La lettre juridique n°469 du 19 janvier 2012

La lettre juridique - Édition n°469

Éditorial

Dictionnaire juridique (et néanmoins amoureux) de La Marseillaise

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N9686BSK

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"La plupart des musiques de la Révolution française ont un air de famille : majesté fraternelle et sereine, naïf et touchant espoir de bonheur et de paix, avec une belle foi dans l'Etre suprême, la Raison, la Vertu. La Marseillaise, pièce unique, est à part" - Charles Koechlin dans Gloire à La Marseillaise/Cri d'épopée en 1936.

Depuis l'écriture de ses vers, dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, La Marseillaise n'a cessé de susciter la controverse quant à son caractère éminemment guerrier, tant auprès des monarchistes et impériaux, que des internationalistes de bon ton. Dernier opus en date, un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 23 décembre 2011 et mentionné aux tables du recueil Lebon, refuse d'annuler la circulaire du 2 mai 2011, en tant qu'elle impose l'étude et le chant de la Marseillaise à l'école primaire, au CM1, et lors des manifestations commémoratives. L'occasion pour nous de montrer que, si l'on peut "mettre les paras au pas", comme à l'initiative de Serge Gainsbourg, en 1979, avec sa version reggae de l'hymne national, La Marseillaise n'est pas vraiment coutumière des prétoires. Le débat est avant tout politique ; et pour cause, l'hymne national a valeur constitutionnelle. En matière de protection juridique, on ne peut guère mieux faire...

A comme "Allons, enfants de la Patrie" : la première phrase de La Marseillaise ne pouvait pas être plus explicite, puisqu'elle adresse le chant, décrété hymne national par la Convention, le 14 juillet 1795, directement aux "enfants". D'aucuns diront que, au regard de la "Mère Patrie", chaque citoyen égal en droit et en devoir est un "enfant", toujours est-il que les engagés volontaires de l'armée du Rhin, pour lesquels Claude Joseph Rouget de Lisle écrivit ces paroles, étaient bien souvent de véritables enfants, à l'image des fils du baron de Dietrich, maire de Strasbourg, partis repousser l'offensive autrichienne. Enfin, bien que tombés dans l'oubli, on ne peut passer sous silence les septième et huitième couplets de l'hymne national, dit "couplets des enfants", écrits, sans doute, par l'abbé Antoine Pessonneaux, pour la fête de la Fédération du 14 juillet 1792 (ce qui sauva la tête du bienheureux abbé, lors de son procès en 1794). Comme Abraham aurait sacrifié son fils unique sur un simple mot de Dieu, la Nation française acceptait de sacrifier ses enfants sur l'autel de la Patrie...

B comme Berlioz : le célèbre compositeur proposa une nouvelle orchestration de La Marseillaise, lors des Trois Glorieuses, en 1830. Et, c'est cette orchestration qui devint la version officielle de la République. On s'interrogera sur la légalité de l'initiative du compositeur romantique qui s'est ainsi approprié une oeuvre dont la musique a été écrite par un autre (Ignace Pleyel ?), au regard d'une jurisprudence, constante depuis 2006, consacrant un droit moral, un droit de suite, de l'artiste sur son oeuvre. Mais, en l'absence de certitude sur l'auteur de la musique accompagnant les paroles de Rouget de Lisle, et donc d'auteur identifié de l'oeuvre, l'orchestration de Berlioz aurait eu toutes les chances de passer sous les fourches caudines anachroniques de la jurisprudence de la Cour de cassation.

C comme Constitution : l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 inscrit La Marseillaise au Panthéon des attributs de la "divine" République française. Ainsi donc, la langue de la République est le français. L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L'hymne national est La Marseillaise. La devise de la République est "Liberté, Egalité, Fraternité". Son principe est : Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Entouré de tels oripeaux, le chant de l'armée du Rhin est, en effet, indéboulonnable, quasi-sacré. Alors, on peut toujours essayer d'en confronter les paroles aux principes pacifistes et humanistes de quelque déclaration de droits fondamentaux que ce soit, il n'en demeure pas moins que, dans la hiérarchie des normes, rien n'égale la Constitution, pire, tout lui est subordonné. Et, nous y reviendrons...

D comme "Déchirent le sein de leur mère !" : le dernier vers du cinquième couplet rappelle, une nouvelle fois, l'infantilisation des citoyens au regard de la République, même de ceux qui la trahissent, comme ce général de l'armée de Sarre et Moselle, monarchien, François-Claude de Bouillé, à qui le vers précédent reproche son rôle dans la répression de la mutinerie de la garnison de Nancy et dans la fuite du roi à Varennes.

E comme Europe : la Cour européenne des droits de l'Homme, à l'instar de son arrêt du 23 juin 1993, entrevoit mal comment le rejet de toute expression de patriotisme (tel le fait de chanter l'hymne national), en application des principes éducationnels de la confession à laquelle appartient la mère d'un enfant, dénierait à cette dernière l'exercice de l'autorité parentale.

F comme France : La Marseillaise n'a pas toujours été l'hymne national français, notamment à la faveur de l'Empire, de la Restauration et du Second empire ; mais, la Troisième République l'adopta définitivement en 1884. Et, ce n'est pas l'entonnaison d'une ode au Maréchal qui déboulonna le chant républicain de la France Libre...

G comme Giscard d'Estaing (Valéry) : après avoir changé le bleu du drapeau français par un bleu cobalt plus clair, moins agressif, le nouveau Président fit jouer La Marseillaise sur un ton moins fort et un rythme plus lent, conforme au rythme original du chant de l'armée du Rhin.

H comme Hymne de guerre : le caractère belliqueux des paroles de Rouget de Lisle rappellent, qu'avant de devenir hymne national, La Marseillaise fut composée à l'attention des troupes du maréchal de Luckner, et s'appelait alors le Chant de guerre pour l'armée du Rhin ou le Chant de marche des volontaires de l'armée du Rhin. Mais, la controverse sur la violence des paroles de ce chant guerrier, controverse qui s'est invitée, une nouvelle fois, à l'occasion de la dernière fête nationale, ne doit pas faire oublier que tout guerrier que cet hymne soit, il n'est pas belliciste. Il exhorte les Français à la défense de la Patrie et non à porter la guerre auprès de l'étranger. D'ailleurs, les derniers couplets invitent justement les générations futures à cesser de chanter "ce refrain terrible : Aux armes, citoyens ! Etc."... Ainsi, "ces paroles étaient chantées sur des notes tour à tour graves et aiguës, qui semblaient gronder dans la poitrine avec les frémissements sourds de la colère nationale, puis avec la joie de la victoire. Elles avaient quelque chose de solennel comme la mort, de serein comme l'immortelle confiance du patriotisme. On eût dit un écho retrouvé des Thermopyles. C'était de l'héroïsme chanté" écrivit Lamartine (Histoire des Girondins, 1847, p. 408-414).

I comme Isidore Pils : le peinte, fils du général Oudinot, immortalisa, en 1849, Rouget de Lisle chantant pour la première fois la Marseillaise, chez Dietrich à Strasbourg.

J comme Jean Jaurès : "ce n'est pas seulement sur la forme que porte la controverse ; c'est sur les idées. Or, je dis que La Marseillaise, la grande Marseillaise de 1792, est toute pleine des idées qu'on dénonce le plus violemment dans L'Internationale. Que signifie, je vous prie, le fameux refrain du'sang impur' ? - "Qu'un sang impur abreuve nos sillons !", l'expression est atroce. C'est l'écho d'une parole bien étourdiment cruelle de Barnave. On sait qu'à propos de quelques aristocrates massacrés par le peuple, il s'écria : "Après tout, le sang qui coule est-il donc si pur ?" Propos abominable, car dès que les partis commencent à dire que le sang est impur qui coule dans les veines de leurs adversaires, ils se mettent à le répandre à flots et les révolutions deviennent des boucheries. Mais de quel droit la Révolution flétrissait-elle de ce mot avilissant et barbare tous les peuples, tous les hommes qui combattaient contre elle ?" (La Petite République socialiste, 30 août 1903, reproduit dans Cahiers d'histoire de l'Institut de recherches marxistes, 1988).

K comme Killy (Jean-Claude) : on entendit claironner, avec joie, La Marseillaise, par trois fois, sur les pistes de Chamrousse, en cet hiver 1968, voyant le skieur alpin gravir la plus haute marche des podiums de la descente, du slalom et du slalom géant, lors des Jeux olympiques de Grenoble.

L comme Loi n° 2005-380, du 23 avril 2005, d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école : c'est l'article 26 de cette loi qui introduisit un article L. 321-3 au sein du Code de l'éducation, aux termes duquel la formation primaire dispensée dans les écoles élémentaires assure conjointement avec la famille l'éducation morale et offre un enseignement d'éducation civique qui comporte obligatoirement l'apprentissage de l'hymne national et de son histoire. C'est la circulaire d'application de cette disposition qui a fait l'objet d'un pourvoi aux fins d'annulation auprès du Conseil d'Etat ; pourvoi rejeté le 23 décembre 2011. Le Haut conseil a, d'abord, écarté tout renvoi de la disposition législative à la faveur d'une question prioritaire de constitutionnalité, car il ne saurait être sérieusement soutenu que l'apprentissage de l'hymne national à l'école primaire méconnaîtrait la Constitution au motif que ses paroles seraient contraires à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, qui garantit la liberté d'opinion, et à l'article 1er de la Constitution selon lequel la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion et respecte toutes les croyances. Puis, il a rappelé qu'eu égard à l'histoire de La Marseillaise, qui doit être également enseignée aux enfants des écoles primaires, et au fait que ce chant symbolise, en tant qu'hymne national, les valeurs de la République, le législateur n'a, en tout état de cause, pas méconnu les stipulations de l'article 2 de l'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prohibe "tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence" ; du 1 de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels concernant le droit de toute personne à l'éducation ; et de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui protège les libertés de pensée, de conscience et de religion.

M comme Militaire : C'est le décret du 15 octobre 2004 qui établit un véritable code cérémonial militaire. A son article 10, il est prescrit que l'hymne national n'est joué que lorsque les troupes rendent les honneurs de pied ferme. Aucun mouvement n'est effectué pendant son exécution. Il n'est exécuté intégralement que dans les cérémonies où figure un drapeau (ou étendard) des forces armées et des formations rattachées. Dans ce cas, il est joué au moment où l'autorité à laquelle les honneurs sont rendus s'arrête devant le drapeau (ou étendard) et salue. Dans les cérémonies où ne figure aucun drapeau (ou étendard), seul le refrain de l'hymne national est joué. Dans ce cas, il est exécuté au moment où l'autorité à laquelle les honneurs sont rendus arrive devant le commandant de la troupe et reçoit son salut. En cas d'honneurs à rendre aux monuments aux morts pour la patrie, l'hymne national (ou son refrain) est joué une seconde fois à la fin de la minute de silence. Sous réserve des dispositions du précédent alinéa, l'hymne national (ou son refrain) n'est exécuté qu'une seule fois au cours de la même prise d'armes. En outre, seul le refrain de l'hymne national est joué chaque fois qu'une troupe avec musique rend les honneurs au drapeau (ou étendard) des forces armées et des formations rattachées avant et après une prise d'armes.

N comme Naturalisation : pour être naturalisé letton, il faut avoir résidé légalement en Lettonie pendant les cinq dernières années au moins, avoir des revenus provenant d'une source légale, passer un examen de maîtrise de la langue lettonne, connaître la Constitution lettonne et l'hymne national, avoir des connaissances de base sur l'histoire de la Lettonie, prêter un serment d'allégeance et, le cas échéant, renoncer à une nationalité déjà possédée, nous apprend un arrêt du 9 octobre 2003, rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme... dans le cadre d'une affaire de naturalisation de deux requérantes d'origine russe ; la première requérante étant née en Estonie, de père militaire soviétique et arrivée en Lettonie, avec ses parents à l'âge de un mois ; la seconde née en Lettonie, et fille de la première requérante...

O comme Outrage public à l'hymne national : l'article 433-5-1 du Code pénal condamne, depuis le 19 mars 2003, le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore à 7 500 euros d'amende. Et, lorsqu'il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende...

P comme Production, programmation et diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales : régulièrement, le Conseil supérieur de l'audiovisuel prend des décisions relatives aux conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives à la campagne en vue de chaque élection. Il est régulièrement rappelé aux organisations politiques que, au cours des interventions, elles ne peuvent pas, notamment, faire apparaître des lieux et bâtiments officiels ; faire usage d'aucun drapeau, ni utiliser sciemment, notamment dans le décor, les trois couleurs bleu, blanc, rouge ; et utiliser l'hymne national ; afin que les symboles de la République ne puissent être repris ou être l'apanage d'un seul parti. Ces symboles ne sont pas intrinsèquement partisans.

Q comme Questions parlementaires : combien de questions écrites, et réponses ministérielles subséquentes, ont été posées aux députés et sénateurs, à la suite de l'irrespect de l'hymne national, dans le cadre de rencontres de football entre la France et des pays étrangers, réclamant tantôt de préciser la nature des sanctions qui s'imposent, ne serait-ce qu'à titre d'exemple civique (question n° 67490, publiée au JOANQ le 15 octobre 2001, p. 5894, de M. Charles Ehrmann) ; tantôt de modifier d'urgence les procédures de naturalisation, en demandant à tout étranger qui souhaite acquérir la nationalité française de manifester d'abord la claire volonté de le devenir, ensuite de s'engager, par un serment solennel, à respecter les lois, la Constitution et les valeurs de la République française (question n° 67437, publiée au JOANQ le 15 octobre 2001, p. 5879, de M. Didier Julia) ?

R comme Révolution française : rejeter La Marseillaise, comme hymne national, c'est rejeter les acquis de la Révolution française, période de l'Histoire qui, si elle couvre des exactions criminelles et sanguinaires sans précédents -rappelons l'épuration vendéenne ordonnée par la Convention sous le commandement de Hoche-, contient en son sein la Déclaration des droits de l'Homme, l'abolition des privilèges, etc.. Bonaparte a clôturé la Révolution française, en en acceptant tout l'héritage, y compris La Marseillaise ; c'est Napoléon, empereur, qui abandonna l'hymne national, en 1804, au profit du Chant du départ.

S comme "Socle commun de connaissances et de compétences" : c'est le décret du 11 juillet 2006 qui fixe ce socle et modifie le Code de l'éducation. Il préconise, ainsi, que pour exercer sa liberté, le citoyen doit être éclairé. La maîtrise de la langue française, la culture humaniste et la culture scientifique préparent à une vie civique responsable. En plus de ces connaissances essentielles, notamment de l'histoire nationale et européenne, l'élève devra connaître :
- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;
- la Convention internationale des droits de l'enfant ;
- les symboles de la République et leur signification (drapeau, devise, hymne national ) ;
- les règles fondamentales de la vie démocratique (la loi, le principe de la représentation, le suffrage universel, le secret du vote, la décision majoritaire et les droits de l'opposition) dont l'apprentissage concret commence à l'école primaire dans diverses situations de la vie quotidienne et se poursuit au collège, en particulier par l'élection des délégués ;
- le lien entre le respect des règles de la vie sociale et politique et les valeurs qui fondent la République...

Aussi, bien que controversé, l'apprentissage de La Marseillaise à l'école s'inscrit dans un ensemble de mesures favorisant la tolérance, le respect et la concorde.  Et, "si ce n'était qu'un chant de guerre, il n'aurait pas été adopté des nations. C'est un chant de fraternité ; ce sont des bataillons de frères qui, pour la seule défense du foyer, de la patrie, vont ensemble d'un même coeur", écrivit Michelet (La Révolution française ; La Constituante et la Législative, 1899, p. 470-473).

T comme Tuileries : c'est devant le palais des Tuileries, ce 30 juillet 1792, que les troupes des fédérés marseillais entonnent le chant de l'armée du Rhin, avec une conviction telle, que les parisiens le baptisent La Marseillaise.

U comme UEFA : Michel Platini, président de l'Union européenne du football amateur, estimait que les sifflets entendus, à l'occasion de l'entonnaison de La Marseillaise, lors de plusieurs matches de football, constituaient des "manifestations contre un adversaire d'un soir, en l'occurrence l'équipe de France" et n'étaient pas "une insulte à la France", tentant ainsi d'éteindre la polémique nationaliste, mêlant football et patriotisme.

V comme Venise : en 1797, pour fêter la chute des doges de Venise, avec l'entrée des troupes de Bonaparte dans la Sérénissime, une version italienne de La Marseillaise est publiée à Padoue.

W comme Wolfgang Amadeus Mozart : la première phrase "Allons enfants de la patrie" se retrouve, étrangement, dans deux oeuvres antérieures du compositeur autrichien : La Flûte enchantée et l'Allegro maestoso du concerto pour piano n° 25.

X comme X (née sous...) : la musique du célèbre chant de l'armée du Rhin est "née sous X". Plusieurs noms ont circulé pour attribuer une paternité à la musique accompagnant l'oeuvre de Rouget de Lisle : Pleyel, Holtzmann, Grisons... ? Mais, le mystère demeure...

Y comme Y (le chromosome) : il faut reconnaître que, moeurs des temps obligent, La Marseillaise est un chant guerrier confiant aux hommes et aux fils de défendre leur Patrie, leur territoire et leurs "compagnes". Un brin sexiste, tel est, au final, son seul écueil anachronique qui devrait porter à controverse !

Z comme Zweig (Stefan) : dans Le génie d'une nuit, l'auteur francophile écrivit : "La Marseillaise n'est pas, en effet, une oeuvre de concert pour ténor léger, elle n'est pas faite pour être chantée par un soliste, dans, un salon bourgeois, entre une romance et une cavatine. Un chant qui va crescendo jusqu'à ce martèlement, jusqu'à ces mesures électrisantes ; "Aux-armes, citoyens !" s'adresse à une foule, à une masse, et sa véritable orchestration se trouve dans le cliquetis des armes, dans l'éclat des fanfares, dans le bruit des régiments en marche" (Les Très riches heures de l'Humanité). Fermez le ban... Rompez les rangs...

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Avocats/Formation

[Textes] Avocats : spécialisations mode d'emploi

Réf. : Décret n° 2011-1985 du 28 décembre 2011 (N° Lexbase : L5003IRQ) ; arrêtés du 28 décembre 2011, NOR : JUSC1130802A (N° Lexbase : L5021IRE) et NOR : JUSC1130804A (N° Lexbase : L5020IRD)

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N9705BSA

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 19 Janvier 2012

La refonte du régime des spécialisations a pour objectif, d'une part, d'améliorer l'accès des avocats à une mention de spécialisation en remplaçant l'examen théorique prévu par un contrôle des connaissances portant sur la pratique professionnelle et, d'autre part, de favoriser la lisibilité pour le public de compétences acquises au sein d'une liste renouvelée de mentions de spécialisation, arrêtée par le Conseil national des barreaux, sous condition du maintien d'un niveau élevé d'exigence et d'une formation continue renforcée. La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI), a pris en compte les modifications législatives proposées par le Conseil national des barreaux qui ont été intégrées dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). La spécialisation est ainsi acquise par une pratique professionnelle continue d'une durée de quatre années et validée par un jury qui vérifie les compétences professionnelles dans la spécialité sur la base d'un dossier constitué par l'avocat. Le jury se prononce à l'issue d'un entretien qui comprend une mise en situation professionnelle. La spécialisation est attestée par un certificat délivré par le Conseil national des barreaux. La réforme opérée par la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 était soumise à décret d'application pour la partie relative au régime des spécialisations des avocats. Le dispositif devait également être complété par la modification des deux arrêtés du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 8 juin 1993, fixant la liste des mentions de spécialisation en usage dans la profession d'avocat et celui du 8 décembre 1993 fixant les modalités actuelles de l'examen de contrôle des connaissances. Ces textes ont été publiés au Journal officiel du 29 décembre 2011. Ils s'appliquent donc à compter du 1er janvier 2012, nonobstant la mise en place d'un régime de transition. I - Présentation du nouveau régime

Le nouveau régime concerne les avocats souhaitant acquérir une mention de spécialisation à la suite de la refonte du régime des spécialisations qui prévoit de nouvelles conditions d'accès aux mentions de spécialisation des avocats.

  • Les conditions de recevabilité : pratique professionnelle

La pratique professionnelle nécessaire à l'obtention d'un certificat de spécialisation est au minimum de quatre années (décret du 27 novembre 1991, art. 88 modifié).

Elle peut être acquise en France ou à l'étranger :

- en qualité d'avocat, dans le domaine de la mention revendiquée ;
- en qualité de salarié, dans un cabinet d'avocat intervenant dans le domaine de la spécialisation revendiquée ;
- en qualité de membre, d'associé, de collaborateur ou de salarié dans une autre profession juridique ou judiciaire réglementée ou dans celle d'expert-comptable, dont les fonctions correspondent à la spécialisation revendiquée ;
- dans un service juridique d'une entreprise, d'une organisation syndicale, d'une administration ou d'un service public, d'une organisation internationale, travaillant dans la spécialité revendiquée ;
- dans un établissement universitaire ou d'enseignement supérieur reconnu par l'Etat, en qualité de professeur ou maître de conférences chargé de l'enseignement de la discipline juridique considérée ;
- en qualité de membre du Conseil d'Etat, de magistrat de la Cour des comptes, de l'ordre judiciaire, des tribunaux administratifs, des cours administratives d'appel, et des chambres régionales des comptes, affecté au sein d'une formation correspondant à la spécialisation revendiquée.

Elle peut aussi résulter, à titre individuel, d'activités, de travaux ou de publications relatifs à la spécialité. Enfin, elle peut avoir été acquise dans une ou plusieurs des fonctions mentionnées au présent article dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à quatre ans.

  • Le dossier de candidature

Les éléments du dossier de candidature sont prévus par l'arrêté du 28 décembre 2011, fixant les modalités de l'entretien de validation des compétences professionnelles en vue de l'obtention d'un certificat de spécialisation.

Il doit comprendre :

- une requête de l'intéressé précisant le ou les certificats de spécialisation et, le cas échéant, la qualification spécifique dont il sollicite l'usage ;
- un curriculum vitae ;
- tous documents justificatifs, en originaux ou copies certifiées conformes, de l'identité et du domicile professionnel du candidat ;
- une attestation de la qualité d'avocat inscrit à un barreau français, délivrée par le Bâtonnier en exercice ;
- une attestation de suivi de son obligation de formation continue ;
- une attestation justifiant qu'il est à jour du paiement des cotisations ordinales et de celles du Conseil national des barreaux ;
- une note de synthèse à destination des membres du jury sur ses activités professionnelles, accompagnée de tous les documents justifiant de ladite activité professionnelle en rapport avec la mention de spécialisation sollicitée ;
- un dossier justifiant de la pratique professionnelle.

Le Conseil national des barreaux précise, dans son guide sur la spécialisation mis en ligne sur son site le 7 janvier 2012, que ce dossier est constitué soit par des jeux de conclusions en demande et en défense, ainsi que par le jugement (comportant les éléments contradictoires de la procédure), soit par des consultations écrites ou des rédactions d'actes.

Dans un souci de confidentialité, le nom des parties ne doit pas apparaître dans les pièces du dossier de l'avocat candidat (conclusions, consultations, actes...). Enfin, un bordereau récapitulatif des pièces est joint au dossier.

  • L'entretien de validation

L'entretien de validation des compétences professionnelles est organisé par les centres régionaux de formation professionnelle dans les conditions fixées par arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, pris après avis du Conseil national des barreaux (décret du 27 novembre 1991, art. 91 modifié). A cet égard l'arrêté du 28 décembre 2011 précise que les candidatures pour l'obtention d'un certificat de spécialisation doivent être adressées par voie électronique ou tout autre moyen équivalent au président du Conseil national des barreaux. Le candidat peut demander à passer l'entretien devant un jury hors du centre régional de formation professionnelle de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il est inscrit à un barreau. Le président du Conseil national des barreaux informe l'avocat du centre régional de formation professionnelle dans lequel il passera l'entretien et transmet au centre compétent le ou les dossiers des candidats déclarés.

Le rapporteur désigné par le président du Conseil national des barreaux étudie la recevabilité du dossier du candidat et transmet son rapport aux autres membres du jury au plus tard dans les deux mois de la désignation de celui-ci.

Une convocation individuelle indiquant le jour, l'heure et le lieu de l'entretien est adressée par le centre régional de formation professionnelle aux avocats dont la candidature est retenue, par voie électronique ou par tout autre moyen équivalent, quinze jours au moins avant la date de l'entretien.

L'entretien se déroule devant un jury de quatre membres désignés par le président du Conseil national des barreaux sur la liste nationale prévue au troisième alinéa de l'article 86 du décret du 27 novembre 1991 modifié.

Le jury comprend :

- deux avocats admis à faire usage de la mention de spécialisation revendiquée ou, à défaut, justifiant d'une "qualification suffisante" dans cette spécialité, dont le rapporteur et le président du jury (ces avocats sont proposés par les Bâtonniers en exercice) ;
- un Professeur ou maître de conférences chargé d'un enseignement juridique dans le domaine de spécialisation revendiqué (les universitaires sont désignés par les présidents des universités habilitées à délivrer une licence ou un master en droit) ;
- un magistrat de l'ordre judiciaire ou un membre du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (les magistrats sont désignés par les premiers présidents et procureurs généraux des cours d'appel, les présidents des cours administratives d'appel et les présidents des tribunaux administratifs dans le ressort desquels se trouvent les sièges des centres de formation professionnelle).

Un nombre égal de suppléants est désigné dans les mêmes conditions. Aucun membre du jury, ne peut siéger plus de cinq années consécutives. En cas de partage des voix, celle du président du jury est prépondérante.

Le CNB précise dans son guide pratique que concernant les critères de définition de la "qualification suffisante dans la spécialisation", il faut entendre un exercice constant et dominant dans le domaine revendiqué qui reste à l'appréciation souveraine du Bâtonnier en exercice. Pour ce faire, il peut s'agir d'un nombre suffisant d'années d'expérience professionnelle (quatre années par exemple) et de la notoriété de l'avocat pour les matières traditionnelles de spécialisation, ou de la participation de ce dernier à des actions de formation et à des publications juridiques pour des matières plus nouvelles. Cette ouverture est notamment nécessaire pour les spécialisations nouvelles.

L'entretien avec le candidat se déroule en séance publique. Il débute par une présentation orale sur la base du dossier constitué par le candidat. Il est suivi d'une discussion avec le jury sur la spécialisation. Le candidat pourra être interrogé sur des questions déontologiques en lien avec la spécialisation.

Le CNB rappelle, dans son document du 7 janvier 2012, que le jury contrôle l'existence d'une pratique professionnelle réelle et sérieuse et s'abstient de procéder à un contrôle de connaissance théorique. Il peut prendre en considération l'ensemble des travaux et publications réalisés par l'avocat ainsi que de la formation professionnelle continue suivie dans la matière.

  • Obtention de la mention de spécialisation

Le jury autorise le titulaire de la spécialisation à faire usage de la mention sollicitée. L'usage de cette mention est indissociable du certificat de spécialisation. Le président du Conseil national des barreaux délivre les certificats de spécialisation aux candidats admis. Il procède à l'inscription des avocats titulaires desdits certificats sur la liste nationale prévue à l'article 86 du décret du 27 novembre 1991 et en informe les Bâtonniers des Ordres concernés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il notifie aux candidats non admis, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les quinze jours de leur signature, les décisions refusant le ou les certificats de spécialisation.

L'avocat ne peut faire état de son titre de spécialiste qu'après son intégration par le Conseil national des barreaux sur une liste nationale régulièrement mise à jour.

La décision refusant un certificat de spécialisation peut être déférée par l'intéressé à la cour d'appel de Paris, dans le délai d'un mois suivant sa notification, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef. Le recours est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire (décret du 27 novembre 1991, art. 92-4, nouveau).

  • Péremption du droit de faire usage de la mention de spécialisation

Le Bâtonnier met en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception l'avocat titulaire d'un certificat de spécialisation qui n'aurait pas satisfait à son obligation de formation continue prévue au dixième alinéa de l'article 85 de justifier dans un délai de trois mois à compter de la notification du respect de cette obligation (décret du 27 novembre 1991, art. 92-5, nouveau).

A défaut de justification dans ce délai, le conseil de l'Ordre dont il relève peut interdire à l'avocat de faire usage de sa ou ses mentions de spécialisation. Cette mesure ne peut être prononcée sans que l'intéressé ait été entendu ou appelé dans un délai d'au moins huit jours par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La décision du conseil de l'Ordre interdisant de faire usage de la mention de spécialisation est notifiée à l'intéressé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les quinze jours de sa date. L'intéressé peut la déférer à la cour d'appel. Le Bâtonnier avise de cette décision sans délai le président du Conseil national des barreaux qui procède au retrait de l'avocat de la liste nationale prévue à l'avant-dernier alinéa de l'article 86. L'avocat retrouve le droit de faire usage de sa mention de spécialisation s'il justifie auprès du conseil de l'Ordre dont il relève, dans les deux ans suivant la notification de l'interdiction mentionnée à l'article 92-5, de ce qu'il a satisfait à l'obligation de formation continue prévue à l'article 85.

Le Bâtonnier en avise le président du Conseil national des barreaux qui procède à la réinscription de l'avocat sur la liste nationale prévue à l'avant-dernier alinéa de l'article 86.

  • Droits d'inscription

Pour toute demande de spécialisation des droits d'inscription d'un montant de 600 euros seront demandés à l'avocat.

Ces droits tiennent compte des éléments suivants :

- les coûts de gestion administrative ;
- le défraiement des membres du jury ;
- le remboursement des frais engagés par les écoles organisant les examens (locaux et personnels).

II - Mise en place d'un régime transitoire

Un régime transitoire est instauré au profit des avocats d'ores et déjà titulaires d'une mention de spécialisation ou d'un certificat de spécialisation dans un champ de compétence à la date d'entrée en vigueur de la réforme. Ces derniers seront dispensés de la procédure de droit commun prévue par la réforme et bénéficieront d'une procédure simplifiée. La durée de la période transitoire est fixée à une année. Les avocats déjà titulaires pourront ainsi déposer un dossier jusqu'au 31 décembre 2012.

L'article 50-II de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées dispose, à cet égard, que "les avocats titulaires d'un ou plusieurs certificats de spécialisation à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées, peuvent faire le choix sur justification d'une pratique professionnelle effective dans le domaine revendiqué, d'un ou de deux certificats de spécialisation dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Le Conseil national des barreaux détermine les modalités selon lesquelles cette faculté s'accomplit".

Le régime transitoire prévoit une procédure simplifiée par rapport à celle de droit commun.

Pour faire valoir leur mention de spécialisation ou leur certificat dans un champ de compétence, les candidats doivent joindre à leur dossier :

- la copie du certificat de spécialisation, ou à défaut une attestation du Bâtonnier de l'Ordre ;
- une déclaration sur l'honneur justifiant de la poursuite d'une activité professionnelle dans le domaine de la mention de spécialisation revendiquée ;
- une attestation du Bâtonnier reconnaissant qu'ils sont à jour de leur obligation de formation continue.

Le dossier complet doit être envoyé au Conseil national des barreaux qui attribuera en application des tables de concordance les nouvelles mentions de spécialisations et délivrera les certificats correspondants (dans la limite de deux).

Une procédure similaire est appliquée pour les avocats justifiant d'un certificat de spécialisation dans un champ de compétence.

Chaque avocat ne pourra bénéficier de plus de deux mentions de spécialisation dont la liste est fixée par arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés. Par conséquent les avocats qui disposent de plus de deux mentions de spécialisation à la date d'entrée en vigueur de la réforme devront faire un choix. Dans le cadre du nouveau régime, les titulaires d'un certificat de spécialisation consacrent la moitié de la durée de leur formation continue à ce domaine de spécialisation, soit au moins dix heures. S'ils sont titulaires de deux certificats de spécialisation, ils accomplissent dix heures de formation au moins de formation dans chacun de ces domaines de spécialisation, soit vingt heures au cours d'une année civile et quarante heures au cours de deux années consécutives. A défaut, l'avocat perd l'usage de sa ou ses mentions de spécialisation (décret du 27 novembre 1991, art. 85 modifié).

Il est à noter qu'aucun frais administratif ne sera demandé dans le cadre du régime transitoire.

Enfin, il faut rappeler que la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (N° Lexbase : L2387IP4), a créé une spécialisation en procédure d'appel réservée, d'une part, aux anciens avoués devenus avocats et, d'autre part, aux personnes ayant travaillé en qualité de collaborateur d'avoué et justifiant à la date d'entrée en vigueur de la loi de la réussite à l'examen d'aptitude à la profession d'avoué. Cette spécialisation en procédure d'appel ne figure pas sur la liste des mentions de spécialisation en usage dans la profession d'avocat fixée par l'arrêté du Garde des Sceaux du 28 décembre 2011 (décret du 27 novembre 1991, art. 87). Elle sera donc exclusivement réservée aux anciens avoués devenus avocats et à leurs collaborateurs dans les conditions ci-dessus rappelées.

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Communautaire

[Jurisprudence] Chronique de droit communautaire - Janvier 2012

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N9694BST

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 19 Janvier 2012

Au mois de décembre 2011, la Cour de justice a rendu un arrêt important relatif à la mise en oeuvre par les Etats membres de la réglementation de l'Union relative à l'examen des demandes d'asile. Il s'agit, en effet, d'une question délicate sur laquelle s'était déjà prononcée la Cour européenne des droits de l'Homme, car elle touche au respect des droits fondamentaux dans l'Union (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-411/10 et C-493/10). Par ailleurs, la Cour de justice a répondu à deux renvois préjudiciels initiés par le Conseil d'Etat français. La première portait sur l'articulation de la Directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux avec les principes du droit administratif relatifs à la responsabilité des hôpitaux publics (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10). La seconde concernait les règles applicables en cas de violation de passation des marchés publics par le bénéficiaire d'une subvention européenne (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-465/10).
  • Respect des droits fondamentaux et détermination de l'Etat compétent pour examiner une demande d'asile (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-411/10 et C-493/10 N° Lexbase : A6906H8B)

A - Les faits et les problèmes posés par ces deux affaires étaient largement analogues à ceux auxquels avait déjà été confrontés la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt n° 30696/09 du 21 janvier 2011 (1). Des ressortissants d'Etat tiers étant entrés dans l'Union européenne par la Grèce, ils se déplacent ensuite dans un autre Etat membre et y déposent alors une demande d'asile. En application de l'article 10, paragraphe 2, du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (N° Lexbase : L9626A9E) (JO L 50 du 25 février 2003), l'Etat compétent pour examiner la demande est celui par lequel l'intéressé est pour la première fois entré dans l'Union. Dès lors, en vertu de ces dispositions, l'Etat membre où a été déposée la demande d'asile devrait renvoyer les intéressés en Grèce.

B - Dans l'arrêt n° 30696/09, la Cour européenne des droits de l'Homme a constaté qu'en Grèce, les conditions de rétention des demandeurs d'asile étaient constitutives d'une violation de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. Or, selon une jurisprudence ancienne de la Cour de Strasbourg, remettre un individu à un Etat où il risque de subir des traitements contraires à l'article 3 précité constitue, également, une violation de la Convention (2). Il s'agissait donc de savoir si la Belgique, en renvoyant l'intéressé en Grèce, avait violé la CESDH, alors qu'elle avait appliqué le Règlement (CE) n° 343/2003.

Cette question relève du problème assez classique de la compétence de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard des mesures nationales d'exécution du droit de l'Union. En vertu de la jurisprudence "Bosphorus" (3), un Etat est présumé respecter la Convention pour autant qu'il ne fait qu'exécuter une obligation juridique résultant du droit de l'Union et, dès lors, la Cour n'est pas compétente pour examiner la requête, sauf s'il est démontré, en l'espèce, que la protection des droits fondamentaux garantis par l'Union est entachée d'une insuffisance manifeste. Dans l'affaire n° 30696/09, la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que la Belgique ne se trouvait pas dans une situation dans laquelle elle ne faisait qu'exécuter une obligation juridique du droit de l'Union. Elle avait, en effet, souligné que le Règlement (CE) n° 343/2003 contient une clause dite de "souveraineté" qui permet toujours à un Etat membre de déroger aux critères qui déterminent l'Etat compétent pour connaître d'une demande d'asile (article 3, paragraphe 2). Dès lors, la Belgique avait la faculté, sur le fondement du Règlement, de ne pas renvoyer l'intéressé en Grèce alors qu'il risquait d'y subir des traitements inhumains et dégradants. La Cour européenne des droits de l'Homme en déduisait donc que la Belgique avait violé la Convention.

C - Dans les affaires du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne était saisie à titre préjudiciel, de la même difficulté que la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire 21 janvier 2011 : un Etat membre doit-il renvoyer un demandeur d'asile en Grèce alors qu'il risque d'y subir des traitements inhumains et dégradants ?

La Cour de justice rappelle qu'il "ressort de l'examen des textes constituant le système européen commun d'asile que celui-ci a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l'ensemble des Etats y participant, qu'ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève [relative aux réfugiés, signée le 28 juillet 1951 (N° Lexbase : L6810BHPet le protocole de 1967, ainsi que dans la CESDH, et que les Etats membres peuvent s'accorder une confiance mutuelle à cet égard" (point n° 78). Il y a donc un "principe de confiance mutuelle" (point n° 79) qui fonde le Règlement (CE) n° 343/2003, et il "doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, à la Convention de Genève, ainsi qu'à la CESDH" (point n° 80).

En dépit du rappel de ces principes, la Cour de justice fait preuve de réalisme et note qu'"il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de sorte qu'il existe un risque sérieux que des demandeurs d'asile soient, en cas de transfert vers cet Etat membre, traités d'une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux" (point n° 81). C'est à ce stade de la démonstration que le raisonnement de la Cour devient plus ambigu.

Elle affirme, en effet, qu'"il ne peut en être conclu que toute violation d'un droit fondamental par l'Etat membre responsable affecterait les obligations des autres Etats membres de respecter les dispositions du Règlement n° 343/2003" (point n° 82). Mais la Cour ajoute, ensuite, qu'il n'est pas possible pour un Etat, sauf à méconnaître le Règlement (CE) n° 343/2003, de refuser de renvoyer une personne vers un Etat membre dans lequel ne seront pas parfaitement respectés ses droits tels qu'ils découlent des Directives qui définissent le statut des demandeurs d'asile dans l'Union (4). Mais dans la mesure où ces Directives participent à la garantie des droits fondamentaux des demandeurs d'asile dans l'Union, cela signifie-t-il que la Cour de justice estime qu'un Etat doit renvoyer une personne vers un autre Etat membre, alors qu'il peut y subir une violation de ses droits fondamentaux ? En revanche, "dans l'hypothèse où il y aurait lieu de craindre sérieusement qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 4 de la Charte, des demandeurs d'asile transférés vers le territoire de cet Etat membre, ce transfert serait incompatible avec ladite disposition". La Cour de justice estime que la Grèce se trouve bien dans une telle situation. Finalement, c'est la notion de "défaillances systémiques" qui fonde l'obligation ou non de renvoi.

Par la suite, la Cour de justice rappelle qu'un Etat membre qui ne pourrait transférer un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en raison de ses "défaillances systémiques" dans la protection des demandeurs d'asile, doit appliquer le Règlement (CE) n° 343/2003, et donc renvoyer le demandeur vers un autre Etat membre qui sera déterminé en fonction des critères posés dans ce règlement. Ce n'est que si aucun Etat n'est compétent en fonction de ces critères que l'Etat membre sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile est compétent pour examiner sa demande.

La Cour de justice s'est donc efforcée de ménager la Cour européenne des droits de l'Homme et le principe de confiance mutuelle applicable en matière d'examen des demandes d'asile. Il n'est pas certain que cet équilibre corresponde exactement à celui dessiné par la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire du 21 janvier 2011. Il n'y a certes pas de conflit entre les juridictions européennes, mais il n'y a probablement pas non plus parfaite harmonie.

D - Pour finir, on notera que, dans cette affaire, la Cour de justice a apporté d'intéressantes précisions sur l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Tout d'abord, l'on sait que celle-ci oblige les Etats membres "uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union" (article 52, paragraphe 1). La Cour confirme ici que cette formule signifie que la Charte s'impose aux Etats lorsqu'ils agissent dans le champ d'application du droit de l'Union, y compris lorsqu'ils agissent dans le cadre d'une dérogation posée par le droit de l'Union. La Cour de justice maintient donc sa jurisprudence antérieure relative au champ d'application des principes généraux du droit.

Elle s'est également prononcée sur la portée du protocole n° 30 sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni. En effet, selon l'article 1er, paragraphe 1, de ce texte, "la charte n'étend pas la faculté de la Cour, ou de toute juridiction de la République de Pologne ou du Royaume-Uni, d'estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives de la République de Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu'elle réaffirme". La Cour de justice estime que cette disposition "explicite l'article 51 de la Charte, relatif au champ d'application de cette dernière, et n'a pas pour objet d'exonérer la République de Pologne et le Royaume-Uni de l'obligation de respecter les dispositions de la charte, ni d'empêcher une juridiction de l'un de ces Etats membres de veiller au respect de ces dispositions" (point n° 120).

  • La Directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux et la responsabilité des hôpitaux publics (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10 N° Lexbase : A6909H8E)

A - Les faits à l'origine de cette affaire étaient relativement simples. M. X, alors âgé de 13 ans, a été victime, au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée le 3 octobre 2000 dans un CHU, de brûlures causées par un défaut du système de régulation de la température du matelas chauffant sur lequel il se trouvait installé. Saisie sur renvoi préjudiciel du Conseil d'Etat, la Cour de justice estime que la première question à résoudre est celle de savoir si la responsabilité du CHU relève du champ d'application de la Directive (CE) 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO n° L 210 du 7 août 1985). Plus précisément, la responsabilité d'un prestataire de services du fait de l'utilisation d'un produit défectueux relève-t-elle ou non de la Directive (CE) 85/374 ?

La Cour rappelle que l'objet de la Directive est d'harmoniser les règles relatives à la responsabilité des producteurs. Elle ajoute que, selon les considérants de la Directive, "la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini, ou la partie composante ou la matière première fournie par eux, présente un défaut et que, pour la même raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l'importateur de produits dans la Communauté, ainsi que celle de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié" (point n° 23). Ainsi, les personnes participant au processus de commercialisation du produit peuvent être déclarées responsables. Toutefois, la responsabilité d'un prestataire de services, comme le CHU en cause, qui fait usage d'un produit défectueux, n'est pas régie par la Directive (CE) 85/374.

B - Si le Conseil d'Etat avait posé cette question dont la réponse était finalement assez évidente, c'est parce qu'existait une autre difficulté. Le CHU soutenait, en effet, que cette situation relevait du champ d'application de la Directive (CE) 85/374 afin, en réalité, d'échapper au régime de responsabilité prévu par le droit administratif français dans une telle hypothèse. Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, en cas de dysfonctionnements d'un appareil utilisé dans le cadre d'un service public hospitalier, la responsabilité de ce dernier est engagée sans faute, et cette responsabilité est sans préjudice d'un éventuel recours en garanti contre le fabricant de l'appareil (5). Or, la première question préjudicielle posée par la Conseil d'Etat portait justement sur la compatibilité d'une telle solution avec la Directive 85/374.

Bien que la Cour de justice n'ait pas jugé utile de répondre directement à cette question dans la mesure où le litige pendant devant la juridiction nationale n'était pas régi par le droit de l'Union, dans sa réponse à la première question, elle donne toutefois sur ce point, d'utiles précisions. La Cour estime, en effet, que "la simple coexistence, à côté du régime de responsabilité du producteur institué par la Directive (CE) 85/374, d'un régime national prévoyant la responsabilité sans faute du prestataire de services ayant, dans le cadre d'une prestation de soins hospitaliers, causé un dommage au bénéficiaire de cette prestation en raison de l'utilisation d'un produit défectueux, n'est de nature à porter atteinte, ni à l'effectivité dudit régime de responsabilité du producteur, ni aux objectifs poursuivis par le législateur de l'Union au moyen de ce dernier régime" (point n° 29). Elle en déduit que la mise en cause de la responsabilité du producteur doit, ainsi, être ouverte non seulement à la victime, mais, également, au prestataire de services qui doit donc, à cette fin, notamment pouvoir disposer d'un mécanisme tel que celui du recours en garantie. Il faudrait, d'ailleurs, ajouter que, dans la mesure où la victime a exercé une procédure contre le producteur, il doit être possible pour l'hôpital public d'être subrogé dans les droits de la victime.

  • L'impact de la violation des règles de passation des marchés publics sur le bénéficiaire d'une subvention européenne (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-465/10 N° Lexbase : A6914H8L)

A - A l'origine de cet arrêt se trouve une série de questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat dans une affaire opposant un préfet à une chambre de commerce et d'industrie (CCI). Cette dernière avait bénéficié de subventions du fonds européen de développement régional (FEDER) pour une opération dite "objectif entreprises". Le versement de ces subventions avait fait l'objet d'une convention conclue entre le Préfet et la CCI. Pour la réalisation de ce projet, la CCI avait passé un marché avec une entreprise prestataire de services. La passation de ce marché avait été opérée sans respecter les règles de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de service (N° Lexbase : L7532AUI). Le préfet a demandé remboursement des fonds à la CCI qui s'y est opposée ; il a donc saisi la juridiction administrative.

La première difficulté à résoudre était donc de savoir si le préfet avait le droit, sur le fondement du droit de l'Union européenne, de procéder à une telle récupération de la subvention. La Cour de justice rappelle que, selon l'article 7, paragraphe 1 du Règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil du 24 juin 1988, concernant les missions des fonds à finalité structurelle (N° Lexbase : L7707IRU) (JO n° L 185 du 15 juillet 1988), leur efficacité, ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement (BEI) et des autres instruments financiers existants, alors en vigueur, "les actions faisant l'objet d'un financement par les fonds structurels ou d'un financement de la BEI ou d'un autre instrument financier existant doivent être conformes aux dispositions des Traités et des actes arrêtés en vertu de ceux-ci, ainsi que des politiques communautaires, y compris celles concernant les règles de concurrence, la passation des marchés publics et la protection de l'environnement". En outre, l'article 23, paragraphe 1, du Règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil du 19 décembre 1988 (N° Lexbase : L7684IRZ), portant dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d'une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants, d'autre part, prévoit qu'"afin de garantir le succès des actions menées par des promoteurs publics ou privés, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour [...] récupérer les fonds perdus à la suite d'un abus ou d'une négligence. Sauf si l'Etat membre et/ou l'intermédiaire et/ou le promoteur apportent la preuve que l'abus ou la négligence ne leur est pas imputable, l'Etat membre est subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées".

Pour la Cour de justice, ces dispositions fondent le pouvoir de récupération des autorités nationales qui se trouvent d'ailleurs, à cet égard, en situation de compétence liée et ne peuvent donc apprécier l'opportunité d'y procéder. En outre, le fait que l'opération ait déjà été intégralement réalisée ne constitue pas un élément susceptible de remettre en cause cette obligation de récupération. Enfin, comme lors de l'audience, la Commission avait remarqué qu'en application du principe de proportionnalité, la constatation d'une irrégularité mineure ne pouvait conduire qu'au remboursement partiel des fonds versés, la Cour estime ici que, "dans le cadre d'une action financée par le FEDER, est constatée une violation par le bénéficiaire de l'une des obligations fondamentales prévues par la Directive (CE) 92/50, telle que le fait d'avoir décidé de l'attribution d'un marché public de services avant le lancement de la procédure d'appel d'offres et l'absence de publication, par ailleurs, d'un avis au Journal officiel de l'Union européenne, la possibilité qu'une telle irrégularité soit sanctionnée par la suppression complète du concours est la seule à même de produire l'effet dissuasif nécessaire à la bonne gestion des Fonds structurels" (point n° 40).

Il faut, enfin, souligner que la Cour de justice a ici procédé à une reformulation de la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat français puisque celui-ci se fondait sur le Règlement (CE) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (N° Lexbase : L5328AUU) (JO n° L 312 du 23 décembre 1995). Pour la Cour, ce Règlement se borne à établir les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l'Union.

B - La Cour de justice a, toutefois, répondu sur le point de savoir si la violation par la CCI constituait une irrégularité au sens du Règlement (CE) n° 2988/95, car celui-ci détermine les règles de prescription applicables au point de départ du délai de prescription de l'action en restitution.

Selon son article 1er, paragraphe 2, "est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a, ou aurai,t pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue". Pour la Cour, la CCI, bien qu'elle soit une personne morale de droit public au sens du droit français, peut ici être assimilée à un "opérateur économique". En outre, "dans la mesure où, ainsi qu'il résulte, notamment, de l'article 7, paragraphe 1, du Règlement (CE) n° 2052/88, les fonds structurels ne sauraient servir à financer des actions menées en violation de la Directive (CE) 92/50, la violation par le bénéficiaire d'une subvention FEDER, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, des règles de passation des marchés publics de services en vue de la réalisation de l'action subventionnée entraîne une dépense indue et porte, ainsi, préjudice au budget de l'Union" (point n° 46). Enfin, le fait que le préfet ait été averti, avant la réalisation de l'opération, de l'existence de la violation de la Directive (CE) 92/50 n'est pas pertinent pour définir la notion d'irrégularité.

Le Règlement (CE) n° 2988/95 prévoit, en effet, un délai minimal de prescription de quatre ans. On soulignera que la juridiction administrative française ne peut donc appliquer les règles du droit administratif français relatives au retrait des décisions individuelles expresses créatrices de droit qui enferme ce retrait dans un délai de quatre mois. Le Conseil d'Etat interrogeait la Cour de justice sur le point de départ de ce délai de prescription : fallait-il retenir la date du versement de l'aide à son bénéficiaire ou la date à laquelle ce bénéficiaire a utilisé cette subvention pour rémunérer le prestataire recruté en méconnaissance des règles relatives à la passation des marchés publics de services prévues par la Directive (CE) 92/50 ? Pour la Cour, les fonds octroyés au bénéficiaire prennent un caractère indu à compter de la violation de ces dispositions par celui-ci. Mais il s'agit d'une violation "continue" qui persiste pendant toute l'exécution du contrat, au sens de l'article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du Règlement (CE) n° 2988/95. Dès lors, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. La Cour de justice précise, toutefois, que la transmission d'un rapport de contrôle constatant la violation des règles de passation des marchés publics constitue un acte d'instruction ou de poursuite de l'irrégularité de nature à interrompre le délai de prescription en application de l'article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du Règlement (CE) n° 2988/95.

La Cour de justice se prononce, enfin, sur la question de savoir s'il était possible d'appliquer une règle de prescription plus longue, en l'occurrence la prescription trentenaire. Elle rappelle que, certes, "les Etats membres conservent un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne la fixation de délais de prescription plus longs qu'ils entendent appliquer dans un cas d'irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union" (point n° 64), mais accorder un délai de trente ans, "va au-delà de ce qui est nécessaire à une administration diligente" (point n° 65).


(1) CEDH, 21 janvier 2011, Req. n° 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC).
(2) CEDH, 7 juillet 1989, Req. n° 14038/88 (N° Lexbase : A6141IAP).
(3) CEDH, 30 juin 2005, Req. n° 45036/98 (N° Lexbase : A1557DKU).
(4) Directives (CE) 2003/9 du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres (N° Lexbase : L4150A9L), 2004/83 du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié (N° Lexbase : L7972GTG) et 2005/85 du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (N° Lexbase : L9965HDG).
(5) CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1898C98).

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Divorce

[Chronique] Chronique de droit patrimonial du divorce - Janvier 2012

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N9755BS4

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

Le 20 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en droit patrimonial du divorce réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Dans cette nouvelle chronique, l'auteur revient, en premier lieu, sur les conditions d'application de l'article 1382 du Code civil au divorce, avec deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation et par la cour d'appel de Lyon, respectivement les 7 décembre et 21 novembre 2011 (Cass. civ. 1, 7 décembre 2011, n° 11-11.273, F-D ; CA Lyon, 21 novembre 2011, n° 10/03180) ; à l'honneur, en second lieu, de cette chronique, deux autres arrêts rendus par la Cour suprême le 7 décembre 2011, tirant les conséquences du caractère alimentaire de la prestation compensatoire, faisant ainsi obstacle à l'octroi de délais de grâce au créancier (Cass. civ. 1, 7 décembre 2011, n° 10-16.857 et n° 10-16.858, F-D).

L'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), pilier de la responsabilité civile depuis plus de deux siècles, peut aussi être invoqué lors d'un divorce. Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation et la cour d'appel de Lyon ont précisé à quelles conditions (cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7709ETP).

1. Indépendance par rapport à l'article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX)

L'époux qui souhaite demander à l'autre des dommages et intérêts, lors d'un divorce, peut agir sur deux fondements :

- l'article 266 du Code civil, qui dispose que "des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu'il n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint" ;

- et l'article 1382 du Code civil, selon lequel "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer", qui permet à un époux de demander des dommages et intérêts à l'autre s'il parvient à démontrer que son conjoint a commis une faute avant la dissolution du mariage, que lui-même a subi dommage, et qu'il existe un lien de causalité entre ce dommage et cette faute.

Alors que le premier texte vise à réparer les conséquences résultant de la dissolution, dans deux hypothèses particulières, le second permet de réparer les fautes distinctes de la dissolution, quelle que soit la situation de l'époux dans le divorce. Les dommages et intérêts versés sur le fondement l'un de ces textes sont indépendants de ceux visés par l'autre.

Très claire en théorie, la distinction entre ces deux articles est, en pratique, source de complications. La Cour de cassation doit régulièrement préciser comment appréhender cette dualité de fondement.

D'une part, les juges du fond ne peuvent pas condamner un époux à des dommages et intérêts sans préciser sur quel fondement la condamnation doit être prononcée (1). Cette précision semble toutefois pouvoir être implicite, puisqu'il a été jugé qu'ayant réparé le préjudice causé par le comportement fautif de l'époux (abandon moral et financier de l'épouse, après quinze ans de mariage), la cour d'appel avait nécessairement statué sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et n'avait pas à s'expliquer sur un éventuel préjudice né de la dissolution du mariage, non invoqué par l'épouse (2).

D'autre part, il ne peut pas être reproché à une cour d'appel, saisie d'une demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil, de n'avoir pas examiné d'office les faits invoqués au regard de l'article 1382 du même code (3). Inversement, en condamnant le mari à des dommages et intérêts pour préjudice moral sur le fondement de l'article 266, alors que l'épouse demande la réparation d'un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du mariage, la cour d'appel modifie l'objet du litige et viole l'article 4 du Code civil (N° Lexbase : L2229AB8) (4).

Ensuite, lorsque la demande est présentée sur les deux fondements, la décision est légalement justifiée, au regard des articles 266 et 1382 du Code civil, si les juges ont suffisamment caractérisé le préjudice subi par l'époux du fait de la séparation et du fait du comportement de l'autre conjoint (5).

Enfin, lorsqu'une épouse soutient qu'elle a subi un préjudice du fait de la violence de son conjoint, une cour d'appel ne peut pas seulement énoncer, pour refuser de lui octroyer des dommages et intérêts, que, le divorce étant prononcé aux torts partagés, la demande est irrecevable en application de l'article 266 du code civil. La cour d'appel ne peut pas rejeter une demande de dommages et intérêts en invoquant l'article 266 du Code civil, lorsque le demandeur argue d'un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du lien conjugal, et ce même s'il a "oublié" de fonder expressément sa demande sur l'article 1382 du Code civil (6).

Dans une affaire jugée le 7 décembre 2011 (n° 11-11.273), un divorce avait été prononcé pour altération du lien conjugal et l'épouse avait demandé des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. La cour d'appel avait jugé "qu'une telle demande devait être déclarée mal fondée en application de l'article 266 du Code civil". L'épouse ne pouvait pas demander des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en application de l'article 266 du même code, c'est-à-dire, semble-t-il, parce que son divorce avait été prononcé pour altération du lien conjugal, hypothèse expressément prévue par ce second texte. L'arrêt de la cour d'appel a évidemment été cassé pour défaut de base légale. Ces magistrats ne pouvaient pas rejeter une demande fondée sur l'article 1382 du Code civil en se basant sur l'article 266 du même code. Ils ne pouvaient écarter l'application de ce premier texte qu'en invoquant une cause d'exonération du défendeur légalement admise en matière de responsabilité civile délictuelle : absence de faute, force majeure, faute de la victime...

2. Prise en compte du comportement de l'époux demandeur

S'il est applicable au divorce, l'article 1382 du Code civil l'est dans ses conditions classiques. Le demandeur doit prouver l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre les deux. Le défendeur peut invoquer qu'il n'a pas commis de faute, que le dommage est dû à un cas de force majeure ou que le comportement de la victime est à l'origine, totalement ou partiellement, de son dommage.

Dans une affaire jugée le 21 novembre 2011 (n° 10/03180), la cour d'appel de Lyon a tenu compte du comportement de l'épouse qui demandait des dommages et intérêts à son conjoint, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

En l'espèce, un juge aux affaires familiales avait prononcé un divorce aux torts exclusifs de l'époux. Il avait accordé à l'épouse une prestation compensatoire, mais avait refusé de lui attribuer des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. L'épouse avait relevé appel de ce jugement et demandé, s'agissant des dommages et intérêts, l'attribution de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait "des circonstances ayant conduit à la rupture du lien matrimonial". La cour d'appel lui a accordé 1 000 euros en faisant une stricte application des conditions classiques de l'article 1382 du Code civil. Elle a énoncé :

- d'une part, que l'épouse ne pouvait valablement alléguer le comportement violent de son mari sans verser aucune preuve à l'appui de ses affirmations : le demandeur doit prouver la faute du défendeur (première condition) ;

- d'autre part, que l'épouse ne pouvait réclamer des dommages et intérêts pour le risque médical que lui aurait fait courir son mari du fait de son infidélité ; la responsabilité délictuelle de l'article 1382 du Code civil ne tend qu'à la réparation d'un préjudice certain, et non simplement éventuel (deuxième condition) ;

- enfin, qu'il ressortait de deux attestations d'amies de l'épouse, qu'en 2006, figuraient sur la carte mémoire de l'appareil photographique de la famille, sur laquelle se trouvaient également des clichés de l'anniversaire de l'un des enfants du couple, des photographies manifestement prises par l'époux dans l'intimité de sa relation avec une femme autre que son épouse, alors même qu'il était encore tenu dans les liens du mariage, mais que, s'il était certain que ces clichés avaient provoqué pour l'épouse un préjudice qui méritait réparation, "le retentissement public dont elle fai[sai]t état auprès de proches de la famille l'a[vait] été à sa propre initiative", l'épouse "ayant manifestement choisi de montrer ces photographies à certaines de ses amies" : le comportement du demandeur, fautif ou non, peut exonérer le défendeur de sa responsabilité, totalement ou partiellement.

Cette solution est parfaitement logique. L'article 1382 du Code civil constitue le droit commun de la responsabilité délictuelle. Il y a donc lieu d'appliquer les conditions classiques du droit commun de la responsabilité délictuelle, y compris lorsque ce texte est invoqué lors d'un divorce. Une épouse peut se plaindre de l'infidélité de son mari et obtenir réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil : c'est bien le comportement de l'époux qui est à l'origine du dommage. En revanche, elle ne peut pas demander réparation pour les conséquences de l'adultère sur l'entourage lorsqu'elle a elle-même révélé ce fait : c'est alors le comportement de l'épouse qui est à l'origine du dommage, celui de l'époux ne l'est qu'indirectement et, pour que l'article 1382 trouve application, il doit y avoir, entre la faute et le dommage, un lien de causalité direct (troisième condition).

Outre les conditions d'application au divorce de l'article 1382 du Code civil, les Hauts magistrats ont dû rappeler, une fois encore, les conséquences du caractère alimentaire de la prestation compensatoire, dans deux décisions rendues le 7 décembre 2011 (à ce sujet, cf. également l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7746ET3).

La prestation compensatoire est destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des ex-époux (C. civ., art. 270 N° Lexbase : L2837DZ4). Elle a un caractère mixte : alimentaire et indemnitaire.

Un caractère alimentaire car, d'une part, elle est fixée "selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible" (C. civ., 271 N° Lexbase : L3212INB) et, d'autre part, un époux ne peut plus, depuis la réforme de 2004, réclamer à l'autre une pension alimentaire, mais seulement une prestation compensatoire.

Un caractère indemnitaire car, d'une part, le juge doit notamment prendre en compte, pour la fixer, la durée du mariage, les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux, pendant la vie commune, pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne (C. civ., art. 271) et, d'autre part, il peut "refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture" (C. civ., art. 270).

En principe, le caractère alimentaire est invoqué par le créancier de la prestation pour éviter que celle-ci ne lui soit saisie. S'agissant du débiteur, les Hauts magistrats ont décidé, par exemple, que le caractère alimentaire empêchait qu'il y ait compensation (si ce n'était pour des aliments) entre la prestation compensatoire et une autre dette. A ainsi été cassé l'arrêt qui avait énoncé que le paiement, par l'ex-mari, d'une dette fiscale personnelle à l'ex-épouse, libérait celui-ci du paiement de la prestation compensatoire à concurrence de cette somme (7). De même, il est régulièrement jugé que la créance née de la prestation compensatoire, à cause de son caractère alimentaire, n'a pas à être déclarée au passif du débiteur soumis à une procédure collective (8).

La question qui se pose régulièrement aux juges est de savoir si le fait que la prestation compensatoire ait, à la fois, un caractère alimentaire et indemnitaire permet de la soustraire au champ d'application de l'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) selon lequel "[...] compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, le juge peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital. En outre, il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement, par le débiteur, d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux dettes d'aliments". Le débiteur d'une dette mixte peut-il bénéficier d'un délai de grâce ?

Dans les arrêts rendus le 7 décembre 2011, relatifs à la même affaire, une épouse avait fait procéder, au préjudice de son mari, à une saisie attribution, entre les mains d'un notaire, de toute somme que ce dernier pourrait détenir au titre des droits de l'époux dans la succession non liquidée de son père (premier arrêt, pourvoi n° 10-16.857) et entre les mains d'une banque (second arrêt, pourvoi n° 10-16.858). Dans les deux cas, l'époux s'est défendu en demandant, notamment, un délai de grâce, sur le fondement de l'article 1244-1 Code civil. Dans les deux cas, la cour d'appel de Lyon a répondu que le caractère mixte de la prestation compensatoire, à la fois alimentaire et indemnitaire, faisait obstacle à l'octroi de délais de paiement sur le fondement de ce texte. Et dans les deux cas, la Cour de cassation l'a approuvée sur ce point.

La solution n'est pas nouvelle (9) et se justifie parfaitement. Les dettes d'aliments ne peuvent pas faire l'objet de délais de grâce + la prestation compensatoire est une dette d'aliments = la prestation compensatoire ne peut pas faire l'objet de délais de grâce. Le fait qu'elle ait, aussi, un caractère indemnitaire ne suffit pas à remettre en cause une telle conclusion.

En pratique, plusieurs possibilités sont offertes au débiteur d'une prestation compensatoire qui risque de rencontrer ou qui rencontre des difficultés de paiement.

Lorsque la prestation est fixée en capital, celui-ci peut, d'abord, lors de la procédure de divorce, demander que le juge en étale le paiement dans la limite de huit années, sous forme de versements périodiques indexés, selon les règles applicables aux pensions alimentaires (C. civ., art. 275, al. 1er N° Lexbase : L2841DZA). Ensuite, après le prononcé du divorce, le débiteur peut demander la révision des modalités de paiement en cas de changement important de sa situation. A titre exceptionnel, le juge peut alors, par décision spéciale et motivée, autoriser le versement du capital sur une durée totale supérieure à huit ans (alinéa 2).

Lorsqu'elle est fixée sous forme de rente, la prestation compensatoire peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties. La révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge (C. civ., art. 276 N° Lexbase : L2843DZC).

En l'espèce, la prestation avait été fixée en capital et l'époux n'avait pas, lors la procédure de divorce, sollicité l'échelonnement du paiement de la prestation compensatoire. Il lui restait donc, à présent, la possibilité d'invoquer un changement important de sa situation. Peut-être l'occasion d'un troisième arrêt...


(1) Cass. civ. 1, 5 novembre 2008, n° 07-15.718 et n° 07-19.923, F-D (N° Lexbase : A1622EBP).
(2) Cass. civ. 1, 23 janvier 2007, n° 06-11.502 (N° Lexbase : A6948DTI).
(3) Cass. civ. 2, 8 juin 1995, n° 92-21.549 (N° Lexbase : A7428ABQ), Bull. civ. II, n° 168.
(4) Cass. civ. 1, 9 janvier 2007, n° 06-10.871, F-P+B (N° Lexbase : A4840DTG), Bull. civ. I, n° 6.
(5) Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 02-12.245, F-D (N° Lexbase : A4323DAD).
(6) Cass. civ. 1, 1er juin 2011, n° 10-17.461, F-D (N° Lexbase : A3163HTC).
(7) Cass. civ. 2, 9 juillet 1997, n° 95-21.038 (N° Lexbase : A0769ACH) Bull. civ. II, n° 220.
(8) Voir par exemple : Cass. com., 8 octobre 2003, n° 00-14.760, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7117C9H), Bull. civ. IV, n° 152.
(9) Cass. civ. 1, 29 juin 2011, n° 10-16.096, F-P+B+I (N° Lexbase : A5515HUS).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Janvier 2012

Lecture: 16 min

N9757BS8

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var

Le 19 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus le 6 décembre 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, tous deux promis aux honneurs du Bulletin. Dans le premier arrêt, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Cour régulatrice se penche sur la question de l'avertissement des créanciers titulaires de sûreté d'avoir à déclarer leurs créances par le mandataire judiciaire ou le liquidateur et plus particulièrement sur l'éventuelle nécessité du lien entre la sûreté publiée et la créance. Enfin, dans le second arrêt sélectionné, commenté par le Professeur Le Corre, la Chambre commerciale répond par l'affirmative à la question de savoir si le juge, appelé à se prononcer sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, peut accorder au liquidateur les délais de grâce de l'article L. 145-41 du Code de commerce.
  • Avertissement personnel et nécessité du lien entre la sûreté publiée et la créance (Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-24.968, F-P+B N° Lexbase : A1952H43)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7) avait institué, au profit des créanciers antérieurs titulaires de sûreté publiée, un avertissement obligatoire dans un délai de 15 jours à compter de l'ouverture de la procédure collective du débiteur (C. com., art. L. 621-43, anc. N° Lexbase : L6895AI9). A défaut d'avertissement effectué par le représentant des créanciers ou le liquidateur judiciaire, leurs intérêts étaient préservés par le législateur, d'une part, par la jurisprudence, d'autre part. En l'absence d'avertissement, en effet, la forclusion était inopposable au créancier (1) (C. com., art. L. 621-46, al. 2, anc. N° Lexbase : L6898AIC). En outre, la Cour de cassation considérait qu'en cas d'avertissement tardif de la part du mandataire, le délai de deux mois imparti au créancier pour déclarer sa créance courait de la réception de l'avertissement et non de la publication au BODACC du jugement d'ouverture (2).

A quelques nuances près, ces solutions ont été reprises par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT). Les créanciers titulaires de sûreté publiée bénéficient encore d'une protection puisqu'ils doivent être obligatoirement avertis par le mandataire judiciaire ou le liquidateur d'avoir à déclarer leurs créances. Cependant, le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion n'existe désormais plus. Lui a été substituée une autre règle posée à l'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) (3) : le délai de déclaration de deux mois court systématiquement, à l'égard des créanciers protégés, à compter de la réception de l'avertissement obligatoire. Ces créanciers ne peuvent donc, purement et simplement, plus être forclos s'ils n'ont pas été rendus destinataires de l'avertissement.

Pour bénéficier de ces dispositions, encore faut-il être effectivement titulaire d'une sûreté publiée. Se pose, en outre, la question de l'éventuelle nécessité du lien entre cette sûreté publiée et la créance. C'est précisément sur ces points que se penche la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 décembre 2011 dont l'importance est soulignée par la publication qui en est faite au Bulletin. Cette décision, rendue au terme d'une longue procédure, régie par la loi du 25 janvier 1985 réformée, est particulièrement intéressante dans la mesure où la solution posée est parfaitement transposable sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises.

En l'espèce, en 1998, une propriétaire de terres agricoles avait vendu celles-ci moyennant un prix converti en rente viagère, le paiement du prix étant garanti par un privilège de vendeur d'immeuble. Les trois acquéreurs débirentiers ne s'étant pas acquittés d'arrérages aux dates convenues, la venderesse avait obtenu du tribunal de grande instance de Toulouse le prononcé de la résolution de la vente par jugement assorti de l'exécution provisoire signifié le 7 mai 2004. Le tribunal avait également jugé, en application d'une clause pénale contractuelle, que la venderesse était titulaire d'une créance de dommages et intérêts représentant le montant des arrérages échus et payés. Les acquéreurs débirentiers avaient alors interjeté appel du jugement puis, le 28 octobre 2004, avaient été placés en redressement judiciaire. Par arrêt du 4 juillet 2005, la cour d'appel de Toulouse a retenu qu'il y avait lieu de constater la résolution de la vente par application de la clause résolutoire prévue à l'acte et a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré acquise à la venderesse la somme de 77 460,32 euros à titre de dommages et intérêts représentant le montant des arrérages échus et payés. Cet arrêt d'appel avait en outre considéré que la venderesse, qui ne se voyait allouer aucune autre somme que celles déjà encaissées qui lui étaient acquises à titre de dommages-intérêts, n'avait pas à déclarer de créance à la procédure collective des acquéreurs. Sur ce dernier point, l'arrêt d'appel a été partiellement cassé (Cass. com. 13 février 2007, n° 05-19.329, F-D N° Lexbase : A2117DUX), la Cour de cassation considérant que la créance de la venderesse devait être déclarée puisqu'elle était fondée sur la clause pénale contractuelle qui avait son origine dans le contrat de vente conclu antérieurement aux redressements judiciaires des acquéreurs.

Le 25 août 2008, soit près de trois ans après l'ouverture de la procédure collective des débiteurs, la venderesse a alors déclaré sa créance au passif des acquéreurs.

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mai 2010, n° 07/02053 N° Lexbase : A2596EYS) a alors considéré que la créance avait été régulièrement déclarée dans la mesure où, en sa qualité de créancière titulaire d'une sûreté publiée (le privilège de vendeur d'immeuble), la venderesse aurait dû être avertie. A défaut, la forclusion lui était inopposable, ce qui lui avait permis de déclarer valablement sa créance.

Les acquéreurs ainsi que leur commissaire à l'exécution du plan de redressement se sont alors pourvus en cassation en faisant grief à l'arrêt d'appel d'avoir jugé la créance régulièrement déclarée. Au soutien du pourvoi, plusieurs arguments étaient soulevés, offrant l'occasion à la Chambre commerciale de se prononcer clairement sur deux points.

Le premier point a trait à la notion de sûreté publiée au sens de l'ancien article L. 621-43 et, désormais, de l'article L. 622-24 du Code de commerce. En l'espèce, les auteurs du pourvoi soutenaient que, puisque la résolution de la vente était acquise avant l'ouverture de la procédure collective, le privilège de vendeur d'immeuble n'avait plus lieu d'être, de sorte qu'au jour du jugement d'ouverture, le créancier n'était plus titulaire d'une sûreté publiée. Le raisonnement repose sur le caractère rétroactif de la résolution : les parties étant remises en l'état antérieur, la vente s'était trouvée rétroactivement anéantie, emportant avec elle la disparition de la sûreté garantissant le prix de vente de l'immeuble. Cet argument ne convainc pas la Cour de cassation qui considère que "la qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée au sens de l'article L. 621-43 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 [désormais C. com., art. L. 622-24, al. 1er, réd. loi du 26 juillet 2005], s'apprécie à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, peu important que la validité de la publicité de la sûreté puisse ultérieurement être contestée". Puisqu'en l'espèce le privilège de vendeur demeurait inscrit -à tort certes puisque la vente était résolue-, l'avertissement au créancier devait être effectué au titre de cette sûreté publiée.

La Chambre commerciale réaffirme ainsi sa position. Elle avait en effet déjà jugé, en la matière, qu'il importait peu que la publicité ait été régulièrement effectuée (4), dès lors qu'aucune décision de justice n'était intervenue pour affirmer l'irrégularité de la publicité. Elle juge aujourd'hui qu'il importe peu que la sûreté n'ait plus lieu d'être au jour du jugement d'ouverture. Le mandataire n'a ainsi pas à se faire juge de la régularité de la publicité au stade de l'avertissement (5). Ainsi, dès lors que la sûreté a été inscrite -même irrégulièrement- avant jugement d'ouverture (6) et qu'elle n'a pas été atteinte par la péremption (7), ni fait l'objet d'une radiation au jour de l'ouverture de la procédure (8), elle doit obligatoirement conduire le mandataire à avertir le créancier. A défaut, le délai de déclaration ne pourra commencer à courir à l'égard du créancier ainsi protégé.

La seconde question tranchée par la Cour est non seulement plus novatrice mais également de première importance pratique. Elle concerne la nature de la créance bénéficiant de la protection : la protection évoquée concerne-t-elle exclusivement la créance garantie par la sûreté ou, au contraire, toute créance -même chirographaire- détenue par le créancier par ailleurs titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié) ?

En l'espèce, aux termes de l'acte de vente, la venderesse était titulaire d'un privilège du vendeur en garantie du paiement de la rente viagère. Or, la créance qui devait être déclarée au passif était une créance de dommages et intérêts en application de la clause pénale incluse au contrat, créance qui -contrairement à la créance de prix de vente- n'était pas garantie par l'inscription du privilège de vendeur. Les auteurs du pourvoi soutenaient, en conséquence, que cette créance indemnitaire aurait dû encourir la forclusion puisqu'elle n'était pas garantie par la sûreté publiée.

La Cour de cassation balaie l'argument en considérant que la cour d'appel a, à bon droit, retenu que la forclusion était inopposable à la venderesse après avoir constaté, d'une part, qu'elle était titulaire d'une créance antérieure (la "créance indemnitaire fondée sur une clause pénale contractuelle trouvait son origine dans le contrat de vente conclu antérieurement au redressement judiciaire") et, d'autre part, qu'elle "avait la qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée, à savoir le privilège de vendeur d'immeuble".

La solution est particulièrement intéressante.

On aurait pu croire, en effet, que le mécanisme protecteur instauré par le législateur ne pouvait jouer qu'à l'égard de la créance garantie par la sûreté dont est titulaire le créancier. Ainsi, en l'espèce, le privilège de vendeur n'aurait pu garantir que la créance de prix de vente et non pas la créance chirographaire de dommages et intérêts issue de la résolution de la vente. C'est d'ailleurs en ce sens que s'étaient prononcés certains juges du fond (9). Cette position apparaissait cohérente et conforme à la ratio legis : pour que le créancier titulaire d'une sûreté soit protégé, il semble naturel que la créance qu'il doit déclarer soit elle-même garantie par la sûreté publiée. Il ressort de l'arrêt rapporté que cela n'est pas exigé par la Cour de cassation, sans doute parce que ce n'est pas une exigence expressément posée par le texte. Ce serait certes ajouter au texte que de cantonner la "protection anti-forclusion" des créanciers titulaires de sûreté à leur seule créance garantie par la sûreté publiée. Le texte énonce en effet que "les créanciers titulaires d'une sûreté publiée [...] sont avertis personnellement [...]. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement" sans préciser que le délai de déclaration en question est exclusivement celui de la créance assortie d'une sûreté. Ainsi, à la stricte lecture du texte, le délai de déclaration -qui court à compter de l'avertissement- s'entend non seulement comme celui de la créance garantie par la sûreté publiée mais également de celui de la créance, quelle qu'elle soit, dont est titulaire le créancier. La solution est importante. Cela signifie que, dès lors que le créancier est titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié), il n'a plus à être un lecteur assidu du BODACC. Sa qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié) lui permettra semble-t-il, même au titre de créances non garanties par la sûreté publiée (ou sans rapport avec le contrat publié), de bénéficier de la protection de l'article L. 622-24, alinéa 1er, faisant courir le délai de déclaration de la créance à compter de l'avertissement adressé en recommandé avec accusé de réception (10).

Il n'est pas certain que soit respectée la ratio legis. La Cour de cassation va peut-être trop loin dans la protection du créancier titulaire de sûreté publiée. Cependant, puisque le législateur n'a pas pris le soin de préciser la nature -chirographaire ou privilégiée- des créances concernées par le texte, il n'y a pas lieu à distinguer là où la loi ne distingue pas...

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière

  • La résiliation du bail commercial par la voie du droit commun et l'octroi de délais de grâce au liquidateur (Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-25.689, F-P+B N° Lexbase : A1984H4A)

Comment concilier le droit commun des baux commerciaux et la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté ? Voilà une question récurrente, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

On s'était interrogé, au lendemain de la loi de sauvegarde des entreprises, sur la coordination des règles du droit commun de continuation des contrats en cours et des règles spécifiques de résiliation des baux commerciaux. Cette interrogation a, depuis lors, été résolue, d'abord par l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté, art. 28 N° Lexbase : L2777ICT), qui a procédé à la réécriture complète des articles L. 622-14 (N° Lexbase : L8845INW) et L. 641-12 (N° Lexbase : L8859ING) du Code de commerce, puis, par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a épousé les solutions de l'ordonnance, alors pourtant qu'elle statuait sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine (11).

Mais une autre interrogation surgit, où il est encore question de coordination. Comment conjuguer le droit commun des baux commerciaux et la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté, lorsqu'il est question d'obtenir la résiliation du bail ? Au coeur du débat, dans le présent arrêt, la possibilité pour le liquidateur d'obtenir les délais de grâce prévus par l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII).

En l'espèce, une société est placée en liquidation judiciaire, en juin 2009. Le bailleur fait délivrer au liquidateur, deux mois plus tard, en août 2009, un commandement d'avoir à payer les loyers échus après le jugement d'ouverture, en visant la clause résolutoire insérée au bail. En septembre 2009, le bailleur assigne le liquidateur aux fins de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire. Les juges du fond accordent alors au liquidateur un délai de quatre mois pour s'acquitter des loyers et charges échus postérieurement au jugement de liquidation judiciaire et suspendent, pendant ce délai, les effets de la clause résolutoire. Ce délai est mis à profit par le liquidateur pour vendre le fonds de commerce, en ce compris le droit au bail.

Le bailleur forme un pourvoi en cassation, en reprochant aux juges du fond d'avoir fait usage de prérogatives du droit commun, au lieu d'avoir appliqué la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté.

La question qui se pose en l'espèce est de savoir si le juge, appelé à se prononcer sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, peut accorder au liquidateur les délais de grâce de l'article L. 145-41 du Code de commerce. A cette question, la Cour de cassation répond par l'affirmative, en énonçant que "l'article L. 622-14 du Code de commerce n'interdit pas au liquidateur de se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-41 du code et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n'est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée".

La décision rendue par la Cour de cassation fait clairement apparaître que les dispositions de droit commun de l'article L. 145-41 du Code de commerce, régissant le constat de la résiliation du bail, peuvent se combiner avec les dispositions spéciales de l'article L. 622- 14 du Code de commerce. On peut d'ailleurs s'étonner, en l'espèce, du visa de l'article L. 622-14, alors que l'action tendant au constat de la résiliation du bail a été intentée en liquidation judiciaire. Le texte en cause est donc plutôt celui de l'article L. 641-12. On peut encore s'étonner que la Cour de cassation reprenne, sans observation particulière, la formule employée par les juges du fond visant le non paiement de loyers échus après le jugement d'ouverture, là où il aurait fallu, plus juridiquement, viser le non paiement de loyers afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture.

La solution de la Cour de cassation nous semble s'inscrire dans une problématique plus large, qui est celle de la double compétence reconnue, en cas de procédure collective, au juge-commissaire, d'une part, au président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, d'autre part, pour constater le jeu de la clause résolutoire insérée au bail.

On se souvient, en effet, que la Cour de cassation a offert au bailleur, désireux de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, une option de compétence (12).

Il peut d'abord utiliser la règle spécifique du droit des entreprises en difficulté, qui prévoit que le juge-commissaire peut constater la résiliation du contrat de bail, comme il peut constater la résiliation d'autres contrats. A l'époque où la solution a été rendue par la Cour de cassation, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, les dispositions en cause étaient celles de l'article 61-1 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5351A4X). Ces solutions existent toujours. Elles sont désormais posées par l'article R. 622-13, alinéa 2 (N° Lexbase : L9319IC7), tant dans la sauvegarde, texte applicable en redressement judiciaire (C. com., art. R. 631-20 N° Lexbase : L1003HZ8), qu'en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-21, al. 2 N° Lexbase : L9312ICU). Selon le dernier de ces textes, "le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrat dans les cas prévus au III de l'article L. 641-11-1 (N° Lexbase : L3298IC7) et à l'article L. 641-12 (N° Lexbase : L8859ING)". Or, l'article L. 641-12, 3° du Code de commerce prévoit que "le bailleur peut [...] faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéa de l'article L. 622-14". Il faut donc que le bailleur, en application de l'article L. 622-14, alinéa 3, attende l'expiration d'un délai de trois mois pour agir. La résiliation est, selon le 4ème alinéa, évitée si dans ce délai le paiement des sommes dues intervient.

Mais le bailleur peut aussi, s'il préfère, utiliser la voie du droit commun, c'est-à-dire la disposition de l'article L. 145-41 du Code de commerce, pour faire constater la résiliation du bail. En ce cas, il doit faire délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire (13) et, si ce commandement ne lui permet pas d'obtenir satisfaction, il doit ensuite assigner le locataire devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. Ces prérogatives de droit commun continuent à pouvoir être utilisées, nonobstant l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du locataire, ainsi que l'a décidé la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté.

Il reste alors à mesurer les conséquences du choix opéré par le bailleur.

Si le bailleur emprunte la voie du droit commun, c'est-à-dire le commandement visant la clause résolutoire, puis l'assignation devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, il se soumet intégralement aux dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce. En conséquence, et conformément à ce droit commun, le président du tribunal, ou la cour d'appel, à sa suite, peuvent accorder au locataire, à son administrateur judiciaire ou à son liquidateur, les délais de grâce pour régulariser les arriérés de loyers et charges, correspondant à la jouissance procurée après le jugement d'ouverture. C'est la solution que pose, en l'espèce, la Cour de cassation. Favorable à la procédure collective, elle l'est évidemment beaucoup moins pour le bailleur. En contrepartie, si le débiteur, l'administrateur ou le liquidateur, ne respectent pas les délais accordés pour régulariser l'arriéré, la suspension des effets de la clause résolutoire cesse et la résolution est alors acquise. L'avantage de la solution est alors pour le bailleur de pouvoir obtenir l'expulsion du locataire et, par voie de conséquence, de son liquidateur.

Au contraire, si le bailleur utilise la technique du constat de la résiliation du bail commercial en saisissant par requête le juge-commissaire, il sait qu'il ne pourra obtenir l'expulsion, en cas de résistance du locataire ou de son liquidateur. Le juge-commissaire excéderait ses pouvoirs à prononcer l'expulsion. Mais le juge-commissaire n'a pas davantage le pouvoir d'accorder des délais de grâce. Cela n'entre pas dans son office. Cet octroi constituerait, de sa part, un excès de pouvoir. Ainsi, le constat de la résiliation du bail par devant le juge-commissaire, qui ne nécessite pas, à notre sens la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire, ne peut davantage permettre au locataire, à son administrateur ou à son liquidateur, d'obtenir des délais de grâce pour régulariser les arriérés. La régularisation ne pourra intervenir que dans les conditions restrictives prévues au texte spécial du droit des entreprises en difficulté, c'est-à-dire à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture, que ce jugement soit une sauvegarde (C. com., art. L. 622-14, al. 4) ou un redressement (C. com., art. L. 631-14, al. 1er (N° Lexbase : L2453IEL), rendant applicable en redressement l'article L. 622-14), ou qu'il s'agisse d'une liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-12, 3°). Le juge-commissaire n'a d'autre choix que de constater la résiliation du bail, si les conditions légales sont réunies, c'est-à-dire à défaut de paiement de loyers ou charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, passé le délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture.

Il ne nous semble pas, contrairement à ce qui a été soutenu sur la question par un auteur éminent de la matière (14), que la solution posée par la Cour de cassation, en cas d'utilisation de la technique du droit commun de l'article L. 145-41 du Code de commerce, soit exportable dans le domaine du constat de la résiliation par devant le juge-commissaire. La raison fondamentale, qui fait obstacle à la solution, tient aux pouvoirs du juge-commissaire : il n'entre pas dans l'office de ce juge d'accorder des délais de grâce.

Le bailleur devra donc bien choisir sa voie et les avocats des bailleurs, parfois plus au fait du droit des baux commerciaux que du droit des entreprises en difficulté, comprendront que cette dernière solution ouvre des perspectives sans doute plus intéressantes que celles du droit commun, même si, en aval, le bailleur peut, çà et là, s'exposer à une difficulté l'obligeant à saisir à nouveau le juge pour obtenir l'expulsion. Mais il ne s'agit plus là que d'une poche de résistance : il a déjà gagné la guerre !

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Ainsi, Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-17.817, F-D (N° Lexbase : A7160DKE).
(2) Cass. com. 14 mars 2000, n° 97-20.715, publié (N° Lexbase : A3504AUC), Bull. civ. IV, n° 56 ; D. 2000, AJ 168, obs. A. Lienhard.
(3) "A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture [...] adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire [dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC]. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile est élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement".
(4) Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-10.174, F-P+B (N° Lexbase : A9636D7Z), D., 2008, AJ 1344, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2008/3, p. 45, nos obs. ; Act. proc. coll., 2008/8, n° 125, note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E, 2008, chron. 2062, n° 9, obs. M. Cabrillac ; RTDCom., 2008, 621, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; RDBF, septembre/octobre 2008, p. 41, n° 144, note S. Piedelièvre ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbase Hebdo n° 305 du 22 mai 2008 - édition privée (N° Lexbase : N9582BEM).
(5) Cette question sera, en revanche, étudiée au stade de la vérification de la créance pour décider d'une admission du créancier à titre privilégié ou non.
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 juin 2003, n° 2002/11518.
(7) CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, RD banc. et fin., 2003, p. 29, n° 30, note F.-X. Lucas. La solution est la même en cas de péremption d'une inscription de crédit-bail : CA Orléans, ch. com., éco. et fin., 20 décembre 2001, RJDA 2002/3, n° 279, p. 235 ; CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, préc. et les obs. préc..
(8) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 01-13.044, F-D (N° Lexbase : A9785DLY) ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 43, obs. P.-M. Le Corre.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 18 novembre 1997 et CA Paris, 6 juin 1998, RTDCom., 1998, 935 et 936, obs. C. Martin-Serf ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 décembre 2003, n° 2002/17989 (N° Lexbase : A9419DA4) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 27 janvier 2004, n° 2003/02648 (N° Lexbase : A4413DB3) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 septembre 2004, n° 04/1177 (N° Lexbase : A7888DEU).
(10) Sur la sanction du non respect de cette forme, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2012/2013, n° 665.83 et, sur le contenu de cet avertissement, n° 665.84.
(11) Cass. com. 2 mars 2010, n° 09-10.410, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6008ESC), Bull. civ. IV, n° 44 ; D., 2010, AJ 649, note A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 24, note F. Kendérian ; RTDCom.,. 2010/2, p. 278, n° 2, note F. Kendérian ; Act. proc. coll., 2010/7, n° 95, note G. Blanc ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, obs. M. Cabrillac ; JCP éd. E, 2010. 1553, note P.-H. Brault ; Dr. et patr., 2010, n° 196, p. 89, note C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2010, chron. 39138, p. 1482, note D. Gibirila ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbade Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition privée (N° Lexbase : N5949BNN).
(12) Cass. com., 10 juillet 2001, n° 99-10.397, publié (N° Lexbase : A1717AU7), Bull. civ. IV, n° 133, D., 2001, AJ 2830, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2001/14, n° 177, obs. C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2001, pan. p. 1602, Gaz. Pal., 8-9 février 2002, jur. p. 31, note P.-H.Brault ; JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 174, n° 14, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.117, F-D (N° Lexbase : A6892DUS).
(13) Sur le rappel de cette obligation, Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D (N° Lexbase : A6449HUE) ; Gaz. pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 26, note F. Kendérian.
(14) F. Kendérian, note préc., sous Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D, préc..

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Fiscalité internationale

[Manifestations à venir] ONU/OCDE : émergence d'un double standard en matière de prix de transfert ?

Lecture: 1 min

N9596BS9

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Le 19 Janvier 2012

La direction fiscale du MEDEF organise une matinée afin de comparer les standards en matière de prix de transfert proposés par l'ONU et l'OCDE, le 24 janvier 2012, à Paris.
  • Programme

Cette demi-journée a pour objectif d'apporter les éléments clés contenus dans le projet de manuel prix de transfert de l'ONU et les orientations à prévoir en matière de prix de transfert avec les pays membres hors OCDE. Un point sera également fait sur les grandes tendances en matière de prix de transfert dans les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Les points suivants seront abordés :
- processus d'élaboration du manuel prix de transfert ONU ;
- liens avec la Convention modèle ONU et avec les Principes en matière de prix de transfert de l'OCDE ;
- portée juridique et pratique du manuel, les enjeux pour les entreprises françaises ;
focus spécifique sur les "BRICS" ;
- observations du MEDEF et réaction des entreprises françaises.

  • Intervenants

- Caroline Siberztein, Associée Baker & McKenzie, membre du sous-comité en charge de la rédaction du manuel à l'ONU ;
- Philippe Thiria, président du groupe de travail du MEDEF sur les travaux de l'OCDE.

  • Date

Mardi 24 janvier 2012 de 9h à 12h. Accueil à partir de 8h45.

  • Lieu

MEDEF
55, avenue Bosquet
Paris 7ème

  • Renseignements/inscriptions

Inscription gratuite. Attention, les places sont limitées.

Karine Bellan
Direction des affaires fiscales
MEDEF
55, avenue Bosquet
75330 Paris Cedex 07
Tél. : 01 53 59 18 11
Fax : 01 53 59 19 64
Email : kbellan@medef.fr

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] A la recherche d'un fondement juridique à la nullité de la procédure de licenciement pour défaut de motif économique

Réf. : CA Reims, ch. civ., 3 janvier 2012, n° 11/00337( N° Lexbase : A9340H8G)

Lecture: 10 min

N9719BSR

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 19 Janvier 2012

De manière particulièrement audacieuse, plusieurs juridictions du fond ont récemment décidé que la procédure de licenciement est nulle lorsque l'employeur établit un plan de sauvegarde de l'emploi en l'absence de tout motif économique. Si la solution peut être jugée opportune, il reste très difficile, pour ne pas dire impossible, de lui trouver un fondement juridique adéquat dans le Code du travail, aucun texte dudit code ne prévoyant la nullité dans cette hypothèse. Aussi a-t-il pu être proposé de faire application dans ces circonstances à la théorie de l'inexistence. Cette idée a visiblement séduit la cour d'appel de Reims qui, dans une décision rendue le 3 janvier 2012, conclut à l'inexistence de la procédure de licenciement après avoir constaté l'inexistence du motif économique.
Résumé

Le juge civil doit veiller au respect de la loyauté des relations entre le chef d'entreprise et les institutions représentatives du personnel dont le contentieux lui est dévolu, et notamment à l'égard du projet de licenciement collectif soumis au comité d'entreprise. En contrôlant la réalité du motif économique du projet, le juge contrôle uniquement la légalité du projet poursuivi. Une consultation sur un projet présentant comme existant un motif économique qui est en réalité inexistant ne peut caractériser une consultation conforme à ce qui est exigé par le Code du travail.

Observations

I - De la nullité à l'inexistence de la procédure de licenciement

La nullité de la procédure. Ainsi que le précise l'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L5743IAX), "la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l'article L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel qui doivent être réunis, informés et consultés". Quoique fort mal rédigé, ce texte laisse entendre, ce qu'a au demeurant confirmé la Cour de cassation, que le juge doit annuler la procédure de licenciement lorsque le chef d'entreprise a omis de présenter un plan de reclassement au comité d'entreprise ou, lorsque cela ayant été fait, ce plan s'avère insuffisant. On sait que la nullité de la procédure s'étend alors à tous les actes subséquents et, en particulier, aux licenciements prononcés par l'employeur (1).

La nullité de la procédure de licenciement pour motif économique paraît ainsi clairement bornée par la loi et limitée à l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. Pourtant, dans un arrêt pour le moins remarqué rendu le 12 mai 2011, la cour d'appel de Paris a jugé que la procédure doit également être annulée lorsqu'elle ne repose sur aucun motif économique (2). La solution peut être diversement appréciée. En opportunité, il n'est pas complètement illogique que l'on vienne sanctionner un employeur qui établit un plan de sauvegarde de l'emploi, aussi satisfaisant soit-il, en l'absence de motif économique (3). Mais de là à prononcer la nullité de la procédure, il y a un pas important, faute précisément qu'un texte, et certainement pas l'article L. 1235-10, le prévoit. Ne convainc pas plus le raisonnement selon lequel "si la nullité a été prévue en cas d'irrégularité du plan de reclassement, pièce d'une procédure, elle est a fortiori encourue lorsque l'irrégularité du plan affecte la procédure elle-même et le fondement même du plan" (4).

En réalité, aucun texte du Code du travail ne permet, sans discussion possible, de fonder la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt "Viveo". L'adage selon lequel "il n'y a pas nullité sans texte" paraît par suite dresser ici une barrière infranchissable. Cela étant, et à supposer que l'on souhaite conserver une telle solution, il convient de ne pas oublier qu'un plan de sauvegarde de l'emploi est un acte juridique et que, comme tel, il doit aussi être conforme aux prescriptions du Code civil (5). Par ailleurs, un auteur a pu proposer d'en revenir en la matière à la théorie de l'inexistence ; idée qui a visiblement inspiré la cour d'appel de Reims.

L'inexistence de la procédure. En l'espèce, postérieurement à l'annulation d'un premier plan de sauvegarde de l'emploi (6), la société S. avait mis en route une nouvelle procédure de consultation du comité d'entreprise sur des projets de fermeture du site et de licenciement collectif pour motif économique et plan de sauvegarde de l'emploi. Cette procédure a été également annulée, le 9 février 2011, par le TGI de Troyes qui s'est toutefois fondé, cette fois, sur l'absence de motif économique (7).

Ayant fait appel de ce jugement, la société S. soutenait que l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi ne peut être prononcée pour absence de motif économique, le contrôle du juge de droit commun, lequel ne peut porter sur le choix effectué par l'employeur entre les diverses solutions possibles pour assurer la sauvegarde et la compétitivité de son entreprise, ne conduisant pas celui-ci à se prononcer sur la cause réelle et sérieuse des licenciements projetés. De son côté, le comité d'entreprise de la société S. arguait que sa consultation en vue d'engager une procédure de licenciement collectif doit être loyale et sincère, ce qui n'avait pas été le cas, car aucune cause économique au sens de l'ancien article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) n'existait, en l'espèce, alors que c'est par un choix délibéré de la société mère, la société L. et R., que la société S. avait été mise en concurrence avec les autres unités de production du groupe, situées en Chine et en République Tchèque où sont délocalisés les emplois.

La cour d'appel confirme le jugement entrepris. Pour ce faire, elle commence par affirmer que "le juge civil doit veiller au respect de la loyauté des relations entre le chef d'entreprise et les institutions représentatives du personnel dont le contentieux lui est dévolu, et notamment à l'égard du projet de licenciement collectif soumis au comité d'entreprise, qu'en contrôlant la réalité du motif économique du projet, le juge contrôle uniquement la légalité du projet poursuivi ainsi que l'a fait le tribunal de grande instance de Troyes dans le jugement attaqué". Elle précise, ensuite, qu'"une consultation sur un projet présentant comme existant un motif économique qui est en réalité inexistant ne peut caractériser une consultation conforme à ce qui est exigé par le code du travail".

La cour d'appel poursuit en relevant que la société S. évoque la fermeture de son site aux motifs principaux qui suivent : "confronté à un ralentissement de ses performances sur des marchés très concurrentiels, et plus particulièrement en France où les résultats de ses deux filiales présentes sur le marché [...] sont très fortement déficitaires, le groupe doit reconsidérer son organisation. C'est pourquoi un plan de réorganisation mondial a été initié au sein du groupe L. et R. avec pour objectifs de rationaliser la production et de développer les économies d'échelles"

Toutefois, le rapport établi en novembre 2010 par la société C., expert-comptable désigné par le comité d'entreprise, indique que la transformation de S., entre 2005 et 2006, en simple sous-traitant du groupe mis en concurrence avec les autres fournisseurs sans aucune marge de manoeuvre est une condamnation pure et simple du site, que la société S. réplique qu'il s'agit d'une estimation partisane, mais que la société S. ne rapportant aucun élément contraire qui viendrait à l'appui des constatations citées plus haut, la procédure de licenciement pour motif économique est inexistante ainsi que tous les actes subséquents, et le jugement est confirmé.

II - Une solution discutable

Discutable quant à son fondement. Tel qu'il est rédigé, l'arrêt commenté n'emporte pas la conviction. Tout d'abord, on ne comprend pas bien la référence faite à la "loyauté" qui doit présider aux relations entre l'employeur et les institutions représentatives du personnel. A supposer que l'employeur soit en la matière tenu d'une telle obligation, il est difficile de sanctionner sa méconnaissance par la nullité de la procédure ou son inexistence. En revanche, on peut comprendre l'idée selon laquelle la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise en la matière n'a de sens que si existe en amont un motif économique.

On en revient dès lors à la question de principe qui défraie les chroniques et agite la doctrine depuis l'arrêt "Vivéo" : l'absence de motif économique remet-elle en cause la validité de la procédure de licenciement ? A l'instar des magistrats parisiens dans cette dernière affaire, la cour d'appel de Reims répond aussi par l'affirmative (8). Toutefois, et ainsi que cela a déjà été relevé, elle ne conclut pas à la nullité de la procédure de licenciement, mais à son inexistence.

De prime abord, le recours à la théorie de l'inexistence peut séduire (9), nonobstant la grande réserve avec laquelle elle est habituellement accueillie par les auteurs civilistes contemporains. L'inexistence peut être présentée comme une inefficacité de l'acte juridique. Celui-ci ne serait pas simplement nul mais inexistant lorsqu'il est dépourvu d'un élément sans lequel on ne peut concevoir qu'il y ait un acte juridique (10). On peut se demander si le cas de figure qui nous intéresse ici est conforme à cette présentation. En premier lieu, il faut admettre que la procédure de licenciement constitue un acte juridique ; ce qui reste à démontrer. En second lieu, cela aurait-il été fait, il n'est guère évident que le motif économique constitue cet élément sans lequel on ne peut concevoir que la procédure puisse exister. On est au contraire intuitivement tenté de dire qu'elle existe et qu'elle n'est alors pas, effectivement, loyale. Mais la sanction ne peut, en ce cas, résider dans l'inexistence de la procédure.

En fait d'inexistence, il serait sans doute plus pertinent de démontrer que ce qui ne peut exister en l'absence de motif c'est le plan de sauvegarde de l'emploi et, par voie de conséquence, le plan de reclassement qu'il contient (11). Or, faute d'un tel plan, la procédure est nulle. Mais, à supposer qu'un tel raisonnement soit recevable, il n'y a pas, à notre avis, besoin de se référer à la théorie de l'inexistence. L'absence de cause à cet acte juridique pourrait suffire, étant observé qu'un engagement unilatéral doit, comme un contrat, être causé.

Il reste que toutes ces discussions peuvent apparaître inutiles au regard du point de départ de la réflexion, à savoir l'absence de motif économique. En premier lieu, et pour s'en tenir à l'arrêt rapporté, la cour d'appel ne démontre pas véritablement en quoi il y avait absence de motif économique. Il existe, en effet, une différence notable entre l'absence de difficultés économiques et la situation dans laquelle ces difficultés économiques résultent de la légèreté blâmable de l'employeur ou de sa faute. Or, en l'espèce, on a plutôt l'impression, à lire les motifs de la décision, que l'on se situe dans cette dernière situation (12), même si c'est moins l'employeur qui est en cause que la société mère.

En second lieu, et de manière plus générale, il peut être soutenu que, dans tous les cas, un motif économique, au sens de l'article L. 1233-3 du Code du travail, existe bien, à tout le moins s'il a été formulé par l'employeur. Ce qui pose problème, en vérité, c'est l'absence de cause réelle et sérieuse. Il faut remarquer que la solution retenue par les magistrats rémois et, avant eux, la cour d'appel de Paris serait difficile à contenir et devrait s'appliquer à toutes les hypothèses où le juge constate qu'il n'y a pas de motif économique à l'origine de la procédure ; y compris donc dans les cas où l'employeur était de "bonne foi". Or, il semble que dans les deux affaires précitées, les juges du second degré ont plutôt voulu sanctionner des employeurs engageant un processus de licenciement pour motif économique en sachant pertinemment qu'il ne repose pas sur un tel motif. De telles pratiques ne peuvent être admises. Mais, en ce cas, la fraude à la loi ne suffit-elle pas à assurer la sanction de ces employeurs indélicats ?

Discutable quant à ses conséquences. Ainsi que nous l'avons relevé précédemment, l'arrêt sous examen ne constitue qu'un élément de ce que l'on peut appeler la "saga S.". Mais la solution qui y est énoncée en est l'élément majeur ou, pourrait-on dire, déclencheur. Cette "saga" peut être brièvement présentée (13). Le "vice originel" est à rechercher dans les conséquences tirées par les juges de l'absence de motif économique à l'origine de la procédure de licenciement. Que l'on opte pour l'inexistence ou la nullité de cette dernière, le résultat est le même : le juge peut ordonner la poursuite des contrats de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à sa demande. En d'autres termes, le défaut de validité de la procédure conduit finalement au résultat que l'employeur ne peut licencier.

Forte de ce constat, la société S. s'était essayée à une autre stratégie. Elle avait demandé aux juges compétents de prononcer sa liquidation judiciaire. Elle a été déboutée, tant par le tribunal de commerce de Troyes que par la cour d'appel de Reims (14). Ces deux juridictions ont considéré que, ce faisant, la société S. tentait de contourner les dispositions du Code du travail, dont on a vu qu'elles ne lui permettent pas de licencier, du moins selon l'interprétation qui en est donnée. Pour le dire autrement, c'est une manoeuvre frauduleuse qui a été reprochée à l'employeur.

Ne pouvant licencier, la société S. ne peut pas plus être placée en liquidation judiciaire. Pourtant, lorsque l'on regarde l'affaire de plus près, on constate que cette société connaît réellement de graves difficultés économiques, voire est effectivement en cessation des paiements. Mais le problème est ailleurs. Il est à situer dans le fait que cette société appartient à un groupe qui, quant à lui, est en parfaite santé. Bien plus, il apparaît que c'est la société mère du groupe qui, par sa gestion, a conduit sa filiale à ces difficultés. Sans entrer dans le détail, cette société a toutes les apparences d'un co-employeur. Les salariés de la société S. ne s'y sont pas trompés, sollicitant, avec succès, du juge des référés la condamnation de cette société à leur payer leurs salaires.

On l'aura donc compris, c'est dans une véritable impasse juridique et judiciaire que se trouve aujourd'hui la société S.. Celle-ci trouve son unique origine dans l'audacieuse solution retenue par les cours d'appel de Paris et de Reims, sur des fondements juridiques différents mais tout aussi discutables. Reste à savoir maintenant ce qu'en dira la Cour de cassation.


(1) Pour plus de développements sur la question, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 26ème édition, 2012, § 486 et 487.
(2) CA Paris, 12 mai 2011, Pôle 6, 2ème ch., n° 11/01547 (N° Lexbase : A5778HRG) ; Dr. ouvr., 2011, p. 537, avec la chron., d'A. Lyon-Caen.
(3) Pour une critique en ce sens, v. P. Lokiec, De l'inexistence... , SSL, n° 1511, p. 11, spéc., p. 12.
(4) A. Lyon-Caen, art. préc., p. 538.
(5) Ainsi que nous le verrons plus avant, si nullité ou inexistence il peut y avoir ici, c'est d'abord celle du plan de sauvegarde de l'emploi et non de la procédure.
(6) Annulation qui était alors intervenue en raison d'une "classique" insuffisance du plan de reclassement. Sur ce jugement et, plus généralement, sur cette très intéressante affaire S., qui comporte plusieurs décisions de juridictions du fond, v. notre art., De quelques difficultés des relations mère-fille, SSL, n° 1519, p. 5.
(7) Sur ce jugement, v. notre art. préc..
(8) On a la nette impression que c'est, à chaque fois, un raisonnement téléologique qui est à l'oeuvre.
(9) Pour une forte argumentation en ce sens, v. l'art. préc. de P. Lokiec.
(10) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Précis Dalloz, 10ème édition, 2009, § 87.
(11) C'est ce qu'avaient fait les juges du TGI de Troyes, annulant le plan de sauvegarde de l'emploi pour défaut de motif économique et non la procédure.
(12) Une telle ambiguïté pouvait déjà être relevée dans le jugement du TGI de Troyes (v. à cet égard notre art. préc.).
(13) Pour plus de développements, v. notre art. préc..
(14) Cour d'appel qui a aussi rejeté une demande de mise en liquidation judiciaire sollicitée par des créanciers de la société S..

Décision

CA Reims, ch. civ., 3 janvier 2012, n° 11/00337( N° Lexbase : A9340H8G)

Appel de TGI Troyes, 4 février 2011

Textes concernés : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX)

Mots-clés : licenciements économiques, plans de sauvegarde de l'emploi, procédure, inexistence, absence de motif économique

Liens base : (N° Lexbase : E9332ESG)

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Janvier 2012 (Spéciale loi de finances pour 2012 et loi de finances rectificative pour 2011)

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N9700BS3

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 19 Janvier 2012

Les lois de finances initiale pour 2012 et rectificative pour 2011 ont procédé à deux sortes de modifications en ce qui concerne la TVA : des changements ponctuels, précis, et une réforme importante. Les premiers instaurent, par exemple, le taux réduit de TVA au déneigement de la voierie départementale (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2012, de finances pour 2012, art. 31). La seconde crée un nouveau taux réduit de TVA, fixé à 7 %. L'ancien taux de 5,5 % ne disparaît pas pour autant, mais la quasi-totalité de son champ d'application est "transféré" au nouveau taux de 7 %. Son résidu d'application est relatif à l'eau, aux boissons non alcooliques, aux produits destinés à l'alimentation humaine, aux appareillages et équipements spéciaux pour personnes handicapées, aux abonnements d'électricité et de gaz ne dépassant pas 36 kilovoltampères, à la fourniture de repas dans les cantines scolaires, à la fourniture de logement et de nourriture dans les maisons de retraites et établissements accueillant des personnes handicapées et aux services à la personne. Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, vous propose un aperçu des modifications apportées par ces deux lois en matière de TVA et un approfondissement de la création du taux réduit de TVA à 7 %. Le choix en matière de taux de TVA, qu'il s'agisse de la quantité de taux et de leur proportion, est un élément essentiel de la politique fiscale d'un Etat (1). Par application de la Directive du 28 novembre 2006 (2), les taux réduits ne peuvent être inférieurs à 5 %. La 4ème loi de finances rectificative pour 2011 (3) est venue apporter une modification substantielle en matière de taux de TVA. En effet, elle a procédé à la création d'un nouveau taux réduit de 7 %. Cette réforme vient s'inscrire dans la perspective de l'objectif du Gouvernement de ramener le déficit budgétaire à 3 % en 2013 et d'équilibrer les comptes publics en 2016 (4). La création de ce taux intermédiaire devrait rapporter 1,8 milliards d'euros en année pleine. La présente chronique s'intéressera principalement à cette mesure.

Cependant, il ne s'agit pas de la seule modification apportée au régime de la TVA. On peut noter aussi l'application du taux normal de la TVA aux produits antiparasitaires (5) qui, auparavant, bénéficiaient du taux réduit de 5,5 %, aux termes de l'article 278 bis du CGI (6).

L'article 16 de la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 a gelé les limites d'application de la franchise en base de TVA et du régime simplifié d'imposition. Cette mesure est liée au gel du barème de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Ainsi, les limites de chiffre d'affaires que les assujettis ne doivent pas dépasser afin de bénéficier du régime de la franchise en base de TVA ou du régime réel simplifié sont maintenues et identiques à celles applicables en 2011.

Aux termes de l'article 23 (7), il a été procédé à la suppression du régime suspensif de TVA en faveur des opérations effectuées sur le plateau continental à compter du 1er janvier 2012. Cette mesure n'intéresse pratiquement que les compagnies pétrolières.

Comme indiqué précédemment, la principale modification est la création d'un nouveau taux de TVA. Ce changement ne vient pas bouleverser le mécanisme même de la TVA mais apporter de substantiels changements quant au champ d'application en matière de taux réduits. En effet ce nouveau taux s'applique à la quasi-totalité des biens et services antérieurement soumis au taux de 5,5 %. Dans une première partie seront décrits les biens et services soumis au taux à 5,5 % limitativement énumérés à l'article 278-0 bis du CGI (I). Dans un deuxième temps, seront étudiées certaines catégories de biens et services soumises à présent au taux de 7 % II). Enfin, seront examinées les mesures relatives à l'entrée en vigueur de ce nouveau taux de TVA (III).

I - Nouveau champ d'application du taux réduit de 5,5 %

A - Eau, boissons non alcooliques et produits destinés à l'alimentation humaine

Il faut noter ici que les ventes de produits à emporter et à livrer sont soumises au nouveau taux de 7 %. Selon l'administration, il s'agit de la fourniture de nourriture et/ou de boissons destinées à une consommation immédiate, "c'est-à-dire dans les instants qui suivent l'achat" (8). Bien qu'apparemment, cette définition soit claire, eu égard au grand nombre de produits concernés, la distinction entre produits alimentaires soumis au taux de 5,5 % et les autres produits, notamment à emporter en vue d'une consommation immédiate, risque de s'avérer, dans certaines hypothèses, relativement délicate. Ainsi, le projet d'instruction fiscale est détaillé et précise certaines situations à propos du lieu de vente ainsi que pour certains produits (9).

D'ailleurs, la création de cette nouvelle catégorie de "ventes à emporter ou à livrer de produits alimentaires préparés en vue d'une consommation immédiate" avait fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Les requérants considéraient que la référence aux produits préparés "en vue d'une consommation immédiate" méconnaissait l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Dès lors que cette mesure autorisait une imposition différente de produits identiques mais conditionnés de manière différente, elle venait aussi rompre le principe d'égalité devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision en date du 28 décembre 2011 (10), a jugé que cette nouvelle catégorie de "ventes à emporter ou à livrer de produits alimentaires préparés en vue dune consommation immédiate" était bien distincte des ventes des autres produits destinés à l'alimentation humaine. En particulier, il s'agit de taxer différemment des biens relevant de la restauration. Le juge constitutionnel estime que cette nouvelle catégorie peut être définie comme les "produits dont la nature, le conditionnement ou la présentation induisent leur consommation dès l'achat". On peut s'interroger sur cette définition, notamment à propos de l'idée selon laquelle certaines caractéristiques d'un produit peuvent ou non "induire" qu'il sera consommé dès son achat.

B - Les appareillages et les équipements spéciaux pour personnes handicapées

S'agissant de cette catégorie de biens soumise au taux de TVA de 5,5 %, ce taux était déjà appliqué à ces biens par application de l'article 278 quinquies du CGI (plus en vigueur N° Lexbase : L3539IAC). Ces différents appareillages et équipements sont énoncés par le nouvel article 278 0-bis du CGI (N° Lexbase : L5463IRR) et la documentation de base décrit chaque catégorie de ces biens (11).

C - Abonnements relatifs aux livraisons d'électricité de petite puissance, d'énergie calorifique et de gaz combustible, distribués par réseaux et à la fourniture de chaleur provenant d'énergie renouvelable

Cette disposition existait déjà à l'article 279 du CGI (12). Pour les livraisons d'électricité, elles doivent être d'une puissance maximale inférieure ou égale à 36 kilovoltampères. La fourniture de chaleur doit être produite au moins à 50 % à partir de la biomasse, de la géothermie, des déchets et d'énergie de récupération pour bénéficier du taux de 5,5 % (13).

D - Fourniture de repas dans les cantines scolaires

Cette disposition ne s'applique qu'aux établissements scolaires du premier degré (écoles maternelles et primaires) et du second degré (collèges et lycées). Le taux de 5,5 % s'applique aux repas fournis par des prestataires extérieurs qui agissent en tant que gestionnaire de la cantine. Est concerné l'ensemble des repas fournis aux élèves, au personnel administratif ou encore à des étudiants relevant de l'enseignement supérieur au sein d'un lycée (14).

E - Fourniture de logement et de nourriture dans les maisons de retraites et établissement accueillant des personnes handicapées

Le taux de 5,5 % est applicable à cette catégorie de services et de biens aux termes de la loi de finances rectificative pour 2003 (15). Il s'applique aussi aux prestations exclusivement liées, d'une part, à l'état de dépendance des personnes âgées et, d'autre part, aux besoins d'aide des personnes handicapées, hébergées dans ces établissements, qui sont dans l'incapacité d'accomplir les gestes essentiels de la vie quotidienne, notamment s'habiller, manger, se déplacer, faire sa toilette.

En revanche, toutes les autres opérations sont imposables au taux normal de la TVA. Par exemple, les services de blanchisserie, la location de téléviseurs ou encore les frais de téléphone. De même, les ventes de biens effectuées par ces établissements sont aussi soumises au taux qui leur est propre (16).

F - Services à la personne

Ces services doivent être effectués au domicile de la personne et dans son environnement immédiat, en vue de contribuer à son maintien à domicile ; ils permettent ainsi une alternative à une hospitalisation ou un placement en établissement spécialisé. Seuls les services rendus par les entreprises agréées par l'autorité préfectorale (17) sont soumis au taux de 5,5 % pour la période couverte par l'agrément. Cet agrément est obligatoire pour certaines catégories de public (18).

Seules les prestations de services uniquement liées aux gestes essentiels de la vie quotidienne des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées qui ne peuvent les effectuer, et fournies par des structures agréées, sont imposables au taux de 5,5 %. Tous les autres services à la personne fournis par des structures agréées ou déclarées sont soumis au taux de 7 % (19).

Les principales prestations soumises au taux de 5,5 % sont :
- l'assistance aux personnes âgées dépendantes ou handicapées pour les actes de la vie quotidienne à l'exclusion des soins ;
- la garde de personnes âgées dépendantes ou handicapées ;
- l'aide à la mobilité et au transport à partir du domicile de personnes âgées dépendantes ou handicapées si elle est comprise dans une offre de services incluant un ensemble d'activités réalisées à domicile ;
- l'accompagnement et l'aide de personnes âgées dépendantes ou handicapées dans les activités de la vie sociale et les loisirs à domicile ou à partir du domicile si elle est comprise dans une offre de services incluant un ensemble d'activités réalisées à domicile.

II - Le champ d'application du taux de 7 %

Hormis les opérations énoncées à l'article 278-0 bis du CGI étudiées ci-dessus, toutes les autres opérations soumises antérieurement au taux de 5,5 % relèvent, depuis le 1er janvier 2012, du taux de 7 %. On peut noter différents aménagements intervenus à l'occasion de cette modification. Ainsi, le champ d'application du taux de TVA de 2,10 % applicable aux premières représentations de certains spectacles (20) a été modifié.

En effet, à compter du 1er janvier 2012 les 140 premières représentations de spectacles données dans des établissements où il est servi facultativement des consommations pendant le spectacle sont exclues du taux super réduit de 2,1 % par application des nouvelles dispositions de l'article 281 quater du CGI (N° Lexbase : L5682IRU) et soumises au taux de 7 %. Seules les 140 premières représentations de spectacle données dans des établissements où il n'existe pas de service de consommation, ainsi les concerts donnés lors de festivals, continuent de bénéficier du taux de 2,1 % (21).

Les nouvelles dispositions de l'article 279 b sexies du CGI (N° Lexbase : L6571IRS) soumettent au taux de 7 % "les prestations correspondant au droit d'utilisation des animaux à des fins d'activités physiques et sportives et toutes installations agricoles nécessaires à cet effet". Il s'agit, plus particulièrement, des activités équestres. Ainsi, les cours d'équitation et le droit d'utilisation des installations à caractère sportif des centres équestres relèvent du taux de 7 % (22). Certaines opérations sont exclues du champ d'application de ce nouvel article 279 b sexies du CGI. Néanmoins, certaines opérations peuvent être soumises au taux de 7 % par application de dispositions différentes. Par exemple le débourrage et les saillies sont des prestations agricoles soumises à ce nouveau taux par application du 3° de l'article 278 bis du CGI.

III - Les modalités d'application du taux de 7 %

Il s'agit d'examiner d'une part la territorialité de ce nouveau taux et, d'autre part, la date d'entrée en vigueur de cette nouvelle mesure.

A - Territorialité

Les articles 296 (N° Lexbase : L5688IR4) et 296 bis (N° Lexbase : L5686HL8) du CGI fixent des taux particuliers pour les départements de la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. Pour rappel, le taux réduit est de 2,1 % et s'applique aux opérations énoncées aux articles 278-0 bis à 279-0 bis et à l'article 298 octies du CGI (N° Lexbase : L5681IRT) (23), et le taux normal est de 8,5 % (24). Ces taux ne subissent aucune modification. Ainsi, l'entrée en vigueur du nouveau taux de 7 % n'a aucune incidence pour ces trois départements d'outre-mer.

Les taux de TVA applicables en Corse sont déterminés par l'article 297 du CGI. Ils sont toujours d'actualité. Le taux de 7 % ne s'applique qu'aux opérations antérieurement soumises au taux de 5,5 %, sauf celles énumérées à l'article 278-0 bis du CGI.

B - L'entrée en vigueur

Le nouveau taux réduit est applicable à compter du 1er janvier 2012. Cependant, il existe des exceptions. Notamment, les ventes de livres, qu'ils soient sur support papier ou support audio, ne seront soumises à ce nouveau taux qu'à compter du 1er avril 2012. En revanche, les ventes de livres numériques, ainsi que les locations de livres quel qu'en soit le support sont soumis au nouveau taux depuis le 1er janvier 2012.

S'agissant des opérations relatives aux logements sociaux, telles que visées à l'article 278 sexies du CGI, elles restent soumises au taux de 5,5 % si elles sont été engagées avant le 1er janvier 2012.

Pour les travaux entrant dans le champ d'application de la TVA à taux réduit, tels que définis au 1 de l'article 279-0 bis du CGI (N° Lexbase : L5684IRX), c'est-à-dire les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien de locaux d'habitation achevés depuis au moins deux ans, le taux de 5,5 % reste applicable si ces travaux ont fait l'objet d'un devis daté et accepté par les deux parties avant le 20 décembre 2011 et d'un acompte encaissé avant cette même date (25).

Pour les livraisons de biens, il y concomitance entre le fait générateur et l'exigibilité de la TVA, c'est la livraison du bien et donc le transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire. Ainsi, sont soumises au taux de 7 % les livraisons de biens effectuées à compter du 1er janvier 2012.

En matière d'acquisitions intracommunautaires, il est prévu (26) que la taxe est exigible le 15 du mois suivant celui au cours duquel s'est produit le fait générateur. Dès lors, le taux de 7 % s'applique aux acquisitions intracommunautaires réalisées à compter du mois de décembre 2011, car la TVA sera exigible le 15 janvier 2012.

Enfin, dans le cadre des importations, selon les dispositions de l'article 293 A du CGI (N° Lexbase : L5645HLN), la taxe est exigible dès lors que le bien est introduit ou mis à la consommation en France (27). Le taux de 7 % s'applique aux biens introduits ou mis à la consommation en France à compter du 1er janvier 2012.

Sinon, pour les prestations de services, selon les dispositions de l'article 269 (2, c) (N° Lexbase : L1679IPU), la taxe est exigible lors de l'encaissement des acomptes, du prix, ou, sur option, d'après les débits. Sont donc soumises au taux de 7 % les sommes encaissées à compter du 1er janvier 2012, ou inscrites au compte du client à compter du 1er janvier 2012 en cas d'option d'après les débits.

Un projet d'instruction commente la mise en application des articles 13 et suivants de la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 (lire N° Lexbase : N9586BST).


(1) Daniel Gutmann, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, collection Domat droit privé, 2ème édition, 2011, p. 542.
(2) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, art. 97 (N° Lexbase : L7664HTZ).
(3) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (N° Lexbase : L4994IRE).
(4) Conseil des ministres du 16 novembre 2011.
(5) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 13, I, B.
(6) CGI, art. 278 bis, 5°, d (N° Lexbase : L5676IRN).
(7) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, op. cit..
(8) § 47 du projet d'instruction soumis à consultation, opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive (lire N° Lexbase : N9586BST).
(9) § 48 à 55 du projet soumis à consultation opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive, op. cit..
(10) Cons. const., décision n° 2011-645 DC du 28 décembre 2011 (N° Lexbase : A9044H8H) ; lire (N° Lexbase : N9445BSM).
(11) Il s'agit :
- des appareillages pour personnes handicapées visés aux chapitres 1er et 3 à 7 du titre II et au titre IV de la liste des produits et des prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5205IEI) (DB 3C 2162) ;
- des appareillages pour personnes handicapées mentionnés au chapitre III de la liste précitée, ou pris en charge au titre des prestations d'hospitalisation définies aux articles L. 162-22-6 (N° Lexbase : L6288IGY) et L. 162-22-7 (N° Lexbase : L6944IGB) du même code et dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la Santé et du ministre chargé du Budget (DB 3 C 2162) ;
- des équipements sociaux, dénommés aides techniques et autres appareillages, dont la liste est fixée par arrêté du ministre du Budget et qui sont conçus exclusivement pour les personnes handicapées en vue de la compensation d'incapacités graves (BOI 3 C-1-02 N° Lexbase : X9897AAS) ;
- des autopiqueurs, les appareils pour lecture automatique chiffrée de glycémie, les seringues pour insuline, les stylos injecteurs d'insuline et les bandelettes et comprimés pour l'autocontrôle du diabète (BOI 3 C-4-99 N° Lexbase : X6194AAN) ;
- des appareillages de recueil pour incontinents et stomisés digestifs ou urinaires, les appareillages d'irrigation pour colostomisés, les sondes d'urétérostomie cutanée pour stomisés urinaires, les solutions d'irrigation vésicale et les sondes vésicales pour incontinents urinaires (BOI 3 C-4-99) ;
- des ascenseurs et matériels assimilés, spécialement conçus pour les personnes handicapées et dont les caractéristiques sont fixées par arrêté du ministre de l'Economie et des Finances (DB 3 C 2162).
(12) CGI, art. 279, b decies (N° Lexbase : L6571IRS).
(13) DB 3 C 2294 ; BOI 3 C-1-07 (N° Lexbase : X8244ADP) et BOI 3 C-1-09 (N° Lexbase : X4989AEI).
(14) § 43 du projet soumis à consultation opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive, op. cit..
(15) Loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003, de finances rectificative pour 2003, art. 33 (N° Lexbase : L6330DME).
(16) BOI 3 C-1-04.
(17) Les conditions de cet agrément sont prévues aux articles R. 7232-1 (N° Lexbase : L1347IRC) à R. 7232-24 du Code du travail.
(18) Les enfants de moins de 3 ans, les personnes dépendantes et les personnes handicapées.
(19) CGI, art. 279.
(20) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 13, I, E, 2° et art. 13, I, H, op. cit..
(21) § 60 du projet soumis à consultation opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive, op. cit..
(22) § 57 du projet soumis à consultation opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive, op. cit..
(23) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 13 III, op. cit..
(24) CGI, art. 296.
(25) § 11 du projet soumis à consultation opposable à l'administration jusqu'à publication de l'instruction définitive, op. cit..
(26) CGI, art. 269, 2, d (N° Lexbase : L1679IPU).
(27) CGI, art. 291, I, 2 (N° Lexbase : L1682IPY).

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