La lettre juridique n°478 du 22 mars 2012

La lettre juridique - Édition n°478

Éditorial

Le silence est d'or et la parole du flagrant

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N0857BTW

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, // Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, // Polissez-le sans cesse, et le repolissez, // Ajoutez quelquefois, et souvent effacez" ; tel est l'art poétique du juge du quai de l'Horloge, le "Boileau" de la cassation de l'ordre juridico-philosophique, lorsqu'on lit, ce 7 mars 2012 encore, que le gardé à vue doit, dès le début de la mesure, être informé de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, pouvoir bénéficier, en l'absence de renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat.

Oh ! L'adresse n'est pas aux juges du fond, qui les premiers ont, jadis, porté l'estocade à brûle-pourpoint des agents de police, pour le respect des droits de la défense et du procès équitable, dès les premières heures de la procédure, au mitard de la garde à vue. Le sceau F-P+B est à destination de ces agents récidivistes de la parole forcée, qui, citant Euripide, vous font croire que "le silence est un aveu". Assurément, il leur faudrait lire le Bâtonnier Pettiti, car "en tout cas, le refus de répondre ou de s'auto-accuser ne peut être retenu comme soupçon plausible". "La charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé. Les preuves produites doivent, toutefois, être obtenues de façon licite, c'est-à-dire qu'elles doivent, en principe, être fournies librement par l'accusé lors du procès, sous le contrôle du juge".

"Funke c/ France", "Murray c/ Royaume Uni", "Barberà, Messegué et Jabardo", et dernièrement "Salduz", "Danayan" ou "Bolukoç c/ Turquie" : on ne compte plus les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme condamnant les régimes de garde à vue déniant à l'avocat le droit d'être présent, dès le début de la procédure, ainsi que le défaut d'information du gardé à vue quant à son droit de se taire. Dans le dernier de ces arrêts, il est même réaffirmé que "l'obligation de prêter serment pour une personne placée en garde à vue porte nécessairement atteinte à son droit au silence et son droit de ne pas participer à sa propre incrimination", or "le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence [...] sont au coeur de la notion de procès équitable".

Qui tacet consentire videtur : si la maxime latine aux termes de laquelle "qui se tait semble consentir", connut de beaux jours en matière civile, le prévenu n'a pas l'obligation de collaborer à l'administration de la preuve en matière pénale. Et, comme le souligne le Professeur De Page, "il n'est pas possible d'ériger en règle juridique l'adage qui ne dit mot consent'". D'aucuns nous diraient que, si le pape Boniface VIII, auquel la locution fut attribuée, était avocat de formation, il n'en était pas moins notaire... La chose du pénal lui était donc parfaitement étrangère ; et si le fondement principal du droit au silence est d'ordre moral, un élément du respect dû à la dignité de la personne, l'on sait que le chantre de la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, "[se souciait ] autant d'une autre vie que d'un haricot", à en croire l'historien Jean Villani. Aujourd'hui, ce sont les "petits pois", me direz-vous...

"Le droit au silence est le corollaire du libre aveu, conçu comme comportement moral et religieux impliquant liberté de repentir et faculté de pardon" écrivit Louis-Edmond Pettiti. Voilà qui est dit : parler ou se taire est une affaire de conscience individuelle, à l'image de ce missionnaire portugais, dans le Japon du début du XVIIème siècle, qui devint apostat, aux yeux des autres, mais gardant, en silence et en secret, sa foi chrétienne, dans le roman, Chinmoku de Shusaku Endo.

Toutefois, le droit au silence n'est pas un droit absolu. L'on sait, à la suite de Marguerite Yourcenar, que "le silence est fait de paroles que l'on n'a pas dites". Et, dans certaines circonstances, il peut être déduit du silence, des conséquences défavorables, surtout s'il est observé du début à la fin de la procédure, alors que certaines situations appellent des explications. Mais, si "la raison d'ordinaire n'habite pas longtemps chez les gens séquestrés : il est bon de parler, et meilleur de se taire" ; mieux, "le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même". Et, c'est ainsi qu'au Grand siècle, La Fontaine et La Rochefoucauld nous enseignaient, tout deux, que le silence était, déjà, d'or.

"A cinquante mètres de la surface, des hommes tournent un film. Munis de scaphandres autonomes à air comprimé, ils sont délivrés de la pesanteur. Ils évoluent librement" : le silence et la liberté sont, comme dans le film de Jaques-Yves Cousteau, étroitement liés. C'est la liberté de se taire, même lorsque l'on a rien à dire, qui est, aujourd'hui encore, rappelé par la Cour suprême, n'en déplaise à Michel Audiard.

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Avocats/Champ de compétence

[Textes] L'avocat, tiers de confiance : publication de l'arrêté relatif aux modèles de conventions relatives au tiers de confiance

Réf. : Arrêté du 1er mars 2012, fixant les modèles de conventions nationales, prévues à l'article 95 ZF de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L3534ISP)

Lecture: 6 min

N0951BTE

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par Dominique Piau, Avocat au barreau de Paris, membre du conseil de l'Ordre, Président d'honneur de l'UJA de Paris

Le 27 Mars 2014

A été publié au Journal officiel du 9 mars 2012 l'arrêté du 1er mars 2012, fixant les modèles de conventions nationales, prévues à l'article 95 ZF de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L5420IR8), conclues entre les organismes représentant au niveau national les membres des professions réglementées d'avocat, de notaire et de l'expertise comptable et la direction générale des finances publiques, et de conventions individuelles, prévues à l'article 95 ZG de l'Annexe II au même code (N° Lexbase : L5421IR9), conclues entre un membre de ces trois professions réglementées et la direction départementale ou régionale des finances publiques ou le délégataire du directeur général des finances publiques (N° Lexbase : L3534ISP). Le tiers de confiance doit, pour exercer, signer deux contrats : l'un avec son client, l'autre avec l'administration (1) (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0696EUC). Lexbase Hebdo - édition professions vous propose cette semaine, sous la plume de Dominique Piau, membre du conseil de l'Ordre du barreau de Paris, de revenir sur ce texte. L'article 170 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L4925IQH), créé par la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 N° Lexbase : L9902IN3), dans sa rédaction issue du décret n° 2011-645 du 9 juin 2011 (N° Lexbase : L4337IQP) est venu prévoir que tout : "contribuable assujetti à l'obligation de dépôt d'une déclaration annuelle de revenus dans les conditions prévues au 1 de l'article 170 et qui sollicite le bénéfice de déductions du revenu global, de réductions ou de crédits d'impôts, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, peut remettre les pièces justificatives des charges correspondantes à une personne exerçant la mission de tiers de confiance".

Comme prévu par ce même article, la mission du tiers de confiance consiste exclusivement, sur la base d'un contrat conclu avec le contribuable, à :

1° réceptionner les pièces justificatives déposées et présentées par le contribuable à l'appui de chacune des déductions du revenu global, réductions ou crédits d'impôts,

2° établir la liste de ces pièces, ainsi que les montants y figurant,

3° attester l'exécution de ces opérations,

4° assurer la conservation de ces pièces jusqu'à l'extinction du délai de reprise de l'administration,

5° les transmettre à l'administration sur sa demande.

Et l'exercice de cette mission de tiers de confiance est réservé, notamment, à l'avocat conformément au III de l'article 170 ter du CGI.

C'est dans ce cadre que l'article 3 du décret n° 2011-1997 du 28 décembre 2011, relatif au dispositif de "tiers de confiance" prévu à l'article 170 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L5012IR3), créant les articles 95 ZA (N° Lexbase : L5415IRY) à 95 ZN de l'Annexe II du Code général des impôts, est, en outre, venu prévoir un nouvel article 9-1 au décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), aux termes duquel :
"Pour l'application des dispositions du 1 de l'article 170 ter du Code général des impôts, une lettre de mission précise les engagements de chacune des parties et, le cas échéant, les conditions financières de la prestation. Dans cette lettre de mission, le client autorise en outre l'avocat à procéder à la télétransmission de sa déclaration annuelle d'impôt sur le revenu et de ses annexes et s'oblige à remettre à l'avocat en sa qualité de tiers de confiance l'ensemble des justificatifs mentionnés au même article 170 ter".

L'exercice de la fonction de tiers de confiance par les avocats nécessite :

- d'une part, la signature d'une convention nationale entre la direction générale des finances publiques et le CNB (CGI, Annexe II, art. 95 ZF N° Lexbase : L5420IR8),

- d'autre part, la signature de conventions individuelles, entre chaque avocat qui souhaite exercer la mission de tiers de confiance et le directeur de la direction départementale ou régionale des finances publiques dans le ressort de laquelle il est établi (CGI, Annexe II, art. 95 ZG N° Lexbase : L5421IR9).

C'est dans ce cadre qu'est intervenu l'arrêté du 2 mars 2012 qui prévoit en son annexe I le modèle de Convention nationale à conclure entre le CNB et la DGFP, et en annexez IV le modèle de convention que devra conclure chaque avocat intéressé avec la Direction régionale ou départementale des finances publiques.

"MODÈLE DE CONVENTION INDIVIDUELLE À CONCLURE ENTRE L'AVOCAT ET LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE OU RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES OU LE DÉLÉGATAIRE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES FINANCES PUBLIQUES

Entre Me , avocat,

domicilié(e) à

ou la société, représentée par

domiciliée à, d'une part,

Et

Le directeur départemental ou régional des finances publiques de

ou le délégataire du directeur général des finances publiques, service de la gestion fiscale, sous-direction des professionnels et de l'action en recouvrement, bureau GF-2B, d'autre part,

Il est arrêté et convenu ce qui suit :

1. L'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, est tenu à l'égard de ses clients qui lui remettent les pièces justificatives des charges correspondantes aux déductions de leur revenu global, aux réductions ou aux crédits d'impôts qu'ils demandent, de respecter les missions et les obligations définies à l'article 170 ter du Code général des impôts.

Il s'engage :

- à réceptionner l'ensemble des pièces justificatives déposées et présentées par le client à l'appui de chaque déduction du revenu global, réduction ou crédit d'impôt concerné par le dispositif et mentionné à l'article 95 ZN de l'annexe II au Code général des impôts ;

- à établir la liste de ces pièces en indiquant les montants y figurant ;

- à attester de l'exécution de ces opérations ;

- à conserver ces pièces, sous forme papier ou dématérialisée, jusqu'à l'extinction du délai de reprise de l'administration fiscale (les pièces conservées sous forme dématérialisée devront pouvoir, à tout moment dans le délai de conservation, être éditées en garantissant leur parfaite conformité et inaltérabilité) ;

- à communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, les pièces justificatives concernées ainsi que la liste récapitulative de ces pièces dans un délai de trente jours à compter de la notification de la demande de l'administration. Cette communication, si elle est effectuée sous forme électronique, doit comporter des éléments d'authentification tels que la signature électronique ;

- à télétransmettre à l'administration fiscale, conformément aux dispositions de l'article 1649 quater B ter du Code général des impôts, les déclarations annuelles des revenus de ses clients ayant donné leur accord à cet effet dans les conditions fixées par l'article 95 ZD de l'annexe II au Code général des impôts ainsi que les annexes à ces déclarations ;

- à respecter ses obligations fiscales déclaratives et de paiement ainsi que celles de ses dirigeants et administrateurs pour les personnes morales ;

- à informer ses clients, d'une part, que les modalités de contrôle de l'administration fiscale à leur égard ne sont pas modifiées par le présent dispositif et, d'autre part, de leur obligation de conserver un exemplaire des pièces justificatives afin de répondre, le cas échéant, aux demandes de l'administration.

2. Par ailleurs, l'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, s'engage à établir avec chacun de ses clients, qui le signe, un contrat ou une lettre de mission spécifique qui indique l'ensemble des engagements du professionnel prévus dans la présente convention.

Ce contrat ou lettre de mission précise également les droits et obligations de chacune des parties et, le cas échéant, les conditions financières de la prestation.

En outre, il prévoit que le client s'engage à donner son accord à l'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, pour que ce dernier procède à la télétransmission de sa déclaration annuelle de revenus et de ses annexes et comporte l'obligation pour le client de lui remettre, ès qualités de tiers de confiance, les justificatifs mentionnés à l'article 170 ter du Code général des impôts.

3. Le non-respect des engagements pris par l'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, entraîne la résiliation de la convention par le directeur départemental ou régional des finances publiques ou le délégataire du directeur général des finances publiques.

L'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, en informe ses clients et leur restitue les pièces qu'il détient dans les trois mois qui suivent la date de notification de la résiliation.

Une nouvelle demande de convention ne peut être déposée par l'avocat, personne physique, ou son délégataire s'il s'agit d'une personne morale, qu'à l'expiration d'un délai de six mois suivant la date de la résiliation ou de caducité, sous réserve qu'il ne fasse plus l'objet d'une suspension et qu'il soit toujours membre de l'organisme représentant au niveau national la profession dont il dépend ou membre de l'Ordre.

4. La présente convention entre en vigueur le premier jour ouvré qui suit la date de la signature par le directeur départemental ou régional des finances publiques ou le délégataire du directeur général des finances publiques.

Elle est valable pour une durée de trois ans à compter de la date de prise d'effet de la convention et renouvelable une fois par tacite reconduction pour la même durée, sauf dénonciation par l'une des parties signataires trois mois au moins avant la date d'expiration de la convention en cours.

Elle est ni cessible ni transmissible".

Une fois cette convention individuelle signée, l'avocat qui exercera la fonction de tiers de confiance devra systématiquement et avec chaque client concerné conclure une lettre de mission précisant les engagements de chacune des parties et, le cas échéant, les conditions financières de la prestation c'est-à-dire, notamment, les honoraires.

L'entrée en vigueur du dispositif de tiers de confiance, qui n'attend donc plus que la signature de la Convention nationale entre le CNB et la DGFP, marque un nouveau domaine d'activité pour l'avocat mais implique aussi une nécessaire contractualisation de ses relations avec le client, ce compris s'agissant des honoraires.


(1) Lire les observations de Sophie Cazaillet, Le tiers de confiance, un professionnel qui vous veut du bien, Lexbase Hebdo n° 469 du 19 janvier 2012 - édition fiscale (N° Lexbase : N9708BSD)

newsid:430951

Fonction publique

[Textes] Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 : dispositions relatives à la lutte contre la précarité dans la fonction publique

Réf. : Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 (N° Lexbase : L3774ISL)

Lecture: 15 min

N0956BTL

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par Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris

Le 22 Mars 2012

L'amorce de la réforme de la fonction publique remonte pour certains auteurs à 2002 (1), par la refonte de la procédure de notation des fonctionnaires, dont l'objectif était de compléter un mécanisme d'avancement, lié traditionnellement à l'ancienneté, par des dispositifs relatifs à la compétence personnelle. Le statut des agents non titulaires résultait, pour sa part, de différents décrets pris sur la base des lois statutaires, modifiés au cours des réformes, dont les décrets n° 86-83 du 17 janvier 1986 (N° Lexbase : L1030G8N) pour la fonction publique d'Etat et n° 88-145 du 15 février 1988 (N° Lexbase : L1035G8T) pour la fonction publique territoriale, sans présenter de réelle homogénéité à une époque où la conception statutaire de la fonction publique prévalait. Sur impulsion communautaire et, notamment, de la Directive (CE) 1999/70 du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (N° Lexbase : L0072AWL), l'Etat français a modifié par la voie législative le statut des non-titulaires en régissant le recours au contrat, la durée des contrats, et en introduisant quelques dispositions sur la lutte contre les discriminations. Ainsi, la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), renvoyait, de par son titre, même à la norme supérieure, sorte de justification pour légiférer sur ce terrain. Cette loi représentait, néanmoins, à l'époque de sa promulgation, une petite révolution que la doctrine n'a pas manqué de soulever, en introduisant la possibilité du recours au contrat à durée indéterminée, prétextant la transposition du droit communautaire là où les Etats membres étaient seulement invités à lutter contre la précarité de la reconduction des contrats à durée déterminée. Un auteur a, ainsi, pu dénoncer le danger de cette brèche pour la conception statutaire de la fonction publique : "le risque est évident, que se développe à côté du statut un ensemble cohérent et structuré de contractuels bénéficiant d'un CDI, qu'à terme apparaissent des conventions collectives et que le statut n'occupe plus qu'une place subsidiaire, étant réservé aux emplois d'autorité" (2).

Dans le même temps, le recours aux agents non titulaires dans la fonction publique s'est accentué, sans pour autant que le recours au CDI soit systématique, compte tenu des conditions restrictives de la loi de 2005. Ainsi, le Rapport annuel sur l'état de la fonction publique 2010-2011 (3) constate, pour la fonction publique d'Etat, que "les agents non titulaires sont des agents de droit public qui ne sont pas fonctionnaires. Leur recrutement s'effectue sans concours, pour l'essentiel dans le cadre de la loi du 11 janvier 1984 [loi n° 84-16, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L7077AG9] et n'entraîne pas de titularisation, sauf disposition expresse. Le recours aux non-titulaires a progressé dans la fonction publique de l'Etat au cours de la dernière décennie, passant de 13 % des effectifs fin 1998 à 14,3 % fin 2008, puis 15,1% fin 2009".

Actuellement, le plus grand nombre d'agents non-titulaires figure dans les effectifs des collectivités territoriales, où ils représentent un agent sur cinq. Ce statut a pourtant gagné en précarité. Le rapport précité constate, en effet, qu'entre 2003 et 2007, un non-titulaire sur deux présent au cours de l'année n'est plus sous contrat au 31 décembre, et que plus d'un titulaire sur deux présent dans la fonction publique en 2003 a quitté l'Etat quatre ans plus tard.

L'émergence d'entreprises privées anciennement publiques, la mutation profonde du contexte économique et l'évolution mondiale du marché du travail ont, ainsi, créé une inadéquation entre les besoins exprimés par les administrations au sens large et la fonction publique dans sa conception issue de l'après-guerre. Il est actuellement difficile de délimiter le périmètre de la fonction publique, tant elle devient hétéroclite. Elle semble ne plus pouvoir se définir sur un critère organique (qualité publique de l'employeur), ni sur un critère matériel (exercice d'une mission de service public). Ainsi, la doctrine tente une nouvelle approche, intégrant in concreto la totalité de la conception du travail, tant statutaire que contractuel, en la définissant comme un "ensemble de personnels employés généralement par des personnes publiques ou par des ex-personnes publiques et soumis à des régimes juridiques disparates allant d'un statut de droit public jusqu'à la situation contractuelle de droit privé" (4).

Dès 2007, le Président de la République nouvellement élu a fait de la réforme de l'Etat, et plus particulièrement, de la réforme de la fonction publique une grande priorité, en inscrivant, notamment, sur l'agenda des réformes la lutte contre la précarité des agents non-titulaires. Ainsi, la gestion des ressources humaines est devenue une notion intégrée dans la conception de la fonction publique, traditionnellement fixée par des normes unilatérales, les fonctionnaires et les agents contractuels tirant leur statut de la loi et des règlements laissant peu de marge à l'opportunité du lien contractuel. Dans ce grand mouvement de réformes où, chaque année, des textes sont venus compléter le dispositif applicable aux agents titulaires (5), un dialogue social historique entre les syndicats de la fonction publique et l'Etat a débouché sur un protocole d'accord en date du 31 mars 2011.

Ce protocole rappelle avec force que le principe statutaire qui consiste à affecter des fonctionnaires sur des emplois permanents ne doit pas, pour autant, conduire à la précarité des agents contractuels. Ainsi, ce texte a fixé trois grands axes d'orientation qui ont servi de base au législateur :
- apporter une réponse immédiate aux situations de précarité rencontrées sur le terrain en favorisant l'accès à l'emploi titulaire ;
- prévenir la reconstitution de telles situations en encadrant mieux le recours au contrat et les conditions de son renouvellement ;
- et améliorer les droits individuels et collectifs des agents contractuels et leurs conditions d'emploi dans la fonction publique.

C'est dans ces conditions que la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L3774ISL), a vu le jour. Son architecture n'est pas sans rappeler celle de la loi du 26 juillet 2005, en ce qu'elle comporte surtout des dispositions relatives aux non-titulaires et à la lutte contre la discrimination, profitant de l'actualité de l'instauration de quotas dans le secteur privé, créant, ainsi, une véritable révolution dans la composition des organes dirigeants au sens large de la fonction publique (6). Si la loi du 12 mars 2012 comporte, également, des dispositions diverses concernant la fonction publique, néanmoins, le développement suivant concerne exclusivement les dispositions relatives aux agents contractuels et à la lutte contre les discriminations.

I - L'accès à l'emploi durable des agents contractuels : recherche de stabilité, de sécurité et d'équilibre

La loi du 12 mars 2012 réserve son premier titre à la lutte contre la précarité dans la fonction publique, distinguant en fonction de leurs spécificités les trois corps de la fonction publique française. Deux grands thèmes sont, ainsi, abordés, concernant la possibilité de titulariser les agents contractuels par la valorisation de leurs acquis, d'une part, et la transformation d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée après une certaine durée de services au sein de l'administration, d'autre part.

A - Du recrutement sur concours à la valorisation des acquis

Conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, de l'article 36 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), et de l'article 29 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L8100AG4), les fonctionnaires sont recrutés par voie de concours au regard, notamment, de leurs diplômes, de l'exercice d'une (ou plusieurs) activité(s) professionnelle(s), ou de leurs services dans une autre administration par la voie interne.

Le mode de recrutement par concours est l'un des grands principes de la fonction publique française qui a permis, depuis 1946 et l'unification du statut, de disposer d'une fonction publique dite de carrière, avec immuabilité du lien entre l'administration employeur et l'agent titulaire. Ainsi, la principale distinction statutaire entre les titulaires et les non-titulaires consiste en l'obtention d'un concours dont la réussite crée le lien avec l'employeur, là où le non-titulaire est lié à ce dernier par un contrat. La loi n'évoque, d'ailleurs, plus la terminologie de "non titulaire", mais parle d'agent contractuel et de fonctionnaire, créant des catégories juridiques plus distinctes liées, d'une part, à la fonction statutaire et, d'autre part, au contrat.

Les articles 1, 13 et 24 de la loi du 12 mars 2012 modifient la voie du recrutement par dérogation à ces dispositions et permettent, pour les trois fonctions publiques, un mode de recrutement réservé valorisant les acquis professionnels des agents contractuels. Il faut entendre par "acquis professionnel" le fait de bénéficier d'une expérience certaine issue d'un emploi au sein de l'administration auprès de laquelle un agent contractuel aura passé plusieurs années, créant un lien avec cet employeur sur le plan de la compétence et de l'aptitude professionnelle. Le critère d'appartenance à la fonction publique devient plus opérationnel, tout en permettant de conserver un équilibre avec le principe statutaire des agents titulaires par leur affectation sur les emplois permanents. Plusieurs conditions sont, ainsi, posées, en fonction du corps concerné et de la nature permanente ou occasionnelle du poste à pourvoir. Certaines conditions sont donc communes aux trois fonctions publiques et d'autres adaptées à chaque corps.

Au titre des conditions communes, les agents qui souhaitent être titularisés par l'intermédiaire du nouveau mode de recrutement doivent être en fonction ou en congé réglementé et ne pas avoir été licenciés pour faute disciplinaire ou insuffisance professionnelle. Les conditions d'accès à la titularisation concernent, également, la nature des postes occupés, la durée de service effectif et la stabilité d'occupation du poste auprès d'un employeur en prenant pour date de référence le 31 mars 2011 et ceux dont le contrat a pris fin entre le 1er janvier et le 31 mars 2011, à condition de bénéficier de la condition de durée. Les agents concernés peuvent être sous contrat à durée déterminée ou indéterminée. Pour la durée de service effectif, l'agent doit avoir accompli au moins quatre années de service soit au cours des six années précédant le 31 mars 2011, soit à la date de clôture des inscriptions au recrutement auquel il postule, dont deux au moins dans les quatre années précédant le 31 mars 2011.

Pour autant, la validation des acquis peut aussi s'effectuer par le temps partiel. Ainsi, la loi prévoit que les services accomplis à temps partiel et incomplet correspondant à une quotité supérieure ou égale à 50 % seront assimilés à des services à temps complet, sauf pour les agents reconnus handicapés. Toute quotité inférieure sera assimilée à un trois-quarts de temps complet. En conséquence, les agents bénéficiant d'un nombre d'années largement supérieur à temps partiel pourront bénéficier du nouveau régime. Afin de concerner le plus grand nombre d'agents non titulaires au regard de la pratique du contrat dans les administrations, tout agent dont le contrat aura été transféré ou renouvelé du fait d'un transfert d'activité ou d'employeur conservera l'ancienneté acquise au titre de son précédent contrat. La loi se réfère au lien créé avec le poste et non avec l'employeur, créant un équilibre avec le statut de l'agent titulaire qui peut exercer le même poste pour une administration différente au cours de sa carrière, sans préjudice sur son avancement et sur son grade.

Pour les agents relevant de la fonction publique territoriale, certains services sont exclus. Ainsi, les services effectués au titre de fonctions de collaborateurs de groupes d'élus ou de directeur général des services ou collaborateur de cabinet ne peuvent pas être assimilés à des temps de service effectif au titre de la loi du 12 mars 2012. Les dispositions relatives au contrat pour ces agents excluent, d'ailleurs, expressément la possibilité de titularisation à ce seul titre. Ces agents peuvent faire l'objet d'un licenciement pour perte de confiance et leur poste revêt souvent une dimension politique. Ils s'apparentent, dès lors, à certains postes de la fonction publique d'Etat au sein des ministères, régis par un statut spécial et laissés à la discrétion de l'administration. Néanmoins, et afin d'éviter toute précarité, notamment, au regard des mouvements politiques au sein des collectivités, la loi du 12 mars 2012 a renforcé les dispositions relatives au contrat qui les lie à l'autorité territoriale employeur par des mesures plus protectrices en terme de reconduction et de durée du contrat.

Au titre des conditions particulières, la condition sine qua non est que les agents concernés occupent un poste de contractuel à la date du 31 octobre 2011.

-Dans la fonction publique d'Etat (loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, art. 2) : ce recrutement peut intervenir en cas de besoin permanent, lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaire susceptible d'assurer ces fonctions et lorsque la nature des fonctions ou les besoins le justifient (cadres de catégorie A), cet emploi pouvant être à temps incomplet (au moins de 70 % d'un temps complet) ou de catégorie C ou assimilé, notamment, dans les services administratifs de restauration. Il peut aussi intervenir en cas de besoin occasionnel ou de remplacement, à temps complet ou incomplet, l'agent devant justifier d'une durée de services publics effectifs au moins égale à quatre années au cours des cinq dernières années précédant le 31 octobre 2011. Il est aussi ouvert aux agents contractuels de droit public occupant, à la date du 31 mars 2011, un emploi de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (C. act. soc. fam., art. L. 121-4 N° Lexbase : L8913G8M) ou de l'Office national des forêts.

-Dans la fonction publique territoriale (loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, art. 14) : l'accès est réservé aux agents occupant un emploi à temps complet ou à temps non complet, pour une quotité de temps de travail au moins égale à 50 %, pour faire face à un accroissement temporaire ou saisonnier, ou occupant un emploi de catégorie C ou de même niveau concourant au fonctionnement des services administratifs de restauration.

-Dans la fonction publique hospitalière (loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, art. 25) : l'accès est réservé aux agents occupant un emploi à temps complet ou à temps non complet, pour une quotité de temps de travail au moins égale à 50 %, à l'exception des postes de direction ou d'un statut dérogatoire particulier.

La loi a, ainsi, clarifié le recours aux contrats en procédant à une réécriture des dispositions déjà existantes et en clarifiant fortement les catégories juridiques et opportunités. Elle prévoit, également, les modalités d'organisation de la validation des acquis qui se traduira par des sélections ou examens professionnels réservés, des concours réservés ou des recrutements sans concours pour l'accès au premier grade des corps de catégorie C. Ces recrutements seront fondés, notamment, sur la prise en compte des acquis de l'expérience professionnelle correspondant aux fonctions auxquelles l'agent se destine. A l'issue de ces examens, un ordre de mérite sera établi selon une liste d'aptitude, alignant de cette manière le régime des nouveaux entrants à celui des titulaires classiques.

Les agents intégreront la hiérarchie des titulaires, en ce qu'ils appartiendront au corps dont ils relèvent au grade de leur niveau d'aptitude correspondant aux fonctions qu'ils auront exercées durant les quatre années requises. L'appréciation de l'ancienneté variera selon que l'agent aura exercé un nombre d'années supérieur ou aura été en poste dans des catégories différentes. La loi du 12 mars 2012 renvoie à des décrets en Conseil d'Etat pour déterminer les corps auxquels les non titulaires peuvent postuler en fonction des besoins du service et des objectifs de la gestion prévisionnelle des effectifs et à des arrêtés ministériels qui fixeront le nombre d'emplois ouverts pour la fonction publique d'Etat.

En revanche pour la fonction publique territoriale, l'article 17 de la loi prévoit que, dans les trois mois de la parution des décrets, l'autorité territoriale devra présenter au comité technique compétent un rapport sur la situation des agents remplissant les conditions de titularisation en déterminant, notamment, les besoins de la collectivité territoriale et les emplois ouverts au recrutement. Le comité technique devra rendre un avis. 

La loi du 12 mars 2012 renforce le principe d'indépendance des collectivités et la décentralisation en leur laissant la libre administration quant à leurs besoins en ressources humaines tout en favorisant le dialogue social. Ainsi, et dans cette même mouvance, ce sont les collectivités qui devront organiser les épreuves de titularisation par l'instauration d'une commission d'évaluation professionnelle, tout en pouvant déléguer par convention cette mission au centre de gestion de leur ressort géographique. C'est cette même commission, qui après audition des candidats, se prononcera sur leur aptitude et dressera la liste d'aptitude par cadre d'emploi et par ordre alphabétique au regard du programme pluriannuel. A noter que l'article 23 de la loi du 12 mars 2012 prévoit expressément l'application des dispositions du chapitre II du titre I sur la fonction publique territoriale aux administrations parisiennes.

Concernant la fonction publique hospitalière, les concours et épreuves seront organisés par chaque établissement ou pour le compte de plusieurs établissements de la région ou du département à la demande du directeur général de l'Agence régionale de santé. Cette décentralisation permet de répondre au mieux aux besoins des administrations de la fonction publique territoriale et hospitalière quant au recrutement de leurs agents, compte tenu de la présence depuis plusieurs années des non-titulaires au sein de leurs établissements.

Contrairement au mode de recrutement des titulaires "classiques" par la voie de concours régionaux ou nationaux, dans laquelle prévaut la notion d'équité au regard de l'épreuve, cette voie de recrutement se veut plus pragmatique et cohérente au regard des budgets alloués au personnel et des profils disponibles au sein des administrations. Ce nouveau mode de titularisation fait craindre à certains l'ouverture plus importante d'une brèche dans la conception de "carrière" de la fonction publique au profit d'une conception dite de "métier", qui se veut plus valorisante et plus qualifiante, déjà exprimée lors de la promulgation de la loi du 26 juillet 2005. Enfin, la loi aligne, à compter de la titularisation, le régime des nouveaux titularisés sur celui des titulaires classiques, notamment, au regard du cumul des activités et de l'aptitude.

B - Du CDD au CDI : la pérennisation d'un lien stable

L'un des grands points de cette réforme consiste en l'obligation pour l'administration ou assimilée employeur, de transformer un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée pour tout agent contractuel justifiant d'une durée de services publics effectifs d'au moins six ans durant les huit années précédant la date de publication de la loi, soit depuis le 12 mars 2004. L'agent doit avoir accompli ses services au sein de la même administration, sauf en cas de transfert pour lequel il aurait conservé son ancienneté, en conformité avec l'appréciation de l'expérience requise au titre de la validation des acquis.

Certains emplois sont, néanmoins, expressément exclus de cette possibilité et, notamment, les postes à caractère discrétionnaire et politique, ceux relevant d'établissements dont le statut garantit le libre exercice de leur mission, les personnels médicaux et scientifiques des CHU, ou encore les emplois occupés par les assistants d'éducation, les maîtres d'internat et surveillants d'externat. L'administration peut, par ailleurs, proposer aux agents non titulaires employés au titre d'un remplacement ou d'un besoin occasionnel de changer de fonctions pour un même niveau de responsabilités, afin de pouvoir bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. En cas de refus, les dispositions du contrat à durée déterminée continueront de s'appliquer.

A ce titre et quelques jours avant la promulgation de la loi par l'Etat français, la CJUE a rendu un arrêt le 8 mars 2012 (CJUE, 8 mars 2012, aff. C-251/11 N° Lexbase : A0661IE9) sur question préjudicielle du tribunal administratif de Rennes en date du 23 mai 2011, statuant sur l'interprétation à donner à l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, figurant en annexe de la Directive (CE) 1999/70 du Conseil du 28 juin 1999. Dans cette espèce, le requérant reprochait à son employeur, à savoir une Université, d'avoir rétrogradé ses fonctions et diminué sa rémunération en passant d'un contrat à durée déterminée à un contrat à durée indéterminée. La clause n° 5 de l'accord-cadre précité prévoit qu'afin de prévenir l'utilisation abusive du recours aux contrats successifs, les Etats membres doivent prendre plusieurs mesures afin de mettre en place dans leur législation des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats, une durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée, enfin un nombre maximum de renouvellements.

La Cour a analysé la question posée au regard de l'article 4 de la loi n° 84-16, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, article relatif aux conditions de recrutement des agents contractuels, ceci avant l'entrée en vigueur de la loi du 12 mars 2012. Elle énonce que, si l'accord cadre n'est pas tenu d'imposer la reprise à l'identique des clauses figurant dans le contrat précédent, "afin de ne pas porter atteinte aux objectifs poursuivis par la Directive (CE) 1999/70 et son effet utile, l'Etat membre doit veiller à ce que la transformation des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée ne s'accompagne pas de modifications substantielles des clauses du contrat précédent dans un sens globalement défavorable à la personne intéressée lorsque l'objet de la mission de celui-ci et la nature de ses fonctions demeurent les mêmes".

La loi du 12 mars 2012 intègre, enfin, dans le droit français, après l'amorce de la loi du 26 juillet 2005, les dispositions protectrices réglementées par le droit communautaire depuis 1999 sur la stabilité des agents contractuels en contrat à durée déterminée. La Cour rappelle, néanmoins, que le droit communautaire ne peut pas imposer le contrat à durée indéterminé aux Etats membres en ce qu'il relève de situations individuelles et propres à chaque secteur, là où l'Etat français est allé beaucoup plus loin dès 2005. Cet arrêt, dont la problématique est antérieure d'une année à la réforme, est, en conséquence, pleinement applicable à l'interprétation des dispositions nouvelles et ne vient que conforter le mécanisme mis en place par la législation française.

Nous vous invitons à poursuivre l'étude de la loi du 12 mars 2012 en découvrant, dans une seconde partie, les dispositions concernant l'encadrement renforcé du recours aux agents contractuels et la recherche accrue d'égalité professionnelle hommes-femmes au sein de la fonction publique (lire N° Lexbase : N0958BTN).


(1) J.-P. Didier, Une fonction publique sans fonctionnaires ?, JCP éd. A, n° 17, 26 avril 2011, 2170.
(2) F. Melleray, L'impact des lois du 26 juillet 2005 sur les équilibres de la fonction publique", AJFP, 2005, p. 225 ; La généralisation des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique dans la loi du 26 juillet 2005, JCP éd. A, 2005, 1306.
(3) Rapport annuel de la fonction publique 2010-2011, p.163.
(4) J.-P. Didier, Une fonction publique sans fonctionnaires ?, préc..
(5) Décret n° 2008-1533 du 22 décembre 2008, relatif à la prime de fonction et de résultat (N° Lexbase : L3941ICX) ; loi n° 2009-972 du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (N° Lexbase : L6084IE3) ; loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9056INQ) ; loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010, relative à la rénovation du dialogue social (N° Lexbase : L6618IM3) ; loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9).
(6) Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (N° Lexbase : L2793IP7).

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Pas de fongibilité des vices de la démission

Réf. : Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050, F-P+B (N° Lexbase : A3730IEU)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 22 Mars 2012

La démission du salarié est un acte lourd de conséquences puisqu'elle implique la rupture du contrat de travail sans indemnités, ce à quoi s'ajoute d'ailleurs l'impossibilité, sauf motif légitime, d'obtenir le bénéfice du régime d'indemnisation du chômage. Par voie de conséquence, il a toujours été porté une attention particulière à ce que la volonté du salarié de démissionner soit véritable, qu'elle ne soit pas influencée par des éléments extérieurs. Comme le rappelle implicitement la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 7 mars 2012, deux corps de règles peuvent être mobilisés pour assurer la protection de la volonté du salarié de démissionner, l'un relevant des vices du consentement et issu du Code civil, l'autre relevant de l'exigence d'une volonté claire et non équivoque de démissionner et issu de la jurisprudence. La volonté de démissionner bénéficie donc d'une double protection (I). Pour autant, il ne saurait y avoir d'interaction ou d'interchangeabilité entre les deux corps de protection : le juge, comme le salarié d'ailleurs, est lié par le corps invoqué, il existe une stricte étanchéité entre les deux corps de règles protecteurs (II).
Résumé

Le juge ne peut faire produire à des démissions les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse alors que les salariés arguaient du caractère équivoque de leur démission, non à raison de l'existence d'un différend antérieur ou concomitant de leur démission, susceptible de l'analyser en une prise d'acte, mais au motif de la contrainte ayant vicié leur consentement qu'elle a jugée non établie.

Commentaire

I - Volonté de démissionner : une protection doublement assurée

  • Le rôle de la volonté dans la démission

La démission peut se définir comme l'acte juridique unilatéral par lequel le salarié décide de rompre unilatéralement le contrat de travail. Contrairement au licenciement, faculté de résiliation unilatérale ouverte à l'employeur, le salarié n'a pas à justifier ni à motiver cet acte unilatéral : il s'agit donc en principe d'un acte discrétionnaire qui n'est limité que par l'abus de droit de démissionner (1), lequel n'est que très rarement sanctionné.

L'absence d'exigence de justification doit se comprendre de deux manières différentes. Dans un premier sens, le salarié n'a pas l'obligation d'avancer un quelconque motif légitime pour rompre le contrat. Dans un second sens, la démission ne doit pas avoir été motivée par l'intervention d'une volonté extérieure et, en particulier, ne doit pas avoir été suggérée ou imposée par l'employeur. Pour s'assurer que la démission ne résulte strictement que de la volonté du salarié, deux corps de règles peuvent être mobilisés : les règles tirées du droit commun des obligations protégeant la validité du consentement à un acte juridique ; les règles spécifiques au droit du travail garantissant le caractère clair et non équivoque de la volonté du salarié de démissionner.

  • Démission et vices du consentement

Si les actes juridiques unilatéraux ne sont pas encadrés par le Code civil qui réserve ses dispositions aux contrats, il est communément admis, tant par la doctrine que par la jurisprudence, que les règles applicables au contrat sont pleinement transposables aux actes unilatéraux (2). En particulier, la protection accordée aux contractants pour leur assurer la validité de leur consentement est applicable aux actes unilatéraux.

Ainsi, conformément aux règles prévues par l'article 1109 du Code civil (N° Lexbase : L1197ABX) (3), la démission ne doit pas être donnée par erreur, sous l'influence d'un dol ou sous la contrainte imposée par la violence (4). Le droit du travail a néanmoins construit son propre système de lutte contre les démissions données par des salariés sans volonté véritable : la démission doit émaner d'une volonté claire et non équivoque.

  • Volonté claire et non équivoque de démissionner

Outre une volonté exempte de vices, la démission ne peut résulter que d'une volonté claire et non équivoque.

Cela signifie, d'abord, que la volonté de démissionner ne peut résulter d'un comportement ou d'une volonté tacite du salarié. Elle doit être clairement exprimée, ne susciter aucun doute, si bien qu'il est extrêmement rare que le comportement d'un salarié -ses absences par exemple (5)- suffise à caractériser la volonté de démissionner (6). Ensuite, la volonté de démissionner ne doit pas avoir été exprimée sous le coup d'une émotion trop importante (7), de la colère (8) ou d'un état dépressif important (9). En définitive, la volonté de démissionner doit être réfléchie. Enfin, et peut être surtout compte tenu du volume important du contentieux relatif à cette question, la volonté du salarié ne doit pas avoir été influencée par l'employeur, soit que celui-ci ait proposé au salarié de démissionner (10), soit qu'il ait exercé des pressions sur le salarié pour démissionner soit (11), encore, que la faute de l'employeur dans la relation de travail ait contraint le salarié à démissionner (12).

C'est sur l'articulation de ces deux corps de règles, l'un issu du Code civil, l'autre de la jurisprudence de la Chambre sociale, que la Cour de cassation était appelée à se prononcer.

  • L'espèce

Sept salariés avaient été engagés en qualité de chauffeurs dans une entreprise d'abattage, de transformation et de distribution de porcs. L'employeur prit la décision de cesser l'activité distribution, ce qui rendait inutile l'emploi de chauffeurs, lesquels avaient démissionné. Quelques temps plus tard, les salariés saisirent le juge prud'homal afin d'obtenir le paiement de différentes sommes au titre, notamment, d'heures supplémentaires non payées mais, aussi, pour contester la validité de leur démission qu'ils jugeaient résulter d'un consentement vicié, d'une contrainte imposée par l'employeur. De cette volonté viciée résultait, selon eux, des démissions équivoques qui devaient dès lors être requalifiées en prise d'acte de la rupture de leurs contrats de travail et produire les effets de licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel de Rennes estima que la volonté des salariés de démissionner avait été mûrement réfléchie et ne pouvait dès lors être imputée à une contrainte de l'employeur, la réalité du vice du consentement n'étant pas établie. Les juges d'appel poursuivaient en relevant que, toutefois, les salariés avaient remis en cause leurs démissions en raison de manquements de l'employeur antérieurs ou concomitants à la rupture. La réalité et la gravité de ces manquements étant avérées, la rupture devait être requalifiée en prise d'acte et produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 7 mars 2012, casse cette décision au visa des articles L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et, de manière bien plus étonnante, L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) du Code du travail (13). Elle juge qu'il résultait de la décision d'appel que "les salariés arguaient du caractère équivoque de leur démission, non à raison de l'existence d'un différend antérieur ou concomitant de leur démission, susceptible de l'analyser en une prise d'acte, mais au motif de la contrainte ayant vicié leur consentement, contrainte qu'elle a jugée non établie", si bien que la cour d'appel ne pouvait sans violer les textes visés juger que les démissions s'analysaient en prises d'acte de la rupture des contrats de travail.

II - Volonté de démissionner : une double protection strictement délimitée

Sur le plan technique, cette solution est parfaitement justifiée, cela pour au moins deux raisons. La solution semble ainsi poser une nouvelle règle d'incompatibilité entre règles de validité du consentement et caractère clair et non équivoque de la démission : un refus de toute fongibilité des vices de la démission.

  • Le respect des exigences procédurales

D'abord, sur le plan purement procédural, on rappellera qu'il n'appartient pas au juge de soulever par lui même des moyens que les parties n'auraient pas porté au débat. Ainsi, si les salariés arguaient que leur démission avait été viciée par contrainte, c'est-à-dire par violence, ils ne défendaient pas que leur démission soit survenue à la suite d'une volonté équivoque. Sauf à soulever un moyen d'office, hypothèse réservée en principe aux moyens de pur droit et relevant d'une règle de principe d'importance, le juge n'a pas à se substituer aux parties dans l'administration de leurs demandes. Il était donc parfaitement légitime que la Cour de cassation reproche aux juges du fond d'avoir ajouté des arguments aux demandes des parties.

  • Des protections assurées par des sanctions différentes

Ensuite, et au-delà, il faut constater que les deux corps de règles issus pour l'un du Code civil, pour l'autre du droit du travail, diffèrent sur un point fondamental.

D'un côté, les exigences de validité du consentement tirées du droit civil sont limitativement énumérées et tiennent à l'erreur, au dol ou à la violence. Surtout, la sanction adoptée par le Code civil en cas de vice du consentement est radicale : dans ce cas, la démission est nulle si bien que, en toute logique, le salarié devrait pouvoir demander la réintégration dans son emploi.

De l'autre côté, en revanche, les exigences de caractère clair et non équivoque de la volonté de démissionner, tirées du droit du travail, ont été dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation sans l'appui d'aucun texte. La sanction de cette volonté équivoque est d'une moindre intensité. La démission ne sera pas annulée, elle sera seulement requalifiée en prise d'acte et pourra potentiellement produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le salarié ne pourra pas en principe être réintégré dans l'entreprise (14).

On le voit, les deux corps de règles n'ont donc pas la même vocation : l'un est étroit, très balisé et ne donne que rarement lieu à sanction en contrepartie de quoi cette sanction est rigoureuse ; l'autre est plus ouvert, créé par le juge et la sanction, plus aisée à obtenir, doit rester moins sévère.

  • L'absence de fongibilité des vices de la volonté de la démission

On peut donc comprendre que la Chambre sociale refuse d'accueillir une sorte de fongibilité des vices de la démission (15). Rappelons à cet effet que le juge civil est autorisé à intervenir sur la qualification du vice du consentement invoqué. Si les parties invoquent un dol mais que les éléments du dol ne sont pas réunis, le juge peut parfaitement retenir une erreur ou une violence alors même que ces vices n'avaient pas été invoqués : c'est ce que l'on appelle la fongibilité des vices du consentement (16). Cette fongibilité, dont le juge prud'homal bénéficie lui aussi lorsqu'il analyse l'existence d'un vice du consentement dans la démission, ne va pas au-delà des vices du consentement du droit civil, il n'y a pas de fongibilité entre vices du consentement et caractère clair et non équivoque de la volonté de démissionner : le salarié doit choisir d'invoquer l'un ou l'autre des corps de règles ; le juge est tenu par le corps de règles invoqué.

Si cette règle est donc parfaitement justifiée sur le plan technique, elle laisse tout de même le commentateur en partie circonspect. En effet, s'il paraît raisonnable de ne pas confondre les deux corps de règles et de ne pas permettre de passer de l'un à l'autre, c'est tout de même à la condition que la distinction soit clairement faite entre vice du consentement d'une part et volonté claire et non équivoque d'autre part. Si cette distinction ne fait pas de difficulté pour certains vices -on pense par exemple au dol- elle sera en revanche beaucoup plus délicate à mettre en oeuvre s'agissant d'autres vices et, en particulier, de la contrainte, de la violence, qui peut aussi bien entrer dans l'un ou dans l'autre des deux systèmes. Un effort de délimitation sera probablement nécessaire, cela davantage encore si le contentieux de la nullité de la démission venait à s'accroître, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à ce jour.


(1) C. trav., art. L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D).
(2) Sur cette question, v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil - Les obligations. 1. L'acte juridique, Sirey, 14ème édition, 2010, n° 489 et s..
(3) Sur la faculté implicite d'invoquer les vices du consentements issus du Code civil, v. Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8) et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9).
(4) C'est en matière de violence que les décisions sont les plus nombreuses. V. par ex. Cass. soc., 27 juin 1984, n° 82-41.642 ; Cass. soc., 13 novembre 1986, n° 84-41.013, publié (N° Lexbase : A6222AAP) ; CA Paris, 18ème ch., sect. E, 16 novembre 2001, n° 00/39167 (N° Lexbase : A7239AYR) et les obs. de S. Koleck Desautel, Un salarié peut demander la requalification de sa démission en un licenciement lorsqu'il prouve que son employeur l'a contraint à démissionner, Lexbase Hebdo n° 25 du 30 mai 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2965AA3).
(5) Dernièrement, v. Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-18.427, F-D (N° Lexbase : A8722ICZ).
(6) Contra lorsque le salarié refuse le transfert de son contrat de travail à un repreneur, Cass. soc., 10-10-2006, n° 04-46.134, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) et les obs. de Ch. Radé, Le refus du salarié de voir son contrat transféré, Lexbase Hebdo n° 233 du 26 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4275ALW) ; D., 2007, p. 472, note J. Mouly.
(7) Cass. soc., 24 février 1988, n° 86-41.573, inédit (N° Lexbase : A8242AGD).
(8) Cass. soc., 7 avril 1999, n° 97-40.689, inédit (N° Lexbase : A0933CPA).
(9) Cass. soc., 1er février 2000, n° 98-40.244, inédit (N° Lexbase : A9328CKP).
(10) Cass. soc., 31 mai 2011, n° 08-45.292, F-D (N° Lexbase : A3378HTB).
(11) Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 04-42.902, F-D (N° Lexbase : A0379DLM).
(12) Le nombre d'illustrations de cette position est pléthorique. V. en dernier lieu Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 09-71.651, F-D (N° Lexbase : A9435HZH) s'agissant d'une démission provoquée par le manquement de l'employeur à son obligation de payer les salaires.
(13) Ce dernier texte étant relatif à la sanction du salarié usant de son droit de démissionner de manière abusive, ce fondement paraît pour le moins inadapté. Il ne peut, à notre sens, que s'agir là d'une erreur matérielle sans trop grande conséquence.
(14) En principe car il faut rappeler que le juge peut proposer la réintégration du salarié en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. On sait, cependant, qu'une telle réintégration est rarissime faute de contrainte sur le juge (pour la proposition) et sur l'employeur (qui peut refuser la proposition). Sur cette question, v. Cass. soc., 14 avril 2010, n° 08-45.247, FS-P+B sur le second moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A0522EWA) et nos obs., Réaffirmation du caractère facultatif de la réintégration en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mai 2010 - éditions sociale (N° Lexbase : N0547BPX).
(15) La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de juger que le salarié ne pouvait demander à la fois la nullité de la démission et la requalification de la démission en prise d'acte, cette solution préfigurant déjà l'étanchéité entre les deux corps de règles, v. Cass. soc., 17 mars 2010, n° 09-40.465, F-P+B (N° Lexbase : A8273ETL).
(16) Sur cette question, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil - Les obligations , Dalloz, 10ème édition, n° 252 et s..

Décision

Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050, F-P+B (N° Lexbase : A3730IEU)

Cassation partielle, CA Rennes, 5e ch. prud., 3 novembre 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) et L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G)

Mots-clés : démission, validité, volonté, vices du consentement, volonté claire et non équivoque

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Sociétés

[Jurisprudence] Une société est dissoute par l'arrivée de son terme et en l'absence de prorogation

Réf. : Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.715, F -P+B (N° Lexbase : A8789IB7)

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N0957BTM

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Institut François Gény, Université de Lorraine)

Le 22 Mars 2012

Les mésaventures d'un banquier pour recouvrer les sommes prêtées pour la mise en oeuvre de produits de défiscalisation ont été l'opportunité pour la Cour de cassation de rappeler la règle applicable en matière de dissolution des sociétés. Quelles sont les conséquences de l'arrivée du terme pour une société, est-elle ou non dissoute automatiquement en l'absence de prorogation de sa durée et qui peut la représenter en justice ? Telles sont les questions que l'on peut formuler à l'occasion de l'arrêt rendu le 31 janvier 2012 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Afin de permettre la mise en oeuvre de produits de défiscalisation proposés à des investisseurs, une banque a consenti un prêt à une société en nom collectif dont les investisseurs étaient associés. Le terme de la société était fixé au 31 décembre 2007. La créance de la banque, résultant du contrat de prêt, a été cédée par acte du 31 janvier 2002 dans le cadre d'une opération de cession d'un portefeuille de créances. En raison du défaut de règlement du prêt par la société en nom collectif, la banque cessionnaire l'a assignée ainsi que les associés, cautions, en remboursement du prêt. A défaut d'avoir obtenu communication de l'acte original de cession de créances, ces derniers ont contesté la qualité à agir de la banque cessionnaire. De son côté, cette dernière invoquait le respect du secret professionnel pour justifier ne pas avoir à communiquer l'original de l'acte authentique de cession des créances litigieuses. Les premiers juges ont condamné les associés et la société à payer les différentes sommes dues à la banque, mais ce jugement a été frappé d'appel par ces derniers. Par la suite, la cour d'appel a critiqué la banque d'avoir persévéré dans sa volonté de ne pas communiquer à ses contradicteurs l'acte de cession, qui n'a transmis qu'un document comportant des anomalies évidentes. Par conséquent la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir déduit que le document qui n'a pas été communiqué aux associés et à la société aurait permis de concilier le droit des parties à obtenir les pièces qu'elles ne détiennent pas et qui sont nécessaires à leur défense et le principe du secret professionnel. Pour cette raison, elle considère que le moyen invoqué par la banque n'est pas fondé. Quant au second point, c'est-à-dire à la recevabilité de l'appel interjeté par la société en nom collectif, la banque prétendait qu'il était irrecevable. Ici encore, la cour d'appel n'a pas eu la même analyse de la situation de droit. Selon celle-ci, une société n'est effectivement dissoute par l'arrivée de son terme que si les associés ont été convoqués et ont décidé expressément sa dissolution. Sur le visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1844-7 (N° Lexbase : L3736HBY) du Code civil, la Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel, en précisant qu'en raison de l'arrivée du terme la société est dissoute (I) et par conséquent, elle aurait dû être représentée par un liquidateur (II). Dès lors, étant dissoute, la société ne pouvait interjeter appel par l'intermédiaire de son gérant.

I - La dissolution de la société en raison de l'arrivée de son terme

Une société n'est jamais constituée sans terme. En effet l'article 1838 du Code civil (N° Lexbase : L2009ABZ) dispose qu'elle ne peut excéder 99 ans, par conséquent elle est constituée pour une période dont le terme doit être précisé dans les statuts. Admettre le contraire se heurterait au principe de la prohibition des engagements perpétuels (R. Libchaber, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés, Rev. sociétés, 1995, p. 437). Ainsi, la fin de la société est commune dès l'apparition à la vie juridique de la société. Toutefois, il est possible de la prolonger. En effet, l'alinéa premier de l'article 1844-6 du Code civil (N° Lexbase : L2026ABN) précise que la prorogation de la société est décidée à l'unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification des statuts. Dans la présente affaire, le terme de la société était fixé au 31 décembre 2007. Par conséquent, les associés auraient dû convoquer une telle assemblée générale afin qu'elle se tienne avant le 31 décembre 2006, conformément au deuxième alinéa de l'article 1844-6 précité. Cependant, la cour d'appel a eu une conception plus souple. En effet, elle a considéré que la société n'est effectivement dissoute que si les associés ont été convoqués au moins un an avant l'arrivée du terme. Dans le cas contraire, la société conserve sa personnalité juridique, ses organes et sa capacité d'ester en justice. Or, la Cour de cassation censure cette analyse, et maintient l'application littérale de la règle de droit : les associés doivent avoir été consultés au moins un an avant la date d'expiration de la société. Si cette formalité n'a pas été respectée, comme c'est le cas dans cette affaire, la société est automatiquement dissoute par l'arrivée du terme.

Par ailleurs, il semblerait possible d'insérer une clause de prorogation automatique pour une certaine durée dans les statuts, clause qui serait valable en l'absence d'opposition d'un ou plusieurs associés (Cass. com. 23 octobre 2007, n° 05-19.092, FS-P+B N° Lexbase : A8447DYI, Bull. civ. IV, n° 224 ; D., 2007, p. 2813, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, 2007, comm. 210, note H. Lécuyer ; Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 110 note B Saintourens ; Banque et Droit, mars-avril 2008, p. 49, obs. I. Riassetto ; Rev. sociétés, 2008, p. 383, note B. Dondero). Or, dans la présente affaire, aucune décision de prorogation de la société n'ayant été prise par les associés en temps utile, et apparemment aucune clause de prorogation automatique n'ayant été insérée dans les statuts de la société en nom collectif, la dissolution est intervenue de plein droit par l'arrivée du terme, le 31 décembre 2007, en application de l'article 1844-7 du Code civil (constituant une partie du visa de l'arrêt du 31 janvier 2012). La décision de prorogation est un acte grave, ce qui explique pourquoi l'article 1844-6 du Code civil pose la règle d'adoption de la résolution de prorogation à l'unanimité des associés, ou à défaut, mais à condition que les statuts le prévoient expressément, aux conditions requises pour la modification des statuts. Pour cette raison, cette décision n'est pas un acte d'administration et justifie qu'un associé doit être muni d'un pouvoir spécial pour représenter un autre associé à l'assemblée générale réunie pour décider ou non de la prorogation de la société (Cass. com. 24 novembre 2009, n° 08-19.991, F-D N° Lexbase : A1603EP3, RD rur., 2009, comm. 64, nos obs.).

Enfin, si l'arrêt du 23 octobre 2007 précité avait pu provoquer quelques craintes quant aux effets de l'arrivée du terme, le doute est aujourd'hui dissipé avec l'arrêt du 31 janvier 2012. L'arrêt de 2007 avait été rendu à propos d'une société en participation, qui en raison de l'absence de son immatriculation, n'a pas la personnalité juridique. Désormais, la situation est claire : la survenance du terme entraîne la dissolution de la société, et par voie de conséquence, sa liquidation en application de l'article 1844-8 du Code civil (N° Lexbase : L2028ABQ), ce qui provoque la cessation de l'activité sociale et le seul maintien de l'affectio societatis ne saurait la faire dégénérer en société de fait (P. Le Cannu, La troublante énigme de la société devenue de fait, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 565). Après la survenance du terme, la société dissoute est une société en cours de liquidation.

II - La représentation de la société dissoute par son liquidateur

Conformément à l'article 1844-8 du Code civil, la dissolution entraîne la liquidation de la société, qui met fin au mandat des organes de la société. En l'occurrence, la société dissoute est une société en nom collectif, sa dissolution met fin au mandat des gérants, car pour ce type de sociétés, tous les associés ont la qualité de gérant, sauf clause contraire des statuts (C. com., art. L. 221-3 N° Lexbase : L5799AIM). Ainsi, les associés sont tenus de nommer un liquidateur et à défaut de désignation par ces derniers, le liquidateur peut être désigné par décision de justice. Dans la présente affaire, aucune démarche n'avait été faite par les associés pour proroger la société, et vraisemblablement n'ayant pas conscience des conséquences juridiques de l'arrivée du terme de la société, aucun liquidateur n'avait été désigné. Ainsi, la banque avait pour contradicteur dans l'action en paiement des sommes impayées résultant des contrats de prêts non remboursés, une société dissoute, sans personne désignée pour la représenter. Dans ces conditions, l'intervention de tous les associés ne permet pas de compenser cette insuffisance. A défaut de liquidateur, la société dissoute et obligatoirement en cours de liquidation (s'agissant d'une société personnelle qui n'a pas fait l'objet d'une fusion avec une autre société) n'a pas de représentant légal. Or, dans ces conditions, seul le liquidateur a la capacité juridique requise pour intervenir en justice, tant en demande qu'en défense. Par conséquent, la société dissoute au cours de l'instance en paiement diligentée par la banque, n'a plus la capacité requise pour interjeter appel du jugement l'ayant condamné en première instance. Ainsi, son appel est irrecevable.

Sur le plan pratique, la société n'ayant pas pu interjeter appel dans les délais requis, il n'est plus possible d'exercer une quelconque voie de recours contre la décision ayant condamné la société et les associés au paiement des sommes dues. Par conséquent, la quote-part de dettes de la société devra être réglée dans le cadre de la liquidation amiable de la société. Si toutefois, celle-ci ne dispose pas des sommes suffisantes pour le faire, le liquidateur désigné devra alors demander l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire. En effet, par l'effet de la dissolution, l'activité sociale doit cesser. N'ayant plus d'activité économique, aucun plan n'est possible, et, par conséquent, le redressement de la société est manifestement impossible, conformément à l'article L. 640-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4038HB8). Par la suite, les associés, en application de leur obligation au paiement des dettes sociales (C. com., art L. 221-1 N° Lexbase : L5797AIK) peuvent être poursuivis par la banque, car la dissolution ne fait pas disparaître cette obligation. En effet, selon l'article 1859 du Code civil (N° Lexbase : L2056ABR), l'action du créancier se prescrit par cinq ans contre l'associé non liquidateur, délai qui court à compter de la dissolution de la société. Reste alors la question de savoir comment traiter leur insolvabilité éventuelle, car la seule qualité d'associé de société en nom collectif ne permet pas l'ouverture d'une procédure collective régie par les dispositions du Livre VI du Code de commerce (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 6 juillet 2010, n° 10/03837 N° Lexbase : A6262E4P, D., 2010, p. 2222, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés, 2010, p. 534, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll. 2010, comm. 210, note B. Saintourens ; Dr sociétés 2011, comm. 14, note J.-P. Legros ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 905, note F.-X. Lucas). En conclusion, associés, attention à l'arrivée du terme d'une société constituée à durée déterminée.... Car les 99 ans ressemblent étrangement à une durée indéterminée.

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Successions - Libéralités

[Jurisprudence] "Vive l'intention libérale !"

Réf. : Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, trois arrêts, n° 09-72.542, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8693IA9), n° 10-27.325, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8696IAC) et n° 11-12.863, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8698IAE)

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N0897BTE

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par Sophie Deville, Maître de Conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

Le 22 Mars 2012

A peine débutée, l'année 2012 s'annonce déjà riche pour le droit patrimonial de la famille. La Haute juridiction a, en effet, dû s'intéresser à certaines notions bien connues des habitués de liquidations successorales qui ne vont pas sans poser des difficultés de qualification, lesquelles se poursuivent au stade de l'application d'un régime juridique. L'intervention de la Cour de cassation, par trois arrêts du 18 janvier 2012 (une quatrième décision a été rendue le même jour mais, elle vise moins directement la problématique qui nous occupe ; nous l'avons, pour cette raison, laissée de côté : Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, n° 10-25.685, FS-P+B+I N° Lexbase : A8695IAB), doit, sans conteste, être saluée et l'importance de ces décisions ne peut qu'être soulignée parce qu'elles semblent opérer un important revirement et un retour à une appréhension plus juste de certains concepts. Les différentes affaires font état de litiges intrafamiliaux, essentiellement entre des descendants, s'élevant au stade du règlement de la succession de leurs auteurs. Les oppositions se concentrent sur la question du rapport et de son domaine, visés par les articles 843 (N° Lexbase : L9984HN4) et suivants du Code civil, au sujet de l'occupation gratuite d'un immeuble appartenant au défunt par un héritier présomptif. Dans la première espèce, le fils, aidant à l'exploitation agricole de ses parents, avait pu jouir gratuitement et pendant une longue période d'un bien servant d'habitation principale aux ascendants. Il avait, par ailleurs, été gratifié par donation-partage de la nue-propriété du tiers de leurs biens, dont le logement, le surplus ayant été réparti entre les deux enfants. Au décès de leurs auteurs, sa soeur agit afin d'obtenir le rapport de l'avantage indirect dont a bénéficié son frère du fait de l'occupation gratuite, englobant les période antérieures et postérieures à la libéralité de la nue-propriété de l'immeuble. La cour d'appel refuse de faire droit à sa demande, principalement au motif que l'intention libérale n'est pas établie. La fille forme, alors, un pourvoi, alléguant que la jouissance gratuite du bien doit s'analyser comme un avantage indirect rapportable dès lors qu'il consomme une rupture objective de l'égalité entre les héritiers, sans qu'il soit besoin d'apprécier les intentions de celui qui l'a consenti. La deuxième espèce opposait les enfants d'une veuve, gratifiée de la quotité disponible spéciale au décès de son mari, au stade du règlement de sa propre succession. L'un des descendants agit contre son frère, légataire du disponible, pour le contraindre à rapporter l'avantage indirect issu de l'occupation gratuite d'un immeuble pendant quelques années, ainsi que de la perception des loyers résultant de la mise à bail postérieure du même bien. Les juges du fond rejettent la demande, en considérant que l'immeuble litigieux était tombé dans l'indivision existant entre la veuve et les enfants communs des époux : la jouissance du logement et la perception des loyers doivent, selon eux, être soumises aux règles de l'indivision, non à celles du rapport à succession. Un pourvoi est formé et se prévaut des principes applicables à l'avantage indirect rapportable. Enfin, dans la dernière espèce, l'un des membres de la fratrie souhaitait obtenir le rapport à la succession de l'un de ses auteurs de divers actes constituant à son sens des libéralités consenties à sa soeur. Les éléments évoqués sont, principalement, le paiement des frais de mutation d'une donation, l'hébergement gratuit de la bénéficiaire et de son mari, ainsi, que le paiement de divers travaux relatifs à l'immeuble qui avait vocation à constituer le logement commun des deux familles. Les juges d'appel, considérant les différents actes comme des libéralités, adhèrent aux arguments du demandeur. Le pourvoi conteste pour sa part cette qualification.

Saisie de ces trois affaires, la Cour de cassation rejette le premier pourvoi en énonçant clairement, que le rapport ne peut être appliqué qu'à une libéralité, dont la reconnaissance nécessite la conjonction de deux éléments bien connus, un déséquilibre économique des prestations et l'intention libérale. En l'absence de preuve de cette dernière, la qualification ne peut être retenue et le régime successoral doit être écarté. La première chambre civile de la Cour de cassation sanctionne les juges du fond dans la deuxième espèce, au motif qu'il n'existait aucune indivision entre la veuve et ses enfants sur l'immeuble ; dès lors, les magistrats d'appel auraient dû rechercher si la jouissance du bien et la perception des loyers postérieure ne pouvaient pas être analysées comme des libéralités rapportables, en présence d'un avantage objectif consenti dans une intention libérale. Les Hauts magistrats font encore droit aux arguments du dernier pourvoi, la réunion des deux critères catégoriques fondant la nature libérale n'ayant pas été clairement établie par les juges du fait. On l'a compris, la problématique essentielle se concentre sur les opérations de qualification, dans la perspective d'une soumission éventuelle au rapport.

L'apport de ces différentes décisions est remarquable, parce que la Cour de cassation revient tout à la fois sur la notion d'avantage indirect, dont elle avait contribué -de façon tout à fait discutable à notre sens- à élargir le domaine, et sur ses relations avec la libéralité, mais encore sur la situation délicate que constitue l'occupation gratuite d'un immeuble appartenant à son auteur par un descendant. Enfin, l'occasion lui est également donnée d'insister sur les éléments nécessaires à la qualification libérale. Ces arrêts marquent le retour à une appréhension plus cohérente de la notion d'avantage indirect (I), tout en rappelant utilement la nécessaire complémentarité des critères catégoriques de la libéralité et, tout particulièrement, l'importance de l'intention libérale (II).

I - Le retour à une appréhension plus cohérente de la notion d'avantage indirect rapportable

Ce sont les parties qui, en invoquant à l'appui de leur demande la qualification d'avantage indirect rapportable à l'égard de l'occupation gratuite d'un immeuble par un futur héritier, ont permis à la première chambre civile de la Cour de cassation de revenir sur une jurisprudence contestable. En effet, les deux premières décisions sonnent le glas de la conception objective de l'avantage indirect qui avait émergé en 2005 (A). Au-delà, la Cour de cassation semble revisiter, tout à fait opportunément, le domaine matériel de la notion, en refusant à la jouissance gratuite l'entrée dans cette catégorie (B).

A - L'abandon de la conception objective de l'avantage indirect

Les difficultés soulevées par ces arrêts font référence au contexte particulier que constitue le règlement successoral. C'est ici, le rapport, ainsi que son domaine, qui sont directement visés. Opération préliminaire au partage, le rapport est incontestablement une institution à vocation égalitaire. En substance, il s'agit de tenir compte, au stade du partage, des éventuelles avances de part reçues par les héritiers du vivant du de cujus. Dès lors, ceux ayant bénéficié d'avances ne percevront dans la masse que la différence entre ce qu'ils devaient recevoir au titre de leurs droits successoraux, et ce dont ils ont déjà été allotis. Tout comme l'ensemble des institutions du droit successoral et, notamment, la réduction, le rapport vise, dans une analyse classique, les libéralités. La raison en est simple : seuls des actes opérant volontairement un dépouillement sans contrepartie équivalente vident la substance du patrimoine du disposant et présentent un risque pour l'ordre public successoral ainsi que pour le respect d'une certaine égalité entre les héritiers. Ceci étant, et à la différence des textes visant à protéger la réserve, le rapport ne s'impose pas à celui qui consent une libéralité.

L'article 843 du Code civil vient préciser le domaine matériel du rapport : "Tout héritier [...] venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement [...]". Il en résulte un champ d'application large, qui doit être complété par les articles 851 (N° Lexbase : L9992HNE) et suivants du Code civil. L'analyse des termes utilisés par les rédacteurs du code laisse à penser que ces derniers entendaient viser l'ensemble des libéralités entre vifs, solennelles ou non, et notamment, les donations indirectes. Toutefois, conjugué à la formulation de l'article 853 du Code civil (N° Lexbase : L9994HNH), qui refuse le rapport "[...] des profits que l'héritier a pu retirer de conventions passées avec le défunt, si ces conventions ne présentaient aucun avantage indirect, lorsqu'elles ont été faites", l'article 843 du Code civil a permis l'émergence d'une notion spécifique, l'avantage indirect. Malgré l'absence d'acception légale, il est admis que le successible doit rapporter les éventuels avantages indirects découlant d'une convention conclue avec le défunt et existant au jour de l'acte. La doctrine a, par ailleurs, pu proposer une définition de l'avantage : "la notion est utilisée pour désigner les profits non justifiés par l'objet principal d'une convention conclue entre le de cujus et un de ses successibles, ou d'un acte accompli à sa faveur par le défunt" (1).

Sur ce fondement, ont pu être considérés comme tels, certains avantages d'ordre professionnel -d'une valeur patrimoniale non négligeable- conférés par le de cujus : il en est ainsi, de l'octroi d'une licence, ou encore du bénéfice d'un droit de présentation à la clientèle, lorsque l'héritier a succédé à son auteur dans l'exercice de sa profession (2).

La conclusion de certains baux, ruraux notamment, a également été jugée constitutive d'un avantage indirect rapportable si le déséquilibre créé au profit de l'héritier n'a pas été compensé (3). Ce type de contrats peut permettre au preneur de demander, avec de grandes chances de succès, une attribution préférentielle des biens concernés au partage. Il a encore été avancé que la mise à bail génère par elle-même une dépréciation des biens et de la future masse à partager, au détriment des autres successibles. Il n'en demeure pas moins, que l'admission du rapport dans ces situations peut conduire à compenser une défaillance objective de l'égalité, alors même, que le bailleur n'a été animé d'aucune intention libérale à l'égard des bénéficiaires concernés ; au-delà de l'effet immédiat de la convention, ce dernier n'a pas forcément conscience que l'acte pourra favoriser un héritier par rapport aux autres dans le cadre du partage (4).

A ce stade, il est déjà possible de percevoir une tendance jurisprudentielle à l'extension du domaine du rapport, alors même, que les conventions concernées n'obéissent pas, à coup sûr, aux éléments catégoriques de la libéralité. Or, c'est par le biais de la qualification d'avantage indirect que cet élargissement est rendu possible, au détriment de la cohérence du système. Ces hypothèses peuvent être appréhendées comme fondant l'avènement, encore discret mais discutable, d'un mouvement prétorien favorable à l'autonomie de la notion d'avantage indirect rapportable, détachée du concept de libéralité. L'important et célèbre arrêt du 8 novembre 2005 doit, à notre sens, être perçu comme l'aboutissement de cette évolution (5). En l'espèce, un héritier se voit consentir par le défunt un droit d'occupation gratuite sur un immeuble. Au jour du décès de l'auteur, un litige éclate au sein de la fratrie, les autres enfants exigeant le rapport des donations de fruits et revenus dont avait bénéficié l'occupant pendant toute la durée de la jouissance. Les juges du fond ayant fait droit à la demande, un pourvoi est formé, le bénéficiaire de l'occupation soulevant que le rapport ne pouvait pas être exigé à l'encontre d'un acte n'obéissant pas aux critères catégoriques de la libéralité. La Cour de cassation rejette l'argument en substituant la qualification d'avantage indirect à celle de libéralité, retenue par les magistrats en appel, et en ajoutant que "[...] même en l'absence d'intention libérale établie, le bénéficiaire d'un avantage indirect en doit compte à ses héritiers".

Plus qu'une présomption d'intention libérale, le raisonnement conduit à admettre qu'en présence d'un déséquilibre objectif non causé par une volonté d'avantager, le rapport sera du. Il consacre, incontestablement, la notion d'avantage indirect objectif, constituant pour les plaideurs une véritable "alternative à la qualification de libéralité rapportable", laquelle nécessite toujours la preuve de l'élément moral (6). Les difficultés inhérentes à l'établissement de l'intention libérale peuvent facilement être éludées par le recours à l'avantage. Dans le même temps, nous y reviendrons, l'arrêt du 8 novembre 2005 élargit considérablement le domaine de la notion en l'appliquant à l'occupation gratuite ; celle-ci s'éloigne de l'appréhension plus circonscrite qui lui était auparavant réservée, avec tous les dangers que comporte son caractère objectif.

Cette décision n'a pas, pour l'essentiel, emporté l'adhésion de la doctrine. La plupart des auteurs ont, en effet, dénoncé les conséquences néfastes sur la cohérence du régime successoral et sur l'institution du rapport. Nous partageons entièrement ce point de vue. Plusieurs arguments peuvent être invoqués à l'encontre de l'autonomie de l'avantage indirect (7). D'abord, la lecture du code laisse à penser que la notion est appréhendée comme une variété de donation, soumise, de ce fait, aux mêmes critères de qualification. Ensuite, un retour aux fondements des institutions successorales permet de comprendre que la nature libérale est un présupposé nécessaire aux opérations de réduction et de rapport. Si toutes les libéralités ne sont pas rapportables, il n'en demeure pas moins que seules les libéralités le sont en raison de la perte patrimoniale qu'elles causent. Détacher la notion d'avantage indirect de celle de libéralité conduit à méconnaître la logique du système de règlement de l'hérédité (8). Enfin, l'alternative déjà dénoncée à la qualification de libéralité rapportable vient conforter l'opportunité du rejet d'une telle proposition.

Dès lors, le lecteur comprendra pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir des arrêts du 18 janvier 2012 : la Cour de cassation a, fort opportunément, choisi de revenir sur sa jurisprudence en renonçant à la notion d'avantage indirect autonome. En énonçant, dans la première affaire, que "[...] seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession", alors que l'auteur du pourvoi s'était judicieusement fondé sur la jurisprudence de 2005 pour se prévaloir de l'avantage indirect, les magistrats affirment que l'avantage ne doit être appréhendé que par référence aux éléments catégoriques de la libéralité. L'absence d'intention libérale, établie par les juges du fond, est donc exclusive de la qualification et, partant, de toute soumission au rapport. L'idée est confortée dans la deuxième espèce : la cour d'appel est sanctionnée pour ne pas avoir recherché si l'avantage né de l'occupation gratuite ne constituait pas une libéralité rapportable "dont la reconnaissance exige la preuve de l'intention libérale". Ce revirement doit être salué car il participe de la cohérence de l'institution du rapport. L'autonomie de l'avantage indirect est désormais condamnée.

Mais là n'est pas le seul intérêt de ces décisions, qui viennent, semble-t-il, utilement circonscrire le domaine de la notion.

B - L'abandon de la qualification d'avantage indirect en matière d'occupation gratuite d'un immeuble par un successible

Non encore satisfaite d'avoir consommé la rupture entre avantage indirect et libéralité, la Cour de cassation a, dans sa décision de 2005, considérablement étendu le domaine du premier concept en y faisant entrer l'occupation gratuite d'un immeuble. S'il est acquis que cette situation, fréquente en jurisprudence, a donné lieu à d'importantes difficultés de qualification en raison de l'absence d'instrumentum venant éclairer sa véritable nature, et de sa proximité catégorique avec plusieurs actes (donation de fruits et prêt à usage notamment), lui reconnaître le statut d'avantage indirect n'était pas souhaitable en raison des dérives auxquelles conduit la reconnaissance de son caractère objectif au stade du rapport. L'arrêt n'a pas, sur ce point encore et à juste titre, échappé aux critiques des auteurs. La jouissance gratuite d'un logement s'éloigne incontestablement de la définition communément admise de l'avantage, le profit dont bénéficie le successible étant l'objet même de la mise à disposition (9). Il semble nécessaire que cette qualification soit destinée à des hypothèses plus spécifiques dans lesquelles ce caractère indirect existe bel et bien ; il en est ainsi, en matière d'octroi d'un bail rural.

Sans doute, les Hauts magistrats ne sont-ils pas restés insensibles à ces réflexions. Une décision du 3 octobre 2010 est revenue sur l'occupation gratuite sans retenir la qualification d'avantage indirect, rapportable en présence d'une simple rupture objective d'égalité (10). Le litige opposait les enfants communs d'époux décédés, la fille ayant été logée gratuitement et pendant de nombreuses années au domicile de ses parents, sur lesquels elle avait par ailleurs veillé jusqu'à leur mort. Le frère de la bénéficiaire souhaitait l'astreindre au rapport des frais engagés par ses auteurs pour la loger et l'entretenir. Il voit sa demande rejetée par les juges du fond, statuant sur renvoi après cassation, au visa de l'article 852 du Code civil (N° Lexbase : L3493ABY), dans sa version antérieure à la loi du 23 juin 2006. La cour d'appel est approuvée par la première chambre civile de la Cour de cassation qui précise, que l'action du demandeur visait, sous la dénomination "frais d'entretien et d'indemnités d'occupation", les frais d'entretien et de nourriture, exclus du rapport sauf manifestation de volonté contraire du disposant.

Dans cette affaire, l'hébergement par des parents, sous leur toit, de l'un de leurs enfants majeurs est rattaché aux frais d'entretien et de nourriture, visés par l'article 852 du Code civil. La Cour de cassation semble s'éloigner de la qualification retenue en 2005, mais il est vrai qu'un certain nombre de circonstances diffèrent entre les deux espèces. D'abord, l'argumentation du pourvoi semble particulièrement maladroite et imprécisément formulée puisqu'il n'est pas question ici d'avantage indirect mais de divers frais. Au-delà, la fille était hébergée par ses parents et occupait leur logement sans bénéficier de la jouissance privative d'un immeuble leur appartenant. Enfin, les faits laissent apparaître que l'hébergement était directement lié à l'aide et au soutien apporté par la fille à ses parents dont elle s'était occupée seule jusqu'à leur décès. Quoi qu'il en soit, la solution semble dictée par le fait que le bénéfice retiré par la fille avait pour contrepartie l'aide quotidienne apportée à ses parents, aucun déséquilibre entre les successibles ne pouvant alors être constaté (11). Ceci étant, ce n'est pas là l'avis de certains auteurs qui accordent à la décision une portée bien plus générale. Selon le Professeur Grimaldi, l'occupation gratuite par un héritier d'un immeuble appartenant à son auteur ne constituerait pas une libéralité, en principe, sauf au disposant à préciser par une clause contraire l'intention de contraindre cet avantage au rapport, sa volonté devant alors s'analyser comme "l'affirmation de l'existence d'une donation dont en principe les éléments constitutifs ne sont pas réunis" (12). En d'autres termes, seule la volonté de l'auteur est habile à imposer la qualification libérale et le rapport subséquent. A notre sens, si la décision est fortement motivée par l'idée de ne pas imposer le rapport dans cette situation, elle n'est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause la jurisprudence de 2005.

Pourtant, de sérieux arguments étaient susceptibles d'être opposés à la qualification d'avantage indirect, dès 2005. Si une telle démarche prétorienne pouvait se comprendre, dans le souci de soumettre au rapport tout bénéfice consenti dans une intention libérale et venant rompre l'égalité entre les successibles, antérieurement au célèbre arrêt du 14 janvier 1997 (13), qui est venu consacrer la possible existence de libéralités de fruits et revenus, la justification ne tient plus postérieurement à cette décision. Elle est encore moins solide depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 (loi n° 2006-728, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4), qui a expressément reconnu l'existence et la validité de la donation de fruits et revenus, ainsi que sa soumission au régime juridique libéral (14). A notre sens, seule la qualification de donation de fruits peut correspondre à l'hypothèse de l'octroi d'une occupation gratuite pendant une longue durée lorsqu'elle n'est pas le siège d'une libéralité rémunératoire, ou que, plus généralement, elle ne donne pas lieu à une contrepartie. Ceci étant, retenir la qualification libérale nécessite la preuve de la conjonction des deux éléments catégoriques que sont le déséquilibre objectif des prestations et l'intention libérale. La soumission au rapport est à ce prix, et elle perdrait utilement le caractère automatique que lui avait conférée, en 2005, l'entrée dans la catégorie d'avantage indirect objectif.

C'est apparemment dans cette voie que semble s'orienter la Cour de cassation dans les arrêts du 18 janvier 2012. Ces derniers paraissent exclure l'occupation gratuite du domaine de l'avantage indirect qui demeurera circonscrit à des hypothèses mettant en lumière le caractère indirect du profit. Alors que le premier pourvoi défendait clairement la nature d'avantage indirect objectif, la Cour de cassation répond en se fondant sur la notion de libéralité. Si l'attendu abrite la volonté des Hauts magistrats de réunifier la libéralité et l'avantage qui n'est, finalement, qu'une variété d'acte libéral, il n'est pas exclu d'y voir une éventuelle requalification de l'occupation en donation de fruits, laquelle nécessite l'établissement des éléments matériel et moral. La deuxième espèce est encore en ce sens, puisque la première chambre civile de la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si "les avantages" résultant de la jouissance n'étaient pas des libéralités rapportables. Enfin, dans la dernière affaire, les demandeurs s'étaient directement fondés sur la notion de donation de fruits pour tenter de faire condamner au rapport le bénéficiaire d'une occupation gratuite. Si les juges les déboutent, ce n'est que parce que les critères nécessaires à la qualification libérale ne semblent pas réunis. A aucun moment il n'est question, pour la Cour de cassation, d'avantage indirect.

Il convient, là encore, d'approuver la démarche : la notion, même libérée de son caractère objectif, doit rester cantonnée à son domaine naturel sans s'étendre à des situations qui ne lui correspondent pas. On admettra, néanmoins, qu'avec l'abandon de l'autonomie de l'avantage, les conséquences d'une qualification maladroite ou imprécise deviennent beaucoup moins préjudiciables.

Les arrêts du 18 janvier 2012 éclairent, sans conteste, les relations unissant la libéralité à l'avantage indirect. Dès lors, l'occasion est, dans le même temps, donnée à la Cour de cassation de revenir sur l'acte libéral et sur ses éléments catégoriques, dont la nécessaire complémentarité est parfois, à tort, passée sous silence par les juridictions d'appel.

II - Le rappel énergique de la complémentarité des éléments catégoriques de la libéralité

Les juges rappellent que la nature libérale suppose la complémentarité des éléments catégoriques, matériel et moral (A). Dans le même temps, les décisions insistent sur l'importance de l'intention libérale et sur la preuve de son existence, qui doit faire l'objet d'un examen attentif des juges du fond (B).

A - La conjonction des éléments catégoriques nécessaires à la qualification libérale

La position tenue par les Hauts magistrats dans les deux espèces où la qualification d'avantage indirect était invoquée invite à revisiter la notion d'acte libéral. Analysé comme une sous-catégorie, l'avantage indirect doit être respectueux des éléments catégoriques de ce dernier ; la question est déterminante de l'application du régime successoral. Quant à la troisième décision, elle vise directement l'acte libéral et les critères catégoriques qui président à la détermination de sa nature.

Antérieurement à la loi du 23 juin 2006, la libéralité, en tant que notion englobant plusieurs espèces, ne bénéficiait d'aucune définition. Le Code civil précisait seulement, à l'ancien article 893 (N° Lexbase : L3534ABI), les figures qui s'offraient au sujet souhaitant disposer de ses biens à titre gratuit. Le législateur de 2006, influencé par certaines études et propositions doctrinales (15), est venu consacrer un texte sur la libéralité elle-même. Le nouvel article 893 du Code civil (N° Lexbase : L0034HPX), dispose, en son premier alinéa : "la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens et de ses droits au profit d'une autre personne". Force est de constater, que la définition offerte n'insiste nullement sur les éléments qui fondent la catégorie. Ceci étant, les auteurs et les juges s'étaient depuis bien longtemps intéressés à ces critères, en raison du silence de la loi. Il est communément admis que la qualification nécessite la réunion de deux éléments, l'appauvrissement du disposant sans enrichissement corrélatif, également nommé inéquivalence des prestations, et l'intention libérale, encore appelée élément moral ou psychologique. Ce dernier s'entend, pour l'essentiel, de l'intention d'avantager autrui (16).

Toutefois, la place respective occupée par chacun dans les opérations de qualification est l'objet de controverses récurrentes. Plusieurs conceptions se sont affrontées sur le sujet, mais une seule semble avoir la préférence des juges. Deux théories concluent à la supériorité d'un critère sur l'autre, alors que la troisième, plus conciliante, soutient opportunément leur complémentarité. Certains auteurs ont pu défendre une prédominance de l'élément moral sur le déséquilibre objectif des prestations (17). Au contraire, d'autres propositions se sont concentrées sur l'élément matériel qui, à lui seul, suffirait à fonder la qualification (18). Aucune de ces théories ne peut, selon nous, emporter l'adhésion. L'intention libérale, si elle existe, ne peut s'affranchir d'une certaine réalité tangible, qui ne peut se manifester que par l'inéquivalence des prestations. Pareillement, le simple déséquilibre objectif ne peut, à lui seul, permettre de conclure à la qualification libérale ; il est possible que l'inéquivalence ne soit pas voulue et résulte d'une erreur, voire de la lésion. Ces hypothèses étant exclusives de toute volonté d'avantager, il est nécessaire de constater l'existence d'un critère psychologique pour conférer à un acte une nature libérale. Ces réflexions conduisent à conclure à la complémentarité des éléments, sans, toutefois, nier qu'au gré des situations, l'un peut être plus efficace que l'autre dans la recherche de l'issue catégorique. C'est là, l'avis d'une autre partie de la doctrine, qui nous semble tout à fait justifié (19).

Depuis déjà longtemps, la jurisprudence de la Cour de cassation est en ce sens. Dans un arrêt du 5 avril 1938, la Haute juridiction rappelle qu'"[...]une opération juridique ne présente donc pas le caractère d'une donation si son auteur, même mu par une pensée de bienveillance et agissant pour l'avantage exclusif d'autrui, ne se dépouille volontairement par là d'aucune portion de son patrimoine" (Cass. civ., 5 avril 1938). L'intention libérale ne suffit aucunement à conclure à la qualification libérale en l'absence de tout élément matériel. Il est encore possible de citer une espèce tranchée le 4 novembre 1981, dans laquelle la Cour de cassation sanctionne les juges du fond pour défaut de base légale, ces derniers ayant retenu la qualification de donation déguisée en présence d'un acte de vente sur la seule constatation que le prix n'avait pas été payé et sans avoir, au préalable, contrôlé l'existence de l'élément moral (20). La première chambre civile de la Cour de cassation reproche à la cour d'appel d'avoir, par ce raisonnement, fait de l'élément matériel l'unique référentiel catégorique de la libéralité.

Il est permis d'avancer que les trois décisions du 18 janvier 2012 s'inscrivent parfaitement dans ce mouvement jurisprudentiel. La Cour de cassation se plaît à revenir, dès que l'occasion lui est donnée, sur la nécessaire conjonction des critères qui est quelquefois malmenée par les juridictions du fond. En énonçant que "[...] seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à une succession", les Hauts magistrats confirment ce point de vue, même si l'espèce abritait un doute qui se concentrait davantage sur le critère moral. Il en est encore, ainsi, de la deuxième affaire. En exigeant la preuve de l'intention libérale pour soumettre au rapport la concession d'une occupation gratuite à un héritier, ils affirment que l'existence d'un déséquilibre objectif des prestations ne suffit pas.

Le troisième arrêt est tout aussi éclairant. Les juges du fond sont sanctionnés, dans un premier temps, parce qu'ils ont retenu la qualification libérale au sujet du paiement par les ascendants des frais de la donation consentie à leur fille. La cassation intervient au motif qu'ils se sont fondés sur la seule absence de remboursement de ces frais pour conclure à la nature de donation. S'il est admis que l'acquittement de ces dettes peut constituer une libéralité, c'est à la condition que soient recherchés et établis les deux critères catégoriques (21). La décision de la première chambre civile de la Cour de cassation est, de ce fait, tout à fait opportune. Les juges poursuivent sur l'hébergement de la fille et de son mari au domicile des parents en revenant cette fois sur l'importance de l'élément matériel ; celui-ci nécessite un déséquilibre des prestations, soit l'absence de contrepartie équivalente au profit du disposant. En ne recherchant pas si l'occupation gratuite concédée à la descendante ainsi qu'à sa famille ne trouvait pas sa contrepartie dans le paiement par elle de certaines dépenses pourtant établies, la cour d'appel méconnaît la teneur de l'élément matériel qui ne serait, dans tous les cas, pas suffisant à qualifier l'acte de donation en l'absence d'intention libérale. Enfin, la prétention relative aux travaux financés sur le logement par les ascendants, postérieurement à la donation gratifiant la fille de la nue-propriété du bien, et à la qualification de donation rapportable est rejetée au motif qu'aucune intention libérale n'a, à nouveau, été recherchée. Voilà, incontestablement, un énergique rappel de la complémentarité des critères ! Il faut saluer la Cour de cassation de cette démarche qui contribue à sauvegarder la cohérence de la notion de libéralité. Les enjeux sont, en effet, non négligeables, quand on connaît l'importance et le caractère contraignant du régime successoral. Mais, ce n'est pas là le seul apport des décisions du 18 janvier 2012, qui insistent sur l'importance de l'intention libérale et sur la délicate question de la preuve de son existence.

B - La preuve de l'intention gratifiante, nécessaire à la qualification libérale

Comme c'est souvent le cas en présence de litiges catégoriques relatifs à la libéralité, les difficultés se concentrent essentiellement, dans les affaires qui nous intéressent, sur l'existence de l'élément psychologique. La conjonction des critères, indispensable à la qualification, rend impérieuse la recherche de leur existence. Or, la preuve de l'intention libérale peut se révéler bien délicate à apporter, par comparaison avec le déséquilibre des prestations qui demeure une référence tangible. Si c'est en principe à celui qui se prévaut de la nature libérale d'un acte d'en établir les éléments constitutifs, les juges du fait ont, en la matière, l'obligation d'analyser les conventions et de conclure à leur qualification onéreuse ou gratuite. Pour ce faire, ils doivent également se prononcer sur l'existence de l'intention libérale en procédant à l'interprétation de la volonté des parties. Sur cette question, la position de la Cour de cassation est claire : la complémentarité des deux critères ne conduit pas à leur ôter leur indépendance et, corrélativement, les juridictions du fond ne peuvent déduire de l'existence de l'un celle de l'autre en éludant la recherche effective de la présence du second élément. Ce raisonnement se comprend aisément, sauf à ruiner le potentiel catégorique de l'un des critères.

On le retrouve dans un arrêt du 14 février 1989 (22). Un litige opposait des époux à l'administration fiscale au sujet de la taxation d'un acte, dépendante de sa nature juridique. Les conjoints avaient acquis auprès d'un tiers la nue-propriété de plusieurs biens, l'acte stipulant que le prix de la vente consisterait dans l'entretien de la venderesse par les acquéreurs, lequel se matérialiserait dans une cohabitation à laquelle il pouvait à tout moment être mis fin par la bénéficiaire, moyennant versement d'une rente viagère à son profit. L'administration fiscale contesta la qualification onéreuse de l'acte et soumit ce dernier aux droits de mutation à titre gratuit. Les époux furent déboutés de leur demande de requalification au motif que les prestations respectives des parties n'étaient pas objectivement équivalentes, le déséquilibre manifestant, alors, de lui-même, l'intention libérale. La Cour de cassation vint, opportunément, infirmer la décision, les premiers juges n'ayant aucunement à déduire du déséquilibre constaté entre les engagements respectifs des parties l'existence d'une intention libérale. L'idée a, par ailleurs, été reprise par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (23).

La première chambre civile de la Cour de cassation vient, à nouveau, en faire application le 18 janvier 2012. Dans la première espèce, la Haute juridiction approuve les juges d'appel d'avoir rejeté la qualification d'avantage indirect après avoir établi l'absence d'intention libérale. Les diligences requises au plan probatoire ont, en ce cas, été mises en oeuvre. Dans la deuxième situation, la cassation intervient au motif que la cour d'appel n'a pas, par mauvaise interprétation des effets de la libéralité entre époux sur la titularité de la propriété du bien objet de l'occupation gratuite, recherché si l'hébergement pouvait constituer une libéralité. On notera que la Cour de cassation prend ici la peine de préciser que la qualification de donation nécessite la preuve de l'intention libérale. La dernière affaire met encore davantage en lumière le contrôle opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation sur les procédés utilisés par les juridictions du fond dans la recherche des éléments catégoriques. A deux reprises, dans cette espèce, ces derniers avaient retenu la nature libérale de certains actes sur la seule constatation de l'élément matériel. La censure apparaît, dès lors, totalement justifiée.

L'année 2012 sera, peut-être, celle, en jurisprudence, du droit patrimonial de la famille. Dans tous les cas, il faut saluer ces trois décisions qui sont particulièrement bienvenues parce qu'elles viennent rendre une certaine cohérence au régime successoral de la libéralité, en même temps qu'elles insistent sur les éléments catégoriques de l'acte, qui assurent la solidité de la notion.


(1) La définition est celle de Mme Barabé-Bouchard, Occupation gratuite d'un logement par un héritier - De la dispense systématique de rapport au rapport systématique ?, JCP éd. N, 2006, n° 1220, p. 1150.
(2) Par exemple : Cass. civ. 1, 19 novembre 1968, JCP, 1969, II, n° 15899, note M. D. ; Defrénois, 1969, art. n° 29304, note J. Mazeaud ; Cass. civ. 1, 19 novembre 2002, n° 00-18.339, FS-P (N° Lexbase : A0474A4C), D., 2003, p. 1590, note S. Mirabail ; JCP éd. G, 2003, I, n° 180, n° 6, obs. R. Le Guidec.
(3) Cf. Cass. civ. 1, 10 mai 1995, n° 93-15.187 (N° Lexbase : A4978ACD), D., 1996, p. 262, note R. Tendler ; Defrénois, 1996, art. 36422, note J. De Saint Affrique ; RTDCiv., 1995, p. 662, obs. J. Patarin ; JCP éd. G, 1996, n° 3968, obs. R. Le Guidec.
(4) Voir sur ce point : R. Savatier, Rôle constructif de la jurisprudence en matière de rapport dans les partages - application au rapport du droit au bail ou d'occupation sur un immeuble, JCP éd. N, 1969, I, n° 2214.
(5) Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 03-13.890, P+B (N° Lexbase : A5927DL4), D., 2006, p. 2073, obs. M. Nicod ; V. Barabé-Bouchard, précité, p. 1150 ; JCP éd. N, 2008, n° 1063, p. 23 obs. R. Le Guidec ; RJPF, 2006, p. 34 obs. J. Casey.
(6) Les termes sont de M. Nicod, précité., p. 2074.
(7) Pour des développements plus complets, voir notre thèse : S. Deville, L'objet de la libéralité, th. Toulouse, 2009, n° 184 et s.
(8) En sens contraire toutefois : M. Grimaldi, Successions, Litec, 6ème éd., 2001, p. 658. L'auteur énonce que l'objectif du rapport est de rétablir l'égalité sans recherche préalable de l'origine, volontaire ou pas, du déséquilibre.
(9) En ce sens, V. Barabé-Bouchard précité., n° 14 et 15 notamment ; M. Nicod, précité., p. 2074.
(10) Cass. civ. 1, 3 octobre. 2010, Cass. civ. 1, 3 mars 2010, n° 08-20.428, F-P+B (N° Lexbase : A6490ES8) ; Rev. Dr. Fam, 2010, n° 62, p. 29, note B. Beignier ; RTDCiv., 2010, p. 604, obs. M. Grimaldi ; AJ Fam. D., 2010, p. 236, obs. F. Bicheron ; JCP éd. N, 2010, 1184, note V. Barabé-Bouchard ; JCP éd. N, 2011, n° 18, p. 38, obs. R. Le Guidec ; Defrénois, 2011, n° 7, p. 721, note B. Vareille ; Rev. Lamy Dr. Civil, 2010, n° 71, p. 50, obs. E. Pouliquen ; Gaz. pal., 2010, n° 314-315, p. 49, note. J. Casey.
(11) Cf. B. Beignier, précité.
(12) Cf. M. Grimaldi, précité., p. 606.
(13) Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-16.813 (N° Lexbase : A9935ABL), D., 1997, p. 607, note V. Barabé-Bouchard ; Defrénois, 1997, p. 1136, note Ph. Malaurie ; JCP éd. G, 1998, I, 133, n° 8, obs. R. Le Guidec ; RTDCiv., 1997, p. 480, obs. J. Patarin ; D., 1999, p. 155, note I. Najjar.
(14) Cf. C. civ., art. 851, alinéa 2, précité.
(15) Voir notamment : J. Carbonnier, P. Catala, J. De Saint-Affrique, G. Morin, Des libéralités, une offre de loi, Defrénois, 2003.
(16) Bien que plusieurs conceptions de l'intention libérale aient pu autrefois exister, c'est aujourd'hui la théorie dite moderne, par opposition à la conception puriste, qui est consacrée. L'intention libérale est celle d'avantager autrui, la satisfaction d'un intérêt purement moral pour le disposant n'étant pas exclusive de la qualification. Ceci étant, voir, pour une décision isolée consacrant la théorie puriste : Cass. civ. 1, 1er mars 1988, n° 86-13.158 (N° Lexbase : A6878AAY).
(17) Voir, principalement : L. Josserand, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, 1928, réédition CNRS, 1984 ; J. Hamel La notion de cause dans les libéralités, Paris, 1920.
(18) J.-J. Dupeyroux, Contribution à la théorie générale de l'acte à titre gratuit, Toulouse, 1955.
(19) Notamment : H. Méau-Lautour, La donation déguisée en droit privé français. Contribution à l'étude générale de la donation, LGDJ, T. 184, 1985.
(20) Cass. civ. 1, 4 novembre 1981, n° 80-12.255 (N° Lexbase : A9445ATY).
(21) Voir, sur la question : Cass. civ. 1, 25 février 2009, n° 07-20.010, F-P+B (N° Lexbase : A3927EDS), Defrénois, 2009, n° 1598 ; JCP éd. N, 2009, n° 45, p. 20, obs. F. Sauvage ; RTDCiv., 2009, p. 559, obs. M. Grimaldi. La liste n'est pas exhaustive.
(22) Cass. civ. 1, 14 février 1989, n° 87-14.205 (N° Lexbase : A8940AAD), Defrénois, 1992, p. 181, note A. Chappert ; RTDCiv., 1989, p. 799 obs. J. Patarin. Voir aussi : Cass. civ. 1, 17 janvier 1995, n° 93-11.412 (N° Lexbase : A6285AHA), D., 1995, p. 585, note S. Aubert.
(23) Cass. com., 4 décembre 1990, n° 88-18.566 (N° Lexbase : A4379AC8).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Réforme de la territorialité de la TVA : critères de détermination du siège de l'activité du preneur en matière de prestations de services

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 9 février 2012, n° 330852, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3376ICZ)

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

Le 21 Mars 2012

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt en date du 9 février 2012, juge qu'en se fondant de façon déterminante sur le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par la société requérante établie en France, tel que révélé notamment par l'étendue du territoire pour lequel la concession était accordée, la monnaie de la redevance et le droit régissant la convention de concession, pour en déduire que cette prestation se situait en France pour l'application de la TVA, au lieu de rechercher le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de cette prestation, après avoir apprécié le caractère divisible ou indivisible de celle-ci, au regard des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour administrative d'appel de Nancy a méconnu les dispositions de l'article 259 B du CGI (N° Lexbase : L1676IPR).

Les faits dans cette affaire sont les suivants : une société a conclu, le 19 juin 2000, avec deux particuliers, une convention de concession de la licence d'exploitation exclusive de produits désodorisants correspondant au brevet n° 5.678.763, sur le territoire du Canada, des Etats-Unis et du Mexique. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société, l'administration fiscale lui a notifié divers redressements, dont l'un résultait de l'assujettissement à la TVA de la redevance, d'un montant de 100 000 dollars (75 900 euros), versée par les particuliers au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000, au motif que cette concession de brevet devait être regardée comme une prestation de services effectuée pour un preneur établi en Allemagne. Par un arrêt du 25 juin 2009, la cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 2ème ch., 25 juin 2009, n° 08NC01306, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1911EKY), faisant droit à l'appel de la société, l'a déchargée des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2000. Le ministre a relevé appel de cet arrêt ; le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy. La transposition en droit interne des Directives 2008/8/CE du 12 février 2008 (N° Lexbase : L8139H3T) et 2008/117/CE du 16 décembre 2008 (N° Lexbase : L6898ICH), par l'article 102 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, de finances pour 2010 (N° Lexbase : L1816IGD), entrée en vigueur le 1er janvier 2010, a modifié les règles relatives au lieu des prestations de services. L'apport de l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 février 2012 pour l'application des règles de territorialité en matière de prestation de services est de préciser les critères selon lesquels une prestation sur le plan économique peut être décomposée et de rappeler que c'est le lieu d'établissement du preneur qui permet de localiser le lieu de réalisation de la prestation ; l'arrêt précise aussi les critères de détermination du siège de l'activité du preneur en matière de prestation de services. Lorsque l'on détermine le siège de l'activité économique du preneur au sens des dispositions de l'article 259 B du CGI, il convient de rechercher le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale. En conséquence, le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation ne peut être, à lui seul, un critère de rattachement territorial pour l'assujettissement à la TVA du preneur.

I - La seule circonstance qu'une prestation de service soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne saurait permettre de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes

Une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée, pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.

A - La prise en compte de la réalité économique constitue un critère fondamental pour l'application du système commun de TVA

La réalité économique est un critère fondamental du système commun de TVA, ainsi que le juge la Cour de justice de l'Union européenne, dans des décisions en date du 20 février 1997 (CJUE, 20 février 1997, aff. C-260/95 N° Lexbase : A9911AUM) et du 28 juin 2007 (CJUE, 28 juin 2007, aff. C-73/06 N° Lexbase : A9310DWQ). La Directive de 2006, en son article 2-1, prévoit qu'en principe chaque opération doit être considérée comme distincte et indépendante. De plus, la Cour de justice est venue préciser qu'une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. Dans un arrêt du 27 octobre 2005 (CJUE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 N° Lexbase : A0986DL4), la CJUE juge en effet qu'une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.

Pour l'application de ces principes, la seule circonstance qu'une prestation soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne permet pas de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes pour l'application des règles de territorialité de la TVA. Dans une telle hypothèse, il convient de vérifier si l'opération réalisée au plan économique constitue une succession d'opérations dissociables ou une opération unique complexe. Ainsi, lorsqu'une prestation de services est effectuée au profit d'un preneur qui est une entité économique composée de plusieurs personnes et que cette prestation constitue une opération économique indivisible, le critère fondamental de prise en compte de la réalité économique s'oppose à ce que cette prestation soit artificiellement décomposée pour l'application des règles de la territorialité de la TVA en plusieurs prestations de services rendues aux différentes personnes composant l'entité économique preneuse. Ce principe a une portée large puisque plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément, doivent être considérées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes (CJUE, 21 février 2008, aff. C-425/06 N° Lexbase : A0006D7D ou CJUE, 11 juin 2009, aff. C-572/07 N° Lexbase : A1894EIY). Dans tous les cas, c'est à partir d'une analyse objective des éléments ou actes fournis et de leurs liens que l'on détermine si l'opération est ou non indissociable.

B - Lorsque la prestation est rendue au profit de plusieurs preneurs, il y a lieu de rechercher si ladite prestation est divisible

L'article 259 B du CGI définit, pour les prestations qu'il énumère, les règles de territorialité pour la TVA. La localisation en France ou en-dehors de France d'une prestation mentionnée par cet article dépend ainsi uniquement en-dehors des hypothèses prévues par l'article 259 C du même code (N° Lexbase : L3115IGH), des lieux d'établissement du preneur et du prestataire ainsi que de la qualité d'assujetti du preneur, et non du lieu de l'exécution matérielle de la prestation. Depuis le 1er janvier 2010, le nouvel article 259 du CGI (N° Lexbase : L2727IG4) retient un principe renouvelé selon lequel le lieu des services fournis à des preneurs assujettis au sens de l'article 259-0 du CGI (N° Lexbase : L2892IG9) est situé au lieu d'établissement du preneur, quel que soit le lieu d'établissement du prestataire, ces relations sont dites "B to B" c'est-à-dire "Business to Business". L'administration a commenté ces règles dans une instruction en date du 4 janvier 2010 (BOI 3 A-1-10 N° Lexbase : X6757AGD).

La prise en compte de la réalité économique suppose une analyse du caractère divisible ou non de la prestation. En effet, lorsqu'une prestation de services est effectuée au profit d'un preneur qui est une entité économique composée de plusieurs personnes, il y a lieu de rechercher si la prestation présente un caractère divisible qui permettrait de la décomposer en plusieurs prestations distinctes dont chacune devrait être localisée en fonction du lieu d'établissement du prestataire et du lieu d'établissement de son preneur, ou si elle doit être regardée comme une prestation indivisible rendue au profit d'une entité économique unique. Lorsque la prestation constitue une opération indivisible, le preneur de la prestation doit alors être regardé comme une entité économique distincte des personnes qui le composent, alors même que cette entité n'aurait pas la personnalité morale.

Pour la détermination du lieu d'une prestation de services, lorsque le preneur dispose de plusieurs établissements, le siège de l'activité économique apparaît comme le point de rattachement prioritaire.

II - Le lieu des prestations de services fournies par un prestataire établi en France à un preneur assujetti établi à l'étranger est situé dans le pays du preneur

La règle de territorialité des prestations de services repose sur une détermination renouvelée de la détermination du siège de l'activité économique du preneur.

A - Le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de la prestation de services est le critère prépondérant pour l'application des règles de territorialité

La détermination du siège de l'activité économique de l'entité preneuse en vertu des dispositions de l'article 259 B du CGI est le critère de territorialité essentiel pour l'application de la TVA. L'arrêt commenté rappelle ce point et précise qu'il convient de rechercher le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale aux fins de déterminer le siège de l'activité économique de l'entité preneuse au sens des dispositions de l'article 259 B du CGI. Pour l'application de ce même article, dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2009, une instruction administrative du 31 janvier 1979 (BOI 3 L-1-79) et la documentation de base 3 L-52 n° 13 du 10 mai 1996 précisaient que, par "siège de l'activité", il fallait entendre le lieu d'exploitation où l'intéressé exerçait l'ensemble de son activité, et que, dans l'hypothèse où l'activité était exercée dans des lieux différents, il convenait de se référer à la notion d'établissement, dans la mesure où celui-ci présentait un caractère de stabilité.

C'est à la technique du faisceau d'indices que recourt le Conseil d'Etat pour la détermination du lieu du siège de l'activité économique d'un assujetti à la TVA. Ces indices permettant de déterminer le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale peuvent être le siège statutaire de la société, le lieu de son administration centrale, le lieu de réunion de ses dirigeants sociaux et celui où est arrêtée la politique générale de cette société. En l'espèce, dans son arrêt du 9 février 2012, le Conseil d'Etat juge qu'en se fondant de façon déterminante sur le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par la société établie en France, tel que révélé notamment par l'étendue du territoire pour lequel la concession était accordée, la monnaie de paiement de la redevance et le droit régissant la convention de concession, pour en déduire que cette prestation se situait en France pour l'application de la TVA au lieu de rechercher le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de cette prestation, après avoir apprécié le caractère divisible ou indivisible de celle-ci au regard des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour a méconnu les dispositions de l'article 259 B du CGI. Le lieu où sont adoptées les décisions essentielles peut être la direction générale de la société, lieu où sont exercées les fonctions d'administration centrale de celle-ci.

B - Le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation n'est désormais que l'un des critères de rattachement territorial à retenir

Le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par une société établie en France n'est plus le critère pertinent pour rechercher le lieu d'établissement du ou des preneurs. La circonstance que le lieu à partir duquel les activités de la société sont effectivement exercées ne soit pas situé dans un Etat membre n'exclut d'ailleurs pas pour autant la possibilité que la société y ait établi le siège de son activité économique (CJUE, 28 juin 2007, aff. C-73/06 N° Lexbase : A9310DWQ).

L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 9 février 2012 fait du lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation un critère parmi d'autres d'un faisceau d'indices sur lequel il convient de s'appuyer pour mettre en oeuvre les règles de territorialité : si le lieu d'exploitation peut constituer, en fonction des circonstances, un indice concourant à la détermination du siège de l'activité économique du ou des preneurs, il ne peut être, à lui seul, un critère de rattachement territorial pour l'assujettissement à la TVA de ce ou de ces preneurs. Ce faisant, le Conseil d'Etat se place dans le prolongement, notamment, de la position de la CJUE, tel qu'édictée dans un arrêt du 19 février 2009 (CJUE, 19 février 2009, aff. C-1/08 N° Lexbase : A2882ED4).

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