La lettre juridique n°470 du 26 janvier 2012

La lettre juridique - Édition n°470

Éditorial

La collectivisation au service de la concurrence : Staline en a rêvé, l'Autorité l'a préconisée...

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N9802BST

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 26 Janvier 2012

Grand émoi rue de l'Echelle, en ce 11 janvier 2012 : l'Autorité de la concurrence réceptionne, après avoir rendu un premier avis le 7 décembre 2010, la "patate chaude" de l'urbanisme commercial, en l'espèce, le dossier de la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris. Et, elle rend un avis que d'aucuns pourront taxer de "surréaliste" sur bien des plans, et d'autres y verront certainement une nouvelle "journée des dupes" dont l'unique cible n'était pas l'enseigne sur le ban des accusés, mais toujours et encore, en la matière, la loi "Royer".

Le premier écueil de cet avis, après saisine de la mairie de Paris qui, sur la base d'un rapport de l'Apur (atelier parisien d'urbanisme), s'inquiétait d'une trop grande concentration de la distribution alimentaire dans la capitale, est sans doute la "bataille de chiffres" qui s'est engagée à la suite de sa sortie. Pour l'Autorité, il ne fait guère de doute que le groupe Casino détient une part de marché en surface supérieure à 60 %, et en chiffre d'affaires entre 54 et 66 %, soit trois fois plus que celle de son principal concurrent, le groupe Carrefour. Ce à quoi, le principal intéressé rétorque, étude Mapp ou étude Kantar à l'appui, que la part de marché cumulée du groupe Casino et de Monoprix oscille entre 33 % et 38,5 %. La différence d'appréciation varie du simple au double, et elle ne serait que le reflet d'un comptage partisan grotesque, si l'Autorité de la concurrence ne brisait pas la présomption d'innocence tout en soulignant qu'elle n'a pas constaté d'abus de la part du groupe Casino. Donc, résumons nous : sur la base d'une quantification des parts de marché de chacune des entités du groupe Casino qui souffre manifestement sinon la contrariété, du moins la contradiction, l'Autorité conclut à une situation de position dominante, soit ; mais le suspect n'aurait pas commis d'abus et ne peut donc pas être sanctionné. Par où l'on voit que l'Autorité de contrôle blanchit tout de même le principal suspect ; mieux elle lui tresse une couronne de lauriers en précisant que cette situation de position dominante peut être imputée à la stratégie et aux mérites propres du groupe.

Deuxième écueil de cet avis, "la position aujourd'hui détenue par cet opérateur sur le marché parisien de la grande distribution à dominante alimentaire constitue un obstacle à la concurrence". Et, l'Autorité de la concurrence de recommander de fluidifier le marché et d'agir sur les structures, en accentuant l'abaissement des barrières à l'installation de grandes surfaces alimentaires, en supprimant, notamment, la procédure d'autorisation administrative d'installation pour les commerces de plus de 1 000 m². C'est donc clairement le coeur de la loi d'orientation du commerce et de l'artisanat du 27 décembre 1973, dite loi "Royer" qui est, ici, visé. Pour mémoire, cette loi, mainte fois remaniée, encadre l'urbanisme commercial et charge les pouvoirs publics de veiller à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi (article de 1er de la loi). Pour le coup, la loi entendait régler son compte à la grande distribution et protéger au mieux les intérêts du petit commerce de proximité. Cette loi est décriée depuis de nombreuses années, et son renforcement par la loi "Raffarin" du 5 juillet 1996, imposant une demande d'autorisation d'implantation pour toute surface de vente supérieure ou égale à 300 m², afin de contenir hors les villes les hard discounters, n'aura qu'envenimé le débat sans pour autant juguler l'expansion des hypermarchés, comme des enseignes de hard discount au coeur des villes. Les dernières études de l'Insee (2006) montrent que 70 % des dépenses alimentaires se font dans les grandes surfaces d'alimentation, 40 % des dépenses d'habillement dans les petits commerces et 42 % des dépenses de biens durables en grandes surfaces spécialisées. On ne peut donc pas dire que, notamment, pour ce qui concerne le secteur alimentaire, la loi "Royer" ait freiné l'essor des grands distributeurs. Mieux, comme à Paris, ils se sont taillés la part du lion puisque, à en croire l'Autorité de la concurrence, les deux principaux acteurs, deux grands groupes de la distribution, détiendraient près de 90 % du marché de l'alimentaire dans la capitale. En terme de diversité, de protection du commerce indépendant et de libre concurrence, on aura vu mieux. Mais, ce qu'il faut relever avant tout, c'est que, si la loi "Royer" a été plutôt inefficace dans la défense du petit commerce indépendant, cela ne signifie pas que sa suppression et, par là même, la suppression des règles d'urbanisme commercial afférentes, serait un gage de plus grande ou meilleure concurrence. En effet, la même étude de l'Insee nous révèle que les Parisiens recourent plus aux petits commerces alimentaires que les autres Français. Près d'un quart des dépenses alimentaires des parisiens est réalisée dans les commerces de détail, tels que les boucheries, poissonneries, cavistes ou épiceries spécialisées ; et la part des achats discounts et surtout en hypermarchés est largement inférieure à la moyenne, "reflétant aussi bien la nature du tissu commercial que le niveau de vie des ménages parisiens, sensiblement plus élevé qu'ailleurs" -nous livre le commentaire de l'Institut-. Mieux, sur la période analysée, 2001 à 2006, la part dépensée dans les commerces de détail s'érode partout ailleurs, elle augmente légèrement à Paris. En revanche, et c'est là que le bât blesse, dans les grandes communes (hors Paris), où la densité d'hypermarchés est plus forte, les ménages y dépensent davantage, jusqu'à 36 % des dépenses alimentaires pour les ménages habitant des communes de plus de 100 000 habitants hors agglomération parisienne. Autrement dit, une chose est certaine : favoriser l'installation de grandes surfaces au coeur ou aux portes de Paris, et les Parisiens se comporteront comme tous les urbains des grandes villes et délaisseront progressivement le "petit commerce" pour se fournir majoritairement auprès des grandes enseignes. Là encore, en terme de diversité, de protection du commerce indépendant, et de floraison du tissu social et commercial, on aura vu mieux ; d'autant que le marché de la grande distribution alimentaire en France est plutôt oligopolistique. Six groupes se partagent le marché, et le groupe Casino est loin d'être en tête de gondole, sur l'ensemble du territoire. Sa prétendue position dominante à Paris ne reflète pas son positionnement sur le marché national. Le premier groupe, en terme de chiffre d'affaires hexagonal étant justement... le groupe Carrefour. Donc là encore, résumons nous : pour l'Autorité de la concurrence, la loi "Royer" n'empêche pas le développement des grandes enseignes et ne protège pas le petit commerce, et il faut libérer le marché de manière à ce que les grands groupes s'installent dans la capital pour favoriser la concurrence... une concurrence oligopolistique, si l'on en juge par le comportement d'achat des Français et par la structure du marché de la distribution. L'intention de l'Autorité est donc louable, mais il est à craindre que le premier remède préconisé ne soit contre productif pour les parisiens, qui verront les commerces de bouche de proximité disparaître pour être remplacés, comme dans les villes moyennes, par des prestataires de services, le plus souvent, financiers...

Troisième écueil de cet avis, l'Autorité constate qu'elle ne dispose pas de réels moyens d'intervention lorsque les préoccupations de concurrence identifiées résultent de la structure de marché et non des comportements des opérateurs. Ainsi, l'Autorité avoue son incapacité à remédier à la concentration élevée du marché constaté à Paris, en l'absence d'infraction caractérisée. Qu'une Autorité ne puisse pas enjoindre en l'absence de préjudice caractérisé, nous voilà rassurés. Mais, elle rappelle que des dispositions législatives permettant à une autorité nationale de concurrence d'enjoindre à des entreprises de revendre des actifs à des concurrents existent dans d'autres pays. Ce pouvoir d'injonction structurelle, qui offre des garanties procédurales similaires à celles encadrant le contrôle des concentrations, apparaît comme le moyen le plus efficace d'agir sur la structure de marché au bénéfice du consommateur. Ainsi, une injonction de cessions de magasins accroîtrait rapidement la pression concurrentielle sur les opérateurs et modifierait ainsi leurs comportements en matière de prix ou d'assortiment dans le sens souhaité par les consommateurs. Par où l'on comprend, d'abord, et une nouvelle fois, qu'il n'y a pas d'abus de position dominante préjudiciable aux consommateurs, mais que de manière préventive, il conviendrait d'obliger les opérateurs à modifier leur comportement, quitte à saper des règles de concurrence protectrices. C'est un peu comme si, parce que la digue rompt jour après jour, il convenait de la faire sauter. Et, l'on comprend, ensuite, que le rôle des pouvoirs publics serait de collectiviser les moyens de production existants, autrement dit d'exproprier le groupe Casino, pour revendre, par la suite, surfaces et biens d'équipements à d'autres enseignes ou acteurs indépendants. C'est oublier deux éléments fondamentaux : ce sont les distributeurs indépendants qui ont progressivement cédé leur place aux enseignes du groupe Casino, et surtout, rien n'interdisait les autres grandes enseignes de faire de même et de s'installer dans la capitale. Et, si elles ne l'ont pas fait, c'est que les conditions (surfaces, urbanisme, achalandage, etc.) ne leur convenaient guère. Les grandes enseignes de la distribution ne souhaitent pas dépecer "l'empire" du groupe Casino à Paris, elles souhaitent, éventuellement, et elles ne sont pas partie à la saisine, pouvoir s'installer à leurs conditions de rendement. Décidemment, nous ne voyons pas très bien en quoi la collectivisation, responsable de tant de maux et de famine, dans feu l'empire soviétique, serait un terreau favorable à la libre concurrence pure et parfaite, voire non faussée.

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Avocats

[Jurisprudence] Contentieux des avocats : la valse des recours en annulation

Réf. : Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-16.544, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4668H3B) et Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.437, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2909H8A)

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N9809BS4

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 26 Janvier 2012

La fin de l'année 2011 a été riche en décisions intéressant le contentieux des avocats. Parmi celles-ci, deux ont retenu particulièrement notre attention. L'une pose en principe le respect du contradictoire en cas d'annulation d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats (Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-16.544, FS-P+B+I) ; l'autre précise les conditions de recevabilité du recours en annulation dirigé contre la sentence d'un Bâtonnier entachée d'excès de pouvoir, tout en limitant les prérogatives de ce dernier en cas de litiges inter-barreaux (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.437, FS-P+B+I). I - Respect du contradictoire en cas d'annulation d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats

Dans un arrêt du 1er décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé que, lorsqu'une cour d'appel prononce la nullité d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats qui lui est déférée, elle ne peut examiner le fond et prononcer la condamnation de la partie qui s'était bornée à demander la nullité, sans l'avoir invitée, au préalable, à conclure au fond. Autrement dit, après avoir annulé une décision du conseil de l'Ordre des avocats pour vice de procédure, une cour d'appel peut statuer sur le fond de l'affaire à condition d'observer le principe du contradictoire.

En l'espèce, le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a décidé d'omettre du tableau un avocat car celui-ci n'a pas payé diverses cotisations à caractère professionnel. Le praticien a alors contesté cette éviction devant la cour d'appel en arguant d'un vice de procédure. Selon l'avocat, la composition de la formation plénière du conseil de l'ordre était irrégulière, l'un des membres n'étant pas à cette date membre du conseil. Toutefois, la cour d'appel n'a pas suivi cette argumentation. Pour prononcer l'omission de l'avocat après avoir annulé la décision du conseil de l'Ordre en raison de la composition irrégulière de sa formation plénière, les juges du fond ont retenu que la dévolution s'était opérée pour le tout, en application de l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6715H7T), et que l'appelante n'avait pas discuté le non-paiement de ses cotisations. A la suite du pourvoi formé par l'avocat, la Cour de cassation a déclaré, au visa de l'article 16 du même code (N° Lexbase : L1133H4Q), que si, en cas d'annulation de la décision du conseil de l'Ordre, il lui incombe, en vertu de l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, de statuer sur la demande, la cour d'appel doit observer le principe de la contradiction et non statuer, comme elle l'a fait, sans inviter l'appelante à conclure sur le fond du litige. L'arrêt attaqué est donc cassé et annulé.

La solution doit être saluée. En effet, selon l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. La Cour de cassation en déduit que lorsque l'appel porte sur la nullité du jugement, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité, sans que l'appelant ait à recevoir une injonction de conclure au fond (1). Cela signifie donc que la cour d'appel peut statuer au fond sans qu'il soit nécessaire qu'elle invite les parties à conclure sur le fond. Or, cette solution semble aujourd'hui abandonnée : le juge peut évoquer le fond de l'affaire s'il observe le principe de la contradiction.

II - Recours contre la sentence arbitrale d'un Bâtonnier entachée d'excès de pouvoir

Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé, d'une part, qu'en cas de contestation, le Bâtonnier ne peut rendre une sentence arbitrale interdisant la production de certaines pièces devant une juridiction, sous peine d'excès de pouvoir et, d'autre part, que le recours en annulation de cette sentence arbitrale ne peut être déclaré irrecevable au motif qu'il a été présenté par une personne qui n'était pas partie à la procédure arbitrale.

En l'espèce une avocate au barreau de Lyon est décédée au sortir d'une audience. Son compagnon a chargé un avocat au barreau de Paris de rechercher la responsabilité de l'avocate collaboratrice de sa compagne. Le Bâtonnier du barreau de Paris et celui du barreau de Lyon étant en désaccord sur la possibilité pour l'avocat saisi de produire deux lettres échangées entre avocats dans l'affaire plaidée le jour du décès, portant la mention "officielle", ils sont convenus de recourir à l'arbitrage du Bâtonnier du barreau de Montpellier. Ce dernier a, par sentence, dit que ces lettres devaient être retirées de la plainte pénale. L'avocat du compagnon a alors formé un recours en annulation de cette sentence. La cour d'appel a ensuite rejeté ce recours au motif que l'avocat n'était pas partie à la procédure arbitrale et ne disposait pas à ce titre d'une compétence pour former ce recours. Toutefois, son arrêt a été censuré par la Cour de cassation car, s'agissant d'une sentence arbitrale entachée d'excès de pouvoir, l'argumentation retenue par la cour d'appel n'était pas conforme aux dispositions combinées de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2009-1544 du 11 décembre 2009 (N° Lexbase : L0440IGE).

La solution est intéressante à double titre. En premier lieu, cette affaire est l'occasion de préciser la notion d'excès de pouvoir, condition de l'ouverture d'un recours en annulation par voie d'appel (2) et dont l'appréciation est de plus en plus stricte (3). Si, en vertu de l'article 175 du décret du 27 novembre 1991, l'avocat peut saisir le Bâtonnier de toute difficulté, seule la juridiction saisie peut décider des pièces pouvant être produites devant elle. En second lieu, cette affaire met en exergue les difficultés à traiter des litiges inter-barreaux, dès lors qu'en l'espèce le Bâtonnier de Montpellier a empiété sur les prérogatives de la juridiction normalement compétente. Rappelons que le Bâtonnier est compétent pour engager des poursuites disciplinaires contre l'avocat qui commettrait une faute au regard de ses obligations déontologiques (4). Or, dans les faits, il existait une divergence de points de vue quant à l'existence d'une telle faute. Contrairement à son homologue parisien, le Bâtonnier de Lyon estimait que l'avocat ayant pris l'initiative de la communication des lettres avait eu un comportement fautif. C'est pour régler de telles divergences entre Bâtonniers, que la convention du 28 novembre 2008, signée entre la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-mer et le barreau de Paris, avait mis en place une procédure d'arbitrage : un Bâtonnier tiers arbitre peut imposer à un autre Bâtonnier la règle déontologique à appliquer, règle au regard de laquelle il lui appartient d'engager, le cas échéant, des poursuites disciplinaires (5). Cette convention est aujourd'hui intégrée à l'article 20.1 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) issu de la décision du CNB du 21 octobre 2010, portant réforme du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat, publiée au Journal officiel du 7 janvier 2011, et qui prévoit que : "Si une difficulté d'ordre déontologique survenue entre avocats de barreaux différents n'a pu être réglée par l'avis commun de leurs Bâtonniers respectifs dans les quatre semaines de leur saisine, ceux-ci soumettent cette difficulté au Bâtonnier d'un barreau tiers dans un délai de huit jours. A défaut d'accord sur le choix de ce Bâtonnier, celui-ci est désigné par le président du Conseil national des barreaux à la requête du Bâtonnier concerné le plus diligent. Le Bâtonnier ainsi choisi ou désigné fait connaître son avis par écrit, dans les quatre semaines de sa propre saisine, aux avocats concernés ainsi qu'à leurs Bâtonniers respectifs qui veilleront à l'application de cet avis, en ouvrant, le cas échéant, une procédure disciplinaire. Les délais ci-dessus prévus sont réduits de moitié en cas d'urgence expressément signalée par le Bâtonnier premier saisi". Mais la légalité de cet article est fortement contestée. En effet, le CNB n'a pas le pouvoir de déléguer ses compétences qu'il se doit d'exercer conformément à l'article 21-1 de la loi de 1971 : "Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat [...]". De surcroît, son contenu suscite des interrogations chez les praticiens : à quoi bon solliciter un troisième avis qui ne peut avoir de caractère contraignant (6), dès lors que l'opportunité des poursuites demeure, et c'est la moindre des choses, entre les mains des seules autorités de poursuites (Bâtonnier et Parquet), dont relève l'avocat concerné ? Et si une divergence d'interprétation surgit, et qu'il y a un intérêt à établir une position commune (comme en matière de conflits d'intérêts inter-barreaux par exemple), alors il appartient aux Bâtonniers concernés de saisir... la commission "règles et usages" du Conseil national des barreaux (7). En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de cassation pose plus de questions qu'il n'en résout !


(1) V. Cass. civ. 2, 9 décembre 1997, n° 96-12.472 (N° Lexbase : A1032AC9), Bull. civ. II, n° 302 ; D., 1998, IR 33 ; D. Affaires, 1998, 422, obs. S. P. ; JCP éd. E, 1998, IV, 1177 ; Cass. civ. 2, 22 mars 2006, n° 04-14.962 (N° Lexbase : A7937DNB), Bull. civ. II, n° 77 ; JCP éd. G, 2006, IV, 1887.
(2) V. Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-12.287, publié (N° Lexbase : A5577AB8).
(3) V. Cass. mixte, 28 janvier 2005, n° 02-19.153, publié (N° Lexbase : A6459DGC).
(4) En cas de carence du Bâtonnier, v. Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-16.508, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1113ATE).
(5) Comp. l'ancien article 20 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat (JO 11 août 2007), reprenant les dispositions de l'article 19 du RIU de 2004 : "Règlement des conflits inter barreaux : Si une difficulté survenue entre avocats de barreaux différents n'a pu être réglée par l'accord de leurs Bâtonniers respectifs, ceux-ci choisissent un troisième Bâtonnier. Le différend sera résolu par l'avis conjoint des trois Bâtonniers ou de leurs délégataires respectifs siégeant collégialement. Les Bâtonniers intéressés veilleront à l'application de l'avis rendu".
(6) Rappr. Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 95-22.242 (N° Lexbase : A2066ACI).
(7) V. D. Piau, Unification des règles déontologiques ou guerre picrocholine ?, Gaz. Pal., 10 janvier 2012, n° 10, p. 19.

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Bancaire/Sûretés

[Jurisprudence] Information annuelle de la caution et mécanismes de compte courant

Réf. : Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-25.586, FS-P+B (N° Lexbase : A5283IAW)

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N9896BSC

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par Emilie Mazzei, ATER à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne

Le 26 Janvier 2012

Désirant pallier le risque de "sous-information" de la caution, le législateur a imposé, par le truchement de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2923G97), une obligation d'information annuelle par la banque garantie : la caution doit à tout moment être consciente de l'existence de son engagement, de sa portée réelle, de ses possibilités de résiliation. Cette obligation d'information s'applique plus particulièrement en cas de cautionnement d'un découvert de compte courant professionnel, hypothèse soulevée par l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2012.
En l'espèce, un gérant s'est rendu caution solidaire de deux ouvertures de crédit en compte courant pour la société qu'il dirige. Ladite société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné le gérant en exécution de son engagement de caution. De façon classique, ce dernier s'est défendu en invoquant l'inexécution par la banque de l'obligation annuelle d'information telle que prévue par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier. Les juges du fond ont considéré que la banque était déchue du droit aux intérêts pour la seule période du 31 mars 2000 au 15 mars 2001 et a débouté la caution pour le surplus. Le raisonnement de la cour d'appel (CA Colmar, 10 juin 2010) est ici confirmé : s'agissant d'un découvert en compte courant, l'information annuelle relative au principal et aux intérêts doit comprendre uniquement le montant de l'autorisation de découvert, le solde du compte arrêté au 31 décembre de l'année précédente et le taux de l'intérêt applicable à cette date. A contrario, à la suite de la liquidation de la société et à la clôture du compte, les informations postérieures doivent distinguer le principal, les intérêts et les accessoires. Respectant ces principes, la cour d'appel a pu faire une exacte application de l'article L. 313-22. L'arrêt de la Chambre commerciale du 10 janvier 2012 est intéressant à plus d'un titre : il aborde la question du contenu de l'information annuelle de la caution de compte courant, mettant en exergue ses particularismes (I) ; il détaille les conditions de régularité de l'information produite, confirmant la sanction prononcée (II).

I - Précisions sur le contenu de l'information annuelle due à la caution

L'arrêt de la Chambre commerciale du 12 janvier 2012 est l'occasion de préciser le contenu de l'information due à la caution (B) en cas de découvert sur un compte courant (A).

A - Information annuelle due aux cautions et mécanismes de compte courant

L'arrêt confirme la possible adaptation des dispositions de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier aux mécanismes du compte courant.

Pour rappel, aux termes de l'article précité, "les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée". Ce texte précise tout aussi bien le destinataire du message informatif -caution personne physique ou morale-, que son contenu -montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires-.

Or, dans le cadre plus particulier du compte courant, le contenu matériel de l'information produite est soumis à quelques incertitudes : le particularisme de fonctionnement du compte courant peut-ils se répercuter sur l'appréciation du contenu de l'information à apporter ? Le régime de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier est-il rigide, fixé par les textes, ou peut-il devenir flexible, soumis aux impératifs de la pratique bancaire ?

Ainsi, si la pratique même du cautionnement de compte courant n'est, bien sûr, plus discutée, elle demande néanmoins quelques précisions. Dans le cadre du compte courant, la caution prend un engagement quant au solde final du compte, solde indivisible et connu à la clôture du compte courant. De fait, la caution n'a véritablement connaissance du montant de son engagement qu'à la clôture du compte. Cela s'explique, selon la doctrine classique, par le mécanisme de novation qui prévaut dans le cadre du compte courant : chaque créance de l'un et de l'autre des titulaires du compte fusionnent dans un solde unique dont la valeur n'est réellement déterminée qu'à la fin de l'existence de leur relation de compte. Autrement dit, créance et dette deviennent autant d'articles de compte : l'entrée en compte éteint la créance ou la dette, une obligation nouvelle apparaissant à sa clôture. En outre, dans le cadre du compte courant, les intérêts inscrits en compte sont capitalisés, par exception aux dispositions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7) : la prohibition de l'anatocisme ne s'applique pas en matière de compte courant.

Or, cette capitalisation des intérêts pose des difficultés quant à l'information à produire : dans cette hypothèse, est-il possible pour la banque de détailler le montant du principal, des intérêts, commissions, frais et accessoires ? Sur le terrain contentieux, certains ont d'ailleurs argué d'une impossibilité de faire, cherchant à échapper à leur obligation d'information. En réponse, il a cependant pu être jugé que l'inscription en compte ne pouvait permettre à la banque d'échapper aux dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 (N° Lexbase : L7474AGW), alors applicable (1). En l'espèce, l'arrêt de la Cour de cassation ne se place plus sur le terrain de la faisabilité de l'information annuelle, mais sur son contenu même, sa formulation. Devant s'appliquer à l'hypothèse du compte courant, cette information doit nécessairement être adaptée.

Pour comprendre cette solution, il faut revenir aux objectifs du législateur : l'information annuelle de la caution vise à lui faire prendre conscience du risque de sa sûreté. Cet objectif premier de protection de la caution s'applique a fortiori dans le cas du compte courant, dont le mécanisme différé est d'autant plus risqué. Reste à savoir quelle sera la teneur exacte de cette information, dans la mesure où il s'agit "d'un solde débiteur d'un compte dont ne peuvent être extraits les intérêts".

B - Le contenu de l'information à produire

Dans ce cadre, le juge doit apprécier si l'information produite par la banque est "correcte" : les juges du fond vérifient la véracité du message informatif eu égard à la lettre de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier, mais aussi -ce qui parait plus inédit- en considération de l'opération bancaire garantie.

L'information doit être exacte : c'est le contenu même de l'information qui est au centre du débat prétorien. Or, l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier précité dispose que l'information doit être non pas globale mais détaillée, précisant intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente (2).

La Cour de cassation va ici adapter l'information au produit garanti : pour cela, elle s'efforce d'identifier au cas particulier le moment de production de l'information, distinguant pour cela l'avant et l'après clôture du compte courant. Tout d'abord, dans le cadre du fonctionnement du compte courant, la Cour accepte que l'information donnée aux cautions comprenne, le cas échéant, "le montant de l'autorisation de découvert, le solde du compte arrêté au 31 décembre de l'année précédente et le taux de l'intérêt applicable à cette date". En l'espèce, l'information produite, ne ventilant pas les frais et intérêts, sera donc régulière : il doit être tenu compte de l'impossibilité d'extraire les intérêts produits dans le cadre du solde débiteur du compte courant. Une information globale suffit donc.

Logiquement, dans la période post compte courant, l'information doit, de nouveau, ventiler les différents frais, commissions et intérêts perçus par la banque, l'arrêt stipulant que "les informations postérieures distinguent le principal, les intérêts et les accessoires dans la mesure où le compte a été clôturé à la suite de la liquidation de la société intervenue le 7 avril 2003". Cela se justifie par la disparition, à la clôture du compte, de l'effet novatoire : la créance d'intérêts ne se confond plus dans un solde unique. Il est, à partir de ce moment, possible de distinguer l'ensemble des frais perçus par la banque, frais désormais non affectés au sein du solde du compte courant.

Cette solution paraît parfaitement logique au regard du fonctionnement du compte courant : une appréciation large du contenu de l'information, favorable au créancier banquier, assouplit la lettre de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier, parant aux reproches qu'on a pu formuler à son encontre, ceux du "formalisme" et du "pointillisme". La Cour de cassation fait ici preuve de pragmatisme, adaptant les termes de la loi aux pratiques bancaires : au formalisme de l'information, le juge ne doit pas ajouter le rigorisme.

II - Le contrôle de la régularité de l'information annuelle produite

Le juge apprécie la régularité de l'information donnée au regard des documents produits par la banque (A) et confirme une déchéance partielle des intérêts (B).

A - Les critères d'appréciation de la communication de l'information annuelle produite

La Cour de cassation, dans son arrêt du 10 janvier 2012, reprend à son compte, sans que cela ne constitue le coeur de sa solution, les règles d'administration de la preuve dans le cadre des litiges caution-banque (3). Elle garde, en outre, un silence intéressant sur la qualité du destinataire de l'information, dirigeant de la société titulaire du compte courant.

Sur le premier point, la Cour confirme la jurisprudence précédemment établie : la production des lettres d'information est suffisante à prouver l'accomplissement des obligations d'information dues par la banque au garant. L'établissement de crédit a, en l'espèce, produit au débat les lettres d'information adressées pour les années 2001 à 2009. De cette solution, quelques mots : l'"obligation matérielle de faire parvenir l'information à son destinataire" (4) ne se prouve, pour le débiteur de l'obligation de communication, qu'à travers son envoi. Autrement dit, il n'est pas obligatoire pour la banque de pré-constituer la preuve par le biais, notamment, de lettres recommandées avec avis de réception. La lettre simple suffit, aucune forme spécifique n'étant d'ailleurs prévue par le Code monétaire et financier. La connaissance de l'information produite est ainsi subodorée par la production de l'information et non pas par sa réception réelle. Est par conséquent réitérée la distinction entre envoi et réception. Il appartient ainsi à la banque de prouver tout à la fois le contenu et l'envoi de l'information, la caution pouvant, le cas échéant, contester le fait que l'information lui ait été effectivement adressée.

Autre point à noter : il est patent que la personne destinataire de l'information annuelle est ici indifférente. N'a d'ailleurs pas été soulevée la question de la qualité du destinataire du message (5), gérant de la société dont le compte courant a fait l'objet d'un cautionnement. Le débat s'est recentré, au contraire, sur le contenu de l'information : la relation interpersonnelle entre caution et débiteur principal n'interfère donc pas, en l'espèce, sur le contenu de cette information. Peu importe que la caution soit profane ou avertie, dirigeant d'une société ou tiers cautionnant dans un but non professionnel : l'information de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier concerne l'engagement de toute caution, et ce, même si la caution a effectivement accès à l'information concernant l'obligation principale. Ainsi, si la Cour de cassation admet l'adaptation de la réglementation aux impératifs des mécanismes bancaires, elle refuse de faire une distinction entre les créanciers de l'obligation d'information annuelle de la caution, là où le texte n'en fait pas.

B - Les sanctions prononcées

Dans le cadre de ce contentieux, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d'appel et prononce une déchéance partielle d'intérêts, c'est-à-dire ne couvrant pas l'ensemble de la durée de l'engagement de caution. Pour rappel, la cour d'appel avait considéré que la banque était déchue du droit aux intérêts pour la seule période allant du 31 mars 2000 au 15 mars 2001. Elle avait, au contraire, débouté la caution dirigeante pour le surplus. Cette solution est confirmée : ne délivrant pas de justificatif, la banque est logiquement déchue de son droit aux intérêts pour la seule période concernée.

La solution retenue est conforme, là encore, aux dispositions de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier selon lequel le défaut d'information entraîne "déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information" (6). Par le truchement de cette sanction, les intérêts pour la période concernée ne sont plus couverts par le cautionnement.

L'on peut, encore une fois, s'interroger sur l'interférence entre mécanismes novatoires du compte courant et obligation d'information de la caution : peuvent-ils avoir quelque conséquence sur les sanctions de l'obligation d'information annuelle de la caution ? Comment la déchéance peut-elle atteindre des intérêts qui sont déjà capitalisés car entrés en compte ? Sur le terrain de la sanction, les juges semblent moins sensibles à ce débat. En effet, la Cour de cassation s'était auparavant prononcée sur cette question, notamment dans un arrêt du 25 mai 1993 (7) aux termes duquel "la déchéance des intérêts encourue en cas de manquement à l'obligation d'information édictée par l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 s'applique même lorsque les intérêts ont été inscrits en compte courant". Cette solution est implicitement reprise en l'espèce.

En appliquant la sanction de la déchéance des intérêts, la Cour de cassation nuance en fait l'effet novatoire de l'entrée en compte courant. Cette position est empreinte de réalisme : en tirer toutes les conséquences, y compris au niveau de la sanction, reviendrait à retirer toute efficacité à la sanction du défaut d'information des cautions. Il est néanmoins quelque peu artificiel de rendre compte du particularisme de fonctionnement du compte courant dans le contenu de l'information de la caution tout en refusant de le faire au niveau de la sanction elle-même.


(1) Voir arrêt cité par, Jurisclasseur Civil code, Fascicule 20, "novation", n° 51 : CA Limoges, 29 octobre 1991.
(2) Remarquons, même si cela n'est pas abordé en l'espèce, que la lettre d'information envoyée à la caution doit également mentionner la faculté de révocation de la caution et ses modalités d'exercice.
(3) Sur ce point, voir notamment, Cass. com., 26 juin 2001, n° 98-13.629, inédit (N° Lexbase : A7819ATR), F.-X. Licari, JCP éd G, 2002, II, 10043 : charge de la preuve de l'exécution de l'obligation d'information qui incombe à l'établissement de crédit.
(4) F.-X Licari, note préc..
(5) Sur cette question, voir notamment E. Richard, RDBF, mai 2011, étude 20, L'obligation d'information annuelle de la caution dirigeante.
(6) Entre outre, depuis la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 (N° Lexbase : L2208DYG), "les paiements effectués par le débiteur principal, sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette".
(7) Sur ce point, voir la note de J. Ngafaounain, L'obligation d'information annuelle de la caution doit être respectée à l'égard des dirigeants sociaux et la sanction de la déchéance des intérêts en cas de manquement à cette obligation s'applique même lorsque ceux-ci ont été inscrits en compte courant, D., 1994, p. 177.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Janvier 2012

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N9875BSK

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public

Le 26 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623), laquelle se penchera plus particulièrement sur le contentieux des contrats administratifs. Par deux importants arrêts du 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a, en effet, abandonné la solution datant de plus de vingt ans, selon laquelle le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif devait s'analyser comme un recours pour excès de pouvoir. Désormais, un tel recours est considéré comme relevant, eu égard à son objet, du contentieux de pleine juridiction (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, deux arrêts, n° 348647 et n° 348648, publiés au recueil Lebon). Ensuite, dans un autre arrêt rendu le 23 décembre 2011 (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, n° 350231, mentionné aux tables du recueil Lebon), la Haute juridiction administrative a tiré les conséquences logiques de la transformation de l'office du juge du référé précontractuel, à la suite de la jurisprudence "Smirgeomes" (1), en considérant que l'attributaire d'un contrat n'était pas susceptible d'être lésé par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, qu'il n'avait donc pas intérêt à agir à l'encontre de cette procédure de passation du contrat, et qu'il n'était donc pas habilité à en demander l'annulation.
  • Le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif relève du contentieux de pleine juridiction (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 348647 N° Lexbase : A8248H8Y et n° 348648 N° Lexbase : A8249H8Z)

Même s'il tient en quelques mots, l'importance du revirement de jurisprudence opéré par les deux arrêts n° 348647 et n° 348648 du 23 décembre 2011 ne doit pas être mésestimée. En affirmant que le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif relève, eu égard à son objet, du contentieux de pleine juridiction, le Conseil d'Etat vient, en effet, de rompre avec la solution classant ce déféré sous la bannière du recours pour excès de pouvoir. Dégagée, il y a plus de vingt ans, par un arrêt de Section (2), celle-ci paraissait de plus en plus en décalage et, pour tout dire, d'un autre temps, dans le contexte de renouveau du contentieux des contrats administratifs et de profonde transformation de l'office du juge du contrat.

Le litige à l'origine de cette nouvelle grande décision du contentieux des contrats administratifs était assez simple. Avant leur fusion en 2009, le syndicat intercommunal d'assainissement du Nord (SIAN) et le syndicat intercommunal d'eau du Nord (SIDEN) avaient constitué chacun une régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière pour exploiter leurs services à caractère industriel et commercial. Les deux conseils d'administrations de ces régies avaient décidé, le 28 avril 2008, d'autoriser la passation de différents marchés, quatre portant sur l'assainissement pour le premier syndicat, et un marché relatif à la rénovation de canalisations d'eau potable et de branchements pour le second. Le préfet du Nord a considéré que les dispositions de l'article L. 5211-8 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3138IQB) avaient été méconnues et a saisi le tribunal administratif de Lille d'un déféré préfectoral contre les marchés publics litigieux. Ce dernier a été rejeté par un jugement du 5 mai 2009 qui a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 17 février 2011 (3). L'article L. 5211-8 pose le principe selon lequel le mandat des délégués élus par les conseils municipaux "est lié à celui du conseil municipal qui les a désignés. Ce mandat expire lors de l'installation de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale suivant le renouvellement général des conseils municipaux. Après le renouvellement général des conseil municipaux, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale se réunit au plus tard le vendredi de la quatrième semaine qui suit l'élection des maires". En l'espèce, les élections municipales avaient eu lieu les 9 et 16 mars 2008 et les organes délibérants auraient donc dû être installés au plus tard le 18 avril 2008. Par transposition, les organes délibérants des syndicats mixtes comprenant à la fois des communes et des établissements publics auraient dû l'être le 16 mai 2008. Or, les conseils d'administration qui ont pris les décisions querellées se sont réunis le 28 avril 2008, dans leur composition antérieure aux élections de 2008.

Le Conseil d'Etat a estimé que la cour administrative d'appel de Douai avait correctement interprété les dispositions précitées en jugeant que l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale, à la suite du renouvellement général des conseils municipaux des communes membres de cet établissement, ne pouvait que gérer les affaires courantes jusqu'à l'installation du nouvel organe délibérant. En revanche, il a considéré qu'elle avait commis une erreur de droit en jugeant que les circonstances que la procédure de passation des marchés avait été engagée antérieurement aux élections municipales et que la commission d'appel d'offres avait émis un avis favorable, permettaient, à elles seules, de regarder la conclusion des contrats comme relevant de la gestion des affaires courantes. Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat a logiquement considéré que les décisions d'attribuer les marchés ne pouvaient être regardées comme relevant du fonctionnement courant des régies ou indispensables à la continuité du service public, et ne pouvaient donc pas relever de la gestion des affaires courantes des régies. Par conséquence, ni la commission d'appel d'offres, ni le conseil d'administration de la régie n'avaient compétence pour prendre ces décisions. La Haute juridiction prononce donc l'annulation des marchés litigieux mais avec effet différé et conditionnel. Celle-ci ne prendra effet que dans trois mois à compter de la notification de la décision et uniquement si les conseils d'administration ne procèdent pas à la régularisation des marchés en adoptant une délibération régulière dans ce délai.

L'intérêt principal de ces deux arrêts ne tient évidemment pas aux précisions relatives aux règles applicables en cas de renouvellement des organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale. Il réside dans l'intégration du déféré préfectoral dans le contentieux de pleine juridiction, et donc dans l'abandon de la solution conduisant à l'assimiler à un recours pour excès de pouvoir.

La loi du 2 mars 1982 (loi n° 82-213, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions N° Lexbase : L7770AIM) a remplacé, comme chacun sait, la tutelle a priori du préfet sur les actes des collectivités territoriales par la simple faculté, pour le représentant de l'Etat, de déférer au juge administratif "les délibérations, arrêtés, actes et conventions qu'il estime contraire à la légalité". Dans l'optique de ce contrôle désormais juridictionnalisé dans sa phase ultime, certaines conventions, jugées sensibles, doivent être obligatoirement transmises au préfet. Il s'agit, selon l'article L. 2131-2, 4 ° du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9239IEW), des conventions relatives aux emprunts, aux marchés et accords-cadres, aux conventions de concession ou d'affermage de service public, et aux contrats de partenariat. Mais la jurisprudence a, également, considéré que les contrats non soumis à l'obligation de transmission pouvaient faire l'objet d'un déféré préfectoral (4), soit à l'initiative du préfet (déféré spontané), soit à la demande d'un administré (déféré provoqué). Cette possibilité donnée au préfet de contester directement les contrats administratifs locaux est utilement complétée par la faculté qui lui est attribuée d'attaquer devant le juge administratif les actes administratifs unilatéraux détachables de ces mêmes contrats locaux, qu'ils soient administratifs ou privés. Il reste que la création de cette voie de recours spécifiquement dédiée au représentant de l'Etat est intervenue sans qualification et demeurait entière la question de savoir si ce nouveau recours relevait du contentieux de pleine juridiction ou du recours pour excès de pouvoir. En 1991, le Conseil d'Etat a tranché pour la seconde solution en faisant du déféré préfectoral une variété du recours pour excès de pouvoir (5). Dans le contexte de l'époque, cette solution paraissait logique, car l'accès au juge de plein contentieux était réservé aux seules parties contractantes.

Le profond renouveau du contentieux des contrats administratifs a, sans aucun doute, incité le Conseil d'Etat à revenir sur cette solution. Depuis 2007 et la décision "Tropic" (6), les concurrents évincés peuvent, en effet, saisir le juge de plein contentieux d'une action en contestation de validité du contrat administratif. La sphère contractuelle n'est désormais plus une citadelle imprenable pour eux. Surtout, le juge du contrat dispose d'une palette très large de pouvoirs lui permettant de moduler la sanction en prenant en compte la gravité de l'irrégularité identifiée, ainsi que les conséquences de sa décision en termes de sécurité juridique et de satisfaction de l'intérêt général. Le symbole de cette rénovation des pouvoirs du juge du contrat réside dans l'affirmation selon laquelle il dispose dorénavant d'un pouvoir d'annulation du contrat et non du pouvoir de constater sa nullité. L'annulation est une sanction qu'il décide librement, alors que la nullité est une sanction dont on considérait auparavant qu'elle s'imposait à lui. S'est donc opérée une véritable réappropriation de son office par le juge du contrat.

Si le Conseil d'Etat a choisi d'intégrer le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif dans le contentieux de pleine juridiction, c'est aussi parce qu'il a considéré que l'office du juge de l'excès de pouvoir demeurait largement inadapté, malgré des évolutions notables intervenues ces dernières années. La mission du juge de l'excès de pouvoir demeure, en effet, enfermée dans l'opposition entre annulation de la décision (et donc du contrat dans le cadre d'un déféré préfectoral) et rejet de la requête. Certes, la jurisprudence "AC !" permet, depuis 2004 (7), au juge de l'excès de pouvoir de moduler dans le temps les effets de ses décisions, en prononçant des annulations pour l'avenir ou des annulations avec effet différé. Cependant, cette jurisprudence a vocation à demeurer exceptionnelle, sauf à vider de son contenu le principe du caractère rétroactif de l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir. Et le maintien du déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif dans l'orbite du contentieux de l'excès de pouvoir aurait, sans doute, impliqué une application trop fréquente, voire même systématique, de la modulation des effets temporels de l'annulation pour tenir compte des intérêts attachés au contrat (sécurité juridique, intérêt général, notamment).

Il reste à savoir ce que sont les implications, immédiates et à venir, de ce "reclassement" du déféré préfectoral. Dans l'immédiat, on constate un phénomène de "tropicalisation" du déféré préfectoral. L'on retrouve, en effet, dans l'office du juge du contrat, saisi d'un déféré préfectoral, des éléments de l'office du juge du contrat, saisi par un concurrent évincé. Le juge du contrat est, ainsi, doté d'un important pouvoir de modulation, d'appréciation de la sanction à prononcer en fonction de l'irrégularité identifiée. Lui est, également, attribué un pouvoir de résiliation du contrat, de modification de certaines clauses, et de décider de la poursuite de l'exécution du contrat, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation. Enfin, le juge peut prononcer l'annulation totale ou partielle du contrat, le cas échéant avec un effet différé. Les deux arrêts n° 348647 et n° 348648 ne dupliquent, cependant, pas tous les pouvoirs du juge du contrat, lorsque ce dernier est saisi par un concurrent évincé. Dans le cadre d'un déféré préfectoral, le juge de plein contentieux ne dispose pas d'un pouvoir d'indemnisation, ce dernier n'ayant aucun sens s'agissant d'un requérant qui agit au nom de l'intérêt général et non pour obtenir la réparation d'un quelconque préjudice. De la même façon, les deux arrêts du 23 décembre 2011 ne dupliquent pas parfaitement les pouvoirs du juge du contrat, lorsque ce dernier est saisi par les parties (dans le cadre d'un recours que l'on a pris l'habitude de qualifier de "Béziers I" (8)). Ainsi n'est-il pas fait mention de l'obligation, pour le juge de plein contentieux saisi d'un déféré préfectoral, de prendre en compte l'exigence de loyauté des relations contractuelles ou encore de stabilité des relations contractuelles. Cela nous semble tout à fait logique car l'on ne peut pas demander au préfet d'exercer sa fonction de contrôle de la régularité des contrats administratifs locaux, et, en même temps, lui interdire de soulever certains moyens, soit parce qu'il risquerait de porter atteinte à la stabilité des relations contractuelles, soit parce qu'il méconnaîtrait l'exigence des relations contractuelles, cette dernière lui étant assurément inopposable.

Il faut noter que les arrêts du 23 décembre 2011 ici commentés n'abordent pas, ce que l'on peut regretter, la question de l'articulation entre le déféré préfectoral dirigé contre les actes détachables des contrats locaux et le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif local. Faut-il considérer, au nom de l'exception de recours parallèle, que le préfet est, désormais, irrecevable à former un déféré préfectoral devant le juge de l'excès de pouvoir contre les actes détachables à compter de la conclusion du contrat ? Cette solution nous semble s'imposer, tant au regard de la lettre de la jurisprudence "Tropic" (les concurrents évincés étant, en effet, irrecevables à former un recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables à compter de la conclusion du contrat, c'est-à-dire à partir du moment où l'accès au juge de plein contentieux leur est ouvert) que de l'esprit des évolutions intervenues au cours des dernières années, et qui conduisent à faire du juge de plein contentieux le seul véritable juge du contrat. Un pas supplémentaire serait franchi si le Conseil d'Etat acceptait d'amender la jurisprudence "Tropic" en permettant aux tiers "ordinaires" disposant d'un intérêt légitime, même s'ils ne possèdent pas la qualité de concurrent évincé, de saisir le juge du contrat.

  • Impossibilité pour l'attributaire d'un marché public de former un référé précontractuel contre la procédure de passation (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, n° 350231, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8356H8Y)

L'attributaire d'un marché public peut-il saisir le juge du référé précontractuel afin d'obtenir l'annulation de la procédure de passation qui lui a été, par définition, favorable ? C'est à cette question, a priori étonnante, mais non dénuée d'intérêt d'un point de vue théorique, que l'arrêt n° 350231 du 23 décembre 2011 répond. En l'espèce, le département de la Guadeloupe avait lancé, en 2010, un appel d'offres pour la passation d'un marché de transports scolaires, divisé en 153 lots. La société X avait remis une offre pour la totalité des lots, mais n'en n'avait finalement obtenu que 9. Elle avait, alors, saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Basse-Terre, lequel a annulé la procédure pour l'ensemble des 153 lots.

La question posée au Conseil d'Etat n'était pas inédite. Dans un arrêt du 19 septembre 2007 "Communauté d'agglomération de Saint-Etienne métropole" (9), le Conseil d'Etat avait considéré qu'une entreprise avait toujours intérêt à conclure un marché selon une procédure régulière, que l'attributaire d'un marché était donc susceptible d'être lésé par un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, et qu'il pouvait donc saisir le juge du référé précontractuel en vue de l'annulation de la procédure. Cette solution pouvait se prévaloir de plusieurs arguments d'importance. En premier lieu, interdire à l'attributaire de saisir le juge du référé précontractuel revient à l'obliger à supporter le risque de l'annulation ultérieure du contrat. Dans cette hypothèse, il est, alors, contraint d'agir sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et de la responsabilité quasi-délictuelle pour espérer obtenir le remboursement des dépenses engagées à l'occasion du contrat. Or, les règles applicables en la matière sont assez restrictives. Au titre de l'enrichissement sans cause, ne peuvent être remboursées que les dépenses utiles à la collectivité. De même, au titre de la responsabilité quasi-délictuelle, la faute du cocontractant peut conduire à exonérer partiellement la personne publique de sa responsabilité. En second lieu, l'admission du référé précontractuel de l'attributaire du contrat pouvait se justifier au regard de la solution admettant que le cocontractant puisse exercer un recours pour excès de pouvoir contre la décision de signer le contrat.

Bien que reposant sur de solides arguments, la jurisprudence du 19 septembre 2007 précitée devenait difficilement conciliable avec le référé précontractuel, tel qu'il est désormais façonné par la jurisprudence "Smirgeomes" (10). Alors qu'il était autrefois un recours objectif, une sorte de procès fait à une procédure de passation, il est, désormais, un recours subjectivé dans lequel un requérant ne peut obtenir la sanction d'un manquement à une règle de publicité ou de mise en concurrence que s'il l'a réellement lésé. L'arrêt "Smirgeomes" a opéré un retour salutaire à la lettre et à l'esprit de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1591IEN), puisqu'il appartient désormais au juge du référé précontractuel "de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente". Mécaniquement, cette solution implique que le candidat qui a été évincé, ou qui estime qu'il risque de l'être, ne peut invoquer devant le juge du référé précontractuel que les manquements qui lui ont réellement causé préjudice et qui sont donc susceptibles d'avoir eu une incidence sur sa propre situation. Maintenir la jurisprudence "Communauté d'agglomération de Saint-Etienne métropole" aurait pu conduire à remettre en cause l'apport de l'arrêt "Smirgeomes". En effet, comme l'a relevé M. Dacosta dans ses conclusions (11), autoriser un candidat "à invoquer n'importe quel manquement à tout moment au seul motif qu'il pourrait, in fine, être désigné comme attributaire" aurait vidé la jurisprudence "Smirgeomes" d'une partie de sa substance. Pour cette raison, le Conseil d'Etat a retenu une solution opposée, dans son arrêt du 23 décembre 2011, en jugeant que "l'entreprise déclarée attributaire d'un contrat à l'issue de la procédure de passation n'est pas susceptible d'être lésée par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumis ce contrat [...] elle n'a pas intérêt à agir à l'encontre de cette procédure de passation du contrat et n'est donc pas habilitée à en demander l'annulation sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative [...] cette entreprise peut seulement, le cas échéant, si la procédure de passation est entachée d'une irrégularité susceptible de conduire à l'annulation du contrat, retirer son offre avant la conclusion du contrat". Cette solution permet, tout à la fois, de préserver l'effet utile de la jurisprudence "Smirgeomes" et de préserver les droits de l'attributaire. Ce dernier ne sera, en effet, pas obligé de supporter les risques d'une annulation postérieure du contrat car il pourra toujours retirer son offre avant la signature du contrat.


(1) CE, S., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EAE), AJDA, 2008, p. 2161, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber, RFDA, 2008, p. 1128, concl. B. Dacosta, p. 1139, note P. Delvolvé.
(2) CE S, 26 juillet 1991, n° 117717, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9996AQB).
(3) CAA Douai, 1ère ch., 17 février 2011, n° 09DA01015, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9405G3Q).
(4) CE 1° et 4° s-s-r., 4 novembre 1994, n° 099643, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3411AS7), Rec. CE, p. 801 ; CE 3° et 5° s-s-r., 14 mars 1997, n° 143800, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8837ADN), Rec. CE, p. 79.
(5) CE S, 26 juillet 1991, n° 117717, publié au recueil Lebon, préc..
(6) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW), AJDA, 2007, p.1577, chron. C. Landais et F. Lénica, RFDA, 2007, p. 696, concl. D. Casas.
(7) CE, Ass., 11 mai 2004, n° 255886, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1829DCQ), Rec. CE, p.197, concl. C. Devys, RFDA, 2004, p. 454, concl., p. 438, art. J.-H. Stahl et A. Courrèges, AJDA, 2004, p. 1183, note C. Landais et F. Lénica.
(8) CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC), AJDA, 2010, p.142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, RFDA, 2010, p. 506, concl. E. Glaser.
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 19 septembre 2007, n° 296192, mentionné au tables du recueil Lebon ([LXB=A4141DYZ)]) : "Considérant que la société [...] a intérêt à conclure avec la communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole un marché de traitement des déchets ménagers et assimilés selon une procédure régulière [...] dès lors, si elle se trouve être le seul attributaire possible du marché litigieux à l'issue de la procédure de passation négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence engagée auprès d'elle, la société [...] n'en demeure moins susceptible d'être lésée par une violation des règles de publicité et de mise en concurrence applicables, et doit donc être regardée comme étant au nombre des personnes ayant intérêt à agir au sens de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative".
(10) CE, S., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon, préc..
(11) Que nous remercions pour leur aimable communication.

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Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Janvier 2012 (Spéciale loi de finances pour 2012 et loi de finances rectificative pour 2011)

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N9805BSX

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par Frédéric Subra, avocat associé et Mathieu Le Tacon, avocat of counsel au sein du cabinet Delsol Avocats

Le 26 Janvier 2012

Si cette année a été marquée par d'importants changements en fiscalité du patrimoine, les lois de finances pour 2012 et rectificative pour 2011 ne dérogent pas à la tendance. Ainsi, pas moins de 21 articles des deux lois (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD et loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L4994IRE) concernent cette matière. De petits ajustements sont effectués, prorogation de dispositifs, élargissement ou verdissement de régimes, mais aussi d'importants changements. Notamment, une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus est instaurée pour les contribuables dont le revenu fiscal de référence dépasse les 250 000 euros. Le prélèvement forfaitaire libératoire est, quant à lui, relevé de 19 % à 21 %, voire à 24 % dans certains cas. En outre, l'abattement général pour durée de détention de valeurs mobilières sur les plus-values de cession est supprimé, au profit d'un dispositif de report d'imposition, sous condition de remploi. Un second "coup de rabot", suivant le premier qui avait eu lieu en 2011, est appliqué aux réductions et crédits d'impôt sur le revenu. Il est, cette année, de 15 %, contre 10 % l'année dernière. Le dispositif applicable aux plus-values de cessions immobilières est aménagé, ainsi que les réductions d'impôt sur le revenu et de solidarité sur la fortune pour souscription au capital de PME. Frédéric Subra, avocat associé et Mathieu Le Tacon, avocat of counsel au sein du cabinet Delsol Avocats, reviennent sur l'ensemble des dispositions des lois de finances du 28 décembre 2011 concernant la fiscalité du patrimoine. I - Les dispositions relatives à l'impôt sur le revenu

A - Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus

La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus est instituée par l'article 3 de la loi de finances pour 2012, qui crée un nouvel article 223 sexies du CGI (N° Lexbase : L5148IR4). Elle suit globalement le régime de l'impôt sur le revenu. En effet, elle s'applique au foyer fiscal et est due par les résidents français et non-résidents disposant de revenus de source française supérieurs aux seuils d'imposition. Son recouvrement s'opère comme en matière d'impôt sur le revenu : même rôle, même avis d'imposition, mais contribution non incluse dans la base des 1/3 provisionnels. En revanche, il est possible d'imputer les crédits d'impôts et les prélèvements non libératoires non imputés sur l'IR. Enfin, le contrôle et le contentieux de la contribution exceptionnelle suivent les mêmes règles que l'IR. Concernant les obligations déclaratives afférentes, la mention des plus-values immobilières, ainsi que sur certains biens meubles, doit apparaître sur la déclaration d'ensemble n° 2042. A défaut, il est fait application d'une amende égale à 5 % des sommes non déclarées. Elle ne s'applique pas si la somme de l'amende est inférieure à 150 euros, et elle est plafonnée à 1 500 euros.

La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus s'applique aux redevables de l'IR dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 250 000 euros pour les célibataires et 500 000 euros pour les couples soumis à imposition commune (en conséquence d'un mariage ou d'un PACS). Le revenu fiscal de référence à retenir est celui calculé au titre de l'année d'imposition, abstraction faite des règles du quotient relatives aux revenus exceptionnels ou différés. Attention, il ne s'agit pas du revenu fiscal de référence prévu par l'article 1417 du CGI (N° Lexbase : L5275IRS) pour la taxe d'habitation et les taxes foncières, et figurant jusqu'à présent sur l'avis d'IR. Le calcul du revenu fiscal de référence propre à la contribution commentée ici suit la formule suivante : montant net des revenus soumis à barème progressif et des PV soumises à un taux proportionnel + montant des revenus et profits soumis à un PFL de l'IR + certains revenus et profits exonérés d'IR - charges déductibles du revenu global et sommes assimilées (sauf primes et cotisations d'épargne retraite).

Pour calculer les sommes dues au titre de la contribution exceptionnelle, il est fait application d'un barème, de la manière suivante :

Fraction du revenu fiscal de référence Taux applicable
Contribuable célibataire, veuf, séparé ou divorcé Contribuable marié ou pacsé, soumis à imposition commune
Inférieure ou égale à 250 000 euros 0 % 0 %
Comprise entre 250 001 euros et 500 000 euros 3 %
Comprise entre 500 001 euros et 1 000 000 euros 4 % 3 %
Supérieure à 1 000 000 euros 4 %

Enfin, un mécanisme de lissage a été prévu afin de pallier aux effets de seuil de la contribution. Ce mécanisme s'applique lorsque :
- le revenu fiscal de référence de l'année N est supérieur ou égal à 1,5 fois le revenu fiscal de référence de l'année N-1 ajouté au revenu fiscal de référence de l'année N-2, le tout divisé par deux (il s'agit d'une moyenne). Attention, le revenu fiscal de référence des années N-1 et N-2 est calculé en application de l'article 1417 du CGI ;
- le revenu fiscal de référence de N-1 et le revenu fiscal de référence de N-2 sont inférieurs à 250 000 euros pour les célibataires et 500 000 euros pour les couples ;
- le redevable de la contribution est imposé à l'IR en France au titre des deux années précédentes, pour plus de 50 % des revenus français ou étrangers de même nature que ceux entrant dans la composition du revenu fiscal de référence.

La fraction du revenu fiscal de référence de l'année N supérieur à la moyenne des revenus fiscaux de référence des années N-1 et N-2 est divisée par 2. Le montant obtenu est ensuite ajouté à cette même moyenne. Puis, il est fait application du barème de la contribution et la cotisation supplémentaire obtenue est multipliée par 2.

Exemple : un contribuable marié a calculé un revenu fiscal de référence en 2011 de 4 millions d'euros. Son revenu fiscal de référence en 2009 est de 350 000 euros et de 450 000 euros en 2010.

La base de la contribution est donc de : 2 200 000 euros (= [(4 000 000 d'euros - 400 000 euros)/2)]).

En faisant application du barème de la contribution, on obtient 63 000 euros (= [(1 000 000 d'euros - 500 000 euros) x 3 % + (1 200 000 euros x 4 %)]).

La contribution lissée est de 126 000 euros (= 63 000 euros x 2).

La contribution de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (et la nouvelle obligation déclarative sur les plus-values) se fait pour la première fois au titre des revenus perçus en 2011 et jusqu'à ce que le déficit public soit ramené à zéro euros.

B - Gel du barème de l'IR

L'article 12 de la 4ème loi de finances rectificative pour 2011 reconduit, à compter de l'imposition des revenus de 2011, le barème de l'impôt qui s'est appliqué sur les revenus de 2010 (impositions 2011), ainsi que l'ensemble des éléments concourant à la détermination de l'impôt (décote, plafonnement des effets du quotient familial...). Ainsi, le barème applicable reste le suivant (CGI, art. 167 N° Lexbase : L0511IPM) :

Fraction du revenu imposable Taux
N'excédant pas 5 963 euros 0 %
De 5 963 euros à 11 896 euros 5,5 %
De 11 896 euros à 26 420 euros 14 %
De 26 420 euros à 70 830 euros 30 %
Supérieure à 70 830 euros 41 %

Cette mesure sera en principe supprimée lorsque le déficit public repassera en dessous de 3 % du PIB.

Dans le même sens, la 4ème LFR maintient à 878 euros la limite d'application de la décote pour l'imposition des revenus des années 2011 et suivantes (pour ces années d'imposition, la décote est ainsi égale à la différence entre 439 euros et la moitié de la cotisation d'impôt brut résultant du barème progressif). Elle reconduit, à compter de l'imposition des revenus de 2011, le montant de l'abattement applicable aux parents qui rattachent à leur foyer fiscal un enfant marié ou lié par un Pacs faisant l'objet d'une imposition commune avec son conjoint ou partenaire ou un enfant chargé de famille bénéficient qui s'est appliqué pour l'imposition des revenus de 2010, soit 5 698 euros. Enfin, elle maintient à 5 698 euros par enfant le montant maximum déductible des pensions alimentaires versées à des enfants majeurs non rattachés.

C - Relèvement du prélèvement forfaitaire libératoire

Le taux du prélèvement forfaitaire libératoire est relevé par l'article 13 de la loi de finances rectificative pour 2011.

1 - Dividendes

Le prélèvement forfaitaire libératoire est relevé de 19 à 21 % pour son application aux dividendes (soit 34,5 % avec les prélèvements sociaux portés à 13,5 % par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012) (CGI, art. 117 quater N° Lexbase : L5694IRC).

Sous réserve des conventions fiscales internationales signées par la France, les taux des retenues à la source sur dividendes sont relevés de la façon suivante :
- le taux de droit commun passe de 25 % à 30 % ;
- le taux réduit (applicable aux résidents de l'Union européenne, de l'Islande, de la Norvège, et du Liechtenstein) est relevé de 19 % à 21 % ;
- le taux majoré (applicable aux résidents d'un ETNC) augmente de 50 % à 55 % ;
- le taux applicable aux organismes à but non lucratif reste inchangé, à 15 %.

2 - Produits de placement à revenu fixe

Le taux de droit commun du prélèvement forfaitaire libératoire est relevé de 19 à 24 % pour son application aux produits de placement à revenu fixe (soit 37,5 % avec les prélèvements sociaux portés à 13,5 % par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012) (CGI, art. 125 A N° Lexbase : L5692IRA).

Les taux particuliers de PFL sont, quant à eux, inchangés. Il s'agit des taux applicables à l'assurance-vie, aux contrats de capitalisation, aux bons anonymes, aux ETNC, et à l'épargne solidaire.

La retenue à la source, pour les produits des obligations et autres titres d'emprunt négociables émis avant le 1er janvier 1987, les bons de caisse, etc. versés à des non résidents passe de 10 à 15 %.

Ces relèvements de taux entrent en vigueur à compter de l'imposition des revenus perçus depuis le 1er janvier 2012.

D - Cessions de valeurs mobilières et droits sociaux

L'abattement général pour durée de détention (CGI, art. 150-0 D bis N° Lexbase : L5278IRW) est supprimé au bénéfice d'un report d'imposition sous condition de remploi (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012, art. 80). Toutefois, l'abattement est maintenu pour les dirigeants d'entreprise jusqu'au 31 décembre 2013.

Le nouveau mécanisme de report d'imposition sous condition de remploi s'applique aux cessions à titre onéreux d'actions ou parts de société soumise à l'IS ou de droits démembrés. Les titres doivent être détenus depuis plus de huit ans (le point de départ étant le 1er janvier de l'année d'acquisition). Ces titres représentent au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société (la famille du contribuable est prise en compte pour l'appréciation de cette condition). Enfin, la société émettrice est passible de l'IS (ou équivalent), a une activité opérationnelle (depuis au moins huit ans consécutifs), et son siège social se situe dans un Etat membre de l'Union européenne.

L'obligation de réinvestissement pèse sur le contribuable qui doit remployer le bénéfice de la cession sans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value réalisée, nette des prélèvements sociaux.

La souscription en numéraire au capital d'une société doit s'opérer dans une structure passible de l'IS, avec une activité opérationnelle, ayant son siège social dans l'Union européenne, ou alors dans une société holding pure, n'ayant pas procédé à un remboursement d'apport au bénéfice du cédant ou de sa famille au cours des douze mois précédant le remploi, et dans laquelle enfin le cédant ou sa famille n'est pas associé et n'exerce pas de fonctions de direction depuis sa création et pendant cinq ans suivant l'apport.

Les titres doivent être entièrement libérés et représenter au moins 5 % des droits de vote ou droits à dividendes.

Le report s'applique lors de la déclaration de la plus-value, et sur demande expresse du cédant. A défaut, le taux proportionnel de l'IR s'applique. Toutefois, les prélèvements sociaux sont toujours exigibles.

L'exonération de la plus-value est définitive en cas de conservation des titres acquis en remploi pendant au moins cinq ans.

Le report d'imposition est exclusif des réductions d'impôt sur le revenu et de solidarité sur la fortune, dites "Madelin".

Ce nouveau dispositif s'appliquerait aux plus-values réalisées en 2011, faute de date précise d'entrée en vigueur.

E - Plus-values immobilières

1 - Cession d'un logement autre que la résidence principale

L'article 5 de la loi de finances pour 2012 prévoit que le contribuable qui n'était pas propriétaire de sa résidence principale pendant les quatre années précédant la cession du bien immobilier qu'il possède est exonéré sur la plus-value de cession s'il le remploie dans l'acquisition de sa résidence principale dans un délai de 24 mois à compter de la cession (à compter de l'acte notarié) (CGI, art. 150 U N° Lexbase : L5179IRA). L'exonération est partielle en cas de remploi partiel.

Ce dispositif entre en vigueur le 1er février 2012.

2 - Cession de leur ancienne résidence des retraités ou invalides

La plus-value réalisée par les retraités ou invalides de condition modeste résidant en maison de retraite ou en foyer d'accueil, qui cèdent leur ancien domicile dans les deux ans après l'avoir quitté, est exonérée (CGI, art. 150 VB N° Lexbase : L5180IRB).

Le cédant doit être un résident d'un établissement mentionné à l'article L. 312-1 (N° Lexbase : L8870IQL), L. 312-6 (N° Lexbase : L5065DKS) ou L. 312-7 (N° Lexbase : L5958IR4) du Code de l'action sociale et des familles. Il s'agit des personnes âgées hébergées en maison de retraite et des personnes adultes handicapées placées en foyer de vie.

L'immeuble cédé constitue leur résidence habituelle, effective et libre de toute occupation.

3 - Cession de terrains non constructibles

L'abattement de 10 % par année de détention au-delà de la cinquième de terrains non constructibles est maintenu. Une exonération de la plus-value au bout de quinze années s'applique si une promesse de vente a été enregistrée avant le 25 août 2011 et si la vente est conclue avant le 1er janvier 2013.

NB : la "constructibilité" fait l'objet d'un classement par un plan local d'urbanisme.

F - Réductions et crédits d'impôt : réduction générale de 15 % : "deuxième coup de rabot"

Alors que la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ) a prévu une réduction de 10 % sur l'ensemble des réductions et crédits d'impôt pour l'imposition des revenus perçus et des dépenses payées en 2011, la loi de finances pour 2012 va plus loin, en instaurant, en son article 83, une réduction supplémentaire de 15 % cette fois, applicable au même champ d'application, à compter de l'imposition des revenus perçus et des dépenses payées en 2012.

Le champ d'application de la réduction homométhique contient les réductions et crédits d'impôt entrant dans le champ du plafonnement global (CGI, art. 200-0 A N° Lexbase : L5282IR3), à l'exception :
- de l'aide fiscale pour l'emploi d'un salarié à domicile (CGI, art. 199 sexdecies N° Lexbase : L0515IPR) ;
- des frais de garde des jeunes enfants (CGI, art. 200 quater B N° Lexbase : L3081HNG) ; et
- de l'investissement locatif dans le logement social outre-mer (CGI, art. 199 undecies C N° Lexbase : L5191IRP), si engagement de réaliser ces investissements pris avant le 1er janvier 2012.

En attendant le décret à paraître, voici les nouveaux taux et plafonds à retenir :

Avantage CGI Réduction de 15 %
Investissements immobiliers locatifs dans le secteur du tourisme (travaux) Art. 199 decies F (N° Lexbase : L2883IQT) De 18 % à 15 %
de 36 % à 30 %
Investissements forestiers Art. 199 decies H (N° Lexbase : L2878IQN) De 22 % à 18 %
de 90 % à 76 %
Souscriptions au capital de PME, de parts de FCPI et de FIP Art. 199 terdecies-0 A (N° Lexbase : L5206IRA) De 22 % à 18 %
de 45 % à 38 %
de 50 % à 42 %
Souscriptions au capital de Sofica Art. 199 unvicies (N° Lexbase : L5184IRG) De 36 % à 30 %
de 43 % à 36 %
Dépenses de conservation ou de restauration d'objets mobiliers classés Art. 199 duovicies (N° Lexbase : L2881IQR) De 22 % à 18 %
Opérations de restauration immobilière "Malraux" Art. 199 tervicies (N° Lexbase : L2880IQQ) De 27 % à 22 %
de 36 % à 30 %
Investissements immobiliers destinés à la location meublée non professionnelle Art. 199 sexvicies (N° Lexbase : L5270IRM) De 14 % à 11 %
Investissements immobiliers "Scellier" Art. 199 septvicies (N° Lexbase : L5269IRL) De 16 % à 13 %
de 8 % à 6 %
Dépenses de préservation du patrimoine naturel Art. 199 octovicies (N° Lexbase : L2886IQX) De 22 % à 18 %
Crédit d'impôt en faveur de la qualité environnementale de l'habitation principale Art. 200 quater (N° Lexbase : L5279IRX) De 12 % à 10 %
de 13 % à 11 %
de 18 % à 15 %
de 21 % à 17 %
de 31 % à 26 %
de 38 % à 32 %
de 10 points à 8 points
Primes d'assurance pour garantir les loyers impayés Art. 200 nonies (N° Lexbase : L2884IQU) De 45 % à 38 %

G - Plafonnement global de certains avantages fiscaux

Le plafonnement global de certains avantages fiscaux est, pour l'imposition des revenus de 2009, de 25 000 euros + 10 % du revenu imposable.

Le plafonnement global de certains avantages fiscaux est, pour l'imposition des revenus de 2010, de 20 000 euros + 8 % du revenu imposable. Il ne s'applique pas aux investissements immobilier "Scellier" (CGI, art. 199 septvicies N° Lexbase : L5269IRL), aux investissements locatifs non professionnels dans des résidences meublées (CGI, art. 199 sexvicies N° Lexbase : L5270IRM) et aux investissements outre-mer (CGI, art. 199 undecies A N° Lexbase : L2882IQS, B N° Lexbase : L5192IRQ et C N° Lexbase : L5191IRP). Ces investissements doivent avoir été réalisés en 2010 et la prise de décision doit être intervenue avant le 1er janvier 2010.

Le plafonnement global de certains avantages fiscaux est, pour l'imposition des revenus de 2011, de 18 000 euros + 6 % du revenu imposable. Il ne s'applique pas aux investissements outre-mer, aux investissements pour l'agrément ou l'autorisation en préalable desquels une demande est parvenue à l'administration avant le 1er octobre 2012, aux acquisitions d'immeubles ayant fait l'objet d'une déclaration d'ouverture de chantier avant le 1er octobre 2012, aux acquisitions de biens meubles corporels commandés avant le 1er octobre 2012 et pour lesquels des acomptes au moins égaux à 5 % de leur prix ont été versés, et aux travaux de réhabilitation d'immeubles pour lesquels des acomptes au moins égaux à 50 % de leur prix ont été versés avant le 1er octobre 2012.

Le plafonnement global de certains avantages fiscaux est, pour l'imposition des revenus de 2012, de 18 000 euros + 4 % du revenu imposable. Il ne s'applique pas aux investissements immobiliers "Scellier" et aux investissements locatifs non professionnels dans des résidences meublées, à condition qu'ils aient fait l'objet d'une promesse d'achat ou synallagmatique avant le 1er octobre 2012.

H - Dispositif "Scellier" : dernière année d'application

Pour sa dernière année d'application, le dispositif "Scellier" (CGI, art. 199 septvicies N° Lexbase : L5269IRL) est élargi au :
- logement que le contribuable acquiert entre le 1er janvier 2009 et 31 décembre 2012 et qui fait ou qui a fait l'objet, entre ces mêmes dates, de travaux par le vendeur concourant à la production ou la livraison d'un immeuble neuf au sens de l'article 257, I-2-2 du CGI (N° Lexbase : L0792IPZ) applicable en matière de TVA immobilière ;
- logement que le contribuable acquiert en 2012 et qui a fait l'objet, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 de travaux de réhabilitation par le vendeur ;
- local affecté à un usage autre que l'habitation que le contribuable acquiert en 2012 et qui a fait l'objet, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 de travaux de transformation en logement par le vendeur.

Cet élargissent s'applique aux logements rénovés, réhabilités ou transformés par le vendeur en 2012 puis acquis par le contribuable avant la fin 2012.

En revanche, le dispositif est réservé, à compter des dépôts de demande de permis de construire en 2012, aux logements dont le niveau de performance énergétique globale est supérieur à celui qu'impose la législation en vigueur. Le niveau de performance énergétique fixé par décret. En pratique, il s'agit des logements portant la norme "BBC 2005" ou "BBC rénovation".

Parallèlement à ces modifications du champ d'application, la loi de finances pour 2012 opère un double plafonnement de la base d'imposition. Ainsi, la réduction d'impôt s'applique dans la limite globale de 30 000 euros, et dans la limite d'un plafond exprimé en m² de surface habitable en fonction de la localisation (même zonage que précédemment), comme suit :

Zone A bis 5 200 euros
Zone A 5 000 euros
Zone B1 4 000 euros
Zone B2 2 100 euros
Zone C 2 000 euros

Par ailleurs, les taux sont diminués. Ainsi, pour les investissements réalisés en métropole, le taux réduit passe de 18 % à 16 % pour les logements BBC acquis ou construits en 2012. A noter, le deuxième coup de rabot (voir supra) s'applique, le taux final n'étant plus que de 13 %. Pour les logements non BBC acquis en 2012, le taux réduit passe de 9 % à 8 %, que le deuxième coup de rabot diminue à 6 % lorsque la demande de permis de construire a été déposée avant le 31 décembre 2011.

La loi de finances pour 2012 instaure un régime transitoire, selon lequel le taux en vigueur au 31 décembre 2011 pour les logements acquis entre le 1er janvier et le 31 mars 2012 est maintenu, à la condition qu'un contrat de réservation signé devant notaire ou un contrat de réservation soit enregistré au plus tard le 31 décembre 2011. Dans ce cas, le taux applicable est de 22 % pour les logements BBC et de 13 % pour les logements non BBC. A priori, le deuxième coup de rabot ne serait pas applicable.

Concernant les investissements outre-mer, le dispositif est supprimé pour les investissements réalisés à compter de 2013. Le taux réduit passe de 31 % à 29 % pour les logements acquis ou construits et pour les souscriptions réalisées en 2012.

Concernant les loueurs en meublé non professionnels (CGI, art. 199 sexvicies N° Lexbase : L5270IRM), la réduction d'impôt de 25 % s'applique dans la limite de 300 000 euros pour les investissements réalisés en 2009 et 2010. Pour les investissements réalisés en 2011, la réduction d'impôt de 20 % (18 % après le premier coup de rabot) s'applique dans la limite de 300 000 euros. Enfin, pour les investissements réalisés en 2012, la réduction d'impôt de 14 % (11 % après le deuxième coup de rabot) s'applique dans la limite de 300 000 euros.

La diminution du taux ne s'applique pas aux acquisitions pour lesquelles le contribuable justifie qu'il a pris, au plus tard le 31 décembre 2011, l'engagement de réaliser un investissement immobilier. La réduction d'impôt est maintenue au taux de 2012 pour les acquisitions avant le 1er janvier 2015 d'immeubles :
- neufs ou en l'état futur d'achèvement ayant fait l'objet d'une demande de permis de construire avant le 1er janvier 2012 et faisant partie d'un ensemble immobilier dont un logement au moins a été acquis neuf ou en l'état futur d'achèvement avant cette date ;
- achevés depuis au moins 15 ans, ayant fait l'objet ou faisant l'objet de travaux de rénovation et faisant partie d'un ensemble immobilier dont un logement au moins a été acquis avant le 1er janvier 2012 et qui a fait et qui a fait l'objet des mêmes travaux.

I - Souscription au capital des PME

Les réductions d'impôts sur le revenu (CGI, art. 199 terdecies-0 A N° Lexbase : L5206IRA) et de solidarité sur la fortune (CGI, art. 885-0 V bis N° Lexbase : L5207IRB) ouvertes aux souscriptions au capital de PME sont aménagées.

Ainsi, en principe, les réductions d'impôts ne s'appliquent pas en cas de souscription indirecte par l'intermédiaire d'une holding comptant plus de 50 associés ou actionnaires. Toutefois, il est dérogé à cette règle pour les souscriptions réalisées à compter du 1er janvier 2012, lorsque la PME est détenue pour 10 % au moins par une ou plusieurs sociétés coopératives ou par l'une de leurs unions (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012, art. 25).

De même, alors qu'en principe les réductions d'impôt sont plafonnées aux versements n'excédant pas, par entreprise cible, 2,5 millions d'euros par période de douze mois, il existe une dérogation, qui s'applique à compter du 1er janvier 2013, pour les effectuées au capital des entreprises solidaires agissant dans le secteur du logement social (C. trav., art. L. 3332-17-1) (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012, art. 77).

Le champ d'application des réductions d'impôts est, par ailleurs, réduit. En effet, ne donnent plus droit aux réductions d'impôt que les souscriptions au capital les seules PME qui remplissent, outre les conditions de droit commun, les conditions spécifiques prévues pour l'application de dispositif actuel, dit "renforcé" : une taille inférieure à cinquante salariés ; un chiffre d'affaires ou total de bilan inférieur à 10 millions d'euros ; une date de création qui ne dépasse pas cinq ans. En outre, la PME dans laquelle il est investi doit être en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion, et ne pas faire l'objet d'une procédure collective.

Une question reste en suspens concernant les investissements opérés via une holding : ces conditions sont-elles applicables uniquement à la cible ?

Les plafonnements des versements sont, enfin, augmentés, passant de 20 000 à 50 000 euros pour les célibataires et de 40 000 à 100 000 euros pour les couples mariés. L'excédent est reportable sur quatre ans.

II - Droits d'enregistrement

Le régime des droits d'enregistrement applicable aux cessions d'action a été modifié par l'article 3 de la loi de finances pour 2012. Ainsi, le plafonnement de 5 000 euros est supprimé (CGI, art. 726 N° Lexbase : L6570IRR).

Un barème progressif est instauré de la manière suivante :
- la fraction d'assiette inférieure à 200 000 euros est imposée à 3 % ;
- la fraction d'assiette supérieure à cette somme mais inférieure à 500 000 000 d'euros est imposée au taux de 0,5 % ;
- la fraction d'assiette supérieure est taxée à 0,25 %.

Exemple : les droits d'enregistrement pour une cession d'actions de 1,5 millions d'euros, auparavant plafonnés à 5 000 euros, seront désormais de 12 500 euros.

De plus, le champ d'application des droits d'enregistrement en cas de cession de valeurs mobilières est élargi aux actes passés à l'étranger portant sur des actions d'une société ayant son siège en France.

Ces nouvelles règles s'appliquent aux cessions intervenant à compter du 1er janvier 2012.

Echappent à l'assiette des droits d'enregistrement :
- les acquisitions de droits sociaux réalisées dans le cadre du rachat de ses propres titres par une société ou d'une augmentation de capital ;
- les acquisitions de droits sociaux de sociétés placées sous procédure de sauvegarde ou en redressement judiciaire ;
- les acquisitions de droits sociaux lorsque la société cédante est membre du même groupe fiscalement intégré que la société qui les acquiert ;
- les opérations entrant dans le champ du régime de faveur des fusions (CGI, art. 210 B N° Lexbase : L4802ICT).

Concernant enfin les cessions de titres de société à prépondérance immobilière, les droits d'enregistrement sont désormais assis sur la valeur réelle des biens et droits immobiliers détenus directement ou indirectement par la société, ainsi que la valeur réelle de ses autres actifs, après imputation du passif concernant seulement l'acquisition des biens immobiliers ou droits immobiliers.

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Immobilier et urbanisme

[Manifestations à venir] Les lois d'ordre public dans le droit immobilier - Assises "Justice Construction" du 16 février 2012

Lecture: 1 min

N9898BSE

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Le 26 Janvier 2012

Se tiendront le jeudi 16 février 2012, à la première chambre de la cour d'appel de Paris, les assises "Justice Construction", consacrant une journée d'études sur le thème "Les lois d'ordre public dans le droit immobilier". Ce colloque, placé sous le Haut patronage de Monsieur le Premier Président Jacques Degrandi de la cour d'appel de Paris, sera présenté et animé par Monsieur Fabrice Jacomet, Conseiller H.H. à la cour d'appel de Paris.
  • Programme

Matin
Accueil à partir de 8h30

9 heures - Ouverture des assises par Monsieur Franck Terrier, Président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation

Intervention de Maître Yvon Martinet, vice-Bâtonnier de l'Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris

Présentation de la journée par Monsieur Fabrice Jacomet, Président de "Justice Construction"

L'ordre public en droit de l'union
Par Monsieur le Président Laurent Truchot, Président de la huitième chambre du tribunal de l'Union européenne
Débat

L'ordre public dans les baux commerciaux
Par Maître Jehan-Denys Barbier, Avocat au barreau de Paris
Débat

Déjeuner libre

Après-midi

Présentation de l'après-midi par Maître Jean-François Péricaud et Monsieur Jean Dunglas, Vice-présidents de "Justice Construction"

L'ordre public dans les baux d'habitation et professionnels
Par Maître Vincent Canu, Avocat au barreau de Paris
Débat

L'ordre public dans la copropriété
Par Maître Patrick Baudouin, Avocat au barreau de Paris
Débat

L'ordre public dans la responsabilité des constructeurs
Par Monsieur le Professeur Hugues Périnet-Marquet
Débat

L'ordre public dans le droit de l'environnement
Par Maître Yvon Martinet, vice-Bâtonnier de l'Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris
Débat

Propos conclusifs du colloque
Par Monsieur le Professeur Philippe Malinvaud, Professeur émérite à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris

Clôture des assises
Par Monsieur Fabrice Jacomet, Président de "Justice Construction"

18h - Cocktail au "Self Harlay" du Palais de Justice

  • Informations pratiques

Lieu : Cour d'appel de Paris - Première chambre
Entrée libre

Cocktail
Adhérents : 30 euros
Non adhérents : 35 euros

Renseignements : 01 34 71 90 70

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Le harcèlement sexuel en dehors du temps et du lieu de travail constitue une faute grave

Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930, FS-P+B, sur le second moyen (N° Lexbase : A5262IA7)

Lecture: 12 min

N9830BSU

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

Le 26 Janvier 2012

Amis lecteurs de Lexbase, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le harcèlement sexuel et que vous n'avez jamais osé demander... se trouve, non dans le dernier film de Woody Allen, mais dans le dernier ouvrage de Christophe Radé, au moins aussi attendu, tant il manquait dans la littérature juridique (1). Seulement, les auteurs que nous sommes savons bien qu'en droit, l'encre de nos plumes a à peine le temps de sécher que la prochaine réforme ou jurisprudence est déjà là. La somme précitée devra donc être amendée de la précision suivante apportée par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis la parution de l'ouvrage : le harcèlement sexuel peut être caractérisé même si les agissements ont eu lieu en dehors du temps et du lieu de travail. Un arrêt du 19 octobre 2011 avait déjà esquissé la solution (Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-72.672, FS-P+B N° Lexbase : A8479HYP). Celui du 11 janvier 2012 donne à la Chambre sociale l'occasion de l'affirmer plus nettement : "le fait pour un salarié d'abuser de son pouvoir de direction dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel, même si les agissements ont lieu en dehors du temps et du lieu de travail". La formule ne doit pas tromper : il ne s'agit pas d'un come-back de l'abus d'autorité comme élément caractéristique du harcèlement sexuel (comme avant la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9). La définition légale du harcèlement sexuel est claire : "les agissements de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits" (C. trav., art. L. 1153-1 N° Lexbase : L0736H97). L'élément important de la décision est bien l'ajout selon lequel le harcèlement sexuel peut être réprimé même s'il s'exerce en dehors de l'entreprise et du temps de travail... même là où, en principe, la vie privée reprend ses droits. Même si l'arrêt ne l'indique pas clairement, sans doute parce qu'elle va de soi, une condition est sous-entendue : la sanction professionnelle du harcèlement sexuel pratiqué en dehors du temps et du lieu de travail, suppose tout de même l'existence d'un lien entre les faits de harcèlement et la vie professionnelle du salarié coupable. Ce lien mériterait d'être précisé de façon à donner à la solution dont l'opportunité est peu discutable (I) un fondement juridique solide (II).
Résumé

Le fait pour un salarié d'abuser de son pouvoir hiérarchique dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel même si les agissements ont lieu en dehors du temps et du lieu de travail, caractérisant ainsi une faute grave rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise.

Commentaire

I - Une solution opportune

Définition du harcèlement sexuel. L'article L. 1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme "les agissements [...] de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers". Cette définition est silencieuse sur la question du temps et du lieu du harcèlement. Mais comme elle figure dans le Code du travail (Première partie : "Relations individuelles de travail"), on peut estimer sans grand risque que le législateur a d'abord souhaité prescrire les agissements de cette nature durant le temps et sur le lieu du travail, interdire tout harcèlement durant la vie professionnelle du salarié, en parfaite cohérence avec les obligations qui pèsent sur les entreprises en matière de santé et sécurité au travail. Hors du temps et du lieu de travail, le salarié n'est plus en situation de subordination et l'employeur ne peut pas en principe exercer, sur des faits commis dans un cadre privé, son pouvoir disciplinaire (2). "Quand il n'est plus au travail, le salarié redevient un homme libre et ce qu'il peut faire de [dans] sa vie ne regarde pas l'employeur" (3). Sans doute, ce que le salarié peut faire dans sa vie privée ne regarde pas l'employeur, mais s'agissant de harcèlement sexuel, le salarié pourra, le cas échéant, avoir à en rendre compte à d'autres... les mêmes faits étant condamnés par le droit pénal qui en donne la même définition (C. trav., art. L. 1155-2 N° Lexbase : L7221IME et C. pén., art. 222-33 N° Lexbase : L5378IGB).

Conception extensive. L'arrêt du 11 janvier 2012 pose une nouvelle fois la question des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle, et celle de la zone grise où les deux se mélangent parfois. La Cour de cassation indique, dans cet arrêt, que l'employeur a pris sur les faits de harcèlement sexuel pratiqués dans cette zone grise, et que son pouvoir disciplinaire peut encore s'y exercer s'agissant de faits aussi graves. Même dans cet espace intermédiaire entre vie privée et vie professionnelle, le harcèlement sexuel sera qualifié de faute grave rendant impossible le maintien en fonction des salariés dénoncés. De fait, c'est une conception extensive de la définition du harcèlement sexuel que propose la Cour de cassation dans cet arrêt, à laquelle on ne peut qu'adhérer.

Harcèlements sexuels en dehors du temps et du lieu de travail. Stratagème, mensonge, attitudes déplacées... sont à l'origine du contentieux qui a conduit le directeur de plusieurs agences d'une grande banque française, après vingt-six ans d'ancienneté, à perdre son emploi, jetant du même coup le discrédit sur lui-même et sur son entreprise. De l'art d'obtenir les faveurs d'une salariée sous ses ordres : organisation d'un rendez-vous en dehors de l'entreprise et des heures de travail, pour un entretien concernant soi-disant l'évolution professionnelle de la collaboratrice convoitée... Rendez-vous donné dans un restaurant, soi-disant bondé et bruyant, inadapté pour des discussions sérieuses... Par chance, le restaurant fait également hôtel... Réservation d'une chambre où la collaboratrice suivra finalement son chef pour "en avoir le coeur net", connaître ses intentions véritables. L'entretien tournera court... sans "promotion canapé" !

Les agissements sanctionnés par les mêmes juges, le 19 octobre 2011, sont moins "subtils", sans ambiguïté, mais ils relèvent du même genre : propos à caractère sexuel tenu par un superviseur d'une équipe de standardistes à deux de ses collègues féminines lors de l'envoi de messages électroniques, hors du temps et du lieu de travail, sur MSN ou lors de soirées organisées après le travail. Dans les deux cas, pour des faits commis en lien avec le travail, mais en dehors des heures et du lieu de travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient la faute grave justifiant le licenciement des salariés pervers.

Agissements répétés et faits isolés. La condamnation pour harcèlement sexuel suppose-t-elle des agissements répétés ou bien un fait isolé suffit-il à la sanction ? Le pluriel utilisé dans l'article L. 1153-1 du Code du travail qui interdit "les agissements"... suggère la condition de répétition. Cependant, "la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (N° Lexbase : L8986H39) permet de sanctionner le harcèlement discriminatoire dès le premier acte s'il repose sur l'un des huit motifs prohibés par la loi (4). Dans cette hypothèse en pratique fréquente, lorsque le harceleur et le harcelé ne sont pas du même sexe, un seul agissement suffit pour caractériser la discrimination" (5). A contrario, dans le cas de harcèlement entre salariés de même sexe, la condition de répétition semble s'imposer pour que les agissements soient sanctionnés.

Dans l'arrêt du 11 janvier 2012, le salarié répréhensible a bien tenté de faire valoir la circonstance : "en s'abstenant de prendre en considération tant l'absence de sanctions antérieures que les vingt-six années d'ancienneté de M. X, tout en retenant à son encontre une faute grave pour un fait isolé", la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale. Les juges n'ont pas relevé l'argument, retenant là encore l'idée d'une conception extensive du harcèlement sexuel dont la condamnation ne passe plus systématiquement par la répétition d'agissements fautifs, quitte à contrarier la définition même du mot "harceler" qui implique pourtant cette répétition (6). A moins d'analyser le fait isolé dont s'est rendu coupable le salarié, dans l'affaire jugée le 11 janvier 2012 (organisation d'un stratagème pour obtenir les faveurs d'une collaboratrice -incluant éventuellement l'éloignement par mutation du "petit ami" de l'intéressée, sous les ordres du même...), comme une série de faits fautifs poursuivant un objectif commun... A moins de considérer aussi qu'en pratique le fait isolé de harcèlement sexuel est assez rare, plus probablement entouré d'autres circonstances que les victimes ne dénoncent pas toujours.

La solution peut-elle être étendue au harcèlement moral ? Si harcèlement sexuel et harcèlement moral présentent des caractères communs, ces pratiques relèvent néanmoins de définitions différentes (7). Sur la question de savoir si de tels faits peuvent être sanctionnés par l'employeur, même s'ils se déroulent en dehors du temps et du lieu de travail, on peut penser qu'elle se posera moins souvent pour le harcèlement moral qui peut se trouver plus facilement et complètement "satisfait" au temps et au lieu du travail, en comparaison du harcèlement sexuel qui aura peut-être tendance à s'exprimer davantage en dehors de l'entreprise. Pour autant, notamment par le biais des nouvelles technologies de l'information et de la communication, le harcèlement moral d'un salarié sur un autre peut également sortir de l'entreprise et s'exercer facilement en dehors du temps et du lieu de travail (appels téléphoniques, SMS, MSN...). De plus, les juges ont déjà pris en considération un élément d'extériorité à l'entreprise pour retenir la qualification de harcèlement moral. Dans un autre arrêt du 19 octobre 2011 (Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B N° Lexbase : A8752HYS), un employeur a été condamné pour manquement à son obligation de sécurité, pour des faits de harcèlement moral pratiqués sur un salarié par un tiers extérieur à l'entreprise (8). La solution posée par les juges, en matière de harcèlement sexuel, peut donc à notre sens être étendue sans difficulté aux agissements de harcèlement moral (sauf la question du fait isolé qui est propre au harcèlement sexuel, la définition du harcèlement moral étant plus précise), à condition cependant de mieux la justifier.

II - Un fondement juridique imprécis

Harcèlement en dehors du temps et du lieu de travail, mais en lien avec le travail. La solution donnée par l'arrêt du 11 janvier 2012 est importante, mais sa portée doit être bien comprise. Malgré la formulation très générale de son attendu principal (v. supra, introduction), il ne faut sans doute pas en déduire que tout harcèlement pratiqué par un salarié en dehors du temps et du lieu de travail relève du pouvoir disciplinaire de l'employeur. La chose va sans doute de soi, mais c'est mieux en la précisant : le harcèlement sexuel susceptible d'être sanctionné par l'employeur doit être en lien, d'une façon ou d'une autre, avec le travail du salarié harcelant. La solution ne s'appliquera tout d'abord que si la victime du harcèlement fait également partie de l'entreprise (harcèlement d'un salarié par un(e) autre). Si la victime est une personne totalement extérieure à l'entreprise, on peut penser que la sanction des faits répréhensibles échappera au pouvoir de l'employeur (mais elle relèvera dans ce cas du droit pénal). Il n'est pas exclu toutefois que la solution, au fil des espèces, soit étendue à des hypothèses de harcèlement concernant non pas des salariés stricto sensu de l'entreprise, mais des personnes appelées à y travailler à un autre titre (intérimaires, salariés de sous-traitants, mis à disposition...) l'employeur étant vis-à-vis d'eux responsable des conditions d'hygiène et de sécurité applicables dans l'entreprise.

Le harcèlement sexuel trouvera également sa source, le plus souvent, dans les fonctions du salarié, les positions hiérarchiques se révélant particulièrement "facilitatrices" de ce genre de comportement (fantasmes liés aux rapports de pouvoir). Tant et si vrai qu'initialement, le harcèlement sexuel était uniquement considéré comme un abus d'autorité, empêchant de sanctionner les harcèlements pratiqués entre collègues de même niveau hiérarchique (v. la première définition du harcèlement sexuel posée par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 N° Lexbase : L0260AIH, ancien article L. 122-46 du Code du travail N° Lexbase : L5584ACS ; recod. art. L. 1153-2) (9).

Solution fondée sur l'abus de pouvoir et d'autorité ? Ce fondement-là est peu probable. L'abus de fonctions ne constitue plus depuis longtemps le critère du harcèlement sexuel (depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 qui a livré la définition actuelle du harcèlement sexuel, v. supra) et une "marche-arrière", de ce point de vue, paraît peu envisageable. En revanche, comme le montre l'espèce jugée le 11 janvier 2012 et dans une moindre mesure, celle jugée le 19 octobre 2011, les faits de harcèlement sexuel sont encore souvent le fait de supérieurs hiérarchiques auxquels le rapport de pouvoir a donné des ailes... mais pas celle des anges !

Solution fondée sur des faits de vie privée rattachés à la vie de l'entreprise ? La Cour de cassation a déjà utilisé ce fondement pour justifier le licenciement disciplinaire de salariés dont la vie privée avait produit des conséquences néfastes sur la vie de l'entreprise (10). Est-il utilisable ici ? A priori non.

Il ne semble pas, en effet, dans l'arrêt du 11 janvier 2012, que les juges aient permis la sanction, sur un terrain professionnel, de faits relevant de la vie privée. Le salarié a bien tenté l'argument, essayant au passage de retourner l'accusation de harcèlement contre la plaignante : "une rencontre, fût-ce entre un salarié de niveau cadre et l'une de ses salariées subordonnées, en dehors du temps et du lieu du travail, dans une chambre d'hôtel, dans laquelle la salariée s'est rendue sciemment et librement après que, selon ses propres dires, elle a pourtant entendu l'autre personne demander à la réception de l'hôtel une chambre pour la nuit, constitue un fait de la vie privée, insusceptible de justifier une sanction disciplinaire". Mais l'argument n'a pas convaincu (notamment par le manque établi de véracité des affirmations faites par le salarié dénoncé). De tels faits relèvent-ils de la vie personnelle ? Si l'arrêt du 11 janvier 2012 est silencieux sur la question, celui rendu par les mêmes juges le 19 octobre 2011 est plus explicite : "les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées du salarié à l'égard de personnes avec lesquelles l'intéressé est en contact en raison de son travail ne relèvent pas de sa vie personnelle" (n° 09-72672). Dont acte : nous sommes dans la zone grise entre vie professionnelle et vie privée et dès lors que les faits répréhensibles reprochés au salarié ont un lien avec son travail, l'employeur peut exercer sur eux son pouvoir disciplinaire, même s'ils ont été commis en dehors de l'entreprise et hors temps de travail. Comme un condamné qui cherche à "passer la frontière" pour échapper à la justice de son pays, le salarié coupable de harcèlement sexuel cherche à rejoindre le territoire protégé de sa vie privée où il pourrait laisser libre cours à ses pulsions (sauf la sanction du droit pénal)... mais il est rattrapé de justesse par une justice qui considère que le harcèlement sexuel, dès lors qu'il est en lien avec la vie de l'entreprise, relève encore de la vie professionnelle du salarié fautif, et non pas de sa vie privée.

Solution fondée sur un trouble objectif causé à l'entreprise ? Si des faits de vie privée causant un trouble caractérisé au sein de l'entreprise ont pu, dans le passé, justifier des licenciements disciplinaires, il ne semble plus que ce soit le cas, la Chambre sociale de la Cour de cassation préférant désormais le terrain non disciplinaire pour la sanction de tels faits (simple licenciement pour motif personnel) (11). Doit-il en être de même pour des faits ne relevant pas stricto sensu de la vie privée, mais plutôt inscrits dans la zone grise entre vie professionnelle et vie privée ? Il ne nous semble pas. Le licenciement disciplinaire dans cette hypothèse pourrait être justement fondé sur de tels motifs. En l'espèce, le préjudice et le trouble causé à l'entreprise par le harcèlement sexuel sont bien réels : faits de nature à jeter le discrédit sur l'entreprise et à causer un trouble grave au sein de celle-ci dans la mesure où le salarié concerné dirigeait plusieurs agences, atteinte portée au sérieux et l'image de marque d'une entreprise comme celle-là...

Solution fondée sur un manquement à une obligation contractuelle ? Sans doute est-ce là le fondement juridique le plus probable, en tous cas au regard de la dernière jurisprudence de la Chambre sociale qui admet le licenciement disciplinaire lorsqu'un fait tiré de la vie personnelle peut s'analyser en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail. A fortiori, pour des faits relevant de la "zone grise" entre vie professionnelle et vie privée, le même fondement doit-il pouvoir être retenu. Nous renvoyons sur ce point à notre commentaire de la solution proposée par les juges lors d'un arrêt du 8 novembre 2011 (12)... et à sa critique principale : ce fondement juridique n'est solide qu'à condition de préciser l'obligation dont le manquement est reproché au salarié. S'agissant de harcèlement sexuel, la précision ne devrait pas soulever trop de difficulté. Pour le moins, le salarié qui se livre à des pratiques de harcèlement sexuel en lien avec son activité professionnelle manque à son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur (utilisation des moyens de l'entreprise -au sens large- à des fins autres que professionnelles). Dans ces circonstances, il est normal que de tels agissements puissent être sanctionnés d'un point de vue disciplinaire, et que l'employeur soit autorisé à mettre fin rapidement au contrat de travail.

Pour ceux qui craignent que l'obligation de loyauté, aux contours assez flous, ne permette de réinvestir l'employeur d'un pouvoir disciplinaire permettant d'atteindre exagérément des faits tirés de la vie personnelle (13), une autre solution est peut-être envisageable fondée non plus sur la loyauté, mais sur les exigences contemporaines en matière de santé et sécurité au travail qui pèsent d'abord sur l'employeur, mais également sur chaque salarié.

Harcèlement sexuel et obligations de santé et sécurité au travail. Chacun connaît désormais la jurisprudence sur ces questions : l'employeur n'a plus le choix d'ignorer les risques susceptibles de porter atteinte à la santé et sécurité des salariés de l'entreprise. En matière de harcèlement spécialement, prévenir ne suffit plus... il ne faut plus que de tels agissements se produisent ! Tel est bien l'injonction des arrêts du 3 février 2010 (Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R [LXB=] et 08-44.019, FP-P+B+R N° Lexbase : A6087ERU) : l'employeur manque à son obligation de sécurité de résultat, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, "quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements". Obligation est donc faite aux employeurs de réagir vite, le cas échéant par la sanction, de prévenir si ce n'est d'anticiper. Interdiction leur est faite d'ignorer ou de négliger de tels faits... d'où l'intérêt des dispositifs d'alerte professionnelle (14), à manipuler cependant avec précaution (15). Mais sous cet angle, obligation est aussi faite à chaque salarié "de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail" (C. trav., art. L. 4122-1 N° Lexbase : L1458H9U). Le salarié qui harcèle ses collègues, moralement ou sexuellement, manque aussi certainement à cette obligation...


(1) Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise : tous égaux, tous différents , Editions Liaisons, Collection Droit vivant, 2011, p. 157 s..
(2) V. nos obs., Quand le salarié confond vie personnelle et vie professionnelle, Lexbase Hebdo n° 463 du 24 novembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8948BS9).
(3) J.-Y. Frouin, Protection de la personne du salarié, intérêt de l'entreprise et construction prétorienne du droit du travail, JCP éd. S, 2010, p. 1087.
(4) Ethnie, race, religion, convictions, âge, handicap, orientation sexuelle et sexe.
(5) Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise : tous égaux, tous différents , préc., n° 328.
(6) "Soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants" selon le Dictionnaire Robert de la Langue française.
(7) Le harcèlement moral est défini à l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) selon lequel : "aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
(8) "L'employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés", S. Tournaux, Un pas de plus vers la plénitude de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n°460 du 2 novembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8506BST).
(9) "Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d'un employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers".
(10) Cass. soc. 10 décembre 2008, n° 07-41.820, FS-P+B (N° Lexbase : A7240EBR) (injures proférées contre l'employeur à l'extérieur de l'entreprise et hors du temps de travail mais devant des personnes que le salarié était chargé d'encadrer).
(11) Cass. soc. 9 mars 2011, n° 09-42.150, FS-P+B (N° Lexbase : A2470G9D), JCP éd. S, 2011, 1230, note J. Mouly.
(12) V. nos obs., Quand le salarié confond vie personnelle et vie professionnelle, Lexbase Hebdo n° 463 du 24 novembre 2011 - édition sociale, préc..
(13) G. Loiseau, Vie personnelle et licenciement disciplinaire, D., 2011, p. 1568.
(14) Dispositifs définis par la Cnil comme des "systèmes mis à la disposition des employés d'un organisme public ou privé pour les inciter, en complément des modes normaux d'alerte sur les dysfonctionnements de l'organisme, à signaler à leur employeur des comportements qu'ils estiment contraires aux règles applicables et pour organiser la vérification de l'alerte ainsi recueillie au sein de l'organisme concerné" (Délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 portant autorisation unique de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre de dispositifs d'alerte professionnelle N° Lexbase : X6007ADT, modifiée par une délibération n° 2010-369 du 14 octobre 2010 N° Lexbase : X3503AIL).
(15) V. les obs. de M. Oustin-Astorg, Elaboration et enjeux des codes de conduite et autres chartes éthiques, Lexbase Hebdo n° 468 du 12 janvier 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9607BSM).

Décision

Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930, FS-P+B, sur le second moyen (N° Lexbase : A5262IA7)

Rejet, CA Besançon,13 novembre 2009.

Texte visé : néant.

Mots-clés : licenciement disciplinaire, faute grave, harcèlement sexuel, agissements en dehors des lieux et temps de travail.

Liens base : (N° Lexbase : E2919ETB)

newsid:429830

Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Legs consenti à la concubine devenue épouse : la gratifiée bénéficie du disponible spécial

Réf. : Cass. civ. 1, 26 octobre 2011, n° 10-20.217, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0617HZU)

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N9855BSS

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par Sophie Deville, Maître de Conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

Le 26 Janvier 2012

Instrument juridique destiné à abriter les dernières volontés, le testament comporte des spécificités certaines que la Cour de cassation se plaît à rappeler dès que l'occasion lui en est donnée. Rédigé en contemplation du "temps où l'on existera plus", l'acte n'en est pas moins affecté d'une date, celle de sa rédaction par le testateur. Cette dualité temporelle peut parfois engendrer certaines difficultés qui se concentrent sur sa validité ou sur son interprétation au jour de l'ouverture de la succession de son auteur. Dans l'affaire soumise aux juges, une personne avait, par testament olographe du 10 décembre 1993, légué à celle qui allait bientôt devenir son épouse ainsi qu'aux deux filles qu'ils avaient eu ensemble, l'usufruit de toutes les propriétés qu'il détenait à Marignana et Porto. Le mariage fut célébré en 1994 et l'époux décéda en juillet 1995, laissant encore à sa survivance deux enfants nés d'un précédent mariage. Un litige ne tarda pas à opposer les héritiers au sujet de la liquidation successorale. Alors que la légataire faisait valoir sa qualité de conjoint au jour du décès pour prétendre au disponible spécial de l'article 1094-1 du Code civil (N° Lexbase : L0260HPC), plus favorable, les descendants non communs prétendaient que seules les dispositions de l'article 913 du Code civil (N° Lexbase : L0060HPW) devaient trouver à s'appliquer parce qu'au jour de la rédaction de l'acte, la bénéficiaire n'était encore que la concubine du testateur. La quotité disponible spéciale étant destinée à l'époux, à l'exclusion de toute autre personne, elle ne pouvait s'en prévaloir. La cour d'appel fit droit aux dernières prétentions en retenant, pour la détermination de l'émolument du legs, la teneur du disponible ordinaire. Les juges se fondèrent sur la nature des liens unissant le défunt à la bénéficiaire à l'époque de la rédaction de l'acte testamentaire, sans égard pour sa qualité de conjoint survivant au jour de l'ouverture de la succession, aux motifs que la libéralité était antérieure au mariage. Un pourvoi fut formé par l'épouse et la Cour de cassation sanctionna la cour de Bastia, au visa de l'article 1094-1 du Code civil, en ces termes : "En statuant ainsi, quand le bénéfice de la libéralité ne pouvait être dévolu à l'épouse avant le décès du testateur, ce dont il résulte que les règles édictées par le texte susvisé avaient vocation à s'appliquer, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Les Hauts magistrats censurent l'arrêt parce qu'il se concentre sur la date de rédaction de l'acte pour apprécier la nature des liens unissant le testateur et la gratifiée, de laquelle dépend le choix de la quotité disponible applicable. C'est bien davantage au jour de la prise d'effets de la libéralité, concomitant de l'ouverture de la succession, qu'il convient de se placer pour apprécier la qualité de la légataire. En tant que conjoint du défunt à cette date, cette dernière peut prétendre au bénéfice du disponible spécial. En bref, si le changement de statut de la gratifiée est sans incidence sur la validité de l'acte, acquise dès lors que la détermination des bénéficiaires est suffisante au moment de son élaboration, il est nécessaire de faire application des principes liquidatifs en tenant compte de la situation familiale au jour du décès.

I - La validité non contestée du legs consenti à la future épouse

Acte à cause de mort accueillant les dernières volontés de son auteur, le testament n'en est pas moins l'oeuvre d'un vivant qui dispose dans la perspective du trépas. La volonté du testateur suffit à lui donner naissance, mais son existence juridique est néanmoins conditionnée à la réunion de deux éléments : l'élaboration d'un écrit respectueux des prescriptions légales et le décès subséquent, à plus ou moins long terme, de l'auteur. L'expression de la volition interne dans un testament cristallise l'intention jusqu'au jour de l'ouverture de la succession, qui seul la rendra effective. Néanmoins, il est parfaitement acquis que la volonté testamentaire demeure ambulatoire en ce qu'il est toujours possible au testateur, jusqu'à son décès, de revenir sur ses dispositions par une révocation expresse ou tacite. La liberté de tester, fondamentale, ne se conçoit que par la libre révocabilité des dernières volontés, qualifiée de discrétionnaire par la Cour de cassation (1). Ceci étant, la remise en cause des dispositions antérieurement exprimées nécessite une démarche positive, active, formalisée dans le respect des exigences légales (C. civ., art. 1035 N° Lexbase : L0195HPW à 1038) ; un simple changement d'intention ne suffit pas à révoquer un testament et les libéralités qu'il peut contenir.

La dualité temporelle dans laquelle s'inscrit l'acte testamentaire est remarquable. L'expression des dernières volontés dans un écrit permet de donner une date à l'acte, qui sera particulièrement utile au cas de pluralité de testaments dont il faudra vérifier la compatibilité. A défaut, c'est le dernier testament qui sortira ses effets, et il sera appréhendé comme révocatoire des précédents. Mais la fixation temporelle est encore déterminante de l'analyse de la viabilité de l'acte. C'est en effet à l'époque de la rédaction que s'apprécie le respect des conditions nécessaires à la validité du testament. Il importe de rappeler qu'en la matière le formalisme est requis "ad validitatem". Parmi les exigences de fond, l'attention se concentre sur la capacité du testateur, mais également sur la détermination de l'objet des dispositions patrimoniales, ainsi que sur l'identification d'éventuels bénéficiaires de libéralités. Ces précautions sont essentielles pour assurer la pérennité des gratifications ; bien qu'elles n'aient pas vocation à sortir leurs effets immédiatement, elles ne se conçoivent pas sans la désignation d'un gratifié et d'un émolument (2).

Si l'on se concentre sur l'identification du bénéficiaire, il est nécessaire que le testateur ait désigné la personne à qui est destinée la libéralité. En ce sens, le legs avec faculté d'élire est nul, parce que la détermination du légataire n'est pas l'oeuvre du testateur mais d'un tiers (3). Plusieurs modes de désignation sont concevables. Elle est directe lorsque le legs est consenti à une personne dénommée, mais il est encore possible au testateur de livrer un moyen d'identifier le légataire, quand lui-même n'en connaît pas encore l'identité au jour de la rédaction. Dans ce dernier cas, c'est souvent par l'énoncé d'une qualité ou d'un statut que la personne du gratifié est désignée ; sur ce fondement, a été considérée comme valable la disposition consentie, selon les termes de l'auteur, à celle qui serait sa femme au jour de sa mort (4). Les juges s'efforcent encore de rechercher et d'identifier le bénéficiaire lorsque les dernières volontés sont ambiguës, par faveur pour la liberté de tester. Pour ce faire, ils sont admis à analyser les éléments intrinsèques de l'acte, mais également les éléments extrinsèques, tels le contexte, les circonstances dans lesquelles le testament a été élaboré...

Dans l'espèce, l'acte ne risquait pas la nullité en raison d'une absence de désignation du légataire. En effet, la disposition était réalisée à une personne déterminée et la future épouse était clairement dénommée. Ceci étant, il semble, au vu des éléments relatés dans le moyen annexe, que le testateur avait désigné la gratifiée par son nom, mais également comme "sa femme", alors même qu'à l'époque de la rédaction de l'acte, le mariage n'avait pas eu lieu. Quoi qu'il en soit, cette précision erronée ne pouvait avoir d'effets sur la validité de la stipulation pour plusieurs motifs. D'abord, la dénomination de la bénéficiaire suffisait à l'identifier, et l'adjonction de sa qualité d'épouse, bien qu'inexacte, ne pouvait neutraliser le respect de la condition. Au-delà, sanctionner la libéralité sur ce fondement apparaît difficilement concevable alors que sont admises les désignations indirectes ou prospectives, et interprétées les identifications maladroites. Quant au changement de qualité de la bénéficiaire, véritablement devenue par la suite le conjoint du disposant, il ne saurait avoir des conséquences sur la validité ou sur l'efficacité de la libéralité. Dès lors que les conditions de fond sont réunies au moment de la rédaction du testament, seules peuvent être invoquées, pour en neutraliser les effets, des causes de caducité. Or, si le décès du légataire anéantit le testament, il n'en va pas de même du simple changement de qualité ou de titre, du moment que la désignation du gratifié ne se limite pas à ces éléments. Dans l'affaire qui nous occupe, l'attribution à personne nommée suffisait à éviter la sanction de caducité, dès lors que le décès du testateur était intervenu avant celui de son épouse. Les parties ainsi que les juges ne s'y étaient d'ailleurs pas trompés et la question de la validité du testament n'avait aucunement été soulevée.

Bien davantage, la difficulté se concentrait-elle sur l'application des principes liquidatifs, dont la teneur dépendait de la date à laquelle devait être apprécié le statut -d'épouse ou de concubine- de la légataire.

II - Le bénéfice du disponible spécial octroyé à la légataire devenue épouse à l'époque du décès

A côté du jour de rédaction du testament, sa date de prise d'effets est encore d'une importance certaine. C'est à ce moment qu'il est notamment possible de déterminer l'assiette sur laquelle s'exerceront les droits conférés au légataire. La disposition n'octroie que des droits éventuels et, pour les legs d'universalité, une simple vocation dont la consistance effective ne sera connue qu'à l'époque du décès, selon la consistance du patrimoine du "de cujus".

Acte à cause de mort, l'écrit testamentaire et les libéralités qu'il contient deviennent effectifs au jour du décès du testateur, lequel constitue dans le même temps la date d'ouverture de la succession, qui commande l'application des principes liquidatifs prévus par la loi. Figurent parmi eux les règles de détermination des héritiers "ab intestat", mais encore celles permettant le contrôle d'un éventuel dépassement du disponible par les libéralités. A cet égard, les opérations protectrices de la réserve se réalisent par référence à une masse, dite masse de calcul de la quotité disponible, qui comprend les biens existants au décès, auxquels sont fictivement réunies les donations entre vifs, en respect de certaines règles spécifiques d'évaluation (C. civ., art. 922 N° Lexbase : L0071HPC). Une fois formée, cette masse se voit appliquer des taux, fixés par le législateur, représentant la quotité disponible et la réserve, désormais définie comme "la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent" (C. civ., art. 912 N° Lexbase : L0059HPU, issu de la loi du 23 juin 2006). Au cas de dépassement du disponible, les libéralités excessives subissent la réduction qui sert à reconstituer, en valeur ou en nature selon les cas, la réserve des héritiers protégés (5).

Au-delà, certains types de dispositions à cause de mort peuvent avoir une influence considérable sur le déroulement des opérations liquidatives en ce qu'elles modifient la nature même de la succession. C'est le cas des legs d'universalité -gratifications universelles ou à titre universel- qui fondent une succession testamentaire ou volontaire, les règles de dévolution légale n'étant que supplétives. Face à de telles libéralités, seuls les principes impératifs et protecteurs de la réserve viennent limiter la manifestation de volonté du testateur.

Les liens unissant la libéralité testamentaire et le règlement successoral sont incontestables. C'est à ce stade que l'éventuel changement de qualité du légataire, entre la rédaction du testament et l'ouverture de la succession, peut soulever certaines difficultés. L'acquisition du statut d'époux n'est pas, bien sûr, sans conséquences en matière successorale ; lorsque la dévolution est légale, le conjoint survivant figure au nombre des héritiers appelés, en concours avec les descendants ou les ascendants privilégiés du défunt depuis la loi du 3 décembre 2001 (C. civ., art. 756 et s. N° Lexbase : L3360AB3). En présence d'une dévolution testamentaire, le conjoint peut profiter de la protection de la réserve en l'absence de descendants (C. civ., art. 914-1 N° Lexbase : L0062HPY). Mais lorsqu'il est lui-même le gratifié, il bénéficie d'une quotité disponible dite spéciale, plus étendue que le disponible ordinaire. Seule la qualité de conjoint permet l'application de ce dernier texte, qui peut considérablement modifier la physionomie du règlement successoral (6).

Dès lors, en présence d'un légataire à titre universel devenu l'époux du testateur postérieurement à la rédaction de l'acte, quelle quotité disponible retenir ? La puissance du lien unissant la libéralité testamentaire et la succession doit conduire à appréhender la première par référence à sa date de prise d'effet, puisqu'elle est celle sur laquelle se fondent les opérations liquidatives. La disposition ayant vocation à devenir effective au décès, ce sont les éléments existants à cette date qui doivent guider le règlement de l'hérédité. A cet égard, c'est le statut du légataire au jour du trépas qui dicte le choix du disponible à appliquer et l'émolument auquel il est possible de prétendre en vertu de la libéralité à titre universel. En ce sens, il est utile de rappeler que la qualité de conjoint est reconnue, au plan successoral, au profit de la personne qui était encore unie au défunt au jour de l'ouverture de la succession, selon l'article 732 du Code civil (N° Lexbase : L9832HNH) (7).

C'est ce raisonnement qui a guidé les Hauts magistrats dans la recherche de l'issue à donner au litige. En énonçant que [...] "le bénéfice de la libéralité ne pouvait être dévolu à l'épouse avant le décès du testateur" [...], la Cour de cassation se fonde sur la date d'ouverture de la succession pour apprécier les règles à retenir. En présence d'une disposition à titre universel consentie au conjoint survivant, c'est la quotité disponible spéciale qui doit être appliquée à la masse de calcul.

La décision doit, à notre sens, être approuvée, parce qu'elle est respectueuse de la spécificité temporelle qui innerve les libéralités à cause de mort. En effet, si la période de rédaction ne doit être négligée car elle sert l'analyse de la validité de l'acte, il ne faut pas perdre de vue que les dispositions testamentaires n'ont vocation à être effectives qu'au décès de leur auteur. Le jour d'ouverture de la succession doit donc servir de date de référence aux opérations liquidatives, et la situation du légataire s'apprécier à cette période, tout changement intervenu étant susceptible d'influer sur les solutions (c'est le cas du prédécès du gratifié, mais encore celui de l'acquisition de la qualité d'époux, ou de la perte de ce statut...). Au soutien de l'argumentation, on peut se risquer à avancer que le bénéfice du disponible spécial octroyé à la légataire ne déjouait certainement pas la volonté du testateur qui, seulement quelques mois après la rédaction de l'acte, épousait sa concubine. Au-delà, les dernières volontés demeurent librement révocables jusqu'au décès ; dès lors, si l'auteur de l'écrit avait entendu refuser à son épouse une plus large quotité disponible, une simple révocation aurait suffit à l'en priver. Devant son silence, il était impossible de lui prêter de telles intentions.


(1) Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 02-20.883, F-P+B (N° Lexbase : A1216DER), Bull. civ., I, n° 297 ; D., 2005, p. 1621, note J.-Y. Maréchal ; JCP éd. G, 2005, II, n° 10179, note J.-R. Binet ; RTDCiv., 2005, p. 443, obs. M. Grimaldi.
(2) Quelques adaptations tiennent compte de l'aspect prospectif de l'acte ; ainsi, admet-on une simple déterminabilité de l'objet : Cass. civ. 1, 28 novembre 1972, n° 71-13.060, (N° Lexbase : A3779CK8) ; D., 1973, p. 462 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 01-17.788, F-D (N° Lexbase : A8706DAP) ; D., 2004, Somm., p. 2341, obs. M. Nicod ; Defrénois, 2005, p. 224, note Gelot. Pour le rappel du principe en matière de legs particulier : Cass. civ. 1, 16 mars 1999, n° 96-22.140 (N° Lexbase : A1277CUT) ; Rev. Dr. Famille, 1999, p. 24, n° 47, note B. Beignier ; idem JCP éd. N, 1999, p. 1015. L'affaire a donné lieu à plusieurs décisions et à d'importantes difficultés de qualification du legs ainsi consenti qui dépassent le cadre du propos. Voir, par exemple, pour la décision clôturant la discussion : Cass. civ. 1, 9 janvier 2007, n° 06-12.872, FS-P+B (N° Lexbase : A4857DT3) ; Rev. Dr. Fam. 2007., p.39, n° 45, note B. Beignier.
(3) Pour un exemple récent : Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 02-21.177, FS-P+B (N° Lexbase : A5055DLS) ; AJ Famille, 2006, p. 37, obs. F. Bicheron ; Rev. Dr. Fam., 2005, n° 277, note B. Beignier.
(4) Req., 21 février 1934, DP, 1934, I, p. 69.
(5) La loi du 23 juin 2006 a généralisé le principe de la réduction en valeur, la réduction en nature demeurant possible, mais dans des hypothèses limitées (C. civ., art. 924 et s. N° Lexbase : L0073HPE).
(6) Pour l'essentiel, les héritiers protégés risquent de ne se voir octroyer qu'une réserve en nue-propriété.
(7) La référence à l'absence de jugement de séparation de corps ayant acquis force de chose jugée a été supprimée par la loi du 23 juin 2006. Bien que l'affaire qui nous occupe obéisse au droit antérieur, les faits ne présentaient aucune ambiguïté puisqu'aucune séparation de corps n'existait à l'époque du décès.

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