La lettre juridique n°836 du 17 septembre 2020

La lettre juridique - Édition n°836

Avocats/Procédure pénale

[Brèves] Conséquence du départ de l’avocat au cours du débat contradictoire préalable à la détention provisoire…

Réf. : Cass. crim., 8 septembre 2020, n° 20-82.470, F-P+B+I (N° Lexbase : A55093T9)

Lecture: 4 min

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par Marie Le Guerroué

Le 30 Septembre 2020

► Le juge des libertés et de la détention doit, après comparution de l’intéressé devant lui et malgré le départ de la défense au cours du débat contradictoire, statuer immédiatement sur le placement en détention provisoire.

Procédure. Lors du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention estimant que le conseil du mis en examen était « menaçant tant à l'égard de Madame la procureure qu'à son égard », avait suspendu quelques instants l’audience « pour plus de sérénité ». La défense de l’intéressé l’ayant informé qu'elle n'assisterait pas le mis en examen à l’issue de la suspension d’audience, le juge des libertés et de la détention, après avoir repris celle-ci, a constaté l'absence de l'avocat et entendu le mis en examen qui lui a déclaré : « Je suis désolé de son comportement […], ce n'était pas voulu de ma part. Je ne comprends pas pourquoi je suis là c'est aux marseillais d'être là, j'ai ma fille et j'ai mon travail. [Mon avocat] a été désigné par ma famille. Je ne veux pas qu'on m'en tienne rigueur. J'ai une fille de 24 jours, je croyais bien faire c'est les marseillais qui sont venus à Perpignan ». Le juge des libertés et de la détention avait différé le débat contradictoire puis cinq jours plus tard avait placé le mis en examen en détention provisoire. Ce dernier forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a refusé d’annuler l’ordonnance de placement en détention provisoire.

Décision de la chambre de l’instruction. Pour écarter la demande d’annulation de l’ordonnance d’incarcération provisoire et du débat contradictoire, la chambre de l’instruction, après avoir rappelé les dispositions de l’article 145, alinéa 7, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2791KGH) énonce que si le juge des libertés et de la détention pouvait statuer sur le placement en détention en l'absence de l'avocat, le magistrat pouvait aussi valablement considérer qu'il était saisi de la sollicitation d'un débat différé par la personne mise en examen. Elle ajoute que le départ de l'avocat pendant le débat contradictoire laissant la personne mise en examen sans avocat choisi, alors que la désignation d'un avocat d'office s'avérait impossible en raison de la grève des avocats, ainsi que les observations formulées par le mis en examen s'analysent nécessairement comme une sollicitation d'un délai pour préparer sa défense laquelle n'est soumise à aucune condition de forme particulière. Elle en déduit que le juge des libertés et de la détention a pu valablement considérer qu'il était saisi d'une demande de débat différé par le mis en examen même si elle était exprimée dans des termes non juridiques : « je suis désolé de son comportement.. je ne veux pas que l'on m'en tienne rigueur... » la loi n'interdisant pas que la demande soit présentée à tout moment, notamment pendant le débat contradictoire. Elle ajoute que le juge des libertés et de la détention a statué avec impartialité, les observations du mis en examen pouvant témoigner d'une crainte que le magistrat statue sur son placement en détention avec partialité à son encontre en adoptant la thèse du ministère public en l'absence de son avocat.

Réponse de la Cour. La Cour rappelle, d’abord, qu’aux termes de l'article 145, alinéas 7, 8 et 9, du Code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention ne peut différer le débat contradictoire et prescrire l’incarcération de la personne mise en examen que lorsque cette dernière ou son avocat sollicite un délai pour préparer sa défense, où de sa propre initiative afin qu’il soit procédé à des vérifications. En se déterminant comme elle l’a fait, la chambre de l’instruction a méconnu le texte précité et le principe ci-dessus rappelé, alors qu’il résulte de ses propres énonciations et de celles du juge des libertés et de la détention que la personne mise en examen n’a pas sollicité le report du débat contradictoire. En effet, le juge des libertés et de la détention doit, après comparution de l’intéressé devant lui et malgré le départ de la défense au cours du débat contradictoire, statuer immédiatement sur le placement en détention provisoire.

Cassation. La Cour casse et annule, par conséquent et en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 mars 2020.

 

► Observations à paraître par H. Diaz, Lexbase Avocats, octobre 2020, n° 307.

► Pour aller plus loin : N. Catelan, ÉTUDE : Les mesures de contrainte au cours de l’instruction : contrôle judiciaire, assignation à résidence et détention provisoire, La procédure de placement en détention provisoire in, Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier) (N° Lexbase : E5051Z3H).

 

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Bancaire

[Brèves] Rôle du juge pour apprécier le caractère abusif de la clause visant le calcul du taux conventionnel sur une année de 360 jours

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.934, FS-P+B (N° Lexbase : A55083T8)

Lecture: 9 min

N4528BYD

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 16 Septembre 2020

► Il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les intérêts conventionnels liés à un prêt ont longtemps suscité une interrogation : est-il possible de les calculer en se fondant, non pas sur une année civile de 365 ou 366 jours, mais sur une année théorique de 360 jours (correspondant à 12 mois de 30 jours chacun), plus connue sous l’expression d’année « lombarde » ? Jusqu’à une date récente, la position de la Cour de cassation était simple. D’abord, si le crédit concerné avait une finalité professionnelle, cette méthode de calcul était parfaitement admise (Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, FS-P+B N° Lexbase : A2120EEA). En revanche, si le crédit était destiné à un consommateur, le recours à l’année « lombarde » n’était pas possible (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I N° Lexbase : A2042KH4). En procédant de la sorte, la banque prêteuse s’exposait à la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et à la substitution du taux légal.

Cette dernière solution a connu une remise en cause notable à la suite de la décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 nov. 2019, n° 18-19.097, FS-P+B+I N° Lexbase : A3629Z48 ; M. Correia, Lexbase Affaires, janvier 2019, n° 619 N° Lexbase : N1750BYH) ayant considéré que l’emprunteur « doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer […] que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3654IPZ» (v. également, Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.875, F-P+B N° Lexbase : A75773IH ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mars 2020, n° 628 N° Lexbase : N2620BYP).

Mais le droit des clauses abusive ne pourrait-il pas utilement s’appliquer ici, et constituer ainsi un autre fondement aux actions éventuellement exercées par les emprunteurs ? Certaines décisions des juges du fond ont répondu à cette question par la positive (CA Limoges, 7 février 2019, n° 18/00156 N° Lexbase : A5126YWR ; CA Besançon, 8 octobre 2019, n° 18/01156 N° Lexbase : A9461ZQH) et d’autres par la négative (CA Lyon, 8 janvier 2019, n° 17/05319 N° Lexbase : A6070YSM ; CA Aix-en-Provence, 12 avril 2018, n° 16/15024 N° Lexbase : A8390XKX).

Faits et procédure. Dans l’affaire qui nous occupe, la banque A. avait consenti à M. X. et Mme Y. deux prêts destinés à l’acquisition d’un bien immobilier, le premier ayant fait l’objet d’un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015. Soutenant que la clause du contrat qui prévoyait un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs avaient assigné la banque en substitution de l’intérêt légal et remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.

La banque faisait alors grief, par l’intermédiaire de son pourvoi en cassation, à la décision de la cour d’appel de Limoges (CA Limoges, 7 février 2019, n° 18/00156, préc.) d’avoir déclaré abusive et non-écrite la clause de calcul des intérêts pendant la phase d'amortissement, de l’avoir condamné à restituer la différence entre le montant des intérêts conventionnels versés au titre des prêts et le montant des intérêts au taux légal, et d’avoir ordonné la substitution de l’intérêt légal pour les échéances à venir.

Décision. La Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 février 2019 par la cour d’appel en question.

Selon la décision étudiée, il résulte de l’article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6478ABK), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A) - devenu C. consom., art L. 212-1 (N° Lexbase : L3278K9B) - que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Il en résulte qu’il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, « d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

Or, pour déclarer abusive la clause du contrat de prêt selon laquelle, durant la phase d’amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d’intérêt mentionné dans l’acte sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la stipulation qui faisait référence à un calcul des intérêts sur une durée de 360 jours et non d’une année civile de 365 jours privait les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu’elle présentait comme telle un caractère abusif, quelle que soit l’importance de son impact réel et qu’elle doit être déclarée non écrite. Dès lors, en statuant de sorte, la cour d’appel avait violé l’article L. 132-1 précité.

Cette solution témoigne une nouvelle fois de l’hostilité actuelle de la première chambre civile de la Cour de cassation aux actions menées par les emprunteurs contre prêts dont les intérêts conventionnels ont été calculés en se fondant sur une année théorique de 360 jours (v. not., Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-19.151, F-D N° Lexbase : A0000ZRG ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-19.097, préc. ; Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.875, préc. ; Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.858, F-D N° Lexbase : A76623IM) et plus largement contre toutes les actions reposant sur un problème lié à l’intérêt du prêts (concernant le taux effectif global erroné, v. Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NQ ; G. Biardeaud, Lexbase Affaires, juin 20202, n° 640 N° Lexbase : N3804BYK - Cass. civ. 1, avis, 10 juin 2020, n° 20-70.001 N° Lexbase : A59493NN - Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-16.401, FS-P+B+I N° Lexbase : A54203N3 ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 639 N° Lexbase : N3725BYM - Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-12.984, FS-P+B+I N° Lexbase : A53753NE ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 639 N° Lexbase : N3727BYP ; et concernant la mention du taux de période, v. Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 18-26.769, FS-P+B+I N° Lexbase : A37973DY - Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 19-11.939, FS-P+B+I N° Lexbase : A37973DY ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, février 2020, n° 624 N° Lexbase : N2196BYY ; concernant l’application d’un taux devenu négatif, Cass. civ. 1, 25 mars 2020, n° 18-23.803, FS-P+B N° Lexbase : A06053MD ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2020, n° 636 N° Lexbase : N3458BYQ).

Mais peut-on dire pour autant, comme nous avons pu le lire sur un site internet, que : « La Cour de cassation vient de confirmer que n’est pas abusive la clause prévoyant que les intérêts d’un prêt sont calculés sur la base d’une année de 360 jours et d’un mois de 30 jours (clause 30/360) ». Nous ne le pensons pas. D’une part, la précédente décision visée (en l’occurrence Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.858, préc.) n’avait pas dit cela, puisqu’il était simplement reproché à l’emprunteur de n’avoir pas démontré que la clause en question « créerait un déséquilibre significatif à son détriment ». D’autre part, dans l’arrêt étudié, il n’est pas dit non plus que cette même clause serait intrinsèquement abusive.

Le seul élément notable de cette décision est qu’il est demandé au juge de faire une appréciation des effets de la clause « sur le coût du crédit », afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Une appréciation au cas par cas par les juges du fond est donc recommandée. Il appartiendra, par conséquent, à la juridiction de renvoi, en l’occurrence la cour d’appel de Poitiers, de se prononcer sur ce point.

Dans tous les cas, nous ne serions pas surpris que cette question rejaillisse, dans quelques années, devant la Cour de justice de l’Union européenne. Le débat est loin d’être clos.

Cet arrêt fera l’objet d’un commentaire de Gérard Biardeaud dans Lexbase Affaires du 1er octobre 2020.

 

newsid:474528

Collectivités territoriales

[Brèves] Non-conformité à la Constitution de la condition de paiement préalable pour la contestation des forfaits de post-stationnement

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 (N° Lexbase : A02143T4)

Lecture: 2 min

N4489BYW

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par Yann Le Foll

Le 16 Septembre 2020

La condition de paiement préalable pour la contestation des forfaits de post-stationnement posée par l’article L. 2333-87-5 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : A02143T4) n’est pas conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 N° Lexbase : A02143T4, sur renvoi du CE, 10 juin 2020, n° 433276 N° Lexbase : A71103NN).

Grief. Il était notamment reproché à ces dispositions par la requérante de subordonner la recevabilité des recours contre les décisions individuelles mettant à la charge d'un justiciable un forfait de post-stationnement au paiement préalable, par l'intéressé, du montant de ce forfait et de son éventuelle majoration, sans prévoir aucune exception. La requérante dénonçait à ce titre une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. De son côté, le législateur entendait, dans un but de bonne administration de la justice, prévenir les recours dilatoires dans un contentieux exclusivement pécuniaire susceptible de concerner un très grand nombre de personnes.

Position des Sages. Il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction. Cependant, si, conformément à l'article L. 2333-87 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3267IZZ), le montant du forfait de post-stationnement ne peut excéder celui de la redevance due, aucune disposition législative ne garantit donc que la somme à payer pour contester des forfaits de post-stationnement et leur majoration éventuelle ne soit pas d'un montant trop élevé.

En outre, le législateur n'a apporté à l'exigence de paiement préalable desdits forfaits et majorations aucune exception tenant compte de certaines circonstances ou de la situation particulière de certains redevables.

Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que le législateur n'a pas prévu les garanties de nature à assurer que l'exigence de paiement préalable ne porte pas d'atteinte substantielle au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif. Par ces motifs, il déclare contraires à la Constitution les dispositions contestées.

newsid:474489

Contrats et obligations

[Jurisprudence] La force majeure est-elle résistante à la Covid-19 ?

Réf. : CA Paris, 28 juillet 2020, n° 20/06676 (N° Lexbase : A98643RR), n° 20/06675 (N° Lexbase : A98753R8) et n° 20/06689 (N° Lexbase : A97463RE)

Lecture: 15 min

N4508BYM

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par Dimitri Houtcieff, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Saclay, Vice-Doyen de la Faculté d'Evry Val d'Essonne, Chargé des relations internationales, Directeur de l'Institut d'Etudes Judiciaires

Le 16 Septembre 2020

 

 

Mots clés : force majeure • clause contractuelle • Covid-19 • impossibilité d'exécution • définition conventionnelle • conditions économiques • suspension des obligations

La clause contractuelle définissant la force majeure est d’une acception manifestement plus large que la notion telle qu’elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat, puisqu’elle fait référence à l’impossibilité d’exécuter dans des conditions économiques raisonnables. Il en ressort qu’au regard des éléments de la cause (définition contractuelle de la force majeure, nature de l’événement allégué) il n’apparaît pas que la réalité d’un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l’évidence requise en référé.


Il n’est pas besoin d’être docteur en médecine pour deviner que le gonflement du contentieux de la force majeure sera l’un des symptômes majeurs de la Covid-19 en matière contractuelle [1]. La crise sanitaire a rendu l’exécution de nombre de contrats si difficile que certaines décisions ont admis le jeu de la force majeure [2] : trois arrêts rendus le même jour par la cour d’appel de Paris s’inscrivent dans cette tendance.

Les faits de ces trois espèces sont suffisamment proches pour que l’on puisse en faire une brève et unique recension. Conformément au dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), des sociétés ayant pour objet la fourniture d’énergie à destination des grands consommateurs et de sites industriels avaient conclu avec la société EDF un accord-cadre conforme au modèle type défini par arrêté du Ministre chargé de l’Energie [3]. Ces fournisseurs d’énergie s’engageaient à acheter à EDF un volume d’énergie déterminé en fonction des prévisions de consommations de leurs clients pour un prix fixe de 42 euros le Mwh. L’article 13.1 des conventions précisait que l’accord serait suspendu en cas de force majeure, entendue comme « un événement extérieure, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Le confinement entraîna une diminution de la consommation d’électricité, notamment par les sites industriels : le prix de l’énergie subit une forte baisse sur les marchés de gros. Conformément à la procédure définie par l’accord-cadre, les fournisseurs d’énergie notifièrent la mise en œuvre de la clause de force majeure à EDF, se prévalant de la suspension de leurs obligations pour une période indéterminée. EDF s’opposa à cette demande, faisant valoir que les critères de la force majeure n’étaient pas remplis, dès lors que ses contractants n’étaient pas dans « l’impossibilité totale d’exécuter [leur] obligation contractuelle soit le paiement des volumes notifiés […] ». Les fournisseurs d’énergie assignèrent EDF en référé d’heure à heure, afin de voir déclarer acquise la clause de force majeure. Par trois ordonnances du président du tribunal de commerce de Paris rendues sensiblement dans les mêmes termes [4],  le juge des référés estima que les conditions de la clause de force majeure étaient remplies. Dès lors, EDF interjeta appel. Les trois arrêts commentés ici confirment, pour l’essentiel, ces ordonnances : ils admettent, ainsi, le jeu de la clause de force majeure. Selon la cour d’appel de Paris, dès lors que les formes requises pour sa mise en œuvre avaient été respectées, la clause de force majeure avait « à l’évidence un effet automatique, charge pour la partie contestant la réalité de la force majeure alléguée de justifier que l'événement invoqué ne constitue manifestement pas un tel cas, et ce avec l'évidence requise en référé, de sorte que la seule solution ultérieure devant les juges du fond ne pourra être que la constatation que cette clause a été mise en œuvre à tort ». Il appartenait, ainsi, « à EDF d’établir que la force majeure alléguée était manifestement insusceptible d’être caractérisée en l’espèce, tout autre appréciation sur ce point relevant des juges du fond ». À en croire la juridiction, la clause était donc claire « en ce que la définition de la force majeure, invocable par l'une ou l'autre des parties, se fait sans considération des obligations leur incombant, qu'elles soient pécuniaires, d'approvisionnement ou de fourniture ». La définition était, en outre, d'une acception manifestement plus large que la notion telle qu'elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat, puisqu'elle fait référence à l'impossibilité d'exécuter « dans des conditions économiques raisonnables ». Ainsi, la cour d’appel de Paris a considéré qu’il n’apparaissait pas « que la réalité d'un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l'évidence requise en référé ».

Si ces décisions témoignent d’une faveur compréhensible à l’égard de contractants victimes des conséquences de la crise sanitaire, elles n’en demeurent pas moins critiquables : sous couvert de l’application d’une clause claire, la cour d’appel n’a pas hésité à s’appuyer sur une interprétation plus que contestable de la stipulation litigeuse (I). Ces trois arrêts ne sont, ainsi, que des décisions d’espèce, dont on se gardera de tirer trop d’enseignements quant à la notion de force majeure : cette dernière devrait, en effet, rester largement insensible à l’influence de la Covid-19 (II).

I. La mise en œuvre contestable de la clause de force majeure

Les décisions rapportées reposent sur une mise en œuvre doublement contestable de la clause de force majeure contenue dans l’accord-cadre considéré : non seulement la stipulation en cause n’était pas suffisamment claire pour se dispenser d’une interprétation dont le juge des référés n’avait pas le pouvoir (A), mais la cour d’appel n’a pu en faire application qu’au bénéfice d’un renversement contestable de la charge de la preuve (B).

A. La prétendue absence de contestation sérieuse

En matière commerciale comme en droit commun, le référé suppose à la fois l’urgence et l’absence de contestation sérieuse [5]. La première de ces conditions faisait peu de difficultés. Le confinement ayant brutalement fait chuter la consommation d’électricité, les fournisseurs étaient tenus d’acheter davantage d’énergie qu’ils ne pouvaient en vendre, ceci sans qu’ils puissent la stocker. La situation ne pouvait, donc, se prolonger sans entraîner d’importantes pertes. L’absence de contestation sérieuse était, en revanche, plus douteuse.

La cour d’appel de Paris fait mine de se rallier à une conception des plus classiques de cette notion, affirmant ainsi que « la contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond »  [6]. Cette définition a pour conséquence ordinaire de soustraire l’interprétation du contrat aux pouvoirs du juge des référés, qui ne saurait que faire application des clauses claires. Les décisions rapportées ne disent d’ailleurs pas autre chose : « la lecture de la clause litigieuse doit donc être évidente, le juge des référés ne pouvant interpréter une clause ambiguë », affirment-elles ainsi. À bien y regarder, pourtant, la clause litigieuse était loin d’être suffisamment claire pour dispenser de toute interprétation. La définition de la force majeure en tant qu’« événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables » pouvait, en effet, donner lieu à différentes lectures. La question se posait, par exemple, de savoir si cette clause régissait les obligations monétaires, dont il est généralement admis qu’elles ne donnent guère prise à la force majeure [7]. Surtout, la notion de « conditions économiques raisonnables » était particulièrement équivoque : faut-il entendre ces conditions in abstracto ou bien in concreto, en tenant compte des conséquences liées à la crise sanitaire ? Rien n’indiquait du reste de manière certaine que le prix régulé excédait les coûts de production qui continuaient de peser sur la société EDF durant le confinement. Au vrai, comme le faisait valoir cette dernière, le fait que chacune des parties à l’instance ait proposé sa propre définition de ces « conditions économiques raisonnables » attestait, ainsi, de la nécessité de les interpréter : les juges ont fait mine de l’ignorer.

La cour d’appel de Paris a, ainsi, eu recours à la vieille technique de « l’acte clair » : feignant l’absence d’équivocité de la clause, elle fait, en réalité, prévaloir sa propre interprétation de cette stipulation. À l’en croire, la clause litigieuse était donc claire, « en ce que la définition de la force majeure, invocable par l'une ou l'autre des parties, se fai[sait] sans considération des obligations leur incombant, qu'elles soient pécuniaires, d'approvisionnement ou de fourniture ». La définition contractuelle était ainsi « manifestement plus large que la notion telle qu'elle était retenue en droit civil », dès lors qu’elle faisait référence « à l'impossibilité d'exécuter "dans des conditions économiques raisonnables" ». Cette lecture est évidemment plus que discutable : à supposer que l’évocation de « conditions économiques raisonnables » renvoie à une conception large de la force majeure, elle n’en est que d’autant plus sujette à interprétation. La cour d’appel ne s’arrête cependant pas là : elle n’hésite pas à inverser la charge de la preuve de cette force majeure contractuelle afin de faire application de la stipulation dont elle a délimité les contours.

B. Renversement de la charge de la preuve

Il ne suffisait pas d’une interprétation accorte de la clause de force majeure pour en faire application : encore fallait-il démontrer que ses conditions d’application étaient réunies. Selon l’article 1353 alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK), « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». L’article 1231-1 du même code (N° Lexbase : L0613KZQ) prévoit quant à lui, plus spécifiquement, que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». La charge de la preuve de la force majeure - quand bien même elle serait contractuellement définie - pèse ainsi incontestablement sur le débiteur qui s’en prévaut :  les trois décisions rapportées n’ont pourtant pas craint de renverser ces principes.

Selon la cour d’appel de Paris, « pour aboutir devant le juge des référés, juge de l'évidence, il appartient alors à EDF d'établir que la force majeure alléguée était manifestement insusceptible d'être caractérisée en l'espèce, toute autre appréciation sur ce point relevant du juge du fond ». L’affirmation est particulièrement contestable, qui dispense le débiteur qui ne s’est pas exécuté de rapporter la preuve du fait justificatif. Elle charge, en outre, le créancier d’une preuve négative quasi impossible en lui imposant d’établir que la force majeure est « manifestement » impossible à caractériser ! L’évidence est en quelque sorte retournée contre celui qu’elle aurait dû servir : on ne s’étonnera donc pas de ce que la société EDF ait échoué à rapporter une pareille preuve, conduisant la cour d’appel de Paris à affirmer qu’en « conséquence, au regard des éléments de la cause (définition contractuelle de la force majeure, nature de l'événement allégué) et sans préjudice d'un débat devant le juge du fond, il n'apparaît pas que la réalité d'un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l'évidence requise en référé ».

Les décisions rapportées sont, dès lors, doublement critiquables : d’une part en ce qu’elles se livrent à une interprétation des stipulations litigieuses au lieu d’admettre l’existence d’une contestation sérieuse ; d’autre part en ce qu’elles ne craignent pas de renverser la charge de la preuve de la force majeure. Il importe, cependant, de ne pas exagérer leur portée, qui n’excède pas l’interprétation particulière d’une clause : rien n’indique que la solution aurait été identique s’il s’était agi de faire application de la notion légale de force majeure.

II. La résistance de la notion de force majeure à la Covid-19

La notion de force majeure définie par le Code civil ne devrait pas être altérée par l’épidémie (A). Bien au contraire, elle devrait sortir renforcée de la réforme du droit des contrats et de l’accueil de la révision pour imprévision (B).

A. Innocuité de la force majeure à la Covid-19

Les décisions commentées portant sur l’interprétation d’une clause contractuelle, elles ne doivent pas abuser : l’épidémie de Covid-19 ne devrait pas avoir pour conséquence une appréciation moins rigoureuse qu’hier de la notion de force majeure telle qu’elle est définie par le Code civil. Selon l’article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L0930KZH), comme on sait, « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». Cette disposition renvoie à une conception traditionnelle de la force majeure, classiquement définie par son extériorité, son imprévisibilité et son irrésistibilité. Ces conditions n’ont, à la vérité, guère de raison de souffrir de l’épidémie. L’extériorité ne fait ainsi guère de doute, s’agissant d’une épidémie importée d’un pays lointain. L’imprévisibilité ne pose pas davantage de difficulté, tant l’ampleur et les conséquences de cette pandémie n’auraient pu être anticipées : tout au plus convient-il d’apprécier cette condition à l’aune de la date de conclusion du contrat. Seule la condition d’irrésistibilité pourrait susciter quelques doutes, tant elle est rigoureusement entendue par une jurisprudence constante et univoque. La Cour de cassation a, par exemple, affirmé il y a loin que les « difficultés provenant de la guerre et de l’invasion, les interruptions partielles de fait ou de droit dans les communications » ne relevaient pas de la force majeure [8]. Récemment encore, la même Cour régulatrice considérait que la guerre du Golfe n’a pas non plus été considérée comme un événement insurmontable libérant un organisateur de voyage [9]. L’ampleur de l’épidémie pourrait, ainsi, rendre les juges plus sensibles aux difficultés des débiteurs, au point de les conduire à assimiler une importante difficulté d’exécution à une impossibilité pure et simple : n’est-ce pas la pente qu’a suivie la cour d’appel de Paris dans les arrêts rapportés ?

À notre sens, la dimension de l’épidémie ne devrait pourtant pas conduire à une quelconque inflexion de la jurisprudence. La justification de la rigueur traditionnelle dans l’appréciation de la force majeure n’a, en effet, pas varié : cette cause d’exonération faisant exception à la force obligatoire des contrats en libérant le débiteur de sa prestation, elle ne peut, alors, être admise que de manière restrictive. L’intensité sans précédent de l’épidémie n’y change rien : l’admission plus accorte de la force majeure ne conduirait, d’ailleurs, qu’à reporter sur les créanciers les difficultés des débiteurs. En réalité, cette pandémie n’a guère de raison d’influer sur l’appréciation de la force majeure, mais la réforme du droit des contrats pourrait bien à renforcer la vigueur de la notion.

B. Rigueur renforcée de la force majeure

Si elle se borne formellement à consacrer la conception traditionnelle de la force majeure, la réforme du droit des contrats paraît aussi définitivement en condamner toute conception extensive. La consécration de la révision pour imprévision rend, en effet, difficilement concevable une appréciation affadie de l’impossibilité d’exécuter. En permettant au débiteur d’obtenir une renégociation et d’espérer la révision du contrat en cas de « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat [rendant] l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque », l’article 1195 du Code civil (N° Lexbase : L0909KZP) lui interdit du même coup d’invoquer la force majeure en pareil cas. Paradoxalement, la révision pour imprévision si souvent présentée comme une atteinte à la force obligatoire du contrat apparaît ainsi comme un instrument de son maintien.

Somme toute, ces décisions témoignent moins d’un infléchissement de la notion de force majeure que des dangers des clauses qui l’encadrent, et auxquels les créanciers ont parfois tout à perdre. Loin de sortir affaiblie de l’épidémie, la force majeure pourrait finalement être renforcée par la réforme du droit des contrats. On se gardera, cependant, de toute certitude en cette matière : les décisions rapportées n’attestent-elles pas des dangers qu’il y a parfois à tenter de prévoir l’imprévisible ?

 

[1] V. sur cette question, D. Houtcieff, Droit des contrats, 5ème éd., Bruylant, 2020, n° 1020-1 et s..

[2] T. com. Évry, 1er juillet 2020, n° 2020R0092 (N° Lexbase : A44963TP), GTM Bâtiment c/ Campus Agro, M. Platz, prés. ; Mes Bourgine et Decoux-Laroudie, av., Gaz. Pal., 2020, obs. D. Houtcieff, à paraître ; T. com. Paris, réf., 20 mai 2020, n° 2020016407 (N° Lexbase : A21473MH), BRDA 14/20, 15 juillet 2020, obs. L. et J. Vogel, p. 21 ; AJ Contrat, juillet 2020, 335, obs. Ch.-E. Bucher : cette dernière décision a été frappée d’appel et a donné lieu à l’un des arrêts commentés (CA Paris, pôle 1 - ch. 2, 28 juillet 2020, n° 20/06689 N° Lexbase : A97463RE).

[3] Arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N) est aujourd’hui codifiée aux articles L. 336-1 et suivants du Code de l’énergie (N° Lexbase : L2615IQW).

[4] T. com. Paris, 20 mai 2020, n° 2020016407 (N° Lexbase : A21473MH) ; T. com. Paris, 26 mai 2020, n° 2020016517 (N° Lexbase : A21513MM).

[5] C. pr. civ., art. 872 (N° Lexbase : L0848H48): « dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse […] ». 

[6] Comp. J. Normand, RTD civ., 1979, p.665 : « dès lors que l’un des moyens de défense opposé à la prétention [du demandeur] n’est pas manifestement vain [et] qu’il existe une incertitude, si faible soit-elle, sur le sens dans lequel trancherait le juge du fond » ; RTD civ., 1979, p. 655 -  Adde J. Vuitton et X. Vuitton , Les référés, procédure civile, contentieux administratif, procédure pénale, « pratique professionnelle », Litec ; Juris-Classeur, 2003, n° 118, « une contestation sérieuse ne survient donc que lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond ».

[7] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B (N° Lexbase : A8468MWK), D., 2014, p. 2217, note J. François ; Rev. Sociétés, 2015, p. 23, note C. Juillet ; RTD civ., 2014, p. 890, obs. H. Barbier ; JCP, 2014, 1117, note V. Mazeaud - Adde CA Paris, 21 décembre 1916, DP 1917, 2, 33 et la note H. Capitant. Cet argument avait, en l’espèce, été soutenu par EDF.

[8] Cass. civ., 19 novembre 1873, DP 1874, 1, 200.

[9] Cass. civ. 1, 8 décembre 1998, n° 96-17.811 (N° Lexbase : A7005CGK), JCP G, 1999, II 10106 ; Y. Dagorne-Labbé, CCC, 1999, comm. n° 36, L. Leveneur.

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Copropriété

[Brèves] Division de lot : la répartition des charges ne peut être modifiée au RCP et dans l’EDD sans avoir été préalablement soumise à l’approbation de l’AG

Réf. : Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-17.045, FS-P+B+I (N° Lexbase : A16683TX)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 16 Septembre 2020

► Doivent être réputées non écrites les clauses d’un acte modificatif de l'état descriptif de division relatives à la nouvelle répartition des charges faisant suite à la division d’un lot, dès lors que cette nouvelle répartition n’a pas été soumise à l’approbation de l’assemblée générale des copropriétaires ;

► l'action tendant à voir déclarer inopposables de telles clauses, comme non écrites, parce qu'elle a pour objet de mettre le règlement de la copropriété en conformité avec le droit existant - en particulier la clause de répartition des charges -, peut être exercée à tout moment par un copropriétaire ou le syndicat des copropriétaires.

Dans cette affaire, par acte du 31 mai 1983, un immeuble, composé de deux lots, avait été placé sous le régime de la copropriété. Par acte du 30 mai 1984, le lot n° 2 avait été divisé et remplacé par les lots n° 3 à 12. Une assemblée générale du 21 juin 2011 avait, en sa résolution n° 5, contesté la légalité du modificatif de l'état descriptif de division du 30 mai 1984 et exigé sa rectification.

Le propriétaire des lots n° 3, 8 et 9, avait assigné le syndicat des copropriétaires et la SCI propriétaire du lot n° 1, en annulation de cette résolution. La SCI et le syndicat des copropriétaires avaient invoqué l'inopposabilité à leur égard de l'acte du 30 mai 1984. Après avoir été déboutés en appel par la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 27 février 2019, n° 18/01818 N° Lexbase : A1394YZN ; rendu sur renvoi après cassation : Cass. civ. 3, 18 janvier 2018, n° 16-26.072, FS-P+B+I N° Lexbase : A5271XAH, qui avait alors retenu que la division d'un lot de copropriété ne peut avoir pour effet de donner naissance à un nouveau syndicat des copropriétaires, cf. les obs. de Patrick Baudouin, Lexbase, Droit privé, n° 730, 2018 N° Lexbase : N2605BXR), ils obtiennent gain de cause devant la Cour suprême.

Sur la recevabilité de l’action : l’imprescriptibilité de l’action. Pour rejeter la demande tendant à voir déclarer inopposables, à leur égard, les clauses de l'acte modificatif du 30 mai 1984, la cour d’appel avait retenu que, si la répartition des quotes-parts de parties communes et de charges entre les lots n° 3 à 12 n'avait pas été soumise à une assemblée générale, contrairement à ce qu'exige l'article 11, alinéa 3, et si cette disposition est d'ordre public, elle ne pouvait permettre au syndicat des copropriétaires de contester, vingt-sept ans après sa publication, l'acte modificatif du 30 mai 1984 qui contenait ces répartitions, alors que le délai de prescription des actions personnelles dans une copropriété est de dix ans et que l'imprescriptibilité invoquée par la SCI et le syndicat des copropriétaires ne concernait que les demandes tendant à voir déclarer non écrite une clause d'un règlement de copropriété, ce qui ne pouvait être effectué que par le juge, et que l'annulation de la résolution n° 5 de l'assemblée générale et les motifs qui y avaient conduit entraînaient le rejet de la demande tendant à l'inopposabilité à la SCI et au syndicat des copropriétaires de l'acte modificatif du 30 mai 1984.

A tort. Le raisonnement est censuré par la Haute juridiction, qui rappelle que l'assemblée générale des copropriétaires est l'organe habilité à modifier le règlement de copropriété, que l'article 43 précité n'exclut pas le pouvoir de cette assemblée de reconnaître le caractère non écrit d'une clause d'un règlement de copropriété et que tout copropriétaire ou le syndicat des copropriétaires peuvent, à tout moment, faire constater l'absence de conformité aux dispositions de l'article 10, alinéa 1, de la loi du 10 juillet 1965, de la clause de répartition des charges, qu'elle résulte du règlement de copropriété, d'un acte modificatif ultérieur ou d'une décision d'assemblée générale, et faire établir une nouvelle répartition conforme à ces dispositions.

Il s’agit là d’une solution classique : cf. Cass. civ. 3, 9 mars 1988, n° 86-17.869 (N° Lexbase : A7782AAH) ; cf. ETUDE Les charges de copropriété, L'absence de prescription de l'action tendant à faire réputer non écrites les clauses relatives à la répartition des charges de copropriété ? , in Droit de la copropriété, Lexbase (N° Lexbase : E7986ETX).

S’agissant du bien-fondé de l’action : nécessité de l’approbation, par l’assemblée générale, de la nouvelle répartition des charges. Pour rejeter la demande tendant à déclarer non écrites les clauses de l'acte modificatif de l'état descriptif de division du 30 mai 1984, la cour d’appel avait retenu que le fait que la répartition des charges n'eût pas fait l'objet d'une approbation par l'assemblée générale des copropriétaires, ce qui n'était pas contesté, était insusceptible de rendre la clause IV et les tableaux contraires à la loi du 10 juillet 1965, puisque cette exigence figurait expressément en page 4 de l'acte du 31 mai 1984, en partie Ill « répartition des charges », qui renvoyait au tableau.

Là encore, le raisonnement est censuré par la Haute juridiction, qui rappelle que :

  • aux termes de l’article 11, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, en cas d'aliénation séparée d'une ou plusieurs fractions d'un lot, la répartition des charges entre ces fractions est, lorsqu'elle n'est pas fixée par le règlement de copropriété, soumise à l'approbation de l'assemblée générale statuant à la majorité prévue à l'article 24 ;
  • aux termes de l’article 43, toutes clauses contraires aux dispositions des articles 6 à 37, 41-1 à 42 et 46 et à celles du décret pris pour leur application sont réputées non écrites ; lorsque le juge, en application de l'alinéa premier du présent article, répute non écrite une clause relative à la répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition.

La Cour suprême en déduit, alors, qu’en cas de division, le lot initial disparaissant et de nouveaux lots étant créés, une modification du règlement de copropriété et de l'état descriptif de division est alors nécessaire et que la répartition des charges entre ces fractions est, lorsqu'elle n'est pas fixée par le règlement de copropriété, soumise à l'approbation de l'assemblée générale, quand bien même le total des quotes-parts des nouveaux lots est égal à celui des lots dont ils sont issus

newsid:474548

Covid-19

[Brèves] Bénéfice de l’activité partielle pour les salariés contraints de garder leurs enfants et ne pouvant télétravailler

Réf. : Min. des Solidarités et de la Santé, communiqué de presse, 9 septembre 2020

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N4494BY4

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par Charlotte Moronval

Le 16 Septembre 2020

► Dans le contexte de la crise sanitaire liée au covid-19, les salariés du privé contraints de garder leurs enfants en raison de la fermeture de leur crèche, école ou collège ou encore lorsque leurs enfants sont identifiés par l’Assurance maladie comme étant « cas-contact » de personnes infectées et qui sont dans l’impossibilité de télétravailler seront placés en activité partielle, a annoncé le Gouvernement le 9 septembre dans un communiqué de presse.

Les mesures d’indemnisation dérogatoires qui étaient en vigueur avant l’été sont donc réactivées pour que les parents concernés puissent bénéficier d’un niveau de rémunération garanti.

Ainsi, les parents qui sont dans l’impossibilité de télétravailler pourront bénéficier d’un revenu de remplacement dès le premier jour de leur arrêt de travail, et au plus tard jusqu’à la fin de la période d’isolement :

  • les salariés du secteur privé seront placés en situation d’activité partielle ;
  • les travailleurs indépendants et les contractuels de droit public bénéficieront d’indemnités journalières après avoir déposé leur déclaration sur la plateforme : declare.ameli.fr ;
  • les fonctionnaires seront placés en autorisation spéciale d’absence (ASA).

Attention : cette indemnisation pourra bénéficier à un parent par foyer, en cas d’incapacité de télétravail des deux parents et sur présentation d’un justificatif attestant soit de la fermeture de la classe, soit de la situation de cas-contact de l’enfant.

Les dispositifs d’indemnisation permettent de couvrir tous les arrêts concernés à partir du 1er septembre 2020.

newsid:474494

Covid-19

[Brèves] Covid-19 : publication des tableaux de maladie professionnelle pour les affections liées au virus

Réf. : Décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020, relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 (N° Lexbase : L1786LYS)

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N4531BYH

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par Laïla Bedja

Le 26 Octobre 2020

► Un décret en date du 14 septembre 2020, et publié au Journal officiel du 15 septembre 2020, reconnaît en maladies professionnelles les affections respiratoires aiguës liées à une infection au SARS-CoV2 et crée deux nouveaux tableaux qui leur sont consacrés.

Applicable à compter du 16 septembre 2020, le décret créé les tableaux n° 100, au Code de la Sécurité sociale et pour les assurés dépendant du régime général, et n° 60, pour les assurés dépendant de la protection sociale agricole, intitulés « Affections respiratoires aiguës liées à une infection au SRAS-CoV2 ».

• Quelles sont les pathologies reconnues ?

Sont ainsi reconnues comme maladie professionnelles, les affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2 :

  • confirmée par examen biologique ou scanner ou, à défaut, par une histoire clinique documentée (compte rendu d'hospitalisation, documents médicaux) ;
  • ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou ayant entraîné le décès.

• Pour quels salariés ?

Le tableau n° 100 a dressé la liste limitative des travaux suivante :

  • tous travaux accomplis en présentiel par le personnel de soins et assimilé, de laboratoire, de service, d'entretien, administratif ou de services sociaux, en milieu d'hospitalisation à domicile ou au sein des établissements et services suivants : établissements hospitaliers, centres ambulatoires dédiés covid-19, centres de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles, établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, services d'aide et d'accompagnement à domicile intervenant auprès de personnes vulnérables, services de soins infirmiers à domicile, services polyvalents d'aide et de soins à domicile, centres de lutte antituberculeuse, foyers d'accueil médicalisés, maisons d'accueil spécialisé, structures d'hébergement pour enfants handicapés, appartements de coordination thérapeutique, lits d'accueil médicalisé, lits halte soins santé, centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie avec hébergement, services de santé au travail, centres médicaux du service de santé des armées, unités sanitaires en milieu pénitentiaire, services médico-psychologiques régionaux, pharmacies d'officine, pharmacies mutualistes ou des sociétés de secours minières ;
  • activités de soins et de prévention auprès des élèves et étudiants des établissements d'enseignement ;
  • activités de transport et d'accompagnement des malades, dans des véhicules affectés à cet usage.

Concernant le régime agricole, le tableau n° 60, la limitation concerne tous travaux accomplis en présentiel par le personnel administratif, de soins et assimilé ou d'entretien, au sein des établissements et services suivants :

  • les services de santé au travail ;
  • les structures d'hébergement et de services pour personnes âgées dépendantes ;
  • les structures d'hébergement pour adultes et enfants handicapés ;
  • les services d'aide et d'accompagnement à domicile intervenant auprès de personnes vulnérables.

• Délai de prise en charge

Pour les deux tableaux, il est prévu un délai de prise en charge de quatorze jours. Au-delà de ce délai pour constater la maladie, cette dernière ne saurait être prise en charge en tant que maladie professionnelle.

• Reconnaissance individuelle « hors tableaux »

Lorsque les affections ne sont pas désignées dans ces deux nouveaux tableaux ou qu'elles ne sont pas contractées dans les conditions définies dans ces tableaux, le décret prévoit de confier l'instruction de ces demandes à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles spécifique (CRRMP). Le décret précise que sa composition est allégée pour permettre une instruction plus rapide des dossiers, tout en maintenant les garanties d'impartialité.

Le CRRMP comprend dès lors :

  • un médecin-conseil relevant du service du contrôle médical de la Caisse nationale de l'assurance maladie ou de la direction du contrôle médical et de l'organisation des soins de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ou d'une des caisses locales, ou un médecin-conseil retraité ;
  • un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle, réanimation ou infectiologie, en activité ou retraité, ou un médecin du travail, en activité ou retraité, inscrit sur une liste établie par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé.

newsid:474531

Famille et personnes

[Textes] La loi du 30 juillet 2020 : un nouveau pas dans la protection civile de toutes les victimes de violences conjugales

Réf. : Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (N° Lexbase : L7970LXH)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

Le 17 Septembre 2020

 


Mots clés : violences conjugales • autorité parentale • ordonnance de protection • juge aux affaires familiales (JAF) • droit de visite • médiation • obligation alimentaire • indignité successorale


Le volet pénal de la loi du 30 juillet 2020 fera l'objet d'un commentaire par Marthe Bouchet, à paraître dans la revue Lexbase Pénal, n° 30, du 24 septembre 2020.


 

Victimes de violences conjugales. La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales vient parachever le dispositif civil de protection des victimes de violences conjugales élaboré par étapes depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR). Il est désormais clairement admis que ces victimes comprennent à la fois les femmes [1] qui subissent les coups mais aussi leurs enfants qui vivent dans ce contexte de violences dont ils sont souvent les témoins. L'impact sur ces derniers des violences subies par leur mère n'est en effet plus à démontrer et le législateur est intervenu à plusieurs reprises ces dernières années pour que ces enfants bénéficient eux aussi d'une protection à l'égard de l'auteur de violences, particulièrement lorsque celui-ci s'avère être leur père. Dès 2014 [2], les dispositions relatives à l'ordonnance de protection créée par la loi du 9 juillet 2010 ont été modifiées pour que le danger encouru par un enfant du fait des violences constitue un critère de sa mise en place. L'article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L2997LUK) prévoit, en effet, que le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection « lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un concubin mettent ne danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants. »

Evolution du dispositif de lutte. Avec l'entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2020, le droit français offre, désormais, un dispositif relativement complet de protection des victimes - au sens large - de violences conjugales, qui relève à la fois du droit pénal et du droit civil. Certaines de ses dispositions concernent seulement l’enfant, tandis que d’autres bénéficient à la fois à l’enfant et à son parent victime. Certaines mesures s’appliquent, en outre, plus largement aux violences familiales et pas seulement aux violences conjugales. On relèvera à ce propos que la loi de juillet 2020 vise dans son intitulé « les violences conjugales » alors que la loi précédente, du 28 décembre 2019 [3], avait, quant à elle pour l’objet « les violences au sein de la famille ».

Juge civil et pénal. La protection civile des victimes des violences conjugales s’entend de l’ensemble de mesures non répressives, qui tendent à organiser la vie des victimes des violences pour limiter l’impact de ces dernières. Si cette protection civile est essentiellement contenue dans le Code civil, elle relève également pour partie du Code de procédure pénale, puisque le juge pénal se voit également reconnaître la compétence pour prendre des mesures relatives à l’exercice de l’autorité parentale.

Cette protection civile des violences conjugales est susceptible d’être mise en place au moment de la révélation des violences (I) mais également à plus long terme (II).

I. La protection immédiate des victimes de violences conjugales

Favoriser les révélations. La protection immédiate des victimes de violences conjugales est particulièrement importante car elle favorise la révélation des violences par celles-ci. Ces femmes auront davantage tendance à intenter une procédure, pénale ou civile, si elles sont assurées qu’un dispositif les protégera ainsi que leurs enfants d’une confrontation avec l’auteur des violences. Dans cette perspective, la loi du 30 juillet 2020 revient sur deux points abordés par les textes antérieurs : d’une part elle permet de limiter les relations de l’auteur des violences avec ses enfants durant la procédure, d’autre part elle précise le champ d’exclusion de la médiation familiale dans le cadre des procédures relatives à l’autorité parentale ou à la séparation du couple.

A. La limitation des relations de l’auteur des violences avec ses enfants

Compte tenu du risque qu’elles constituent dans un contexte de violences conjugales, les relations de l'enfant avec l'auteur des violences peuvent être limitées en parallèle de la protection civile ou pénale accordée au conjoint victime.

Suspension de l’exercice de l’autorité parentale. La loi du 28 décembre 2019 avait déjà mis en place deux hypothèses de limitation des relations de l’auteur des violences avec ses enfants. D’une part, l’article 378-2 du Code civil (N° Lexbase : L2992LUD) créé par cette loi prévoit que « L’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite du parent poursuivi ou condamné pour un crime commis sur la personne de l’autre parent sont suspendus de plein droit pour une durée maximale de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge dans un délai de huit jours dans les conditions prévues à l’article 377. » L’objectif est de rompre tout lien de l’auteur du crime avec l’enfant dont il a assassiné le parent. Cette mesure est prise par le Procureur de la République, qui doit saisir le juge dans les huit jours pour que celui-ci prononce une délégation de l’exercice de l’autorité parentale sur le fondement de l’article 377 du Code civil (N° Lexbase : L2991LUC) modifié en conséquence. On avait pu regretter [4] que cette suspension des droits parentaux de l'auteur des violences intervienne seulement en cas de crime sur la personne de l’autre parent. 

Droit de visite en lieu neutre. D’autre part, la loi du 28 décembre 2019 a prévu dans l’article 515-11-5° du Code civil (N° Lexbase : L5377LTC) que, lorsque dans le cadre d’une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales interdit à l’auteur des violences de rencontrer la victime, le droit de visite du parent violent doit être exercé dans un espace de rencontre ou en présence d’un tiers de confiance, sauf décision contraire spécialement motivée.

Suspension du droit de visite. Dans la même hypothèse, la loi du 30 juillet 2020 prévoit, à l’article 138 du Code de procédure pénale, 17° (N° Lexbase : L8553LX3), que le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention « se prononce par une décision motivée sur la suspension du droit de visite et d'hébergement de l'enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire » lorsque dans le cadre du contrôle judiciaire imposé à l’auteur des violences,  celui-ci doit  s'abstenir de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignée par le juge ou d'entrer en relation avec elles de quelque façon que ce soit. Cette suspension n'est cependant pas systématique ; la seule obligation qui pèse sur le juge d'instruction ou le des libertés est de se prononcer sur la question du droit de visite et d'hébergement qu'il peut donc maintenir.

La loi considère, ainsi, désormais - ce dont il faut se féliciter -, que lorsque l'auteur des violences se voit interdire d’entrer en relation avec la mère de ses enfants, il est difficile qu’il puisse voir ces derniers, ou alors dans un cadre très protégé. Le juge civil et le juge pénal sont, dans cette hypothèse précise, tous deux compétents pour prendre une telle mesure. Il serait cependant préférable de prévoir que la question des relations de l’auteur avec ses enfants soit posée dès le début de la procédure pénale dans tous les cas de violences intrafamiliales dans lesquelles sont impliquées des enfants sans se limiter à l’hypothèse, quoique fréquente, de l’interdiction d’entrer en relations avec la victime.

Il serait opportun de donner au Parquet la compétence pour prendre la décision de suspendre le droit de visite et d'hébergement sur les enfants de la victime et de l'auteur des violences, dès lors que des poursuites sont engagées contre lui du fait de ces violences, y compris lorsque celles-ci relèvent d’une qualification délictuelle. Lorsque la mère trouve le courage de dénoncer les violences et de partir avec ses enfants, il est en effet essentiel qu’elle ne soit pas soumise, ainsi que les personnes qui participent à sa protection et son accueil, à l’obligation de respecter les droits parentaux de son bourreau.

Signalement systématique au Parquet. Le Procureur de la République pourrait d’autant plus opportunément se voir reconnaître une telle compétence, que la loi du 30 juillet 2020 a rendu systématique le signalement au Parquet de la délivrance par le juge aux affaires familiales d'une ordonnance de protection, alors que cette information était auparavant prévue dans les seules hypothèses dans lesquelles les violences étaient susceptibles de mettre un enfant en danger. Désormais, le parquet est systématiquement informé des violences ayant motivé une ordonnance de protection, le dernier alinéa de l’article 515-11 du Code civil (N° Lexbase : L8563LXG) précisant que le juge aux affaires familiales « signale également [au procureur de la République] les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants. » Ainsi, même si la femme victime des violences a préféré la voie civile, il n'est pas exclu que des poursuites pénales soient tout de même intentées à l'initiative du Parquet. Ce signalement systématique au Parquet, d’une situation de violences conjugales, par le juge aux affaires familiales, contribue à favoriser les relations entre le pénal et le civil sur une question qui nécessite particulièrement une telle collaboration.

Saisine du juge aux affaires familiales en référé. Le juge aux affaires peut également être saisi de la question du droit de visite du parent auteur de violences conjugales en dehors du cadre de l’ordonnance de protection. L’article 373-2-11 du Code civil (N° Lexbase : L7191IMB) prévoit, en effet, dans son 5°, que le juge doit tenir compte « des pressions ou violences à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. ». Le juge aux affaires peut être saisi en référé d’une demande de suspension du droit de visite et d’hébergement. Il serait opportun que cette saisine ait lieu dès que les violences sont révélées pour ne pas imposer aux enfants, et à leur mère, une mise en relation avec l'auteur de celles-ci dans un moment particulièrement éprouvant. On sait en outre que les contacts dans cette période constituent un risque majeur de réitération des violences, y compris à l'égard des enfants.

B. L’exclusion de la médiation

Emprise manifeste. La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 avait déjà exclu la médiation en cas d’allégation de violences conjugales par une modification de l’article 373-2-10 du Code civil (N° Lexbase : L8539LXK). La loi du 30 juillet 2020 ajoute à cette exclusion l’hypothèse de « l'emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent », étendant ainsi le domaine d’exclusion de la médiation qui ne peut ainsi être imposée à la victime de violences tant physiques que psychologiques de la part de son conjoint. La même exclusion est prévue dans la procédure de divorce par une modification de l'article 255 du Code civil (N° Lexbase : L8538LXI). L’ajout aux violences de l'emprise subie par la victime, est indubitablement un progrès, l'emprise constituant une réalité psychologique dont l'existence n'est pas toujours reconnue. En excluant toute médiation en cas d'emprise d'un parent ou d'un époux sur l'autre, le législateur affirme la nécessité pour participer à une médiation d'être dans un rapport d'égalité et impose, dans le cas contraire, le recours au juge pour faire tiers entre les parties, et pour protéger la partie qui est victime de la violence ou de l'emprise de l'autre.

II. La protection différée des victimes de violences conjugales

Les violences conjugales sont incontestablement une cause de traumatisme pour le conjoint et son enfant, et il paraît nécessaire de les prendre en compte dans le cadre de leurs relations avec l’auteur des violences après la condamnation de ce dernier. La loi du 30 juillet 2020 revient sur le retrait de l'autorité parentale consécutive à la condamnation du parent violent, mais organise également les conséquences de cette condamnation pour un avenir plus lointain, dans le cadre successoral et en matière d'obligation alimentaire.

A. Le retrait de l'autorité parentale

Harmonisation des textes. La loi du 30 juillet 2020 étend le champ d’application de l'article 378 du Code civil (N° Lexbase : L8562LXE) qui permet au juge pénal de retirer l'autorité parentale ou son exercice, aux condamnations d’un parent pour un délit sur la personne de l’autre parent alors qu’il était auparavant limité aux condamnations pour crimes sur la personne de l’autre parent. Cette modification est bienvenue en ce qu'elle assure la cohérence des dispositions légales relatives au retrait de l'autorité parentale consécutifs à des violences conjugales. En effet l'article 378 du Code civil est un texte auquel renvoient les articles 221-5-5 (N° Lexbase : L2981LUX), 222-48-2 (N° Lexbase : L2984LU3), 222-31-2 (N° Lexbase : L2983LUZ), 227-27-3 (N° Lexbase : L2986LU7) du Code pénal qui prévoient le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice en cas de crime ou de délit commis par le père ou la mère sur la personne de l’autre parent de l'enfant. Il n'était pas logique que l'article 378 du Code civil ne vise pas les délits sur la personne de l’autre parent de l’enfant, même si cette incohérence ne semblait pas empêcher la mise en œuvre des articles du Code pénal. Elle avait toutefois soulevé des interrogations parmi les praticiens et l’on peut donc se réjouir de cette correction.

B. L'obligation alimentaire de l'enfant à l'égard de l'auteur des violences

Dispense. Il n'est pas rare que certains enfants soient traumatisés à vie par le contexte de violence qui leur a été imposé par leur père et les conséquences dramatiques qui ont pu en découler. Ayant souvent rompu les liens avec cette personne, ils ont beaucoup de mal à comprendre que, des années plus tard celui-ci, directement ou par la voie d'institutions notamment des établissements, de santé, leur réclame des subsides au titre de leur obligation alimentaire fondée sur l'article 207 du Code civil (N° Lexbase : L8537LXH). La modification de ce texte par la loi du 30 juillet 2020 est donc une évolution qu'il convient de saluer, en ce qu'il ouvre la voie à une suppression de l'obligation alimentaire des enfants victimes de violences conjugales à l'égard de l'auteur ce celles-ci.

L'article 207 du Code civil est complété par un nouvel alinéa selon lequel « en cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l'un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à 'égard du créancier, sauf décision contraire du juge. »  Cette affirmation constitue sans nul doute un progrès dans la prise en compte de l'impact des violences conjugales pour les enfants, car elle permet au juge de décharger celui-ci de son obligation alimentaire, alors qu'il n'a pas été physiquement la victime directe des violences. L'alinéa 2 de l'article 207 permet certes, de manière générale, au juge de décharger le débiteur de tout ou partie de sa dette alimentaire lorsque le créancier aura manqué gravement à ses obligations à son égard, mais ce texte paraissait difficilement applicable aux hypothèses de crime commis à l'encontre d'une autre personne que le débiteur d'aliments. On regrettera, cependant, que le nouvel alinéa de l'article 207 du Code civil ne s'applique pas en cas de délit commis sur un membre de la famille de l'enfant comme, désormais, la plupart des dispositions pénales ou civiles relatives aux violences conjugales et notamment celles issues de la loi du 30 juillet 2020. Si la volonté du législateur de procéder par étape est compréhensible, il aurait été opportun d'étendre directement le champ du texte aux délits. Une harmonisation des textes et de leur champ d’application parait en effet souhaitable dans cette matière délicate. Il paraît difficile de comprendre que l’autorité parentale peut être retirée à un parent pour un délit commis sur la personne de l’autre parent, mais que l’obligation alimentaire de l’enfant concerné persiste dans la même hypothèse [5].

La suppression de l’obligation alimentaire est évidemment unilatérale, l’auteur des violences restant débiteur de toutes ses obligations alimentaires envers les membres de sa famille, la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 a d’ailleurs précisé que l’obligation parentale d’entretien ne cesse pas lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré [6].

C. L'indignité successorale

Atteinte à la personne du défunt par l’héritier. L'article 8 de la loi du 30 juillet 2020 ajoute un cas d’indignité successorale dans l’article 727, 2° bis du Code civil (N° Lexbase : L8565LXI). Peut ainsi être déclaré indigne de succéder « celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt. » Ce texte s’applique à la succession du conjoint, concubin ou partenaire de l’auteur de violences conjugales, mais également à celle de l’enfant victime de violences de la part de son parent. L’article 727 prévoyait déjà l’hypothèse dans laquelle la personne dont la succession est en cause avait été tuée par l’héritier indigne (1° et 2°) et celle dans laquelle celui-ci avait tenté de le tuer. La loi de 2020 permet, également, d’exclure de la succession l’auteur de violences de différente nature alors même que celles-ci n’ont pas entraîné le décès de la victime et qu’elles sont qualifiées de crimes ou de délits. Le fait même d’avoir commis des violences envers une personne exclut de pouvoir en hériter ce qui est parfaitement logique. Toutefois l’indignité successorale ne s’applique que lorsque les violences sont exercées directement sur le de cujus, ce que l’on peut regretter. Le législateur aurait pu aller plus loin en appliquant le même régime que celui instauré pour l’obligation alimentaire et en étendant l’indignité aux hypothèses de violences commises sur l'un des ascendants, descendants, frères ou sœurs du défunt.

 

[1] Même si les hommes peuvent également être victimes de violences conjugales, ce sont les femmes qui sont les principales victimes de ce fléau.

[2] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes (N° Lexbase : L9079I3N).

[3] Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT).

[4] A. Gouttenoire, Panorama d’actualité législative et jurisprudentielle en matière d’autorité parentale (année 2019), Lexbase Droit privé, n° 808, janvier 2020 (N° Lexbase : N1761BYU).

[5] En effet l’enfant n’est dispensé de son obligation alimentaire envers son parent que s’il a été retiré de son milieu familial par décision judiciaire durant une période d'au moins trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de sa vie selon l’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L9007HWI), ou s’il a été admis en qualité de pupille de l’Etat (C. civ., art. 367 N° Lexbase : L8334HWL).

[6] C. civ., art. 371-2 (N° Lexbase : L2989LUA).

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Internet

[Brèves] Première interprétation par la CJUE du Règlement de l’Union consacrant la neutralité d’internet

Réf. : CJUE, 15 septembre 2020, aff. C-807/18 (N° Lexbase : A66143T7)

Lecture: 4 min

N4516BYW

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par Vincent Téchené

Le 16 Septembre 2020

► Les exigences de protection des droits des utilisateurs d’internet et de traitement non discriminatoire du trafic, issues du Règlement n° 2015/2120 du 25 novembre 2015, établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert (N° Lexbase : L4988KR8), s’opposent à ce qu’un fournisseur d’accès à internet privilégie certaines applications et certains services au moyen d’offres faisant bénéficier ces applications et services d’un « tarif nul » et soumettant l’utilisation des autres applications et services à des mesures de blocage ou de ralentissement.

Faits et procédure. Une société (le fournisseur d’accès), établie en Hongrie, fournit notamment des services d’accès à internet. Parmi les services proposés à ses clients figurent deux offres groupées d’accès préférentiel (dites à « tarif nul ») ayant pour particularité que le trafic de données généré par certains services et applications spécifiques n’est pas décompté dans la consommation du volume de données acheté par les clients. En outre, ces derniers peuvent, une fois épuisé ce volume de données, continuer à utiliser sans restriction ces applications et ces services spécifiques, pendant que des mesures de blocage ou de ralentissement du trafic sont appliquées aux autres applications et services disponibles. Après avoir ouvert deux procédures visant à contrôler la conformité de ces deux offres groupées avec le Règlement n° 2015/2120, l’autorité hongroise des communications et des médias a adopté deux décisions par lesquelles elle a considéré que celles-ci ne respectaient pas l’obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic énoncée à l’article 3 § 3 de ce Règlement et que le prestataire de services devait y mettre fin. Saisie de deux recours par ce dernier, le juge hongrois a décidé d’interroger la Cour à titre préjudiciel afin de savoir comment doit être interprété et appliqué l’article 3 § 1 et 2 du Règlement n° 2015/2120, qui garantit un certain nombre de droits aux utilisateurs finals de services d’accès à internet et qui interdit aux fournisseurs de tels services de mettre en place des accords ou des pratiques commerciales limitant l’exercice de ces droits, ainsi que l’article 3 § 3, qui énonce une obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic.

Décision. Dans son arrêt du 15 septembre 2020, la Cour, statuant en grande chambre, a interprété pour la première fois le Règlement n° 2015/2120, qui consacre le principe de neutralité du net.

S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de l’article 3 § 2 du Règlement, lu conjointement avec l’article 3 § 1, la Cour a observé que la seconde de ces dispositions prévoit que les droits qu’elle garantit aux utilisateurs finals de services d’accès à internet ont vocation à être exercés « par l’intermédiaire de leur service d’accès à internet », et que la première disposition exige qu’un tel service n’implique pas de limitation de l’exercice de ces droits. Par ailleurs, il découle de l’article 3 § 2 que les services d’un fournisseur d’accès à internet doivent être évalués au regard de cette exigence, par les autorités réglementaires nationales et sous le contrôle des juridictions nationales compétentes, en prenant en considération tant les accords conclus par ce fournisseur avec les utilisateurs finals que les pratiques commerciales mises en œuvre par ledit fournisseur. Dans ce contexte, la Cour a estimé que la conclusion d’accords par lesquels des clients donnés souscrivent à des offres groupées combinant un « tarif nul » et des mesures de blocage ou de ralentissement du trafic lié à l’utilisation de services et d’applications autres que les services et applications spécifiques relevant de ce « tarif nul » est susceptible de limiter l’exercice des droits des utilisateurs finals.

En second lieu, s’agissant de l’interprétation de l’article 3 § 3 du Règlement, la Cour a relevé que, pour constater une incompatibilité avec cette disposition, aucune évaluation de l’incidence de mesures de blocage ou de ralentissement du trafic sur l’exercice des droits des utilisateurs finals n’est requise. En effet, cette disposition ne prévoit pas une telle exigence pour apprécier le respect de l’obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic y figurant. En outre, la Cour a jugé que, dès lors que des mesures de ralentissement ou de blocage du trafic sont fondées, non pas sur des différences objectives entre les exigences techniques en matière de qualité de service de certaines catégories spécifiques de trafic, mais sur des considérations d’ordre commercial, ces mesures sont à considérer, en tant que telles, comme étant incompatibles avec ladite disposition.

En conséquence, des offres groupées telles que celles soumises au contrôle de la juridiction de renvoi sont, de manière générale, susceptibles de violer tant l’article 3 § 2 et 3 du Règlement n° 2015/2120, étant précisé que les autorités et les juridictions nationales compétentes peuvent les examiner d’emblée au regard de la seconde de ces dispositions.

newsid:474516

Procédure pénale

[Brèves] Recevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile : caractère impératif et personnel du circuit de l’article 85

Réf. : Cass. crim., 8 septembre 2020, n° 19-84.995, F-P+B+I (N° Lexbase : A98603SY)

Lecture: 5 min

N4490BYX

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par Adélaïde Léon

Le 23 Septembre 2020

► Le bénéfice de la plainte avec constitution de partie civile, accordé après le dépôt préalable d’une plainte simple visant les mêmes faits, appartient uniquement au plaignant initial qui a respecté le circuit imposé par l’article 85 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7458LPW) ;

Une association de défense de l’environnement ne saurait arguer d’un préjudice personnel, causé par le délit de mise en danger d’autrui qu’elle entend dénoncer, pour se constituer partie civile.

Rappel des faits. L’association Écologie sans frontière a déposé une plainte simple au parquet de Paris, du chef de mise en danger d’autrui en raison de la pollution atmosphérique. Cette plainte a été classée sans suite. L’association Écologie sans frontière et l’association Générations futures ont déposé plainte et se sont constituées parties civiles devant le doyen des juges d’instruction de Paris du même chef.

Les constitutions de parties civiles de ces deux associations ayant été déclarées irrecevables, celles-ci ont relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction et déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l’association Générations futures. Selon les juges, cette association ne pouvait déposer une plainte avec constitution de partie civile alors qu’elle n’avait pas, comme l’exige l’article 85 du Code de procédure pénale, préalablement déposé une plainte simple devant le procureur de la République.

La juridiction d’appel a également confirmé l’ordonnance du juge d’instruction en ce qu’elle a jugé irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l’association Écologie sans frontière. Pour ce faire, la chambre de l’instruction a tout d’abord relevé que l’association n’avait pas obtenu le renouvellement de l’agrément exigé par l’article L. 142-2 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L7858K9W). Elle ne pouvait donc, conformément à cet article, exercer les droits reconnus à la partie civile. Elle a par ailleurs déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l’association au motif qu’en qualité de personne morale elle ne pouvait exciper d’une exposition au risque d’atteinte à l’intégrité physique. L’action civile étant réservée à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par une infraction, la constitution de partie civile de l’association ne pouvait être admise dans ces conditions.

Moyens du pourvoi. Le pourvoi reproche à la chambre de l’instruction d’avoir déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l’association Générations futures au motif qu’elle ne pouvait, « par ricochet », bénéficier de la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile du fait de la plainte simple déposée par l’association Écologie sans frontière. Elle estimait que l’article 85, alinéa 2, du Code de procédure pénale exigeait uniquement le dépôt d’une plainte et ne réservait pas à son unique auteur la possibilité de se constituer partie civile par la suite.

L’association Écologie sans frontière reproche quant à elle à la chambre de l’instruction d’avoir déclaré irrecevable sa constitution de partie civile du fait de son défaut d’agrément alors qu’elle n’avait, selon elle, qu’à justifier d’une atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défendait. S’agissant des motifs tirés de l’impossibilité pour une association d’exciper d’une exposition au risque d’atteinte à l’intégrité physique, la plaignante avance que le délit de mise en danger d’autrui ne limite pas la faculté de se constituer partie civile aux seules personnes physiques. Enfin, elle soutient qu’elle pouvait valablement agir dès lors que le délit dénoncé « en ce qu’il vise la protection de la vie ou de l’intégrité d’autrui » était susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défendait.

Réponse de la Cour. La Cour confirme l’analyse de la cour d’appel selon laquelle le bénéfice de la plainte avec constitution de partie civile, accordé après le dépôt préalable d’une plainte simple pour les mêmes faits, appartient uniquement au plaignant auteur de la plainte simple. Faute d’avoir elle-même suivi le « circuit » imposé par l’article 85, alinéa 2, du Code de procédure pénale, l’association Générations futures ne pouvait valablement déposer une plainte avec constitution de partie civile.

S’agissant de l’association Écologie sans frontière, la Cour de cassation confirme également l’arrêt de la chambre de l’instruction. Elle note que l’absence d’agrément fait effectivement obstacle à cette constitution de partie civile et confirme, comme dans une décision du même jour (Cass. crim., 8 septembre 2020, n° 19-85.004, F-P+B+ N° Lexbase : A98593SX), qu’une association ne saurait arguer d’un préjudice personnel, causé par le délit de mise en danger d’autrui qu’elle entend dénoncer, pour se constituer partie civile.

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Urbanisme

[Questions à...] La régularisation en droit de l’urbanisme - Questions à* Henri Bouillon, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 29 juillet 2020, n° 428158, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A83483RM)

Lecture: 15 min

N4502BYE

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Le 16 Septembre 2020

 


Mots clés : document d'urbanisme • régularisation • autorité compétente

L’autorité appelée à approuver la régularisation d’un document d’urbanisme doit être appréciée au regard des dispositions en vigueur à la date de cette régularisation.


 

Dans une décision rendue le 29 juillet 2020, la Haute juridiction a dit pour droit que la compétence de l’autorité appelée à approuver la régularisation d’un document d’urbanisme doit être appréciée au regard des dispositions en vigueur à la date de cette régularisation. Rappelons que ce mécanisme de régularisation permet au juge administratif, saisi d’un recours tendant à l’annulation d’un document d’urbanisme (SCOT, PLU ou carte communale), de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation de ce document lorsqu’il estime, après avoir écarté les autres moyens, qu’une illégalité qui l’entache est susceptible d’être régularisée. Cette décision clarifie donc un point qui n’avait pas été tranché jusqu’ici, celui de savoir quelle autorité est compétente pour régulariser un vice de forme ou de procédure - c’est-à-dire à quelle date doit être appréciée la compétence pour adopter l’acte de régularisation. Pour faire le point sur cette problématique, Lexbase Hebdo – édition publique a rencontré Henri Bouillon, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre la notion de régularisation en droit de l’urbanisme ? Quelles en sont les différentes sortes ?

Henri Bouillon : La régularisation consiste à rectifier un acte administratif afin d’assurer sa régularité. Elle rétablit sa légalité défectueuse, sans l’annuler pour autant. Elle fait perdurer l’acte (ce qui garantit la sécurité juridique) en ôtant les vices qui l’entachent (ce qui protège la légalité).

En droit de l’urbanisme, trois mécanismes de régularisation existent : deux interviennent a priori, c’est-à-dire durant l’instance juridictionnelle et avant le jugement ; le troisième intervient a posteriori, après la décision de justice [1].

Évoquons d’abord les deux techniques de régularisation a priori. Elles se différencient par les textes visés : la régularisation des autorisations d’urbanisme (permis de construire, de démolir ou d’aménager) et des décisions de non-opposition à déclaration préalable est envisagée à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L0034LNL) ; celle des documents d’urbanisme, c’est-à-dire des schémas de cohérence territoriale (SCOT), plans locaux d’urbanisme (PLU) et cartes communales, est instituée à l’article L. 600-9 (N° Lexbase : L2792KIA). Les deux articles présentent quelques différences, que l’on taira ici.

Comment dépeindre cette régularisation a priori ? Lorsque, durant l’instance, le juge administratif estime que l’illégalité totale ou partielle de l’acte peut être régularisée, il rend un jugement avant-dire-droit, après avoir entendu les parties. Par ce jugement, il sursoit à statuer et demande à l’administration de régulariser l’autorisation ou le document d’urbanisme. L’acte revient alors devant son auteur, qui peut le régulariser dans le délai fixé par le juge. S’il ne le fait pas, l’acte est annulé totalement ou partiellement par le juge. S’il le régularise, le juge en est avisé et il appréciera alors si la légalité de l’acte a été correctement restaurée. Si tel est le cas, il met fin à l’instance, qui a perdu son objet, après avoir recueilli les observations des parties.

Aujourd’hui, cette régularisation a priori est facilitée. Deux précisions en témoignent. La première concerne exclusivement l’article L. 600-5-1. L’article 80 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) (N° Lexbase : L8700LM8), a rendu cette régularisation obligatoire, et non plus facultative, pour le juge. Une nouvelle phrase clôture l’article L. 600-5-1 : « le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. » Elle fait ainsi de la régularisation « la norme dans le contentieux de l’urbanisme » [2]. Seconde précision : dans les deux cas de régularisation a priori, le juge admet que l’administration puisse procéder à une régularisation spontanément, sans y avoir été invitée par le juge (pour les autorisations d’urbanisme : CE, 22 février 2018, n° 389518 N° Lexbase : A4621XEU, pt n° 16 ; pour les documents d’urbanisme : CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963 N° Lexbase : A4744W9L, pt n° 5).

Deuxièmement, il existe un mécanisme de régularisation a posteriori. Celle-ci intervient après la censure juridictionnelle, totale ou partielle, d’un acte administratif. En régularisant l’acte, l’administration contourne l’annulation, en remédiant aux irrégularités qui ont justifié la censure de l’acte. Cette régularisation est donc particulière au regard de l’autorité de la chose jugée. En principe, un acte censuré par le juge disparaît totalement ou partiellement de l’ordre juridique et l’administration ne peut plus le modifier. La régularisation a posteriori n’est donc réalisable que si le juge l’autorise [3].

Fixé à l’article L. 600-5 (N° Lexbase : L0035LNM), ce mécanisme est réservé aux autorisations d’urbanisme et aux décisions de non-opposition à déclaration préalable ; les documents d’urbanisme ne peuvent en bénéficier.

L’article dispose que, si le juge constate qu’un vice n’affectant qu’une partie de l’acte peut être régularisé, il limite l’annulation à cette partie et fixe, le cas échéant, le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation pourra demander sa régularisation à l’administration.

Ici, la censure du juge est à la fois partielle et conditionnelle, elle est une « annulation partielle à caractère conditionnel » [4]. D’une part, l’annulation est partielle, car elle se limite à la partie illégale de l’acte, ce qui induit que le vice n’affecte lui-même qu’une partie seulement de l’autorisation et soit régularisable. D’autre part, l’annulation est conditionnelle, car elle ne prend effet que si l’administration, sollicitée par le titulaire de l’autorisation, ne la régularise pas. C’est « une annulation sous condition suspensive de sa non-régularisation » [5]. Et tant que la régularisation n’est pas faite, l’application de l’acte est suspendue.

Lexbase : Quels sont les avantages et inconvénients (s’ils existent) de cette procédure ?

Henri Bouillon : Ces procédures présentent à la fois des avantages et des inconvénients. La difficulté est qu’ils sont imbriqués. Chaque avantage a son revers. Il faut donc les évoquer par couple.

Le premier couple réside dans l’équilibre instauré par la régularisation entre légalité et sécurité juridique. En effet, elle restaure la légalité de l’acte d’urbanisme mis en cause. En cela, elle assure la légalité. Mais comme elle permet dans le même temps de ne pas annuler l’acte (s’il est corrigé), elle ne préjudicie pas à la sécurité juridique. L’acte amendé reste en vigueur. Cette conciliation est, en elle-même, un avantage.

L’inconvénient est toutefois que cet équilibre penche nettement en faveur de la sécurité juridique.

Bien entendu, ce principe revêt une grande importance en droit de l’urbanisme. Assurer la stabilité des opérations de construction est un objectif louable, auquel s’attellent aussi bien le juge que le législateur. En imposant au juge l’obligation d’admettre toute régularisation possible, la loi « ELAN » le prouve. Et hormis le caractère inconstructible de la parcelle, la réalisation de travaux sans permis ou l’incompétence de l’auteur de l’autorisation, « le juge a accueilli largement la possibilité de régulariser un grand nombre de vices » [6]. Du point de vue de la sécurité juridique, c’est un avantage.

L’inconvénient est de marginaliser le principe de légalité. De prime abord, l’atteinte qu’il subit semble mineure : la légalité est respectée puisque les vices entachant l’acte sont régularisés. Mais il n’est jamais indifférent que la légalité soit respectée ab initio ou qu’elle soit corrigée par la suite si elle a été méconnue. Un respect seulement formel de sa lettre ne préserve pas toujours son esprit.

Quelle sera l’utilité d’un avis initialement oublié et demandé une fois les travaux effectués, hormis un respect purement artificiel (et concrètement inutile) de la légalité ? La légalité est donc dégradée : elle est respectée, non pas pour assurer la qualité de l’acte administratif, mais pour le prémunir d’une annulation qui nuirait à la sécurité juridique.

Cela ne laisse pas indemne le rôle du juge. La multiplication des régularisations tend à faire « du recours pour excès de pouvoir en matière d’autorisations d’urbanisme une procédure correctrice, et non plus sanctionnatrice » [7]. Avec ces procédés, le juge n’est plus tant appelé à faire respecter le droit, qu’à attirer l’attention de l’administration sur ce qui doit être modifié dans l’acte contesté pour le mettre à l’abri de la contestation. Son office l’associe à l’administration, contre le requérant. Et le droit de l’urbanisme devient « aléatoire dans les prétoires » [8].

Un autre couple d’avantages et d’inconvénients, plus pragmatique, réside dans l’incorporation de ces mécanismes au contentieux de l’urbanisme. Cette incorporation est plus ou moins réussie selon qu’il s’agit des mécanismes a priori ou du mécanisme a posteriori.

En permettant la régularisation durant l’instance, les articles L. 600-5-1 et L. 600-9 du Code de l’urbanisme s’intègrent harmonieusement dans le contentieux. La régularisation est contrôlée, durant la même instance, par le juge qui a sursis à statuer pendant qu’elle était effectuée par l’administration. L’article L. 600-5-2 (N° Lexbase : L9805LM4) complète l’article L. 600-5-1 sur ce point : « la légalité de cet acte [de régularisation] ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance ». La règle de l’unicité de l’instance jugule le contentieux [9], même si elle ne s’applique pas aux tiers. Ces mécanismes retardent certes la décision du juge qui a sursis à statuer, ce qui est parfois un inconvénient pratique notable, mais ils ne démultiplient pas les instances.

Évidemment, ce n’est pas le cas de la régularisation a posteriori (C. urb., art. L. 600-5). Elle impose au bénéficiaire de l’autorisation de saisir à nouveau l’administration après l’instance pour que la régularisation soit faite. Et sa contestation implique le déclenchement d’un nouveau contentieux. Ce mécanisme étire donc le litige dans le temps. Il ne contribue pas non plus à le simplifier, notamment pour un requérant qui obtient du juge une déclaration d’illégalité, mais qui a la surprise de voir l’administration maintenir son acte en le rectifiant : l’incompréhension le disputera alors au doute sur la partialité du juge en faveur de l’administration.

Lexbase : Comment le juge administratif se positionne-t-il en la matière ?

Henri Bouillon : À vrai dire, la position du juge est difficile à isoler de celle du législateur. C’est en quelque sorte un chœur à deux voix. L’un et l’autre œuvrent à garantir la sécurité juridique des autorisations et des documents d’urbanisme et à endiguer les contentieux. À tel point que l’on a pu craindre une possible collusion avec les professionnels de l’immobilier, tant la loi et la jurisprudence conduisent à « museler les contestations » [10] à l’encontre des actes d’urbanisme.

La matière est en effet très encadrée par la loi. En exposant les mécanismes de régularisation, ce sont les articles du Code de l’urbanisme qu’il a fallu citer et qui ont été créés par diverses lois, comme la loi « ENL » (loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement N° Lexbase : L2466HKK) ou la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY). Il y a bien une volonté constante du législateur de favoriser la sécurité juridique des actes d’urbanisme. Et cette volonté est relayée par le juge.

Parfois, le juge devance même le législateur. Par exemple, la régularisation a priori d’un permis de construire a longtemps été subordonnée au fait que les travaux restent inachevés (CE, 30 décembre 2015, n° 375276 N° Lexbase : A3943N3G, pt n° 4). Cette condition était logique puisque l’achèvement des travaux implique que l’autorisation d’urbanisme n’ait plus lieu d’être, puisqu’elle n’a plus d’objet. Mais le juge a abandonné cette condition (CE, 22 février 2017, n° 392998 N° Lexbase : A7530TN9, pt n° 3). Et cet abandon a été sanctuarisé par le législateur. L’article L. 600-5-1, retouché par la loi « ELAN », indique que la régularisation peut intervenir « même après l’achèvement des travaux ». Cette loi a d’ailleurs inséré la même mention à l’article L. 600-5. L’objectif est clair : les travaux ayant été réalisés, la régularisation du permis les ayant autorisés les met à l’abri de toute remise en cause. La sécurité juridique est ainsi garantie.

Le législateur et le juge s’expriment donc à l’unisson sur ce point.

Lexbase : Quel est l’apport essentiel de l’arrêt du 29 juillet selon vous ?

Henri Bouillon : L’arrêt rapporté précise la mise en œuvre de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme. Il clarifie le rôle de l’autorité administrative à qui incombe la régularisation du document d’urbanisme, un PLU en l’espèce. Son point 7 indique : « Pour la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme, eu égard à leur objet et à leur portée, il appartient à l’autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise. En revanche […] la compétence de l’autorité appelée à approuver la régularisation doit être appréciée au regard des dispositions en vigueur à la date de cette approbation. »

La première phrase précise les règles applicables pour régulariser un vice de forme ou de procédure.

La question était celle des formes et procédures à respecter : étaient-ce celles en vigueur au jour de la décision attaquée ou celles en vigueur au jour de sa régularisation ? Notre arrêt reprend ici la jurisprudence « Commune de Sempy » (CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963, précité, pt n° 6). Pour les vices de forme ou de procédure, l’administration doit appliquer les dispositions en vigueur à la date à laquelle a été prise la décision attaquée, puisqu’il s’agit de réparer l’acte. En cas de vice de fond au contraire, l’administration doit appliquer les règles en vigueur au jour de la régularisation, puisque « la régularisation d’une illégalité de fond prend la forme d’une réédition » [11] de l’acte. La même solution binaire a été retenue dans le cadre de l’article L. 600-5-1 (CE, 3 juin 2020, n° 420736 N° Lexbase : A70113MM, pt 10).

L’innovation de notre arrêt se situe dans la deuxième phrase du point 7. Elle précise, non plus ce que doit faire l’autorité compétente pour régulariser le document d’urbanisme, mais quelle est cette autorité compétente. Elle applique ici le principe posé par l’arrêt « Ilouane » (CE, Sect., 30 septembre 2005, n° 280605 N° Lexbase : A6106DKD), selon lequel « l’autorité administrative compétente pour modifier, abroger ou retirer un acte administratif est celle qui, à la date de la modification, de l’abrogation ou du retrait, est compétente pour prendre cet acte ». Comme l’indiquent les conclusions de Guillaume Odinet sur l’arrêt rapporté, toute régularisation (de fond ou de forme) implique une « ré-approbation de l’acte » par l’administration au jour de cette régularisation. Il est donc normal que ce soit l’autorité compétente à cette date qui y procède. L’autorité compétente pour régulariser l’acte est donc celle qui est habilitée à agir, non au jour de l’adoption de l’acte, mais au jour de sa régularisation.

La compétence étant une question d’ordre public, cette précision n’est pas négligeable.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique


[1] Nos obs., La régularisation en droit de l’urbanisme, JDA, 2019, dossier 6, art. 241.

[2] R. Noguellou, La loi ELAN : aspects de droit de l’urbanisme, RDI, 2019, p. 1.

[3] Nos obs., La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation, AJDA, 2018, p. 142.

[4] J.-M. Staub, L’annulation partielle du permis de construire, Dr. Adm., 2014, n° 2, comm. 16.

[5] C. Gallo, La décision conditionnelle en droit administratif français, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2019, p. 305.

[6] J. Martin, Existe-t-il une limite à la régularisation des autorisations d’urbanisme ?, RDP, 2020, p 55.

[7] F. Bouyssou, Procès d’urbanisme ou procès équitable ?, AJDA, 2019, p. 961.

[8] É. Carpentier, Le droit de l’urbanisme aléatoire dans les prétoires, RDI, 2020, p. 20.

[9] M. Revert, Le volet contentieux de l’urbanisme de la loi ELAN, RDI, 2019, p. 64.

[10] B. Hachem, Lettre ouverte à ceux qui souhaitent (encore) restreindre le droit au recours en matière d’urbanisme, JCP éd. A, 2018, n° 24, 2185.

[11] O. Le Bot, Chronique de contentieux administratif. Octobre à décembre 2017, JCP éd. A, 2018, n° 18-19, 2141.

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Voies d'exécution

[Brèves] Inscription d’hypothèque judiciaire provisoire versus redressement personnel du débiteur

Réf. : CA Poitiers, 8 septembre 2020, n° 19/03715 (N° Lexbase : A09973T4)

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 17 Septembre 2020

► Le fait qu’un débiteur bénéficie d’une procédure de rétablissement personnel n’empêche pas l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur son bien immobilier sollicitée par un créancier bénéficiant d’une créance fondée en son principe et dont le recouvrement semble menacé ; les juges d’appel relèvent qu’en l’absence de précision particulière, la suspension et l’interdiction prévues par l’article L.742-7 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0687K7L), ne concernent que les procédures d’exécution au sens strict dans lesquelles les mesures conservatoires prévues au livre V du Code des procédures civiles d’exécutions, ne sont pas concernées ; ces dernières correspondent à des garanties qui n’ont pas pour effet de réduire le patrimoine du débiteur.

Faits et procédure. Dans cette affaire, un prêt immobilier a été consenti par le Crédit Lyonnais à deux emprunteurs, lequel était garanti par le cautionnement du Crédit Logement. À la suite d’impayés, le Crédit Logement, a adressé une mise en demeure aux emprunteurs en remboursement de la somme versée. Les incidents de paiements s’étant poursuivis, l’emprunteur a été informé de son inscription au FICP. La situation des débiteurs ayant perduré, le Crédit Lyonnais a établi deux quittances subrogatives en contrepartie des règlements intervenus par la caution. La première quittance portait sur les échéances impayées d’avril 2017 à février 2018, et la seconde à la suite de la prononciation de la déchéance du terme, portait sur les échéances impayées de mars à juillet 2018, le capital restant dû et les indemnités de retard. La caution a mis en demeure l’emprunteur, de lui rembourser ces sommes. En février 2018, le tribunal d’instance de Niort a admis la débitrice au bénéfice de la procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire. Par jugement de décembre 2018, la liquidation judiciaire du patrimoine de la débitrice a été ordonnée, et un liquidateur a été désigné. En mai 2019, l’organisme de caution a déclaré sa créance entre les mains du mandataire.

En août 2019, le Crédit Logement a déposé une requête aux fins d’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant aux débiteurs. Le juge de l’exécution a autorisé par ordonnance l’inscription de cette hypothèque provisoire, mais uniquement sur les parts et portions de débiteur, compte tenu du bénéfice de la débitrice de la procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire emportant le dessaisissement de la disposition de ses biens.

Le conseil du Crédit Logement, a adressé auprès du greffe du tribunal d’instance une demande de rétractation de l’ordonnance et à défaut relevé appel partiel de cette dernière, portant sur le rejet de l’autorisation d’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire à l’encontre de la débitrice.

Le fondement de l’argument principal résidait en l’article L. 331-3-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6593IM7) qui « dispose que la saisine du juge aux fins de rétablissement personnel emporte suspension des voies d'exécution » ; néanmoins, l’intéressé énonce que ce dernier ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre d’une mesure conservatoire.

À défaut de rétractation de l’ordonnance, le dossier a été transmis au greffe de la cour d’appel.

Réponse de la cour sur l’autorisation d’inscription d’hypothèque provisoire à l’encontre de la débitrice : énonçant la solution précitée, les juges d’appels ont rappelé, au début de leur argumentaire, les principes énoncés par l’article L 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5913IRG), concernant la possibilité de solliciter au juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens du débiteur, lorsque la créance paraît fondée en son principe et que des circonstances sont susceptibles d’en menacer le recouvrement. Les juges du second degré ont relevé que le recouvrement de la créance était menacé, du fait de la procédure de rétablissement personnel au bénéfice de la débitrice qui démontrait qu’elle était dans « une situation irrémédiablement compromise caractérisée par l'impossibilité manifeste de mettre en œuvre des mesures de traitement de la situation de surendettement ».

Bien plus, les magistrats ont également rappelé que l’article L. 742-7 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0687K7L) « dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire entraîne, jusqu'au jugement de clôture, la suspension et l'interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunération consenties par celui-ci et portant sur les dettes autres qu'alimentaires », ainsi que les dispositions de l’article L.742-15 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0679K7B), qui énonce que le jugement prononçant la liquidation emporte de plein droit le dessaisissement du débiteur de la disposition de ses biens. Il découle de l’article L.742-7 du Code de la consommation, la suspension et l’interdiction d’engager des procédures d’exécutions, jusqu’au jugement de clôture.

Solution. La cour d’appel a infirmé l'ordonnance rendue par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Niort, en ce qu’elle a rejeté la demande de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier à l’égard de la débitrice.

Conseil pratique : il conviendra pour le créancier de solliciter auprès du service de la publicité foncière le duplicata de la quittance constatant le paiement entier des taxes pour l’inscription de l’hypothèque judiciaire provisoire à l’encontre de l’époux, et ce afin de faire figurer dans le bordereau Cerfa, dans la catégorie relative aux « dispositions particulières et renvois », la mention de l’exonération de la taxe de publicité foncière en application des articles 844 (N° Lexbase : L2960IGQ) et 1702 bis (N° Lexbase : L5288IMS) du Code général des impôts. (même créance que celle garantie par l'inscription précédente), sans omettre de rajouter les dépens relatifs à l’instance d’appel.

 

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