifier des motifs pour lesquels elle entendait modifier pour l'avenir sa pratique antérieure constante de distribution de la totalité de ses bénéfices comptables.

► La cour d’appel a jugé que cette méthode se bornait à déterminer l'endettement financier de la SCEV et sa trésorerie disponible et ne permettait pas, par suite, de déterminer le montant des distributions prévisionnelles attendu par l'usufruitier.

 

Solution du Conseil d’État.

En cas de démembrement de droits sociaux, l’usufruitier, conformément à l’article 582 du Code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n’a droit qu’aux dividendes distribués. Il en résulte que l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles, qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, lorsqu’elles sont justifiées par la société.

En l’absence d’argumentation des contribuables tirée de ce que le montant des distributions prévisionnelles tel que déterminé par le vérificateur serait surévalué en tant qu’il ne prendrait pas en compte certains éléments susceptibles de l’affecter qu’ils étaient seuls en mesure de justifier, notamment le solde de la trésorerie disponible, et alors que, depuis sa création, la totalité des bénéfices de la société est distribuée et appréhendée par les associés, par perception de numéraire ou inscription au crédit des comptes courants d’associés, le juge ne méconnaît pas son office en s’abstenant de rechercher si la méthode mise en œuvre par l’administration a tenu compte de tels éléments.

Le pourvoi des requérants est rejeté. 

Précisions. Le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 30 septembre 2019, que dans le cas d'une société non cotée, la valeur vénale des titres « doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives ».

Ainsi, l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales tient nécessairement compte du montant des distributions prévisionnelles.

Lire en ce sens, F. Chidaine, Valorisation de l’usufruit temporaire de parts sociales de sociétés civiles immobilières, Lexbase Fiscal, octobre 2019, n° 799 N° Lexbase : N0776BYE.

 

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Procédure civile

[Brèves] Péremption d’instance et mesures d’expertise : censure de l’arrêt ne prenant pas en compte les actes accomplis à l’occasion d’une expertise

Réf. : Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-13.258, F-D l N° Lexbase : A97547XK

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N1770BZL

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 08 Juin 2022

Aux termes des dispositions de l’article 386 du Code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu’aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; la cour d’appel doit rechercher lorsqu’une partie l’invite dans ses conclusions à le faire, si les actes accomplis par les parties à l’occasion d’une expertise à laquelle elle est partie s'analysent en une diligence procédurale.

Faits et procédure. Dans cette affaire, dans un litige de troubles anormaux de voisinage, une première instance a été introduite devant le tribunal de grande instance. La société défenderesse a appelé en garantie la société d’architecture, maître d’œuvre des opérations d’agrandissement de ses locaux et les deux instances ont fait l’objet d’une jonction. La société d’architecture a appelé à son tour en garantie divers intervenants à l’opération de construction. Par ordonnance du 20 mai 2010, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d’expertise pour la première instance et par ordonnance du 12 avril 2012, il n’a pas fait droit à la demande de jonction des deux instances. Le 10 décembre 2012, une mesure d’expertise a été ordonnée pour la seconde instance et confiée au même expert.

Le 27 mars 2019, l’expert a remis deux rapports distincts.

La première instance a fait l’objet de deux radiations avant d’être réinscrite et les défendeurs ont saisi le juge de la mise en état d’un incident de péremption de l’instance. Ce dernier a rejeté l’exception de péremption et la demande relative au paiement d’une provision, et enfin, déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription. Les défendeurs ont interjeté appel à l’encontre de cette décision.

Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l’arrêt (CA Amiens, 14 janvier 2021, n° 20/00392 N° Lexbase : A63474C3) d’avoir constaté la péremption et l’extinction de l’instance. L’intéressé énonce que les actes accomplis dans le cadre d’une expertise judiciaire interrompent le délai de péremption de l’instance. Il indique que la cour n’a pas pris en considération, comme il le sollicitait dans ses écritures, cinquante dires et notes déposés dans le cadre de l’expertise, précisant qu’ils tendaient pourtant à faire progresser l’instance vers son terme. En l’espèce, pour constater la préemption et l'extinction de l'instance, l'arrêt retient que le demandeur n'étant pas partie à la seconde instance, les écrits qu'il a adressés à l'expert dans ce cadre ne s'analysent nullement en une diligence procédurale.

Solution. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44, la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel d’Amiens, relevant qu’elle n’a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas comme elle y était invitée si certaines pièces, correspondant au paiement de la consignation mis à la charge du demandeur et à deux dires adressés à l’expert avec une diffusion à l’ensemble des parties concernées par les deux mesures d’instruction, ainsi qu’une lettre adressée au juge chargé du contrôle des expertises sur les carences de l’expert, constituaient des actes accomplis par les parties à l’occasion de l’expertise à laquelle le demandeur était partie. La Haute juridiction casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens.

Pour aller plus loin : v. N. Fricéro, ÉTUDE : Les incidents d’instance, L’extinction de l’instance : péremption – désistement – transaction, in Procédure civile (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E15397IT.

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Procédure civile

[Panorama] Panorama de jurisprudence : la procédure d’appel dans tous ses états

Réf. : Cass. civ. 2, 19 mai 2022, cinq arrêts, n° 21-23.249, F-B N° Lexbase : A41067XD ; n° 21-14.616, F-B N° Lexbase : A41057XC ; n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG ; n° 20-21.585, F-B N° Lexbase : A41147XN ; n° 21-10.422, F-B N° Lexbase : A41117XK

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N1753BZX

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par Yannick Joseph-Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques – EA 1965

Le 09 Juin 2022

Mots-clés : appel • convocation • information • pièces • notification • conclusions • autorité de la chose jugée • caducité • procédure à jour fixe • procédure ordinaire

Par cinq arrêts rendus le 19 mai 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé plusieurs solutions jurisprudentielles dans le champ de la procédure d’appel en apportant toutefois des précisions éclairantes qui invitent à une réévaluation des pratiques de l’ensemble des professionnels du droit intervenant dans ce champ disciplinaire, qu’il s’agisse des règles applicables à l’information de l’appelant dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire ; de la communication simultanée des pièces à la notification des conclusions d’appel ; de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du conseiller de la mise en état sur l’effet dévolutif de l’appel lorsque ce dernier rejette une demande en caducité de la déclaration d’appel, ou encore de l’autorité de la chose jugée ; un énième rejet du principe de concentration des demandes ou encore, une application intéressante de l’article 911-1 du Code de procédure civile.


 

  • Convocation de l’intimé et information de l’appelant dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-23.249, F-B N° Lexbase : A41067XD)

Résumé : au visa de l'article 937 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1431I8I, applicable à la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, que la Haute juridiction rappelle que ce texte impose seulement au greffier de convoquer le défendeur à l'audience prévue pour les débats par lettre recommandée avec demande d'avis de réception tandis que le demandeur est seulement avisé, par tous moyens, des lieu, jour et heure de l'audience, et qu’il n’appartient pas à la cour d’appel de rechercher si l’appelant, à qui il incombe de s’enquérir du sort de l’appel, a effectivement reçu la convocation.

Depuis le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 N° Lexbase : L1333I8U, et dans une logique économique de réduction des coûts non exprimée, l’article 937 du Code de procédure civile a été remanié afin de simplifier les modalités d’envoi des avis et convocations adressés par le greffe en réservant au seul défendeur la convocation par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, et en supprimant l’obligation de doubler une notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par l’envoi d’une lettre simple. De fait, le demandeur n’a plus à être convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, mais « par tous moyens ». Si le décret ne fait pas état de ce que sont ces « moyens », la circulaire de présentation du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends N° Lexbase : L5141I8W est toutefois venue les préciser. Il peut s’agir d’une lettre simple, d’une convocation verbale, d’une télécopie, ou encore d’un courriel électronique ou d’un SMS, selon les conditions précisées au titre de la communication par voie électronique par la circulaire. L’entrée en vigueur de ces dispositions a rapidement conduit la Cour de cassation à abandonner sa jurisprudence antérieure [1] qui était plus protectrice à l’égard du demandeur [2]. Comme le précise la circulaire précitée, toute la philosophie de la réforme consiste, au-delà des intérêts économiques non avoués, « à ainsi conférer une portée plus grande et plus concrète à un principe de vigilance procédurale selon lequel il appartient à celui qui saisit une juridiction de s’enquérir du sort de l’affaire qu’il a pris l’initiative d’introduire ». C’est exactement ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.  

En l’espèce, une assurée forme un recours devant le tribunal de grande instance d’Arras pour contester le nombre de trimestres d’assurance retenus par la caisse pour sa pension retraite. Un jugement est rendu le 6 juin 2019 et sera confirmé en appel par la cour d’appel d’Amiens dans son arrêt du 4 mars 2021, malgré l’absence de l’appelant à l’audience. L’assurée forme un pourvoi en cassation dans lequel elle reproche aux juges d’appel d’avoir violé l’article 937 du Code de procédure civile et le principe de l’égalité des armes  découlant du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR, en jugeant qu’elle aurait été régulièrement convoquée à l’audience pour la seule raison qu'elle avait été destinataire d'un courrier simple de convocation sans rechercher toutefois si elle avait été effectivement touchée par la convocation, alors même qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire le demandeur est avisé par tous moyens des lieu, jour et heure de l'audience ; que le seul fait que l'appelante ait été destinataire d'une lettre simple de convocation qui, au surplus, n'a pas été produite, ne permet cependant pas de s'assurer que l'appelante ait été réellement touchée par la convocation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l'article 937 du Code de procédure civile, applicable à la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, dont elle rappelle qu’il impose seulement au greffier de convoquer le défendeur à l'audience prévue pour les débats par lettre recommandée avec demande d'avis de réception tandis que le demandeur est seulement avisé, par tous moyens, des lieu, jour et heure de l'audience, et non à la cour d’appel de rechercher si l’appelant, à qui il incombe de s’enquérir du sort de l’appel, a effectivement reçu la convocation. C’est donc en toute conformité, et sans qu’il y ait violation de l’article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, que le greffe a informé l’appelant par l’envoi d’un courrier simple, sans avoir à se préoccuper de vérifier si ce dernier a effectivement reçu l’avis, l’appelant devant s’enquérir du sort de l’appel qu’il a interjeté.

Si la Cour de cassation ne conteste pas le fait qu’il existe une différence de traitement entre l’appelant et l’intimé à l’article 937 du Code de procédure civile, elle ne considère pas que cette différence rompt l’égalité entre les parties, de sorte que cette disposition est, pour la Cour de cassation, conforme à l’article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Si l’on peut entendre que l’appelant doit se préoccuper de la procédure qu’il a engagée, la solution retenue pose question au regard de l’article 14 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1131H4N qui prévoit que nul ne peut être jugé sans avoir été cité à comparaître. L’articulation des articles 14 et 937 du Code de procédure civile paraît difficile à réaliser dans ce contexte dès lors que, comme Madame Bléry le souligne dans le commentaire de l’arrêt rendu le 16 décembre 2021 [3], la « transmission d’une information par tout moyen : oui, mais à condition d’être effective » [4]. Or tout le problème est là : l’effectivité de la transmission peut être impossible à rapporter pour l’appelant. Comment rapporter la preuve de la non-réception d’une lettre simple ? Il nous sera rétorqué que si la lettre n’est pas parvenue à l’appelant en raison de l’inexactitude de son adresse, c’est une faute de sa part puisqu’il lui appartient d’informer le greffe d’un changement de domicile, de manière à recevoir les envois, et que si la lettre est retournée au greffe, ce dernier tentera, nous pouvons l’imaginer, d’aviser l’appelant des lieu, date et heure de l’audience d’une autre manière. Certes. Quid toutefois des autres situations, comme le cas du vol de courrier (devenu récurrent à certains endroits), la perte du courrier par les services postaux, etc. Quid encore de l’hypothèse de la communication par courriel électronique ? Va-t-on considérer que l’appelant a été dûment convoqué lorsque le courriel du greffe aura fini dans les courriers indésirables au lieu d’arriver dans la boîte de réception ? Il y a tout lieu de penser que le principe de vigilance imposera une réponse positive, et il n’y a finalement que dans l’hypothèse dans laquelle le greffe reconnaîtra ne pas avoir avisé l’appelant que ce dernier pourra soulever une contestation.

À retenir : il n’appartient pas au juge de rechercher si l’appelant, à qui il incombe de s’enquérir du sort de l’appel, a effectivement reçu la convocation, laquelle peut lui être transmise par tous moyens.

  • Communication simultanée des pièces à la notification des conclusions d’appel (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B N° Lexbase : A41057XC)

Résumé : si l’article 906 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7238LES n’édicte aucune sanction en cas de défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions, même lorsque l'affaire est fixée à bref délai, le juge est toutefois tenu de rechercher si ces pièces ont été communiquées en temps utile.

L’on se souvient que, dans le silence des textes, un débat doctrinal était né sur le point de savoir si les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables devaient-elles être elles-mêmes considérées comme irrecevables. La Cour de cassation a tranché la question en 2014 en retenant que « les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables » [5], provoquant une intervention du législateur à l’occasion du décret du 6 mai 2017 qui a modifié l’article 906 du Code de procédure civile qui prévoit notamment que « les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables ». Mais que se passe-t-il si des pièces sont rejetées ? En pareille hypothèse, les conclusions sont-elles, elles-mêmes, irrecevables ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond.  

En l’espèce, un groupe assigne un autre groupe devant le juge des référés aux fins de le voir condamné à communiquer certaines informations relatives à une opération de cession de titres au bénéfice d'un tiers. L’ordonnance du juge des référés, par laquelle il déboute le demandeur au motif qu’il n’y a pas lieu à référé dans cette affaire, est frappée d’appel. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt en date du 6 janvier 2021, déclare recevables les pièces et conclusions de l’appelante, alors que l’intimé a demandé à ce que les pièces soient écartées, et que les conclusions soient déclarées irrecevables, au motif que les pièces n’ont pas été communiquées dans le délai pour conclure, ce qui conduit la cour d’appel à infirmer l'ordonnance du juge des référés et condamner l’intimé à communiquer diverses pièces à l’appelant en assortissant cette condamnation d’une astreinte.

Dans son pourvoi, l’intimé fait grief à l’arrêt de méconnaître les articles 16 N° Lexbase : L1133H4Q, 905-2 N° Lexbase : L7036LEC, 906 et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile, ainsi que le principe de la contradiction, en retenant que les conclusions et pièces sont recevables quand bien même les pièces n'ont pas été produites avec les conclusions d'appel dans le délai d'un mois imparti à l'appelant, notamment parce qu’il est suffisant que les pièces visées par les conclusions de l'appelant soient versées avant la clôture, et qu’il est peu important qu'elles n'aient pas été produites dans le délai d'un mois imparti à l'intimé pour y répondre, si bien qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'irrecevabilité.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l’article 906 du Code de procédure civile n’édicte aucune sanction en cas de défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions, même lorsque l'affaire est fixée à bref délai ; même si elle reconnaît que le juge est tenu de rechercher si ces pièces ont été communiquées en temps utile. Tel est le cas, pour la Cour de cassation, dans la présente espèce de l’appelant qui communique les pièces avant la clôture de l’instruction, et après le délai pour conclure de l’intimé, dès lors que, malgré la tardiveté dans la communication, l’intimé a été en mesure de conclure utilement au fond avant la clôture de l’instruction.

La solution retenue n’étonnera peut-être pas grand monde puisque la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de considérer que des conclusions recevables ne préjugent pas du rejet des pièces, lesquelles peuvent être tardives au regard du temps utile [6]. Toutefois, l’on ne saurait reprocher à l’intimé d’avoir souhaité obtenir une irrecevabilité des conclusions, comme sanction d’une absence de communication en temps utile dès lors que la Cour de cassation a déjà fait naître des irrecevabilités, dans le silence des textes, en retenant que la liste posée à l’article 122 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1414H47 n’est pas limitative [7], à rebours d’ailleurs de l’article 117 N° Lexbase : L1403H4Qdu même Code. Mais ce n’est pas cette logique que la Cour de cassation a suivie cette fois préférant conserver la souplesse de sa jurisprudence en la matière, à savoir qu’une communication tardive des pièces, à justifier par celui qui l’invoque, ne peut avoir d’autre sanction qu’un rejet desdites pièces qui ne constitue pas une irrecevabilité. Ce rejet suppose toutefois que la partie démontre une absence de communication « en temps utile ». Or cette notion est très relative et invite à la casuistique [8]. Qu’est-ce qu’une communication des pièces en temps utile si ce n’est une communication qui permet à la partie adverse d’en avoir connaissance de manière à pouvoir l’exploiter et y répondre s’il y a lieu ? L’analyse de la jurisprudence tend à mettre en évidence que le terme de ce « temps utile » n’est pas le délai pour conclure de l’une ou l’autre partie, mais la clôture de l’instruction, à la condition toutefois de respecter le principe de la contradiction. Et la Cour de cassation ne dit pas autre chose dans la décision commentée lorsqu’elle relève que la communication des pièces, pour n’avoir pas été faite de manière simultanée, avait néanmoins permis « aux intimés de conclure utilement au fond bien avant la date de clôture fixée au 22 octobre 2020 ». Est-ce à dire que la Cour de cassation laisse entendre que l’intimé qui n’a pas été destinataire des pièces de l’appelant pourrait se dispenser de conclure dans son délai car la communication tardive serait celle qui ne lui permet pas de conclure ? Une telle interprétation de l’arrêt commenté nous semble contestable car nous savons dans le même temps, d’une part, que la sanction des pièces tardives est leur rejet, sans autre conséquence, et qu’une communication tardive ne peut être invoquée pour obtenir un délai, ou soutenir que le délai pour conclure n’aurait pas commencé à courir [9] ; d’autre part, que dans l’arrêt du 19 mai 2022, la Cour de cassation prend soin de rappeler qu’aux termes de l’article 905-2, l’intimé dispose « d’un délai d’un mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe », et ce même en l’absence d’un avis de fixation. Il est vrai que, en l’absence des pièces de l’appelant, l’intimé ne se trouve pas pour autant démuni, et il peut conclure dans son délai, notamment pour soutenir que l’appelant doit être débouté de toutes ses demandes, les moyens et prétentions ne s’appuyant sur aucun élément probant. Mais surtout, lorsque l’intimé sera en possession des pièces de l’appelant, il pourra conclure « utilement au fond », comme le souligne la Cour de cassation dans la décision commentée, en complétant ses précédentes conclusions [10], et ce jusqu’à la clôture de l’instruction [11]. Ainsi, l’arrêt commenté doit être interprété comme posant un principe simple : si l’appelant ne communique pas ses pièces en temps utile, et que l’intimé n’est pas en mesure de conclure utilement au fond, alors les pièces de l’appelant communiquées tardivement devront être écartées, en application de l’article 906 du Code de procédure civile et de l’interprétation qui en est faite par la Cour de cassation. Mais l’intimé devra conclure, en tout état de cause, faute de quoi ce sont ses conclusions, outre ses pièces, qui seront irrecevables. Reste une interrogation : s’il est acquis que c’est à la formation de jugement de statuer sur ce rejet des pièces non communiquées en temps utile, quid des pièces communiquées après clôture ? L’article 802 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9332LTS prévoit en pareille hypothèse que la sanction est l’irrecevabilité prononcée d’office. Mais, qui de la formation de jugement ou du conseiller de la mise en état se prononcera sur cette irrecevabilité ? En effet, l’article 799, alinéa 4, du Code de procédure civile N° Lexbase : L5413L8Y prévoit que ce n’est pas la clôture de l’instruction qui marque le dessaisissement du juge de la mise en état ou du conseiller de la mise en état, mais l’ouverture des débats, et l’on se souvient que la modification des dispositions de l’article 779 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9317LTA opérée par le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3 a eu pour conséquence d’élargir les pouvoirs du juge de la mise en état et du conseiller de la mise en état à la connaissance des fins de non-recevoir…

À retenir : l’appelant n’est pas tenu de communiquer les pièces simultanément à la notification des conclusions, même lorsque l'affaire est fixée à bref délai. Il appartient au juge de rechercher si même si les pièces ont été communiquées en temps utile, et tel est le cas lorsque l’appelant communique les pièces avant la clôture de l’instruction, et après le délai pour conclure de l’intimé, dès lors que, malgré la tardiveté dans la communication, l’intimé a été en mesure de conclure utilement au fond avant la clôture de l’instruction.

  • L’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du conseiller de la mise en état sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel dont la nullité a été rejetée (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG) solution nouvelle

Résumé : Au visa de l’article 914 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7, la Cour de cassation affirme que, si dans l’hypothèse où la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée, seule la cour d’appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l'absence d’effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du Code de procédure civile.

L’on se souvient que, par un arrêt du 30 janvier 2020 [12], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a retenu que, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement, d’une part, et que si la déclaration d’appel tendant à la réformation du jugement ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, d’autre part [13]. Dans son arrêt du 19 mai 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affine sa solution en précisant que, seule la formation collégiale dispose du pouvoir de constater l’absence d’effet dévolutif, à l’exclusion du conseiller de la mise en état.

En l’espèce, une mère et son fils, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit, ont, par déclaration du 23 novembre 2017, relevé appel d’un jugement d'un tribunal de grande instance ayant déclaré irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité engagée contre un liquidateur d’une société en son nom personnel et un assureur. Un cabinet d’architecture et la société Mutuelle des architectes français sont appelés en garantie. La cour d’appel de Paris, par arrêt en date du 17 novembre 2020, a constaté l'absence d'effet dévolutif de l'appel. Dans leur pourvoi, les demandeurs reprochent aux juges d’appel d’avoir méconnu les articles 562 et 901 du Code de procédure civile, d’une part, en ayant constaté l’absence d’effet dévolutif de l’appel fondé sur l’absence de mention, dans la déclaration d’appel, des chefs de jugement critiqués, alors même que le conseiller de la mise en état avait rejeté précédemment la demande des intimés tendant à l'annulation de la déclaration d'appel formée par les appelants, au motif que le dispositif du jugement attaqué ne comportant, outre les condamnations aux dépens et aux indemnités de procédure, qu'une seule disposition, par laquelle le jugement a déclaré l'action prescrite, l'appel portait nécessairement sur cette disposition, de sorte que les intimés ne justifiaient d'aucun grief résultant de la mention, dans cette déclaration, selon laquelle l'appel était « total », et d’autre part, en ayant jugé que la cour d’appel n’était saisie d’aucune demande alors même que le constat de l'absence d'effet dévolutif de l'appel ne bénéficie qu'à l'intimé qui s'en est prévalu devant la cour d’appel, et qu’en l’occurrence, seule la société MAF avait demandé à la cour d’appel de juger que l'acte d'appel des appelants était dépourvu de tout effet dévolutif.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l’article 914 du Code de procédure civile, affirmant que, seule la cour d’appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l'absence d’effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du Code de procédure civile, quand bien même ce dernier aurait rejeté antérieurement une demande en caducité de la déclaration d’appel.

L’on sait que le législateur est intervenu avec le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL pour attribuer au conseiller de la mise en état des pouvoirs propres, mettant ainsi fin au partage de compétence avec la cour d’appel qui existait jusque-là dans certain domaine, notamment celui de l'irrecevabilité de l'appel, et renforcer l’autorité de ses décisions. Outre le fait que la compétence du conseiller de la mise en état pour statuer sur la recevabilité de l'appel est désormais exclusive, le législateur confère à l'ordonnance par laquelle il statue sur cette question autorité de la chose jugée, ce qui explique que sa décision puisse faire désormais l'objet d'un déféré qu'elle prononce ou non l'irrecevabilité de l'appel [14], alors que cette voie de recours n'était ouverte, sous l'empire de l'ancien texte, que s’il déclarait l'appel irrecevable. L'autorité de la chose jugée des décisions du conseiller de la mise en état s’est déjà illustrée avec force par le passé, notamment lorsque la Cour de cassation a estimé que, même face à une irrecevabilité d'ordre public, la cour d’appel, qui pourtant à l'obligation de la soulever par application de l'article 125 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1421H4E, ne peut retenir la tardiveté d'un appel si l'ordonnance du conseiller de la mise en état l'écartant, n'a pas fait l'objet d'un déféré [15]. L’arrêt rendu le 19 mai 2022 ne déroge pas à cette ligne jurisprudentielle dans la mesure où la Cour de cassation ne remet pas en question l’autorité de chose jugée attribuée à la décision du conseiller de la mise en état qui n’a pas prononcé la caducité de la déclaration d’appel en l’espèce, mais fait une interprétation stricte des dispositions de l’article 914 du Code de procédure civile, considérant que la liste des actes relevant de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état est exhaustive, et force est de constater que, si le conseiller de la mise en état peut rejeter la demande en caducité de la déclaration de l’appelant en application de ce texte, l’appréciation de l’absence ou non d’effet dévolutif de ladite déclaration, lorsqu’elle ne comporte pas la mention des chefs de jugement critiqués, relève de la seule formation collégiale de la cour d’appel. La solution est d’une logique implacable dans la mesure où l'effet dévolutif de l'appel trouve son fondement dans l’article 561 du Code de procédure civile selon lequel « l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel ». La notion de « juridiction d’appel » désigne nécessairement la formation collégiale de la cour d’appel, seule compétente à se prononcer au fond.

À retenir : lorsque le conseiller de la mise en état rejette la demande en caducité de la déclaration de l’appelant, l’appréciation de l’absence ou non d’effet dévolutif de ladite déclaration, lorsqu’elle ne comporte pas la mention des chefs de jugement critiqués, relève de la seule formation collégiale de la cour d’appel.

  • L’autorité de la chose jugée et le principe de concentration des demandes : toujours pas ! (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 20-21.585, F-B N° Lexbase : A41147XN)

Résumé : au visa des articles 1355 du Code civil N° Lexbase : L1011KZH et 480 N° Lexbase : L2318LUE du Code de procédure civile, en réaffirmant sous forme de principe que, s’il résulte du premier de ces textes que, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

À la suite de l’arrêt « Cesareo » [16] au sein duquel l’assemblée plénière de la Cour de cassation a affirmé que, si les parties ont la maîtrise de l’objet du litige, c’est sous réserve de concentrer leurs moyens, une divergence est apparue entre les différentes chambres civiles de la Cour de cassation. Alors que la première chambre imposait aux parties la concentration de leurs demandes en matière d’arbitrage [17],et au-delà [18], les autres chambres ont refusé d’emprunter cette voie[19], provoquant un abandon par la première chambre civile de sa solution antérieure [20]. Reste que le positionnement de la deuxième chambre civile a quelque peu perdu de sa clarté à la suite de deux décisions rendues en 2018 à la suite desquelles l’on a pu s’interroger sur le fait de savoir si, interdire à un plaideur, défendeur dans un procès, de présenter une demande dans un second au motif qu’il aurait dû la présenter sous forme de moyens de défense, ne revient pas à admettre un principe de concentration des demandes [21], sauf à considérer que la défense et la demande suivante n’ont pas le même objet [22]. À l’occasion de l’arrêt n° 20-21.585 rendu le 19 mai 2022, la deuxième chambre civile réaffirme le principe précédemment dégagé en vertu duquel, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

En l’espèce, à la suite du décès d’un artiste, ses héritiers assignent en justice ceux d’un marchand d’art qui détiennent les œuvres de leur père en vertu d’un contrat de dépôt qui liait le marchand d’art et l’artiste. Dans un arrêt en date du 26 novembre 2020, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi formé par les héritiers du marchand d’art, la cour d’appel de Paris les a condamnés à restituer sous astreinte les œuvres détenues par leur père parmi lesquelles se trouve un mobile dont un expert a pu constater, lors de la restitution, que celui-ci était endommagé. Par arrêt du 14 janvier 2015, la cour d’appel de Paris a déclaré prescrite la demande d'indemnisation concernant l'une des œuvres et a condamné les héritiers du marchand d’art à indemniser ceux de l’artiste pour les deux autres œuvres. En 2016, les héritiers de l’artiste, invoquant les dommages causés au mobile, imputables selon eux au marchand d’art qui en avait la garde, ont assigné ses héritiers en paiement de différentes sommes en réparation de leurs préjudices matériel et moral résultant de cette détérioration. Les héritiers du marchand d’art ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée aux arrêts du 26 novembre 2010 et du 14 janvier 2015. Dans leur pourvoi, les héritiers de l’artiste font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes en réparation des préjudices causés par la restitution dans un état dégradé du mobile, alors « que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en déclarant irrecevable la demande d'indemnisation fondée sur la détérioration de l'œuvre qui n'a pas le même objet que la précédente demande en restitution de cette œuvre, la cour d’appel a violé les articles 1355 du Code civil et 480 du Code de procédure civile. »

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation suit le raisonnement proposé par le pourvoi et prononce la cassation de l’arrêt d’appel au visa des articles 1355 du Code civil et 480 du Code de procédure civile en réaffirmant sous forme de principe que, s’il résulte du premier de ces textes que, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits. L’application du principe rappelé conduit à la Cour de cassation a constater que pour déclarer irrecevables les demandes des héritiers de l’artiste en réparation des préjudices causés par la restitution, dans un état dégradé, du mobile, l'arrêt d’appel retient que l'action engagée en 2016 est une action en indemnisation fondée sur un manquement aux obligations du contrat de dépôt, tandis que la première action contenait une demande indemnitaire fondée sur le contrat de dépôt, de sorte que les deux actions ont le même objet et qu'il appartenait aux héritiers, en application du principe de la concentration des moyens, de soulever dès la première instance le moyen tiré de la mauvaise exécution de l'obligation de restitution du dépositaire. Or, en statuant ainsi, alors que la demande d'indemnisation de l'état détérioré du mobile restitué avait un objet distinct de celui de la demande d'indemnisation de l'absence de restitution des trois œuvres vendues, la cour d’appel a violé les textes susvisés. 

La solution réaffirmée par la deuxième chambre civile mérite d’être approuvée. Avec l’arrêt « Cesareo », la Cour de cassation a reformaté la règle classique de la triple identité qui s'induit de l'article 1351 du Code civil pour y greffer une charge procédurale nouvelle en vertu de laquelle le plaideur a l'interdiction de recommencer le procès sur un nouveau fondement juridique lorsqu'il s'est abstenu, au cours d'une première instance, de soulever l'ensemble de moyens propres à fonder sa prétention. L'autorité de la chose jugée impose donc sa force négative si la même chose est demandée au sujet des mêmes faits qui constituent la cause redéfinie au sens de l'article 1351 du Code civil, et seule une modification de la situation factuelle ayant servi de base à la décision ou la naissance d'un droit après le jugement éteignant l'instance initiale peuvent y faire obstacle. À la suite des errements de la jurisprudence des chambres civiles qui ne semblaient pas parvenir à s’accorder sur une conception stricte du principe de concentration des moyens, à l'origine cantonné aux moyens juridiques de la cause, la doctrine a pu s’interroger sur le fait de savoir si l’on n'allait pas insensiblement glisser vers une exigence plus draconienne de concentration des demandes. Un tel glissement aurait été extrêmement critiquable dans la mesure où, comme cela a déjà été souligné, le principe de concentration est « une improvisation prétorienne qui ne prend appui sur aucun texte » [23], de sorte qu’il doit uniquement donner lieu à une interprétation stricte. Toutefois, une logique d'efficacité judiciaire poussée à l'extrême pourrait conduire à considérer que le principe de concentration des demandes améliorerait la gestion des flux contentieux car, il est séduisant de considérer qu’imposer au plaideur le procès à un coup permettrait de détourner des rôles des instances en rafale inutiles. Mais ne serait-ce pas alors faire jouer à l'autorité de la chose jugée un rôle qui n'est pas le sien ? Ne doit-elle pas, par principe, être limitée aux seuls points qui ont été ou ont pu être contradictoirement débattus entre les parties et ensuite effectivement tranchés par le juge ? Telle semble être la conception que retient la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de l’autorité de la chose jugée et qu’elle réaffirme à l’occasion de l’arrêt commenté.

À retenir : s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

Régime spécial de l’article 911-1 du Code de procédure civile, application stricte (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.422, F-B N° Lexbase : A41117XK)

Résumé : lorsque la caducité de la déclaration d'appel a été prononcée sur le fondement des articles 85 N° Lexbase : L1423LGS, 922 N° Lexbase : L0982H47 et 930-1 N° Lexbase : L7249LE9 du Code de procédure civile, l’appelant peut former de nouveau appel principal dans la même affaire et à l’égard des mêmes parties, tant que ce dernier demeure dans le délai pour interjeter appel, l’article 911-1 N° Lexbase : L7243LEY du même Code prévoyant expressément cette hypothèse.

Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL a substitué au contredit, qui était une voie de recours exclusivement dédiée aux contestations portant sur la compétence, la procédure d’appel à jour fixe. Ainsi, l’appel qui serait dirigé contre une décision rendue par une juridiction de première instance se prononçant sur la compétence sans statuer au fond relève des articles 83 N° Lexbase : L1426LGW et suivants du Code de procédure civile [24]. Il doit en outre être rappelé que l’alinéa 2 de l’article R. 1461-1 du Code du travail N° Lexbase : L2663K87 prévoit qu’en cas d’appel en matière prud’homale, les parties peuvent recourir à la procédure à jour fixe en étant représentées par un défenseur syndical. Sur ce point, la Cour de cassation avait rendu un avis [25], accompagné d’un arrêt [26], dans lequel elle avait affirmé « qu’il résulte des articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile, que, nonobstant toutes disposition contraire, l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, de la procédure à jour fixe et qu’en ce cas, l’appelant doit saisir, dans le délai d’appel et à peine de caducité de la déclaration d’appel, qui doit être relevée d’office, le premier président de la cour d’appel en vue d’être autorisé à assigner l’intimé à jour fixe ». Mais lorsque la caducité de la déclaration d’appel a été prononcée, celle-ci produit-elle les mêmes effets que dans la procédure ordinaire ? C’est précisément à cette question que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond avec l’arrêt n° 21-10.422 du 19 mai 2022.

En l’espèce, un plaideur a saisi un conseil de prud'hommes aux fins de requalification en contrat de travail de son contrat de prestation de services avec une société, placée en liquidation judiciaire, puis a relevé appel du jugement qui a déclaré la juridiction incompétente. Ayant saisi le premier président d'une requête en application de l'article 84, alinéa 2 du Code de procédure civile, le plaideur a été autorisé à assigner à jour fixe pour une audience. Par un premier arrêt en date du 20 février 2020, une cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d'appel, l'extinction de l'instance et son dessaisissement. Dans son pourvoi, le demandeur fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations en déclarant l'appel formé le 20 février 2020 irrecevable, alors même qu’elle a constaté que la caducité de l’appel était fondée sur les articles 85, 922 et 930-1 du Code de procédure civile, alors même que l’article 911-1 du même Code dispose que, seule la partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité en application des articles 902 N° Lexbase : L7237LER, 905-1 N° Lexbase : L7035LEB, 905-2 N° Lexbase : L7036LEC ou 908 N° Lexbase : L7239LET du Code de procédure civile se trouve privée de la possibilité de former un appel principal contre le même jugement.

Dans son arrêt du 19 mai 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation prononce la cassation de l’arrêt d’appel au visa des articles 83, 85, 911-1, alinéa 3 du Code de procédure civile et R. 1461-2 du Code du travail N° Lexbase : L2664K88, dont elle déduit qu’en retenant, pour déclarer l'appel irrecevable, que l'article 85 du Code de procédure civile, figurant au rang des dispositions qui instituent une voie de recours particulière pour les jugements ayant statué exclusivement sur la compétence, se réfère certes à la procédure à jour fixe pour ce qui est des règles d'instruction et de jugement applicables à cette affaire, mais que cette voie de recours n'est pas une procédure à jour fixe et n'exclut en rien les règles de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, auxquelles il se réfère expressément, s'agissant du respect des prescriptions de l'article 901 qui ouvre la sous-section 1 et donc, implicitement, des articles suivants, la cour d’appel, alors que la caducité de la déclaration d'appel avait été prononcée sur le fondement des articles 85, 922 et 930-1 du Code de procédure civile, non visés par l'article 911-1, alinéa 3, précité, a violé les textes susvisés.

Au même titre que l’on a déjà pu observer que certaines cours d’appel peuvent être tentées de recourir trop aisément à la caducité de la déclaration d’appel pour sanctionner la ou les défaillances de l’appelant dans l’accomplissement de ses obligations procédurales[27], force est de constater que cette tendance s’observe également dans le champ des effets de la caducité. L’on peine à suivre le raisonnement des juges d’appel qui ont suivi un raisonnement qui ne pouvait déboucher que sur une censure dès lors que l’interprétation stricte des dispositions de l’article 911-1 du Code de procédure civile, qui vise expressément l’impossibilité pour l’appelant, dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité sur le fondement des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 du même Code, d’interjeter appel principal à l’encontre de la même décision et à l’égard de la même partie, n’étaient pas applicables au cas d’espèce, la cour d’appel ayant constaté elle-même que c’est sur le fondement des articles 85, 922 et 930-1 du Code de procédure civile, non visés par l'article 911-1précité, que la caducité de la déclaration d’appel avait été prononcée.

À retenir : lorsque la caducité de la déclaration d’appel a été prononcée sur le fondement des articles 85, 922 et 930-1 du Code de procédure civile, l’appelant peut, en vertu des dispositions de l’article 911-1 du même Code, interjeter de nouveau appel principal dès lors qu’il se trouve encore dans les délais pour le faire.


[1] Cass. soc., 29 avril 1998, n° 96-40.886, N° Lexbase : A0063C7H ; Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-17.840, F-D N° Lexbase : A8280WLA.

[2] Cass. civ. 2, 6 décembre 2018, n° 17-27.119, F-D N° Lexbase : A7748YPN.

[3] Cass. civ. 2, 16 décembre 2021, n° 20-20.443, FS-B N° Lexbase : A30277G9.

[4] C. Bléry, Transmission d’une information par tout moyen : oui, mais à condition d’être effective, Dalloz-Actualités, 19 janvier 2022 [en ligne].

[5] Ass. plén., 5 décembre 2014, n° 13-27.501 N° Lexbase : A8235M4R ; Cass. civ. 2, 13 novembre 2015, n° 14-19.931, F-P+B N° Lexbase : A1938NZS.

[6] Cass. civ. 2, 6 décembre 2018, n° 17-17.557, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2746YPE.

[7] Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, N° Lexbase : A1830A7W.

[8] Cass. mixte, 3 février 2006, n° 04-30.592 N° Lexbase : A7240DM4.

[9] Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-20.881, FS-D N° Lexbase : A8594NHR.

[10] Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-12.834, FS-P+B N° Lexbase : A8533RRH.

[11] Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n° 14-10.548, F-P+B N° Lexbase : A2279NKM.

[12] Cass. civ. 2, 30 janvier 2022, n° 18-22.528, FS-P+B+I N° Lexbase : A89403C4.

[13] Y. Joseph-Ratineau, Sanction de l’acte d’appel ne mentionnant pas les chefs de jugement critiqués : entre clarifications et questionnements, Lexbase Droit privé, février 2020, n°814 N° Lexbase : N2332BYZ.

[15] Cass. civ. 2, 3 septembre 2015, n° 13-27.060, F-P+B N° Lexbase : A4858NNA ; Égal. : Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-22.765, FS-P+B N° Lexbase : A9790YU7.

[16] Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 N° Lexbase : A4261DQU.

[17] Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-13.266 N° Lexbase : A7685D87.

[18] Cass. civ. 1, 12 septembre 2012, n° 11-18.530, F-D N° Lexbase : A7581ISL.

[19] Cass. civ. 2, 19 octobre 2017, n° 16-24.372, F-D N° Lexbase : A4590WWW ; Cass. civ. 2, 16 mars 2017, n° 16-15.426, F-D N° Lexbase : A2780UCX.

[20] Cass. civ. 1, 12 mai 2016, n° 15-16.743, FS-P+B+I N° Lexbase : A6870RNR.

[21] Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 17-10.849, F-P+B N° Lexbase : A4733XCB.

[22] Cass. civ. 2, 1er mars 2018, n° 17-11.603, F-D N° Lexbase : A0509XGX.

[23] R. Perrot, obs., RTD civ. 2010, p. 156.

[24] Cass. civ. 2, 22 octobre 2020, n° 18-19.768, F-P+B+I, N° Lexbase : A88303YP.

[25] Cass. avis, 11 juillet 2019, n° 15011 N° Lexbase : A3530ZKX.

[26] Cass. civ. 2, 11 juillet 2019, n° 18-23.617, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5653ZI9.

[27] Y. Joseph-Ratineau, « Quand la Cour de cassation censure les « abus » de caducité de la déclaration d’appel », Lexbase Droit privé, juillet 2020, n° 814 N° Lexbase : N4208BYI.

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Procédure pénale

[Brèves] Requête en nullité d’un mandat d’arrêt pour l’exécution duquel une personne est placée sous écrou extraditionnel à l’étranger : constitutionnalité réservée de l’article 173 du Code de procédure pénale

Réf. : Cons. const., n° 2022-996/997 QPC, du 3 juin 2022 N° Lexbase : A91187YD

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par Adélaïde Léon

Le 08 Juin 2022

► Sous la réserve que la chambre de l’instruction statue à bref délai lorsqu’elle est saisie d’une requête en nullité d’un mandat d’arrêt pour l’exécution duquel une personne est placée sous écrou extraditionnel à l’étranger, les dispositions de l’article 173 du Code de procédure pénale, lequel est relatif aux modalités de saisines de la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’un acte ou d’une pièce, sont conformes à la Constitution.

Rappel de la procédure. Par deux arrêts du 5 avril 2022 (Cass. crim., 5 avril 2022, n° 21-87.393 N° Lexbase : A97487ST et n° 21-87.163, F-D N° Lexbase : A97667SI), la Chambre criminelle a soumis au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité lesquelles ont été jointes afin qu’il y soit statué par une seule décision.

Par ces questions, le Conseil était saisi de l’article 173 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7455LPS dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC, relatif aux modalités de saisines de la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’un acte ou d’une pièce par le juge d’instruction, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté.

Portée de la QPC. Il était reproché aux dispositions en cause de ne pas imposer à la chambre de l’instruction de statuer à bref délai lorsqu’elle est saisie d’une requête en nullité formée contre un mandat d’arrêt pour l’exécution duquel une personne est placée sous écrou extraditionnel à l’étranger. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté individuelle, des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif. Enfin, les requérants dénonçaient la différence de traitement injustifiée résultant de ces dispositions entre la personne placée sous écrou extraditionnel à l’étranger et celle placée en détention provisoire en France dont le recours doit être examiné à bref délai par la chambre de l’instruction.

Décision. Le Conseil constitutionnel rappelle dans un premier temps les principes applicables en l’espèce, lesquels résultent des articles 66 de la Constitution N° Lexbase : L1332A99 (prohibition de la détention arbitraire) et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen N° Lexbase : L1363A9D (droit à un recours juridictionnel effectif).

Le Conseil souligne ensuite qu’en application du deuxième alinéa de l’article 194 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L8103MAD, auquel renvoient les dispositions contestées, la chambre de l’instruction dispose généralement d’un délai de deux mois pour statuer sur une requête en nullité. La Haute juridiction ne manque pas de préciser que la méconnaissance de ce délai n’est assortie d’aucune sanction.

Toutefois, le Conseil rappelle la règle de célérité applicable en matière de privation de liberté. Dans ce domaine, le droit à un recours juridictionnel effectif impose, comme le souligne la Haute juridiction, que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais.

Il résulte de ces principes que, dans le cas où elle est saisie d’une requête en nullité d’un mandat d’arrêt pour l’exécution duquel une personne est placée sous écrou extraditionnel à l’étranger, il appartient à la chambre de l’instruction de statuer dans les plus brefs délais.

Dès lors, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense, ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et doivent, sous la réserve que la chambre de l’instruction statue à bref délai lorsqu’elle est saisie d’une requête en nullité d’un mandat d’arrêt pour l’exécution duquel une personne est placée sous écrou extraditionnel à l’étranger, être déclarées conformes à la Constitution.

newsid:481762

Représentation du personnel

[Brèves] Paiement des heures de délégation par l’employeur à l’échéance normale même en cas de contestation sérieuse

Réf. : Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-16.836, FS-B N° Lexbase : A58457Y7

Lecture: 2 min

N1761BZA

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par Charlotte Moronval

Le 13 Juin 2022

► Ayant constaté que l'employeur avait opéré des retenues sur le salaire mensuel du salarié au titre des heures de délégation, une cour d'appel caractérise l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par le remboursement des retenues ainsi opérées, peu important l'existence de la contestation sérieuse élevée par l'employeur selon lequel les mandats représentatifs du salarié ne couvraient plus l'intégralité de son temps de travail.

Faits et procédure. Une société demande à un de ses salariés, titulaire de plusieurs mandats de représentation, de reprendre une activité professionnelle effective au motif que la durée de ses mandats ne couvrait plus l’intégralité de son temps de travail contractuel. Ce dernier n’ayant pas repris ses fonctions, la société a opéré des retenues sur salaire pour la partie de son temps de travail non couverte par des heures de délégation.

Le salarié saisit la juridiction prud’homale en référé aux fins d’obtenir une provision au titre des retenues sur salaires injustifiées opérées.

La cour d’appel (CA Grenoble, 9 juin 2020, n° 19/04869 N° Lexbase : A13273NH) accède à sa demande. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel et affirme le trouble manifestement illicite des retenues sur salaire au titre des heures de délégation.

Pour aller plus loin :

  • La Cour de cassation rappelle que les temps de délégation sont de plein droit considérés comme temps de travail et payés à l'échéance normale et que l’employeur est tenu de payer ces heures de délégation, même s’il entend les contester ultérieurement auprès du juge judiciaire ;
  • Rappr. Cass. soc., 10 janvier 2006, n° 04-46.838, F-D N° Lexbase : A3501DMM : « le conseil de prud'hommes qui a constaté que l'employeur refusait de payer les heures de délégation à l'échéance normale a pu, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite » ;
  • ÉTUDE : Les heures de délégation, La contestation du paiement des heures de délégation, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1710ETI.

newsid:481761

Responsabilité administrative

[Jurisprudence] Condamnation de l’État du fait des dégradations commises par des attroupements et rassemblements : l’application du régime de responsabilité sans faute dans le cadre des manifestations des « Gilets jaunes » à Toulouse

Réf. : TA Toulouse, 21 avril 2022, n° 1904438 N° Lexbase : A60037UU et n° 1904448 N° Lexbase : A60047UW

Lecture: 11 min

N1736BZC

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par Sophie Banel, Avocat associé et Camille Delesalle, Avocat, Cabinet Goutal, Alibert et Associés

Le 08 Juin 2022

Mots clés : attroupement • rassemblement • gilets jaunes • responsabilité • sécurité

Par deux jugements rendus le 21 avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a retenu l'engagement de la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L9763LPB, du fait des dommages subis par la Ville et la Métropole de Toulouse lors des journées de mobilisation du mouvement dit « Gilets jaunes », qui se sont déroulées chaque samedi, en centre-ville de Toulouse, entre le mois de novembre 2018 et le mois de juin 2019. Des jugements récents qui font une application, dans un cas topique d’importance, du régime de la responsabilité sans faute de l’État du fait des attroupements ou rassemblements.


 

I. Sur les conditions de mise en œuvre du régime de responsabilité sans faute de l’État

Pour rappel, il est prévu à l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure que « l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute de l’État, du fait des dégâts et dommages commis dans le cadre d’attroupements ou rassemblements.

Encore faut-il pouvoir, afin de faire application de ce régime de responsabilité de l’État, définir juridiquement les notions d’« attroupements » et de « rassemblements », puis déterminer si l’on est en présence de crimes ou délits commis, ou non, dans le cadre d’un tel événement.

La notion d’« attroupement » est définie par l’article 431-3 du Code pénal N° Lexbase : L4960ISI, comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». Et ainsi que l’avait relevé le rapporteur public Alexandre Lallet, dans une affaire relative à l’utilisation du lanceur de balles de défense de 40 milimètres lors des opérations de maintien de l'ordre lors des manifestations « Gilets jaunes » de janvier et février 2019, « une manifestation pacifique et organisée n’est pas un attroupement. Mais une manifestation qui dégénère et dont s’extraient spontanément des groupes d’individus violents donne lieu à la formation d’attroupements au sens juridique » [1].

C’est dans cette logique que le juge administratif, appelé à juger de l’engagement de la responsabilité sans faute de l’État du fait des attroupements ou rassemblements, examine le lien temporel, mais aussi de proximité géographique, entre les crimes et délits dommageables et les épisodes d’attroupements ou rassemblements.

Le Conseil d’État, déjà par un arrêt du 30 décembre 2016, censurait la cour d’appel qui n’avait pas retenu la responsabilité sans faute de l’État alors qu’elle avait relevé que les dégradations (incendies) ont « été provoqué[es] par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s'étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents » [2].

Et il faut relever que le juge administratif considère que façon constante que le caractère organisé et prémédité des dégradations, notamment dans le cadre d’une manifestation sur la voie publique, ne suffit pas à écarter la responsabilité de l’État [3].

Le rapporteur public, M. Polge, synthétise parfaitement, dans les conclusions relatives à l’affaire précitée, le raisonnement du juge administratif :

« la préméditation et l’organisation ne suffisent pas à eux seuls à écarter la mise en œuvre du régime de responsabilité sans faute de l’État : dans le cas d’une manifestation qui s’accompagne de violences ou de dégradations, c’est le lien avec la manifestation qui est déterminant – ce lien n’est rompu que lorsque les auteurs ne se sont organisés que pour commettre ces délits ; il subsiste lorsque même en s’organisant et en préméditant leur geste, ce dernier reste dans le prolongement de la manifestation ».

Autrement dit, l’État ne devrait voir sa responsabilité sans faute écartée que lorsque les auteurs des dégradations se sont spécialement organisés pour commettre les crimes et délits dommageables, sans lien avec un quelconque rassemblement ou attroupement.

C’est par exemple le cas en présence d’un attentat organisé par un groupe qualifié de « commando » pour endommager les locaux d’une société de radiotélévision [4], ou encore, plus récemment, dans le cadre d’actions coups de poing de destruction de viandes ou de produits laitiers [5].

II. Sur l’application du régime de responsabilité sans faute de l’État aux mobilisations des « Gilets jaunes »

Dans les deux affaires qui nous intéressent, l’une pour la Ville et l’autre pour la Métropole de Toulouse, le rapporteur public avait, en audience publique au tribunal administratif, bien rappelé le caractère évolutif et incertain de la jurisprudence administrative relative à ce régime de responsabilité de l’État, et la réelle difficulté pour le juge à établir des critères opérationnels pour définir des « attroupements » ou « rassemblements ».

L’application de ce régime dans le cadre des manifestations organisées par les groupes « Gilets jaunes », dont la spécificité sociologique (en termes de composition, revendication, mode d’action, de communication…) a été relevée, constitue la véritable nouveauté des jugements étudiés.

Il faut mentionner que le tribunal administratif de Montpellier avait, par trois jugements du 16 février 2021, écarté l’indemnisation de la société AXA France au titre de la réparation des dommages subis par son agence bancaire, en raison des événements intervenus à Montpellier le 19 janvier 2019 lors d’une manifestation du mouvement dit « Gilets jaunes » ; au motif qu’ils avaient été perpétrés par des « casseurs », « personnes cagoulées diligentant une action rapide et préméditée en vue de la destruction des biens » [6].

Or, dans le cadre des manifestations organisées pendant plusieurs mois sur la Commune et la Métropole de Toulouse par les groupes « Gilets jaunes », la responsabilité sans faute de l’État n’a pas été écartée, faute pour la Préfecture de démontrer que les dommages dont se prévalaient les collectivités étaient le fait de « groupes isolés spécifiquement constitués et organisés dans l’unique objectif de commettre une action délictuelle, sans lien avec la manifestation », régulièrement qualifiés de « Blacks blocks ».

Et ce, sans que n’ait d’incidence « la circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée, à l’appel de plusieurs initiateurs, notamment via les réseaux sociaux, et à l’aide d’armes par destination dont étaient munis certains manifestants ».

Il en résulte que la responsabilité sans faute de l’État ne saurait a priori être écartée, sauf à établir précisément que les dommages invoqués par les collectivités ont été causés par des groupes d’activistes exclusivement organisés en vue de commettre les infractions à l’origine de ces dommages.

Dans un sens identique, le tribunal administratif de Paris a jugé, concernant les débordements violents ont eu lieu en marge de ces manifestations « Gilets jaunes » à compter du mois de novembre 2018 que « bien que certaines (actions) aient été préméditées, les dégradations ont bien été commises à l’occasion de manifestations sur la voie publique qui se sont déroulées entre le 1er avril et le 1er décembre 2019. De telles dégradations, résultent donc d’un attroupement au sens des dispositions précitées et non d’un groupe organisé et constitué à seule fin de commettre des délits. Dans ces conditions, la Ville de Paris est fondée à solliciter l’engagement de la responsabilité de l’État sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure et peut solliciter l’indemnisation des dommages de toute nature, sous réserve qu’ils soient la conséquence directe et certaine des crimes et délits visés par ces dispositions » [7].

Il faut toutefois que les dommages dont se prévalent les collectivités, dont la matérialité doit être prouvée, résultent, de manière directe et certaine, de crimes et délits commis à force ouverte ou par violence dans le cadre de la manifestation.

III. Sur la nécessaire démonstration de la réalité du préjudice et du lien de causalité

Si la responsabilité sans faute de l’État a été, sur le principe, considérée comme indéniablement engagée par les tribunaux administratifs saisis, il faut bien relever que l’indemnisation des collectivités requérantes a été conditionnée à un examen détaillé des postes de préjudices invoqués et à la démonstration du lien de causalité entre les préjudices invoqués et les crimes et délits commis à force ouverte ou par violence dans le cadre des mouvements « Gilets jaunes ».

Au terme d’un examen minutieux du juge, l’État a été condamné, d’une part, à verser à la commune de Toulouse la somme totale de 559 794,49 euros TTC correspondant aux frais de réparation des horodateurs, de remplacement de jardinières détruites par les manifestants, de remplacement de sapins lumineux, de réparation des kiosques endommagés et de réparation du centre de vidéo-surveillance de la police municipale.

Et, d’autre part, Toulouse Métropole a obtenu la condamnation de l’État a lui verser la somme totale de 648 960,08 euros TTC correspondant aux coûts de remise en état du mobilier urbain, des chaussées et trottoirs et des matériaux naturels, au coût d’enlèvement des affiches sauvages, de leur collecte et de leur traitement, au surcoût de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie métropolitaine, à la rémunération des agents supplémentaires mobilisés pour nettoyer les dégradations commises sur la voie publique par les manifestants aux travaux de réparation des caméras et mâts dégradés par les manifestants.

L’indemnisation des coûts de réparation des horodateurs exposés par la commune a par exemple supposé la production, par la collectivité, de comptes rendus d’infraction établis à l’occasion des plaintes déposées à l’issue de chaque journée de mobilisation, ainsi que de photographies -datées et faisant état des types de dégradations subies par les horodateurs (inscriptions, peinture jaune…)- et « desquels il ressort que le contenu revendicatif des messages peints sur lesdits horodateurs n’était pas sans lien avec les revendications sociales portées par le mouvement des gilets jaunes ».

Outre le lien de causalité établi entre son préjudice et les épisodes de manifestation « Gilets jaunes », la commune de Toulouse a dû justifier de la réalité et de l’étendue du préjudice invoqué, par la production de devis de réparation - libellés à l’attention de la collectivité, datés et précisant le type d’intervention et l’horodateur en cause -, d’un « nombre concordant avec les déclarations effectuées lors des dépôts de plainte successifs à l’issue de chaque manifestation ».

Le défaut d’un de ces éléments, tels que la nature de la prestation de réparation effectuée, ou encore le libellé de la facture d’intervention, est de nature à faire regarder la collectivité comme ne rapportant pas la preuve du caractère réel et certain de son préjudice et donc à exclure l’indemnisation du poste invoqué.

À ce titre, il apparait intéressant de relever dans les affaires similaires portées devant le juge administratif par la Ville de Paris, en réparation des préjudices qu’elle a subis au cours des événements de manifestation « Gilets jaunes » entre le 28 novembre 2018 et le 31 mars 2019, que le juge a rejeté l’indemnisation du préjudice invoqué relatif à la réparation des horodateurs vandalisés au motif que « la Ville de Paris n’apporte pas de précision sur la date et la localisation des dommages, ne verse au débat aucune plainte, constat d’huissier, ou photographie permettant de corroborer le  fait que des horodateurs auraient été vandalisés au cours de l’une des manifestations qui a eu lieu pendant la  période considérée ». 

De plus, de nombreux travaux et interventions réalisés par les collectivités dans le cadre des manifestations « Gilets jaunes », et dont elles sollicitaient l’indemnisation de l’État, ont été écartés par le juge administratif en raison de leur caractère préventif, de sécurisation, qui ne correspondait donc pas à la seule réparation des dégradations, issues d’actes criminels ou délictuels, commis à l’occasion de la manifestation.

La collecte, synthèse et restitution des pièces -nombreuses, précises et détaillées- ont constitué un travail considérable pour les services des collectivités mais se sont révélées efficaces puisque sans elles, les actions engagées n’auraient pu aboutir à de telles condamnations.

 

[1] Conclusions sur l’arrêt CE, 24 juillet 2019, n° 427638, mentionné aux tables N° Lexbase : A4222ZLX.

[2] CE, 30 décembre 2016, n° 386536, mentionné aux Tables N° Lexbase : A4371SYK ; voir dans le même sens CAA Nancy, 17 octobre 2017, n° 15NC02567 N° Lexbase : A5107WW3.

[3] CE, 7 décembre 2017, n° 400801 N° Lexbase : A6849W4G.

[4] CE, 12 novembre 1997, n° 150224 N° Lexbase : A5028ASZ.

[5] CE, 12 juillet 2006, n° 283857 N° Lexbase : A6571DQG ; CAA Nantes, 26 avril 2013, n° 11NT02731 N° Lexbase : A9373MQ9.

[6] TA Montpellier, 16 février 2021, n°1906176, 1905441, 1904782.

[7] TA Paris, 4 mai 2022, n° 1922865, n° 2019727 N° Lexbase : A38317WS.

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Rupture du contrat de travail

[Pratique professionnelle] Focus sur les conditions de négociation et de rédaction de la transaction en droit du travail

Lecture: 14 min

N1746BZP

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par Elodie Pastor, Avocat, Docteur en droit, Barthelemy avocats

Le 09 Juin 2022

Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Rédiger une transaction en droit du travail » et publié dans l’édition n° 909 du 9 juin 2022 de la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N1748BZR.


Mots-clés : transaction • droit du travail • validité • forme • négociations

Aux termes de l’article 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN, la transaction se définit comme un contrat écrit par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. La conclusion d’un tel acte a pour finalité de faire obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice ayant le même objet [1]. Des conditions de forme et de fond doivent toutefois être respectées afin d’éviter, notamment, des contestations ultérieures et la mise en cause de l’accord intervenu.


À titre liminaire, il convient de relever que l’article 2044 du Code civil dispose que le contrat de transaction est un contrat écrit. La jurisprudence précise toutefois que cet écrit n’est pas une condition de validité du protocole d’accord transactionnel, mais uniquement un élément de preuve [2]. La rédaction d’un écrit semble néanmoins incontournable [3]. Celui-ci constitue le premier rempart face aux éléments susceptibles de mettre en cause l’accord conclu (vices du consentement, conditions de validité et inexécution de l’accord par les parties). Il n’existe toutefois pas de protocole d’accord transactionnel type. La rédaction de ce dernier (II.) dépendra, en effet, des négociations intervenues en amont (I.).

I. Le temps des négociations

Le temps des négociations est essentiel. Il conditionne, pour partie, la validité du protocole d’accord transactionnel rédigé au terme de ce processus. C’est à ce stade qu’il convient de vérifier, conformément au droit commun des contrats, l’objet et la cause du litige, la capacité et le consentement des parties.

Objet et cause. La transaction doit avoir un objet et une cause licite. Elle ne doit pas avoir pour finalité un résultat prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.

Il résulte de cet élément qu’il ne saurait être conclu de transaction dans le cadre de certains contentieux. L’article L. 482-4 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5326ADM dispose ainsi que toute convention contraire aux dispositions légales sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est nulle de plein droit. En conséquence, le protocole aux termes duquel le salarié renonce à son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est nul de plein droit [4].

De la même manière, un salarié protégé ne saurait valablement renoncer à son statut protecteur. Rien ne l’empêche, toutefois, de conclure avec son employeur un accord visant à régler les conséquences pécuniaires de la rupture de son contrat de travail lorsqu’un licenciement a été notifié [5].

Enfin, il convient de rappeler que la conclusion d’un protocole d’accord transactionnel n’est pas de nature à empêcher d’éventuelles poursuites pénales lorsque les faits litigieux sont constitutifs d’un délit par exemple.

Capacité. Conformément à l’article 2045 du Code civil N° Lexbase : L3308IQL, il faut avoir, pour transiger, la capacité de disposer des objets compris dans la transaction.

La question de la capacité est notamment susceptible de se poser lorsque la transaction est conclue avec un représentant de l’employeur. Dans cette hypothèse, et bien qu’il soit recommandé de s’assurer que ce dernier dispose bien d’une délégation de pouvoirs lui permettant d’agir en ce sens, il est à noter que la Cour de cassation considère que le salarié n’est pas obligé de vérifier les limites exactes des pouvoirs du signataire lorsque celui-ci s’est comporté comme le représentant de la société [6].

Consentement. C’est au stade des négociations que doit également être délivrée aux parties, et plus particulièrement au salarié, l’information nécessaire à la conclusion d’un accord en pleine conscience. À défaut, une action en nullité de l’accord conclu pourrait être envisagée pour vice du consentement. La preuve qu’un vice a été de nature à affecter son consentement devra alors être apportée, faute de quoi la transaction sera jugée valable dès lors qu’elle comporte des concessions réciproques.

Dans l’hypothèse où les parties seraient assistées par un avocat, ce dernier serait bien évidemment débiteur d’une obligation de conseil à leur égard.

La plus stricte objectivité dans les relations avec les parties devra, en outre, être observée si l’avocat se trouve être le rédacteur unique de l’acte. Il devra alors veiller à l’équilibre des intérêts en présence et prendre l’initiative de renseigner et de conseiller les deux parties à l’acte sur la portée et les incidences des engagements souscrits de part et d’autre [7].

À cet égard, et afin d’éviter toute confusion et/ou tension au cours des négociations, il apparait opportun de sensibiliser notamment le salarié sur le différé spécifique d’indemnisation appliqué par Pôle emploi. Celui-ci est calculé en divisant le montant des indemnités de ruptures supérieures au minimum légal par 90 et est d’une durée minimale de 180 jours. Un tel différé pourrait effectivement affaiblir l’opportunité de conclure une transaction pour les salariés ayant une ancienneté et une rémunération significatives.

Il est néanmoins important de préciser qu’une transaction ne saurait être attaquée pour une erreur de droit. Il a ainsi été jugé que l’erreur de droit commise par l’une des parties à un protocole d’accord transactionnel quant au montant de l’indemnité qui lui aurait été due en l’absence de cet accord est sans influence sur l’existence et la validité de celui-ci [8]. Il a été jugé de même à propos d’erreurs sur des droits incertains [9].

Réflexion. En tout état de cause, il est recommandé, en pratique, de laisser au salarié au terme des négociations un délai de réflexion suffisant pour garantir son consentement libre et éclairé. La jurisprudence ne fixe aucun délai précis. La durée de celui-ci devra être appréciée au regard de l’importance des concessions consenties.

II. Le temps de la rédaction

Passé le temps des négociations et de la réflexion, les parties peuvent formaliser, par écrit, les engagements pris de part et d’autre.

Date de conclusion. À titre liminaire, il convient de rappeler que la signature d’un protocole d’accord transactionnel n’emporte pas pour effet de rompre le contrat de travail. Dès lors, si les parties souhaitent transiger sur les conséquences liées à la rupture du contrat de travail, elles ne peuvent valablement le faire qu'une fois la rupture intervenue et définitive. Si la transaction fait suite à un licenciement, elle ne pourra donc intervenir qu’après réception par le salarié de la lettre de licenciement notifiée par LRAR [10].

Objet du litige. La validité d’une transaction est subordonnée à l’existence d’un litige né à l’occasion de l’exécution du contrat de travail ou de sa rupture [11]. Il est donc recommandé, en tout premier lieu, de faire figurer dans le protocole d’accord transactionnel le ou les motifs du litige que les parties ont entendu régler. Les points de désaccord devront également être exposés.

À titre d’exemple, l’exposé du litige et les points de désaccord pourraient être présentés de la manière suivante :

« Madame Y a été engagée par la Société Z, par contrat à durée indéterminée en date du XX. La Convention collective nationale applicable est la Convention collective nationale XX. En sa qualité de secrétaire au sein de la Société Z, Madame Y était chargée du secrétariat et de l’assistanat des praticiens de la structure. Ainsi, compte tenu de ses fonctions, il était indispensable que Madame Y s’entende avec les praticiens.

La Société Z a toutefois pu déplorer une mésentente entre Madame Y et deux praticiens de la Société Z. À compter du mois de XX, il est apparu une dégradation des relations professionnelles. S’en sont suivi un climat délétère et des tensions au sein de l’équipe.

Madame Y a été licenciée par lettre RAR du XX après avoir été convoquée, par courrier LRAR en date du XX, à un entretien préalable qui s’est tenu le XX. Par courrier RAR en date du XX, la salariée a contesté son licenciement et a indiqué considérer cette mesure totalement injustifiée compte tenu de son implication et de la charge de travail démesurée qui était mise à sa charge.

Par suite, Madame Y a fait savoir qu’elle envisageait de saisir le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la condamnation de la Société Z à lui verser des dommages et intérêts.  Pour sa part, la Société Z confirme que Madame Y était à l’origine de la mésentente et qu’un tel comportement ne pouvait être toléré ».

Fort des désaccords qui les opposent, les parties doivent ensuite faire apparaitre dans le protocole d’accord transactionnel des concessions réciproques.

Concessions réciproques. Les concessions réciproques constituent une condition de validité de l’accord transactionnel [12]. Ces dernières n’ont pas à être proportionnelles. Elles doivent uniquement être réelles et ne pas être dérisoires [13].

Bien que les concessions réciproques portent généralement sur la renonciation à une action en justice en contrepartie d’une indemnité [14], l’article 2048 du Code civil N° Lexbase : L2293ABK dispose que les concessions réciproques peuvent porter sur « tous droits, actions ou prétentions ». Une attention particulière doit toutefois être portée quant à leur formalisation au sein du protocole d’accord transactionnel.

En effet, l’article 2048 précise que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

L’article 2049 du même Code N° Lexbase : L2294ABL dispose, par ailleurs, que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé ».

Il résulte de ces dispositions que seuls les différends compris dans le champ d’application de la transaction ne pourront faire l’objet d’une action en justice.

La Cour de cassation semble toutefois adopter une interprétation extensive des transactions rédigées en termes généraux. À titre d’illustration, dans un arrêt du 17 février 2021 N° Lexbase : A18524H3, la Haute juridiction décide d’inclure une clause de non-concurrence à laquelle l’employeur n’avait pas renoncé au moment du licenciement et en contrepartie de laquelle la salariée réclamait l’indemnité prévue au contrat dans l’objet d’une transaction rédigée en termes généraux. Elle énonce ainsi qu’aux termes de la transaction litigieuse, « les parties reconnaissaient que leurs concessions réciproques étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif [...] ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles et déclaraient, sous réserve de la parfaite exécution de l’accord, être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit » [15].

Cette interprétation est à nuancer lorsque la transaction est conclue pendant l’exécution du contrat de travail comme en témoigne un arrêt du 16 octobre 2019 N° Lexbase : A9371ZRI [16]. Au cas d’espèce, une transaction avait été conclue entre un employeur et une salariée qui contestait sa classification. Cette dernière renonçait à tout recours en échange d’un rappel de salaire et d’un nouveau coefficient. La Cour de cassation considère que les faits de discrimination invoqués par la salariée quelques années plus tard sont postérieurs à la signature de la transaction et se rattachent à une période de travail également postérieure. Elle juge donc l’action de la salariée sur ce fondement recevable.

C’est donc avec la plus grande prudence qu’il convient de rédiger les concessions auxquelles les parties se sont engagées.

Confidentialité. Le protocole d’accord transactionnel peut, enfin, comporter une clause de confidentialité, ou de « non-dénigrement », à l’égard des tiers.

La Cour de cassation s’est d’ailleurs prononcée à l’égard de ces clauses. Dans un arrêt daté du 14 janvier 2014 N° Lexbase : A7772KTZ, elle a notamment considéré que « des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression pour assurer la protection de la réputation et des droits d’autrui dès lors que ces restrictions sont proportionnées au but recherché » [17].

À titre d’illustration, une clause de confidentialité pourrait être rédigée ainsi :

« Les parties s’engagent enfin expressément l’une à l’égard de l’autre et vis-à-vis des tiers, sauf ceux habilités par la loi ou les règlements, à observer la plus totale discrétion en ce qui concerne :

  • l’existence de la présente transaction (s’interdisant notamment d’y faire référence ou de formuler toute remarque ambiguë ou insinuation laissant entendre ou supposer qu’il aurait conclu une transaction) ;
  • son contexte et en particulier les motifs de son licenciement ;
  • les conditions et interlocuteurs de sa négociation ;
  • son contenu.

Dans ce cadre, les parties s’interdisent en toute circonstance :

  • de communiquer à un tiers la présente transaction, qu’il s’agisse de son original, d’une copie ou de simples extraits ;
  • de répondre à d’éventuelles sollicitations ou questionnements de tiers concernant les raisons et conditions du départ de l’entreprise ;
  • de prendre une quelconque initiative de commentaire spontané sur ces aspects, que ce soit dans le cadre d’un cercle privé ou en public.

Monsieur X reconnaît expressément que les conditions ainsi posées par la Société sont légitimes et proportionnées au regard des concessions qui lui sont faites, et ne portent pas atteinte à sa liberté d’expression.

Plus généralement, les parties s’interdisent réciproquement tout dénigrement, toute diffamation.

Notamment, la Société s’engage à ne rien faire, écrire, dire, suggérer ou entreprendre qui puisse porter atteinte, de quelque manière que ce soit, à l’image et à la considération de Monsieur X. La Société s’engage, dans l’éventualité où un recruteur la contacterait, à n’émettre aucun jugement, avis ou commentaire négatif relatif aux compétences et à la personne de Monsieur X ».

Précisons cependant que la clause qui interdit au salarié de témoigner ou d’attester à l’encontre de son ancien employeur, y compris dans un litige concernant un autre salarié, est nulle. En effet, conformément aux articles 6 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté de témoigner s’analyse en une liberté fondamentale à laquelle il ne saurait être apporté de limite par accord.

La rédaction d’un protocole d’accord transactionnel est un exercice minutieux et périlleux. Des imprécisions et/ou maladresses dans la formulation de certaines clauses pourraient priver celui-ci de son efficacité et emporter, comme vont s’attacher à l’exposer les développements suivants, de lourdes conséquences tant au plan fiscal que social.


[1] C. civ., art. 2052 N° Lexbase : L2430LBM.

[2] Cass. soc., 9 avril 1996, n° 93-42.254, inédit [LXB= A9963AT8].

[3] Autant d’exemplaires originaux que de parties.

[4] Cass. civ. 2, 1er juin 2011, n° 10-20.178, F-P+B N° Lexbase : A3135HTB.

[5] Cass. soc., 10 janvier 1995, n° 90-42.943, inédit N° Lexbase : A6209CQZ.

[6] Cass. soc., 1er décembre 1982, n° 80-41.399, publié N° Lexbase : A6965CEP.

[8] Cass. soc., 18 mars 1986, n° 83-41.846 N° Lexbase : A2785AAE, Bull. civ. V, n° 92 : au cas d’espèce, une erreur sur la convention collective applicable avait conduit au versement d’une indemnité de licenciement inférieure à celle à laquelle le salarié aurait pu prétendre.

[9] À propos de dommages et intérêts susceptibles d’être alloués par un juge : v. Cass. soc., 24 février 2004, n° 01-44.356, F-D N° Lexbase : A3800DBD.

[10] Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-43.123, FS-P+B N° Lexbase : A9429DPW.

[11] C. civ., art. 2044 N° Lexbase : L2431LBN.

[12] Cass. soc., 25 octobre 1990, n° 87-40.407 N° Lexbase : A3197AHU, Bull. civ. V, n° 515.

[13] Cass. soc., 17 mars 1982, n° 80-40.455 N° Lexbase : A8399CHK, Bull. civ. V, n° 180 et Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-43.635, FS-P N° Lexbase : A9446AHC, Bull. civ. V, n° 399.

[14] La rédaction de la clause d’indemnité transactionnelle ne sera pas traitée dans cet article et fera l’objet d’un développement particulier dans ce dossier.

[15] Cass. soc., 17 février 2021, n° 19-20.635, FS-P+I N° Lexbase : A18524H3.

[16] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 18-18.287, FS-P+B N° Lexbase : A9371ZRI.

[17] Cass. soc., 14 janvier 2014, n° 12-27.284, FS-P+B {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 12956475, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 14-01-2014, n\u00b0 12-27.284, FS-P+B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7772KTZ"}}.

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