La lettre juridique n°739 du 19 avril 2018

La lettre juridique - Édition n°739

Éditorial

[A la une] De la théorie à la pratique

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par Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à l'Université de Lorraine, Directeur de l'IEJ de Lorraine - André Vitu

Le 19 Avril 2018

 

L’un des reproches fait à l’Université est de délivrer un discours théorique que les étudiants transformeraient en pratique au sein des écoles professionnelles ou lors de leur premier emploi. La distinction peut agacer : le «théoricien» doit bien avoir conscience des contraintes pratiques quand le «praticien» doit bien avoir connaissance de la «théorie». «Théorie» et «pratique» entretiennent ainsi d’étroites relations : la «théorie» n’est qu’une manière de présenter les choses, quand la «pratique» est une manière de les mettre en œuvre. L’une et l’autre s’enrichissent mutuellement sans qu’il soit possible de les séparer clairement. Si un conflit peut apparaître entre elles, c’est parce qu’elles sont trop séparées l’une de l’autre : l’on aura beau disserter et opérer une construction intellectuelle séduisante, cela n’aura guère d’intérêt s’il n’y a pas de lien avec la «vraie vie» ; l’on aura beau se gargariser d’empirisme, cela n’aura guère de portée si l’on n’essaie pas de le comprendre.

 

Dès lors, comment ne pas se réjouir de voir des étudiants -essentiellement non juristes- mettre en œuvre leurs cours et séminaires relatifs aux conflits sociaux ? A la manière des cliniques du droit qui sont notamment destinées à faire vivre à l’extérieur les règles enseignées à l’intérieur, les récents blocages universitaires pourraient être vus comme des travaux pratiques d’histoire de la contestation, comme une application des principes enseignés, à la différence que cette extériorisation des connaissances passe par un curieux renfermement sur soi, le blocus supposant, par définition, de ne pas sortir du lieu bloqué. On a même vu de savants conférenciers expliquer doctement l’intérêt qu’il y avait à se barricader, l’empêchement des examens permettant miraculeusement la réussite à un diplôme. Les modalités des blocages sont regrettables et donnent lieu à leur lot de débordements condamnables, qu’il s’agisse de cagoulés armés, de cocktails Molotov, ou des dégradations diverses et variées. Des erreurs sont commises de tous les côtés, chacun se pressant de condamner fermement, de suspendre disciplinairement, de revendiquer énergiquement. Ceux qui s’érigent en révolutionnaires s’étonnent d’être traités comme tels lors des expulsions ; ceux qui se prétendent victimes n’hésitent pas à dénoncer calomnieusement des enseignants dont le seul tort est d’avoir été présent, en appelant, sous le courage de l’anonymat, à la vengeance.  Ces erreurs peuvent être mises sur le compte de la jeunesse -qui, après tout, revendique le droit de se tromper et apprendra de ses errements- ou de la démagogie -qui n’épargne d’ailleurs pas les opposants aux blocages- et, plus sûrement sans doute, de l’idiotie. Tout se mélange et tout le monde y perd : les bloqueurs qui se discréditent eux-mêmes ; les enseignants attristés de lire qu’une fac occupée est une fac libérée, quand le propre de l’Université est justement d’accéder à une forme de liberté par la compréhension du monde ; les étudiants empêchés, boursiers et salariés, qui pensent à leur année. Triste situation qui n’empêche pourtant pas d’en rire. Un chien est ainsi apparu qui, en quelques heures, après avoir évidemment attisé la rancœur, a réussi, avec un peu d’humour, à relativiser les enjeux en faisant sourire bloqués et bloqueurs.

 

D’autres contestations sont plus préoccupantes, parce qu’elles ne sont plus le fait de mouvements étudiants dont l’essence est la protestation, mais parce qu’elles émanent de professionnels soucieux du sort des justiciables. Le retentissement médiatique est inversement proportionnel aux enjeux. L’on a vu et entendu le Défenseur des droits hausser le ton pour expliquer à des députés ignorants que les droits fondamentaux sont tout sauf théoriques, sauf si l’on choisit de les nier. Et les opinions sont restées figées, confirmant, s’il en était besoin, que celui qui ne peut ou ne veut comprendre ne risque pas de changer d’avis. Lorsque les avocats, greffiers et magistrats battent le pavé pour dénoncer une réforme et sa méthode, ils sont inaudibles et n’intéressent pas grand monde, soupçonnés de défendre leurs intérêts personnels, quand ils alertent justement sur le danger qu’il y aurait à voir devenir théoriques des choses aussi banales que l’accès au juge ou les droits de la défense. Car la pratique est budgétaire, il ne faut pas l’oublier. Plus récemment, c’est même l’enseignement pratique des élèves-avocats parisiens qui tend à devenir théorique, puisque le nouveau Palais de Justice leur interdit pour le moment l’accès à la permanence pénale, au juge d’application des peines, au tribunal pour enfants et aux pôles de l’instruction. Au moins auront-ils accès aux salles d’audience où les prévenus comparaîtront derrière des vitres. Qu’importe, nous dit-on, puisque les magistrats sont si éclairés qu’ils connaissent l’importance de la présomption d’innocence. C’est oublier que la justice se donne aussi à voir et que l’image ainsi renvoyée n’est guère flatteuse. Rions donc, «théoriciens» et «praticiens», des révolutionnaires en carton, mais écoutons aussi leurs quelques leçons.

 


 

Sommaire de la revue Lexbase Pénal n° 4 du 19 avril 2018

 

L’incrimination générale de blanchiment d’argent précisée par 20 ans de jurisprudence

par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

 

Saisies pénales : axes de défense

par Vincent Ollivier, Avocat à la Cour, ancien secrétaire de la Conférence

 

Panorama de droit pénal spécial (janvier 2017 à mars 2018)

par Laurent Saenko, Maître de conférences à l’université Paris-Sud, Membre du CERDI (Centre d’Etudes et de Recherche en Droit de l’Immatériel)

 

La motivation des peines criminelles (comm. Cons. const., décision n° 2017-694 QPC, du 2 mars 2018)

par Jean-Baptiste Perrier, Professeur à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie (ISPEC), Directeur scientifique des Ouvrages Droit pénal et Procédure pénale

 

Justification de la diffamation : de l’exigence de la vérité du fait diffamatoire… à sa base factuelle suffisante (obs. sous Cass. crim., 27 février 2018, n° 17-81.381, F-D)

par Evan Raschel, Professeur à l'Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital EA 4232

 

Vers un Procureur (national) anti-terroriste

par Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur du Master 2 "Lutte contre la criminalité financière et organisée", Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal

 

Précisions sur la nouvelle exigence de motivation de toute peine correctionnelle (obs. sous Cass. crim., 21 mars 2018, n° 16-87.296, FS-P+B)

par Anne Ponseille, Maître de conférences, CERCOP, Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier

 

Le maire se voulait procureur de la République... (obs. sous Cass. crim., 21 mars 2018, n° 17-81.011, FS-P+B)

par Caroline Lacroix, Maitre de conférences HDR en droit privé & sciences criminelles, Membre du CERDACC, Université de Haute Alsace

 

Veille pénale (mars 2018)

par June Perot et Marie Le Guerroué

 

Comité scientifique :

Julie Alix, Professeur à l'Université Lille 2
Delphine Boesel, Avocate au barreau de Paris, Présidente de l'OIP - section française
Antoine Botton, Professeur à l'Université de Toulouse 1 Capitole, Co-directeur de l'Institut Roger Merle
Olivier Décima, Professeur à l'Université de Bordeaux
Didier Guérin, Magistrat, ancien Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
Pauline Le Monnier de Gouville, Maître de conférences à l'Université Paris II - Panthéon- Assas
Blandine Thellier de Poncheville, Maître de conférences à l'Université Lyon 3
Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à l'Université de Lorraine

Direction scientifique :

Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur du Master 2 "Lutte contre la criminalité financière et organisée"
Jean-Baptiste Perrier, Professeur à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie (ISPEC), Directeur scientifique des Ouvrages Droit pénal et Procédure pénale

Rédactrice en chef :

June Perot

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Construction

[Jurisprudence] Un vrai piège pour les maîtres d’ouvrage : l’interruption des délais de prescription en cas de souscription d’une police unique DO et RCD

Réf. : Cass. civ. 3, 29 mars 2018, n° 17-15.042, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0513XIT)

Lecture: 6 min

N3718BXY

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par Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris

Le 18 Avril 2018

«Nul n’est censé ignorer la loi» pourrait-on répondre, non sans malice, à ces maîtres d’ouvrage qui risquent de se trouver fort démunis pour ne pas avoir relevé (ou compris ?), que même si leur police a été ouverte sous un numéro unique, lorsque deux garanties, radicalement distinctes, dans leur objet et régime, ont été souscrites, à savoir l’assurance dommages-ouvrage (DO) et l’assurance de responsabilité décennale (RCD), l’interruption du délai de prescription pour l’une des garanties ne vaut pas pour l’autre. Autrement dit, l’interruption de la prescription vis-à-vis d’un assureur au titre du volet dommage-ouvrage ne vaut pas interruption au titre du volet décennal. Bien compréhensible pour le professionnel avisé mais sévère pour l’accédant à la propriété bien souvent profane, tel est le principe rappelé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt, promis aux honneurs du bulletin et diffusé sur son site internet (P+B+I), rendu le 29 mars 2018.

Dans cette espèce, la société M., aux droits de laquelle vient la société G., a, dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle, édifié une maison d’habitation. Elle a, à cet effet, souscrit auprès de la société A., deux polices, une assurance dommages-ouvrage et une assurance de responsabilité décennale des constructeurs, sous le même numéro de police. La réception est intervenue le 10 octobre 1996. Le 5 mai 2001, les accédants à la propriété vendent cette maison. De graves désordres, consistant notamment en des affaissements du dallage et des fissurations surviennent. Les nouveaux propriétaires déclarent le sinistre à leur assureur dommages-ouvrage puis, en raison d’un désaccord sur les modalités de la réparation, assignent en référé expertise. L’expert désigné valide, aux termes de son rapport, des travaux de consolidation des fondations et du dallage par injections de résine, pour un coût de 67 204,24 euros TTC. Mais, à la suite d’une inspection des réseaux de canalisation sous dallage qui s’avéraient non étanches, les travaux de reprise ont été bloqués. Une nouvelle expertise est ordonnée et, en 2014, le second expert en conclut qu’en raison de l’importance et de l’évolution des désordres, il est impossible d’envisager de réparer l’existant et qu’il y a lieu de démolir pour reconstruire un pavillon identique.

 

Les propriétaires saisissent les juges du fond et obtiennent, par jugement du tribunal de grande instance de Nantes, la condamnation de l’assureur, sans préciser en quelle qualité, à leur verser notamment la somme de 218 971,21 euros TTC correspondante aux coûts de démolition/reconstruction de la maison.

La compagnie interjette appel en soutenant, au principal, qu’elle n’a pas, en sa qualité d’assureur décennal, été citée en justice dans le délai de dix ans à compter de la réception des travaux. Elle expose que les assignations aux fins d’expertise lui auraient été délivrées en qualité d’assureur dommages-ouvrage si bien que ces assignations n’auraient pas été de nature à interrompre, également, l’action à l’encontre de l’assureur décennal. La cour d’appel de Rennes, au titre d’un arrêt rendu le 19 janvier 2017 (CA Rennes, 19 janvier 2017, n° 15/03096 N° Lexbase : A3287S9M), considère que l’action exercée par les propriétaires à l’encontre de la compagnie en sa qualité d’assureur décennal est irrecevable comme prescrite. Seules les garanties souscrites auprès de l’assureur dommages-ouvrage sont mobilisables, ce qui, en l’espèce, ne change, a priori, pas grand-chose puisque ce dernier est condamné à payer le coût des travaux de démolition/reconstruction d’un montant de 218 971,21 euros TTC.

 

Il est alors possible de se demander ce qui a bien pu motiver, après de si longues années de procédure, les propriétaires à former un pourvoi en cassation. Peut-être ne souhaitaient-ils pas engager les travaux de reprise (DO) mais seulement percevoir des dommages et intérêts (possible avec la RCD) ? Peut-être est-ce que tous leurs préjudices ne sont pas indemnisables au titre de la DO ? L’arrêt ne permet pas de le dire.

 

Le moyen du pourvoi est composé de deux branches. Il est, d’une part, prétendu qu’en présence de deux polices d’assurances souscrites le même jour, sous un numéro identique, l’action intentée sur le fondement de l’une des polices interrompt nécessairement le délai de prescription de l’action fondée sur l’autre police. Il est, d’autre part, articulé que lorsque deux polices sont unies par un lien d’interdépendance, l’interruption de la prescription de l’action exercée à l’encontre de l’assureur, sur le fondement de l’une des polices, s’étend à l’autre. Le pourvoi est rejeté. La Haute juridiction considère que la cour d’appel, «qui a exactement déduit que l’assignation de l’assureur en sa seule qualité d’assureur dommages-ouvrage n’ayant pas interrompu le délai de prescription de l’action engagée pour le même maître d’ouvrage contre la même société, prise en qualité d’assureur de responsabilité décennale, cette action était prescrite, a légalement justifié sa décision».

Cette décision permet de revenir sur l’absence d’indivisibilité des garanties DO et RCD, distinctes bien que souscrites de façon simultanée dans une même police (I) et, surtout, de poser de façon plus claire la nécessité d’interrompre spécifiquement, pour chaque garantie invoquée, le délai de prescription (II). Il n’est donc plus désormais possible d’invoquer, sans autre précision, une police et son numéro pour prétendre à une interruption de la prescription pour l’ensemble des garanties qui y sont souscrites.

 

I - L’absence d’indivisibilité des garanties distinctes souscrites dans une police unique sous un  numéro unique

 

Il existe, dans ce genre d’affaires, une part d’ambiguïté qui peut troubler les acteurs concernés. Le constructeur de maison individuelle est tenu d’une double obligation de s’assurer. En qualité de constructeur, relevant, quant à sa responsabilité, des articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) et suivants du Code civil, il doit souscrire une assurance de responsabilité décennale (C. ass., art. L. 241-1 N° Lexbase : L1827KGR). Il doit également souscrire, pour le compte des accédants à la propriété, maîtres d’ouvrage, une assurance dommages-ouvrage (C. ass., art. L. 242-1 N° Lexbase : L1892IBP). S’il est évident que ces deux assurances sont de nature différente, assurance de responsabilité dans un cas, assurance de chose pour l’autre, la circonstance qu’elles sont souvent souscrites auprès de la même compagnie, et parfois sous le même numéro, peut entretenir un certain flou. L’arrêt commenté en est une illustration mais la jurisprudence avait, par le passé, déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de poser le principe de l’absence d’indivisibilité des garanties souscrites.

 

Suivant l’application du même raisonnement, il a en effet été jugé que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage n’équivalait pas à une reconnaissance de responsabilité de l’assureur CNR (CA Toulouse, 17 décembre 2007, n° 06/05793 N° Lexbase : A7762G8Y). Il a également été jugé que la mise en cause de l’assureur dommages-ouvrage en première instance n’autorisait pas à solliciter par voie de conclusions en appel la condamnation de cet assureur, en qualité d’assureur CNR (Cass. civ. 3, 10 octobre 2010, n° 07-16.727, FS-P+B N° Lexbase : A4135GC7). De la même façon, la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage ne vaut pas reconnaissance de responsabilité d’un constructeur interruptive du délai décennal, quand bien même l’assureur dommages-ouvrage est l’assureur de responsabilité décennale du constructeur (Cass. civ. 3, 11 mars 2009, n° 08-10.905 , FS-P+B N° Lexbase : A7163EDN ; Cass. civ. 3, 4 juin 2009, n° 08-12.661, FS-P+B N° Lexbase : A6284EH9).

 

Le fait que l’assureur dommages-ouvrage et l’assureur de responsabilité décennale soient le même doit conduire le bénéficiaire à la plus grande vigilance en s’assurant qu’il a bien été attrait en toutes ces qualités à l’origine de la procédure.

 

II - L’interruption des prescriptions des garanties distinctes souscrites dans une police unique sous un numéro unique

 

Il n’y a pas d’interdépendance possible entre une assurance dommages-ouvrage et une assurance responsabilité civile décennale même si ces deux assurances ont été souscrites dans la même police. La Cour de cassation, en l’espèce, confirme le raisonnement d’appel qui, refusant le lien d’interdépendance entre les deux contrats, en déduit que l’assignation de l’assureur en sa seule qualité d’assureur dommages-ouvrage n’a pas interrompu le délai de prescription qui a commencé à courir à compter de la réception à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale. Autrement dit, quand bien même il n’y a qu’une seule police et qu’un seul numéro, l’interruption de la prescription est limitée à la garantie visée dans l’acte interruptif. La solution rappelle celle rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 mars 1995 (Cass. civ. 1, 21 mars 1995, n° 92-13.286 N° Lexbase : A6105AHL). Aux termes de cet arrêt, la Haute juridiction a refusé d’admettre une indivisibilité entre une police garantissant les dommages matériels et une autre couvrant les pertes d’exploitation.

 

Mais la solution ne semblait pourtant pas si claire. Il ressort, en effet, d’un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 22 septembre 2004 (Cass. civ. 3, 22 septembre 2004, n° 03-10.923, FS-P+B+I N° Lexbase : A4123DD3) que l’interruption pouvait s’étendre d’une action à une autre dès lors qu’elle tendait à un seul et même but : «si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but» pour en déduire que «l’action en responsabilité contractuelle n’était pas prescrite pour avoir été interrompue par l’action engagée initialement sur le fondement de la garantie décennale».

 

La solution commentée met ainsi un terme à cette jurisprudence. Le demandeur est désormais contraint de préciser en quelle qualité il met en cause l’assureur.

newsid:463718

Discrimination et harcèlement

[Brèves] Exigence d’appartenance religieuse pour un poste au sein de l’église : nécessité d’un contrôle juridictionnel effectif

Réf. : CJUE, 17 avril 2018, aff. C-414/16 (N° Lexbase : A2033XLU)

Lecture: 2 min

N3738BXQ

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par Charlotte Moronval

Le 18 Avril 2018

L’exigence d’appartenance religieuse pour un poste au sein de l’église doit pouvoir être soumise à un contrôle juridictionnel effectif. Cette exigence doit être nécessaire et objectivement dictée, eu égard à l’éthique de l’église, par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause et être conforme au principe de proportionnalité. Telle est la solution apportée par la CJUE dans une décision du 17 avril 2018 (CJUE, 17 avril 2018, aff. C‑414/16 N° Lexbase : A2033XLU).

 

En l’espèce, la requérante, sans confession, a postulé à un poste proposé par l’Œuvre protestante pour la diaconie et le développement en Allemagne. Selon l’offre d’emploi, les candidats devaient appartenir à une église protestante ou à une église membre de la communauté de travail des églises chrétiennes en Allemagne. La requérante n’a pas été invitée à un entretien. Estimant avoir été victime d’une discrimination sur le fondement de la religion, elle a attrait l’employeur devant les juridictions allemandes et demandé que celui-ci soit condamné à lui payer une indemnisation.

 

La Cour fédérale du travail d’Allemagne, saisie de l’affaire, a demandé à la Cour de justice d’interpréter dans ce contexte la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4) qui vise à protéger le droit fondamental des travailleurs à ne pas faire l’objet de discriminations fondées notamment sur la religion ou les convictions. Toutefois, cette Directive tient également compte du droit à l’autonomie des églises (et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions) reconnu par le droit de l’Union, notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX).

 

Enonçant la règle précitée, la Cour estime que le droit à l’autonomie des églises (et des autres organisations dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions), d’une part, et le droit des travailleurs à ne pas faire l’objet, notamment lors de leur recrutement, d’une discrimination fondée sur la religion ou les convictions, d’autre part, doivent être mis en balance pour en assurer un juste équilibre. Elle énonce qu’en cas de litige, une telle mise en balance doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle par une autorité indépendante et, en dernier lieu, par une juridiction nationale. Ainsi, les juridictions nationales doivent vérifier si l’exigence invoquée, ici l’appartenance à une religion particulière, est nécessaire et objectivement dictée, eu égard à l’éthique de l'église, par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. De plus, cette exigence doit être conforme au principe de proportionnalité, c’est-à-dire elle doit être appropriée et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

 

 

newsid:463738

Droit de la famille

[Brèves] Obligation alimentaire des gendres et belles-filles envers leurs beaux-parents : non-lieu à renvoi d’une QPC soulevée à l’encontre de l’article 206 du Code civil

Réf. : Cass. QPC, 11 avril 2018, n° 18-40.010, F-P+B (N° Lexbase : A1476XLA).

Lecture: 1 min

N3694BX4

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 18 Avril 2018

L’article 206 du Code civil (N° Lexbase : L2271ABQ) porte-t-il atteinte aux droits et libertés garanties par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M), le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L1356A94) ainsi que l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0827AH4) ?

 

La question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée ne présente pas de caractère sérieux au regard du principe d'égalité dès lors que la différence de traitement qu'elle crée entre les gendres et belles-filles, débiteurs ou créanciers d’aliments de leurs beau-père ou belle-mère, selon qu'ils ont ou non des enfants non décédés, repose sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi. Dès lors, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC ainsi posée ; c’est en ce sens qu’a statué la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 11 avril 2018 (Cass. QPC, 11 avril 2018, n° 18-40.010, F-P+B N° Lexbase : A1476XLA).

newsid:463694

Droit des étrangers

[Jurisprudence] Rétention des «Dublinables» : le Conseil constitutionnel admet une rétention préventive sans perspective immédiate d’éloignement

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018, loi permettant une bonne application du régime d'asile européen (N° Lexbase : A2298XHL)

Lecture: 24 min

N3707BXL

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par Serge Slama, Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, CESICE

Le 19 Avril 2018

Droit des étrangers / Doctrine /  Loi «permettant une bonne application du régime d'asile européen» / Dublinés / Rétention administrative / Décision de transfert 

Lorsqu’on examine la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la rétention des étrangers depuis 1980 [1], on est surpris de constater que, loi après loi (et dans ce domaine le législateur adopte une loi tous les deux ans en moyenne), le juge constitutionnel se montre de plus en plus permissif en admettant décision après décision un abaissement de son degré d’exigence. Par inversion de la théorie (abandonnée) de l’effet cliquet, qui voulait que la loi ne pût que rendre plus effective les garanties apportées dans l’exercice des droits et libertés constitutionnels, le Conseil constitutionnel admet à chaque nouvelle décision de raboter le niveau de protection [2]. En la matière, la jurisprudence constitutionnelle fonctionne comme une ceinture (sur un ventre de plus en plus bedonnant) dont on desserre à chaque prise de poids un cran.

 

Avec la proposition de loi «permettant une bonne application du régime d'asile européen» (N° Lexbase : L7968LIX), dite proposition «Warsmann», du nom du député de l’opposition l’ayant déposé, avec l’aval du Gouvernement, un cap a indiscutablement été franchi. En effet, pour la première fois, un texte de loi a autorisé la rétention administrative d’étrangers non pas dans la perspective de permettre ou d’organiser matériellement leur éloignement mais afin de mettre en œuvre la procédure d’examen de l’Etat responsable de la demande d’asile régie par le Règlement «Dublin 3» n° 604/2013 du 26 juin 2013 [3] et eu égard au «risque non négligeable de fuite» que les intéressés représenteraient.

Comme l’avaient fait valoir aussi bien les ONG de défense des étrangers, le Défenseur des droits [4] que l’auteur de ces lignes dans les médias [5], la possibilité de placer en rétention administrative des étrangers (et a fortiori des demandeurs d’asile) dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable de la demande constitue une rupture radicale avec les législations applicables jusque-là qui n’autorisaient une telle privation de liberté que s’il existait une perspective raisonnable d’éloignement de l’étranger.

Notons aussi que, pour surmonter une censure -différée au 30 juin 2018- prononcée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire «Daoudi», le Sénat a aussi, dans la loi du 15 mars 2018, introduit une modification du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9292K4W). Celle-ci vise à permettre, en particulier dans le cas de Kamel Daoudi, d’assigner des étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction de séjour liée au terrorisme, sous la seule réserve, au-delà d'une durée de cinq ans, d’adopter une «décision spécialement motivée faisant état des circonstances particulières justifiant cette prolongation». Par souci de cohérence (ou frilosité ?), le groupe dess sénateurs socialistes a pris le parti, dans la mesure où il avait voté en faveur de la disposition, de ne pas saisir le Conseil de la constitutionnalité des dispositions de l’article 4. Il est, toutefois, fort à parier qu’à la première occasion l’avocat du «plus vieil assigné à résidence» (10 ans) [6], Me Bruno Vinay, déposera une QPC contre cet article.

Pour le reste, restant sourd aux arguments des auteurs de la saisine et à ceux du Défenseur des droits qui, pour la première fois de son histoire, a déposé une «porte étroite» au soutien de la saisine [7], le Conseil constitutionnel a fait fi de sa propre jurisprudence en admettant d’abaisser d’un cran les garanties légales liées aux exigences constitutionnelles régissant la rétention des étrangers, qui est une forme de privation de liberté au sens de l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM). Ainsi non seulement il valide, en l’estimant proportionnée, au nom de l’ordre public (II), une rétention préventive de quarante-cinq jours de demandeurs d’asile «Dublinables» dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable (I) mais, en outre, il estime que la réduction à sept jours du délai de recours ouverts aux «Dublinés» contre la décision de transfert ne porte pas substantiellement atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) (III).

 

I - La validation d’une rétention préventive des «Dublinables» dès le stade la procédure de détermination de l’Etat responsable

 

C’est un curieux effet d’aubaine qui a permis l’adoption de ce texte issu des rangs du groupe «Les Constructifs» (devenu depuis «groupe UDI, Agir et indépendants»), c’est-à-dire de parlementaires de l’opposition de Droite «compatibles avec Macron» [8], de déposer la proposition de loi «Warsmann» à l’Assemblée nationale le 24 octobre 2017 [9]. Visant officiellement à «sécuriser juridiquement» la rétention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert dans le cadre de l’application du Règlement «Dublin 3», elle a aussi, et pour la première fois, autorisé la rétention des «Dublinables» dès le stade de la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes.

Cette proposition arrivait, pour le Gouvernement, à point nommé, dans la mesure où son projet de loi «pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif» n’était pas encore prêt et qu’en tout état de cause, et alors même que l’urgence a été déclarée, il sera adopté -au mieux- à l’été 2018 [10].

La loi du 29 juillet 2015 [11] censée appliquer en France le régime d’asile européen commun (RAEC) -en transposant les deux Directives «asile» et le Règlement «Dublin 3» de juin 2013- avait laissé une faille juridique béante en ne définissant pas dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la notion de «risque non négligeable de fuite» malgré les exigences de l’article 28 § 2 du Règlement. Cette obligation de définir objectivement dans la loi nationale cette notion était d’autant plus évidente que la même difficulté s’était posée en 2011 s’agissant de l’absence de définition légale, jusqu’à la loi «Besson» du 16 juin 2011 (loi n° 2011-672 du 16 juin 2011,relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4), du «risque de fuite» dans le cadre des procédures de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en application de l’article 7 de la Directive «retour» 2008/115/CE du 16 décembre 2008 [12].

Il était donc prévisible que la Cour de justice de l’Union européenne, saisie dans l’affaire «Al Chodor» (CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15 N° Lexbase : A9971T43) d’une question préjudicielle d’une juridiction tchèque sur cette exigence estime qu’il résulte des articles 2, sous n) et 28, § 2, du Règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 «lus conjointement» que les Etats membres doivent fixer, «dans une disposition contraignante de portée générale», les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert. En outre, précise la Cour à cette occasion, «l’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28, § 2, de ce Règlement» [13] et, donc, rend la rétention de décisions fondées sur ce Règlement légalement impossible. Et force était de constater que jusqu’à la loi du 20 mars 2018, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne comprenait aucune définition de cette notion de «risque non négligeable de fuite». Cela n’empêchait, toutefois, pas les préfets d’utiliser les critères de droit commun de la rétention (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-1), issus de la transposition de la Directive «retour» de 2008 (qui a trait de manière générale au «risque de fuite» et non au «risque non négligeable de fuite») pour placer en rétention les «Dublinés» [14].

Par la suite, il était tout autant prévisible que saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation considère que ces critères de droit commun de l'article L. 511-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étaient pas suffisants pour justifier le placement en rétention d'un «Dubliné». C’est ce qu’elle fit dans un arrêt du 27 septembre 2017 dans lequel elle considéra, sans aucune ambiguïté, «qu’en l’absence de disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert, l’article 28, § 2, du Règlement était inapplicable» [15]. Depuis elle a constamment confirmé cette position, y compris malgrés l’intervention d’un avis contentieux du Conseil d’Etat, le 19 juillet 2017 [16] dans lequel le juge administratif a estimé que les préfets ne pouvaient placer en rétention un étranger faisant l’objet d’une procédure de transfert «avant l’intervention de la décision de transfert». La loi n’avait alors pas prévu la possibilité d’assigner l’intéressé à résidence ; un placement en rétention n’étant susceptible d’être prononcé sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu’après la notification de la décision de transfert [17].

Pourtant, malgré la clarté de ces jurisprudences et d’un certain nombre de décisions de juges de fond [18], les préfectures ont depuis mars 2017 continué [19], en violation flagrante du droit de l’UE, de placer des «Dublinés» en rétention, y compris des familles de «Dublinés» avec enfants [20]. Ces placements en rétention «hors la loi» ont même continué après que le Conseil d’Etat ait annulé en mars 2018 une instruction ministérielle du 19 juillet 2016 prévoyant ceux-ci [21].

On comprend dès lors que le Gouvernement, alors qu’il a fait de l’effectivité des transferts des «Dublinés» une priorité politique, ait pris la proposition «Warsmann» comme du pain béni [22] ; s’il ne l’a pas, en réalité, «téléguidée» comme l’affirme la Cimade [23]. Qui plus est, même si le ministre de l’Intérieur a dû pour cela forcer le bras de la majorité «LREM», c’est la version du texte durci par le Sénat qui a été adopté.

Pourtant dès que la proposition de loi «Warsmann» a été rendue publique, elle a rencontré une vive opposition des défenseurs des droits humains, en particulier du Défenseur des droits. Jacques Toubon fit, notamment, valoir très tôt que ce texte «opère avant tout un changement total de philosophie : en France, seules des personnes en situation irrégulière peuvent être placées en centre de rétention administrative et uniquement dans le but d’exécuter une décision d’éloignement, pour le temps strictement nécessaire à leur départ, et si l’éloignement demeure une perspective raisonnable. C’est tout le sens de l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel depuis 1980» [24]. Preuve de son engagement sur cette question l’autorité constitutionnelle indépendante a non seulement émis un avis défavorable à cette proposition [25] mais aussi, pour la première fois de sa (jeune) histoire, et alors même que cela n’est pas expressément prévu (ni interdit) dans les textes le régissant, produit au soutien de la saisine des sénateurs Socialiste et républicains une «porte étroite» [26] ; comme en témoigne sur le site du Conseil constitutionnel en annexe de la décision la liste des «contributions extérieures», selon le vocable non «vedélien» désormais utilisé [27].

Il est vrai que la rupture jurisprudentielle est profonde. Dès 1992, le Conseil constitutionnel a validé, au regard du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94) (droit d’asile constitutionnel), la possibilité de maintenir en zone de transit (ancêtre des zones d’attente) un étranger ayant sollicité son admission sur le territoire français au titre de l'asile que sous réserve que celui-ci ne puisse être maintenu que «le temps nécessaire à son départ, moyennant des garanties adéquates» et dans la mesure où il apparaît que «sa demande d'asile est manifestement infondée» [28].

Dans le même sens, et dans le prolongement d’autres décisions [29], le Conseil constitutionnel n’a admis en 2003 l’allongement de la durée de rétention de douze à trente-deux jours que dans la mesure où «l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet» et sous la réserve que «l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient» [30]. Et en 2011, dans sa décision sur la loi «Besson», il réitère ce considérant de principe de 2003 pour valider un nouvel allongement de la rétention à quarante-cinq jours [31] et rappelle aussi que le placement en rétention d'un étranger «qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire» [32].

Ajoutons que cette jurisprudence était convergente avec celle de la Cour européenne des droits de l’Homme. Car si la Cour rappelle fréquemment que, compte tenu du fait que les Etats membres ont un «droit indéniable» de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire et de décider de leur expulsion, ils peuvent décider à cette fin de les placer en détention [33] ; toutefois, cette privation de liberté n’est acceptable, à ses yeux, que pour permettre aux Etats de «combattre l’immigration clandestine» [34] et en étant assortie de garanties adéquates [35]. Dans ce cadre, si la Cour européenne admet la détention de demandeurs d'asiles, au même titre que d’autres migrants, jusqu’à l'octroi par l'Etat d'une autorisation d'entrer [36], elle exige que cela soit justifié par le fait qu’une procédure d'expulsion soit en cours [37].

Certes, dans l’affaire «Al Chodor», la Cour de justice de l’Union européenne admet le principe de la rétention de demandeurs d’asile «Dublin» en cours de procédure, selon les modalités prévues par l’article 28 § 2 du Règlement n° 343/2003 (Règlement (CE) du Conseil du 18 février 2003 N° Lexbase : L9626A9E) et 8 de la Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 Directive établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (N° Lexbase : L9264IXE). Mais elle prend bien soin de souligner que dans la mesure où ces dispositions prévoient une limitation de l’exercice du droit fondamental à la liberté, consacré à l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux (droit à la liberté et à la sûreté), il faut tenir compte de l’article 5 de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC) «en tant que seuil de protection minimale» pour interpréter cette limitation comme le prévoit l’article 52 § 1, de la Charte [38]. S’inspirant de l’économie de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel valide, au regard de l’article 66 de la Constitution, les dispositions déférées en se fondant pour sa part sur des considérations d’ordre public qui sous-tendrait la rétention visant à prévenir le «risque non négligeable de fuite».

 

II - L’admission de la proportionnalité de la rétention de 45 jours des «Dublinables» au nom de la sauvegarde de l’ordre public

 

Pratiquant, pour mesurer l’atteinte à l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), le «triple test» popularisé durant l’état d’urgence par l’affaire «Domenjoud» [39] mais qui avait déjà été pratiqué en droit des étrangers dans la décision de 2011 sur la loi «Besson» [40], le juge constitutionnel estime la mesure nécessaire, adaptée et proportionnée sur la base de trois considérations :

 

En premier lieu, il relève que le placement en rétention d'un demandeur d'asile, décidé par la préfecture, ne peut intervenir qu’à un stade de la procédure où elle dispose d' «indices sérieux» que l'examen de la demande d'asile échoit à un autre Etat en application du Règlement européen du 26 juin 2013 (cons. 12). En effet, selon les dispositions déférées, la rétention ne peut intervenir qu'à compter de l'émission par la préfecture d'une requête aux fins de «prise en charge» ou de «reprise en charge» adressée à l'Etat estimé responsable de l'examen de la demande de protection internationale ou d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Il est vrai que l’article 22 (réponse à une requête aux fins de prise en charge) et l’article 23 (procédures applicables aux requêtes aux fins de reprise en charge) du Règlement n° 604/2013 prévoient que l’Etat requérant fournit dans sa demande «des éléments de preuve et des indices». Le paragraphe 5 de l’article 22 précise qu’«à défaut de preuve formelle», l’Etat membre requis doit admettre sa responsabilité si les indices présentés par l’Etat requérant sont «cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés pour établir la responsabilité».

Toutefois, si ces exigences résultent bien du Règlement «Dublin 3» il n’est pas acquis que lorsque les préfectures formulent ces demandes de prises en charge ou de reprises en charge, elles disposent systématiquement de ces éléments de preuve ou indices (autre que la mention sur le fichier «EURODAC») et, surtout, que les éléments détenus soient réellement suffisants pour obtenir une réponse favorable de l’Etat requis ; la majeure partie des demandes n’aboutissant pas dans la réalité. A ce stade de la procédure, il n’y a en réalité aucune certitude que la procédure va réellement aboutir. Bien au contraire, dans la majeure partie des cas, comme le reconnaissent d’ailleurs les rapports parlementaires, les réadmissions n’aboutissent pas pour de multiples raisons (notamment l’absence de réponse de l’Etat requis ou le fait que, suivant la logique de l’arrêt «Tarakhel» de la CEDH [41], que l’Etat requis -comme l’Italie ou la Hongrie- n’est pas en mesure d’assurer la prise en charge matérielle des demandeurs d’asile compte tenu de leur vulnérabilité particulière). De ce fait le Conseil constitutionnel admet la constitutionnalité, en toute connaissance de cause (notamment au regard de la «porte étroite» du Défenseur des droits), d’une rétention administrative de 45 jours reposant sur une perspective très éventuelle à ce stade de la procédure qu'elle aboutisse, ou qu’elle aboutisse plusieurs mois après la rétention [42]. Il est d’ailleurs fort à parier qu’une grande partie des demandeurs d’asile retenus à ce stade de la procédure ne seront pas effectivement transférés.

 

En deuxième lieu, le juge constitutionnel estime l’atteinte à la liberté individuelle justifiée par le motif de «sauvegarde de l’ordre public» que constitue, à son sens, l’existence d’un «risque non négligeable de fuite» (cons. 13). Ce n’est pas la première fois que le juge constitutionnel utilise cette exigence de valeur constitutionnelle pour limiter la liberté individuelle des étrangers. Ainsi, en 2011, le Conseil constitutionnel avait validé l’«inversion» de l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire, en repoussant le contrôle de ce dernier à cinq jours au lieu de quarante-huit heures, eu égard aux considérations de bonne administration de la justice mais aussi à «l’efficacité des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière» ; étant donné qu’à partir de cette décision «l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public». Comme le Conseil d’Etat pour l’instauration d’un visa de transit aéroportuaire pour éviter l’afflux de réfugiés et de migrants [43] ou, plus récemment, la prolongation des contrôles aux frontières intérieures «Schengen» [44], le Conseil constitutionnel réduit donc ce texte européen en un simple instrument de police administrative qui permet, à titre préventif, de priver de leurs libertés des demandeurs d’asile en cours de procédure.

Dans le considérant 6 de sa décision, le Conseil constitutionnel a, néanmoins, pris le soin de préciser, en examinant le grief de méconnaissance de l’objectif  de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, que le fait que le second alinéa de l'article L. 554-1 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43) dispose que le placement ou le maintien en rétention, prononcé ou non à la suite d'une assignation, dure «le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen» de la demande de protection internationale «n'a pas pour effet de permettre à l'autorité administrative de prendre cette mesure avant la requête de prise ou de reprise en charge». De la sorte est donc neutralisée la possibilité de placer en rétention avant que la demande de réadmission soit formulée auprès de l’Etat requis et une éventuelle contrariété avec le Règlement n° 604/2013. Certains défenseurs des demandeurs d’asile s’étaient, en effet, émus du risque que les «Dublinables» puissent être placés en rétention dès le premier rendez-vous en préfecture avant même que la requête aux fins de prise ou reprise en charge soit formulée. En séance le ministre de l’Intérieur avait déjà garanti, afin de répondre aux craintes de certains députés, qu’un étranger qui se présente au guichet pour déposer une demande d’asile ne sera pas «immédiatement renvoyé en centre de rétention» [45].

Et, en effet, le placement en rétention ne peut être décidé à l’occasion du premier rendez-vous au guichet unique (GUDA). Le cinquième alinéa de l’article L. 741-1 (N° Lexbase : L6649KDM) précise en effet qu’au moment de sa présentation à l’administration en vue de l’enregistrement d’une première demande d’asile, l’étranger ne peut être regardé comme présentant le risque non négligeable de fuite défini aux 1° à 10 du II de l’article L. 551-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9286K4P).

 

En troisième et dernier lieu, relevant que les dispositions déférées prévoient, comme garanties, d’une part que l'administration préfectorale doit apprécier, sous le contrôle du juge, les situations caractérisant un risque non négligeable de fuite «sur la base d'une évaluation individuelle prenant en compte l'état de vulnérabilité de l'intéressé»[46] et tenir compte «d'éventuelles circonstances particulières ne permettant pas de regarder le risque allégué comme établi» (art. L. 551-1 § 2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) (cons. 14) ; d’autre part que le placement en rétention n'est susceptible «d'intervenir qu'en dernier ressort», dans le cas où une mesure d'assignation à résidence n'est pas suffisante «pour parer au risque de fuite» et qu’il doit être «proportionné à ce risque» et enfin que cette rétention ne peut durer que «le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen» de la demande d'asile, «une fois émise la requête de prise» (cons. 15). Ces garanties apportées correspondent, non semble-t-il, à celles résultant de l’article 28 § 2 et § 3 du Règlement.

Le juge constitutionnel ajoute, au titre du contrôle de proportionnalité de la mesure privative de liberté, qu’en tout état de cause la rétention, prolongée au-delà de quarante-huit heures qu'avec l'accord du juge judiciaire, «ne peut durer plus de quarante-cinq jours» (cons. 15). Il faut néanmoins prendre en compte que dans le projet de loi «asile-immigration», dans sa version adoptée par la Commission des lois, la durée de rétention maximale serait portée à quatre-vingt-dix jours et même dans des cas particuliers (obstruction ou demande présentée pour faire échec à l’exécution d’office) à cent trente-cinq jours [47]. Or en vertu du Règlement n° 604/2013 la rétention des «Dublinables» est limitée dans la mesure où son article 28 prévoit, en cas de rétention, des délais de procédure raccourcis : un mois pour transmettre la requête à l'autre Etat «Dublin» (contre 60 à 90 jours en l'absence de rétention), ce dernier disposant alors de deux semaines pour répondre (contre 15 à 60 jours) [48]. Et il est précisé que lorsque l’Etat membre requérant ne respecte pas les délais de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ou lorsque le transfert n’intervient pas dans le délai de six semaines, «la personne n’est plus placée en rétention» (alinéa 3). La Cour de justice a estimé qu’un demandeur en procédure «Dublin» ne peut être placé en rétention au-delà d’une durée de deux mois après que l’Etat requis a accepté le transfert, ou six semaines après que l’effet suspensif du recours a cessé [49].

Quoi qu’il en soit, si cette disposition du projet de loi «Collomb» est adoptée on changera d’échelle. Et surtout la philosophie du système rétentionnaire est substantiellement changée puisque la rétention de ces demandeurs d’asile ne répondra donc plus à la logique de porte vers la sortie du territoire, pour exécuter une mesure d’éloignement, mais de sas d’attente durant l’examen d’une éligibilité à une procédure.

On aurait pu s’attendre d’un juge constitutionnel qu’il marque fermement un coup d’arrêt à une telle évolution portant aussi substantiellement atteinte à la liberté individuelle de demandeurs d’asile en cours de procédure. Tel n’a malheureusement pas été le cas.

Cela est d’autant plus inquiétant qu’il admet aussi dans le cadre de l’examen du grief de méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, que la définition du «risque non négligeable de fuite» par les douze catégories fixées par le législateur à l’article L. 551-1 II du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont «ni équivoques ni inintelligibles» (cons. 7) et «comptent au nombre des situations pouvant caractériser un tel risque de fuite» (cons. 8).

Dans l’arrêt "Al Chodor", la Cour de justice avait rappelé qu’en vertu des articles 2, sous n), et 28, § 2, du Règlement (UE) n° 604/2013 qu’il appartient aux Etats membres de fixer, «dans une disposition contraignante de portée générale» les critères objectifs définis par la loi sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert. Il aurait donc été bienvenu que le juge constitutionnel se montre plus sourcilleux au regard de ses propres normes de contrôle. Il appartiendra donc aux juges administratifs et judiciaire dans le cadre du contrôle d’unionité de vérifier que ces douze catégories, qui couvrent en réalité une très grande partie des «Dublinables», reposent sur des critères suffisamment objectifs et précis. Dans sa décision du 15 mars 2017, la Cour de Luxembourg a rappelé qu’à l’aune tant de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) que de l’article 5 de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC) la mise en œuvre d’une mesure de privation de liberté implique, notamment «qu’elle soit exempte de tout élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités» et qu’elle est soumise au respect de garanties strictes, «à savoir la présence d’une base légale, la clarté, la prévisibilité, l’accessibilité et la protection contre l’arbitraire» [50].

Dans son avis du 10 janvier 2018 et ses observations devant le Conseil constitutionnel du 8 mars 2018, le Défenseur des droits avait aussi insisté sur l’imprécision des modalités d’évaluation de la situation individuelle et de la vulnérabilité des demandeurs ainsi que sur le caractère incomplet du dispositif de prise en compte d’éventuelles défaillances systématiques dans le dispositif d’accueil de l’Etat requis [51] au regard du droit d’asile et de son corollaire le droit aux conditions matérielles d’accueil décente, qui se rattache au principe de dignité [52]. Toutefois, le juge constitutionnel ne répond pas spécifiquement sur ces points.

 

III - La validation de la réduction à sept jours du délai de recours des «Dublinés» contre la décision de transfert

 

La majorité sénatoriale avait, également, saisi l’effet d’aubaine que constituait la proposition «Warsmann» et le fait que, sans pour autant déclarer l’urgence, le Gouvernement était pressé de remédier à la faille juridique béante laissé par l’arrêt «Al Chodor» de mars 2017 et la décision de la Cour de cassation de septembre 2017 pour raccourcir le délai de recours contre les décisions de transfert (fixé à quinze jours par la loi du 29 juillet 2015 N° Lexbase : L6640KDB) à sept jours lorsque le demandeur ne fait l’objet d’aucune mesure de surveillance (article L. 742-4-I du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L9275K4B). Là aussi le Conseil constitutionnel a validé, sans sourciller, la constitutionnalité de ce délai au regard du droit à un recours juridictionnel effectif.

Si, sur le fondement de l’article 16 de la DDHC [53], le juge constitutionnel garantit, de longue date, ce droit à un recours juridictionnel effectif aux étrangers [54], son niveau d’exigence dans les procédures d’éloignement n’a jamais été très exigeant.

Certes, en matière de privation de liberté, dans le prolongement de sa jurisprudence fondatrice de 1980, il estime que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit «tenu de statuer dans les plus brefs délais» [55]. Pourtant il a admis en 2011 comme cela a déjà été rappelé précédemment que le JLD n’intervienne que dans le délai de cinq jours au nom de la bonne administration de la justice et l’efficacité, supposée (et pas démontrée entre 2011 et 2016), des procédures d’éloignement [56]. Il n’avait pas non plus censuré la modification d’un délai de saisine du juge judiciaire en cas de maintien en rétention, parce qu’elle ne faisait pas «en elle-même obstacle au droit de l’étranger de contester la décision administrative qui le contraint à quitter le territoire national» [57].

Il a même estimé, en 2003, que la possibilité d'écarter, selon une procédure accélérée, des demandes manifestement infondées devant la Commission des recours des réfugiés (ancêtre de la CNDA) visait à assurer «un exercice plus effectif du droit de recours des demandeurs d'asile» [58] ; se plaçant pour apprécier l’atteinte à ce droit du point de vue du juge et non du demandeur d’asile.

Toutefois dans des décisions relatives à l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a indiqué que le droit à un recours juridictionnel effectif «impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais» [59]. Et dans sa récente décision sur les principales dispositions de la loi «SILT» du 30 octobre 2017, il a prononcé la censure de dispositions de l'article L. 228-5 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2137LHM) qui prévoyait que le fait pour des personnes sous mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) d’être interdites de se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes ne pouvait faire l'objet d'un recours en référé liberté ou suspension mais seulement d’un recours pour excès de pouvoir dans les deux mois devant le tribunal administratif ; qui devait dans ce cas se prononcer dans un délai de quatre mois. Or, pour le Conseil, un tel délai en raison de sa longueur portait une atteinte disproportionnée au droit au recours juridictionnel effectif «compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé» [60].

Il aurait donc été possible d’estimer que la réduction à sept jours du délai de recours contre la mesure de transfert, qui concerne des étrangers qui, n’étant pas placés en centres de rétention [61] n’ont pas accès aux dispositifs légaux d’assistance à l’accès aux droits assuré par les associations en rétention, et sont souvent placés dans des conditions matérielles très précaires, rendait ce recours ineffectif. En tout cas c’est ce que défendaient les sénateurs auteurs de la saisine ainsi que le Défenseur des droits dans sa contribution extérieure. Au soutien de son argumentation ce dernier invoquait aussi l’arrêt de la CEDH du 2 février 2012, «I. M. c/ France» (CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 N° Lexbase : A9424IBN), affaire dans laquelle la France a été condamnée en raison de l’ineffectivité des recours dans le cadre des demandes d’asile en rétention.

Mais le Conseil constitutionnel s’est montré insensible à ces arguments. Il a estimé que dès lors que d’une part certaines garanties procédurales étaient apportées (mention des voies et délais de recours ; droit d'avertir ou faire avertir son consulat, un conseil ou tout autre personne de son choix et lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un avocat, les principaux éléments de cette décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend), que, d’autre part, la décision de transfert ne peut pas faire l'objet d'une exécution d'office avant l'expiration d'un délai de quinze jours (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 742-5 N° Lexbase : L6647KDK) et, qu’enfin, le recours contre cette décision a un caractère suspensif de plein droit, il n’y a pas d’atteinte «substantielle» au droit à un recours juridictionnel effectif (cons. 22). Comme à son habitude le contrôle du Conseil constitutionnel reste, particulièrement dans le cadre du contrôle a priori, très formel et est bien loin des réalités bassement matérielles du droit des étrangers.

La loi du 20 mars 2018 a, néanmoins, une vulnérabilité que ses concepteurs semblent avoir mal appréciée. On aurait pu penser, comme semble le considérer "Legifrance", que ses dispositions régissant la rétention des «Dublinables» sont entrées en vigueur le lendemain de sa publication au JORF, soit le 22 mars 2018. Toutefois, comme l’a souligné Christophe Pouly dans ses commentaires [62], on peut penser que le dispositif reste suspendu à la publication d’un décret en Conseil d’Etat devant préciser «les modalités de prise en compte de la vulnérabilité et, le cas échéant, des besoins particuliers des demandeurs d’asile ou des étrangers faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge» (art. 1er, 7°). C’est en tout cas ce qu’a considéré notamment la cour d'appel d'Aix-en-Provence [63].

En outre, et surtout, comme le ministre de l’Intérieur s’y était engagé afin de convaincre sa majorité d’adopter le texte de la proposition "Warsmann" durci par le Sénat, un amendement a été introduit [64] par la rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée, Elise Fajgeles, afin de ramener ce délai de recours contre la décision de transfert de sept à quinze jours (article 7 bis du texte adopté par la commission des lois modifiant l’article L. 742-4 I. du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L9275K4B).

Ainsi, comme le Conseil constitutionnel avec sa décision du 15 mars 2018, le groupe «LREM» a fait marche arrière…

 

 

 

 

 

 

[1] Décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 N° Lexbase : A8010ACN).

[2] Pour une première démonstration en ce sens : cf., Serge Slama, Les lambeaux de la protection constitutionnelle des étrangers, in Jurisprudence du Conseil constitutionnel, Revue française de droit constitutionnel, avril 2012, n° 90, p. 373-386.

[3] Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (N° Lexbase : L3872IZG).

[4] Communiqué du Défenseur des droits, Régime d’asile européen : le Défenseur des droits dénonce une proposition de loi qui permet de priver de liberté les demandeurs d’asile, 7 décembre 2017.

[5] Pourquoi la proposition de loi sur le renforcement de la rétention des migrants inquiète les ONG, 20 minutes, 7 décembre 2017 (à propos de notre tweet).

[7] Voir, aussi, cette porte étroite en PDF.

[8] Voir la Fiche "Wikipédia" du groupe "Groupe UDI, Agir et indépendants". 

[9] Proposition de loi n° 331 déposé à l'Assemblée le 24 octobre 2017 permettant une bonne application du régime d’asile européen.

[10] Le "projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile" effectif a été présenté le 21 février 2018 en Conseil des ministres et vient d’être adopté le 6 avril par la Commission des lois de l’Assemblée avant d’être examiné en séance publique à partir du 16 avril 2018.

[11] Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA).

[12] V., not., CE 2° et 7° ch-r., 21 mars 2011, n° 345978 (N° Lexbase : A6964HEN).

[13] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15.

[14] Selon "La Cimade", le nombre de demandeurs d’asile faisant l’objet d’une procédure relevant du Règlement «Dublin» est passé d’environ 6 000 personnes en 2014, 12 000 en 2015 et 22 000 en 2016 (25 % des personnes demandeuses d’asile). Dans les centres de rétention où "La Cimade" exerce la mission d’aide à l’exercice des droits (Bordeaux, Toulouse, Hendaye, Mesnil-Amelot et Rennes), 946 personnes «Dublinées» ont été placées dans un centre de rétention au cours des dix premiers mois de 2017 contre 342 pour la même période en 2016 ("La Cimade", Dublin : l’urgence de changer de cap) ; Le rapporteur du projet de loi, M. Warsmann, confirme que le nombre de demandes d’asile relevant de la procédure «Dublin» s’établissait à 5 156 en 2014, 12 094 en 2015, et à 25 963 en 2016. La tendance s’accélérait depuis le début de l’année 2017 puisque ce chiffre était de 21 404 pour le seul premier semestre, soit une augmentation de 176 % par rapport au premier semestre 2016 mais que l’administration préfectorale «peine à mettre en œuvre les procédures de transfert vers les Etats européens» dans la mesure où en 2016, seuls 1 293 des 14 308 demandeurs d’asile sous procédure «Dublin» que les Etats membres avaient accepté de reprendre en charge ont effectivement été transférés, soit un peu moins de 9 %, (v., Rapport n° 427 fait au nom de la Commission des lois, sur la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen (n° 331) par M. Warsmann) ; Curieusement il ne donnait aucun élément chiffré sur le nombre de «Dublinés» placés en rétention et sur l’efficacité, réelle ou supposée, de la rétention dans l’effectivité du transfert. Selon le rapporteur de la commission de lois du Sénat, M. Buffet, à la préfecture de Police de Paris, le nombre de placement en rétention de «Dublinés» s’élevait à 20 par semaine avant la décision de la Cour de cassation de septembre 2017 (v., Rapport n° 218 de M. Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 janvier 2018).

[15] Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, n° 17-15.160, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1404WT8) ; C. Pouly, «Dublinés» : fin des rétentions administratives jusqu'à nouvel ordre», Dictionnaire permanent - Droit des étrangers, 28 septembre 2017.

[16] CE 2° et 7° ch.-r., 19 juillet 2017, n° 408919 (N° Lexbase : A6250WNS).

[17] Cass. civ. 1, 7 février 2018, n° 17-14.866, FS-P+B (N° Lexbase : A6883XCW).

[19] Se plaçant hors la loi, les préfets ont donc pendant six mois violé systématiquement et en toute connaissance de cause le droit de l’Union européenne. En effet, selon "La Cimade", malgré la décision de la Cour de justice de mars 2017 et l’arrêt de la Cour de cassation de septembre 2017, «entre le 28 septembre 2017 et le 19 mars 2018, dans les seuls centres où "La Cimade" exerce la mission d’aide à l’exercice des droits, au moins 451 personnes dont 60 enfants ont été placées en rétention pour l’exécution d’une décision de transfert et au moins 171 (dont 15 enfants) ont été transférées vers un autre Etat Dublin. Pour contourner les décisions des juridictions suprêmes, les préfets ont placé les personnes le soir pour un vol dès potron-minet, les empêchant de saisir les juges. 85 % des personnes ont ainsi été placées pendant un ou deux jours. Dans d’autres lieux, ce sont les juges des libertés et de la détention qui ont prolongé la rétention sous prétexte que les personnes étaient en fuite. Les tribunaux administratifs de Melun et de Montreuil ont enjoint au préfet de mettre fin à la rétention de personnes pour qui la procédure Dublin était éteinte» (v., Rétention des personnes «Dublinées» : publication de la loi permettant sa généralisation) ; le rapport du sénateur Buffet confirme qu’à la préfecture de police de Paris, même après l'arrêt de la Cour de cassation «le nombre de personnes transférées est compris entre 5 et 10 par semaine» (rapport préc.).

[20] V., à titre d’illustration, la désormais fameuse décision de cour d’appel de Paris du 9 février 2018 qui admet la prolongation de la rétention administrative d’une jeune-femme de 21 ans et de son bébé de 13 mois dans le cadre d’une réadmission «Dublin 3», malgré l’absence de définition légale du «risque non négligeable de fuite» en considérant d’une part que «la circonstance que l’arrêté querellé ne mentionne pas que la retenue est mère d’un jeune enfant ne permet pas de déduire que le préfet ne se serait pas livré à un examen particulier de sa situation personnelle» et surtout que «l’application des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne relève pas, en tout état de cause, de la compétence du juge judiciaire» (NB : la France a été condamnée en 2012 et 2016 à 5 reprises s’agissant de la rétention d’enfants accompagnant leurs parents). Cet exploit judiciaire a valu à cette décision d’être doublement récipiendaire du prix «Créon 2018» délivré par Me Norbert Clément le 1er avril 2018 ; v., aussi, le communiqué de "La Cimade" et du "Gisti".  

[21] CE, 5 mars 2018, n° 405474. C. Pouly, Rétention en procédure «Dublin» : le Conseil d'Etat emboîte le pas de la Cour de cassation, Dictionnaire permanent – droit des étrangers, 6 mars 2018.

[22] Lors de la discussion le ministre de l’Intérieur avait lui-même affirmé que cette proposition devait être conçue «comme la première pierre de la refondation de notre politique d’immigration et d’asile, lancée par le Gouvernement le 12 juillet», Assemblée nationale, Deuxième séance du 7 décembre 2017.

[23] La Cimade, Une proposition de loi téléguidée par le gouvernement pour enfermer massivement les demandeurs d’asile, 28 novembre 2017 ; Le journal «Le Monde» confirme que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, aurait «invité» les députés «les Constructifs» à déposer cette proposition afin de «retire[r] à court terme une épine du pied du Gouvernement» ; M. Baumard, Une loi pour mettre en rétention les «dublinés», Le Monde, 6 décembre 2017.

[24] Défenseur des droits, Régime d’asile européen : le Défenseur des droits dénonce une proposition de loi qui permet de priver de liberté les demandeurs d’asile, Communiqué, 7 décembre 2017.

[25] Défenseur des Droits, avis 18 février du 10 janvier 2018 relatif à la proposition de loi n° 149 permettant une bonne application du régime d'asile européen, Communiqué, 7 décembre 2017.

[26] Défenseur des Droits, Décision 2018-090 du 8 mars 2018 portant observations devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’examen de la loi permettant une bonne application du régime d'asile européen

[27] Défenseur des Droits, Avis 18-02 du 10 janvier 2018 relatif à la proposition de loi n° 149 permettant une bonne application du régime d'asile européen.

[28] Cons. const., décision n° 92-307 DC du 25 février 1992 (N° Lexbase : A8265AC4), loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France dite «zone de transit», cons. 11. Curieusement cette décision, pourtant essentielle (puisqu’il s’agit du seul précédent d’admission d’une privation de liberté de demandeurs d’asile le temps d’examen de la recevabilité manifeste de leur demande d’asile) ne figure pas dans le dossier documentaire annexé à la décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018…

[29] Cons. const., décision, n° 86-216 DC du 3 septembre 1986 (N° Lexbase : A8142ACK) ; Cons. const., décision, n° 89-261 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8203ACS).

[30] Cons. const., décision n° 2003-484 DC, du 20 novembre 2003 (N° Lexbase : A1952DAK), cons. 66.

[31] Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC (N° Lexbase : A4307HTP), cons. 75.

[32] Ibid., cons. 66.

[33] CEDH, 25 juin 1996, req. n° 19776/92 (N° Lexbase : A3731IW4), §. 41 ; CEDH, 28 février 2008, Req. 37201/06 (N° Lexbase : A0713D7K) ; CEDH, 28 février 2008, Req. 37201/06 (N° Lexbase : A0713D7K), §. 66.

[34] CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC) §. 216.

[35] CEDH, 8 décembre 2005, Req. 74762/01.

[36] CEDH, 25 juin 1996, Req. 19776/92, §. 43.

[37] CEDH, 15 novembre 1999, Req. 22414/93.

[38] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15, pp. 37-38.

[39] Cons. const, décision n° 2015-527 QPC, du 22 décembre 2015 (N° Lexbase : A9511NZB), cons. 4.

[40] Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : A4307HTP) cons. 66.

[41]  CEDH, 4 novembre 2014, Req. 29217/12 (N° Lexbase : A5408MZC).

[42] Dans le cadre du Règlement du 26 juin 2013 les Etats membres sont tenus d’effectuer le transfert dans les 6 mois, délai qui peut être porté à 18 mois si le demandeur est en fuite. Ensuite l’Etat requérant devient compétent pour examiner la demande.

[43] V., pour un autre exemple, dans le contentieux des visas de transit aéroportuaires la limitation du droit d’asile eu égard à l’ordre public, v., CE 2° et 7° ch.-r., 18 juin 2014, n° 366307 (N° Lexbase : A6266MRI) ; cf., C. Lantero, De la validation du VTA par le Conseil d’Etat à la condamnation du refus de visa par le TA de Nantes, La Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 02 octobre 2014.

[44] CE 9° et 10° ch.-r., 28 décembre 2017, n° 415291 (N° Lexbase : A6080W93) ; F. Hamon, A. Fadier, Le droit de l’Union européenne à l’épreuve du paradigme sécuritaire : autour du refus du Conseil d’Etat d’annuler la décision de maintenir les contrôles aux frontières, La Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 10 avril 2018. 

[45] Assemblée nationale, Compte-rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 07 décembre 2017.

[46] Comme le souligne Christophe Pouly, ces précisions sont «en réalité sans portée, la vulnérabilité faisant l’objet d’une évaluation dès le premier entretien (et il est peu probable que l’état de la personne évolue entre cet entretien et le rendez-vous précédant le placement)» ; «Les demandeurs d'asile 'dublinés"' peuvent être placés en rétention», Dictionnaire permanent - droit des étrangers, 22 mars 2018.

[47] Assemblée, article 16 du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie

[48] Rapport n° 218 (2017-2018) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 janvier 2018.

[49] CJUE, 13 septembre 2017, aff. C-60/16.

[50] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15, pp. 39-40.

[51] CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC) ; CJUE, 21 déc. 2011, aff. C-411/10 (N° Lexbase : A6906H8B).

[52] CJUE, 27 septembre 2012, aff. C-179/11 (N° Lexbase : A4352ITD) ; CJUE, 27 février 2014, aff. C-79/13 (N° Lexbase : A9418MEK).

[53] Cons. const., décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : A3770DBA) ; Cons. const., décision n° 2011-138 QPC, du 17 juin 2011 (N° Lexbase : A6178HTY).

[54] Cons. const., décision n° 93-325 DC, du 13 août 1993, loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : A8285ACT) «Statut constitutionnel des étrangers», cons. 3.

[55] Cons. const., décision n° 2016-561/562 QPC, du 9 septembre 2016 (N° Lexbase : A4005RZD).

[56] Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : A4307HTP).

[57] Cons. const., décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (N° Lexbase : A8441ACM), cons. 55. 

[58] Décision n° 2003-485 DC, du 4 décembre 2003 (N° Lexbase : A0372DIM), cons. 51.

[59] Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 (N° Lexbase : A4593XDH), cons. 18.

[60] Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 (N° Lexbase : A0553XIC), cons. 53. 

[61] Lorsque la décision de transfert est notifiée alors que l’intéressé est déjà en rétention, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures (c. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 742-4-II N° Lexbase : L9275K4B). Pendant ce délai, la décision ne peut pas être exécutée (c. entr. séj. étrang. et asile L. 742-5 N° Lexbase : L5934G4K).

[62] V., supra, et C. Pouly, «L'application de la loi «Dublin» neutralisée faute de décret d'application ?», DPDE, 29 mars 2018.

[63] CA Aix-en-Provence, 29 mars 2018, n° 18/00285 (N° Lexbase : A6612XIQ) ; toutes les cours d’appel n’ont, toutefois, pas adopté la même solution.

[64]  Amendement n° CL922

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Sur les modalités de la reprise de la saisie immobilière suspendue par le jugement d’ouverture d’une procédure collective

Réf. : Cass. com., 11 avril 2018, n° 16-23.607, F-P+B+I (N° Lexbase : A6989XK3)

Lecture: 2 min

N3669BX8

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par Vincent Téchené

Le 18 Avril 2018

Lorsque le juge-commissaire autorise le liquidateur à reprendre la procédure de saisie immobilière suspendue par le jugement de liquidation judiciaire, il fixe, quel que soit le stade auquel la procédure de saisie immobilière a été arrêtée, la mise à prix, les modalités de la publicité et les modalités de visite du bien, de sorte que, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, il incombe à la cour d’appel de compléter en ce sens l’ordonnance du juge-commissaire. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 11 avril 2018 (Cass. com., 11 avril 2018, n° 16-23.607, F-P+B+I N° Lexbase : A6989XK3).

 

En l’espèce, après la délivrance à un débiteur, à la requête d’un créancier, d’un commandement de payer valant saisie immobilière, le juge de l’exécution, par un jugement d’orientation du 7 octobre 2014, a constaté la régularité de la procédure, fixé le montant retenu pour la créance du poursuivant et autorisé au débiteur à procéder à la vente amiable de l’immeuble saisi, fixé à 300 000 euros le montant en deçà duquel le bien ne pourrait être vendu et dit que la vente devrait intervenir avant le 13 janvier 2015. Le débiteur ayant été mis en redressement judiciaire le 3 février 2015, le juge de l’exécution, par un jugement du 7 avril 2015, a constaté «l’interruption» de la procédure de saisie immobilière. Le redressement a été converti en liquidation judiciaire par un jugement du 30 juin 2015 et par une ordonnance du 30 novembre 2015, rendue sur la requête du liquidateur, le juge-commissaire a autorisé ce dernier à reprendre la procédure de saisie immobilière.

 

La cour d’appel (CA Chambéry, 5 juillet 2016, n° 16/00139 N° Lexbase : A4481RWU) a confirmé cette dernière ordonnance, écartant le moyen soulevé par le débiteur, selon lequel le juge-commissaire n’a prévu ni la mise à prix, ni les modalités de la vente, aux motifs que la procédure de saisie immobilière reprend son cours au stade auquel le jugement d’ouverture l’a suspendue et que les dispositions invoquées par le débiteur ne reçoivent pas application lorsque la saisie a été engagée avant l’ouverture de la procédure collective.

 

Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 642-18 (N° Lexbase : L7335IZP) et R. 642-24 (N° Lexbase : L7833IUN) du Code de commerce (cf. l’Ouvrage «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E4667EUE).

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Conformité à la Constitution de l’application de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus d'une société établie en dehors de l'Union européenne

Réf. : Cons. const., 13 avril 2018, n° 2018-699 QPC (N° Lexbase : A8008XKS)

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N3673BXC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Avril 2018

Les dispositions de l’article 223 B, alinéa 2 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3878KWK) sont conformes à la Constitution.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 avril 2018 (Cons. const., 13 avril 2018, n° 2018-699 QPC N° Lexbase : A8008XKS).

 

Pour rappel, le Conseil d’Etat avait dans un arrêt du 24 janvier 2018 (CE 9° et 10° ch.-r., 24 janvier 2018, n° 415726 N° Lexbase : A2118XB3), renvoyé la question de la constitutionnalité de ces dispositions.

 

Aux termes de l’article 223 B, alinéa 2 du Code général des impôts, "le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa".

 

Le Conseil constitutionnel juge en premier lieu que lors de leur adoption, l'objet des dispositions contestées était de définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. En application du droit de l'Union européenne, cet avantage doit également bénéficier aux sociétés mères d'un groupe fiscalement intégré, pour ce qui concerne leurs filiales établies dans un autre Etat membre. Dès lors les groupes de sociétés dont les filiales sont établies dans un Etat membre et ceux dont les filiales sont établies dans un Etat tiers ne sont pas placés dans la même situation. 

 

Par ailleurs, en réservant aux groupes fiscalement intégrés le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges instituée par les dispositions contestées, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d'intégration. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement établie entre les groupes fiscalement intégrés et les autres est également en rapport direct avec l'objet de la loi. 

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Fiscalité internationale

[Brèves] Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre : une imposition à 80 % de la valeur des quotas vendus ou non utilisés est contraire au droit de l’Union européenne

Réf. : CJUE, 13 avril 2018, aff. C-302/17 (N° Lexbase : A7007XKQ)

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Avril 2018

La Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 (N° Lexbase : L5687DL9), établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui taxe, à hauteur de 80 % de leur valeur, les quotas d’émission de gaz à effet de serre alloués à titre gratuit qui ont été vendus ou non utilisés par les entreprises soumises au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

 

Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt du 13 avril 2018 (CJUE, 13 avril 2018, aff. C-302/17 N° Lexbase : A7007XKQ).

 

En l’espèce, la République slovaque a instauré, dans son ordre juridique, un impôt sur les quotas d’émission prenant effet le 1er janvier 2011. L’assiette de cet impôt était soit la valeur des quotas d’émission transférés, à savoir les quotas crédités au contribuable et transférés ensuite par ce dernier, soit la valeur des quotas non consommés, à savoir les quotas qui n’avaient pas été restitués pour couvrir des émissions effectives. Les valeurs des quotas d’émission tant transférés que non consommés étaient établies conformément au prix de marché moyen des quotas d’émission. L’impôt a été prélevé pour les années 2011 et 2012 à un taux de 80 %.

 

La CJUE rappelle que l’objectif de la Directive consiste à offrir aux entreprises soumises au système d’échange de quotas la possibilité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de manière à ce que leur compétitivité ne soit pas compromise. Il est donc nécessaire au bon fonctionnement de ce système qu’une charge prélevée par un Etat membre sur la valeur économique de ces quotas d’émission n’aboutisse pas à diminuer l’incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre au point de la supprimer entièrement.

 

En supprimant ainsi la quasi-totalité de la valeur économique des quotas d’émission, cet impôt revient à réduire à néant les mécanismes incitatifs sur lesquels repose le système d’échange des quotas d’émission et, par voie de conséquence, à supprimer les incitations destinées à promouvoir la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Ainsi privées de 80 % de la valeur économique des quotas d’émission, les entreprises perdent presque toute incitation à investir dans des mesures de réduction de leurs émissions, leur permettant de tirer un bénéfice de la vente de leurs quotas non utilisés.

 

Cette imposition a pour effet de neutraliser le principe de l’allocation à titre gratuit des quotas d’émission de gaz à effet de serre, prévu à l’article 10 de la Directive 2003/87, et de porter atteinte aux objectifs poursuivis par cette Directive.

 

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