La lettre juridique n°772 du 14 février 2019

La lettre juridique - Édition n°772

Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] Les régimes probatoires distincts du harcèlement moral et du licenciement consécutif

Réf. : Cass. soc., 30 janvier 2019, n° 17-31.473, F-P+B (N° Lexbase : A9841YUZ)

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N7638BX8

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 13 Février 2019

Harcèlement moral • absence répétées ou prolongées • licenciement • nullité • charge de la preuve

 

Résumé

 

Lorsque l’absence prolongée du salarié est la conséquence du harcèlement moral dont il a été l’objet, l’employeur ne peut se prévaloir de la perturbation que l’absence prolongée du salarié a causé au fonctionnement de l’entreprise.

 

Par un arrêt rendu le 30 janvier 2019, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que l’employeur ne peut tirer prétexte des absences répétées ou prolongées d’un salarié pour le licencier lorsque ces absences sont la conséquence d’un harcèlement moral. La décision, fort classique, s’inscrit donc dans la logique de protection du salarié harcelé contre la rupture de son contrat de travail (I). Elle présente toutefois l’intérêt de préciser le régime probatoire permettant de caractériser le lien de causalité entre harcèlement et licenciement (II).

 

 

Commentaire

 

I - La prohibition du licenciement prononcé en raison des absences d’un salarié harcelé

 

Ruptures du contrat de travail consécutives à un harcèlement moral. Le régime juridique du harcèlement moral dans le Code du travail tend, parmi d’autres fonctions, à assurer la protection du salarié victime de harcèlement contre la rupture de son contrat de travail. Cette protection résulte principalement de deux textes.

 

D’abord, l’article L. 1152-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8841ITM) dispose qu’«aucun salarié […] ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire […] pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral». Ce texte interdit donc très clairement que le harcèlement moral justifie le licenciement. Ensuite, l’article L. 1152-3 du même Code (N° Lexbase : L0728H9T) dispose que «toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul». Sans doute conçu pour établir la sanction d’un licenciement prononcé pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement, ce texte dépasse toutefois très largement cet objet en visant «toute rupture» intervenue en méconnaissance de l’article L. 1152-1.

 

A partir de ces textes s’est développée une dense jurisprudence sanctionnant par la nullité l’immense majorité des ruptures de contrat de travail survenue dans un contexte de harcèlement.

 

Le lien entre certains types de rupture et le harcèlement apparaît avec évidence. Cela est le cas, notamment, d’une demande de résiliation judiciaire [1] ou d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail [2] au soutien desquelles le salarié invoque les agissements de harcèlement comme manquement grave de l’employeur. Si le salarié quitte l’entreprise ou demande au juge de mettre fin à la relation, c’est précisément en raison du harcèlement.

 

Le lien entre rupture conventionnelle et harcèlement est plus indirect. Malgré la généralité des termes de l’article L. 1152-3 du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation n’admet pas directement que la convention de rupture puisse être remise en cause en raison d’un harcèlement et exige que soit apportée la preuve, par le salarié, de l’existence d’un vice de son consentement qui peut trouver son origine dans le harcèlement [3].

 

Les licenciements en réaction au harcèlement forment le gros du contentieux. Il peut s’agir de tout type de licenciement : licenciement pour faute dont la véritable cause tient au harcèlement [4], licenciement pour insuffisance professionnelle [5] et, même, rupture d’un contrat à durée déterminée à terme qualifiée de licenciement après que la relation contractuelle ait été requalifiée en contrat à durée indéterminée [6].

 

Le plus souvent, l’état de santé du salarié victime de harcèlement se sera détérioré et l’employeur aura prononcé un licenciement pour inaptitude [7] ou un licenciement en raison des absences répétées ou prolongées du salarié qui désorganisent l’entreprise et imposent son remplacement définitif [8]. C’est à propos de cette dernière espèce que la Chambre sociale de la Cour de cassation était saisie dans l’affaire étudiée.

 

L’affaire. Après plusieurs arrêts de travail en raison d’un accident de travail puis de maladie, une salariée est licenciée en raison de son absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise et nécessitant son remplacement définitif. La salariée agit aux prud’hommes pour contester le licenciement et voir reconnaître l’existence d’un harcèlement moral. La cour d’appel de Paris considère que le harcèlement est caractérisé, que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et condamne ce dernier à indemniser la salariée à ce titre. Les juges prononcent, par ailleurs, la nullité du licenciement.

 

L’employeur forme un pourvoi en cassation et soutient, par un moyen unique, que le licenciement consécutif à un harcèlement moral ne peut être annulé qu’à condition que soit démontré que la salariée a été licenciée «pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements», qu’il existe donc un «lien entre le harcèlement moral reproché à la société […] et le licenciement pour absence répétée et prolongée». La charge de la preuve que le licenciement a pour cause les agissements de harcèlement moral reposerait sur les épaules du salarié, par application des règles de droit commun de la preuve issues de l’article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK), règles que les juges du fond n’auraient pas respectées en jugeant que l’employeur n’établissait pas que le licenciement était «justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement». Enfin, l'absence de justification par l'employeur des perturbations engendrées par l'absence prolongée ou répétée du salarié que lui reprochait les juges du fond ne pouvaient conduire qu’à considérer le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non à l’annuler.

 

Par un arrêt rendu le 30 janvier 2019, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Par un chapeau interne, elle énonce que «lorsque l'absence prolongée du salarié est la conséquence du harcèlement moral dont il a été l'objet, l'employeur ne peut se prévaloir de la perturbation que l'absence prolongée du salarié a causé au fonctionnement de l'entreprise». La cour d’appel a légalement justifié sa décision, sans inverser la charge de la preuve, en retenant que «l'existence d'un harcèlement moral ayant eu des répercussions sur l'état de santé de la salariée, dont elle avait constaté l'absence de l'entreprise en raison de plusieurs arrêts de travail», faisant ainsi «ressortir le lien de causalité entre le harcèlement moral à l'origine de l'absence de la salariée et le motif du licenciement».

 

II - Le lien de causalité entre harcèlement moral et licenciement

 

Confirmation. La solution adoptée par la Chambre sociale n’est en rien une surprise. A plusieurs reprises déjà, elle a jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir des absences du salarié pour le licencier lorsque celles-ci sont la conséquence d’un harcèlement moral [9].

 

Le lien de cause à effet entre harcèlement et justification du licenciement doit être établi, ce qui revient donc à donner plus d’importance aux dispositions de l’article L. 1152-2 qu’à celle de l’article L. 1152-3 du Code du travail : le salarié ne peut être licencié «pour» avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement. Il y a là une forme de cohérence avec la décision rendue récemment à propos de la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement moral, affaire dans laquelle la Chambre sociale refusait d’annuler la rupture conventionnelle au seul prétexte qu’elle avait été conclue dans un contexte de harcèlement moral [10]. Dans ce cas de figure, il faut également que soit établi le lien entre la cause de nullité de la convention de rupture (vice du consentement) et le harcèlement moral.

 

Une interrogation subsiste quant à l’intensité du lien de causalité. Faut-il que le harcèlement soit la cause immédiate et exclusive des absences ou peut-elle n’être que l’une des raisons pour lesquelles le salarié était placé en arrêt de travail ? En 2011, la Chambre sociale admettait le raisonnement d’une cour d’appel qui jugeait que les absences répétées du salarié étaient «au moins pour partie la conséquence» du harcèlement, laissant ainsi penser que le lien de causalité puisse être au moins modérément distendu [11]. La décision n’apporte aucune précision sur cette question, notamment parce que l’employeur n’argumentait pas sur une pluralité de cause des absences mais, seulement, sur la charge de la preuve du lien de causalité entre absences et harcèlement. Il nous semble nécessaire de ne pas exiger un lien de causalité trop serré parce que cela impliquerait de réintroduire de la subjectivité dans l’appréciation du harcèlement moral et de ses conséquences. Il serait, par exemple, parfaitement regrettable que des considérations liées à la fragilité de tel ou tel salarié, liées au comportement plus ou moins nocif ou intentionnel du harceleur, soient introduites dans ce débat.

 

Si la décision ne fait donc que conforter une jurisprudence bien établie, il n’en demeurait pas moins intéressant de le signaler parce qu’il précise les règles de charge de la preuve du lien entre harcèlement et absences.

 

Charge de la preuve du lien de causalité entre harcèlement et absences. Qui doit établir qu’il existe ou n’existe pas de lien de cause à effet entre absences et harcèlement ? Plusieurs options étaient envisageables.

 

L’employeur soutenait que les règles de droit commun de la preuve devaient être mobilisées. Le salarié, demandeur à l’action et revendiquant la réalisation d’une créance indemnitaire auprès de l’employeur, devrait, en application de l’article 1353 du Code civil démontrer l’existence du lien de causalité.

 

Une autre hypothèse aurait pu consister à étendre le domaine des règles de preuve du harcèlement. Celui-ci bénéficie, rappelons-le, d’un système probatoire original inspiré de celui de la preuve des discriminations. Par application de l’article L. 1154-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6799K9P), le salarié qui prétend être victime de harcèlement «présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement», l’employeur étant alors tenu «de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement». Cette interprétation pouvait s’appuyer sur une décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2014. Dans cette affaire, les juges du fond déboutaient une salariée de sa demande d’annulation du licenciement en lui reprochant de ne pas apporter d’éléments susceptibles «de prouver que le harcèlement moral dont elle a été l'objet était la cause de ses absences répétées ou participait au processus qui les avait générées» [12]. La Chambre sociale cassait cette décision et jugeait que la cour d’appel avait «constaté l'existence d'agissements susceptibles d'altérer la santé physique ou mentale de la salariée et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, en sorte qu'il revenait à l'employeur d'établir que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement».

 

Aucun de ces raisonnements n’était toutefois pleinement approprié. En effet, la preuve du lien entre harcèlement et absence permet, en réalité, de caractériser la cause réelle du licenciement. Ce sont donc les règles de preuve spécifiques à la cause réelle et sérieuse du licenciement qui doivent être mobilisées. Or, en la matière, l’article L. 1235-1, alinéa 3 du Code du travail (N° Lexbase : L8060LGM) prescrit que le juge «forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles». On enseigne traditionnellement que la charge de la preuve de la légitimité de la cause du licenciement ne repose pas spécifiquement sur les épaules de l’une des parties. C’est donc fort justement que la Chambre sociale refuse de faire peser la charge de la preuve du lien entre absences et harcèlement sur les épaules du salarié.

 

On pourrait être tenté d’opposer à ce raisonnement qu’il implique de rechercher si le harcèlement a effectivement eu des conséquences sur l’état de santé du salarié, ce que la jurisprudence n’exige pas pour caractériser le harcèlement lui-même [13] puisque les agissements de harcèlement doivent seulement emporter une dégradation des conditions de travail «susceptible» d'altérer la santé physique ou mentale du salarié [14]. Il s’agit pourtant de deux questions différentes puisqu’il n’est plus question d’établir l’existence du harcèlement, qui n’exige pas la preuve de l’altération de l’état de santé, mais de démontrer que le licenciement est causé par l’état de santé, ce qui nécessite cette fois de montrer le lien entre harcèlement et absences répétées ou prolongées.

 

Décision

 

Cass. soc., 30 janvier 2019, n° 17-31.473, F-P+B (N° Lexbase : A9841YUZ)

 

Rejet (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 8 novembre 2017, n° 13/12176 N° Lexbase : A0460WYP)

 

Texte concerné : C. trav., art. L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T).

 

Lien base : (N° Lexbase : E0279E7H).

 

[1] Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-26.560, F-P+B (N° Lexbase : A4354I8R).

[2] Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-13.324, F-D, Rejet (N° Lexbase : A7843NMG) ; Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16-20.020, F-D (N° Lexbase : A8781XI3).

[3] Cass. soc., 23 janvier 2019, n° 17-21.550, FS-P+B (N° Lexbase : A3141YUU) et nos obs., Autonomie du régime juridique de la rupture conventionnelle : le pas de trop ?, Lexbase, éd. soc., n° 771, 2019 (N° Lexbase : N7530BX8).

[4] Cass. soc., 1er décembre 2011, n° 10-17.825, F-D (N° Lexbase : A4807H3G).

[5] Cass. soc., 9 avril 2014, n° 13-11.670, F-D (N° Lexbase : A0978MKG).

[6] Cass. soc., 4 juin 2014, n° 13-17.099, F-D (N° Lexbase : A2756MQ7).

[7] Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.920, F-D (N° Lexbase : A5035EAQ) ; Cass. soc., 18 mars 2014, n° 13-11.174, F-D (N° Lexbase : A7615MHI).

[8] Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 04-48.314, F-P+B+R (N° Lexbase : A7726DRL), RDT 2007, p. 30, obs. E. Dockès ; JCP éd. S, 2006, 1985, note J.-Y. Frouin.

[9] Cass. soc., 11 octobre 2006, préc. ; Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-41.640, F-D (N° Lexbase : A2490GNK) ; Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-20.688, FS-P+B (N° Lexbase : A7785KTI).

[10] Cass. soc., 23 janvier 2019, préc..

[11] Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 10-16.477, F-D (N° Lexbase : A9644HUQ).

[12] Cass. soc., 15 janvier 2014, préc..

[13] Cass. soc., 20 octobre 2011, n° 10-19.291, F-D (N° Lexbase : A8845HYA).

[14] C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P).

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Les dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI renvoyées devant le Conseil constitutionnel

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 6 février 2019, n° 425447, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3273YW7)

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par Marie-Claire Sgarra

Le 11 Février 2019

Les dispositions de l’article 150-0 B ter, II du Code général des impôts (N° Lexbase : L9353LHU), dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7971IUR), sont renvoyées devant le Conseil constitutionnel.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 6 février 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 6 février 2019, n° 425447, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3273YW7).

 

Pour rappel, ces dispositions fixent les modalités d’imposition entre les mains du donataire, de la plus-value dont sont grevés des titres ayant rémunéré un apport en cas de cession de ces derniers par le donataire avant l’expiration d’un délai de dix-huit mois.

 

Pour le Conseil d’Etat, le moyen tiré de ce dispositif qui porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques en ce qu’il prévoit de mettre à la charge du donataire des valeurs mobilières une imposition supplémentaire qui est sans lien avec la situation de ce dernier mais est liée à l’enrichissement du donateur, antérieur au transfert de propriété de ces valeurs mobilières, soulève une question sérieuse (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X5213APR).

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Fiscalité internationale

[Conclusions] Précisions sur la qualification des revenus de créances de loyers dans le cadre d’une opération de lease and lease back

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 7 décembre 2018, n° 409229, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7301YP4)

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d’Etat

Le 13 Février 2019

Le Conseil d’Etat rappelle, dans un arrêt du 7 décembre 2018 que pour l’application des conventions franco-belge et franco-néerlandaise, les revenus de créances de loyers portant sur des baux emphytéotiques ainsi que des primes perçues dans le cadre d’une opération de lease and lease back, ne sont pas qualifiables de revenus immobiliers. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas.

 

La société anonyme Orpavimob est une filiale de la Société générale et fait partie du groupe fiscal intégré dont celle-ci est la société-mère. La société Orpavimob a été soumise à des vérifications de comptabilité portant, d’une part, sur les exercices clos en 2006 et 2007, d'autre part, sur les exercices clos en 2008 et 2009. Au terme de ces contrôles, l’administration fiscale a estimé, à l’inverse de la société, que des revenus réalisés dans le cadre de deux opérations en rapport avec des immeubles situés respectivement à Bruxelles et aux Pays-Bas étaient imposables en France. En conséquence, l’administration fiscale a assujetti la Société générale, en sa qualité de société-mère, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt au titre des années 2006 et 2007 et elle a procédé à la réduction du déficit d’ensemble déclaré par cette société pour l’établissement de ces mêmes impôts au titre des années 2008 et 2009. Les différends ont été portés sous la forme de deux litiges distincts devant le tribunal administratif de Montreuil, qui a rejeté les prétentions de la société par deux jugements successifs - relevons que le premier d’entre eux a eu les honneurs des revues spécialisées[1]. La Société générale a fait appel de ces deux jugements devant la cour administrative d’appel de Versailles qui, après avoir joint ses deux requêtes, les a rejetées. La société soulève, à l’appui de son pourvoi en cassation, trois groupes de moyens.

 

1. Le premier groupe de moyens ne devrait pas vous retenir.

 

Pour répondre à un moyen d’erreur de droit par lequel la société critiquait, en appel, la méthode suivie par le tribunal administratif pour trancher les litiges, la cour administrative d’appel de Versailles a adopté, au point 3 de son arrêt, un considérant de principe inspiré de celui issu de votre décision de plénière «Société Artémis»  (CE plénière, 24 novembre 2014,  n° 363556, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5450M4M, RJF, 2/2015, n° 102 - voir le point 4 de cette décision). Le résultat est mitigé.

 

La cour a certainement eu raison de ne pas cantonner la démarche prescrite par votre jurisprudence «Société Artémis» à l’hypothèse dans laquelle c’est la forme sociale d’une société de droit étranger qui pose une difficulté au regard du droit fiscal français : la démarche d’assimilation que décrit votre jurisprudence est applicable à tout objet de droit étranger[2].  Ce n’est d’ailleurs pas cela qui dérange la Société générale, au contraire. La critique du pourvoi porte sur une restriction énoncée par la cour administrative d’appel à l’application de la démarche d’assimilation des objets de droit étranger aux catégories utilisées par le droit français dans l’hypothèse où «ces objets ont, en droit étranger et en droit français, la même qualification juridique et les mêmes caractéristiques». La cour, estimant que tel était le cas en l’espèce, a ensuite jugé que, pour ce motif, il n’y avait pas lieu pour les premiers juges d’appliquer la méthode d’assimilation.

 

Ce dernier aspect de l’essai de théorisation effectué par la cour administrative d’appel est malheureux, nous en convenons avec le pourvoi. Car dès lors que l’on prétend appliquer le droit français à un objet de droit étranger, il nous semble qu’il y a toujours lieu de procéder par assimilation, les catégories juridiques n’ayant jamais, d’un droit à un autre, exactement le même contenu, le même objet et la même portée. Nous ne croyons pas pour autant qu’il y ait matière à censurer l’arrêt attaqué pour avoir jugé le contraire. Ce que la cour, à notre avis, a voulu signifier, c’est que la démarche d’assimilation peut, le cas échéant, être facile, rapide, évidente. Et quoiqu’il en soit, dans le présent litige, la cour a bien procédé, avant de qualifier les revenus litigieux au regard de la loi fiscale française, à la démarche d’assimilation prescrite par votre jurisprudence «Artémis». Au vu des motifs suivants de son arrêt, et contrairement à ce que soutient la société, cela nous paraît chose certaine. Nous vous proposons, par conséquent, d’écarter les moyens d’erreur de droit et d’insuffisance de motivation soulevés par la société sur cette question de méthode.

 

2. Les deuxième et troisième groupes de moyens du pourvoi ont trait, respectivement, aux revenus retirés de l’opération bruxelloise et à ceux retirés de l’opération néerlandaise.

 

Il n’est pas évident, à la lecture des écritures soumises à la cour administrative d’appel, de déterminer si la Société générale contestait le bien-fondé des impositions en litige à la fois sur le terrain du droit interne et sur celui des conventions fiscales bilatérales liant la France, respectivement, à la Belgique et aux Pays-Bas ou si, en réalité, la contestation ne portait que sur ce second terrain. Les écritures d’appel contiennent certes de longs développements relatifs à l’application du droit interne, dans lesquels la société s’efforçait de démontrer, au travers de la démarche d’assimilation dont il a déjà été question, que les revenus litigieux devaient recevoir, dans les droits étrangers en cause comme en droit interne, la qualification de revenus immobiliers. Toutefois, elle n’en tirait pas de conséquence quant au bien-fondé de l’impôt sur le terrain du droit interne. C’est ensuite que se logeait sa contestation : forte des développements précédents, la société soutenait que les stipulations des conventions fiscales respectivement applicables à l’opération belge et à l’opération néerlandaise faisaient obstacle à l’imposition en France des revenus litigieux, dès lors que, selon elle, ils devaient également être qualifiés de revenus immobiliers au regard de ces stipulations et que celles-ci attribuent à l’Etat de situation de l’immeuble -donc la Belgique ou les Pays-Bas- l’imposition de tels revenus.

 

La cour administrative d’appel a répondu à l’argumentation de la société en se conformant strictement au raisonnement décrit par votre jurisprudence «Ministre c/ société Schneider Electric» (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0219AZ7, RJF, 10/2002,  n° 1080). Dans un premier temps, elle a qualifié les revenus litigieux au regard de la loi fiscale interne -en les regardant comme des produits financiers et non comme des revenus immobiliers-, avant de confirmer le bien-fondé de leur imposition au regard de cette seule loi fiscale, c’est-à-dire du I de l’article 209 du Code général des impôts (N° Lexbase : L4475KEH) - alors même qu’elle n’était pas saisie d’une contestation sur ce point. Puis, dans un second temps, elle a procédé de nouveau à une démarche de qualification, cette fois au vu des stipulations des conventions fiscales bilatérales applicables, en écartant de nouveau la qualification de revenus immobiliers défendue par la société, avant de juger que ces conventions ne faisaient pas obstacle à l’imposition en France des sommes en litige. En raison sans doute du cheminement suivi par la cour administrative d’appel dans l’arrêt attaqué, la Société générale soulève, dans son pourvoi, des critiques formulées nominalement sur le double terrain du I de l’article 209 du Code général des impôts et des stipulations des conventions fiscales bilatérales. Toutefois, l’argumentation ne porte que sur la qualification des revenus litigieux au regard de ces stipulations.

 

Les stipulations en cause sont celles des articles 3 de la convention fiscale signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique (N° Lexbase : E2918EUM) et 6 de celle signée le 16 mars 1973 entre la France et les Pays-Bas (N° Lexbase : E0463EUP). Leur rédaction n’est pas strictement identique mais leur économie générale est similaire et conforme au modèle de convention fiscale de l’OCDE. Il en résulte que les revenus retirés de l’exploitation d’un bien immobilier sont imposables dans l’Etat de situation de ce bien, la notion de bien immobilier, qui peut recouvrir des immeubles aussi bien que des droits portant sur des immeubles, devant être appréciée d’après la législation de l’Etat où est situé le bien considéré. Les commentaires de l’article 6 du projet de convention modèle de l’OCDE de 1963[3] , antérieurs donc aux conventions qu’il s’agit ici d’appliquer[4] , précisaient que l’attribution à l’Etat de situation d’un bien immobilier des revenus tirés de son exploitation se justifie par le «lien économique très étroit» qui existe entre la source du revenu -l’immeuble- et l’Etat où il est implanté[5]. C’est pourquoi il y a lieu, nous le disions dans des conclusions prononcées sur une affaire Société BNP-Paribas lue le 1er octobre 2013 (CE 3° et 8° ch.-r., 1er octobre 2013, n° 351982, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3386KMD, RJF, 12/2013, n° 1123), de retenir en principe une conception étroite des revenus immobiliers : si la justification de leur imposition par l’Etat de situation du bien immobilier réside dans le lien très étroit entre ce bien et cet Etat, alors il faut, pour qu’un revenu puisse revêtir le caractère de revenu immobilier au sens des conventions fiscales suivant le modèle de l’OCDE, qu’il présente lui-même un lien étroit -ou du moins un lien point trop distendu- avec l’immeuble.

 

Ne remet pas en cause cette conclusion le commentaire de l’article 6 du projet de convention modèle qui, entre 1963 et 1977, précisait que «le droit d’imposition de l’Etat de la source a la priorité vis-à-vis d’autres droits d’imposition, et joue aussi dans le cas où, dans le cadre d’une entreprise ou d’activités autres que les activités industrielles et commerciales, les revenus ne proviennent qu’indirectement des biens immobiliers». Ce commentaire avait pour seul objet de manifester, pour la détermination du lieu d’imposition, la priorité de la qualification de revenus immobiliers, lorsqu’il est possible de la retenir, sur les autres qualifications employées par le modèle de convention pour saisir les revenus d’activités, notamment les revenus d’entreprises[6] .

 

L’exigence d’un lien suffisamment étroit entre le revenu et l’immeuble susceptible d’en constituer la source nous semble d’ailleurs se manifester dans votre jurisprudence. Pour l’application de l’article 5 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB) par exemple, vous n’avez admis l’imposition par la France, en l’absence d’établissement stable d’une société britannique propriétaire d’un centre d’entraînement équestre situé sur le sol français, que des revenus «directement rattachables à  l’exploitation»  de  cet  immeuble  (CE 3° et 8° ch.-r., 31 juillet 2009, n° 296471, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1243EKA, RJF,  11/2009,  n°  979  avec  notre  chronique,  concl.  E.  Glaser au BDCF, 11/2009, n° 133). Dans l’affaire BNP-Paribas précitée, et pour l’application des mêmes stipulations, vous avez exclu la qualification de revenus immobiliers s’agissant de produits résultant d'opérations d'emprunt et de swaps de devises réalisées en vue de l'acquisition par une société française d'un bien immobilier situé à Londres, en relevant expressément qu’ils ne provenaient pas de l’exploitation de l’immeuble en cause. Relevons que le litige tranché par votre décision «Société DGFP Zeta» du 12 mars 2014  (CE 9° et 10° ch.-r., 12 mars 2014, n° 352212,  mentionné aux  tables  du  recueil Lebon N° Lexbase : A9161MGE, RJF, 6/2014, n° 550, concl. F. Aladjidi au BDCF, 6/2014, n° 53), dans laquelle vous avez admis, au contraire, la qualification de revenus immobiliers s’agissant de gains de change réalisés à l’occasion de la cession d’un immeuble, se présentait dans des termes sensiblement différents puisqu’il s’agissait d’appliquer les stipulations de l’article 5 de la convention franco-japonaise du 27 novembre 1964 (N° Lexbase : L6709BHX), assimilant aux revenus immobiliers les profits provenant de l'aliénation de biens immobiliers.

 

Il est temps d’en venir aux revenus en cause dans la présente affaire. Précisons d’emblée qu’il est constant que la société Orpavimob ne disposait, au cours des années en litige, d’aucun établissement stable en Belgique ni aux Pays-Bas.

 

2.1. S’agissant des revenus retirés de l’opération bruxelloise, aucun des moyens du pourvoi n’est de nature à infirmer l’analyse de la cour administrative d’appel.

 

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Orpavimob a acquis les créances détenues par des sociétés immobilières de droit belge sur la Commission européenne à raison de baux emphytéotiques que cette dernière avait conclus avec ces sociétés et portant sur plusieurs immeubles situés à Bruxelles. A ce titre, la société Orpavimob a perçu à leur échéance, en lieu et place des sociétés bailleresses, les loyers, dénommés «canons» en droit belge, versés annuellement par la Commission européenne. La société Orpavimob a également procédé en 2006 à la cession d’une partie de ces créances, dont elle a retiré des plus-values. L’administration fiscale, suivie par les juges du fond, a estimé que les revenus retirés de ces opérations, à savoir, d’une part, la différence entre les canons annuellement perçus par la société Orpavimob et l’amortissement annuel des créances qu’elle avait acquises, d’autre part, les plus-values réalisées lors de la cession de certaines de ces créances, ne revêtaient pas le caractère de revenus immobiliers au sens des stipulations de l’article 3 de la convention franco-belge.

 

La cour administrative d’appel a relevé en substance, pour confirmer cette analyse, qu’alors même que les canons d'emphytéose étaient des revenus de biens immobiliers tant en droit civil belge qu’en droit civil français, l’acquisition par la société Orpavimob du droit de les encaisser était restée sans effet sur les obligations des sociétés bailleresses à l’égard de l’emphytéote - la Commission européenne. Autrement dit, l’acquisition par Orpavimob du droit d’encaisser les canons non encore échus ne s’était pas traduite par le transfert à son profit d’un droit sur les immeubles -seulement d’un droit au paiement des montants dus par l’emphytéote-, sans qu’ait d’incidence sur ce point, a précisé la cour, la circonstance que les sociétés bailleresses n’avaient pas garanti Orpavimob contre le risque d’insolvabilité de l’emphytéote[7]. Nous n’avons pas de doute, au vu de ces constatations souveraines et d’ailleurs non argüées de dénaturation, que l’acquisition des créances par Orpavimob s’analysait comme une opération purement financière consistant pour celle-ci à octroyer aux sociétés bailleresses un financement, rémunéré par la différence entre le total des montants des canons annuels et le prix d’acquisition des créances.

 

A l’appui de sa critique des motifs de l’arrêt attaqué, la société fait valoir que la cour administrative d’appel aurait omis de répondre à un moyen -en réalité, un simple argument- tiré de ce que la cession d’une créance n’en change pas la nature. Mais la cour a pris en compte cet argument en relevant que les canons avaient la nature de revenus de biens immobiliers. La société reproche aussi à la cour d’avoir, selon elle, ajouté aux stipulations de la convention fiscale franco-belge en relevant que la cession des créances sur les canons était restée sans effet sur les droits réels détenus par les sociétés bailleresses propriétaires des immeubles. Mais si la cour a mentionné des droits réels, c’est seulement par égard pour les circonstances de l’espèce ; en réalité -nous l’avons dit- elle a jugé, plus radicalement, que les cessions de créances en cause n’avaient pas porté sur des droits immobiliers.

 

Et cela nous semble parfaitement exact, contrairement à ce que soutient la société au travers de la seconde branche du moyen d’erreur de droit qu’elle soulève. Il est bien certain, comme le pourvoi y insiste à l’envi, que la cession de créance est en principe une opération translative qui ne modifie pas la nature juridique de la créance cédée (voyez par exemple, cités par le pourvoi, Cass. 3 civ. 6 juin 1968, Bull. civ. III n° 260 ou TC 18 octobre 1999, «SA Cussenot Matériaux», n° 03130, au Recueil p. 475[8]). Mais la circonstance qu’Orpavimob ait acquis des créances de loyers ne confère pas à ces créances la nature de droits immobiliers. Ce seul motif suffit, à nos yeux, à refuser aux produits retirés de l’opération d’acquisition de ces créances la qualification de revenus immobiliers. Mériteraient en revanche certainement cette qualification les sommes reçues d’Orpavimob par les sociétés bailleresses en contrepartie de la cession de leurs droits au paiement des canons dus par l’emphytéote, les sommes en question trouvant leur origine dans l’exploitation par ces sociétés de biens immobiliers (voyez en ce sens, rendue pour l’application du droit interne mais dans une configuration qui n’est pas dénuée de toute analogie avec celle en cause dans la présente affaire, votre décision CE 9° et 10° ch.-r., 30 juillet 2010, n° 314596, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9289E78,  RJF, 11/2010, n° 1026).

 

2.2. S’agissant des revenus retirés de l’opération néerlandaise, il y a matière à hésiter un peu plus.

 

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Orpavimob a conclu le 14 février 2007, avec différentes filiales du groupe bancaire ING, toutes établies aux Pays-Bas, deux séries de contrats, dits de «lease» et «lease back». La première série de contrats prévoyait la prise à bail par la société Orpavimob, pour des durées comprises entre 5 et 48 ans, d’immeubles situés aux Pays-Bas dont les filiales du groupe ING étaient propriétaires, moyennant le versement d’une «prime initiale» d’un montant d’un peu plus de 400 millions d’euros représentant la quasi-totalité des loyers, et l'engagement de verser un reliquat annuel de 100 euros par immeuble. La seconde série de contrats prévoyait la sous- location par la société Orpavimob de ces mêmes immeubles à ces mêmes filiales du groupe ING, pour des durées équivalentes à celles prévues dans la première série de contrats, moyennant le versement de loyers annuels pour un montant d’un peu plus de 24 millions d’euros. Dès la fin de l'année 2007, les filiales du groupe ING ont cédé certains des immeubles en cause à des tiers, en remboursant à cette occasion à la société Orpavimob une partie de la prime initiale acquittée par celle-ci et en lui versant une indemnité de résiliation anticipée. L’administration, suivie là aussi par les juges du fond, a estimé que les revenus retirés de ces opérations, à savoir la différence entre, d’une part, les sous-loyers annuellement perçus par la société Orpavimob et, d’autre part, le montant résultant de l’addition de la prime initiale acquittée par celle-ci, diminuée des remboursements partiels intervenus dès 2007 et étalée sur la durée des contrats, avec les loyers résiduels versés annuellement par Orpavimob, ne revêtaient pas le caractère de revenus immobiliers au sens des stipulations de l’article 6 de la convention fiscale franco-néerlandaise.

 

La cour administrative d’appel s’est appuyée, pour confirmer cette analyse, sur un faisceau d’indices, dont le principal tient à ce que la conclusion de la première série de contrats -les contrats de location- était subordonnée à la conclusion de la seconde série de contrats -les contrats de sous-location- à des conditions prédéfinies s’agissant de l’identité des preneurs, du prix et de la durée. A cet égard, elle a notamment relevé que ces contrats ne laissaient pas la possibilité de sous-louer l’immeuble à une entité autre qu’une des filiales d’ING tandis que ces dernières pouvaient demander à la société Orpavimob de leur transférer les droits et obligations nés des contrats de location. La cour a également observé, d’une part, que les autorités néerlandaises avaient analysé l’opération litigieuse comme participant d’une transaction de financement, sans transfert d'immeubles ni de droits immobiliers, lesquels étaient demeurés inscrits à l'actif des filiales d’ING, avant comme après la signature des deux séries de contrats, d’autre part, qu'il n’était pas contesté que les filiales d'ING avaient enregistré dans leurs comptes les sommes versées à la société Orpavimob comme des paiements d'intérêts et comme des remboursements. La cour a déduit de tout cela que les opérations réalisées entre la société Orpavimob et les filiales du groupe ING devaient s’analyser comme une opération unique de financement ne poursuivant aucune finalité immobilière. Autrement dit, la cour a jugé que, là aussi, et alors même que les contrats conclus portaient sur des droits immobiliers, l’ensemble contractuel constitué par les deux séries de contrats n’avait ni pour objet ni pour effet de permettre à Orpavimob d’exploiter les immeubles dont les filiales d’ING étaient propriétaires, mais d’accorder à ces dernières des prêts et de garantir leur rémunération ainsi que leur remboursement.

 

A l’appui de sa critique sur ce point de l’arrêt attaqué, la société commence par une adresse vous invitant à resserrer votre contrôle, en tant que juge de cassation, sur les motifs par lesquels les juges du fond prennent en compte, pour l’application de la loi fiscale française et des conventions fiscales bilatérales, le droit étranger : elle plaide sur ce point pour un contrôle de qualification juridique des faits. Un tel contrôle nous paraît cependant en principe exclu, dès lors que votre office de juge de cassation n’est pas d’assurer l’application uniforme, sur l’ensemble du territoire national, de droits étrangers mais celle des seules règles de l’ordre juridique français - y compris bien sûr les conventions internationales qui lient notre pays. A cet égard, c’est très justement, à notre avis, que vous regardez les règles issues de droits étrangers, en principe, comme de simples éléments factuels. Ces règles sont certes indispensables pour qualifier correctement un objet de droit étranger au regard du corpus juridique interne mais ce que vous devez contrôler étroitement, le cas échéant, en tant que juge de cassation, c’est bien cette seule qualification. Observons, au demeurant, que la société requérante ne conteste pas tant, dans son pourvoi, l’interprétation faite par la cour d’une règle de droit étrangère que la portée qu’elle a donnée aux stipulations des contrats conclus par la société Orpavimob.

 

Ce plaidoyer mis à part, le pourvoi fait valoir tout d’abord que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en se fondant exclusivement, pour refuser aux revenus litigieux la qualification de revenus immobiliers, sur les modalités d’enregistrement en comptabilité, par les filiales du groupe ING, des versements auxquels les contrats ont donné lieu - donc sur le droit comptable étranger. Il y aurait certainement erreur de droit si la cour avait procédé ainsi (voyez sur ce point, citée par le pourvoi, CE 9° et 10° ch.-r., 31 mars 2017, n° 383129, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0445UTN, RJF, 6/2017, n° 539). Mais ce n’est nullement le cas puisque la cour, nous l’avons dit, s’est fondée sur un faisceau d’indices.

 

Le pourvoi soulève ensuite des moyens de dénaturation à l’encontre de la lecture faite par la cour administrative d’appel des stipulations des contrats conclus par la société Orpavimob. Tout d’abord, selon le pourvoi, contrairement à ce qu’a jugé la cour, ce sont les contrats de sous-location qui étaient subordonnés aux contrats de location, et non l’inverse. Mais la critique nous semble de peu de portée : tout ce qu’a voulu signifier la cour, et tout ce qui compte, c’est que les deux séries de contrats étaient étroitement liées, et que les premiers n’auraient pas été signés en l’absence des seconds. Le pourvoi conteste aussi le motif de l’arrêt selon lequel les contrats ne laissaient pas à Orpavimob la possibilité de sous-louer l’immeuble à une entité autre qu’une filiale d’ING, en se prévalant de la clause 6.4. (b) d’un contrat dénommé «Participation Agreement». Toutefois, d’une part, ce contrat est invoqué par la société et produit pour la première fois en cassation[9], de sorte que vous ne pouvez le prendre en compte pour apprécier le bien-fondé de l’arrêt attaqué. D’autre part et en tout état de cause, la clause en question, incluse dans un contrat lui aussi conclu le 14 février 2007 et qui servait de cadre commun aux deux séries de contrats dont il a déjà été question, n’a pas une portée telle qu’elle puisse conduire à remettre en question la lecture faite par la cour administrative d’appel[10] . Il n’y a pas lieu non plus de s’attarder sur la contestation, toujours sous l’angle de la dénaturation, du motif selon lequel les filiales d’ING pouvaient demander à la société Orpavimob de leur transférer les droits et obligations nés des contrats de location - il signifie simplement, au vu de la clause mentionnée par la cour, que les contrats pouvaient être transférés d’une filiale d’ING à une autre.

 

Les critiques précisément énoncées par le pourvoi s’arrêtent là ; pour le reste, on comprend que la société requérante ne partage pas l’analyse de l’opération à laquelle s’est livrée la cour. Toutefois, d’une part, s’agissant d’analyser l’exacte portée d’un contrat au regard de la loi fiscale nationale, vous reconnaissez au juge de l’impôt, indépendamment de la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit, un large pouvoir de requalification de ses stipulations (voyez CE 3° et 8° ch.-r., 17 novembre 2010, n° 318048, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6664GN7, RJF, 3/2011, n° 355,  concl.  E.  Cortot-Boucher au BDCF, 3/2011, n° 37[11]). D’autre part, vous avez admis récemment que, même lorsqu’une convention fiscale bilatérale ne prévoit pas expressément l’hypothèse de la fraude à la loi, elle ne peut être lue comme excluant que l’administration fiscale use de la faculté de sanctionner un abus de droit au regard de ses stipulations (CE Plénière, 25 octobre 2017, n° 396954, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4471WXU, RJF, 1/2018, n° 70) - ce qui implique, c’est un a fortiori, qu’elle peut également procéder à la requalification d’un contrat au regard d’une convention fiscale. En procédant, dans la présente affaire, à une requalification de l’ensemble contractuel auquel la société Orpavimob était partie au vu des stipulations de l’article 6 de la convention fiscale franco-néerlandaise, la cour administrative d’appel n’a pas excédé les pouvoirs du juge de l’impôt. Et la conclusion à laquelle elle est parvenue nous semble exacte : alors même que des droits immobiliers ont bel et bien été transférés des filiales d’ING à la société Orpavimob, cette dernière ne disposait, sauf défaut non seulement des filiales d’ING mais aussi du groupe ING lui-même dans l’exécution de leurs obligations contractuelles, d’aucune marge de manœuvre pour les exploiter[12] ; de sorte que les revenus retirés de cette opération ne pouvaient être  regardés, ainsi que la cour administrative d’appel l’a jugé, comme des revenus provenant de l’exploitation de biens immobiliers.

 

Par ces motifs -et étant observé qu’aucune des autres stipulations des conventions fiscales bilatérales applicables ne fait obstacle à l’imposition en France des sommes en litige- nous concluons au rejet du pourvoi.

 

 

 

 

 

[1] TA Montreuil, 14 octobre 2014, Société générale, n° 1202270, C, paru à la RJF, 5/2015, n° 425 ainsi qu’à Droit fiscal n° 15, 9 avril 2015, comm. 264, note E. Topin. Le second jugement, du 9 février 2015 (n° 1300881, C), rendu par une autre chambre du même tribunal administratif, n’est pas motivé de manière strictement identique mais l’analyse est convergente.

[2] Par exemple, pour la qualification de sommes versées par une société française à ses filiales établies au Portugal et constituées selon le droit portugais, CE Contentieux, 7 septembre 2009, n° 303560, mentionné aux tables du recueil (N° Lexbase : A8912EKB), RJF 12/2009, n° 1068.

[3] Projet de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune, rapport du Comité fiscal, OCDE, Paris, 1963.

[4] Sur la prise en compte de ces commentaires, voir notamment, CE Contentieux, 27 juillet 2001, n° 215124, mentionné aux tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A5127AUG), RJF, 11/2001, n° 1428, concl. G. Goulard, au BDCF, 11/2001, n° 140 ; CE Contentieux, 30 décembre 2003, n° 233894, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6487DAI), RJF, 3/2004, n° 238 ; voir aussi de manière plus générale, sur cette question, l’étude de Ph. Martin intitulée «L’interprétation des conventions fiscales internationales», in Revue de droit fiscal n° 24, 13 juin 2013, 320.

[5] Cette précision figure toujours dans la version actuelle de ce commentaire de la convention modèle.

[6] Ce commentaire de la convention modèle a par la suite été amendé mais sans que cela aboutisse à en modifier l’objet.

[7] Risque faible en l’espèce, s’il en était !

[8] Décision du Tribunal des conflits tranchant la question de la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action du cessionnaire d’une créance née d’un marché de travaux publics.

[9] Et par ailleurs, sans être accompagné de sa traduction en français.

[10] Telle que nous la comprenons, cette clause n’autorise Orpavimob à sous-louer les immeubles en se passant de l’accord préalable des filiales d’ING propriétaires que dans l’hypothèse où le groupe ING lui-même se retrouve en grande difficulté financière ou fait défaut dans l’exécution de la clause 8.1. (a) du Participation Agreement, selon laquelle ING garantit l’accomplissement par ses filiales de toutes leurs obligations découlant des contrats.

[11] Voir également, avant cela, CE 8° et 3° ch.-r., 30 juillet 2003, n° 232004, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2423C9M), RJF, 11/2003, n° 1273, concl. P. Collin, au BDCF, 11/2003, n° 144.

[12] Si nous saisissons bien l’économie de l’ensemble contractuel, les droits immobiliers dont il s’agit y jouaient un rôle de garantie en tout dernier recours des sommes dues à Orpavimob : à supposer qu’ING fasse défaut dans l’exécution de la garantie globale prévue par la clause 8.1. (a) du Participation Agreement -hypothèse peu probable au demeurant-, Orpavimob se voyait reconnaître alors, mais alors seulement, une latitude pour exploiter les immeubles pris en location.

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[Panorama] Panorama de droit des sûretés (septembre 2018 - janvier 2019)

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N7636BX4

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 13 Février 2019

L’objectif de ce panorama est de fournir aux lecteurs quelques observations sur des décisions ou des dispositions législatives qui n’ont pu faire l’objet de commentaires dans les colonnes de l’édition Affaires de Lexbase Hebdo. Ce panorama porte sur le second semestre 2018 (juillet-janvier).

 

En préambule, un point d’actualité de la réforme du droit des sûretés s’impose. Nous signalions lors de la précédente livraison de ce panorama le projet de loi «PACTE» (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), présenté le 18 juin 2018 en Conseil des ministres, dont l’article 16 habilite le Gouvernement à réaliser par voie d’ordonnance une réforme du droit des sûretés. L’Assemblée nationale a adopté le projet en première lecture le 9 octobre 2018, l’article 16 ayant fait l’objet d’une discussion stérile et inutile (première séance du 28 septembre 2018). Le Sénat a lui aussi adopté l’article 16 le 31 janvier 2019, en ajoutant même un alinéa au texte, pour étendre l’habilitation donnée au Gouvernement. La réforme pourra ainsi également «Consacrer et organiser dans le Code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie».

 

Au point de vue jurisprudentiel, une fois n’est pas coutume, le second semestre 2018, outre le contentieux habituel relatif au cautionnement, a connu un certain nombre d’arrêts intéressants en matière de sûretés réelles.

I - Sûretés personnelles

 

A - Cautionnement

 

Dol. L’annulation d’un contrat de cautionnement sur le fondement du dol n’est pas des plus courantes. La raison en est que les manoeuvres, le mensonge ou la réticence doivent émaner du cocontractant (C. civ., art. 1137 N° Lexbase : L1978LKH avec les limites de l’article 1138 N° Lexbase : L0853KZM), c’est-à-dire, dans le cautionnement, du créancier. Or, bien souvent, le mensonge ou la réticence émanent plutôt du débiteur principal, qui a besoin de la caution pour obtenir son crédit. Les hypothèses de dol peuvent néanmoins se rencontrer, notamment lorsque le créancier a obtenu le cautionnement dans le seul but de disposer d’un débiteur solvable. Tel est le cas dans cet arrêt (Cass. com., 4 juillet 2018, n° 16-21.743 et 16-21.787, F-D N° Lexbase : A5652XXM), dans lequel la Cour de cassation reproche aux juges d’appel (CA Fort-de-France, 3 mai 2016, n° 14/00608 N° Lexbase : A8590RM4) de ne pas avoir recherché si l’établissement de crédit ne s’était pas fait consentir les cautionnements litigieux dans le seul but d'adjoindre au débiteur principal, dont il connaissait la situation financière fragile, de nouveaux débiteurs (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E7547E9E).

 

Mentions manuscrites, notion de créancier professionnel. Pour une fois, peu de décisions en matière de mentions manuscrites sont à relever. Un arrêt de la cour d’appel de Paris mérite néanmoins l’attention (CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 13 septembre 2018, n° 17/01621 N° Lexbase : A4673X4T). Une société fait l’objet d’une procédure collective. Le tribunal de commerce a arrêté un plan de redressement par continuation de l’entreprise sous la condition du cautionnement de son dirigeant. Après le prononcé de la résolution du plan d’apurement du passif et la liquidation judiciaire de la société, le liquidateur a poursuivi la caution en paiement. L’intérêt de l’arrêt consiste en ce qu’il fait application du droit de la consommation. En effet, il qualifie le créancier, en l’occurrence, le mandataire judiciaire, de créancier professionnel. La cour d’appel considère que les créances figurant dans le plan d’apurement du passif sont l’objet même de l’exercice de sa profession. Elle en déduit que l’acte de cautionnement aurait dû comporter les mentions manuscrites imposées par les textes (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E7184E9X).

 

Proportionnalité. Une solution apparemment inédite a retenu que le défaut de proportionnalité de l’engagement peut être opposé par la caution personne physique à son cofidéjusseur créancier professionnel (Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-17.903, FS-P+B N° Lexbase : A2007X8T). Des personnes physiques et la société Crédit logement s’étaient portées caution d’un prêt immobilier. Après avoir réglé la dette, la société a exercé son recours contre ses cofidéjusseurs, qui lui ont opposé la disproportion. La cour d’appel (CA Nîmes, 9 mars 2017, n° 16/00379 N° Lexbase : A5068WPE) avait admis le recours, en estimant que les cautions personnes physiques ne pouvaient «opposer à leur cofidéjusseur, qui exerce son recours personnel, les exceptions purement personnelles aux cautions dans leurs rapports avec le prêteur, telle que la disproportion manifeste de leur engagement». La solution était en adéquation avec les solutions admises en matière d’opposabilité des exceptions personnelles entre cofidéjusseurs. La Cour de cassation censure ce raisonnement, en décidant que la sanction de la disproportion prive le cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire. La solution s’explique aisément : la caution professionnelle qui exerce son recours contre ses cofidéjusseurs personnes physiques est placée dans la situation d’un créancier professionnel. Elle relève donc de l’article L. 332-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1162K78). En outre, la solution inverse aurait abouti à vider ce texte de sa substance, en présence d’une caution professionnelle : le créancier préfère agir contre celle-ci, pour éviter l’argument tiré de la disproportion. Si la caution professionnelle disposait ensuite du droit d’agir contre ses cofidéjusseurs personnes physiques malgré la disproportion, la protection mise en place par l’article L. 332-1 serait rendue inefficace (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E7179E9R).

 

Plus classiques sont les décisions qui statuent sur les éléments à prendre en considération pour apprécier le caractère disproportionné d’un cautionnement. Dans un premier arrêt (Cass. com., 5 septembre 2018, n° 16-25.185, FS-P+B N° Lexbase : A7215X3M), la Cour de cassation se prononce sur les revenus à prendre en compte. Depuis quelques années, elle estime que les revenus escomptés de l’opération garantie ne doivent pas être pris en considération pour apprécier la disproportion. En revanche, elle décide dans cet arrêt qu’il doit être tenu compte des revenus réguliers perçus par la caution jusqu'à la date de son engagement, quand bien même ceux-ci proviendraient de la société dont les engagements sont garantis par le cautionnement. La solution est parfaitement fondée : dès lors que les revenus ont été perçus, il importe peu qu’ils émanent du débiteur principal ou d’un tiers. Décider du contraire reviendrait à rendre disproportionnés quasiment tous les cautionnements fournis par des dirigeants sociaux (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E2227GAQ) !

 

Dans une seconde décision (Cass. com., 17 octobre 2018, n° 17-21.857, FS-P+B+I N° Lexbase : A3858YGY), la Cour confirme que la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée doit s’apprécier en considération de son endettement global, y compris celui résultant d'autres engagements de caution. En l’espèce, la caution était déjà poursuivie en paiement par un autre créancier. Ce cautionnement devait être pris en considération pour déterminer le passif de la caution. La solution n’est pas nouvelle : la Cour de cassation a déjà pu décider que les autres cautionnements souscrits par la caution doivent être retenus, même s’il s’agit de dettes «éventuelles» [1], et même si ces cautionnements ont été déclarés disproportionnés [2] (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E2227GAQ).

 

B - Autres sûretés personnelles

 

Garantie autonome. Depuis déjà de nombreuses années, le contentieux relatif à la garantie autonome est surtout un contentieux portant sur la qualification de l’acte. Un arrêt récent (Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-21.279, F-P+B N° Lexbase : A9762YU4) n’échappe pas à cette idée, mais il a le mérite d’ajouter un aspect intéressant. La Cour commence par la qualification du contrat. Comme souvent, le garant sollicitait la requalification en cautionnement, afin de reprocher à l’acte le non-respect de certaines conditions propres à ce contrat. La Cour confirme la qualification de garantie autonome retenue par les juges du fond (CA Toulouse, 29 mars 2017, n° 15/06295 N° Lexbase : A6873UNU), en énumérant les éléments susceptibles de la fonder : mention d’un engagement autonome et indépendant, engagement à payer dès réception d’une demande de paiement du bénéficiaire par lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la défaillance du donneur d’ordre, «étant bien entendu que l’effectivité ou le bien-fondé du manquement dénoncé est totalement indifférent à l’exécution de [l’]engagement de garantie», et interdiction d’opposer une quelconque nullité, exception, objection, ou fin de non-recevoir tirée du contrat de base. La Cour en conclut, comme la cour d’appel, que l’engagement du garant «n’avait pas pour objet la propre dette du débiteur mais s’analysait en un appel motivé par l'inexécution par le débiteur de ses obligations, de sorte que le garant, à réception de cette demande, ne pouvait en différer le paiement ni soulever de contestation pour quelque motif que ce soit». Si l’arrêt semble fondé sur ce point, il convient toutefois de relever qu’il est hasardeux, pour les contractants, de faire référence à la défaillance du donneur d’ordre (ou à l’inexécution de ses obligations). Une telle référence peut en effet laisser penser que l’engagement n’est qu’accessoire, ce qui justifierait une requalification en cautionnement.

L’arrêt poursuit sur la question du devoir de mise en garde. Le garant soutenait ne pas être un contractant averti, et donc être créancier d’un devoir de mise en garde. La Cour, tirant les conséquences de la qualification de l’acte, n’a même pas besoin de s’intéresser au caractère averti ou profane du garant : elle retient simplement que le créancier bénéficiaire d’une garantie autonome n’est débiteur d’aucune obligation de mise en garde à l'égard du garant. La solution est pleinement justifiée. La jurisprudence a mis à la charge du créancier un devoir de mise en garde de la caution, calqué sur celui reconnu à l’emprunteur. Mais seule la caution en profite. Un tel devoir de mise en garde ne saurait profiter au garant (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E8044D3C et N° Lexbase : E7459CDM).

 

II - Sûretés réelles

 

Hypothèque, pacte commissoire. Le pacte commissoire, libéralisé depuis l’ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH), est la clause d’un contrat de sûreté réelle qui stipule que le créancier deviendra de plein droit propriétaire du bien grevé en cas de défaut de paiement par le débiteur. En cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur, le créancier peut-il faire jouer son pacte commissoire, et donc demander l’attribution du bien ? La Cour de cassation avait déjà répondu par la négative [3]. Elle vient de confirmer cette solution (Cass. com., 19 septembre 2018, n° 17-14.964, F-D N° Lexbase : A6426X77). L’article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT) interdit toute action visant au paiement d’une somme d’argent. Or, la demande d'un créancier hypothécaire impayé tendant à ce que l'immeuble grevé lui demeure en paiement, sur le fondement d’un pacte commissoire, tend au paiement d'une somme d’argent. Par conséquent, la demande d'attribution judiciaire de l'immeuble hypothéqué est irrecevable. Il n’en va différemment que lorsqu’un texte spécial autorise une telle demande, comme pour le gage (C. com., art. L. 642-20-1, al. 2 N° Lexbase : L3466ICD ; cf. l’Ouvrage «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E5086EUW).

 

Hypothèque judiciaire conservatoire. La Cour de cassation a eu l’occasion d’opérer un petit rappel des conditions des sûretés judiciaires et, plus largement, des mesures conservatoires (Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, n° 17-21.069 N° Lexbase : A7111X3R). Une caisse d’épargne avait inscrit, sur le fondement de deux actes notariés, une hypothèque provisoire sur les parts de son débiteur dans un immeuble. Celui-ci, contestant le montant de la créance, a soulevé la nullité de cette inscription. La Cour de cassation rappelle une règle très simple, contenue dans l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5913IRG) : la mesure conservatoire, qu’il s’agisse d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire, ne nécessite qu’une créance paraissant fondée en son principe. Le juge de l’exécution n’a donc pas à statuer sur la réalité de la créance, ni à en fixer le montant (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E8431EPX).

 

Gage d’instruments financiers. Le gage d’instruments financiers n’existe plus aujourd’hui, du moins sous cette expression. Depuis l’ordonnance du 8 janvier 2009 (ordonnance n° 2009-15 N° Lexbase : L4604ICI), les parties concluent désormais un nantissement de comptes-titres. Il existe néanmoins encore des dossiers dans lesquels la sûreté avait été conclue avant cette réforme, ainsi qu’en atteste un arrêt récent (Cass. com., 23 janvier 2019, n° 16-20.582, FP-P+B+R N° Lexbase : A3182YUE). Après leur divorce, l’ex-époux avait mis en gage son plan d’épargne en actions, en garantie de sommes dont il était redevable envers son ex-épouse. Cette dernière, considérant que la banque avait engagé sa responsabilité envers elle en ignorant les termes de la sûreté, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts. Le formalisme requis par l’article D. 431-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4338HCN) alors applicable (mais son contenu est repris par l’actuel art. D. 211-10 du même code N° Lexbase : L6671LNE), qui énumère les éléments qui doivent figurer dans la déclaration, datée et signée, de gage n’avait pas été respecté. La cour d’appel (CA Chambéry, 17 mai 2016, n° 14/01691 N° Lexbase : A5217RPW) ne déboute pas pour autant la créancière, en estimant que «les exigences de forme de ce texte ne sont pas prescrites à peine de nullité et l'acte de signification était suffisamment précis pour permettre à la banque de déterminer qu'il s'agissait bien d'un gage et d'identifier les titres gagés». La Cour de cassation casse cette décision, car la déclaration de gage imposée par les textes est sanctionnée par l’inopposabilité de la sûreté à l’établissement bancaire (cf. l’Ouvrage «Droit des sûretés» N° Lexbase : E8066XTW).

 

Droit de rétention. La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt intéressant au sujet du droit de rétention (Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.223, F-P+B N° Lexbase : A9808YUS). Un couple avait acquis une maison à usage d’habitation, pour y loger leur fille. La vente est par la suite annulée pour dol, le jugement ordonnant les habituelles restitutions et condamnant le vendeur au paiement de dommages et intérêts. Lorsque le vendeur fut placé en liquidation judiciaire, les acheteurs ont déclaré leur créance de restitution du prix. Le liquidateur les a assignés, ainsi que leur fille, pour voir juger qu'ils ne disposent d'aucun droit de rétention, sont occupants sans droit, ni titre de l'immeuble et voir ordonner leur expulsion et le paiement d'une indemnité d’occupation. Il a été débouté en appel (CA Toulouse, 3 juillet 2017, n° 16/03527 N° Lexbase : A9963WLL), au motif que les acheteurs étaient titulaires d’un droit de rétention sur l’immeuble, dans l’attente de la restitution du prix. L’argumentaire du liquidateur consistait principalement à invoquer l’extinction du droit de rétention, du fait du dessaisissement volontaire du créancier rétenteur, puisque ce ne sont pas les acheteurs qui occupaient l’immeuble. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle relève que les acheteurs détenaient les clés de l’immeuble, qu’ils l’assuraient, qu’ils s’y rendaient fréquemment, qu’ils avaient donné à leur fille «mandat d’occupation de l’immeuble», etc.. Elle en déduit que leur fille occupait l’immeuble du chef et pour le compte de ses parents, et que ces derniers ne s’étaient donc pas dessaisis de la détention du bien. Leur droit de rétention n’était pas éteint. 

Cette décision renouvelle quelque peu la question de la dépossession volontaire du créancier rétenteur, qui est la cause d’extinction du droit de rétention. Une jurisprudence constante considère qu’une dépossession volontaire peut laisser subsister le droit de rétention, si elle n’est que provisoire, par exemple pour faciliter des opérations d’expertise [4]. En revanche, le cas de la dépossession volontaire qui n’en est juridiquement pas une, car le tiers détient le bien pour le compte du créancier rétenteur, est plus rare (cf. l’Ouvrage  «Droit des sûretés» N° Lexbase : E8767EPE).  .

 


[1] Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-24.812, F-P+B (N° Lexbase : A9082KDQ), Gaz. Pal., 13 juin 2013, p. 16, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-23.489, F-P+B (N° Lexbase : A4530M9N).

[2] Cass. com., 29 septembre 2015, n° 13-24.568, F-P+B (N° Lexbase : A5564NSU).

[3] Cass. com., 28 juin 2017, n° 16-10591, F-P+B+I (N° Lexbase : A6375WKC), RTDCiv., 2017, p. 707, obs. P. Crocq.

[4] Cass. req., 19 juillet 1904, DP, 1906. 1. 9.

newsid:467636

Marchés publics

[Brèves] Dommages de travaux publics : pas d’engagement de la responsabilité du constructeur en cas de réception sans réserve sauf fraude avérée

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 6 février 2019, n° 414064, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4992YWS)

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N7603BXU

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par Yann Le Foll

Le 13 Février 2019

► En matière de dommages de travaux publics, la responsabilité du constructeur ne peut être engagée en cas de réception sans réserve sauf fraude avérée de celui-ci. Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 6 février 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 6 février 2019, n° 414064, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4992YWS).

 

Lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d'un dommage dû aux désordres affectant un ouvrage public, le constructeur de celui-ci est fondé, sauf clause contractuelle contraire, à demander à être garanti en totalité par le maître d'ouvrage dès lors que la réception des travaux à l'origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ni de la garantie décennale. Il n'en irait autrement que dans le cas où la réception n'aurait été acquise au constructeur qu'à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.

Dès lors, en rejetant les conclusions d'appel en garantie présentées par le constructeur contre le maître de l'ouvrage, au seul motif que celle-ci n'avait commis aucune faute contractuelle susceptible de fonder l'appel en garantie, alors même que la réception du chantier avait été prononcée avec effet au 1er juillet 2001, la cour administrative d’appel (CAA Nantes, 6 juillet 2017, n° 15NT02571 N° Lexbase : A5534WMW) a entaché son arrêt d'erreur de droit.

newsid:467603

Marchés publics

[Brèves] Pas de «clause Molière» si le titulaire du marché est en droit de recourir aux services d'un sous-traitant étranger

Réf. : CE 2° et 7 ch.-r., 8 février 2019, n° 420296, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6226YWI)

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N7639BX9

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par Yann Le Foll

Le 13 Février 2019

► Un article du cahier des clauses administratives particulières permettant au titulaire du marché "de recourir aux services d’un sous-traitant étranger", sans imposer "ni directement, ni indirectement, l’usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d’intervenir" ne permet pas de considérer une clause imposant la langue française "pour les opérations préalables à l’attribution du marché et pour son exécution" comme une "clause Molière" justifiant la suspension du contrat. Ainsi statue le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 8 février 2019 (CE 2° et 7 ch.-r., 8 février 2019, n° 420296, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6226YWI).

 

C’est donc à tort que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a soutenu, à l'appui de sa demande de suspension du marché, que les documents de la consultation du contrat en cause comportaient des dispositions imposant l'usage du français portant atteinte aux principes du droit de l'Union européenne de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et d'interdiction de discrimination en raison de la nationalité (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E7154E9T). 

newsid:467639

Procédure pénale

[Brèves] Droit des détenus au rapprochement familial : le Conseil constitutionnel censure l’absence de voie de recours contre une décision de refus de rapprochement familial d’un détenu prévenu

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019 (N° Lexbase : A6194YWC)

Lecture: 2 min

N7600BXR

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par June Perot

Le 13 Février 2019

► L’article 34 de la loi n° 2009-1436, du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : L9344IES) est contraire à la Constitution dans la mesure où il n’existe pas de recours juridictionnel effectif contre la décision administrative de refus de rapprochement familial d’un détenu qui est en attente, à l’issue de l’instruction, de sa comparution devant la juridiction de jugement.

 

Telle est la position adoptée par le Conseil constitutionnel dans une décision QPC rendue le 8 février 2019 (Cons. const., décision n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019 N° Lexbase : A6194YWC).

 

Le Conseil avait été saisi le 5 décembre 2018 par le Conseil d’Etat (CE 9° et 10° ch.-r., 5 décembre 2018, n° 424970, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1557YPD). La question était posée pour la section française de l’OIP.  

 

L’OIP faisait valoir que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle leur reproche, d'une part, de ne prévoir aucune voie de recours permettant au détenu prévenu de contester l'avis conforme par lequel l'autorité judiciaire peut s'opposer au bénéfice du rapprochement familial et, d'autre part, de ne pas préciser les motifs susceptibles de justifier cette opposition. Il en résulterait également une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale. Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d'une incompétence négative de nature à porter atteinte à ces mêmes droits.

 

Le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la QPC, que la décision administrative relative au rapprochement familial est nécessairement subordonnée à l'accord du magistrat judiciaire saisi du dossier de la procédure. Il en résulte également que, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision administrative de refus de rapprochement familial, d'exercer un contrôle de légalité sur celle-ci, il ne lui appartient pas de contrôler la régularité et le bien-fondé de l'avis défavorable du magistrat judiciaire qui en constitue, le cas échéant, le fondement.

 

Il en conclut donc que dans la mesure où aucune autre voie de recours ne permet de contester cet avis, il n'existe pas de recours juridictionnel effectif contre la décision administrative de refus de rapprochement familial lorsque celle-ci fait suite à l'avis défavorable du magistrat judiciaire.

 

Sur les effets de cette inconstitutionnalité, le Conseil énonce que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement de la possibilité d'obtenir un rapprochement familial. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives.

 

En conséquence, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de cette abrogation.

 

Le Conseil formule également une réserve transitoire. Il énonce qu’afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les avis défavorables pris sur le fondement des dispositions litigieuses par les magistrats judiciaires après la date de cette publication peuvent être contestés devant le président de la chambre de l'instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2774LBD).

newsid:467600

Procédures fiscales

[Brèves] Effets des décisions du Conseil constitutionnel sur les délais de réclamation

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 6 février 2019, avis n° 425509, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6211YWX)

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N7609BX4

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par Marie-Claire Sgarra

Le 13 Février 2019

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis mentionnés aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3311LCM), pour lesquels la deuxième phrase du c) de l'article R. 196-1 (N° Lexbase : L4380IXI) et du b) de l'article R. 196-2 (N° Lexbase : L4379IXH) du même Livre écarte la qualification d'événement constituant le point de départ d'un nouveau délai de réclamation ; toutefois, seuls doivent être regardés comme constituant le point de départ de ce délai les événements qui ont une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul ; une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), déclare inconstitutionnelle une disposition législative ou ne la déclare conforme à la Constitution que sous une réserve d'interprétation ne constitue pas, en elle-même, un tel événement susceptible d'ouvrir un nouveau délai de réclamation.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un avis du 6 février 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 6 février 2019, avis n° 425509, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6211YWX).

 

Le Conseil d'Etat complète sa jurisprudence en jugeant qu'il appartient au seul Conseil constitutionnel, lorsque, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l'imposition litigieuse ou ne l'a déclarée conforme à la Constitution que sous une réserve d'interprétation, de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.

 

Lorsque le Conseil constitutionnel précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige. Elle peut l'être aussi à l'appui de toute réclamation encore susceptible d'être formée eu égard aux délais fixés par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du Livre des procédures fiscales précités.

 

Ainsi, aucune des formulations actuellement retenues par le Conseil constitutionnel, lorsqu’il se prononce sur les effets de ses décisions, ne soit susceptible de constituer un événement de nature à ouvrir un nouveau délai de réclamation au contribuable.

 

newsid:467609

Responsabilité médicale

[Brèves] De la possibilité pour un tiers payeur d’exercer un recours subrogatoire contre l’EFS dans le cas d’une contamination par le virus de l’hépatite C

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 4 février 2019, n° 412729, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0006YW7)

Lecture: 2 min

N7598BXP

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par Laïla Bedja

Le 13 Février 2019

► Dans l'hypothèse où l'établissement ayant fabriqué le produit sanguin n'est pas le même que celui qui l'a distribué à l'établissement de santé qui a pratiqué la transfusion, ces deux établissements de transfusion sanguine doivent être regardés comme les fournisseurs du produit sanguin et sont, en conséquence, solidairement responsables des préjudices résultant de la contamination de ce produit ; le tiers payeur peut donc, dans cette hypothèse, exercer un recours subrogatoire contre l'EFS si l'un au moins des deux établissements remplit la condition de couverture assurantielle prévue par le dernier alinéa de l'article L. 1221-14 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7073IUI).

 

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 4 février 2019 (CE 5° et 6° ch.-r., 4 février 2019, n° 412729, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0006YW7).

 

Dans cette affaire, à la suite de la contamination d’un patient par le virus de l’hépatite C, après une transfusion sanguine au cours d’une opération chirurgicale au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, la caisse primaire d’assurance maladie a saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir le remboursement par l’Etablissement français du sang des débours exposés pour le compte du patient. Le tribunal et la cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 23 mai 2017, n° 16NC00060 N° Lexbase : A0154WEG) ayant accédé à ses demandes, l’EFS a formé un pourvoi en cassation.

 

Enonçant la solution précitée, le Conseil d’Etat rejette ce dernier. En effet, il ressort des conclusions des deux experts judiciaires ainsi que de l'enquête transfusionnelle réalisée le 15 janvier 2013 et produite par l'EFS devant la cour que les deux unités de concentré de globules rouges et l'unité de plasma frais congelé que le patient a reçues au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne en 1981 ont été distribuées à cet établissement par le centre de transfusion sanguine de Reims. Il en résulte que la cour administrative d’appel en retenant,  pour faire droit à l'action subrogatoire de la CPAM des Ardennes, que ce centre était le fournisseur des trois produits sanguins transfusés pour en déduire, après avoir souverainement relevé qu'il était assuré, que sa couverture d'assurance n'était pas épuisée et que le délai de validité de cette couverture n'était pas expiré, que l'EFS, héritier de ses obligations, n'était pas privé du bénéfice d'une couverture d'assurance, n’a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit (cf. l’Ouvrage «Droit médical», Les contaminations post-transfusionnelles N° Lexbase : E5409E7H).

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