La lettre juridique n°762 du 22 novembre 2018

La lettre juridique - Édition n°762

Avocats

[Evénement] Les avocats francophones se donnent rendez-vous à Lausanne - Questions à Monsieur le Bâtonnier du Barreau de Port-au-Prince, Haïti et Président de la CIB, Me Stanley Gaston

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N6405BXI

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Le 21 Novembre 2018

Mots-clés : congrès d’avocats • francophonie • modes alternatifs de résolution des conflits

 

Cet article est tiré de la Revue de l'avocat, édité par la FSA, et publié en septembre 2018 ; article signé par Elie Elkaim, Avocat, Lausanne, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats vaudois et Ema Bolomey, Avocate, Lausanne, Ancienne Secrétaire générale de l’Ordre des avocats vaudois

 

L’Ordre des avocats Vaudois, qui fête cette année son 120ème anniversaire, accueillera le 33ème Congrès de la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune francophone. Cette association de barreaux née d’une volonté de solidarité entre les avocats du monde, spécialement en faveur de ceux qui exercent la profession d’avocat dans des conditions hostiles, est souvent méconnue. 

I - La Conférence internationale des barreaux (CIB)

 

La Conférence internationale des barreaux est une organisation souvent méconnue par les avocats suisses. Pouvez-vous nous expliquer ses fondements et origines ?

 

La Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune, connue sous l’acronyme CIB, est née en 1985 dans le but de favoriser la coopération et les échanges entre les barreaux de culture de droit écrit et ayant le français en partage. Elle fait partie des 16 réseaux institutionnels de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

 

L’une des raisons qui pourrait expliquer le déficit de popularité de la CIB auprès des avocats suisses en particulier et plus généralement des avocats du nord vient du fait que, d’une part, pendant longtemps l’essentiel des activités de la CIB était concentré dans les barreaux du sud, avec notamment l’organisation de nombreux congrès annuels en Afrique de l’ouest et centrale ; d’autre part, à cause de certains facteurs historiques, les barreaux du sud ont perçu la CIB comme un instrument qui peut les accompagner pour donner plus de légitimité aux revendications concernant l’établissement et le renforcement de l’Etat de droit.

 

Quels sont les pays membres de la CIB ?

 

La CIB compte actuellement environ 120 barreaux membres provenant de quatre continents et répartis dans 45 pays :

 

Afrique : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, République du Congo, Congo RDC, Côte d’Ivoire, Djibouti, Egypte, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Rwanda, République Centre africaine, Sénégal, Îles Maurice, Seychelles, Tchad, Togo, Tunisie.

 

Amérique : Haïti, Guadeloupe/Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Guyane, Martinique, Louisiane (USA), Québec (Canada).

 

Asie : Cambodge, Laos, Liban, Syrie, Vietnam.

 

Europe : Arménie, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Roumanie, Suisse.

 

Quel a été le rôle joué par la Suisse au sein de la CIB ?

 

La Suisse est l’un des membres fondateurs de la CIB à travers le Bâtonnier de la Confédération Helvétique, représenté par Monsieur le Bâtonnier Dupont Willemin (Genève) et Monsieur Jacques Luthy représentant le Bâtonnier de Lausanne Maurice Rochat. Depuis la création de l’organisation, la Suisse a toujours soutenu les actions de la CIB et des avocats suisses sont membres du Conseil d’Administration.

 

L’initiative du Barreau Vaudois de se porter candidat en décembre 2016 à Yaoundé, Cameroun, en vue d’accueillir le 33e Congrès de la CIB, traduit la volonté de voir une appropriation de l’institution par les avocats du nord et aussi de faire découvrir les spécificités des barreaux suisses au monde francophone.

 

Pour la première fois depuis presque 15 ans, le Congrès de la CIB se tient en Europe. Que cela représente-t-il pour vous ?

 

Pendant longtemps, la CIB a organisé ses Congrès en Afrique. C’était nécessaire, car le continent africain représente la moitié des membres. Le 32ème Congrès organisé à Port-au-Prince, Haïti, dans les Caraïbes, sur le continent américain, a illustré la diversité de la CIB. Le retour de la CIB en Europe instaure une forme de rotation qui renforce davantage la diversité. C’est aussi une occasion de faire la promotion de la CIB auprès des avocats du nord et d’accroître la légitimité de l’organisation.

 

II - Les activités et engagements de la CIB à travers le temps

 

Quelles sont les principales activités de la CIB ?

 

La CIB œuvre dans les domaines :

 

- de l’établissement et le renforcement de l’Etat de droit ;

 

- de la primauté du droit et la protection des droits des justiciables ;

 

- du dialogue avec les pouvoirs publics pour améliorer l’environnement de travail de l’avocat ;

 

- de la préservation du secret professionnel, de la présomption d’innocence et des garanties indispensables à l’avocat dans le but de protéger les justiciables ;

 

- de la coopération et des échanges entre barreaux ;

 

- de la formation des avocats ;

 

- de la préservation de la famille romano-germanique et de la langue française ;

 

- de la promotion de la dignité humaine et des droits de l’Homme ;

 

- de la défense de la défense ;

 

- de la promotion des associations des jeunes avocats et l’encadrement des jeunes avocats ;

 

- de la lutte contre la corruption par l’implémentation de la Caisse de règlement pécuniaire des avocats (Carpa).

 

Que doit-on comprendre lorsque la CIB revendique de lutter pour la «défense de la défense» ?

 

L’avocat est au cœur des conflits sociaux. Il contribue à la lutte contre les abus de droit et l’arbitraire. Très souvent sa vie, son intégrité physique et sa liberté se trouvent menacées.

 

Pour assurer la défense de la défense, la CIB intervient aux côtés des barreaux, alerte les autorités publiques nationales et internationales afin d’obtenir le respect et la préservation des droits de l’avocat dans le but ultime de lui assurer les conditions idéales permettant la meilleure défense possible au profit des justiciables.

 

La CIB a également toujours exprimé un très fort engagement pour le respect des droits de l’Homme ; quelles sont quelques-unes des actions menées par la CIB à cet égard ?

 

La CIB a conscience que son action serait stérile si elle ne militait pas intensément pour les droits de l’Homme. A cet effet, dans une approche holistique, les actions tendent à sensibiliser les autorités publiques de tous les pays et leur population, mais aussi à s’engager dans des initiatives concrètes sur tous les continents. Aussi, en sus des actions individuelles de sauvegarde de tel ou tel confrère maltraité, la CIB exhorte ses membres à agir comme des sentinelles et à suivre la production législative pour s’assurer de la qualité des textes selon les standards universellement admis. Elle s’implique également à travers des cas emblématiques dans la défense de personnes victimes dans leurs droit et liberté.

 

Il convient aussi de souligner le rôle d’accompagnement qu’a eu la CIB lors de l’adoption en 2015 de la Constitution de la Tunisie. L’œuvre de nos confrères a valu à l’Ordre National tunisien de recevoir le prix Nobel de la paix avec d’autres représentants de la société civile.

 

L’accès à la justice est également l’une de vos préoccupations principales ; pourriez-vous nous en dire plus ?

 

L’accès à la justice représente le premier élément de tout un ordonnancement juridique visant la garantie des autres droits de l’individu, car tout droit a vocation à être judiciarisé, c’est-à-dire susceptible de revendication en justice.

 

Néanmoins des obstacles fondamentaux tels que le pullulement des textes législatifs, la spécialisation des procédures et le coût des services juridiques entravent l’accès à la justice. Pour y remédier, le Pro Bono et l’assistance juridique constituent des outils favorisant l’ouverture du Barreau vers le public et contribuent au soulagement des personnes en situation de vulnérabilité.

 

Ce sont aussi les défaillances de la justice, en de si nombreux endroits, qui nous ont incitées à consacrer le Congrès de Lausanne aux modes alternatifs de résolution des conflits.

 

Et qu’en est-il de la formation ? La CIB semble s’être fortement engagée pour améliorer les conditions de formation continue, notamment dans les pays d’Afrique.

 

La compétence et l’éthique demeurent les deux pierres angulaires de l’offre et de la qualité des services juridiques. La compétence s’appuie sur le recyclage de connaissances, la maîtrise des nouvelles théories juridiques et des nouveaux outils et la vulgarisation des textes législatifs. A travers la formation initiale et continue, l’obligation de compétence est garantie. Cependant, l’identification des expertises et le coût excessif des formations posent de sérieux problèmes aux barreaux du sud.

 

Grâce aux actions de la CIB et d’autres partenaires, un effort conséquent a été fait afin de rendre accessible la formation, sur des sujets d’actualité, aux avocats des barreaux membres.

 

Quels sont les prochains objectifs que la CIB s’est fixé ? Avez-vous des projets particuliers ?

 

La CIB continue à se remettre en cause dans le but d’être plus percutante dans ses actions et plus efficace dans ses objectifs. Ainsi, outre les réformes à l’interne en cours, elle s’inscrit dans une dynamique en vue d’être plus visible aux côtés des barreaux membres et de les assister en toutes circonstances.

 

Elle poursuit ses initiatives pour renforcer l’Etat de droit, la défense de la défense et accroître sa capacité à satisfaire la demande de formation continue.

 

Ayant compris que la corruption menace les fondements de l’Etat de droit, aggrave l’insécurité et met à mal les garanties d’exercice de la profession, la CIB incite ses membres à adopter les bonnes pratiques de gouvernance et de transparence et surtout à mettre en place une Caisse de règlement pécuniaire des avocats pour sécuriser les fonds des clients.

 

Enfin, la CIB cherche à constituer un réseau de cabinets dans les pays membres afin de faciliter les échanges, la circulation des avocats et la perspective d’élargir les champs de compétences pour mieux servir la clientèle.

 

III - Le 33ème Congrès de la CIB

 

Le Congrès aura lieu du 5 au 8 décembre 2018 à Lausanne : pourriez-vous nous en dire plus ?

 

La magnifique campagne de promotion entreprise par l’OAV sous l’impulsion de Monsieur le Bâtonnier Elie Elkaim rend les gens impatients de découvrir Lausanne, sa riche culture, sa gastronomie et certains de ses lieux mythiques.

 

Je ne suis pas étonné que plus de 700 avocats du monde entier se soient déjà inscrits.

 

Il s’agira de quatre jours de rencontre pour des activités scientifiques de haute qualité, mais aussi culturelles et ludiques. Pour cette année, un contingent plus important d’avocats des pays du nord est attendu, ce qui augure déjà une mosaïque de pratiques et de conceptions.

 

Les avocats du sud, annoncés très nombreux, vont réchauffer Lausanne. J’ai hâte de voir ce qu’indiquera le thermomètre au moment du 33ème Congrès.

 

Le thème annoncé pour ce congrès est «L’avocat du XXIème siècle et les modes de résolution des conflits» ; que peut-on attendre du programme scientifique de ce congrès ?

 

Le programme scientifique répondra aux attentes des congressistes tant dans sa conception que dans la prestation des intervenants. D’ores et déjà, il importe de souligner que le thème de ce 33ème Congrès a l’avantage de s’inscrire dans les enjeux des temps contemporains et de mettre en valeur une forme de justice qui tend à un allègement des procédures, à la confidentialité et à la réduction des délais et des coûts.

 

A qui destinez-vous cette formation ?

 

Le thème retenu pour le 33ème Congrès présente un intérêt pour tous les professionnels du droit (avocats, conseillers juridiques, juristes d’entreprises, magistrats, greffiers, huissiers, notaires…), les professeurs de droit et les étudiants.

 

Les avantages découlant des modes alternatifs de résolution des conflits font que les gens du monde des affaires et tous les justiciables y ont un intérêt.

 

Il existe également un «prélude» à ce congrès, destiné plus particulièrement aux jeunes avocats francophones du monde entier, intitulé le CIFAF. Qu’est-ce que le CIFAF ?

 

Le CIFAF est le sigle de l’institution dénommée «Centre international de formation en Afrique francophone». Il organise des formations à l’intention des avocats, africains en particulier mais pas exclusivement, et tient aussi une session de formation à l’occasion du Congrès annuel de la CIB. Le programme de cette session se réalise sur mesure en prenant en compte les besoins du Barreau d’accueil et d’autres thématiques indispensables à la formation de l’avocat.

 

Des activités culturelles et touristiques ont également été prévues pour faire découvrir Lausanne et la région aux nombreux participants ?

 

En effet, en parcourant le programme, il saute aux yeux que les organisateurs sont animés par le souci de faire découvrir Lausanne et le canton de Vaud. Tous les jours, une activité est prévue. Ce montage d’activités scientifiques, culturelles et touristiques permet de se distraire, d’apporter une note de gaieté à la rigueur et à la densité du programme scientifique. C’est aussi un bonus pour les accompagnants, qui ne feront pas nécessairement le déplacement pour l’aspect scientifique du Congrès.

 

Quels sont les échanges culturels que vous avez constatés entre avocats durant ces congrès ? La langue est certes un point d’attache qui relie l’ensemble de ces avocats, mais il existe certainement des valeurs communes à la profession, qui vont au-delà des frontières ?

 

Un Congrès annuel de la CIB réunit des avocats de divers continents. Au-delà de la langue, vecteur culturel par excellence, le droit continental ou écrit représente un creuset dans lequel les valeurs éthiques telles que l’indépendance, la confraternité, la solidarité, la délicatesse, le désintéressement et la loyauté s’affirment. Le souci d’une justice équitable susceptible de contribuer à la recherche du bien-être et du vivre-ensemble reste une préoccupation largement partagée.

 

Un mot de la fin ?

 

Organiser le 33ème Congrès de la CIB à Lausanne représente un défi qui est sur le point d’être merveilleusement relevé. Les avocats du sud feront le déplacement en nombre important et ambitionnent d’échanger avec les confrères helvétiques et d’Europe. La mobilisation de l’OAV, des jeunes avocats vaudois et l’enthousiasme du Bâtonnier Elie Elkaim laissent entrevoir que ce 33ème Congrès sera magnifique, extraordinaire ; j’encourage tous les avocats à s’y inscrire et à se préparer à des instants uniques de partage avec leurs confrères, tous des avocats du Monde.

 

 

 

 

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Avocats/Publicité

[Jurisprudence] La vitrine de l’avocat : suite et fin

Réf. : CE Contentieux, 3 octobre 2018, n° 406279 (N° Lexbase : A6611YGX)

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N6431BXH

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par Guillaume Royer Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 21 Novembre 2018

Mots-clefs :  Avocat • Publicité • Vitrine du cabinet d'avocat • Plaque professionnelle

 

Résumé : La «querelle des vitrines» semble avoir trouvé son épilogue devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt en date du 3 octobre 2018, il considère implicitement que la vitrine du cabinet d’avocat n’est pas assimilable à la plaque professionnelle. Il s’ensuit que les mentions apposées sur la vitrine ne constituent pas un support d’information objective, mais un support de publicité personnelle.

Le modèle économique du cabinet d’avocat est en plein bouleversement. Depuis quelques années, la société d’exercice libéral par actions simplifiée «AGN Avocats» ne cesse d’alimenter les chroniques de la presse judiciaire, mais également économique. Depuis sa création en 2012, cette société cherche à bousculer les repères de la Profession : elle se distingue sur le marché du conseil, de l’assistance et de la représentation juridiques par sa volonté de proposer au justiciable une offre décrite comme simplifiée, accessible et transparente. La société «AGN Avocats» a tissé un réseau d’agences franchisées qui sont généralement situées dans des rues fréquentées, en rez-de-chaussée. On ne peut pas les rater : elles exposent sur leurs vitrines les domaines d’intervention des avocats de la société en les représentant par des logos, affichant les tarifs forfaitaires pratiqués et proposant des services en ligne.

Ce sont justement ces vitrines qui ont attiré les foudres de plusieurs autorités ordinales, lesquelles posent plusieurs difficultés. Tout d’abord, la transparence de la devanture qui, située dans une rue très passante, serait de nature à compromettre le respect du secret professionnel posé en principe par l’article 2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8). Ensuite, les pictogrammes présents sur la vitrine ne correspondent généralement pas à des certificats de spécialisation délivrés aux avocats exploitant les agences "AGN", mais plutôt à des domaines d’activité. Sur ce dernier point, certaines autorités ordinales ont considéré que ces vitrines méconnaissaient les dispositions de l’article 10.6.2 du RIN. C’est dans ce contexte de feu nourri que l’Ordre des avocats d’Aix-en-Provence, de Toulouse et de Limoges ont ralenti ou empêché l’ouverture de ces structures franchisées suscitant alors un contentieux devant les juridictions civiles, mais également devant les juridictions administratives. Le raisonnement tenu par ces diverses autorités ordinales est simple : la vitrine du cabinet est assimilée à la plaque professionnelle. S’agissant d’un élément d’information objective de l’avocat, la sobriété est de mise…

Contestant cette assimilation de la vitrine à la plaque professionnelle, la SELAS «AGN» a demandé au Conseil national des barreaux d’abroger, le 6 octobre 2016, les mots «à la plaque professionnelle située à l'entrée de l'immeuble où est exercée l'activité du cabinet et» figurant à l'article 10.6.2 du RIN dans sa rédaction issue de la décision n° 2014-001 du 13 novembre 2014 portant réforme de ce règlement. Puisque la vitrine est assimilée à une plaque professionnelle, il fallait libéraliser l’austère régime juridique de la plaque professionnelle pour en faire un élément de publicité personnelle, et non plus un élément d’information objective. Le Conseil national des barreaux ayant implicitement rejeté cette demande, la SELAS «AGN» a saisi le Conseil d’Etat, lui demandant d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Conseil national des barreaux (CNB) sur la demande qu'elle lui a faite et d’enjoindre au Conseil national des barreaux d'abroger les mots litigieux, dans un délai de deux mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par une décision en date du 3 octobre 2018, le Conseil d’Etat a rejeté ce recours pour excès de pouvoirs aux termes d’une motivation dont l’interprétation est assez malaisée. Pourtant -et s’il nous est permis de lire entre les lignes sibyllines de l’arrêt- il semble que le Conseil d’Etat refuse d’assimiler la vitrine à une plaque professionnelle (I). La conséquence est très importante : la vitrine devient un support de publicité personnelle dont le régime juridique est nettement plus libéral que celui de l’information objective (II).

 

 

 

I - Nature autonome de la vitrine

 

La «querelle des vitrines» a peut-être trouvé son épilogue devant le Conseil d’Etat. Mais encore faut-il avancer avec une certaine prudence… L’arrêt relève ainsi que «contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées qu'elles étendent l'application des règles relatives à la correspondance de l'avocat aux plaques professionnelles et non aux vitrines des cabinets d'avocats. Les moyens dirigés contre l'article 10.6.2 en tant qu'il régirait ce type de support ne peuvent, dès lors, qu'être écartés comme inopérants». De prime abord, et comme l’indique Madame Pinat, dans d’autres colonnes, on peut regretter que «cette motivation laisse le commentateur dubitatif puisqu’en déplaçant le problème de la vitrine à la plaque professionnelle, le Conseil d’Etat va dérouler le reste de sa motivation sans jamais répondre clairement à la question de savoir si la société ‘AGN avocats’ peut afficher des domaines de spécialités sur sa vitrine en dépit de cette exigence» [1]. Mais il n’en demeure pas moins qu’une interprétation est possible. En effet, le moyen d’abrogation de l’article 10.6.2 présenté par la société AGN est considéré comme inopérant par le Conseil d’Etat. Or, la référence au mécanisme de l’opérance est fondamentale : est considéré comme inopérant, le moyen qui est non-susceptible d’influer sur la solution du litige.

Or, si la société «AGN» n’est pas en mesure de solliciter efficacement l’abrogation de l’article 10.6.2 du RIN, c’est précisément parce que ce texte… n’aborde pas, explicitement ou implicitement, la question de la vitrine du cabinet ! De la sorte, le Conseil d’Etat considère que l’article 10.6.2 du RIN ne serait d’aucun secours pour aborder la problématique de la vitrine. En cela, le Conseil d’Etat réfuterait -mais le conditionnel doit être de rigueur- l’analogie entre la plaque professionnelle et la vitrine. Par voie de conséquence, cela reviendrait à sceller le sort de deux importants avis rendus par la commission des règles et des usages du Conseil national des barreaux qui, en dates respectives du 16 mars 2015 et du 5 février 2016, ont estimé que les affichages et les vitrines des cabinets devaient être assimilés aux plaques professionnelles [2]. Et à supposer, comme semble le suggérer le Conseil d’Etat, que la vitrine du cabinet ne puisse être assimilée à la plaque professionnelle, c’est un régime juridique différent qui en découle.

 

 

II - Régime publicitaire de la vitrine

 

Il faut bien admettre que le débat portant sur la nature juridique autonome de la vitrine emporte des conséquences juridiques et économiques très importantes sur le modèle économique de la société «AGN» : la vitrine n’est plus considérée comme un support d’information objective, mais comme un support de communication publicitaire. Et c’est d’ailleurs ainsi que l’envisage la SELAS «AGN» avec ses devantures bleues et attractives qui en disent beaucoup plus que ne le permettrait la «plaque professionnelle» au sens de l’article 10.6.2 du RIN. En application de cette disposition, «les dispositions relatives à la correspondance postale ou électronique de l’avocat s’appliquent à la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et aux cartes de visite». Autrement dit, on ne peut en inscrire plus sur sa plaque professionnelle que sur son papier à entête. Or, les dispositions de l’article 10.6.1 du RIN sont particulièrement restrictives puisque l’information objective peut «présenter notamment, à la condition que les mentions aient un lien avec l’exercice de la profession d’avocat, l’organisation du cabinet, ses structures, les membres qui le composent ou qui y ont exercé» et aussi faire mention de «sa ou ses spécialisations régulièrement obtenues et non invalidées à l’exclusion de ses domaines d’activité». Très souvent les agences locales de la SELAS «AGN» ne pourraient se prévaloir des pictogrammes litigieux, puisque ceux-ci ne pourraient davantage apparaître sur la correspondance du cabinet… faute de certificat de spécialisation régulièrement obtenus par les franchisés.

En revanche, l’intégration de la vitrine au support publicitaire aboutit à l’application d’un régime nettement plus libéral. En effet, l’article 10.3 du RIN indique simplement que «la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession». Et, pour l’illustrer, le «Vade-mecum de la communication» publié par la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux précise que la publicité personnelle de l’avocat peut faire état «des domaines d’activité, juridiques ou judiciaires, réellement pratiquées, l’emploi, à cette occasion, des mots ‘spécialiste’, ‘spécialisé’, ‘spécialité’ ou ‘spécialisation’, ainsi que de tout symbole associé à ces mots, étant exclusivement réservé aux domaines d’activité pour lesquels l’avocat est titulaire d’un certificat de spécialisation régulièrement obtenu et non invalidé» [3]. La publicité personnelle peut rappeler les spécialisations, mais également -plus modestement, les «domaines d’activité»-. Dès lors, les agences locales «AGN AVOCATS» peuvent se prévaloir des pictogrammes litigieux en vitrine : il suffit que ces matières soient pratiquées pour légitimer l’apposition du pictogramme.

Reste à savoir si les Ordres seront sensibles à la part d’implicite procurée par l’arrêt du Conseil d’Etat…

 

[1] C.-S., Pinat, Affaire AGN avocats : le Conseil d’Etat maintient les dispositions de l’article 10.6.2 du RIN, Dalloz Actualité, 17 octobre 2018.

[2] Sur la position du problème, v., H. Ader et autres, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, Coll. Actions, 15ème éd., 2016/2017, n° 462.35.

[3] Vade-mecum de la communication, p. 21.

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Collectivités territoriales

[Conclusions] Les conditions d'élargissement de la liste des membres d’un établissement public foncier local - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 14 novembre 2018, n° 411804, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1657YLX) et n° 412131, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1658YLY)

Lecture: 16 min

N6417BXX

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 21 Novembre 2018

Dans deux arrêts rendus le 14 novembre 2018, le Conseil d’Etat dit pour droit qu’eu égard aux objectifs d'intérêt général et de cohérence qu'elles visent en matière d'aménagement, de développement durable et de coordination des politiques publiques foncières, les dispositions du chapitre IV du titre II du livre III du Code de l'urbanisme dans leur version antérieure à la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017, en particulier celles de son article L. 324-2, ne sauraient avoir pour effet de priver le représentant de l'Etat dans la région de la compétence exclusive de décider, sur le projet qui lui est soumis par les personnes publiques concernées, de l'extension éventuelle du périmètre d'un établissement public foncier local. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas.

Ces deux affaires posent, encore que de manière indirecte, la même question de droit : quelle était l’autorité administrative compétente pour décider, entre la fin de l’année 2000 et le début de l’année 2017, d’un élargissement de la liste des membres d’un établissement public foncier local ?

 

Disons quelques mots, tout d’abord, du cadre juridique dans lequel se pose la question.

 

Les établissements publics fonciers (EPF) sont des établissements publics à caractère industriel et commercial chargés de missions d’ingénierie foncière et immobilière. Ils peuvent notamment constituer des réserves foncières en vue de faciliter la réalisation d’opérations d’aménagement. La création des premiers EPF a été le fait de l’Etat, au vu des enjeux d’intérêt général en matière d’aménagement propres à certains territoires : agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) en 1962 (décret n° 62-479 du 14 avril 1962, portant création d’un établissement public en application de l’article 78-1 du Code de l’urbanisme et de l’habitation), établissement public de la Basse-Seine en 1968 2, EPF de la métropole lorraine en 1973 (décret n° 73-250 du 7 mars 1973, portant création de l’établissement public foncier de la métropole Lorraine), EPF du Nord-Pas-de-Calais en 1990 (décret n° 90-1154 du 19 décembre 1990, portant création de l’Etablissement public foncier du Nord-Pas-de- Calais). L’EPF de Languedoc-Roussillon, dont nous allons reparler plus longuement, a été créé par décret du 2 juillet 2008 (décret n° 2008-670 du 2 juillet 2008, portant création de l'Etablissement public foncier de Languedoc- Roussillon).

 

Les établissements publics fonciers locaux (EPFL) constituent une catégorie d’établissements publics plus récente puisqu’elle a été créée en 1991 par la loi d’orientation pour la ville (loi n° 91-662 du 13 juillet 1991, d'orientation pour la ville, art. 27). Leurs missions ne sont pas très différentes de celles des établissements publics fonciers de l’Etat, à ceci près que leur création répond à une logique de mutualisation des compétences et des moyens des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière de politique locale de l’habitat et d’aménagement. Devant le faible engouement des acteurs locaux pour cet outil, le régime juridique des EPFL a été substantiellement modifié par la loi du 13 décembre 2000 dite «SRU» (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, art. 28 N° Lexbase : L9087ARY), ainsi que par la loi du 24 mars 2014 dite «ALUR» (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, art. 146 N° Lexbase : L8342IZY).

 

Aux termes de l’article L. 324-2 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7773LCU), un établissement public foncier local est créé par décision du représentant de l’Etat dans la région au vu de délibérations concordantes émanant d’EPCI compétents en matière de programme local de l’habitat ou de communes n’appartenant pas à un tel EPCI. Le préfet de région dispose de trois mois pour refuser la création de l’EPFL, la loi énumérant de manière limitative les  motifs susceptibles de fonder un tel refus : il ne peut s’agir que de considérations liées aux données locales relatives aux périmètres existants ou proposés d'établissements publics fonciers ou de schémas de cohérence territoriale (SCOT), aux données locales relatives à l'évaluation des besoins fonciers correspondant aux enjeux territoriaux en matière d'urbanisme, d'habitat, de développement économique, de déplacements et d'environnement, ou à la teneur de l’avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement, requis avant toute création d’un EPFL.

 

Même si un département ou une région peuvent faire partie des membres d’un EPFL, c’est bien la liste des seuls EPCI et communes membres qui dessine le périmètre à l’intérieur duquel l’établissement exerce ses missions, puisqu’aux termes du cinquième alinéa de l’article L. 324-1 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7769LCQ), l’EPFL ne peut intervenir, sauf exception, que sur le territoire de ces EPCI et de ces communes. Ce périmètre est important à un autre égard car il participe de la définition de l’assiette d’un impôt : figure en effet parmi les recettes des EPFL la taxe spéciale d'équipement (TSE) prévue à l’article 1607 bis du CGI (N° Lexbase : L3033LBX), dont le produit est voté chaque année par l’EPFL avant que la charge en soit répartie entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d'habitation et à la cotisation foncière des entreprises dans les communes comprises dans la zone de compétence de l'établissement.

 

Entre 1991 et 2000, les textes désignaient de manière explicite l’autorité compétente pour décider de l’élargissement d’un EPFL à de nouveaux membres : aux termes de l’article L. 324-4 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7506ACY), issu de la loi d’orientation pour la ville, l’admission de nouveaux membres au sein de l’EPFL était «prise par l'autorité compétente pour créer l'établissement public», c’est-à-dire le représentant de l’Etat. Ces dispositions, toutefois, ont disparu lors de l’entière réécriture, par la loi «SRU», du chapitre du Code de l’urbanisme consacré aux EPFL. Ce n’est qu’à l’occasion de la loi du 27 janvier 2017, relative à l'égalité et à la citoyenneté (Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017, relative à l'égalité et à la citoyenneté, art. 102, V (N° Lexbase : L6432LC9), que le législateur a réintroduit, dans le code de l’urbanisme, des dispositions expresses sur ce point : aux termes de l’article L. 324-2-1 A de ce code (N° Lexbase : L9033IDW), l'extension du périmètre d'un EPFL à un EPCI doté de la compétence en matière de programme local de l'habitat ou, le cas échéant, à une commune non membre d'un tel EPCI est arrêtée par le représentant de l'Etat dans la région.

 

 

Entre fin 2000 et début 2017 donc, si les textes étaient clairs quant à l’autorité compétente pour créer l’EPFL -il s’agissait, toujours, du représentant de l’Etat sur le territoire-, ils étaient muets s’agissant des conditions dans lesquelles de nouveaux membres pouvaient adhérer à un tel établissement.

 

Les recours pour excès de pouvoir dont vous êtes saisi constituent une extension de deux litiges de dimension locale nés de ce mutisme des textes.

 

L’EPFL de Castres-Mazamet a été créé en 2010. Son périmètre d’intervention correspondait, lors de sa création, aux limites des territoires des seules communes membres de la communauté d’agglomération Castres-Mazamet (Tarn). A la fin de l’année 2015, des délibérations concordantes de cet EPFL, devenu EPFL du Tarn, et de la communauté d’agglomération de l’Albigeois se sont prononcées en faveur d’un élargissement de l’EPFL à cette communauté d’agglomération, en vue de couvrir les territoires des deux principales agglomérations du département du Tarn. Mais le préfet de région s’est opposé à cet élargissement, ce qui a fait naître plusieurs litiges portés devant le tribunal administratif de Toulouse.

 

L’EPFL de Montauban a été créé quant à lui en 2008. Son périmètre d’intervention correspondait, lors de sa création, aux limites des territoires des seules communes membres de la communauté d’agglomération du Grand Montauban (Tarn-et-Garonne). En 2015 et 2016, des délibérations concordantes de cet EPFL et, notamment, des communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier, situées en périphérie de Montauban, se sont prononcées en faveur d’un élargissement de l’EPFL à ces deux communes. Mais là aussi, le préfet de région s’est opposé à cet élargissement, ce qui a fait naître, là encore, plusieurs litiges également portés devant le tribunal administratif de Toulouse.

 

L’origine de ces différends opposant l’Etat aux acteurs locaux doit être recherchée dans une divergence d’interprétation de la loi, elle-même permise par le mutisme dont nous avons fait état. Les seconds ont considéré que l’élargissement de la liste des membres d’un EPFL procédait du seul constat de l’existence de délibérations concordantes émanant, d’une part, de l’EPFL, d’autre part, du ou des candidats à l’adhésion. Les représentants de l’Etat concernés par les litiges portés devant le tribunal administratif de Toulouse estimaient au contraire que, dès lors que l’élargissement de la liste des membres d’un EPFL impliquait une modification de la décision créant l’établissement, le préfet de région restait compétent pour décider de cet élargissement.

 

Avant que le tribunal administratif tranche cette question, un décret du 5 mai 2017 (décret n° 2017-836 du 5 mai 2017, modifiant le décret n° 2008-670 du 2 juillet 2008 portant création de l'Etablissement public foncier de Languedoc-Roussillon N° Lexbase : L2491LEY) est venu modifier le décret du 2 juillet 2008 relatif à l'établissement public foncier de Languedoc-Roussillon-EPF de l’Etat. Ce décret du 5 mai 2017 tire les conséquences de la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées au 1er janvier 2016. En particulier, il renomme l’EPF de Languedoc-Roussillon en «EPF d’Occitanie». Et d’après sa notice de présentation publiée au Journal officiel, ce décret étend le périmètre de compétence de l’EPF à l'ensemble de l'ancienne région Midi-Pyrénées, à l'exception des territoires couverts par des établissements publics fonciers locaux.

 

L’article 1er du décret du 2 juillet 2008, dans sa version modifiée par le décret du 5 mai 2017, prévoit que l’EPF d’Occitanie est compétent sur l'ensemble du territoire de la région Occitanie à l'exception de certaines communes des départements, notamment, du Tarn et de Tarn-et-Garonne, dont la liste est annexée au décret. Si l’on consulte cette liste, s’agissant du Tarn, on constate que n’y figurent pas les communes membres de la communauté d’agglomération de l’Albigeois – à la différence des communes de la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet ; et s’agissant du Tarn-et-Garonne, n’y figurent ni la commune de Lacourt-Saint-Pierre, ni celle de Montbartier -à la différence des communes membres, au 5 mai 2017, de la communauté d’agglomération du Grand Montauban- (la commune de Lacourt-Saint-Pierre a rejoint cette communauté d’agglomération au 1er janvier 2018).

 

Le premier point chagrine la communauté d’agglomération de l’Albigeois et l’EPFL du Tarn ; le second, l’EPFL de Montauban. Ils voient dans les dispositions du décret délimitant le nouveau champ d’intervention territorial de l’EPF d’Occitanie, à raison, une nouvelle manifestation du refus, de la part de l’Etat, d’admettre l’élargissement de l’EPFL du Tarn à la communauté d’agglomération de l’Albigeois et celui de l’EPFL de Montauban aux communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier. C’est pourquoi ils vous demandent, par deux recours distincts, d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 mai 2017.

 

Des écritures qui vous sont soumises on comprend, en réalité, que les requérants ne demandent qu’une annulation partielle du décret du 5 mai 2017, sur les deux points que nous avons mentionnés. C’est-à-dire que la communauté d’agglomération de l’Albigeois et l’EPFL du Tarn vous demandent d’annuler ce décret en tant seulement qu’il ne mentionne pas, dans la liste y annexée, les communes membres de cette communauté d’agglomération ; tandis que l’EPFL de Montauban vous demande d’annuler ce décret en tant seulement qu’il ne mentionne pas, dans cette liste, les communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier. Leurs requêtes sont recevables -notamment, les dispositions dont l’annulation est demandée sont divisibles du reste du décret et elles nous paraissent contrarier les intérêts des requérants de manière suffisamment direct pour admettre qu’ils ont qualité pour agir-.

 

Examinons, avant de se pencher sur les moyens soulevés à l’appui des requêtes, la question de droit évoquée au début de ces conclusions.

 

Cette question de principe vient d’être tranchée par le tribunal administratif de Toulouse, qui a statué par une série de jugements du 13 septembre 2018 (en ce qui concerne l’EPFL du Tarn et la communauté d’agglomération de l’Albigeois, voir le jugement n° 1601708-1701258 ; en ce qui concerne l’EPFL de Montauban et les communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier, voir les jugements n°s 1701030-1705369-1705371 et 1600737) sur les litiges mentionnés tout à l’heure. Le tribunal, sensible à l’imprécision de la loi et aux implications du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, y fait droit à la thèse selon laquelle, entre le 14 décembre 2000 et le 28 janvier 2017, l’élargissement de la liste des membres d’un EPFL préexistant n’était pas soumis à l’intervention préalable d’une décision du représentant de l’Etat. S’appuyant sur ce motif, il annule pour excès de pouvoir les décisions par lesquelles le préfet de région avait refusé l’élargissement de l’EPFL du Tarn et celui de l’EPFL de Montauban. Au moment où nous parlons, aucun des jugements rendus par le tribunal n’est devenu définitif -et nous pensons qu’il en ira encore de même lorsque vos décisions seront lues-.

 

 

 

Sans qu’il y ait y donc lieu, à ce stade, d’envisager un éventuel règlement de juges, nous allons vous proposer de vous séparer de l’interprétation de la loi retenue par le tribunal administrative (dont il a lui-même admis, en portant sur ses jugements le code de publication C+, c’est-à-dire en les signalant pour leur intérêt jurisprudentiel, qu’elle n’était pas évidente).

 

Votre section du contentieux a posé, en des termes très nets, le principe suivant lequel l’autorité administrative compétente pour modifier un acte administratif est celle qui, à la date de  la  modification,  est   compétente   pour   prendre   un   tel   acte :   voyez   CE Sect., 30 septembre 2005, n° 280605, au Recueil (N° Lexbase : A6106DKD), qui ne fait que rappeler, sur ce point, un principe jurisprudentiel bien établi. Il résulte des dispositions du Code de l’urbanisme en vigueur entre le 14 décembre 2000 et le 28 janvier 2017 que c’est le représentant de l’Etat qui décide la création d’un EPFL et que, aux termes du troisième alinéa de son article L. 324-2, cette décision de création comporte, entre autres éléments, «la liste des membres de  l'établissement». L’application pure et simple du principe dégagé dans la décision de section précitée conduirait donc, sans hésitation, à faire du représentant de l’Etat l’autorité compétente pour décider d’un élargissement de cette liste.

 

La même solution se déduit, à notre sens, de l’économie même de la loi. Car à quoi donc rimerait de confier au représentant de l’Etat, lors de la création d’un EPFL, un pouvoir d’appréciation sur le périmètre à l’intérieur duquel l’établissement exercera ses missions si ce même représentant n’est pas en état de contrôler, en mettant en œuvre le même pouvoir d’appréciation, la manière dont ce périmètre peut ensuite être amené à évoluer ? A cet égard, ne nous arrête pas la circonstance, relevée par le tribunal administratif, selon laquelle le représentant de l’Etat serait en mesure de s’opposer à une telle évolution par la voie du déféré préfectoral. Car le juge administratif à qui la modification du périmètre de l’EPFL serait déférée n’exercerait sur le périmètre modifié qu’un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation (cf. infra point 4.2.2), incommensurable avec le pouvoir d’appréciation que le préfet serait amené à exercer lui-même directement sur ce périmètre.

 

Vous l’aurez compris : si la loi ne disait rien, entre fin 2000 et début 2017, de l’autorité compétente pour modifier la liste des membres d’un EPFL, elle ne souffrait néanmoins, à nos yeux, d’aucune ambigüité sur ce point. Il se déduisait tout à la fois de son économie et d’un principe jurisprudentiel bien établi que cette autorité était le représentant de l’Etat (relevons que, si des positions contradictoires ont pu être exprimées localement par les services déconcentrés de l’Etat, ce que les requérants ne manquent pas de souligner, une réponse ministérielle à un parlementaire a pris position nettement en ce sens : voir la réponse à la question écrite n° 41936 de M. Cresta, député, JOAN Q du 1er novembre 2016, p. 9178 N° Lexbase : L0408LBQ). Raison pour laquelle nous ne croyons pas, à la différence du tribunal administratif, que le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales imposait une autre interprétation. Ce principe implique certes, comme les requérants y insistent à l’envi, que le législateur, lorsqu’il assujettit les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, le fasse en définissant ces obligations de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée (voir notamment sur ce point la décision du Conseil constitutionnel n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 N° Lexbase : A1727AIS, cons. n° 12). Mais si vous nous avez suivi jusqu’ici, vous admettrez avec nous que, si la loi n’était pas explicite, elle n’était pas pour autant imprécise.

 

Enfin il n’y a rien à tirer, contrairement à ce que tentent de faire valoir les requérants, des intentions manifestées par le législateur en 2000 puis en 2017. Les travaux préparatoires de la loi «SRU», qui a entièrement réécrit, nous l’avons dit, le chapitre du Code de l’urbanisme relatif aux EPFL, ne font apparaître aucune volonté de modifier ce qu’était l’état antérieur du droit sur le point qui nous intéresse. Et quant à ceux de la loi du 27 janvier 2017, il en ressort seulement la volonté de «sécuriser», pour l’avenir, les conditions dans lesquelles peut être étendu le périmètre d’intervention d’un EPFL.

 

Une fois résolue la question de principe, les deux recours pour excès de pouvoir dont vous êtes saisi se dénouent rapidement.

 

Sous le n° 411804, la communauté d’agglomération de l’Albigeois et l’EPFL du Tarn présentent trois moyens.

 

A vrai dire, il faut faire un effort pour regarder les quelques lignes présentées sous l’intitulé «vice de procédure» comme un moyen. Après avoir cité les dispositions de l’article L. 321-2 du Code de l’urbanisme, qui prévoient qu’un certain nombre d’avis doivent être recueillis avant la création d’un EPF de l’Etat, les requérants se contentent d’énoncer que «l’Etat devra justifier de chacune de ces consultations». Une telle argumentation n’est en tout état de cause pas assortie des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.

 

Les requérants soutiennent ensuite que les dispositions de l’article L. 321-1 du Code de l’urbanisme ont été méconnues. Ces dispositions prévoient que la superposition totale ou partielle d’un EPF de l’Etat avec un EPF local créé avant le 26 juin 2013 «est soumise à l'accord des [EPCI] à fiscalité propre et des communes non membres de ces derniers dont le territoire est concerné par la superposition». Selon l’argumentation présentée au soutien du moyen, le décret attaqué ne pouvait prévoir la superposition partielle de l’EPF d’Occitanie avec l’EPFL du Tarn, en ce qui concerne le territoire des communes membres de la communauté d’agglomération de l’Albigeois, alors que cet EPCI à fiscalité propre avait émis, par délibération du 9 février 2017, un avis négatif sur le projet de décret, en raison précisément de cette superposition. Mais toute cette argumentation est construite sur la prémisse, erronée si vous nous avez suivi jusqu’ici, selon laquelle la communauté d’agglomération de l’Albigeois aurait adhéré à l’EPFL du Tarn du seul fait des délibérations concordantes de ces deux établissements publics. Ce n’est pas le cas, selon nous, faute de modification de la décision de création de l’EPFL par le préfet de région. En conséquence, il n’y a aucune superposition entre le territoire d’intervention de l’EPF d’Occitanie et celui de l’EPFL du Tarn. Et par suite, aucun accord préalable de la communauté d’agglomération de l’Albigeois n’était requis en application de l’article L. 321-1 du Code de l’urbanisme -c’est un simple avis qui devait être préalablement recueilli, en application de son article L. 321-2-.

 

Selon le dernier moyen de la requête, le décret attaqué serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de la superposition dont nous venons de faire état. Il s’écarte immédiatement compte tenu de ce qui précède, cette superposition n’existant pas.

 

Sous le n° 412131, l’EPFL de Montauban présente deux moyens -un troisième ayant été soulevé après la clôture de l’instruction, intervenue le 24 septembre dernier (en application des dispositions expérimentales de l’article 32 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, portant modification du Code de justice administrative).

 

 

Un moyen de procédure est là encore soulevé, du bout des lèvres. Il est tiré de ce que le décret serait intervenu sans qu’ait été recueilli au préalable «l’accord de la communauté de communes Grand Sud Tarn-et-Garonne auquel les communes de Montbartier et Lacourt-Saint-Pierre appartiennent». Il est permis d’estimer que le moyen n’est pas assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé -c’est ce que soutient le ministre de la cohésion des territoires en defense-. Il est possible aussi de voir dans les écritures de l’EPFL l’esquisse d’un raisonnement similaire à celui développé dans la requête n° 411804, qui serait fondé sur une méconnaissance de l’article L. 321-1 du Code de l’urbanisme en raison d’une superposition partielle de l’EPF d’Occitanie avec l’EPFL de Montauban. Mais pour les raisons que nous avons déjà indiquées, une telle superposition est inexistante.

 

L’EPFL de Montauban soutient ensuite que le décret attaqué serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il a inclus, dans le périmètre d’intervention de l’EPF d’Occitanie, les communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier -vous n’exercez effectivement, en tant que juge de l’excès de pouvoir, qu’un contrôle restreint sur le territoire d’intervention d’un EPF (voyez CE, 22 juillet 2009, n° 312782, aux tables du Recueil N° Lexbase : A1091EKM, précisément sur cette question)-. A l’appui du moyen, vous constaterez que l’EPFL de Montauban discute de ce que devrait être, à ses yeux, son propre périmètre d’intervention, en partant du présupposé selon lequel l’inclusion des communes de Lacourt- Saint-Pierre et Montbartier dans le périmètre d’intervention de l’EPF d’Occitanie, par l’effet du décret attaqué, ferait obstacle à ce que ces communes puissent désormais être incluses dans le périmètre d’intervention d’un EPFL.

 

Un tel présupposé nous semble erroné : même s’il est peu probable que le représentant de l’Etat dans la région donne son aval, à l’avenir, à un élargissement de l’EPFL de Montauban à ces deux communes, désormais incluses dans le périmètre d’intervention d’un EPF de l’Etat, nous n’apercevons dans le code de l’urbanisme aucune disposition qui l’interdise. Et à partir du moment où toute l’argumentation présentée à l’appui du moyen s’efforce de démontrer, non pas que les communes de Lacourt-Saint-Pierre et Montbartier n’auraient pas leur place à l’intérieur du périmètre d’intervention de l’EPF d’Occitanie, mais qu’elles devraient être comprises dans celui de l’EPFL de Montauban, vous ne pourrez que l’écarter. Une telle argumentation est à la limite de l’inopérance à l’appui du présent recours – en réalité, elle trouve sa place dans le cadre de la discussion du bien-fondé des décisions par lesquelles le préfet de région a refusé, en 2015 et 2016, l’adhésion des deux communes à l’EPFL de Montauban. En tout état de cause, nous paraît suffire à écarter toute erreur manifeste d’appréciation la circonstance qu’à la date du décret attaqué, aucune des deux communes ne relevait du SCOT de Montauban.

 

Par ces motifs nous concluons, dans chaque affaire, au rejet de la requête.

newsid:466417

Contrats administratifs

[Brèves] Communications téléphoniques dans les établissements pénitentiaires : possibilité de fixer des tarifs de communication pour les personnes détenues plus élevés que ceux dont bénéficient les autres usagers

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 14 novembre 2018, n° 418788, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1661YL4)

Lecture: 1 min

N6402BXE

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par Yann Le Foll

Le 21 Novembre 2018

► Une délégation de service public relative aux communications téléphoniques dans les établissements pénitentiaires peut contenir des clauses fixant des tarifs de communication pour les personnes détenues plus élevés que ceux dont bénéficient les autres usagers d'un service de téléphonie, sauf en cas de différence de tarif manifestement disproportionnée. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 14 novembre 2018 (CE 9° et 10° ch.-r., 14 novembre 2018, n° 418788, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1661YL4).

 

Concernant l'étendue des prestations financées par le tarif des communications téléphoniques, le contrat prévoyait que le financement de certaines prestations à travers les ventes des communications téléphoniques effectuées par les détenus, parmi lesquelles les "spécifications fonctionnelles" permettant d'assurer l'écoute, l'enregistrement et l'archivage des communications électroniques.

 

De telles prestations qui permettent d'assurer le contrôle des communications téléphoniques conformément aux dispositions de l'article 727-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1232LDY) se rattachent aux missions générales de police qui, par nature, incombent à l'Etat.

 

Les dépenses auxquelles elles donnent lieu, qui ne sont pas exposées dans l'intérêt direct des détenus, ne sauraient dès lors être financées par le tarif des communications téléphoniques perçu auprès des usagers en contrepartie du service qui leur est rendu.

newsid:466402

Contrat de travail

[Brèves] Impossibilité pour une clause du contrat de travail de prévoir en amont le passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-11.757, FS-P+B (N° Lexbase : A7972YLT)

Lecture: 2 min

N6476BX7

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par Charlotte Moronval

Le 21 Novembre 2018

► Une clause du contrat de travail ne pouvant permettre à l'employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail, doit être privée d’effet la clause du contrat de travail comprenant l'indication de la rémunération brute des salariés et du montant des primes de soir ou de nuit, et prévoyant que les nécessités de la production pouvaient amener l'entreprise à affecter les salariés dans les différents horaires pratiqués et que l'horaire était susceptible d'être modifié.

 

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2018 (Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-14.937, FS-P+B N° Lexbase : A8016YLH ; voir aussi Cass. soc., 7 avril 2004, n° 02-41.486, publié N° Lexbase : A8426DBP).

 

En l’espèce, des salariés travaillaient en horaires de soir ou de nuit. A la suite de la mise en place d’un plan de rémunération lié aux performances du groupe, les salariés sont passés en horaires de jour et ont perdu le bénéfice des primes de soir ou de nuit.

 

Pour débouter les salariés de leurs demandes de rappel de salaire, congés payés afférents, dommages et intérêts pour préjudice moral, la cour d’appel retient que les contrats de travail comprenaient l'indication de la rémunération brute des salariés et du montant des primes de soir ou de nuit, qu'il était prévu que les nécessités de la production pouvaient amener l'entreprise à affecter les salariés dans les différents horaires pratiqués et que l'horaire était susceptible d'être modifié, qu'il s'en déduit que les horaires de travail n'avaient pas été contractualisés et que l'employeur était libre, en application de son pouvoir de direction, de modifier les horaires de travail et de réduire la rémunération en conséquence. Les salariés décident de former un pourvoi en cassation.

 

Enonçant la solution susvisée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la cour d’appel. En statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l’article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), ensemble l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK ; sur le changement d'horaires entraînant un bouleversement important dans l'organisation du temps de travail, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E3765XY4).

newsid:466476

Durée du travail

[Brèves] Justification des dérogations au repos dominical et contours de l’effet direct des conventions internationales

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-18.259, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1463YLR)

Lecture: 2 min

N6397BX9

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par Charlotte Moronval

Le 21 Novembre 2018

D’une part, les dispositions de l’article 7, § 4 de la Convention n° 106 de l’OIT concernant le repos hebdomadaire dans les commerces et les bureaux ne créent d’obligations de consultation des partenaires sociaux, dès lors que les dérogations au travail dominical critiquées résultent de la loi, qu’à la charge de l’Etat, de sorte que le moyen tiré de ce que la procédure ayant conduit à l’adoption de la loi n’est pas conforme à ces dispositions ne peut être accueilli ;

 

D’autre part, les dispositions de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (N° Lexbase : L7006H3U), dite loi «Chatel», ne sont pas incompatibles avec celles des articles 6 et 7 § 1 de la Convention n° 106, le rapport du Comité de l’OIT chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la Convention n° 106, des 10 et 24 mars 2016, ayant noté que la commission d’experts, après analyse complète et détaillée de la législation en cause, n’a pas considéré que les dispositions en question étaient contraires aux dispositions de la Convention n° 106, et ayant fait ressortir que les dérogations concernées étaient justifiées par la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir et le nombre des personnes employées et se fondaient sur des considérations économiques et sociales répondant à un besoin du public, en ce que l’aménagement de la maison participe l’ameublement relève d’une activité pratiquée plus particulièrement en dehors de la semaine de travail.

 

Telles sont les solutions dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2018 (Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-18.259, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1463YLR ; pour en savoir plus, lire la note explicative relative à l’arrêt).

 

En l’espèce, le salarié d’un magasin d’ameublement reproche à la cour d’appel (CA Versailles, 17 mars 2017, n° 14/04068 N° Lexbase : A3791UCE) de le débouter de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il a subi du fait de l’atteinte au repos dominical pour la période postérieure à l’entrée en vigueur de la loi «Chatel», qui a ajouté les établissements de commerce de détail d’ameublement à la liste des secteurs visés par l’article L. 221-9 du Code du travail, devenu l’article L. 3132-12 du Code du travail (N° Lexbase : L0466H97), dans lesquels les entreprises peuvent de droit déroger à la règle du repos dominical et attribuer le repos hebdomadaire par roulement.

 

Enonçant la solution susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi, la cour d’appel ayant décidé à bon droit que les dispositions de la loi «Chatel» ne sont pas incompatibles avec celles des articles 6 et 7, § 1 de la Convention n° 106 (sur Le repos hebdomadaire par roulement, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0315ETT).

newsid:466397

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Exonération de plus-values de cession : précisions dans le cas d'une société relevant des articles 8 et 8 ter du CGI ou d'un groupement non soumis à l'impôt sur les sociétés

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 14 novembre 2018, n° 407063, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1650YLP)

Lecture: 1 min

N6414BXT

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par Marie-Claire Sgarra

Le 21 Novembre 2018

Il résulte des dispositions de l’article 151 septies du Code général des impôts (N° Lexbase : L4192LI4) que la fraction des recettes réalisées par une société ou un groupement dont il est tenu compte pour ses associés, est calculée en fonction de la proportion de leurs droits dans les bénéfices comptables de la société ou du groupement, tels qu’ils résultent du pacte social.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 14 novembre 2018 (CE 3° et 8° ch.-r., 14 novembre 2018, n° 407063, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1650YLP).

 

En l’espèce, le requérant a réalisé une plus-value dans le cadre d’une cession de part qu’il détenait dans une société civile d’exploitation agricole, en lui appliquant, une exonération partielle. L’administration a remis en cause cette exonération. Le tribunal administratif de Bordeaux fait droit à la demande du requérant tendant à la décharge de ces cotisations supplémentaires. La cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 22 novembre 2016, n° 14BX03210 N° Lexbase : A7997SLR) a annulé ce jugement.

 

Le Conseil d’Etat ne retient pas l’interprétation de cette dernière qui a jugé que les rémunérations, versées au requérant dans le cadre de son activité accomplie au sein de la société, avaient été réintégrées à bon droit par l’administration au seul motif que, au regard de la loi fiscale, elles ne constituent pas une charge déductible mais sont réputées être comprises dans le bénéfice distribué aux associés (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X5888ALN).

newsid:466414

Procédure civile

[Brèves] Concentration des moyens et faculté pour la partie civile de demander réparation de tous les dommages résultant d'une infraction non-intentionnelle

Réf. : Cass. civ. 2, 15 novembre 2018, n° 17-18.656, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1711YLX)

Lecture: 3 min

N6404BXH

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par Aziber Seid Algadi

Le 21 Novembre 2018

► Le principe de la concentration des moyens ne s’étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l’article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU) de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite. Dès lors, la circonstance que la partie civile n’ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables comme méconnaissant l’autorité de la chose jugée les demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil.

 

Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 15 novembre 2018 (Cass. civ. 2, 15 novembre 2018, n° 17-18.656, FS-P+B+I N° Lexbase : A1711YLX ; sur le principe de la concentration des moyens, cf. l'arrêt "Cesaréo" ; Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, P+B+R+I N° Lexbase : A4261DQU et voir aussi, Cass. civ. 2, 20 mars 2014, n° 13-16.391, F-P+B N° Lexbase : A7438MHX).

 

En l’espèce, la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne a pris en charge les dépenses de soins d’un blessé lors de l’explosion d’un produit fabriqué de manière artisanale. Un mineur au moment des faits, a été condamné le 9 mars 2011 par un tribunal pour enfants du chef de fabrication non autorisée d’engin explosif incendiaire ou de produit explosif et a été relaxé du chef de blessures involontaires. Le tribunal, devant lequel comparaissaient les parents en qualité de civilement responsables de leur fils, a débouté la caisse de son intervention volontaire aux fins de condamnation pécuniaire du fils. En 2013, la caisse a assigné le fils, devenu majeur et ses parents devant un tribunal de grande instance pour obtenir leur condamnation solidaire à lui rembourser ses débours. Le fils et ses parents ont opposé à la caisse l’autorité de la chose jugée par le juge pénal sur l’action civile.

 

Pour déclarer irrecevables les demandes de la caisse, la cour d’appel (CA Dijon, 7 mars 2017, n° 15/00082 N° Lexbase : A5459TUQ) a retenu que, compte tenu de la relaxe prononcée à l’égard du prévenu, qui consacrait l’absence de faute pénale de ce dernier, le tribunal, qui n’avait pas été saisi par la caisse sur le fondement de l’article 470-1 du Code de procédure pénale, a rejeté la demande d’indemnisation de celle-ci sans l’examiner sous l’angle d’autres moyens éventuellement propres à consacrer la responsabilité civile du fils, de sorte qu’en s’abstenant de se prévaloir de l’article 470-1, dont les dispositions étaient applicables à la procédure litigieuse, la caisse a méconnu le principe de concentration des moyens qui lui faisait obligation de soumettre à la juridiction saisie de la première demande tous les moyens tirés des règles du droit civil propres à permettre la réparation de son préjudice et que, dès lors, la demande que la caisse a formée devant le tribunal de grande instance, qui tend aux mêmes fins d’indemnisation, et qui est formée à l’encontre de la même partie en mêmes qualités, est irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée.

 

A tort. En statuant ainsi, souligne la Cour de cassation, tout en relevant que la caisse, partie civile, n’avait pas demandé au juge pénal, avant la clôture des débats, qu’il soit le cas échéant statué, en cas de relaxe des poursuites exercées pour blessures involontaires, sur l’action civile en application des règles du droit civil, la cour d’appel a violé les articles 1351, devenu 1355, du Code civil (N° Lexbase : L1011KZH) et 470-1 du Code de procédure pénale (cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : E4639EUD).

 

newsid:466404

Procédure pénale

[Le point sur...] Les perquisitions au domicile des parlementaires et dans les locaux des partis politiques

Lecture: 18 min

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par Frederick Dupuis, Avocat au Barreau de Toulouse, Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’Université Toulouse Capitole

Le 21 Novembre 2018

Mots-clés : perquisitions • parlementaires • partis politiques • politique • immunité parlementaire

Un personnage sacré ? Il fut un temps au cours duquel le juge était la bouche de la loi. Cette bouche semble avoir décidé qu’il était temps de se montrer moins reconnaissante et que les auteurs de cette loi ne devaient pas être considérés autrement que des justiciables comme les autres. Pourtant, certains affirment le caractère sacré du parlementaire, qu’il serait un personnage intouchable dans une vision divinisante de nos institutions. Cette conception est pour le moins troublante, et consterne une partie de l’opinion publique qui ne saurait se retrouver dans l’ensemble de ces déclarations. Ces deux conceptions paraissent opposées et l’une prime forcément sur l’autre. Les parlementaires ne disposent-il d’aucune protection particulière contre les velléités de l’autorité judiciaire toujours plus entreprenante ? Les perquisitions menées dernièrement par l’autorité judiciaire sont un exemple flagrant et très médiatique, notamment au regard des moyens déployés, des relations difficiles entre les politiques et notre Justice. L’imaginaire populaire a été profondément déstabilisé par les différentes vidéos retransmises et par les propos tenus par les différents protagonistes. Il est nécessaire de clarifier le déroulement des perquisitions au domicile des parlementaires et dans les locaux des partis politiques.

 

L’objet de la perquisition. Il est indispensable de déterminer l’objet même de la mesure de contrainte. La notion de parlementaire est aisément identifiable puisqu’il s’agit de chaque membre élu du parlement, que ce soit un député ou un sénateur. En revanche, la notion de parti politique est plus difficile à définir. Les partis politiques sont mentionnés dans l’article 4 de la Constitution française (N° Lexbase : L0830AH9) : «Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie» [1]. Ni la Constitution, ni la Loi ne précisent ce que constitue un parti politique. La doctrine a tenté de dégager plusieurs critères : il s’agirait d’une organisation, dont l’objectif est la conquête et l’exercice du pouvoir, à l’échelon national ou local, pour mettre en œuvre un projet. Mais ces critères s’avèrent assez flous. Le Conseil d’Etat a dû répondre à cette question, en se fondant, pour sa part, sur un critère financier. Selon la Haute juridiction, une personne morale de droit privée peut être déclarée comme constituant un parti politique dès lors qu’elle s’est donnée un but politique et qu’elle relève des articles 8, 9 et 9-I de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique (N° Lexbase : L5006AHU) ou si elle est soumise aux règles fixées par les articles 11 à 11-7 de la même loi qui imposent notamment aux partis et groupements politiques de ne recueillir des fonds que par l'intermédiaire d'un mandataire qui peut être soit une personne physique dont le nom est déclaré à la préfecture, soit une association de financement agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques [2]. En résumé, selon le Conseil d’Etat, constitue un parti politique les formations qui bénéficient de l’aide publique aux partis politiques ou celles qui sont soumises, sans bénéficier de cette aide, à une transparence financière. Une fois identifiées, se pose la question de la nature de la mesure de contrainte étudiée.

 

La nature des perquisitions. Les perquisitions sont des mesures attentatoires aux droits de chacun. Bien qu’elles n’aient aucune incidence sur la liberté de mouvement, elles s’attaquent à ce qu’ils ont de plus intimes : leurs domiciles. Il s’agit principalement [3] d’une mesure de contrainte permettant à des magistrats ou des enquêteurs de rechercher des indices permettant d’établir l’existence d’une infraction et d’en déterminer les auteurs à l’intérieur d’un lieu normalement clos [4]. Elle permet donc aux autorités de pénétrer dans une propriété privée, parfois sans l’accord de l’occupant des lieux, et d’y procéder aux recherches nécessaires à une procédure judiciaire. Dans ces lieux, les autorités pourront saisir, s’ils l’estiment nécessaire, tout élément de preuve découvert, tels que des papiers, documents, données informatiques ou autres objets. Cette mesure est donc attentatoire tant au droit de propriété et qu’au droit à la vie privée, ce qui justifie une utilisation restreinte et encadrée.

 

Un fantasme à éclaircir. Au regard des atteintes potentielles, il est indispensable de se poser la question de leur mise en œuvre dans certains locaux pouvant être qualifiés de «sensibles», notamment ceux en rapport avec les organisations politiques. Une perquisition réalisée dans les locaux d’un parti politique ou au domicile d’un parlementaire se déroulera-t-elle de la même manière que chez un justiciable ordinaire ? Ces derniers bénéficient-ils de protections accrues ? De mesures dérogatoires ? La question se pose particulièrement en raison des dernières affaires qui ont défrayée la chronique, avec des magistrats qui n’hésitent plus à perquisitionner des représentants élus du peuple, y compris au cours d’élections nationales, et ces derniers qui répondent parfois de façon très vindicative et médiatique.

 

Il convient de préciser le régime des perquisitions réalisées aux domiciles de parlementaires et dans les partis politiques, s’agissant d’une personne qui se voudrait sacrée. Le constat est assez amer puisqu’il s’avère qu’il n’existe pratiquement aucune particularité (I). Dès lors, la question se pose du renforcement de ce régime en considération des atteintes récurrentes que l’autorité judiciaire leur porte et des intérêts qu’ils représentent (II).

 

I - Le constat d’une absence de protection du politique

 

Les parlementaires, contrairement aux partis politiques, sont protégés par des immunités judiciaires. Néanmoins, ces immunités sont totalement inopérantes face aux perquisitions (A), aboutissant à une singulière conclusion selon laquelle, pour les perquisitions, le politique est un justiciable comme les autres (B).

 

A - Une immunité parlementaire inopérante

 

Une auguste présence. Les parlementaires, tant députés que sénateurs, sont l’émanation du peuple souverain. Ils forment un organe indispensable à toute société démocratique, ce qui suppose certaines spécificités garantissant un exercice libre et indépendant de leurs fonctions. Les partis politiques font également partie de notre vision de la vie politique puisqu’ils permettent à nos représentants de s’organiser. Ils leur sont indispensables, que ce soit dans la réunion des fonds de campagne, dans la diffusion de leur message politique ou encore pour leur offrir la logistique nécessaire pour de prochaines élections. Pourtant, seuls ces premiers sont pourvus d’un régime protecteur, prévu par la Constitution et créé par le Parlement révolutionnaire afin de se protéger du Roi.

 

L’immunité parlementaire. L’article 26 de la Constitution prévoit, en son premier alinéa, qu’ «aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions». Il s’agit d’une immunité de fonction qui permet aux parlementaires de pouvoir exprimer leurs opinions sans crainte de sanctions, telles qu’une action en diffamation. Elle garantit une liberté d’expression démocratique. Mais cette immunité ne présente guère d’intérêt pour une perquisition.

 

L’inviolabilité parlementaire. Le même article prévoit également une inviolabilité de la personne même du parlementaire en interdisant toute mesure privative ou restrictive de liberté à son encontre sans l’accord du Bureau de l’Assemblée concernée, sauf crime ou délit flagrant. En outre, l’Assemblée peut requérir la suspension de toute détention, mesure privative ou restrictive de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement pendant la durée de la session. La dernière réforme constitutionnelle a ainsi restreint la protection des parlementaires qui peuvent désormais être poursuivis, sauf si leur Chambre décide de suspendre cette action [5]. Par conséquent, il n’existe plus d’obstacle aux poursuites, ni de suspension de la prescription de l’action publique. La protection de l’indépendance du législateur est en berne face à l’autorité judiciaire, et ne porte que sur la personne même du Parlementaire [6]. Il faudra obtenir l’autorisation du Bureau pour placer un parlementaire en garde-à-vue, en détention provisoire ou même sous contrôle judiciaire, sauf flagrant délit. Certaines rumeurs ont pu se répandre sur le fait que cette autorisation ne serait jamais délivrée. Cette assertion est totalement fausse puisque la levée de l’immunité est intervenue à de nombreuses reprises [7], et depuis longtemps [8], quel que soit le parti du parlementaire en cause [9].

 

Des protections inefficaces. Il existe donc des protections pour les membres du Parlement, reprises pour les membres du Parlement européen [10], mais aucunement pour les partis politiques. Ces protections ne concernent que leurs personnes, afin d’éviter une atteinte à leurs libertés de mouvement, elle ne protège aucune autre liberté. Il n’existe visiblement aucune protection portant sur les mesures de perquisition, sur le domicile ou sur le bureau d’un membre du Parlement, à une exception près : une perquisition réalisée au sein du Parlement nécessite l’accord du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, bien qu’aucun texte ne le prévoie [11]. Dès lors, le régime des perquisitions à l’encontre du politique sera identique à celui de n’importe quel justiciable.

 

B - Une contrainte judiciaire exempte de singularités

 

Une contrainte circonscrite. Une perquisition est une mesure de contrainte qui porte atteinte aux droits et libertés. Bien qu’il n’existe pas de protection propre aux partis politiques et aux parlementaires, cette mesure présente des conditions et une mise en œuvre qui garantissent une certaine sécurité. La question qui peut alors se poser est de savoir si ces protections suffisent pour préserver les intérêts des locaux à caractère politique.

 

Un lieu déterminé. Une perquisition peut être réalisée en tout lieu utile, que ce soit chez un mis en cause mais aussi chez une personne qui paraît détenir des pièces ou objets relatifs aux faits incriminés, sans qu’il soit nécessaire qu’une infraction soit caractérisée à son égard [12]. Une telle solution permet de comprendre pourquoi, dans le cadre des infractions reprochées aux politiques, que ce soit le financement illégal d’une campagne ou encore les emplois fictifs, les locaux des partis politiques ou le domicile des parlementaires sont visés. Les autorités élargissent l’objet des perquisitions afin de s’assurer l’obtention d’un maximum d’éléments de preuve, sans distinction de l’occupant des lieux. Le domicile d’un parlementaire peut être perquisitionné, y compris pour une infraction qui concerne le financement de son parti.

 

Le lieu de la perquisition est un critère important puisqu’un domicile exige des conditions d’exécution plus strictes, justifiant l’atteinte portée au droit de propriété et à la vie privée. Afin de garantir ces protections, la définition du domicile est particulièrement large [13]. Il s’agit de tout lieu, normalement clos, où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux [14]. La protection s’étend également aux annexes de ces lieux, comme les jardins ou les dépendances. Dès lors, les locaux d’un parti politique peuvent-il bénéficier du régime des perquisitions domiciliaires ? La jurisprudence estime qu’une personne morale bénéficie également d’un domicile [15], le lieu effectif de son activité, ce qui sera le cas des différents locaux utilisés par les partis politiques.

 

L’assentiment occasionnel. Une perquisition réalisée dans les locaux d’un parti ou au domicile d’un parlementaire va donc bénéficier du régime des perquisitions domiciliaires. Les conditions de mise en œuvre des perquisitions sont essentiellement prévues dans les articles relatifs à l’enquête de flagrance ; l’enquête préliminaire et l’instruction renvoyant à ces derniers. La principale distinction entre ces différents régimes repose sur l’exigence d’un assentiment donné par l’occupant pour perquisitionner son domicile. Dans le cadre de l’enquête de flagrance [16] ou lors d’une instruction [17], les autorités peuvent s’en dispenser, alors que pour l’enquête préliminaire, cet assentiment est obligatoire [18] et doit être formulé par écrit en toute connaissance de cause [19]. Il suffit qu’un représentant donne son consentement à la perquisition, ce qui suppose d’identifier ce représentant. Toutefois, cet accord doit provenir de l’occupant légitime. Si la mesure est réalisée au sein du Parlement, seul l’accord du député ou du sénateur dont le bureau est perquisitionné autorisera la mesure, aucunement le consentement du président de l’assemblée considérée [20]. Cet assentiment pose de nombreuses difficultés, mais le procureur de la République peut solliciter le juge des libertés et de la détention pour s’en dispenser dès lors que ce dernier autorisera la mesure par décision écrite et motivée non susceptible de recours [21].

 

Une présence exigée. Une perquisition ne peut être menée que par un officier de police judiciaire ou le magistrat instructeur en charge de l’affaire. Le procureur de la République peut également assister l’officier en tant qu’organe de contrôle de l’enquête, ce qui est parfois le cas lorsque l’affaire est considérée comme sensible.

 

Une autre garantie réside dans la présence exigée de l’occupant lors de la perquisition [22]. Cette réclamation permet de s’assurer de l’authentification des documents et des biens qui seraient découverts lors de la mesure, ce que l’occupant ne pourra contester. Cette contrainte protège donc aussi bien la procédure elle-même que la personne qui la subit. La présence du parlementaire sera donc exigée lors de la perquisition de son domicile ou de son bureau personnel tant à l’assemblée que dans les locaux de son parti. En revanche, elle ne sera pas requise pour le reste des locaux. Une personne se comportant comme le représentant qualifié de l’entité sera satisfaisante [23]. Lorsque l’occupant ne peut être présent pour assister à la perquisition, les textes prévoient la possibilité de recourir à un représentant désigné par lui, voire deux témoins requis à cet effet, mais uniquement en cas d’impossibilité de disposer de l’occupant légitime, ce que les autorités devront justifier [24].

 

Une absence remarquée. Une condition à laquelle il aurait été logique de s’attendre concerne la présence d’un avocat lors des perquisitions. Malheureusement, aucun texte ne le prévoit. L’avocat doit être présent lors des interrogatoires, confrontation ou reconstitution, aucunement lors des perquisitions [25]. Selon la Cour de cassation, la présence de l’avocat est subordonnée à l’existence d’une privation de liberté de son client ou une audition sur les faits qui lui sont reprochés [26].

 

Des garanties éparses. Les textes prévoient d’autres garanties permettant de préserver les droits et libertés des justiciables. Ainsi, une perquisition ne peut s’effectuer en dehors de certaines heures légales, de 6 heures à 21 heures, même si elle peut se prolonger au-delà [27]. Cette contrainte horaire permet de préserver un certain respect de la vie privée des justiciables. En tant qu’acte coercitif, il est exigé que la perquisition soit nécessaire et proportionnée, ce que rappelle l’article préliminaire du code [28]. Enfin, les éléments saisis font l’objet d’un inventaire sous la forme d’un procès-verbal signé par l’enquêteur ou le magistrat en charge de l’affaire. Seul l’OPJ ou le magistrat peut prendre connaissance des papiers, documents ou données informatiques avant de procéder à leur saisie [29]. Cette condition vise à assurer la moindre communication des informations recueillies. Les garanties prévues par le Code de procédure pénale assurent une limitation des atteintes aux droits et libertés fondamentales, mais elles peuvent sembler insuffisantes au regard des intérêts en présence. Ces derniers nécessitent des protections renforcées.

 

II - Le débat quant à la carence des protections du politique

 

Le constat est limpide, le législateur n’a pas souhaité protéger particulièrement tant les partis politiques que les parlementaires. Pourtant, il existe de nombreux régimes dérogatoires (A). Serait-il possible d’envisager la transposition de tels régimes, adaptés à la situation actuelle qui fait des politiques l’objet de tant d’attention de la part des autorités judiciaires (B) ?

 

A - Des régimes protecteurs transposables

 

Un secret professionnel préservé. Le législateur a prévu plusieurs régimes dérogatoires dès lors qu’une perquisition peut potentiellement porter atteinte à d’autres droits et libertés fondamentaux, notamment en ce qui concerne des informations sensibles telles qu’un secret professionnel. Sont protégés le secret professionnel de l’avocat [30], du journaliste [31], plus récemment d’un magistrat [32], mais aussi le cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier [33]. Pour ces différentes professions, le législateur prévoit que les perquisitions soient obligatoirement décidées et conduites par un magistrat, procureur de la République ou juge d’instruction, et en présence d’un représentant de l’Ordre ou de la profession concernée [34]. Ce représentant pourra consulter les documents saisis sur sollicitation du magistrat et formuler des observations qui seront jointes au dossier s’il estime que le secret professionnel a été méconnu. Dès lors, il serait envisageable de protéger de manière identique le domicile du parlementaire ou les locaux des partis politiques en raison des informations confidentielles qui peuvent s’y trouver. Néanmoins, toutes les atteintes au secret professionnel ne sont pas protégées puisque la jurisprudence semble considérer cette liste comme exhaustive. Ainsi, n’est pas protégé le mandataire judiciaire [35], l’expert-comptable [36], le commissionnaire agréé près d'une bourse de commerce [37]. La Cour de cassation estime également que le secret de la confession ne constitue pas un obstacle à la perquisition [38]. Pour ces situations, la législation précise juste que l’OPJ doit provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense [39].

 

Un régime variable. Pour certaines professions, les mesures de protection sont encore renforcées, le législateur considérant que l’intérêt protégé est plus important que le simple secret professionnel. Il s’agit notamment de la profession de journaliste, d’avocat et de magistrat. Pour celles-ci, outre leurs locaux professionnels, leurs domiciles sont aussi protégés [40]. Concernant l’avocat [41], le Bâtonnier ou son représentant aura connaissance de la décision motivée à l’origine de la perquisition comportant la nature de l’infraction sur laquelle porte les investigations, les raisons et l’objet de la mesure. En outre, il prendra connaissance des documents en même temps que le magistrat dès lors que ce dernier manifestera son intention de saisir le document, et non uniquement sur la sollicitation du magistrat. Le Bâtonnier ou son représentant, et, dans le cas du journaliste, le journaliste lui-même, pourront contester la saisie d’un document qui sera soumis à l’appréciation du juge des libertés et de la détention qui estimera si le document pourra ou non être versé à la procédure dans les cinq jours suivant la réception des pièces, par ordonnance motivée non susceptible de recours. Un document qui a trait aux droits de la défense est considéré comme insaisissable [42], sauf si la saisie du document permet de prouver l’infraction commise par le conseil lui-même [43]. Le rôle du juge des libertés et de la détention est d’estimer à la fois si le document est utile pour l’enquête en cours, au regard des faits recherchés, mais également si ce document n’est pas couvert par les droits de la défense. La même procédure s’applique aussi désormais au magistrat lorsqu’une perquisition sera décidée dans les locaux d’une juridiction ou au domicile d’une personne exerçant des fonctions juridictionnelles et qui tendent à la saisie de documents susceptibles d'être couverts par le secret du délibéré [44].

 

Même si ces secrets doivent être protégés, les saisies sont permises afin d’assurer le respect de l’ordre public [45]. La Cour de cassation cherche à maintenir un équilibre entre respect de la vie privée et de l’ordre public en procédant par un contrôle de proportionnalité, chère à la Cour européenne des droits de l’Homme, en validant les perquisitions dès lors qu'il est établi «que ces ingérences de l'autorité publique étaient nécessaires et proportionnées au but légitime visé» [46]. La manifestation de la vérité prime ainsi sur le secret professionnel.

 

La protection des données très sensibles. Les possibilités de perquisitionner sont limitées aussi dès lors qu’elles peuvent porter atteinte aux secrets militaires [47] ou les lieux comportant des éléments couverts par le secret de la Défense nationale [48]. Enfin, il est impossible de perquisitionner les locaux diplomatiques, correspondants aux locaux des ambassades, la demeure privée de l'agent diplomatique et les locaux consulaires de travail [49]. Cette immunité bénéficie en outre à sa famille et au personnel administratif et technique. Cette même inviolabilité des locaux est prévue pour les bâtiments de l’Union européenne [50]. Cette solution s’applique à toutes les organisations internationales ayant leur siège en France. Une perquisition ne sera possible qu’avec la réquisition d’intervenir délivrée par l’autorité diplomatique concernée [51]. Une telle protection s’adapte à des lieux très particuliers, pour lesquels l’autorité judiciaire détient une compétence très limitée, eu égard aux secrets de la défense nationale, ou au fait que la compétence judiciaire française est rejetée, ce qui est le cas des protections diplomatiques ou équivalentes. Ces hypothèses ne correspondent pas à celles visées dans la possible protection du politique, même si l’on pourrait mettre en avant le principe de séparation des pouvoirs, ce qui serait néanmoins difficilement applicable.

 

B - Des garanties renforcées envisageables

 

Des garanties insuffisantes. Le constat d’une protection très limitée du politique n’est pas satisfaisant. Alors que nombreux sont ceux qui pensent que les parlementaires, voire les partis politiques, bénéficient d’un régime de faveur, il n’en est rien. La loi ainsi que la jurisprudence et les usages ne leur octroient aucune garantie propre. Peut-on réellement considérer qu’un parlementaire, élu par le peuple souverain, exige le même traitement que n’importe quel justiciable, ou, qu’au contraire, son statut particulier doit le préserver des ingérences de l’autorité judiciaire ? Il est vrai que sa personne même est relativement protégée, mais ne doit-il pas en être de même pour ses biens ? Les documents qu’une perquisition pourrait mettre en évidence, tels que la liste des membres d’un parti, ou encore le prochain programme de campagne, peuvent être saisis hors la présence d’un magistrat et sans contestation possible. Qu’un «simple» enquêteur puisse avoir connaissance de ces informations particulièrement sensibles semble insuffisant.

 

Une multiplication des incursions. L’accroissement des moyens pour préserver les parlementaires et les partis politiques est d’autant plus légitime que l’autorité judiciaire multiplie ses incursions dans leurs affaires. Il est désormais loin le temps où un commissaire de police refuse de perquisitionner les locaux d’un élu ou qu’il le prévienne en amont. La Justice n’a plus aucune appréhension à s’en prendre aux autres pouvoirs, et ne prend aucune réelle précaution. Même si aucun texte n’interdit, dans le cadre d’une enquête, qu’un OPJ puisse procéder à la perquisition du domicile d’un parlementaire, le procureur de la République pourrait estimer assurer une meilleure application de la justice en requérant l’ouverture d’une information judiciaire. Rien ne l’y oblige, mais il indiquerait, par cette décision, qu’il tient compte des particularités et de la sensibilité d’une telle mesure de contrainte, en confiant la procédure à un magistrat du siège, indépendant et impartial. Cette solution n’est aucunement retenue actuellement et, encore récemment, le domicile d’un député a été perquisitionné dans le cadre d’une enquête préliminaire.

 

Des garanties renforcées semblent en adéquation avec les enjeux relevés. L’image de la justice est largement écornée par les médias. Elle en ressortirait grandie si elle montrait une impartialité et une indépendance renforcée. Certes, le procureur de la République, selon le Code de procédure pénale [52] et encore le Conseil constitutionnel récemment [53], serait indépendant et impartial. Pour autant, ces garanties demeurent très discutées par la doctrine [54], et à juste titre, ce que ne manque pas de rappeler la Cour européenne des droits de l’Homme [55].

 

Une solution limitrophe. Plusieurs de nos Etats voisins n’hésitent pas à retenir un régime plus protecteur. Par exemple, en Belgique, la décision de perquisitionner un parlementaire ne peut être prise que par les plus Hautes autorités judiciaires [56]. La mesure ne pourra être ordonnée que par le premier président de la cour d’appel sur demande du juge compétent. En outre, les perquisitions et saisies autorisées devront être accomplies en présence du président de la chambre concernée. Ce régime équivaut, en droit interne, à celui retenu pour la perquisition du cabinet d’un magistrat. La Belgique prévoit également des règles analogues pour les parlementaires des communautés et des régions, transférant ces protections à l’ensemble de leurs représentants. La commission d’un flagrant délit permettrait de contourner ce régime, mais l’usage veut que les autorités belges se couvrent en sollicitant également la levée de l’immunité en question, ou attendent la fin du mandat de l’intéressé. Il est évident que ces derniers prennent en compte l’image que pourrait renvoyer une perquisition réalisée sans prendre toutes les précautions nécessaires. La position italienne est semblable [57]. Une autorisation de la Chambre est nécessaire pour soumettre un parlementaire à une perquisition, à une fouille personnelle, pour le placer sous écoute, l'arrêter ou le maintenir en détention, à moins qu'il ne s'agisse de l'exécution d'un jugement définitif de condamnation ou d'un flagrant délit passible d'une arrestation obligatoire. Par conséquent, un tel régime protecteur serait parfaitement envisageable en France.

 

Une amélioration à prévoir. Une telle modification est confortée par la législation relative à l’état d’urgence qui interdit de perquisitionner un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire, au même titre que les lieux d’activité des avocats, des magistrats ou des journalistes [58]. Cette solution a encore été récemment reprise par le législateur [59], et protège également les domiciles de ces personnes en ce qui concerne les perquisitions administratives prévues par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme [60]. Enfin, un parlementaire dispose de la même protection qu’un avocat et qu’un magistrat en ce qui concerne les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques [61]. Dès lors, si le législateur a estimé que ces fonctions exigent des garanties similaires pour d’autres mesures que les perquisitions judiciaires, il est logique d’estimer qu’il devrait en être de même pour ces dernières. La fonction de parlementaire exige ces protections, mais également les locaux des partis politiques dès lors qu’ils renferment des informations sensibles. Il est indispensable de montrer que nos institutions doivent être préservées afin de garantir leur respect. Si la Justice ne respecte pas nos plus Hautes institutions, pourquoi les justiciables le feraient-ils ?

 

 

[1] Dans cette présentation, il faut considérer que les termes de parti et de groupement sont indifférents, ce qui ressort des travaux parlementaires. Voir JO, Sénat, débats, séance du 15 novembre 1989, p. 3327 à 3335. La distinction permet le financement de groupes de députés ou de sénateurs que la seule formulation de parti n’aurait pas permis.

[2] CE Assemblée, 30 octobre 1996, n° 177927 (N° Lexbase : A1478APG) ; RFDA, 1997, p. 59, concl. Touvet ; D., 1996, p. 259.

[3] Il existe également, depuis la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7041IMQ), des perquisitions destinées à rechercher des biens susceptibles de confiscation.

[4] Cass. crim., 29 mars 1994, n° 93-84.995 (N° Lexbase : A4211CK8), Bull. crim. n° 118 ; Dr. pén., 1994, chron. 40, note V. Lesclous et C. Marsat ; ibid., comm. 194, note A. Maron. ; D., 1994, somm. p. 144, note J. Pradel.

[5] Avant la loi constitutionnelle du 4 août 1995, n° 95-880, il fallait obtenir l’autorisation de l’Assemblée pour pouvoir poursuivre un parlementaire.

[6] Sachant, en outre, que c’est désormais le Bureau qui prononce la levée de l’immunité et non l’Assemblée elle-même. L’autorisation doit être présentée par le procureur général près la cour d’appel compétente et transmise par le Garde des sceaux au président de l’assemblée concernée. Cette demande doit comporter les mesures envisagées et les motifs invoqués.

[7] L’Assemblée nationale, par exemple, a dû statuer 47 fois et a accepté à 17 reprises la levée de l’immunité parlementaire.

[8] Le premier cas concernait François Mitterrand en 1959, alors qu’il était sénateur.

[9] A titre d’exemple, a été levée l’immunité du député Bernard Tapie, à deux reprises, du sénateur Gaston Flosse, mis en examen pour détournement de fonds publics, du député Georges Tron, mis en examen pour viols et agressions sexuelles en réunion par personne ayant autorité, du député Patrick Balkany, mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale, ou encore du sénateur Jean-Noël Guérini dans une affaire concernant des faits de trafic d'influence et d’association de malfaiteurs.

[10] Voir le Protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, art. 10, JO 29 juillet 1967 ; également Trib. UE, 17 janvier 2013, aff. T-346/11, B. G. c/ Parlement européen (N° Lexbase : A2950I3N).

[11] Circ. 11 août 1958, art. 2, al. 2.

[12] Cass. crim., 27 janvier 1987, n° 86-93.278 (N° Lexbase : A7139AAN), Bull. crim. n° 41.

[13] Elle correspond à la définition retenue pour l’infraction de violation de domicile. Voir notamment Rev. sc. crim. 1989, p. 113, obs. G. Levasseur.

[14] Cass. crim., 26 février 1963, n° 62-90.653 (N° Lexbase : A0291CKY), Bull. crim. n° 92 ; Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 14-83.702, F-D (N° Lexbase : A6534MYN).

[15] Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-81.141 (N° Lexbase : A8726ABS), Bull. crim. n° 193.

[16] C. pr. pén., art., 56 (N° Lexbase : L4944K8M).

[17] C. pr. pén., art., 96 (N° Lexbase : L4948K8R), qui renvoie à l’article 56.

[18] C. pr. pén., art., 76 (N° Lexbase : L7225IMK).

[19] Cass. crim., 28 janvier 1987, n° 85-95.180, (N° Lexbase : A6813AAL), Bull. crim. n° 48.

[20] Cette solution peut être déduite par analogie. La Cour de cassation a estimé que l’accord du vice-président d’une chambre des métiers ne permettait pas de perquisitionner le bureau du président de la chambre, considérant qu’il s’agissait de son domicile (Cass. crim., 24 juin 1987, n° 87-82.333 N° Lexbase : A8481CIX, Bull. crim. n° 267).

[21] C. pr. pén., art. 76 et uniquement pour des faits concernant des infractions punies d’une peine d’emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans.

[22] C. pr. pén., art. 57 (N° Lexbase : L6470KU8).

[23] Cette solution se dégage une fois encore des décisions rendues par la Cour de cassation dans des situations similaires. Voir, Cass. crim., 30 mai 1996, n° 95-85.954 (N° Lexbase : A5575CKP), Bull. crim. n° 226.

[24] Voir par exemple Cass. crim., 23 février 1988, n° 87-90.117 (N° Lexbase : A7251AAS), Bull. crim. n° 91.

[25] Cass. crim., 20 février 2002, n° 01-88.335 (N° Lexbase : A1908AYC).

[26] Cass. crim., 3 avril 2013, n° 12-88.428, F-P+B (N° Lexbase : A4106KC3).

[27] C. pr. pén., art. 59 (N° Lexbase : L4444DGP).

[28] «Les mesures de contraintes [...] doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne». Ce que vérifie tant le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 94-352 DC du  janvier 1995 N° Lexbase : A8320AC7), la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396, N. c/ Allemagne N° Lexbase : A6532AWT, RTDH, 1993, p. 467), que la Cour de cassation (Cass. crim., 27 janvier 1987, n° 86-93.278 N° Lexbase : A7139AAN, Bull. crim. n° 41).

[29] C. pr. pén., art., 56.

[30] C. pr. pén., art. 56-1 (N° Lexbase : L3557IGT).

[31] C. pr. pén., art. 56-2 (N° Lexbase : L3573IGG).

[32] C. pr. pén., art. 56-5 (N° Lexbase : L4832K8H).

[33] C. pr. pén., art. 56-3 (N° Lexbase : L2828IPG).

[34] Sauf pour le journaliste qui se défendra seul.

[35] Cass. crim., 18 juin 2003, n° 03-81.979, F-P+F (N° Lexbase : A0422C9I), Bull. crim. n° 129.

[36] Cass. crim., 22 février 2001, n° 99-30.041 (N° Lexbase : A2890AYP), Bull. crim. n° 47.

[37] Cass. crim., 23 mars 1977, n° 75-92.170 (N° Lexbase : A6719CIP, Bull. crim. n° 109.

[38] Cass. crim., 17 décembre 2002, n° 02-83.679, FS-P+F (N° Lexbase : A5350A4W), Bull. crim. n° 231.

[39] C. pr. pén., art., 56.

[40] Pour le journaliste, sont visés les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne, d'une agence de presse, les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou le domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle.

[41] Ainsi que les locaux de l’ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats ainsi qu'aux cabinet et domicile du Bâtonnier depuis la loi no 2005-1549 du 12 décembre 2005 (N° Lexbase : L4971HDH). Pour ces locaux, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal de grande instance qui doit être préalablement avisé de la perquisition.

[42] Cass. crim., 9 février 1988, n° 87-82.709 (N° Lexbase : A7227AAW), Bull. crim. n° 63 ; Cass. crim., 5 juillet 1993, n° 93-81.275 (N° Lexbase : A2173CGL), Bull. crim. n° 236 ; Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-84.931 (N° Lexbase : A4422CGU), Bull. crim. n° 87.

[43] Cass. crim., 20 janvier 1993, n° 92-85.548 (N° Lexbase : A2273CIZ), Bull. crim. n° 29 ; Cass. crim., 26 juin 1995, n° 95-82.333 (N° Lexbase : A0979CKH), Bull. crim. n° 235.

[44] Pour ces perquisitions, la personne présente afin d’assurer le respect des saisies sera le premier Président de la cour d’appel ou le premier président de la Cour de cassation ou leurs délégués.

[45] Voir par exemple pour le cas du journaliste et la possibilité de saisir des documents portant atteinte au secret des sources : Cass. crim., 5 décembre 2000, n° 00-85.695 (N° Lexbase : A3449AUB), D., 2002, p. 2769, obs. J.-Y. Dupeux.

[46] Cass. crim., 30 octobre 2006, n° 06-85.693, F-P+F (N° Lexbase : A3175DSE), Bull. crim. n° 258.

[47] C. pr. pén., art. 698-3 (N° Lexbase : L4067AZN).

[48] C. pr. pén., art. 56-4 (N° Lexbase : L5991LCU). Doit être présent le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale, mais il n’existe aucune possibilité de s’opposer aux saisies.

[49] Selon la Convention de Vienne conclue le 18 avril 1961 (N° Lexbase : L6801BHD).

[50] Article 1 du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union Européenne : «Les locaux et les bâtiments de l'Union sont inviolables. Ils ne peuvent être perquisitionnés, réquisitionnés, confisqués ou expropriés. Les biens et avoirs de l'Union ne peuvent être l'objet d'aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour de justice».

[51] Cass. crim., 30 janvier 1979, n° 78-93.782 (N° Lexbase : A5238CK9), Bull. crim. n° 43.

[52] C. pr. pén., art. 31 (N° Lexbase : L4927IXR).

[53] Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B).

[54] A titre d’exemple, voir H. Matsopoulou, JCP éd. G, 2018, 51.

[55] Notamment CEDH, 3 juin 2003, Req. 33343/96, P. c/ Roumanie (N° Lexbase : A6967CKA).

[56] Article 59 de la Constitution belge, alinéas 2 et 3.

[57] Article 68 de la Constitution italienne.

[58] Article 11 de la loi no 55-385 du 3 avril 1955 (N° Lexbase : L6821KQP) dans sa version modifiée par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 (N° Lexbase : L0527LDU).

[59] C. sécu. int., art. L. 229-1, al. 2 (N° Lexbase : L1496LKM).

[60] Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 (N° Lexbase : L2052LHH).

[61] Le président de l'assemblée à laquelle il appartient doit être informé de la mesure par le juge d'instruction : article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ).

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Procédure pénale

[Brèves] Régime de la garde à vue des mineurs : inconstitutionnalité avec application immédiate

Réf. : Cons. constit., décision n° 2018-744 QPC, du 16 novembre 2018 (N° Lexbase : A2029YLQ)

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N6409BXN

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par June Perot

Le 21 Novembre 2018

► Les dispositions des articles 8 et 9 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante (N° Lexbase : L4662AGR), dans leur rédaction résultant de la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 (N° Lexbase : L4010AMH), qui permettent que tout mineur soit placé en garde à vue pour une durée de 24 heures renouvelable avec comme seul droit celui d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure, sont inconstitutionnelles ;

 

en effet, le Conseil relève qu’ainsi, le législateur de 1974 qui n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, a alors méconnu les articles 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration de 1789. D'autre part, il a alors contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;

 

cette inconstitutionnalité intervient immédiatement et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date du 16 novembre 2018.

 

Telle est la position adoptée par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 16 novembre 2018 (Cons. constit., décision n° 2018-744 QPC, du 16  novembre 2018 N° Lexbase : A2029YLQ).

 

Le Conseil avait été saisi par la Chambre criminelle par un arrêt du 11 septembre 2018 (v. Droits de la défense des mineurs privés de liberté : la Chambre criminelle renvoie une QPC N° Lexbase : N5479BX9). La QPC était formulée comme suit : «Les dispositions des articles 61 (N° Lexbase : L4985K87), 62 (N° Lexbase : L3155I3A), 63 (N° Lexbase : L3154I39) et 64 (N° Lexbase : L9748IPQ) du Code de procédure pénale, en leur rédaction applicable aux faits, celles des articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante, en leur rédaction applicable aux faits, en ce qu’elles s’abstiennent de prévoir le droit à l’information, le droit de se taire, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un examen médical et le droit à la présence d’un représentant légal, méconnaissent-elles les droits de la défense tels que garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le droit à la présomption d’innocence consacré par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et le principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit pénal spécial et protecteur des mineurs ?».

 

La requérante soutenait que les dispositions contestées méconnaîtraient la présomption d’innocence et les droits de la défense garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, dès lors qu'elles permettraient, dans le cadre d'une instruction, le placement d'un mineur en garde à vue sans que celui-ci bénéficie des garanties nécessaires au respect de ses droits, notamment l'assistance d'un avocat, la notification du droit de garder le silence et l'information de son représentant légal.

 

Enonçant la solution susvisée, le Conseil déclare que les mots «soit dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du Code de procédure pénale» figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 8 et les mots «procédera à l'égard du mineur dans les formes du chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et» figurant au premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans leur rédaction résultant de la loi du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité, sont contraires à la Constitution.

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Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Communauté légale : rappels nécessaires sur le passif définitif de communauté et la preuve du caractère propre des biens

Réf. : Cass. civ. 1, 17 octobre 2018, n° 17-26.713, F-P+B (N° Lexbase : A9891YGG)

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux

Le 21 Novembre 2018

(i) Attendu que la communauté se compose passivement, à titre définitif ou sauf récompense, des dettes nées pendant la communauté et que celles résultant d'un emprunt contracté par un époux sans le consentement exprès de l'autre doivent figurer au passif définitif de la communauté dès lors qu'il n'est pas établi qu'il a souscrit cet engagement dans son intérêt personnel (défaut de base légale au regard de l’article 1409 du Code civil N° Lexbase : L1540ABN) ;

 

(ii) Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi ; viole l’article 1402 ([LXB=1533ABE]) la cour d’appel qui, pour fixer à la une certaine somme la valeur du mobilier commun et rejeter la demande du mari visant à ce le partage tienne compte des emports de meubles déjà effectués par l’épouse, se borne à constater que l’épouse fait valoir que, si, lors de son départ du domicile conjugal, elle a emporté du mobilier donné par ses grands-parents, elle n'a déplacé aucun meuble commun, et retient que le mari ne rapporte pas la preuve contraire, alors qu’il incombait à l’épouse, qui revendiquait le caractère propre d'un bien, d'en rapporter la preuve.

 

La présente décision, rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 octobre 2018, tranche sans surprise deux questions qui sont importantes au plan pratique. D’une part, où faut-il faire figurer, lors de la liquidation de la communauté, les emprunts souscrits par un époux seul, ce qui invite à réfléchir au traitement de ces dettes au stade de la contribution à la dette (I) ? D’autre part, si l’un des époux prétend n’avoir pris, à son départ du domicile, que des meubles qui lui sont propres, qui supporte la charge de la preuve du caractère propre de ces biens (II) ?

 

I - Emprunts souscrits par un époux seul et contribution à la dette

 

L’arrêt commenté vient réaffirmer une solution qui semble avoir un peu de mal à entrer dans l’oreille des juges du fond, encore qu’elle soit connue de longue date : les emprunts souscrits par un époux seul doivent, par principe, être inscrits au passif définitif de la communauté. 

 

En effet, il s’agit ici de ne pas confondre obligation et contribution à la dette dans le régime de communauté légale pour la détermination de la consistance de la masse passive de la communauté.

 

On rappellera que l'obligation à la dette fixe l'assiette du droit de poursuite des créanciers, c'est-à-dire le patrimoine à l'encontre duquel il pourra exercer ses actions pour recouvrer sa créance. L’obligation à la dette est régie par les articles 1413 (N° Lexbase : L1544ABS) et 1415 (N° Lexbase : L1546ABU) du Code civil. Le premier texte pose en règle que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu pendant la communauté (quelle que soit l’origine de ces dettes) peut être poursuivi sur les biens communs, qu'il s'agisse d'une dette née du chef des deux époux ou du chef d’un seul d’entre eux. Le second texte, l’article 1415, restreint ce droit de gage pour deux dettes que le législateur de 1985 a jugé particulièrement dangereuses, le cautionnement et l’emprunt (et assimilés, par exemple, une garantie autonome ou un découvert bancaire). L'engagement est alors limité aux seuls biens propres et revenus de l’époux caution.

 

La contribution à la dette concerne les seuls époux (et non leurs créanciers), et permet de dire quelle masse de biens (commune ou propre) devra supporter la charge définitive de la dette. Il résulte des articles 1409 (N° Lexbase : L1540ABN), 1416 (N° Lexbase : L1547ABW) et 1417 (N° Lexbase : L1548ABX) du Code civil que la communauté est en principe tenue à titre définitif de toutes dettes nées pendant son cours : chaque époux est censé agir dans l'intérêt de la communauté, qui est donc engagée au titre de la contribution. Cette présomption n'est évidemment pas irréfragable et celui des époux qui n'est pas le solvens peut tout à fait prouver que son conjoint a agi dans son intérêt personnel et que donc la dette n'a pas été contractée dans l'intérêt de la communauté.

 

Telle est la solution rappelée par la Cour de cassation en l'espèce : les dettes nées pendant la communauté et celles résultant des emprunts contractés par un époux sans le consentement de l'autre sont présumées communes et doivent être assumées à titre définitif par la communauté, sauf à démontrer que l'époux souscripteur avait agi dans son intérêt personnel. La cour d’appel avait tenu un autre raisonnement, basé sur l’idée que la communauté ne doit être tenue que des dettes qui lui ont profité et qu’en outre le montant cumulé des emprunts était excessif par rapport aux revenus du ménage (CA Bordeaux, 20 juin 2017, n° 16/03847 N° Lexbase : A4341WIM). L’erreur était manifeste, d’autant que la référence au caractère excessif des emprunts est tirée des dispositions de l’article 220 du Code civil (N° Lexbase : L7843IZI), texte qui est relatif à l’obligation à la dette pour les dettes ménagères, alors que ce texte n’a rien à faire au plan contributif.

 

La censure est donc logique. Elle était hautement prévisible, puisque la solution a déjà été posée à propos du cas spécifique des emprunts, comme en l’espèce (v., Cass. civ. 1, 31 mars 1987, n° 85-14.974, publié au bulletin N° Lexbase : A1280AHU, Bull. civ. I, n° 114, JCP éd. N, 1988, II, 66, obs. Ph. Simler ; Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 05-15.940, FS-P+B N° Lexbase : A4160DYQ, Bull. civ. I, n° 278 ; JCP 2007, I, 208, obs. Ph. Simler ; AJ fam., 2008, 438, obs. P. Hilt ; Gaz. Pal., 22 novembre 2008, p. 47, obs. J. Casey). Elle a été affirmée aussi à propos du cautionnement (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-14.230, FS-P+B+I N° Lexbase : A1241E4Q, Bull. civ. I, n° 166, AJ fam., 2010, p. 443, obs. P. Hilt). Par conséquent, les deux types de dettes visées par l’article 1415 ont un régime bien fixé au plan contributif : c’est du passif définitif de communauté par principe.

 

Cependant, ce principe est immédiatement tempéré, puisque le chapeau de la présente décision réserve expressément le cas de la dette que le solvens aurait souscrit «dans son intérêt personnel». En termes de charge de la preuve, ce sera l’époux non débiteur qui devra prouver que la dette n’a aucune raison de figurer au passif de la communauté lors de la liquidation. Il le fera en prouvant que la dette est étrangère à la masse commune, généralement parce qu’elle ne lui profite en rien (dette de l’article 1417 du Code civil et/ou dettes présentant un caractère personnel étranger au conjoint et au ménage). Tel sera le cas, par exemple, d’un cautionnement donné par un époux au profit d’un tiers (sauf s’il s’agit d’une société commune, bien entendu), ou bien encore d’un emprunt dont les fonds n’ont pas profité à la communauté (financement d’un bien propre à l’époux emprunteur, par exemple). Mais si cet emprunt a financé un acquêt, la cause sera entendue, et l’inscription au passif définitif de la communauté acquise, quand bien même ledit bien n’existerait plus au jour de la liquidation.

 

Cependant, dans l’hypothèse où l’emprunt ou le cautionnement n’aurait pas profité à la communauté, il faudra encore distinguer selon que des deniers communs auront été utilisés pour rembourser les mensualités ou payer le créancier. Si aucun argent commun n’a été utilisé, l’emprunt ou le cautionnement sera alors totalement étranger à la communauté (pas d’inscription au passif, et aucune récompense due à la masse commune). Au contraire, si des deniers communs ont été utilisés pour rembourser le prêteur ou payer le créancier, une récompense au profit de la communauté apparaîtra (le montant de cette récompense est une question à part entière qui ne sera pas traitée ici).

 

Pour le cas spécifique de l’emprunt, on peut résumer son régime en communauté de façon assez simple.

 

- Au plan de l’obligation à la dette, l’emprunt n’engage pas la communauté (C. civ., art. 1415), sauf consentement exprès du conjoint non emprunteur (au sens de l’article 1415), étant précisé que, si l’emprunt peut être qualifié de ménager (C. civ., art. 220), il engagera l’ensemble des biens du ménage, y compris les biens propres de l’époux non emprunteur, puisque la dette sera qualifiée de solidaire.

 

- Au plan de la contribution à la dette, l’emprunt fait partie du passif définitif de la communauté par principe, sauf à l’époux non emprunteur à démontrer qu’il a été souscrit par l’autre époux dans l’intérêt personnel de ce dernier. Si des deniers communs ont servi à régler cet emprunt, une récompense sera due à la communauté.

 

Par conséquent, l’arrêt invite les juristes, qu’ils soient juges, notaires ou avocats (mais aussi les banques), à ne pas confondre obligation et contribution à la dette. C’est pour avoir un peu tout mélangé que les conseillers bordelais sont censurés au cas présent. Il convient donc que tout praticien identifie nettement le domaine dont relève son dossier. S’agit-il d’un problème de droit de gage du créancier ? C’est alors l’obligation à la dette qui est en cause. S’agit-il au contraire d’un problème liquidatif dans les rapports entre époux ? Ce sont alors les règles de la contribution à la dette qui doivent s’appliquer. Rigueur, rigueur...

 

II - Preuve du caractère propre d’un bien

 

L’article 1402 du Code civil (N° Lexbase : L1533ABE) dispose clairement, en son alinéa 1er, que «tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi». Et l’alinéa deux enfonce le clou en précisant que la propriété personnelle d’un époux, si elle est contestée, doit être prouvée par écrit, sauf pour les biens qui portent en eux-mêmes la preuve ou la marque de leur origine. Le second moyen de cassation jouait donc sur du velours. En effet, comme il est fréquent en matière de divorce, les époux se disputaient à propos des meubles, le mari soutenant que sa femme était partie avec des meubles de la communauté, ce que cette dernière niait, affirmant n’avoir pris que des meubles propres, provenant de la succession de ses grands-parents. La cour d’appel a rejeté les demandes de restitution du mari en jugeant que ce dernier ne produisait aucune pièce pour contrer l’affirmation de l’épouse. L’erreur de droit était une fois encore patente, puisque les conseillers d’appel ont inversé la charge de la preuve, la seule lecture de l’article 1402 aurait dû les en convaincre. Il ne pouvait donc faire de doute que c’était à l’épouse de prouver (contre la présomption de communauté) que les meubles qu’elle avait pris relevaient de ses biens propres. La censure était donc inévitable.

 

On précisera enfin que l’époux qui doit prouver contre la présomption de communauté doit rapporter, par principe, une preuve écrite, ce qui est souvent oublié (v., Rep. civ. Dalloz, v° Communauté légale : actif des patrimoines, 2018, par G. Yildrim et A. Chamoulaud-Trapiers, spec., n° 214 et s.). C’est un écrit très souplement entendu, certes, mais cela n’en reste pas moins un écrit. Le code vise «tous écrits, titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banques et factures», ce qui laisse une souplesse appréciable. Quant à l’impossibilité morale ou matérielle de se procurer un écrit, prévue par la dernière phrase du texte, on ne trouve pas trace d’un arrêt l’ayant retenue, ce qui ne saurait surprendre, puisque nul ne voit où serait l’impossibilité d’avoir un écrit dans une donation, une succession, et en quoi il serait impossible de rédiger un contrat de mariage afin de lister les biens présents.

 

L’arrêt remet donc les choses à l’endroit, et il appartiendra à l’épouse de prouver que les biens qu’elle a pris étaient des biens propres provenant de la succession de ses grands-parents, et elle devra le faire par écrit, fût-ce un écrit souplement entendu. Sauf bien sûr, si ces meubles portent «en eux-mêmes» la marque de leur origine (meubles armoriés, chiffrés, nominatifs, signés, etc.) auquel cas, cette seule marque suffira à faire preuve parfaite (mais l’autre époux sera évidemment admis à prouver que la communauté les a acquis d’un membre de la famille, ce qui en ferait des acquêts).

 

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Sociétés

[Brèves] La compétence des tribunaux de commerce élargit à toute opération présentant un lien direct avec la gestion de la société et ce, peu importe la qualité de commerçant de son auteur

Réf. : Cass. com., 14 novembre 2018, n° 16-26.115, F-P+B+I N° Lexbase : A1462YLQ

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N6399BXB

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par Gözde Lalloz

Le 22 Novembre 2018

► Les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat ainsi que les opérations menées par le liquidateur se rattachent par un lien direct avec la gestion de la société, et ce, peu importe que le gérant ou le liquidateur n’ait pas la qualité de commerçant ou n’ait pas accompli d’actes de commerce. Telle est la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt daté du 14 novembre 2018 (Cass. com., 14 novembre 2018, n° 16-26.115, F-P+B+I N° Lexbase : A1462YLQ).

 

En l’espèce, un contrat de partenariat et de distribution de téléphones mobiles souscrit par une société a été requalifié en contrat de travail par les juridictions prud’homales. Au cours de la procédure, la société, mise en liquidation amiable, a été assignée en vertu de l’article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L2068KGP) devant le tribunal de commerce afin qu’il soit statué sur les conséquences de la décision prud’homale sur l’exécution desdits contrats.

 

Statuant sur un contredit, la cour d’appel retient, dans son arrêt daté du 20 septembre 2016, l’incompétence du tribunal de commerce au motif que le gérant n’avait pas la qualité de commerçant et que ses manquements ne se rattachaient pas à la gestion de la société par un lien direct ou ne constituaient pas des actes de commerce. Elle applique le même raisonnement s’agissant des actes accomplis par le liquidateur en arguant la compétence exclusive des juridictions civiles.

 

Or, cette analyse est rejetée par la Cour de cassation qui énonce d’une part, que les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat et, d’autre part, les actions menées par un liquidateur dans l’intérêt social de la société se rattachent par un lien direct avec la gestion de celle-ci et que la circonstance qu’ils ne soient pas personnellement commerçants ou qu’ils n’aient pas accompli d’actes de commerce demeure indifférente.

 

Dès lors, le tribunal de commerce était bien compétent pour traiter du litige, peu importe la qualité de commerçant des défendeurs.

newsid:466399

Transport

[Brèves] Vol intracommunautaires : obligation d’indiquer les tarifs dans une monnaie liée au service proposé

Réf. : CJUE, 15 novembre 2018, aff. C-330/17 (N° Lexbase : A1714YL3)

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N6403BXG

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par Vincent Téchené

Le 21 Novembre 2018

► Les transporteurs aériens qui n’expriment pas les tarifs des passagers pour les vols intracommunautaires en euros sont tenus d’indiquer ces tarifs dans une monnaie nationale objectivement liée au service proposé. Tel est, notamment, le cas de la monnaie ayant cours légal dans l’Etat membre dans lequel se situe le lieu de départ ou le lieu d’arrivée du vol concerné. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la CJUE le 15 novembre 2018 (CJUE, 15 novembre 2018, aff. C-330/17 N° Lexbase : A1714YL3).

 

Dans cette affaire, un client se trouvant en Allemagne a réservé sur le site internet exploité par une compagnie aérienne, un vol reliant Londres (Royaume-Uni) à Stuttgart (Allemagne). Le tarif de ce vol était uniquement indiqué en livres sterling (GBP). Considérant que cette pratique constituait un comportement déloyal et que les tarifs relatifs à ce vol devaient être indiqués en euros, une association de consommateurs a introduit une action en cessation de cette pratique. C’est dans ce contexte que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a décidé de poser des questions à la Cour de justice.

 

La CJUE relève que le Règlement n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 (N° Lexbase : L7127IBL) confère aux transporteurs aériens le choix d’indiquer les tarifs des passagers pour les services aériens intracommunautaires «en euros ou en monnaie nationale». Il ne contient aucune précision quant à la monnaie nationale dans laquelle doivent être indiqués les tarifs des passagers lorsqu’ils ne sont pas exprimés en euros.

 

La Cour constate néanmoins que l’objectif de comparabilité effective des prix poursuivi par le Règlement serait compromis si le choix dont disposent les transporteurs aériens pour déterminer la monnaie dans laquelle ils indiquent les tarifs des passagers pour les services aériens intracommunautaires n’était pas encadré. A l’inverse, cette comparabilité effective serait facilitée si les transporteurs aériens indiquaient les tarifs des passagers dans une monnaie nationale objectivement liée au service proposé. La Cour juge dès lors que, lors de l’indication des tarifs des passagers pour les services aériens intracommunautaires, les transporteurs aériens qui n’expriment pas ces tarifs en euros sont tenus de choisir une monnaie nationale objectivement liée au service proposé et que tel est, notamment, le cas de la monnaie ayant cours légal dans l’Etat membre dans lequel se situe le lieu de départ ou le lieu d’arrivée du vol concerné.

 

Ainsi, dans une situation telle que celle en cause, dans laquelle un transporteur aérien établi dans un Etat membre (l’Allemagne) où l’euro a cours légal propose, sur internet, un service de transport aérien dont le lieu de départ se situe dans un autre Etat membre (le Royaume-Uni), dans lequel une monnaie autre que l’euro a cours légal (la livre sterling), les tarifs des passagers peuvent, à défaut d’être exprimés en euros, être indiqués dans la monnaie nationale de cet autre Etat membre (la livre sterling).

newsid:466403

Urbanisme

[Brèves] Loi «Elan» : validation par les Sages des mesures relatives aux règles de construction dans les zones littorales et aux normes d'accessibilité

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018 (N° Lexbase : A1890YLL)

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N6411BXQ

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par Yann Le Foll

Le 21 Novembre 2018

Les mesures relatives aux règles de construction dans les zones littorales et aux normes d'accessibilité en faveur des personnes handicapées dans la construction des bâtiments d'habitation collectifs de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique sont conformes à la Constitution. Telle est la solution d’une décision rendue le 15 novembre 2018 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018 N° Lexbase : A1890YLL).

 

Concernant la modification des règles applicables en matière de construction dans les zones littorales (autorisation des constructions dans la zone littorale autrement qu'en continuité avec des agglomérations ou des villages existants, autorisation, à titre dérogatoire, de certaines constructions ou installations en discontinuité avec l'urbanisation), les dispositions contestées excluent que les constructions ou installations ainsi autorisées puissent avoir pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ou de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. En outre, l'autorité administrative compétente de l'État doit refuser de donner son accord si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l'environnement ou aux paysages.

 

Concernant les normes d'accessibilité en faveur des personnes handicapées dans la construction des bâtiments d'habitation collectifs, le Conseil constitutionnel juge que, en adoptant les dispositions contestées (obligation, d'une part, que, au sein des bâtiments d'habitation collectifs nouveaux, 20 % des logements, et au moins un logement, soient accessibles aux personnes handicapées et que, d'autre part, tous les autres logements construits dans de tels bâtiments soient évolutifs), le législateur, qui a entendu maintenir l'accessibilité des personnes handicapées aux logements situés dans les bâtiments d'habitation collectifs neufs tout en assurant l'adaptation de ces logements pour prendre en compte la diversité et l'évolution des besoins des individus et des familles, a retenu des critères qui ne sont pas manifestement inappropriés au but poursuivi.

 

Enfin, s'agissant du respect de la procédure législative, le Conseil constitutionnel, en application de sa jurisprudence constante et sans se prononcer sur le fond de ces mesures, a censuré 19 articles qui avaient été introduits par amendement en première lecture sans présenter de lien, même indirect, avec le projet de loi initial.

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