La lettre juridique n°732 du 22 février 2018

La lettre juridique - Édition n°732

État d'urgence

[Brèves] Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance issues de la loi du 30 octobre 2017 : censure partielle du Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 (N° Lexbase : A4593XDH)

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par June Perot

Le 22 Février 2018

Dans une décision rendue le 16 février 2018, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (dites MICAS) issues de la loi du 30 octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. (N° Lexbase : L2052LHH).

Il a ainsi prononcé deux censures partielles des dispositions contestées.

La première porte sur l'insuffisance de célérité du recours au fond contre la décision de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Il refuse en effet le délai de deux mois et exige que le juge administratif statue sur la demande dans de brefs délais.

La seconde concerne l'insuffisante célérité du recours au fond contre la décision de mesures individuelles. Il juge à cet égard, qu'en permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

Pour le reste, sous la réserve d'interprétation relative à la durée maximale de la mesure, le Conseil constitutionnel juge qu'au regard de ce qui précède, le reste des dispositions contestées, qui ont à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure d'assignation à résidence et apporté les garanties nécessaires, assurent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Il juge, enfin, que la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2134LHI) ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l'état d'urgence, et n'a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une, puis à l'autre, de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession (Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 N° Lexbase : A4593XDH).

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Février 2018

Réf. : Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, deux arrêts, n° 16-26.494 (N° Lexbase : A8727XAH), et n° 16-22.869 (N° Lexbase : A8806XAE), F-D ; Cons. const., 12 janvier 2018, décision n° 2017-685 QPC (N° Lexbase : A9936W9U)

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 22 Février 2018

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Ont retenu l'attention de l'auteur ce mois-ci, tout d'abord, un arrêt inédit au bulletin, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à propos de l'application d'une clause contenant différentes prescriptions de sécurité, lesquelles constituent des conditions de la garantie (Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-22.869, F-D) ; c'est sur un autre arrêt inédit rendu le même jour par la deuxième chambre civile, que l'auteur revient ensuite, et qui concerne l'application de la faculté de résiliation après sinistre, régie par l'article R. 113-10 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-26.494, F-D) ; enfin, il convenait de signaler la décision du Conseil constitutionnel, en date du 12 janvier 2018, ayant jugé de la conformité à la Constitution du droit de résiliation annuel des contrats d'assurance emprunteur (Cons. const., 12 janvier 2018, décision n° 2017-685 QPC). I - Etendue du droit à garantie
  • Les différentes prescriptions de sécurité constituent des conditions de la garantie. Elles apparaissent clairement et lisiblement dans la police et ses annexes. Le contrat précise que l'inexécution de ces clauses entraîne l'absence de garantie. L'ensemble de ces prescriptions apparaissant clairement et lisiblement, l'assuré n'a pas à être mieux éclairé sur ces stipulations (Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-22.869, F-D N° Lexbase : A8806XAE)

Une société, propriétaire d'un ensemble immobilier, le loue à une autre société qui conclut un contrat de location gérance avec une troisième entreprise. Elle y exploite une boîte de nuit et bénéficie d'une multirisque professionnelle. Un dégât des eaux se produit dans les locaux et, le lendemain, un incendie intervient. Il est manifestement dû à une maladresse de l'exploitant ayant remis un peu trop tôt l'électricité après le premier sinistre. A la demande d'indemnisation, l'assureur oppose la clause suivante, dont les prescriptions n'ont pas été respectées : "Lorsque l'établissement est inoccupé, toutes les protections (déclarées ou autres) sont toujours en fonction, sans exception, toutes les portes intérieures et tous les exutoires, trappes, aérateurs sont fermés, tous les appareils et circuits sont hors tension, sauf : les protections électroniques, les groupes frigorifiques, l'éclairage ménager, les besoins des bureaux, les climatisations réversibles". Les parties s'affrontent, en l'espèce, sur l'application de la clause aboutissant à écarter la garantie de l'assureur. Sa nature est évidemment déterminante de son régime. Comme la solution des juges apparaîtra décevante, une demande fondée sur un manquement au devoir d'information et de conseil sera formée.

La décision ne se prononcera pas sur un point déterminant : la qualification de la clause en exclusion conventionnelle de garantie. Une telle qualification ouvre la porte à un contrôle assez rigoureux de la validité de la stipulation. Elle n'est jamais acquise, on le sait. Les juges peuvent toujours hésiter entre condition de garantie et exclusion conventionnelle (1). La difficulté est que, dans les conclusions d'appel, les prescriptions litigieuses ont toujours été considérées comme des conditions de garantie. La Cour de cassation estime que la discussion ne peut, dès lors, avoir lieu devant elle.

Les parties essaient tout de même de recréer un régime des conditions de garantie qui leur soit favorable. Elles vont argumenter sur la présentation de ces stipulations, leur effet sur le droit à garantie, et les conséquences de leur inexécution. Sur les deux premiers points, cela revient évidemment à recréer le régime des exclusions conventionnelles : qu'elles soient formelles et limitées, et qu'elles figurent en caractères très apparents. Si certains espèrent l'avènement d'un régime unifié des clauses restrictives de garantie, il n'en est rien pour l'instant. La jurisprudence exige simplement que les conditions de garantie soient suffisamment claires et compréhensibles (2). Le présent arrêt évoque l'existence d'une clause claire et lisible pour évacuer l'argument. Cette qualité de la stipulation aura une incidence sur l'obligation d'information et de conseil dont sont tenus les différents professionnels de l'assurance. La jurisprudence a rappelé récemment qu'une diligence particulière d'information et de conseil n'a pas lieu d'être en présence d'une stipulation parfaitement claire pour l'assuré (3). Le présent arrêt s'inscrit dans ce courant.

Les parties n'auront pas plus de succès avec l'argument consistant à considérer que l'ensemble des prescriptions supprime le droit à garantie ce qui revient à imposer que ces conditions soient limitées. En l'absence d'un texte spécial, tel que l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), il faudrait démontrer, sur le fondement du nouvel article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH) ou en application de la jurisprudence antérieure, que la clause prive de sa substance l'obligation essentielle de l'assureur. Du point de vue des sanctions des prescriptions, l'espèce est l'occasion de rappeler que l'assureur choisit la sanction du comportement qu'il impose à son assuré. La stipulation prévoyait clairement de subordonner l'existence même de la garantie à l'exécution de ces obligations. Il n'est donc pas nécessaire de se demander si le sinistre en question a un lien avec le respect de ces exigences.

II - Vie du contrat

  • La partie de l'article L. 313-30 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9844LCL) soumise au contrôle du Conseil constitutionnel et le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 sont déclarés conformes à la Constitution (Cons. const., 12 janvier 2018, décision n° 2017-685 QPC N° Lexbase : A9936W9U)

Il est important de signaler cette décision du Conseil constitutionnel qui vient certainement mettre fin à une longue saga en matière de résiliation des contrats d'assurance emprunteur. La loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a consacré la possibilité d'exercer la faculté de résiliation annuelle dans les assurances emprunteur en la rendant applicable aux contrats en cours dès le 1er janvier 2018 (N° Lexbase : L9754LCA) (4). Ces dispositions modificatives ont fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Il s'agissait de remettre en cause le principe même de l'exercice de cette faculté dans ce type d'assurance. Il s'agissait aussi de contester la constitutionnalité de l'application de la faculté aux contrats en cours. Sur les deux points, la solution est une réponse à l'argument selon lequel l'ouverture de cette faculté bouleverserait l'équilibre économique des opérations en cause. En particulier, sur l'application de la disposition aux contrats en cours, la décision met en évidence deux éléments. Ne pas pouvoir résilier les contrats antérieurs aurait rendu la disposition moins efficace en raison de la durée des prêts garantis, le Conseil y voit un objectif d'intérêt général. Par ailleurs, la loi ne fait qu'ouvrir un droit de résilier qui ne sera pas systématiquement exercé. Les assurés doivent en effet trouver un contrat présentant des garanties équivalentes à celles qui sont prévues. L'atteinte aux contrats légalement conclus paraît proportionnée. Il ressort de la décision que le choix de reporter l'application aux contrats en cours au 1er janvier 2018 a influencé la constitutionnalité de la disposition. Ce délai a en effet permis aux assureurs d'anticiper le futur état du marché de l'assurance emprunteur.

  • Les parties, dans leur assurance collective de dommages, ont entendu stipuler une faculté de résiliation après sinistre dont la mise en oeuvre respecte les dispositions d'ordre public prévues par l'article R. 113-10 (N° Lexbase : L0550AAM). Les juges devaient rechercher si l'assureur n'avait pas exercé cette faculté de manière abusive (Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-26.494, F-D N° Lexbase : A8727XAH)

Le présent arrêt ne laissera pas indifférent, tant il intervient sur une question ayant agité la doctrine. A ce titre d'ailleurs, il pourrait réaliser le tour de force de décevoir et de rassurer en même temps. On l'aura compris, le litige porte sur l'application de la faculté de résiliation après sinistre. Cette faculté est régie par l'article R. 113-10 du Code des assurances que l'on pourrait trouver peu protecteur des intérêts de l'assuré. En effet, il suffit que la faculté soit prévue par le contrat et qu'elle soit exercée dans un certain délai après la survenance du sinistre. L'assureur ne peut plus l'exercer si, un mois après qu'il ait eu connaissance du sinistre, il a reçu une prime ou une fraction de prime pour une période de garantie postérieure. Lorsqu'elle est valablement exercée, la faculté ne prend effet qu'un mois après notification. L'assuré se consolera avec une faculté de résiliation en réponse et un droit au remboursement des primes pour la période qui n'est plus couverte.

L'arrêt du 18 janvier 2018 apporte des précisions sur le domaine de la faculté de résiliation après sinistre et les conditions dans lesquelles elle peut s'exercer. En l'espèce, un voyagiste souscrit cinq assurances de groupe ayant vocation à couvrir ses clients. Quatre assurances sont conclues pour une période de deux ans et demi et la cinquième pour un an renouvelable par tacite reconduction. Chacun des contrats prévoit la possibilité de résiliation après sinistre dans une stipulation rappelant les différentes hypothèses de résiliation et semblant les soumettre au respect d'un délai de préavis de deux mois avant la date anniversaire du contrat. L'assureur utilise la faculté ouverte par l'article R. 113-10 au début de la troisième année d'existence des contrats pour y mettre fin. L'assuré conteste l'emploi d'une telle faculté et la violation des stipulations contractuelles. Il considère que l'assureur a commis une faute en procédant à la résiliation des contrats.

L'un des intérêts de l'arrêt est certainement de préciser à nouveau, de façon indirecte néanmoins, que la faculté de résiliation après sinistre s'applique aux assurances de groupe pour le contrat cadre lui-même. La solution n'est pas nouvelle (5). Malgré les critiques faisant ressortir son inadaptation à ce type d'assurance, la solution a désormais pour elle l'article L. 129-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7683IZL), issu de la loi du 17 mars 2014. Ce dernier prévoit expressément l'application des règles du droit commun du contrat d'assurance et celle des assurances de dommages aux assurances collectives de dommages. Il en ressort une banalisation du contrat d'assurance collective que le législateur n'avait peut-être pas anticipée. Cette réforme aurait justement pu être l'occasion de marquer la spécificité de cette forme d'assurance.

L'arrêt est l'occasion de mesurer la portée des dispositions de l'article R. 113-10 du Code des assurances. Elles sont d'ordre public, la décision l'affirme clairement. La position fait un sort à l'argument des parties considérant que l'assureur aurait dû exercer la faculté dans les conditions prévues par le contrat. A l'inverse, les juges estiment qu'il devait, et ne pouvait, l'exercer dans les conditions de l'article R. 113-10 auquel le contrat d'assurance se réfère. L'assureur a beau jeu de souligner qu'attendre la fin de la période contractuelle le conduirait à exercer le droit au-delà du délai autorisé. L'exercice de la faculté de résiliation après sinistre nécessite donc simplement que la possibilité de l'exercer soit clairement stipulée dans le contrat. Lorsque les stipulations contractuelles apparaissent confuses sur les causes et modalités de résiliation, cela ne joue donc pas contre l'assureur. Les modalités sont de toute façon celles prévues par le texte.

On le voit, la Cour de cassation semble donner plein effet à cette faculté de résilier après sinistre, que l'on pourrait pourtant trouver injustifiée dans un état du droit où l'assureur bénéficie déjà de la possibilité de réexaminer annuellement l'opportunité de poursuivre le contrat. La Cour de cassation va tout de même trouver le moyen de réduire la portée de la faculté de l'assureur. Ainsi, la présente affaire a déjà été l'occasion de préciser que le juge peut suspendre, pendant un délai qu'il détermine souverainement, l'application de la clause pour éviter un dommage imminent (6). Dans le présent arrêt, la Cour de cassation va un peu plus loin : elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné l'argument de l'assuré selon lequel l'assureur aurait abusé de sa faculté de résilier. Il est, en effet, constaté que le nombre de sinistres n'a pas particulièrement augmenté lorsque l'assureur procède à la résiliation des contrats. En revanche, ces résiliations interviennent dans une période où l'assureur cède son activité et cherche manifestement à apurer ses comptes. On ne peut préjuger de la décision de la cour d'appel de renvoi, cependant, il faut saluer la décision consistant à reconnaître la possibilité de faire sanctionner un abus. En premier lieu, il est évident que le recours à ce mécanisme permet de rééquilibrer les rapports des parties : loin de s'en tenir à une simple possibilité de résilier en réponse, l'assuré peut exposer son assureur au paiement de dommages et intérêts. Cela compense l'absence de garde-fous suffisants entourant l'exercice d'une telle faculté et dont l'arrêt est une belle illustration ! Par ailleurs, le caractère d'ordre public du texte semble appeler un tel contrôle. La faculté de résilier après sinistre a été conçue pour s'exercer dans un cas précis : une sinistralité perturbant les prévisions de l'assureur. Le contrôle de l'abus permet de ramener l'assureur à un exercice de la faculté en conformité avec l'objectif pour lequel elle a été conçue : "le critère de l'abus condamne toute déviation du droit quant à sa fonction, en partant de l'idée de ce qu'à chaque droit est attachée une fonction, déduite de son esprit et que les droits subjectifs ne sont pas abstraitement conférés, pour les utiliser discrétionnairement, mais qu'ils ont une raison d'être, une mission à accomplir" (7). Les circonstances de l'espèce, rappelées par la Cour de cassation, semblent orienter le contrôle dans ce sens. La loi de 2014, déjà citée, a imposé la motivation de la résiliation dans certains cas (8). Au-delà de la simple indication des motifs, le contrôle de l'abus pourrait consister à contraindre l'assureur à justifier du bien-fondé de l'exercice de la faculté.


(1) J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances, Le contrat d'assurance, Tome 3, LGDJ, 2ème éd., 2014, n° 1491 et s..
(2) Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-14.179, F-D (N° Lexbase : A0937RQR), LEDA, 2016, n° 7, p. 2, nos obs..
(3) Cass. civ. 2, 9 décembre 2016, n° 15-21.723, F-D (N° Lexbase : A3998SPR) : rendu sur la même catégorie de stipulations.
(4) Cf. nos obs. in Chron., Lexbase, éd. priv., n° 693, 2017 (N° Lexbase : N7358BWG).
(5) Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 90-12.482 (N° Lexbase : A5064AHZ), Bull. civ. I, n° 19 ; RCA, 1993, chron. 12, H. Groutel ; RGAT, 1993, 336, note J. Kullmann.
(6) Cass. civ. 2, 6 février 2014, n° 13-14.084, F-D (N° Lexbase : A9106MDM), LEDA, 2014, n° 4, obs. A. Astegiano-La Rizza.
(7) Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsbailité et des contrats, DallozAction 2018/2019, n° 2213.19.
(8) C. assur., art. L. 113-12-1 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 106110755, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "L113-12-1", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L7680IZH"}}).

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Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] L'avocat en entreprise, sorti par la porte, était rentré par la fenêtre : le Conseil d'Etat lui enjoint de quitter les lieux

Réf. : CE 6° et 5° ch.-r., 29 janvier 2018, n° 403101, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7420XBG)

Lecture: 6 min

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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour, ancien Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

Le 22 Février 2018

Les dispositions de l'article 15 du règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) de la profession d'avocat sont consacrées au domicile professionnel de l'avocat, celles de l'article 15.1 au cabinet principal, celles de l'article 15.2 aux bureaux secondaires.

Par une décision des 1er et 2 juillet 2016, le Conseil national des barreaux a modifié l'article 15.2.2 du règlement intérieur de la profession d'avocat, intitulé "Principes", autorisant désormais l'ouverture d'un bureau secondaire situé dans les locaux d'une entreprise.

Le Conseil d'Etat a annulé, par décision en date du 29 janvier 2018, l'article 1er de cette décision des 1er et 2 juillet 2016 en tant qu'il modifie les dispositions de cet article 15.2.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, article annulé dont les termes sont ici reproduits : "15.2.2 Principes. L'ouverture d'un ou plusieurs bureaux secondaires est licite en France et à l'étranger, sous réserves des dispositions de l'article 8.II de la loi du 31 décembre 1971 modifiée. Le bureau secondaire, qui peut être situé dans les locaux d'une entreprise, doit répondre aux conditions générales du domicile professionnel et correspondre à un exercice effectif et aux règles de la profession notamment en ce qui concerne le secret professionnel. L'entreprise au sein de laquelle le cabinet est situé ne doit pas exercer une activité s'inscrivant dans le cadre d'une interprofessionnalité avec un avocat".

Exit le bureau secondaire qui peut être situé dans les locaux d'une entreprise. Exit l'avocat en entreprise.
  • "L'avocat en entreprise", un sujet clivant pour les Ordres et les syndicats professionnels

Rejeté à l'occasion de consultations successives des barreaux, de la Conférence nationale des Bâtonniers, du Conseil national des barreaux, le principe même de l'avocat en entreprise n'avait pas pu donner lieu à son inscription dans le règlement intérieur national de la profession d'avocat.

Parmi les critiques justifiant cette opposition, surgissaient notamment les objections suivantes :

- en entreprise, l'avocat se trouverait placé dans une situation de dépendance matérielle et intellectuelle. A cet argument, les partisans du projet opposaient l'exemple des médecins salariés de grandes entreprises, avant de renoncer à ce parallèle, précisément en raison des polémiques qui se faisaient jour à leur sujet ;

- était posée la question de la signification du cabinet en entreprise, dès lors qu'il devenait non seulement le siège de l'activité de l'avocat, mais le contenu même de cette activité puisqu'il avait pour objet de traiter les affaires d'un client spécifique au sein de son propre établissement ;

- était posée également, bien sûr, la question du secret professionnel revendiqué par les juristes d'entreprise par le biais du titre d'avocat. Un secret professionnel dont il était permis de craindre qu'il ne puisse pas être préservé au sein même de l'entreprise. Un secret professionnel qui, s'il était utilisé aux fins de dissimuler en réalité le secret des affaires, pourrait porter atteinte à l'image même de la profession.

A défaut de recueillir un consensus sur la question de l'avocat en entreprise, le Conseil national des barreaux a modifié les dispositions du règlement intérieur national de la profession d'avocat relatives au "seul" bureau secondaire pour permettre, de façon incidente, sa domiciliation en entreprise.

Des oppositions demeuraient à l'adoption de cette mesure nouvelle, considérée par certains comme un subterfuge pour introduire a minima une réforme refusée par la majorité.

Parmi les questions posées :

- Comment être assuré de l'existence d'un véritable cabinet principal quand certains avocats exercent au sein des structures dans lesquelles temps et bureaux sont partagés ?

- Si l'activité d'un avocat dans un cabinet secondaire situé dans une entreprise représente en réalité la totalité ou la quasi-totalité du chiffre d'affaires de cet avocat, peut-on encore qualifier ce cabinet de "secondaire", ce qui renvoie aux craintes quant à l'indépendance de l'avocat ?

- N'y avait-il pas un risque que l'ouverture d'un cabinet secondaire dissimule en réalité de véritables situations de "prêt de main d'oeuvre", des cabinets importants ouvrant des cabinets secondaires au sein des établissements de leurs gros clients, et y affectant des collaborateurs ne travaillant que sur les dossiers de ceux-ci, le rôle du "cabinet principal" pouvant pour la plupart des tâches courantes se limiter à la facturation et à une rétrocession partielle ?

Il reste que le principe de l'ouverture d'un bureau secondaire situé dans les locaux d'une entreprise a été approuvé, décision consacrée par la modification de l'article 15.2.2 du RIN.

Un pas était franchi.

Sorti par la porte, l'avocat en entreprise était rentré par la fenêtre.

Avant que le Conseil d'Etat n'en décide autrement, saisi d'une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision à caractère normatif du Conseil national des barreaux des 1er et 2 juillet 2016 émanant de la Conférence des Bâtonniers, de son président par ailleurs Vice-Président du Conseil national des barreaux, du barreau de Rouen et de cinquante autres barreaux.

  • La décision du conseil d'Etat en date du 29 janvier 2018

Saisi d'une requête en annulation pour excès de pouvoir, la Haute juridiction rappelle tout naturellement en préambule les dispositions de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, et celles issues de l'article 21-1 de la loi du 11 février 2004 la modifiant, qui fixent les domaines respectifs d'attribution de la loi, des décrets en Conseil d'Etat et du Conseil national des barreaux.

Le Conseil d'Etat énonce également les attributions conférées par la loi de 1971 aux conseils de l'Ordre par l'article 17 de la loi de 1971.

Au visa de toutes ces dispositions légales, le Conseil d'Etat conclut que "le Conseil national des barreaux est investi par la loi d'un pouvoir réglementaire, qui s'exerce en vue d'unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession [...]".

Mais le Conseil d'Etat rappelle également que ce pouvoir n'est pas absolu.

  • Le pouvoir du Conseil national des barreaux a des limites

Le Conseil d'Etat énumère de nombreuses limites :

- les droits et libertés qui appartiennent aux avocats, au premier rang desquels la liberté d'exercice de la profession et les règles essentielles de la profession ;

- la fixation de prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d'exercice de la profession d'avocat où les règles essentielles qui la régissent ;

- la fixation de prescriptions nouvelles qui n'auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat ;

- des règles qui ne seraient pas une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions de la profession.

Ces limites ne sont pas seulement nombreuses, elles sont fondamentales en ce qu'elles ont trait à des principes essentiels de la profession d'avocat que le Conseil national des barreaux a ignorés.

  • La notion de domicile professionnel

L'autorisation d'ouverture d'un bureau secondaire situé dans les locaux d'une entreprise renvoie tout naturellement à la notion de domiciliation professionnelle qui est l'une des conditions d'exercice de la profession d'avocat.

Sur cet autre point, le Conseil d'Etat rappelle dans sa décision les définitions et règles applicables en la matière, dans le respect de la hiérarchie des normes : celles des articles 5 et 8-1 de la loi du 31 décembre 1971, celles issues de l'article 165 du décret du 27 novembre 1991, et enfin la définition donnée par le Conseil national des barreaux lui-même du cabinet secondaire dans l'article 15.2.1 du Règlement intérieur national : "Le bureau secondaire est une installation professionnelle permanente distincte du cabinet principal [...]".

Mais en outre et surtout, le Conseil d'Etat insiste sur le fondement de cette domiciliation professionnelle exigée par les textes : "l'avocat doit justifier une domiciliation effective et suffisamment stable permettant un exercice professionnel conforme aux principes essentiels et usages de son état et de nature à garantir le respect des exigences déontologiques de dignité, d'indépendance et de secret professionnel et la sécurité des notifications opérées par les juridictions ".

Le Conseil d'Etat ne pouvait mieux dire que la question de l'ouverture d'un bureau secondaire situé dans des locaux d'une entreprise soulève des questions d'éthique, de déontologie, et renvoyer aux principes essentiels de la profession édictés par le Conseil national des barreaux dans le Règlement intérieur national.

Le Conseil national des barreaux était incompétent pour édicter la règle nouvelle de l'article 15.2.2 du règlement intérieur national autorisant l'ouverture d'un bureau secondaire en entreprise

Le Conseil d'Etat annule la décision du Conseil national des barreaux.

Le Conseil d'Etat, reprenant point par point les limites qui fixent le pouvoir du Conseil national des barreaux telles qu'elles ont été rappelées pour juger qu'elles ont été dépassées, clôt sa motivation par un considérant qui mérite, lui aussi d'être cité in extenso et n'appelle aucun commentaire : "que, d'autre part, ces conditions d'exercice sont susceptibles de placer les avocats concernés dans une situation de dépendance matérielle et fonctionnelle vis-à-vis de l'entreprise qui les héberge et mettent ainsi en cause les règles essentielles régissant la profession d'avocat d'indépendance et de respect du secret professionnel ; que, par suite, elles ne sont pas au nombre de celles que le Conseil national des barreaux était compétent pour édicter".

Qu'il est réconfortant, mais tellement déconcertant, que ce soit la plus Haute juridiction administrative qui doive rappeler à l'institution qui a pour mission de représenter la profession d'avocat les principes essentiels de la profession et le sens profond du rôle social de l'avocat.

  • L'avocat en entreprise, un sujet clos ?

Ce que le Conseil national des barreaux n'est pas compétent pour édicter, le loi peut en décider, par exemple pour légitimer a posteriori des situations de fait, ou pour répondre à l'attente de lobbys.

Il faudrait en ce cas que la loi nouvelle modifie la loi ancienne pour abroger toute exigence d'indépendance de l'avocat et de respect du secret professionnel.

Certes, l'article 15.2.2 annulé comportait l'affirmation que le bureau secondaire "doit répondre aux conditions générales du domicile professionnel et correspondre à un exercice effectif et aux règles de la profession notamment en ce qui concerne le secret professionnel. L'entreprise au sein de laquelle le cabinet est situé ne doit pas exercer une activité s'inscrivant dans le cadre d'une interprofessionnalité avec un avocat", et l'on pourrait imaginer que la loi reprenne une telle affirmation.

Dans son infinie sagesse, le Conseil d'Etat n'a même pas repris dans ses considérants, fût-ce pour les écarter, les apparentes précautions prises par le Conseil national des barreaux pour réaffirmer dans les dispositions annulées l'exigence de respect du secret professionnel.

Il est vrai que les évidences ne s'énoncent pas.

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Contrôle fiscal

[Brèves] Amende pour défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger : les dispositions de l'article L. 152-5 du Code monétaire et financier jugées contraires à la Constitution à compter du 1er janvier 2009

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-692 QPC, du 16 février 2018 (N° Lexbase : A4594XDI)

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N2802BX3

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par Marie-Claire Sgarra

Le 22 Février 2018

L'article L. 152-5 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3521AP4) est jugé contraire à la Constitution à compter du 1er janvier 2009.

Telle est la solution du Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 février 2018 (Cons. const., décision n° 2017-692 QPC, du 16 février 2018 N° Lexbase : A4594XDI).

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° ch.-r., 22 décembre 2017, n° 409358, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4780W9W) d'une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur les articles 1736 du CGI (N° Lexbase : L3013LCL) et L. 152-5 du CMF.

Les dispositions contestées portaient sur la sanction applicable en cas de défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, obligation codifiée aux articles 1649 A du CGI (N° Lexbase : L1746HMM) et L. 152-2 du CMF (N° Lexbase : L9846DYC).

Selon les requérants, en permettant à l'administration de choisir discrétionnairement de sanctionner la méconnaissance de l'obligation déclarative instituée par l'article 1649 A du CGI d'une amende dont le montant diffère selon qu'elle est infligée sur le fondement de l'article 1736 de ce code ou L. 152-5 du CMF institueraient une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi.

Cette sanction a connu des évolutions :
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités (N° Lexbase : L4620HDH) a recodifié les dispositions de l'article 1768 bis du CGI (N° Lexbase : L4429HMY) au paragraphe IV de l'article 1736 du même code ;
- les dispositions du paragraphe IV de l'article 1736 du CGI ont ensuite été modifiées à deux reprises, sans que le législateur modifie en conséquence l'article L. 152-5 du CMF qui en est, dès lors, devenu le miroir "déformé".

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel décide d'un non-lieu à statuer en ce qui concerne les dispositions contestées du paragraphe IV de l'article 1736 du CGI.

S'agissant de l'article L. 152-5 du CMF, le Conseil constitutionnel a en revanche, jugé qu'il instituait une différence de traitement injustifiée, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi : "à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2008 et jusqu'à l'abrogation expresse de l'article L. 152-5 du CMF par la loi du 29 décembre 2016, cet article sanctionnait d'une amende de 750 euros, le manquement à l'obligation déclarative prévue par l'article 1649 A du CGI. Ce même manquement était sanctionné par le paragraphe IV de l'article 1736 du CGI, d'une amende de 1 500 euros. Ainsi, un même manquement pouvait être sanctionné par une amende dont le montant était différent [...]. Cette différence de traitement n'est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Durant cette période, l'article L. 152-5 était donc contraire au principe d'égalité devant la loi".

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Droit des étrangers

[Panorama] Un an de droit d'asile devant le Conseil d'Etat

Lecture: 16 min

N2827BXY

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par Caroline Lantero, MCF en droit public, UdA, EA4232, Avocate

Le 22 Février 2018

L'année dernière, lors de la rédaction de cette chronique, nous évoquions les nouveautés normatives que les juges de l'asile avaient eu à manipuler après la loi du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile ([LXB=L6640KDB)]) et ses décrets d'application, ainsi que l'affinement de l'office du juge de l'asile. L'année 2017 s'inscrit dans cette lignée, alors qu'un nouveau texte est en discussion et que les règles vont, pour certaines, encore changer. Le projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif" doit être présenté en Conseil des ministres le 28 février 2018 avant d'être examiné en mars par la commission des lois de l'Assemblée nationale et, s'il aboutit, donnera à nouveau du grain à moudre au juge de l'asile et au Conseil d'Etat. I - Statut de réfugié

Pour mémoire, le droit des réfugiés issu de la Convention de Genève (N° Lexbase : L6810BHP) prévoit des clauses d'inclusions (article 1A), des clauses d'exclusion (article 1F) et des clauses de cessation (article 1C), qui permettent respectivement de reconnaître la qualité de réfugié, de ne pas accorder la protection, et de la faire cesser lorsqu'elle n'est plus nécessaire. Plus de 65 ans après l'adoption de la Convention de Genève, l'interprétation de ces clauses est encore dynamique. Plus particulièrement, en ce qui concerne les clauses d'inclusion et les clauses d'exclusion.

A - Inclusion - Appartenance à un groupe social

  • L'appartenance à un groupe social se perçoit mais ne se prouve pas - CE 9° et 10° ch.-r., 8 février 2017, n° 395821, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6436TBY) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5526E7S).

Il est désormais parfaitement admis que l'orientation sexuelle d'un demandeur est au nombre des éléments susceptibles de caractériser l'appartenance à un groupe social, lui-même susceptible de faire l'objet de persécutions et de faire entrer l'intéressé dans la protection offerte par la Convention de Genève.

Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat rappelle que l'appartenance à un groupe social ne se définit pas par la manifestation publique de son orientation sexuelle et que l'absence de répression pénale de l'homosexualité est sans incidence sur la réalité des persécutions (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2012, n° 349824 N° Lexbase : A0751IRA). La CJUE avait précisé qu'il ne devait pas non plus être exigé de la part du demandeur qu'il dissimule son homosexualité pour éviter les persécutions (CJUE, 7 novembre 2013, aff. C-199/12 N° Lexbase : A1423KPE), ce dont le Conseil d'Etat prend acte en formulant pour la première fois qu'il est exclu que le demandeur d'asile doive dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l'expression de son orientation sexuelle pour éviter le risque de persécution. Se retrouvant alors face à la difficile gestion de la preuve, le Conseil d'Etat précise (assez inévitablement) que la Cour ne peut exiger du demandeur "qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance et, en particulier, de son orientation sexuelle". La cour doit donc former sa conviction, notamment sur le récit du demandeur, dont elle pourra écarter les allégations qui ne lui paraitront pas assez étayées.

Ainsi, la crédibilité du récit (qui n'est pas toujours cohérente avec l'authenticité du vécu, mais le juriste est parfois mal armé pour faire la distinction) emportera, ou non, la conviction. En l'espèce, ce ne fut pas le cas.

B - Exclusion

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a parfaitement présenté la raison d'être des clauses d'exclusion du statut, qui sont des clauses d'indignité. La personne exclue entre dans la définition du réfugié, mais ne mérite pas de se voir reconnaître le statut : "L'idée selon laquelle une personne ne mérite pas la protection en qualité de réfugié a trait aux liens intrinsèques existant entre les idées d'humanité, d'équité et le concept de réfugié. Les objectifs primordiaux de ces clauses d'exclusion sont de priver de cette protection les auteurs d'actes haineux et de crimes graves de droit commun et de préserver le pays d'accueil de l'entrée de criminels qui présentent un danger pour la sécurité de ce pays. Si la protection fournie par le droit des réfugiés permettait d'offrir la protection aux auteurs de graves délits, la pratique de la protection internationale entrerait directement en conflit avec le droit national et international et s'inscrirait en faux contre la nature humanitaire et pacifique du concept de l'asile. Sous cet angle, les clauses d'exclusion contribuent à sauvegarder l'intégrité du concept de l'asile" (1).

  • Au-dessus de l'indice mais en deçà de la démonstration : "Des raisons sérieuses de penser que" - CE 2° et 7° ch.-r., 4 décembre 2017, n° 403454, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4989W4K) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5527E7T).

L'Ofpra a introduit un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la CNDA qui avait reconnu la qualité de réfugié à un ressortissant Rwandais en jugeant qu'il n'entrait pas dans le champ d'application de la clause d'exclusion de l'article 1Fa : "Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité".

La Cour avait estimé que la "responsabilité personnelle et consciente" de l'intéressé dans les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994 n'était pas établie. Le Conseil d'Etat censure ici une erreur de droit et précise que le juge de l'asile n'a pas à rechercher si l'implication personnelle est établie, mais doit seulement rechercher s'il résulte de l'instruction "des raisons sérieuses de penser" qu'il existe une responsabilité personnelle.

Ce n'est pas la première fois que le Conseil d'Etat censure le juge du fond sur ce point. En 2006, il avait également conclu à une erreur de droit de la commission des recours des réfugiés qui avait subordonné "l'exclusion prévue à l'article 1F de la Convention de Genève non à des raisons sérieuses de penser que les personnes ont commis un crime, au sens des instruments internationaux, mais à la démonstration de leur implication dans ces crimes" (CE 9° et 10° s-s-r., 18 janvier 2006, n° 255091 N° Lexbase : A4172DMH, mentionné aux tables du recueil Lebon, pp. 716-904-905). Certes, l'intéressé figurait ("seulement" ?) "sur une liste de participants au génocide établie en 1994 par le gouvernement rwandais", et dans un arrêt de 2010, la CJUE est venue resserrer les critères des "raisons sérieuses de penser que", et l'arrêt du Conseil d'Etat, bien qu'identique à celui de 2006 dans sa solution, vient sans doute prendre acte du critère de preuve exigé. La CJUE -précisant la portée de la Directive dite "Qualification" (Directive 2011/95/UE N° Lexbase : L8922IRU) et, en substance, la portée de la Convention de Genève- avait précisé que la simple appartenance à une organisation terroriste figurant sur une liste, ne suffisait pas. Elle a précisé qu'il était nécessaire de rechercher, par un "examen individuel de faits précis" s'il était possible d'imputer "à la personne concernée une part de responsabilité pour les actes commis" (CJUE, 9 novembre 2010, aff. C-57/09 et C-101/09 N° Lexbase : A2076GEM (2)).

Les raisons sérieuses de penser se situent donc au-dessus de l'indice, mais n'exigent pas de démonstration de l'implication personnelle et intentionnelle.

  • Extension du domaine de la complicité aux agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies - CE 9° et 10° ch.-r., 7 juin 2017, n° 396261, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6119WGQ) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5527E7T).

L'Ofpra a introduit un pourvoi en cassation contre la décision de la CNDA qui avait reconnu la qualité de réfugié à une ressortissante russe d'origine tchétchène ainsi qu'à ses trois enfants majeurs pour leur participation avérée à la rébellion Tchétchène et les risques de persécution encourus en cas de retour chez eux. Oui, mais. Il est ressorti des pièces du dossier que l'époux et père des intéressés avait participé à l'enlèvement, la séquestration et la torture d'un fonctionnaire -français- du HCR.

Ce fonctionnaire a témoigné et a été formel. Il a aussi indiqué n'avoir jamais été en contact direct avec l'épouse de l'individu alors qu'il était séquestré dans le domicile conjugal. Mais pour le Conseil d'Etat, qui se place ici sur le contrôle de la qualification juridique des faits mené par la CNDA (CE 9° et 10° ch.-r., 9 novembre 2016, n° 388830 N° Lexbase : A2510SG3 Rec., p. 465), ladite épouse qui ne niait manifestement pas la réalité des agissements de son mari, a "contribué à la commission des agissements dont [le fonctionnaire] a été victime".

On connaît la conception déjà large du complice comme celui qui a "sciemment, a, par ses agissements, contribué à la préparation ou à la réalisation du crime ou en a facilité la commission ou a assisté à son exécution sans chercher à aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s'en dissocier" (à propos du crime de génocide : CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 312833 N° Lexbase : A7463GQH, Rec., p. 16). En l'espèce, il ressort uniquement de la lecture de l'arrêt que l'intéressée connaissait les agissements, qu'ils ont eu lieu chez elle, et qu'elle semblait en minimiser la gravité à l'audience. Le Conseil d'Etat a fait entrer ces éléments dans la notion de complicité. Mais c'est surtout la première fois qu'il étend la complicité aux "agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies". Or, et d'une part, le débat portant sur cette troisième clause d'exclusion et la qualité de l'auteur des crimes n'est pas purgé. Pour le HCR, seule des "personnes ayant participé à l'exercice du pouvoir dans leur Etat ou dans des entités quasi-étatiques" peuvent "être susceptibles de violer ces dispositions" (§. 163 du Guide et note d'information du 4 septembre 2003 sur l'application des clauses d'exclusion). Etendre ainsi cette clause au complice semble être une interprétation excessivement large (bien éloignée de la jurisprudence "Duvalier" qui reconnaissait de tels agissements émanant du dirigeant de l'Etat : CE, 31 juillet 1992, n° 81963 N° Lexbase : A7571ART, Rec., p. 986). D'autre part, ce n'était pas indispensable dans la mesure où cette complicité est acquise, et que l'arrêt en fait d'ailleurs mention, s'agissant de la deuxième clause d'exclusion : "le crime grave de droit commun". La séquestration est, en effet, réprimée en France d'une peine de 20 ans de réclusion (C. pén., art. 224-1 N° Lexbase : L6579IXX) et il est admis que le seuil de gravité du crime de droit commun est atteint. Le Conseil d'Etat a estimé utile de combiner les deux clauses : il s'agit d'un crime grave de droit commun constitutif d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Soit il s'agit d'une erreur, soit il s'agit de mettre l'emphase sur la gravité des faits, ce qui n'est pas à exclure, tout comme il semble permis de s'interroger sur la stratégie de l'intéressée à demander l'asile en France lorsqu'un fonctionnaire français du HCR a été séquestré et torturé chez elle.

  • La note presque blanche au soutien de l'exclusion du statut - CE, 10° et 9° ch.-r., 19 juin 2017, n° 389868 mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4248WI8) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4301EYX).

Le Conseil d'Etat censure la CNDA pour erreur de droit pour avoir écarté une note anonyme susceptible de fonder une exclusion du statut sur le fondement de l'article 1Fc de la Convention de Genève.

Une note des services de l'Ofpra faisait état de l'appartenance d'un demandeur sri lankais d'origine tamoule au mouvement séparatiste des "tigres libérateurs de l'Eelam tamoul", notamment dans la préparation d'attentats. Pour faire valoir que le demandeur devait être exclu du statut en raison d'"agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies" (Convention de Genève, art. 1F c), l'Ofpra a versé cette note devant la CNDA mais a refusé de divulguer les sources de l'information.

Dans cette affaire, l'instruction devant l'Ofpra s'est déroulée en 2014 et la décision de la CNDA date de février 2015, c'est-à-dire avant la loi du 29 juillet 2015, qui a inséré un nouvel article L. 733-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6592KDI) autorisant l'Ofpra à ne pas divulguer la source d'information si cela est susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnes. A la sécurité des sources uniquement. Pas des demandeurs (3). Toutefois, le Conseil d'Etat estime que le principe est rétro-applicable. La CNDA avait écarté "en tout état de cause" le document, estimant que les éléments versés contradictoirement suffisaient à ne pas conclure à l'exclusion du demandeur.

Le Conseil d'Etat que le juge ne doit certes pas se fonder exclusivement sur un document confidentiel non transmis au contradictoire du demandeur pour prendre sa décision, mais estime qu'il doit tenir compte de ce document, à peine d'erreur de droit. Il appartient désormais à la Cour de doser la prise en compte de tels documents.

II - Procédure de détermination du statut

A - Examen des recours et PV d'audience

  • Les mauvaises conditions de l'entretien individuel peuvent justifier le renvoi à l'Ofpra - CE 2° et 7° ch.-r., 22 juin 2017, n° 400366, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7214WIZ) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E0266E9Q).

Le requérant faisait valoir que l'entretien devant l'Ofpra ne s'était pas déroulé dans de bonnes conditions car il n'avait pas eu accès à un interprète. Le Conseil d'Etat estime que si ce défaut d'interprétariat est imputable à l'Ofpra et qu'en raison de ce manquement, le demandeur n'a pas été en mesure de se faire comprendre, la CNDA peut renvoyer l'examen à l'Ofpra.

Il s'agit là d'une jurisprudence protectrice de la garantie des droits dans la procédure d'examen car jusqu'à présent, seule l'absence d'examen pouvait justifier un tel renvoi de l'affaire par la CNDA à l'Ofpra (CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2013, n° 362798, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7254KMM). La loi de 2015 a consacré cette possibilité, désormais inscrite à l'article L. 733-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6593KDK), en précisant que la Cour ne peut renvoyer à l'Ofpra qu'en l'absence d'examen individuel de la demande, ou qu'en l'absence non justifiée d'un entretien personnel. Dans cette affaire, l'examen individuel et l'entretien avaient eu lieu. Le juge de cassation précise d'ailleurs qu'en principe, "le moyen tiré de ce que l'entretien personnel du demandeur d'asile à l'Office se serait déroulé dans de mauvaises conditions n'est pas de nature à justifier" un renvoi de la CNDA vers l'Ofpra. C'est l'imputabilité à l'Ofpra des mauvaises conditions de l'entretien qui justifie, en l'espèce, que le CNDA accueille le moyen et puisse annuler et renvoyer l'examen à l'Office.

  • Vidéo-audience et absence du double PV d'audience - CE 9° et 10° ch.-r., 19 juillet 2017, n° 400387, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2059WNL) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4298EYT)

Le requérant soulevait une irrégularité de procédure relative à l'absence de procès-verbal d'audience dans le cadre d'une vidéo-audience. Le Conseil d'Etat estime qu'eu égard à la portée des règles applicables, l'absence d'un double PV d'audience entache la procédure d'irrégularité.

La loi du 16 juin 2011 dite "Besson" (loi n° 2011-672 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4) avait rendu possible la tenue des vidéo-audiences à la CNDA (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-1 N° Lexbase : L6632KDY). Le Conseil constitutionnel avait validé cette disposition en estimant qu'elle ne portait pas atteinte au droit à un procès juste et équitable, dès lors notamment, "qu'un procès-verbal ou un enregistrement audiovisuel ou sonore des opérations est réalisé" (Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC N° Lexbase : A4307HTP). Le recours contre l'un de ses décrets d'application avait été rejeté par le Conseil d'Etat, dès lors notamment qu'il renvoyait à bon droit aux ministres de la Justice et de l'Asile, le soin d'arrêter les moyens techniques d'une "une retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l'égard des tiers" de l'audience (CE 4° et 5° s-s-r., 23 septembre 2013, n° 360070 N° Lexbase : A9658KLB). Parmi les modalités applicables, celle inscrite à l'article R. 733-23 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5062KKP), précise qu'en l'absence d'enregistrement de l'audience, il convient de dresser un double procès-verbal dans chacune des deux salles d'audience.

En l'espèce, le requérant se trouvait à Mayotte et si le PV d'audience avait bien été dressé et signé à Montreuil (à la CNDA), il manquait celui de Mayotte. Cette irrégularité de la procédure justifie, selon le Conseil d'Etat, l'annulation de l'arrêt de la CNDA. On relève qu'en l'état du projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif", il est envisagé de supprimer la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 733-1 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Le requérant qui, séjournant en France métropolitaine, refuse d'être entendu par un moyen de communication audiovisuelle est convoqué, à sa demande, dans les locaux de la Cour". Si cette dernière phrase disparait, cela implique qu'en cas de refus, il n'y aura pas d'audience...

B - L'office du juge

  • Le juge de la cessation statue aussi en plein contentieux - CE 2° et 7° ch.-r., 28 décembre 2017, n° 404756, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7919W98) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E0472E9D).

Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat censure la CNDA pour n'avoir pas rempli son office et avoir ainsi entaché sa décision d'erreur de droit. La Cour avait annulé la décision du directeur de l'Ofpra qui avait fait jouer les clauses de cessation du statut énoncées à l'article 1C de la Convention de Genève. Là encore, les clauses de cessation donnent tout leur sens à la protection internationale, laquelle a vocation à être temporaire, à mettre à l'abri une personne qui craint la persécution, le temps strictement nécessaire. Si cette crainte n'a plus lieu d'être, la protection cesse. La Convention de Genève prévoit donc qu'il soit mis fin au statut si la personne : "1) s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité ; ou 2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement recouvrée ; ou 3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité ; ou 4) Si elle est retournée volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée; ou 5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. [...] 6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les circonstances la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugié ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle".

Dans cette affaire, l'Ofpra avait mis fin au statut de réfugié d'un ressortissant congolais au motif qu'il s'était volontairement réclamé de la protection de son pays d'origine en y retournant par deux fois. La CNDA avait estimé qu'il n'existait "aucune preuve formelle probante du retour effectif de l'intéressé en république démocratique du Congo" (CNDA, 30 août 2016, n° 15003496) et l'avait rétabli dans sa qualité de réfugié.

Le Conseil d'Etat vient rappeler que le juge de l'asile est juge de plein contentieux et qu'il statue à ce titre "au vu des circonstances de fait dont [il] a connaissance au moment où [il] se prononce". Cette jurisprudence constante (CE, 8 janvier 1982, n° 24948 N° Lexbase : A2020ALE, Rec., p. 9), appliquée aux recours relatifs aux clauses de cessation (CE 2° et 6° s-s-r., 15 février 1984, n° 42960 N° Lexbase : A2652ALS, Rec., p. 74), a été inscrite dans le marbre législatif avec la loi du 29 juillet 2015 (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-5). En l'espèce, en se bornant à écarter le moyen de cessation retenu par l'Ofpra, la CNDA n'a pas rempli son office de juge de la cessation. En tant que tel, il lui appartenait de passer en revue les autres clauses de cessation et de statuer -pleinement- sur la perte de qualité de réfugié, non pas sur le seul motif retenu par l'Ofpra.

On relève dans l'arrêt qu'il est fait mention des autres clauses de cessations introduites dans le droit interne lorsque le Conseil d'Etat énonce qu'il "appartient à la Cour de se prononcer sur le droit au maintien de la qualité de réfugié en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève d'une autre des clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la Convention de Genève ou de l'une des situations visées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 711- 4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L2529KDZ)" (cons. 3), mais que le Conseil d'Etat reproche ensuite uniquement à la CNDA de n'avoir pas examiné "si la qualité de réfugié [de l'intéressé] ne devait pas lui être retirée par application de l'une des autres clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'article 1er de la Convention de Genève" (cons. 4). Pour mémoire, et dans le glissement observé vers un caractère punitif de la cessation (ce qui n'est pas prévu par le texte international), le droit interne (issu du droit de l'UE) permet à l'Ofpra de mettre fin au statut lorsque le réfugié n'aurait pas dû être reconnu ou lorsque la reconnaissance résulte d'une fraude (pas de difficulté majeure sur ce point), mais également lorsque la situation du réfugié régulièrement reconnu entre dans le champ des clauses d'exclusions de l'article 1F de la Convention de Genève (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-4), ou encore, et il s'agit là d'une création française, s'il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ou si "La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-6 N° Lexbase : L2531KD4). On salue ici que l'office de la CNDA n'aille pas jusqu'à devoir rechercher si l'intéressé entre dans le champ d'application de ces deux dernières clauses, qui nous semblent inconventionnelles et vis-à-vis desquelles, au demeurant, la Cour a récemment montré une certaine distance (CNDA, grande formation, 26 septembre 2017, n° 16 029 802 N° Lexbase : A4427WUI (4)). Notons enfin qu'en l'état du projet de loi "pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif", la faculté pour l'Ofpra, de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié serait étendue aux cas de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcées dans un autre pays de l'UE.


(1) HCR, Note sur les clauses d'exclusion, EC/47/SC/CRP.29, 30 mai 1997.
(2) V., nos obs., La seule appartenance à une organisation "terroriste" ne justifie pas d'une exclusion automatique du statut de réfugié, La Revue des droits de l'Homme, Actualités Droits-Libertés, 2010.
(3) Sur les pouvoirs d'instruction de la CNDA et la protection du demandeur par la garantie du principe de confidentialité, voir nos obs., sous CE, 1er octobre 2014, n° 349560 (N° Lexbase : A4258MXY), Des pouvoirs et devoirs du juge de l'asile, Lexbase, éd. pub., 2014, n° 591, 2014 (N° Lexbase : N4616BUI). Et CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 373529, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2028PLP) (cf. l’Ouvrage Droit des étrangers N° Lexbase : E4301EYX), nos obs., Un an de droit d'asile devant le Conseil d'Etat, Lexbase, éd. pub., 2017, n° 688 (N° Lexbase : N6747BWS).
(4) Nos obs., Exclusion du statut de réfugié : lorsque la Convention de Genève suffit, Lexbase, éd. pub., 2017 (N° Lexbase : N1308BXQ).

newsid:462827

État d'urgence

[Brèves] Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance issues de la loi du 30 octobre 2017 : censure partielle du Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 (N° Lexbase : A4593XDH)

Lecture: 2 min

N2801BXZ

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par June Perot

Le 22 Février 2018

Dans une décision rendue le 16 février 2018, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (dites MICAS) issues de la loi du 30 octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. (N° Lexbase : L2052LHH).

Il a ainsi prononcé deux censures partielles des dispositions contestées.

La première porte sur l'insuffisance de célérité du recours au fond contre la décision de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Il refuse en effet le délai de deux mois et exige que le juge administratif statue sur la demande dans de brefs délais.

La seconde concerne l'insuffisante célérité du recours au fond contre la décision de mesures individuelles. Il juge à cet égard, qu'en permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

Pour le reste, sous la réserve d'interprétation relative à la durée maximale de la mesure, le Conseil constitutionnel juge qu'au regard de ce qui précède, le reste des dispositions contestées, qui ont à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure d'assignation à résidence et apporté les garanties nécessaires, assurent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Il juge, enfin, que la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2134LHI) ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l'état d'urgence, et n'a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une, puis à l'autre, de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession (Cons. const., décision n° 2017-691 QPC, du 16 février 2018 N° Lexbase : A4593XDH).

newsid:462801

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Exonération d'IS : cas d'une "rémunération forfaitaire" prévue dans une concession d'aménagement

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 14 février 2018, n° 405649, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3488XDK)

Lecture: 1 min

N2836BXC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 23 Février 2018

Les sommes inscrites dans des comptes de transferts de charges d'exploitation d'une société d'économie mixte, attributaire d'une concession d'aménagement, ont pour seul objet de permettre l'affectation à l'opération d'une fraction, évaluée le cas échéant, de manière forfaitaire, des frais de fonctionnement de la société et ne constituent pas, pour celle-ci un produit définitivement acquis. Elles ne sauraient, dès lors, être regardées comme constitutives d'un élément de bénéfice étranger aux opérations dont le résultat est exonéré d'impôt sur les sociétés.

Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 14 février 2018 (CE 8° et 3° ch.-r., 14 février 2018, n° 405649, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3488XDK).

En l'espèce, une société d'économie mixte (SEM) a été chargée par trois conventions de cessions ou locations portant sur des terrains. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause l'exonération d'impôt sur les sociétés dont la société s'était prévalue sur le fondement des dispositions du 6° bis du I de l'article 207 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2928LCG) et de l'article 46 bis de l'annexe III à ce Code (N° Lexbase : L7485HLS).

Le Conseil d'Etat juge ici que la "rémunération forfaitaire", stipulée dans le cahier des charges des concessions d'aménagement attribuées à la SEM ont pour seul objet de permettre l'affectation à l'opération d'une fraction, des frais de fonctionnement de la société conformément aux dispositions combinées des articles 38 (N° Lexbase : L8404LHQ) et 207 (N° Lexbase : L2928LCG) du Code général des impôts (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X7612ALI).

newsid:462836

Internet

[Brèves] Application de la jurisprudence "Google Spain" sur le droit au déréférencement : nécessité d'une mise en balance des intérêts en présence

Réf. : Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 17-10.499, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2043XDZ)

Lecture: 2 min

N2795BXS

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par Vincent Téchené

Le 22 Février 2018

La juridiction saisie d'une demande de déréférencement est tenue de porter une appréciation sur son bien-fondé et de procéder, de façon concrète, à la mise en balance des intérêts en présence, de sorte qu'elle ne peut ordonner une mesure d'injonction d'ordre général conférant un caractère automatique à la suppression de la liste de résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne, des liens vers des pages internet contenant des informations relatives à cette personne. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 février 2018 (Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 17-10.499, FS-P+B+I N° Lexbase : A2043XDZ).

En l'espèce, reprochant à Google d'exploiter, sans son consentement, des données à caractère personnel le concernant, par le biais de son moteur de recherche, une personne a saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), pour obtenir la cessation de ces agissements constitutifs, selon lui, d'un trouble manifestement illicite. La cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 15 septembre 2016, n° 15/13987 N° Lexbase : A9881RZY) a notamment enjoint à Google de supprimer les liens qui conduisent, lors de recherches opérées incluant les nom et prénom de l'intéressé, à toute adresse URL identifiée et signalée par ce dernier comme portant atteinte à sa vie privée, dans un délai de sept jours à compter de la réception de ce signalement.

La Cour de cassation rappelle, d'une part, les termes des articles 38 et 40 de la loi "Informatique et Liberté" (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS), qui transposent la Directive 95/46 du 24 octobre 1995 (N° Lexbase : L8240AUQ) et, d'autre part, la solution issue de l'arrêt "Google Spain" du 13 mai 2014 (CJUE, 13 mai 2014, C-131/12 N° Lexbase : A9704MKM ; lire N° Lexbase : N2455BUH). Elle précise, notamment, qu'il résulte de cette décision, que, lorsque le responsable du traitement ne donne pas suite aux demandes de déréférencement, la personne concernée peut saisir l'autorité judiciaire pour que celle-ci effectue les vérifications nécessaires et ordonne à ce responsable des mesures précises en conséquence et que, dans la mesure où la suppression de liens de la liste de résultats pourrait, en fonction de l'information en cause, avoir des répercussions sur l'intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à celle-ci, il y a lieu de rechercher, à l'occasion de cet examen ou de ces vérifications, un juste équilibre, notamment, entre cet intérêt et les droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel. La Cour en déduit la solution précitée et censure, en conséquence, l'arrêt d'appel. En effet, en prononçant une injonction d'ordre général et sans procéder, comme il le lui incombait, à la mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a violé les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 et 5 du Code civil (N° Lexbase : L2230AB9).

newsid:462795

Justice

[Le point sur...] Architecture et justice

Lecture: 36 min

N2630BXP

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par Eric Morain, Avocat au barreau de Paris, Avocat associé, Carbonnier Lamaze Rasle & Associés, avec la collaboration de Claire Daoudal

Le 22 Février 2018

Cette étude ne se veut pas scientifique, il s'agit plutôt de libres propos d'un avocat qui déambule depuis 23 ans dans ces Palais séculaires remplacés peu à peu par des Cités judicaires. Et ce que cela dit de notre société. Ce qui suit doit beaucoup au Professeur Jean-Marie Meyer qui m'a initié à la philosophie ; à Antoine Garapon dont le livre "L'âne portant les reliques" est un livre de chevet ; à Me Jean-Marc Varaut, qui m'a tout appris du métier d'avocat ; et bien sûr au Doyen Carbonnier qui nous imprègne tous.



"Le lien entre le lieu et le contenu des décisions de justice est établi de longue date. Aux portes de la ville ou hors de son enceinte, dans des bâtisses aussi imposantes qu'un temple, sous un arbre, au marché ou dans de froids locaux administratifs, secrets ou médiatisé, le prononcé judiciaire s'inscrit dans son contexte, lequel reflète une vision de la justice et les attentes sociales à son égard" (1).

Pour Antoine Garapon, secrétaire général de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ), les symboles portés par l'architecture judiciaire doivent rendre compte de la conception de la Justice, mais aussi de "ce que l'on fait dans ce palais, et de la manière dont on le fait" (2).

L'architecture offre à la Justice une visibilité : elle permet au justiciable de comprendre l'institution qui lui fait face, la manière dont elle fonctionne, et quelles sont ses valeurs si ce ne sont ses idéaux. Pour Robert Badinter, "il existe ainsi une lecture à pierre ouverte des palais de justice" (3). L'architecte de la Justice se voit confier "la mise en scène, la mise en forme et donc la mise en sens de notre démocratie" (4). Dès lors, l'architecture de la Justice nous renseigne sur la manière dont l'oeuvre de justice doit être perçue : "Justice must not only be done but must seen to be done" (5).

Le souci de la représentation architecturale de la Justice se devrait donc de concilier exigences contemporaines et conservation des symboles qui fondent son respect et son autorité afin de rendre compte d'une institution à la fois permanente et éminemment mouvante. Du Moyen Age au palais néo-classique, nos lieux de justice se sont inscrits dans une continuité tenant à la représentation d'une justice au-dessus des intérêts individuels, puissante et sacrée (I). Depuis la seconde moitié du XXème siècle, une forme de rupture s'est faite jour où le justiciable tend à être placé au centre de l'oeuvre de Justice (II).

Aujourd'hui, cette rupture se fait encore plus nette avec, comme l'évoque Antoine Garapon, le nouveau rôle de "théâtre de notre démocratie" (6) qu'endosse la Justice. Il n'est que de constater combien notre inflation législative contemporaine est (malheureusement) fondée sur les faits divers et l'actualité.

La responsabilité des bâtisseurs de Justice n'en est que plus grande. L'on observe dans cette tendance contemporaine un souci de dédramatisation de la justice face à ce que Renzo Piano appelle "l'architecture de la peur", caractérisée par l'archétype du palais de Justice à colonnes, fronton et emmarchements et personnifiée par le célèbre tableau de Prud'hon "La justice et la vengeance divine poursuivant le crime" (7).

I - La figuration de l'idée de Justice à travers son architecture

Depuis le Moyen Age, les lieux de justice ont été conçus non seulement pour exprimer l'idée de la puissance de l'institution (A), mais aussi, peut-être même surtout, pour matérialiser le rituel judiciaire (B).

A - Le reflet de la puissance judiciaire

Cette puissance judiciaire est manifestée par des bâtiments hors du commun, distincts des habitations, des lieux de travail mais aussi des lieux de pouvoir et de culte (1.). Ils représentent l'intérêt supérieur de l'oeuvre de Justice, en faisant appel aux domaines de la Nature, du sacré et de l'ordre social (2.).

1. Des bâtiments monumentaux

Dès le Moyen Age se développe une véritable architecture judiciaire autour de bâtiments aux formes massives, s'élevant sur deux étages, préfigurant d'ores et déjà l'expression de la puissance de la Justice, puisque se détachant du reste de la cité par leur dimension et leur hauteur.

A partir du règne de Louis XII (1498-1515), ces bâtiments sont agrandis et on leur ajoute une décoration fastueuse ; mais c'est l'évolution du droit, et notamment du droit pénal, à partir du XVIIème siècle, qui va accompagner un mouvement de transformation de l'architecture judiciaire.

Le lien intrinsèque qui naît à cette époque entre l'infraction et la sanction renforce les pouvoirs des magistrats. Les bâtiments dans lesquels ils rendent la Justice doivent refléter son caractère solennel et incontesté, et la puissance qui s'y attache. Les plans des bâtiments, leurs façades extérieures comme leur décoration intérieure sont travaillées de telle sorte qu'ils deviennent de véritables palais. Le Parlement de Rennes, construit de 1618 à 1655 sur les plans de Salomon de Brosse, architecte du Palais du Luxembourg, en témoigne. Il se distingue du reste de la cité par son décor extérieur et son plan symétrique, de la forme d'un quadrilatère. Le riche décor intérieur impose la supériorité et la puissance de sa fonction : plafonds à la Française, boiseries dorées et sculptées...

Toutefois, c'est dans l'inspiration antique qui va inonder la fin du XVIIIème siècle que la Justice va trouver le moyen d'exprimer toute sa puissance. Elle "trouve son expression dans ces édifices néo-classiques, leur multiplicité et leur identité substantielle feront naître dans le paysage urbain français un archétype architectural : le palais de Justice" (8). Plus de 50 % de nos tribunaux ont, en effet, été bâtis sur ce modèle, de la période postrévolutionnaire à la première moitié du XXème siècle, ce qui fera dire à Robert Badinter que "la justice ne peut se concevoir qu'abritée derrière un fronton soutenu par des colonnes et rendue dans des chambres réparties sur le modèle des basiliques autour d'une vaste salle des pas perdus" (9).

Nombreux sont les exemples de ces palais monumentaux aux murs larges et épais, aux hautes marches menant au perron encadré de colonnades et surmonté d'un imposant fronton, construits pour exprimer la force, le pouvoir et la puissance de l'institution judiciaire, et que Renzo Piano, l'architecte du nouveau Tribunal de Paris, décrit comme "intimidants, hermétiques et sombres" (10).

Ainsi la cour d'appel de Colmar, dont le chantier s'est achevé en 1906. L'entrée du bâtiment est enserrée par deux obélisques surmontés d'un globe, qui précèdent la vision du balcon sur lequel prennent pied les colonnes ioniques qui soutiennent l'imposant fronton triangulaire. Il faut alors franchir la porte centrale, elle aussi enserrée par deux colonnes monumentales décorées de sculptures de Némésis, déesse grecque de la vengeance divine et de l'équilibre qui personnifie l'oeuvre de Justice, ici représentée entourée de serpents, symboles de prudence, pour accéder au hall d'entrée. Un tapis rouge conduit aux escaliers d'honneur au-dessus desquels est exposée une tapisserie des Gobelins du XVIIème siècle reproduisant la fresque de Raphaël, "La rencontre entre Léon Ier et Attila". Le choix de cette fresque n'est pas anodin : au-delà de la reproduction d'une fresque décorant le palais apostolique, il s'agit de montrer la puissance d'une Justice juste, que personnifient ici Saint Léon aidé de Saint Pierre et Saint Paul, face à la barbarie d'Attila.

D'autres exemples, outre celui du palais de Justice de Paris sur l'Ile de la Cité, peuvent être cités pour illustrer le monumentalisme de l'architecture judiciaire néo-classique, comme la cour d'appel de Chambéry, construite dans les années 1850, qui conserve elle aussi un fronton triangulaire placé au-dessus de sept colonnes ioniques érigées sur une balustrade de pierre. Des escaliers monumentaux mènent, également, à la cour d'appel de Montpellier, datant elle aussi du XIXème siècle. D'immenses colonnes viennent soutenir un fronton décoré d'une fresque du sculpteur Ramus représentant "La Justice protégeant l'innocent et dévoilant le crime".

Cette idée de puissance, d'autorité de la Justice, anime encore, à moindre échelle certes, la construction de certains bâtiments de justice, comme celui qui abritera les nouveaux locaux de la Cour Pénale Internationale. Les architectes néerlandais concepteurs du projet ont en effet fait le choix d'un bâtiment particulièrement imposant pour asseoir "la crédibilité [souvent remise en cause] de la Cour" et montrer la puissance d'un tribunal à vocation universelle. Il s'agit d'un ensemble de cinq tours vitrées, dont la plus grande, la plus massive, est destinée à accueillir non seulement les salles d'audience mais aussi les bureaux du procureur qui a le pouvoir de lancer des enquêtes, manière d'avertir qu'aucune exaction, même commise à des milliers de kilomètres, ne saurait demeurer impunie.

2. La représentation de l'intérêt supérieur de la Justice

C'est d'abord par la représentation de la Nature que la Justice va donner sens à sa vocation supérieure, éloignée des contingences et des conflits du quotidien, mais aussi désintéressée.

Ainsi, pendant le Haut Moyen Age, la Justice est rendue autour d'un arbre ou d'une pierre, qui matérialisent le lien entre la terre et le ciel. La Justice n'est pas déconnectée des hommes, mais elle doit se placer au-dessus d'eux pour les mener vers un idéal supérieur. L'image de Saint Louis rendant la Justice sous un chêne est reprise par les colonnes des palais néo-classiques qui rappellent le tronc de l'arbre et jusque dans les boiseries qui ornent l'intérieur des salles de nos palais.

Cette intégration de la Nature à la Justice est maintenue dans les nouvelles constructions des bâtiments de justice, que ce soit via les terrasses boisées du nouveau tribunal de Paris, implantées à chaque niveau de décrochage de la structure, et qui tracent comme un chemin d'arbres vers le Ciel, dans le prolongement des espaces verts placés en bas de la construction, ou encore par le biais d'un "jardin botanique global" installé dans le parterre intérieur de la nouvelle Cour pénale internationale. Dans cette optique de justice pénale internationale, les architectes ont souhaité donner à la Nature une place prépondérante, et c'est sans doute la même volonté qui a guidé Renzo Piano, pour transmettre l'idée selon laquelle la Justice se place au-dessus des cultures ou des religions : elle relève d'un ordre naturel. En effet, que ce soit la justice rendue sous un palmier dans la Bible, le frêne des Islandais, l'arbre à palabres africain ou le panchâyat indien, toutes les civilisations ont associé la Justice à la Nature.

L'arbre exprime aussi, par le renouvellement de son feuillage à chaque saison, la vie nouvelle que permet la concorde établie grâce à la Justice. Son tronc, issu de multiples racines et qui mène à autant de branches, est le passage d'un monde civil vers le monde judiciaire, puis de ce dernier vers le monde civil, où la vie peut reprendre son cours.

C'est ensuite par des symboles religieux que la Justice va exprimer sa vocation à servir un intérêt supérieur, détaché des intérêts privés des hommes.

Entre le XIIème et le XVème siècle, le recours aux ordalies est progressivement abandonné. Il en résulte que les hommes prennent la responsabilité de juger, en dehors de toute intervention divine. Il faut donc rappeler au juge la lourdeur de sa tâche pour qu'il ne puisse oublier à aucun moment que ses décisions doivent être justes et équitables et ne jamais être corrompues : non seulement il doit tendre vers un idéal de justice divine, mais il sera lui-même jugé par le Tout-Puissant ("car on vous jugera du jugement dont vous jugez" (11)).

C'est la raison pour laquelle des chapelles sont installées à proximité des salles d'audience, comme à Besançon par exemple dès les années 1580. Des oeuvres religieuses sont affichées dans les lieux de justice, à l'image de la Crucifixion du Parlement de Paris ou du retable du Parlement de Toulouse. Des crucifix sont placés au-dessus des fauteuils des présidents, c'est-à-dire au centre des salles d'audience, de manière à ce que tous les regards convergent vers le Christ en croix, rappelant ainsi constamment l'idéal vers lequel doit tendre la justice des hommes. Le juge doit être intègre et humble. Il doit agir avec équité, de manière modérée (c'est le message du jugement de Salomon, exposé dans de nombreuses enceintes judiciaires) car au dernier jour, il sera lui aussi jugé comme les autres.

A titre d'illustration, la chambre dorée de la cour d'appel de Dijon, construite entre 1510 et 1512 à l'initiative de Louis XII, arbore un décor empreint de religiosité avec au plafond une frise représentant les lettres symbolisant le nom biblique de Dieu, Yahvé, et qui rappellent encore une fois que la justice de Dieu surplombe celle des hommes. Les vitraux qui ornent la salle représentent quant à eux la foi, l'espérance et la charité.

Le lieu de justice doit aussi représenter l'ordre que la Justice est censée ramener au sein de la cité : "il incarne l'ordre, il crée l'ordre, il est l'ordre" (12). L'on comprend dès lors mieux l'importance de la symétrie dans la disposition des bâtiments. Le chaos du monde extérieur est en effet réorganisé : le justiciable va appréhender la norme grâce aux formes du lieu de justice. A cet égard, l'exemple de l'ancien Parlement de Bourgogne, aujourd'hui cour d'appel de Dijon, est éloquent. Construit à partir du XVème siècle, l'édifice compte une magnifique salle des pas perdus (ou salle Saint Louis) à la symétrie parfaite dans l'ouverture et les décorations.

La salle d'audience est ainsi conçue selon un parallélisme des formes particulièrement éloquent, un chemin séparant deux rangées de bancs identiques que surplombe l'estrade sur laquelle siègent les magistrats et prend place le représentant du ministère public. Ce placement en hauteur n'est pas sans incidence : il indique au justiciable que la Justice lui est supérieure et qu'il se retrouve face à elle, soumis à la décision de ses "bouches".

Dans cette figuration de l'ordre qu'instaure ou réinstaure la Justice, les symboles étatiques, qu'il s'agisse de la monarchie, de l'Empire ou de la République, ne sont pas exclus, bien au contraire. Les représentations du roi "fontaine de justice", les bustes de Napoléon, les drapeaux, la devise républicaine ou la formule "Lex imperat" qui ornent nos palais en sont les principales émanations. Car il ne faut pas oublier que la Justice est rendue au nom de l'Etat, et qu'elle est "la bouche de la loi" pour reprendre Montesquieu, laquelle loi vient directement, selon le régime, soit du roi, soit du peuple.

B - La nécessaire ritualisation de la Justice

L'ensemble de ces éléments vont mettre en place une ritualisation de la Justice qui va séparer l'enceinte judiciaire du monde extérieur (1.) pour conduire progressivement le justiciable à un "temps judiciaire" (2.).

1. Un lieu au coeur de la cité séparé de la vie quotidienne

Isoler le lieu de justice ne signifie pas l'implanter en dehors de la ville, loin de ses justiciables. Bien au contraire, tout en étant au coeur de la cité, accessible à tous, il doit être une enceinte fortifiée, imperméable aux influences et conflits extérieurs.

La localisation des lieux de justice a ainsi été l'objet de débats nourris, comme par exemple lorsque s'est posée la question de l'endroit où siègerait la Cour pénale internationale lors de la signature du Statut de Rome en 1998. Le choix de La Haye est à cet égard symbolique et repose sur des considérations semblables à celles qui ont décidé de l'installation du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie dans la cité néerlandaise : le caractère universel de certains crimes particulièrement graves à l'encontre des populations, puisque c'est à La Haye qu'a eu lieu la première conférence pour le désarmement et la prévention de la guerre en 1899.

Toutefois, le choix de ce lieu n'a pas fait l'unanimité, puisque nombre de pays dénoncent encore le fait qu'il accentue le tropisme occidental sur la justice internationale ("justice de blancs contre l'Afrique" pour l'Union africaine) et que la distance géographique entre le lieu des agissements mis en cause et celui où ils sont jugés ne permet pas d'appréhender le contexte de ces derniers ou encore d'assurer la fonction réparatrice de la justice pénale dès lors que le jugement intervient à des milliers de kilomètres des victimes. Le Statut prévoit donc une possibilité de délocalisation de la Cour, mais force est de constater que celle-ci n'a, pour des raisons de logistique et de politique internationale, que rarement été mise en pratique malgré de nombreuses demandes en ce sens. A titre d'exemple, la délocalisation du procès de Thomas Lubanga en République Démocratique du Congo ou encore celle du procès de William Ruto et Joshua Sang au Kenya ont été finalement refusées (13).

L'idée de proximité de la Justice avec son territoire et les justiciables qui y sont attachés peut d'ailleurs se retrouver dans les matériaux qui ont servi à l'édification des bâtiments, à l'image du Parlement de Bretagne à Rennes, construit en granit, tuffeau et ardoise extraits de la terre bretonne.

Mais si le lieu de justice doit être isolé du reste de la cité, il doit l'être aussi des lieux de pouvoir, qu'ils soient exécutif ou religieux, ou des lieux de privation de liberté. Dès le Haut Moyen Age, l'on installe les plaids sur une colline, autour d'un arbre ou d'une pierre, à l'écart des lieux de vie de la communauté.

Au IXème siècle, la tenue des rites judiciaires dans les cimetières ou les églises est interdite. L'idée est alors d'associer à la Justice des rites qui ne puissent pas se confondre avec les rites religieux, mais également un rite et un espace particuliers, indépendants du pouvoir exécutif. C'est également l'époque à laquelle naît le souci d'efficacité dans le fonctionnement de la Justice, vaste programme dont le succès n'a jamais été démenti jusqu'à aujourd'hui...

Ce mouvement de séparation des différents pouvoirs s'étendra sur le long terme. Il faudra par exemple attendre le début du XXème siècle pour que le bâtiment accueillant l'Hôtel de Ville de Besançon et son palais de Justice soient séparés par le creusement d'une rue. Les deux institutions étaient réunies au même endroit depuis 1381, lorsque la municipalité de Besançon avait acheté trois maisons mitoyennes pour y installer ses services et la Justice.

A partir du XIIème siècle, on l'a rappelé, l'architecture s'affirme avec des bâtiments à deux étages. Ce double niveau est en réalité destiné à séparer un étage aveugle, au niveau inférieur, destiné à la détention et à la contrainte physique, de l'étage supérieur réservé au débat judiciaire et, lui, parfaitement éclairé. Il existe donc une première séparation, de niveau, entre l'univers carcéral et le lieu de justice lui-même. C'était le cas par exemple à Dijon où subsistent des traces des anciens cachots, ou encore à Rennes où, avant l'incendie de 1720, un escalier monumental permettait d'accéder à l'étage supérieur sans passer par le rez-de-chaussée réservé aux cellules. Mais dès 1760, la séparation se fait plus nette puisque les prisons sont aménagées dans des bâtiments distincts des tribunaux. Elles seront par la suite déménagées en périphérie, à l'extérieur de la cité.

2. Un rite de passage vers le "temps judiciaire"

A la suite de cette idée de séparation de la Justice du monde des hommes, l'idée de passage, de transition vers un "temps judiciaire" hors du temps est indispensable. "Le sens même de l'entreprise de justice depuis la nuit des temps est précisément de retrouver la maîtrise du temps, de refuser les diktats du passé en permettant, par la magie de la procédure et du rituel, 'une inversion morale du temps'" (14). "Il réalise dans l'imperfection du monde et la corruption de la vie, une perfection temporaire et limitée" (15). La catharsis qu'est le procès, en ce sens qu'elle est la purgation des passions, n'a de sens que dans un temps inviolé.

Dès le Moyen Age, une palissade en branchages est dressée autour de l'arbre ou de la pierre où se tient le plaid, en haut de la colline, pour symboliser le passage dans un autre espace-temps, où l'on revit un événement mais avec le recul et la sagesse nécessaires, inhérents à la Justice. Au fil du temps, cette palissade sera remplacée par des grilles, gardée par des lions comme à Paris, qui délimiteront l'enceinte judiciaire.

En réalité, la transition entre l'extérieur, la vie quotidienne, et le temps judiciaire se réalise en plusieurs phases, qui dessinent comme un chemin, comme l'on se purifie avant d'entrer dans un lieu sacré, dans l'esprit du justiciable avec, à l'arrivée, l'audience et le jugement. Tout d'abord, il doit franchir les hautes grilles qui séparent le lieu de justice du reste de la cité, avant de gravir les marches qui mènent à l'intérieur du bâtiment, comme une ascension spirituelle. Il passe ensuite les portes, à la portée symbolique particulière puisque, outre l'accès rectangulaire, elles sont presque toujours surmontées d'une partie circulaire, triangulaire ou semi-circulaire où sont représentées les Tables de la Loi ou bien encore un proverbe, et se retrouve dans la salle des pas perdus, qui est la dernière étape avant l'audience, le "point de rencontre apaisé des conflits et du monde extérieur" mais aussi le lieu de l'appréhension, par le justiciable, de cet espace judiciaire inconnu. Clients et avocats peuvent s'y entretenir une dernière fois sur les événements qui seront l'objet du débat judiciaire puis, également, attendre ensemble le verdict du tribunal. Il pénètre finalement dans la salle d'audience où l'estrade des juges surplombe la salle, laquelle est séparée en deux espaces (celui dédié au public et celui réservé aux professionnels et au justiciable lui-même) par une petite barrière qu'Antoine Garapon a nommé la "cancella" en référence à l'architecture religieuse, justement parce que cet espace ainsi délimité est l'espace le plus sacré, le coeur de la Justice. Et à l'intérieur même de cet espace déjà réduit, l'on retrouve une nouvelle séparation, créée par la barre, au milieu du prétoire. C'est elle qui va orienter l'espace judiciaire : le témoin y prête serment, le justiciable y est entendu et y entend le verdict.

La symbolique, qu'elle relève de la représentation de la Nature ou de l'ordonnancement de la structure même du bâtiment, permet de faire du lieu de Justice une "aire sacrée, et comme retranchée du monde ordinaire" (16). Le lieu de justice doit être perçu comme un abri, un refuge "où la parole l'a définitivement emporté sur la force", c'est-à-dire un endroit qui suspend le temps mais aussi qui protège des excès et des dérives du monde extérieur.

Or le centre de gravité de la Justice tend aujourd'hui à être déplacé vers les sujets eux-mêmes, ce que certains philosophes appellent "le mouvement de désincorporation de la démocratie" (17). L'évolution contemporaine tend vers une justice horizontale, et non plus verticale. Le palais de Justice reflète donc ce mouvement et tend à devenir non plus le lieu de la Justice, mais le lieu du justiciable, au risque de lui ôter tout ou partie de son sens. Il en résulte que "le lieu de justice passe insensiblement d'un monument qui manifeste la puissance de l'Etat à un espace qui se tait pour écouter la plainte de la victime" (18).

II - Vers une déjudiciarisation de l'espace judiciaire

Les grandes réformes de 1958 ont conduit à une nouvelle conception des lieux de justice qui peine à trouver ses symboles (A) et à préserver une "certaine idée de la Justice" (B).

A - Une nouvelle conception des lieux de justice qui peine à trouver ses symboles

A partir de la seconde moitié du XXème siècle, le concept du temple grec qui caractérisait l'architecture des palais de justice est abandonné au profit de locaux dont le côté fonctionnel est la première des priorités, puis de véritables cités judiciaires qui intègrent un contenu social tenant à la vie en communauté (1.). Transparence, humanité et accessibilité sont aujourd'hui au coeur de la politique architecturale judiciaire (2.).

1. Du local administratif à la cité judiciaire

Pendant toute la première moitié du XXème siècle, la construction de nouveaux bâtiments de justice est inexistante ou presque. A la suite de la refonte du système judiciaire initiée en 1958 et particulièrement axée sur l'efficacité de la Justice, une première évolution architecturale peut être relevée : les constructions érigées dans les années 1960 sont conçues pour être des bâtiments de travail, abritant des bureaux et des salles de travail. L'idée de solennité et de puissance de la Justice s'éloigne, les symboles tendent à disparaître. Le justiciable se retrouve face à des immeubles administratifs, semblables aux locaux des Finances Publiques ou de la Police. Le palais de Justice de Lille, achevé en 1969, en est l'exemple flagrant. L'édifice néo-classique est détruit et un nouveau bâtiment tout en béton, conçu sur les plans de Willerval et Spender et caractéristique des constructions des années 1950/1960, est édifié sur le même emplacement.

Cette vision du bâtiment de justice va, bien heureusement, rapidement disparaître au profit d'une véritable doctrine architecturale développée à partir de 1974 : celle de la fameuse cité judiciaire. Il s'agit alors d'ajouter à l'idée de Justice un contenu social, en prenant le contre-pied du monumentalisme néo-classique pour humaniser la Justice. Tout ce qui caractérisait l'architecture des palais depuis la fin du XVIIIème siècle est supprimé dans les nouveaux projets : colonnades, escaliers monumentaux, voire même salle des pas perdus. En fin de compte, l'idée sous-jacente de ce nouveau concept est que le justiciable ne doit plus ressentir le poids de la Justice lorsqu'il est amené à avoir affaire à elle.

L'on privilégie donc des locaux faciles d'accès, sobres, peu intimidants, construits de plain-pied. Citons à titre d'illustrations le tribunal de grande instance de Nancy ou celui de Bobigny, achevé en 1987. Mais l'exemple le plus éloquent reste sans doute celui du nouveau tribunal de grande instance de Lyon, conçu par l'architecte Yves Lion, et inauguré finalement, après de longues années de mise en sommeil du projet, en 1995. Conçu comme un bâtiment destiné à ne pas écraser les justiciables, et adapté aux évolutions de l'institution puisque imaginé autour de cloisons mobiles, il contraste avec le palais historique des 24 colonnes, où demeurent la cour d'appel et la cour d'assises, construction emblématique du néo-classicisme judiciaire construite par Baltard en 1850 sur l'emplacement du palais de Roanne et classée aux monuments historiques depuis 1996, peu après avoir abrité le procès de Paul Touvier. Les critiques relatives à cette nouvelle conception de l'architecture judiciaire lyonnaise ont été particulièrement sévères, comme le rapportait Libération à l'époque : non seulement le palais manquait de solennité, mais encore ressemblait-il à un "HLM" (19).

Dans les années 1990, sans pour autant abandonner le concept de cité judiciaire mais face aux critiques qui se font jour sur la banalisation de la Justice induite par les bâtiments conçus sur ce fondement, un mouvement se développe qui tente de redonner à la Justice une spécificité via "une monumentalité plus contemporaine". Selon les termes mêmes du ministère de la Justice, les nouveaux palais de justice sont "des édifices à l'identité forte" qui relèvent d'une "véritable doctrine de construction et de rénovation" (20). Pour ce faire, la créativité et la pensée d'architectes de renom vont donc être appelées pour exprimer une nouvelle idée de la Justice, censée mêler tout à la fois efficacité, proximité avec les justiciables et autorité de l'institution, au risque, parfois de se retrouver avec des bâtiments à la symbolique confuse, si ce n'est incohérente, qui reflètent surtout la personnalité de leur concepteur.

A titre d'illustration de ces bâtiments qui demeurent, outre les critiques que l'on pourrait formuler quant à leur signification symbolique au regard de l'idée de Justice, de véritables oeuvres architecturales, on peut citer le tribunal de grande instance de Grasse conçu par Christian de Portzamparc, ou celui de Bordeaux imaginé par Richard Rogers. Le nouveau palais de Justice de Nantes, bâti quant à lui sur les plans de Jean Nouvel dans un quartier neuf de la ville et excentré de celle-ci, a remplacé le palais historique transformé en hôtel 4 étoiles, en restaurant ("L'assise" situé dans l'ancienne salle de la Cour) et en bar. Une nouvelle contribution à la banalisation de la Justice ?

Ce renouveau de la pensée qui consiste à figurer à la fois la modernisation (beaucoup) et la permanence (un peu) se ressent également à travers les nombreux rénovations entreprises, que ce soit à Strasbourg, Marseille où l'édifice néo-classique a été conservé en y intégrant l'idée de sérénité (lumière naturelle, murs peints en blanc, boiseries taupe), ou bien encore Toulouse où l'architecte des monuments historiques Pascal Prunet a conservé l'idée des colonnades en installant des colonnes en béton et un cylindre contenant certaines salles d'audience. La Grand' Chambre est également demeuré au centre de l'édifice, qui convoque ainsi le moderne et l'histoire. Dans la même idée, si de grandes façades vitrées ont été installées de manière à représenter la transparence de l'institution, les briques rouges reflètent, elles, l'idée selon laquelle ce nouveau palais est ancré dans la cité et dans l'histoire.

2. Transparence, humanité et accessibilité au coeur de la nouvelle doctrine architecturale de la Justice

Le 12 juillet 2016, lors de l'inauguration de la nouvelle cité judiciaire de Bourg-en-Bresse, le Président Hollande déclarait : "Ce palais est également pleinement dans le XXIème siècle parce que le tribunal a été conçu autour des grands enjeux auxquels est confrontée l'institution judiciaire : la transparence -je ne parle pas simplement ici du lieu- transparence quant à la compréhension des décisions de justice, des procédures, ce qui fonde la confiance. L'accessibilité -je ne parle pas simplement de l'accessibilité du lieu, même si elle a été également permise- je parle de l'accessibilité au droit. Enfin le troisième principe, la sécurité juridique, qui est un fondement de l'Etat de droit". L'idée que nous venons d'exposer a guidé tous les projets récents de Limoges à Béziers, et trouve son paroxysme dans la conception et la construction du nouveau tribunal de Paris, confiées à l'architecte Renzo Piano.

Ce nouveau palais, plus grand complexe judiciaire d'Europe et deuxième immeuble parisien en terme de hauteur après la tour Montparnasse, est issu d'un partenariat public-privé signé par le ministère de la Justice avec la société Arelia, présidée par le groupe Bouygues. Malgré une réduction de 360 millions sur le montant initial, ce bâtiment, dont le coût total est évalué à 2,4 milliards d'euros, est un gouffre financier. La Cour des comptes a pointé, dans son "Rapport sur la politique immobilière du ministère de la Justice" de décembre 2017, les dangers de tels contrats (le tribunal de Caen étant également concerné). En effet, le ministère n'est pas propriétaire de cet immense palais puisqu'il devra verser un loyer moyen annuel de 90 millions d'euros, qui augmentera chaque année de 1 à 1,4 %. C'est ainsi que les loyers des tribunaux de Paris et de Caen représenteront près de 30 % des dépenses immobilières du ministère. La Cour préconise donc, à juste titre, d'opter pour le recours aux marchés de conception-réalisation classiques à l'avenir, dans le cadre d'une loi de programmation pluriannuelle. Avec de tels moyens matériels, Renzo Piano a pu laisser aller libre cours à sa créativité, récompensée par le prix de l'Equerre d'argent le 27 novembre 2017.

Situé entre le boulevard périphérique et le boulevard Berthier, porte de Clichy, le bâtiment, haut de 160 mètres, est conçu autour d'un socle en forme de "L" sur lequel se pose une tour de 38 étages composée de 3 socles dont la surface diminue en allant vers le haut. Au niveau des décrochages sont installés des jardins suspendus, qui créent, pour l'architecte, comme un chemin végétal qui monte vers le ciel, dans la continuité du parc Martin Luther King et du parvis. Les façades du bâtiment sont intégralement vitrées, de sorte que le passant est à même de voir ce qu'il se passe à l'intérieur -toujours cette idée de transparence-, et laissent la lumière naturelle pénétrer le bâtiment, et notamment les salles d'audience.

Quant à l'intérieur justement, les 90 salles d'audience, sobrement habillées de bois, sont situées au niveau du socle, qui abrite également une gigantesque salle des pas perdus. Celle-ci s'ouvre sur un immense parvis de 6 000 mètres carrés. Les étages situés dans la tour, dont l'accès sera limité, sont réservés aux bureaux du personnel judiciaire et les nouvelles salles conçues pour accueillir la "justice de cabinet", c'est-à-dire les procédures d'instruction, devant le Juge aux affaires familiales, devant le JLD... Ainsi, l'idée selon laquelle le justiciable, lorsqu'il pénétrait dans le bureau du juge, était déjà soumis à sa puissance, puisque le magistrat s'était approprié l'espace (21), est balayée par la création de salles neutres, organisées autour de tables rondes et non plus scindées par un bureau, qui deviennent un espace public, dénué de hiérarchie.

Le bâtiment, dont la mise en service est prévue pour le 16 avril 2018, regroupera tous les services du tribunal de grande instance, ainsi que ceux de la Police judiciaire, dans une optique de fonctionnalité, mais aussi d'égalité puisque toutes les matières, que ce soit la délinquance économique, le terrorisme, les affaires familiales, le droit de la consommation... seront réunies au sein d'un même espace commun. Toutefois, la cour d'appel, la cour d'assises, le tribunal de commerce et la Cour de cassation demeurent sur l'Ile de la Cité quand le Conseil de Prud'hommes conserve quant à lui ses locaux de la rue Louis Blanc. De nombreux espaces judiciaires continueront donc à exister, avec toutes les contraintes que cela implique et qui seront évoquées par la suite.

Les impératifs contemporains liés à l'écologie et au développement durable ont été également fortement pris en compte, via la performance de l'enveloppe du bâtiment, la récupération des eaux de pluie sur les terrasses, les arbres qui y sont plantés, la ventilation naturelle, l'utilisation de l'énergie photovoltaïque... qui permettent à cet IGH (Immeuble de Grande Hauteur) d'être le premier à respecter les exigences le Plan Climat de Paris.

Comme Antoine Garapon l'expose dans son "Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur tribunal de Paris", Renzo Piano a "substitué une dialectique de la fragilité et de la fiabilité" à l'ancienne dialectique de la puissance de la déchéance (22). Pour l'architecte, ce bâtiment est "l'antithèse" du "méchant" palais du passé. On se demande comme une belle Justice a pu être rendue pendant des siècles. Le palais doit désormais être un lieu de "civitas", "c'est-à-dire un lieu où les personnes assument leur vie, leurs décisions et les responsabilités qu'implique la vie en communauté", avec "une référence à la tradition d'humanisme civique, ce que l'on appelle le vivre ensemble". La "justice ne doit plus être écrasante, elle doit être présente aux côtés des citoyens et citoyennes". Le citoyen doit "appréhender la justice avec une certaine sérénité", d'où un bâtiment "clair, léger, transparent, lumineux, ouvert sur la ville". Il doit être "lisible", et non pas "oppressant" et lui permettre de retrouver confiance en l'institution. Pour lui, c'est là que réside sa valeur symbolique. Renzo Piano ne conçoit pas le palais de Justice comme "un grand bâtiment de bureaux", mais au contraire comme une ville à part entière où se passent une multitude de choses différentes, et qui doit en conséquence accueillir des espaces de rencontre, des jardins, pour être "agréable à vivre" et "exprimer autre chose" que le poids de l'institution (23), sans que cette "autre chose" ne soit forcément très claire...

Ce bâtiment fait bien évidemment l'objet de nombreuses critiques, notamment liées à sa localisation, à la périphérie de la capitale. Pour Renzo Piano, la situation du nouveau tribunal de Paris correspond à l'objectif d'accessibilité de la Justice, puisqu'il est situé "au coeur de la ville", c'est-à-dire, en réalité, au coeur du projet du Grand Paris, même si l'on ne parvient toujours pas à en définir les contours et que le projet de Grand Métro semble être tombé à l'eau récemment. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a conçu un bâtiment tout en verticalité : afin qu'il occupe moins d'espace au sol et puisse allier à la fois efficacité et accessibilité. Il s'agit aussi d'ouvrir la ville vers l'extérieur, les zones périphériques, et plus largement, à l'ère de la mondialisation, le monde. Mais cette idée d'ouverture se heurte à la question de la distance entre tribunal et justiciable, qui est un enjeu majeur renvoyant à des politiques plus générales d'accès au droit, de mise en oeuvre de la Justice et même de légitimité. Et, d'un aspect pratique, aucun parking n'a été prévu alors que le prolongement de la ligne 14 du métro n'est pas prêt d'être achevé (24)...

Le mutisme de la symbolique de la Justice concentre également les critiques. Pour Antoine Garapon, à la suite de Michel Foucault, le pouvoir de l'institution n'est plus centralisé, localisé : il est partout et nulle part mais "ne se niche plus dans un symbole précis" (25). La sobriété, la transparence des lieux feraient alors du justiciable, encore une fois placé au centre du bâtiment, un symbole mobile et vivant, rappelant à la Justice son humanité et son devoir d'écoute. C'est également dans ce sens qu'il a été choisi de ne pas adjoindre le glaive à la balance, qui sera le seul symbole de la Justice affiché dans les salles d'audience, et encore, une balance stylisée par Renzo Piano pour une impression "de légèreté, voire de suspension" (26).

Cette focalisation sur le justiciable peut néanmoins nous interroger quant aux conséquences sur l'autorité des décisions de justice, l'ordre de la loi dans la société et le rôle fondamental du juge. Le respect dû à l'institution risque de s'en trouver particulièrement mis à mal. En témoigne la violence envers certains magistrats, comme à Bruxelles en 2010, conséquence, selon certains, de la banalisation de la Justice au sein de notre société (27).

L'épuration des symboles rend plus difficile l'appréhension du rite judiciaire, autrefois marqué à chaque étape du cheminement dans le bâtiment. Le palais de justice tend à perdre la place d'îlot hors du temps qu'il tenait au sein de la cité pour devenir un lieu de vie de la communauté, avec ce risque non négligeable de perdre tout le recul nécessaire à l'oeuvre de Justice, et de continuer, sans suspendre, les événements du quotidien. Certains soutiennent que la transition entre le monde civil et le monde judiciaire serait marqué par l'espace du parvis, "lieu de rencontre, de rendez-vous et d'attente". Difficile pourtant d'appréhender en quoi il pourrait remplacer les premières étapes dans son passage vers la Justice (les grilles, les marches, les portes...) alors précisément que ce lieu revêtirait la même fonction que la salle des pas perdus...

Le concept même de ce nouveau palais, centré autour de l'horizontalité, du vivre-ensemble, du soutien au justiciable, ne risque-t-il pas de brouiller l'image de la Justice dans son rôle de gardienne d'un intérêt supérieur, au-dessus des intérêts privés ?

B - De la difficulté de conserver "une certaine idée de la Justice"

La tendance effrénée à la modernisation de l'architecture judiciaire prend le risque non seulement d'oublier les fondamentaux de l'institution (2.), mais aussi de mettre de côté ses auxiliaires (1.).

1 - Les avocats, auxiliaires de justice...mais pas trop

Pas exactement justiciable, bien qu'il les représente et les assiste, pas tout à fait du même monde du fait de son indépendance, l'avocat dans ces nouvelles cités judicaires nage entre deux eaux, entre deux portes badgées, entre deux interphones. S'il faut rendre hommage au combat des bâtonniers de Paris et de leurs délégués qui ont su négocier avec les différents services, et notamment avec les services de la présidence du tribunal, pour tenter d'accroître les accès des auxiliaires de justice à tous les services du futur tribunal, force est de constater qu'il a fallu justement négocier. Et donc que ça n'allait pas de soi dans le projet initial.

Ce que dit une société de ses avocats dit ce qu'est la société. Les avocats sont accusés de traquer les nullités, d'user de moyens dilatoires comme des demandes de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), bref de déranger le pas (lent) de la justice. C'est au prisme de ce constat qu'il faut comprendre les "luttes" de pouvoirs qui ont présidé aux négociations sur les accès des avocats et leur circulation.

Ces derniers chargeront la puce de leur nouvelle carte professionnelle et ils pourront avoir alors accès, d'après les dernières informations délivrées lors de la Réunion du Barreau Pénal du 11 janvier 2018, à l'ensemble du bâtiment, le socle comme la tour. Mais comme à Créteil, à Pontoise ou ailleurs, à l'arrivée de l'ascenseur sur le palier il y a aura de nouvelles portes avec des interphones où il faudra sonner et attendre qu'on leur ouvre. Une circulation plus verticale donc que latérale. Et une incitation à la prise de rendez-vous préalable qui devrait normalement réguler et rationnaliser le travail de chacun : avocats, greffiers et magistrats. D'ici à ce qu'un "Justicelib" voit le jour à l'instar de "Doctolib"...

2 - Des éléments architecturaux exclusifs des fondamentaux de la Justice

Si la doctrine actuelle est toute entière tournée vers les exigences de transparence, d'accessibilité, d'humanité, force est de constater que l'égalité, bien que vantée, n'en est que trop oubliée. Preuve en est de l'installation de bâtiments préfabriqués, annexe du tribunal de grande instance de Bobigny, située au pied des pistes de l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, pour accueillir les audiences du JLD en matière de maintien des étrangers en situation irrégulière sur le territoire. Quand le Bâtonnier de Seine-Saint Denis dénonce "un Ellis Island à la Française" (28), le Défenseur des Droits Jacques Toubon pointe avec justesse, dans sa décision du 6 octobre dernier, un dispositif qui ne permet pas de garantir le droit à une juridiction impartiale et indépendante, la publicité des débats et les droits de la défense.

La transparence des nouveaux lieux de justice est, également, sans cesse rappelée convoquée au soutien d'un certain idéal de justice. Mais si la façade du nouveau tribunal de Paris permet au passant de voir le personnel judiciaire, les avocats voire les mis en cause, déambuler dans les couloirs, se posent dès lors des questions de secret de l'instruction, plus généralement de secret de l'enquête, de secret professionnel pour les avocats, de présomption d'innocence pour les mis en cause, en dépit du fait que l'on nous assure que les silhouettes ne seront pas identifiables. A l'heure des nouvelles technologies, comment ne pas penser qu'un zoom suffisamment puissant, qu'un drone ou que des rayons ne permettront pas de le faire ? Transparence jusqu'où ?

Le principe de la présomption d'innocence est également au coeur de la problématique des cages en verre pour juger les prévenus ou les accusés, dont l'installation se généralise dans nos tribunaux, malgré la récente condamnation, par la Cour européenne des droits de l'Homme, de l'usage de ces box vitrés (CEDH, 28 novembre 2017, n° 19327/13) sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (atteinte à la dignité) (N° Lexbase : L4764AQI). A Colmar ou à Alençon, ce sont même des barreaux qui ont été fixés au box. La Chancellerie invoque un "besoin prioritaire de sécurisation des palais de justice", convoquant pour sa défense le risque d'évasion, risque pour le moins mineur depuis la mort de Mesrine.

Le problème de ces cages en verre (revoilà l'idée de transparence !) est à la fois d'ordre pratique et de principe. Pour le côté pratique, l'on mentionnera la sonorisation des salles, ces box ne permettant pas au prévenu ou à l'accusé d'être entendu et compris des magistrats, du public ou même de leurs interprètes et avocats. Pour la question de principe, nous rappellerons que l'article 318 du Code de procédure pénale dispose que "l'accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader" mais qu'aucun texte n'autorise les box vitrés. Cette disposition, qui date de la période révolutionnaire, est au fondement même de ce principe directeur qu'est la présomption d'innocence.

Comme le rappelait Henri Leclerc lors de l'audience du 15 janvier dernier devant la première chambre civile, "à l'audience, le statut du prévenu change : il n'est plus un sujet emprisonné mais un homme égal à ceux qui le jugent" (et c'est là tout le sens du "temps judiciaire"). Il est égal en dignité à ses juges". L'on ne peut pas juger un être enfermé dans une bulle à son propre procès : non seulement on porte atteinte à sa dignité en l'obligeant à comparaître derrière une paroi, fût-elle vitrée, mais en le forçant à se courber pour que ses paroles soient audibles, il ne se présente plus debout mais déjà accablé du poids de sa culpabilité. Et cela nous renvoie encore et toujours au mépris de la présomption d'innocence et de l'effectivité des droits de la défense. Comment en effet, juger en toute objectivité un homme qui comparaît séparé du reste de ses pairs, déjà emprisonné par les lieux ? Non seulement, sa culpabilité risque d'être entendue d'avance, mais encore il ne pourra se défendre correctement, montrer son humanité, cette humanité qu'il partage avec ses juges. Le Bâtonnier Danet disait que les corps en disent souvent plus que les mots pendant les procès (29). Une Présidente d'assises ajoutait qu'"une audience d'assises, c'est, à travers un dossier, juger un visage" (30).

A l'instar des cages de verre, et malgré le principe de publicité des débats et cette idée prégnante de transparence, le public tend de plus en plus à être tenu à l'écart de l'audience. La barrière en bois qui délimitait la cancella du débat judiciaire est remplacé par des murs en verre, comme en témoigne les nouvelles salles d'audience conçues pour la CPI. De même, dans le nouveau tribunal de Paris, aucun banc n'avait été prévu pour la presse judiciaire et des brouilleurs de téléphone étaient prévus dans le cahier des charges initial.

A l'heure où de l'égalité des armes et d'une justice tournée vers le justiciable, il est embarrassant que la question de "l'erreur du menuisier", qui place le ministère public en hauteur par rapport aux parties, au même niveau que les magistrats du siège, n'ait pas été revue. Si les juges doivent garantir le caractère équitable du procès et demeurent souverains dans leur décision, ce qui justifie leur position en hauteur (ne serait-ce que pour des raisons pratiques tenant à entendre et voir toutes les parties et à pouvoir exercer la police de l'audience), tel n'est pas le cas du procureur, puisqu'il n'est pas une autorité indépendante au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (31). Si "l'erreur du menuisier" ne sera manifestement pas réparée dans notre nouveau Tribunal de Paris, l'on ne peut que saluer l'aménagement de la nouvelle cour d'assises de Fort-de-France qui, grâce l'acharnement du barreau de Martinique, offre désormais au ministère public une place au même niveau que les parties, gage de l'impartialité objective et effective de la Cour.

S'il ne sera pas contesté que les palais d'aujourd'hui doivent répondre à des impératifs de sécurité face à des menaces diverses et de plus en plus nombreuses, il ne faut pas oublier que la Justice doit, également, conserver son ouverture et ne pas se "bunkeriser" même derrière des murs qui ne seraient qu'en verre. Si toute la dialectique utilisée tant par les politiques que par les architectes ou les intellectuels consiste à mettre en exergue la transparence, l'accessibilité et l'humanité de la Justice, celle-ci ne doit pas être court-circuitée par un repli sécuritaire contraire à sa vertu première. Si, pour Antoine Garapon, "on passe la sécurité mais c'est pour être libre à l'intérieur " (32), si l'installation de portiques de sécurité toujours plus nombreux et sophistiqués est censée relever de la symbolique du rite de passage, il n'en résulte pas moins que la première interaction du justiciable avec le lieu qui va, bien souvent, marquer un tournant dans son existence, relève plus d'un contrôle suspicieux que d'une symbolique d'élévation. Et si le visiteur/justiciable lèvera la tête une fois entré dans le bâtiment, il ne sera pas dépaysé loin s'en faut par un environnement qui lui rappellera au mieux le grand centre commercial où il va faire ses courses en famille le week-end (fouilles des sacs comprises), au pire un hall de gare ou de RER qu'il traverse chaque jour pour aller travailler (escalators compris).

Comme l'évoquent certains au sujet de l'Ecole (33), il ne faudrait pas que la Justice perde le sens de sa mission en mettant en exergue, par le biais de sa représentation architecturale, l'idéal vanté du "vivre ensemble" ainsi que les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt supérieur qu'elle se doit de servir.

Si l'Ecole a perdu de son autorité, c'est qu'elle n'a eu de cesse de privilégier le fait de se mettre à tout prix -et y compris le prix de la perte de l'autorité- au niveau des élèves. Personne ne niera pourtant qu'il y a une crise de l'Ecole.

Si le Politique a perdu de sa noblesse, c'est aussi parce qu'il a mis une priorité dans ce nivellement qui se ressent tellement dans la qualité des discours politiques. Personne ne niera pourtant qu'il existe une crise du Politique.

Alors bien sûr qu'"il n'est de richesse que d'hommes" selon le mot de Jean Bodin, et que tout ceci n'est que de la "pierre". Bien sûr que l'autorité s'acquiert et s'impose d'abord par la qualité et l'investissement des hommes et des femmes qui concourent à l'oeuvre de Justice, mais constatons toutefois que la Justice connaît elle aussi un même mouvement de perte de sens et d'autorité et qui s'accélère. Dès le XIXème siècle, le constat suivant était pourtant posé : "de tout temps, on a compris que l'autorité de la justice ne peut que gagner à ce que la solennité de ses arrêts soit confirmée, rehaussée même par la solennité grave et imposante d'un édifice commandant le respect. Tout ce qui réclame le prestige et l'autorité a besoin d'un certain apparat et la place même du juge dans la cité exige prestige et apparat" (34)...

A méditer, à l'heure du renforcement souhaité de l'autorité des décisions de justice...et à continuer de méditer même une fois que nous aurons déménagé.


(1) D. Bernard, Lieu du procès, lieu du crime : les espaces de la justice internationale pénale, Droit et société, 2014.
(2) Entretien avec A. Garapon, Le futur palais de justice de Paris-Batignolles, quelle symbolique judiciaire pour le 21ème siècle ?, reproduction d'un article paru sur l'Intranet de la DSJ, 8 octobre 2015.
(3) R. Badinter, La Justice et ses temples, regards sur l'architecture judiciaire en France, Ed. Errance, 1992, Préface.
(4) C. Lefort, Essai sur le politique, XIXème-XXème siècle, Le Seuil, 1986, p. 256.
(5) Lord Hewart, R. c. Sussex Justice, 1923.
(6) A. Garapon, Imaginer le Palais de Justice du XXIème siècle, Notes de l'IHEJ, IHEJ, n° 5, juin 2013.
(7) Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur Tribunal de Paris, IHEJ, juin 2016.
(8) La Justice et ses temples, regards sur l'architecture judiciaire en France, op. cit..
(9) R. Badinter, La Justice et ses temples, regards sur l'architecture judiciaire en France, op. cit..
(10) Le Palais vu par son architecte. Le bâtiment, ses secrets, ses intentions, décryptés par son architecte, interview de Renzo Piano, Site internet du futur palais de Justice de Paris.
(11) Matthieu, 7:2.
(12) A. Garapon, L'âne portant des reliques, essai sur le rituel judiciaire, Le Centurion, 1985, p. 45.
(13) CPI, Th. Lubanga Dyilo, ICC-01/04-01/06, 24 avril 2008 / CPI, W. S. Ruto et J. A. Sang, 01/09-01/11-763, 3 juin 2013.
(14) J. Améry, Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour surmonter l'insurmontable, Arles, Actes Sud, 1995.
(15) J. Huizinga, Homo Ludens, p. 30.
(16) M. Eliade, Le Sacré et le Profane, Gallimard, 1975, p. 35.
(17) A. Garapon, Imaginer le Palais de Justice du XXIème siècle, op. cit..
(18) Ibidem.
(19) M. Debard, Le nouveau palais de justice de Lyon, Libération, 17 mars 1995.
(20) Les nouveaux palais de justice. Une écriture architecturale dans la ville, Site internet du futur palais de Justice de Paris, 31 mars 2009.
(21) A. Garapon, Imaginer le Palais de Justice du XXIème siècle, Notes de l'IHEJ, IHEJ, n° 5, juin 2013.
(22) Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur tribunal de Paris, IHEJ, juin 2016.
(23) Le Palais vu par son architecte. Le bâtiment, ses secrets, ses intentions, décryptés par son architecte", interview de Renzo Piano, op. cit..
(24) O. Dufour, La belle allure du nouveau palais de justice, Gaz. Pal., n° 32, p. 9, 26 septembre 2017.
(25) A. Garapon, Imaginer le Palais de Justice du XXIème siècle, Notes de l'IHEJ, op. cit..
(26) Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur Tribunal de Paris, op. cit..
(27) Lille fête les quarante ans de son palais de justice : retour sur la symbolique architecturale, Lexbase, éd. Professions, 2010, n° 36 (N° Lexbase : N4306BP8).
(28) Annexe du Tribunal de Bobigny à Roissy : "Cela ressemble à un Ellis Island à la française", Site Internet de France Tv Info, 26 octobre 2017.
(29) J. Danet, Justice pénale, le tournant, Gallimard, 2006.
(30) Plaidoirie de Me Henri Leclerc devant la première chambre civile du TGI de Paris, le 15 janvier 2018.
(31) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A2353EUP).
(32) Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur tribunal de Paris, op. cit..
(33) B. Lefebvre, Génération "j'ai le droit", Albin Michel, 2018.
(34) J. Guadet, Eléments et théorie de l'architecture, t. II, Paris, 1899, p. 435-437.


Bibliographie indicative

Ouvrages

La Justice et ses temples, regards sur l'architecture judiciaire en France, Ed. Errance, 1992.

- A. Garapon, L'âne portant des reliques, essai sur le rituel judiciaire, Le Centurion, 1985.

Rapports

- Cour des comptes, Rapport sur la politique immobilière du ministère de la justice, décembre 2017.

Rapport du groupe de réflexion sur la symbolique du futur tribunal de Paris, IHEJ, juin 2016.

- A. Garapon, Imaginer le palais de Justice du XXIè siècle, Notes de l'IHEJ, IHEJ, n° 5, juin 2013.

Articles

Les box vitrés des tribunaux en procès à Paris, Le Monde, 15 janvier 2018.

- T. Coustet, Palais de justice : l'usage des box vitrés devant la CEDH, Dalloz Actualité, 6 décembre 2017.

- J.-J. Larrochelle, Le tribunal de Paris récompensé par l'Equerre d'argent, Le Monde, 28 novembre 2017.

- C. Dellangnol, Transition énergétique : la justice prend sa part, Gaz. Pal., n° 40, p. 9, 21 novembre 2017.

A Roissy, premières audiences au pied des pistes pour des sans-papiers, Le Monde, 27 octobre 2017.

Annexe du tribunal de Bobigny : "Cela ressemble à un Ellis Island à la française", France Tv Info, , 26 octobre 2017.

- L. Garnerie, Annexe du TGI de Bobigny à Roissy : le Défenseur des Droits demande le report de l'ouverture, Gaz. Pal. actualités, 11 octobre 2017.

- O. Dufour, La belle allure du nouveau palais de justice, Gaz. Pal., n° 32, p. 9, 26 septembre 2017.

- O. Dufour, Le palais de justice des Batignolles en quête de symboles, Gaz. Pal,. n° 28, p. 5, 26 septembre 2017.

- C. Kleitz, Un monde merveilleux, Gaz. Pal,. n° 21, p. 3, 6 juin 2017.

- L. Garnerie, A Limoges, la justice "passe de l'ombre à la lumière", Gaz. Pal., n° 8, p. 5, 21 février 2017.

- L. Perrin, Renzo Piano dresse la justice vers les cieux, Site internet de Cyberarchi, 18 janvier 2017.

- D. Iweins, Palais de justice du XXIè siècle : entrez dans la lumière et oubliez le réseau, Gaz. Pal., n° 36, p. 7, 20 septembre 2016.

Chronique "les symboles du droit" : l'architecture des palais de Justice, Journal spécial des sociétés, 3 décembre 2015.

- S. Hoh, Le palais de Justice de Strasbourg, une nouvelle page va se tourner, Site internet de Cyberarchi, 18 juin 2015.

- S. Hoh, A Marseille, une stature imposante pour le Palais de Justice Monthyon, Site internet de Cyberarchi, 11 juin 2015.

- F. Saint-Pierre, Dans les tribunaux, "l'erreur du menuisier" n'en est pas une, Dalloz Actualité, 26 mars 2015.

- D. Bernard, Lieu du procès, lieu du crime : les espaces de la justice internationale pénale, Droit et sociétés, 2014.

Futur TGI de Paris : les avocats contre "l'erreur du menuisier" et les autres..., Gaz. Pal., n° 341, 7 décembre 2013.

Histoire et architecture du palais de justice de Besançon, Site internet du ministère de la Justice, 25 septembre 2013.

Histoire et architecture de la cour d'appel de Rennes, Site internet du ministère de la Justice, 25 septembre 2013.

Histoire et architecture de la cour d'appel de Montpellier, Site internet du ministère de la Justice, 25 septembre 2013.

Histoire et architecture du palais de justice de Toulouse, Site internet du ministère de la Justice, 27 août 2013.

Histoire et architecture de la cour d'appel de Dijon, Site internet du ministère de la Justice, 18 août 2013.

Histoire et architecture de la cour d'appel de Colmar, Site internet du ministère de la Justice, 13 août 2013.

Histoire et architecture de la cour d'appel de Chambéry, Site internet du ministère de la Justice, 13 août 2013.

- C. Vatier, A propos du transfert du TGI de Paris, Gaz. Pal., n° 311, p.12, 6 décembre 2012.

Quel sens donner à l'architecture des Palais de justice ?, Site internet du ministère de la Justice, 3 septembre 2012.

- C. Bommelaer, La justice en ses palais, Le Figaro, 20 février 2012.

Renzo Piano, poète civil, Le Monde, 17 février 2012.

- A. Clavier, Un crime se prépare, Gaz.Pal. n° 288, p. 4, 14 octobre 2010.

Lille fête les quarante ans de son palais de justice : retour sur la symbolique architecturale, Lexbase Hebdo éd. Professions, n° 36, 24 juin 2010 (N° Lexbase : N4306BP8).

Les nouveaux palais de justice, une écriture architecturale dans la ville, Site internet du ministère de la Justice, 31 mars 2009.

- X. Normand-Bodard, Nos marches pour le palais, Gaz. Pal., n° 322, p. 2, 18 novembre 2006.

- P.-J. Delage, Christian-Nils Robert, La Justice dans ses décors (XVe-XVIe siècles), Droz, Genève, 2006, 112 pages, RSC, 2006, p. 927.

- M. Debard, Le nouveau palais de justice de Lyon, Libération, 17 mars 1995.

Autres

Génération "J'ai le droit" : "Dès la 6ème, les élèves se lèvent en plein cours, tutoient ", interview de Barbara Lefèbvre, Le Parisien, 23 janvier 2018.

Nouveau tribunal de Paris : que de changements pour la justice du XXIè siècle, interview de Jean-Michel Hayat, Petites Affiches, n° 252, p. 3, 19 décembre 2017.

Le déménagement va engendrer des problèmes pratiques, interview d'Alexandra Perquin, Petites Affiches, n° 216, p. 4, 30 octobre 2017.

Les avocats sont chez eux dans les palais de justice, interview d'Yves Mahiu,, Gaz. Pal., n° 18, p. 9, 9 mai 2017.

- Décision du Défenseur des Droits, MSP n° 2017-211, 6 octobre 2017

Transformation des lieux de justice : "Nous finissons par accepter l'inacceptable", interview de Gérard Tcholakian, Dalloz Actualité, 26 septembre 2017.

Le futur palais de justice de Paris : le tribunal du XXIè siècle ?, interview de Stefano Marrano, Petites Affiches, n° 229, p. 3, 16 novembre 2016.

Quelle symbolique judiciaire pour le 21ème siècle ? Futur palais de justice de Paris-Batignolles : entretien avec Renzo Piano, Site de l'IHEJ, 4 décembre 2015.

Entretien avec Antoine Garapon. Le futur palais de justice de Paris-Batignolles. Quelle symbolique judiciaire pour le 21ème siècle ?, Site de l'internet de IHEJ, 8 octobre 2015 (reproduction d'un article paru sur l'Intranet de la Direction des Services Judiciaires le 5 octobre 2015).

Le Palais vu par son architecte, interview de Renzo Piano, Site internet du nouveau palais de Justice.

- Interview de Jacques Poumarède, Professeur émérite à l'Université de Toulouse, Site internet du ministère de la Justice, 2012.

newsid:462630

Procédure administrative

[Brèves] Procédure d'admission des pourvois en cassation : le Conseil d'Etat ne peut remettre en cause l'appréciation des juges du fond

Réf. : CE, 14 février 2018, n° 413982 (N° Lexbase : A2041XDX)

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N2794BXR

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par Yann Le Foll

Le 22 Février 2018

Statuant comme juge de cassation, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, en principe, de remettre en cause les constats de fait effectués par les juges du fond dans l'exercice de leur pouvoir souverain. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 14 février 2018 (CE, 14 février 2018, n° 413982 N° Lexbase : A2041XDX).

Par un arrêté du 16 août 2016, le maire de Sisco (Haute-Corse) a interdit jusqu'au 30 septembre 2016 l'accès aux plages et à la baignade à toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes moeurs et de la laïcité, ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes. La Ligue des droits de l'Homme (LDH) a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Sa demande a été rejetée en première instance par le tribunal administratif de Bastia, puis en appel par la cour administrative d'appel de Marseille. La LDH a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille.

Le Conseil d'Etat refuse ici, au terme de la procédure préalable d'examen des pourvois en cassation (CJA, art. L. 822-1 N° Lexbase : L3305ALY), d'admettre, pour l'instruire, le pourvoi formé par la LDH. Enonçant la solution précitée, il a estimé que les moyens du pourvoi qui tendaient à remettre en cause directement ou indirectement l'appréciation souveraine des juges du fond n'étaient pas de nature à justifier son admission (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E3776EX7).

newsid:462794

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Convention de rupture : précision relative au droit de rétractation

Réf. : Cass. soc., 14 février 2018, n° 17-10.035, FS-P+B (N° Lexbase : A7669XDE)

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N2844BXM

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par Blanche Chaumet

Le 22 Février 2018



Une partie à une convention de rupture peut valablement exercer son droit de rétractation dès lors qu'elle adresse à l'autre partie, dans le délai de quinze jours calendaires que prévoit l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS), une lettre de rétractation. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 14 février 2018 (Cass. soc., 14 février 2018, n° 17-10.035, FS-P+B N° Lexbase : A7669XDE).

En l'espèce, un salarié et une société ont conclu une convention de rupture le jeudi 12 mars 2009. Par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée le 27 mars 2009 et reçue par l'employeur le 31 mars 2009, le salarié a informé ce dernier qu'il usait de son droit de rétractation. La convention de rupture a été homologuée par l'administration le 2 avril 2009.

Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en nullité de la convention de rupture et en paiement de sommes à ce titre. Pour le débouter de ses demandes, la cour d'appel (CA Versailles, 20 octobre 2016, n° 14/03956 N° Lexbase : A4662R9K), après avoir constaté que le délai de rétractation expirait le vendredi 27 mars 2009 à minuit et que le salarié avait adressé le 27 mars 2009 à l'employeur sa lettre de rétractation, retient que celui-ci ne l'a reçue que le 31 mars 2009, soit après l'expiration du délai. A la suite de cette décision, le salarié s'est pourvu en cassation.

En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 1237-13 du Code du travail. Elle précise qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait exercé son droit de rétractation dans le délai imparti par l'article L. 1237-13 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a violé ce texte (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0220E7B).

newsid:462844

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Reçu pour solde de tout compte : absence d'effet libératoire

Réf. : Cass. soc., 14 février 2018, n° 16-16.617, FS-P+B (N° Lexbase : A7726XDI)

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N2868BXI

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par Blanche Chaumet

Le 23 Février 2018



Le reçu pour solde de tout compte qui fait état d'une somme globale et renvoie pour le détail des sommes versées au bulletin de paie annexé n'a pas d'effet libératoire. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans arrêt du 14 février 2018 (Cass. soc., 14 février 2018, n° 16-16.617, FS-P+B N° Lexbase : A7726XDI).

En l'espèce, deux salariées, placées en dispense d'activité à compter respectivement des 18 août et 31 décembre 2001 et, jusqu'à leur mise à la retraite prévue au 31 mars et 31 octobre 2009 en vertu du protocole d'accord sur l'aménagement des fins de carrière du 23 décembre 1999 (AFC 99) et d'un avenant à leur contrat de travail, ont demandé à bénéficier du décret du 18 juillet 2008 qui a modifié le calcul de l'indemnité de licenciement et donc de l'indemnité de départ à la retraite pour la porter au double du montant initialement prévu. La société leur ayant opposé un refus, elles ont saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel (CA Pau, 3 mars 2016, deux arrêts, dont n° 14/01220 N° Lexbase : A0588QEI) a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes fondée sur le reçu pour solde de tout compte, dit que le reçu pour solde de tout compte n'a pas été établi conformément à la loi et est privé d'effet libératoire pour la nature de la somme comprise, déclaré recevables les demandes des salariées et condamné l'employeur à leur payer une somme. A la suite de cette décision, l'employeur s'est pourvu en cassation.

Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle précise que la cour d'appel, qui a relevé, d'abord, que le reçu pour solde de tout compte ne mentionnait qu'une seule somme globale, sans inventaire détaillé des sommes payées, et, ensuite, que le bulletin de salaire annexé à ce reçu n'était pas de nature à constituer le reçu pour solde de tout compte exigé par l'article L. 1234-20 (N° Lexbase : L8044IA8), a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9987ESP).

newsid:462868

Sociétés

[Brèves] Irrégularité d'une résolution non mentionnée dans les mêmes termes dans l'ordre du jour de l'assemblée générale d'une SARL

Réf. : Cass. com., 14 février 2018, n° 15-16.525, F-P+B (N° Lexbase : A7597XDQ)

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N2853BXX

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par Fatima Khachani

Le 22 Février 2018

Constitue une nouvelle résolution celle qui consiste à proposer la nomination d'un commissaire aux comptes titulaire et d'un commissaire aux comptes suppléant, autres que ceux figurant dans la résolution adressée avec l'ordre du jour aux associés d'une SARL. Dès lors, la délibération de l'assemblée générale y relative est irrégulière. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans cet arrêt rendu le 14 février 2018 (Cass. com., 14 février 2018, n° 15-16.525, F-P+B N° Lexbase : A7597XDQ).

En l'espèce, une assemblée générale est convoquée en vue de désigner un commissaire aux comptes titulaire et son suppléant nommément identifiés dans l'ordre du jour qui a été transmis aux associés. Lors de l'assemblée générale, cette résolution est rejetée mais la désignation de deux autres commissaires aux comptes titulaire et suppléant recueillent le vote favorable des associés. Dans de telles circonstances, le dirigeant refuse de prendre en compte la résolution ainsi modifiée par l'assemblée générale et décide de convoquer une seconde assemblée.

La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion dans sa décision du 14 novembre 2014 (CA Saint-Denis de la Réunion, 14 novembre 2016, n° 13/01262 N° Lexbase : A0601M97) retient que le pouvoir d'une assemblée générale ordinaire ne se limite pas à l'approbation ou au rejet des résolutions proposées mais s'étend également à leur modification.

Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation, énonçant la solution précitée, censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 223-27 (N° Lexbase : L2101LEK) et R. 223-20 du Code de commerce (N° Lexbase : L0116HZC) (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" [LXB= E6008A3W]).

newsid:462853

Transport

[Brèves] Demande d'indemnisation en cas de retard d'un vol : les passagers doivent rapporter la preuve qu'ils se sont présentés à l'enregistrement

Réf. : Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 16-23.205, F-P+B (N° Lexbase : A7573XDT)

Lecture: 1 min

N2814BXI

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par Vincent Téchené

Le 22 Février 2018

La demande d'indemnisation formée par des passagers d'un vol auprès d'une compagnie aérienne en raison du retard à l'arrivée suppose qu'ils rapportent la preuve qu'ils se sont présentés à l'enregistrement. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 février 2018 (Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 16-23.205, F-P+B N° Lexbase : A7573XDT).

En l'espèce, trois personnes ont acheté trois billets d'avion auprès d'une compagnie aérienne pour un vol aller-retour Paris-Miami. Le vol retour étant arrivé à destination avec un retard supérieur à cinq heures, les passagers ont saisi la juridiction de proximité d'une demande d'indemnisation sur le fondement du Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L0330DYU). Leur demande ayant été rejetée, ils ont formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle qu'il résulte de l'article 3, paragraphe 2, sous a), du Règlement n° 261/2004 que le régime énoncé par ce Règlement est applicable à condition que les passagers disposent d'une réservation confirmée pour le vol concerné et se présentent, sauf en cas d'annulation visée à l'article 5, à l'enregistrement. En outre, aux termes de l'article 1315 (N° Lexbase : L1426ABG), devenu 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK), celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Ainsi, pour la Cour, ayant relevé que les passagers versaient aux débats une demande d'indemnisation adressée à la compagnie d'assurance, leur réservation électronique, ainsi qu'une attestation de retard, non nominative, signée par celle-ci, et estimé que ces éléments ne démontraient pas que ceux-ci s'étaient présentés à l'enregistrement, la juridiction de proximité, qui a caractérisé l'absence de preuve par eux rapportée de l'obligation d'indemnisation dont ils réclamaient l'exécution, a, sans inverser la charge de la preuve ni exiger une preuve impossible, rejeté à bon droit la demande d'indemnisation (cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E0497EXP).

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Urbanisme

[Brèves] Compétence du juge judiciaire pour ordonner la démolition de l'éolienne implantée en méconnaissance des règles d'urbanisme

Réf. : Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 17-14.703, FS-P+B (N° Lexbase : A7723XDE)

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par Yann Le Foll

Le 22 Février 2018

Lorsque le permis autorisant la construction d'une éolienne a été annulé par la juridiction administrative, le juge judiciaire est compétent pour ordonner la démolition de l'éolienne implantée en méconnaissance des règles d'urbanisme. Ainsi statue la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 février 2018 (Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 17-14.703, FS-P+B N° Lexbase : A7723XDE).

Pour décliner la compétence judiciaire, l'arrêt attaqué (CA Rennes, 15 décembre 2016, n° 16/00335 N° Lexbase : A3434SUQ) retient que, même si la juridiction administrative, en annulant le permis de construire, a sanctionné le non-respect des prescriptions en matière d'urbanisme, le juge judiciaire ne peut ordonner la démolition des éoliennes litigieuses, dès lors qu'une telle mesure aurait pour effet de remettre en cause la poursuite de l'activité de ces installations, qui relèvent, pour leur exploitation, de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

En statuant ainsi, la cour d'appel a donc méconnu le principe précité et voit son arrêt annulé (cf. l’Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E4951E7I).

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